Institutionnalisons la sobriété hydrique en France ! Première partie
Cette note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’Institutionnalisation de la sobriété hydrique en France sera publiée en quatre parties. Voici la première. Résumé de la note En France, le dérèglement du cycle de l’eau va tout changer. Comme pour les collectivités d’Outre-mer qui connaissent déjà une sidérante crise de l’eau, l’approvisionnement en eau potable ne sera peut-être plus garanti non plus à moyen terme en métropole. À cet égard, l’été 2022 nous a déjà fait changer d’époque : 43 % des cours d’eau à sec, des déficits de précipitation entre 10 et 50 % sur l’intégralité du territoire, des nappes à leurs plus bas historiques et des glaciers qui perdent leur eau douce au rythme des anticipations les plus pessimistes. Bien qu’il accélère le cycle de l’eau, le changement climatique n’est pas l’unique cause des graves conséquences pour lesquelles nous constatons une impréparation. Les phénomènes de sécheresse et d’inondation ne sont en réalité que les deux faces d’une même pièce : ils sont les conséquences d’une dégradation de la santé de nos sols. Imperméabilisés, tassés, stérilisés, ils perdent peu à peu leur capacité d’infiltration et de retenue de l’eau précipitée ou ruisselée. Le changement climatique, en augmentant la fréquence et l’intensité des sécheresses météorologiques et des précipitations extrêmes, révèle, en réalité, la mort lente des écosystèmes régulateurs du cycle de l’eau. Pour l’agriculture, les modes de cultures trop intensifs en eau comme ceux du maïs, largement destinés à l’export et à l’alimentation animale, vont être rendus non viables et même confiscatoires vis-à-vis des autres usagers, la faute à des recharges d’eau souterraine de plus en plus contrainte. Les conséquences sanitaires des rejets de polluants agricoles comme industriels vont largement s’aggraver du fait d’une quantité d’eau plus faible pour les diluer. La diminution des débits et le réchauffement des eaux vont affecter les productions électriques et industrielles. Dans ce contexte, il revient au législateur d’arbitrer des conflits d’usage qui pourraient régulièrement dégénérer en guerre de l’eau. Qui doit avoir un accès prioritaire à la ressource et pour quels usages ? Aujourd’hui, la faiblesse des réglementations permet l’accaparement par les plus gros acteurs agricoles ou industriels. Dans le pire des cas, la puissance publique encourage même cette confiscation : c’est l’exemple des fameuses mégabassines subventionnées à plus de 70 % par l’argent public. L’arsenal législatif reste également trop faible ou mal appliqué pour faire durablement respecter les exigences de qualité. En 2021, environ 12 millions de Français ont été concernés par des dépassements des seuils autorisés de pesticide dans l’eau potable tandis que la pollution au nitrate s’est étendue sur 37 % des masses d’eau souterraine entre 1996 et 2018[1]. Pour institutionnaliser la sobriété hydrique en France, trois piliers sont à construire. Le premier est d’inscrire dans la Constitution à la fois un droit universel d’accès à l’eau issue d’un traitement de qualité et permettant de garantir à chacun des conditions d’hygiène compatible avec une vie digne, mais aussi de reconnaitre le caractère de bien commun du cycle de l’eau qu’il convient alors de gérer de manière coopérative. Pour pouvoir être exercés pleinement, ces deux principes doivent se décliner en un large éventail de politiques publiques, allant de la mise en application du principe du pollueur-payeur à l’instauration d’une tarification progressive, en passant par la rénovation des canalisations. Face à une ressource qui se raréfie, la puissance publique doit organiser le partage en faisant prévaloir le droit à l’eau sur tout autre usage excessif et de fait confiscatoire de la ressource. Le deuxième axe consiste à régénérer le grand cycle en transformant profondément les modalités d’aménagement du territoire. Il faut mettre en application le paradigme de l’hydrologie régénérative : « ralentir, répartir et infiltrer »[2] à l’agriculture comme au tissu urbain. Dans le premier cas, l’idée est d’aménager la parcelle agricole de sorte que l’eau s’y écoule lentement, se répartisse le plus largement possible sur les sols pour s’y infiltrer et recharger durablement les nappes. La parcelle agricole est transformée en « un paysage aquatique ». Ensuite les solutions d’agroécologie (rotation de culture, polyculture élevage, etc.) comme d’agroforesterie (plantation d’arbres et de haies, etc.) permettent d’enrichir le sol en matière organique et de le recouvrir d’un large couvert végétal. Ces aménagements réduisent le ruissellement, infiltrent plus efficacement les eaux de pluie, filtrent mieux les polluants et apportent une fraîcheur décisive pour résister aux vagues de chaleur. Plus généralement, placer le système de production alimentaire sur la voie d’un développement résilient suppose de repenser la finalité du modèle agricole. La contrainte hydrique rend la décroissance de l’assolement de maïs et de la production de viande inévitable ; planifions-la plutôt que de la subir. Le concept d’hydrologie régénérative s’applique également parfaitement aux villes. Pour affronter des précipitations extrêmes plus intenses et les inondations afférentes, il faut débétonner, végétaliser et renaturer l’hydrologie des cours d’eau pour former des villes éponges capables d’absorber les excès d’eau. Enfin, il faut rénover les institutions de l’eau pour expérimenter une gestion de la ressource comme un bien commun. La première étape est alors de reconnaître juridiquement, à la fois le cycle de l’eau et les droits des écosystèmes aquatiques. Pour initier leur préservation, nous proposons d’utiliser la connaissance scientifique pour forger des objectifs spécifiques à chacun des six bassins hydrographiques français de réduction des prélèvements, des consommations, de rejet de polluants et préservation des écosystèmes. Ces derniers seront votés par les Comités de bassin, aussi appelés Parlements de l’eau et mis en application par les six Agences de l’eau en charge des bassins. Nous proposons aussi d’expérimenter une gestion locale de la ressource sur le modèle du bien commun au sens de la prix Nobel d’économie Elinor Ostrom par la création d’Associations d’usagers de l’eau à l’échelle des bassins de vie. Ces collectifs auront pour mandat de gérer collectivement la ressource du territoire en définissant des règles locales garantissant un usage compatible avec les objectifs définis par les Agences de l’eau. Aussi, il faut inciter et accompagner la gestion en régie publique pour les collectivités qui le souhaitent, notamment en renforçant leurs
Par Moundib I.
19 février 2024