Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Écologie

Institutionnalisons la sobriété hydrique en France ! Première partie

Cette note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’Institutionnalisation de la sobriété hydrique en France sera publiée en quatre parties. Voici la première. Résumé de la note En France, le dérèglement du cycle de l’eau va tout changer. Comme pour les collectivités d’Outre-mer qui connaissent déjà une sidérante crise de l’eau, l’approvisionnement en eau potable ne sera peut-être plus garanti non plus à moyen terme en métropole. À cet égard, l’été 2022 nous a déjà fait changer d’époque : 43 % des cours d’eau à sec, des déficits de précipitation entre 10 et 50 % sur l’intégralité du territoire, des nappes à leurs plus bas historiques et des glaciers qui perdent leur eau douce au rythme des anticipations les plus pessimistes. Bien qu’il accélère le cycle de l’eau, le changement climatique n’est pas l’unique cause des graves conséquences pour lesquelles nous constatons une impréparation. Les phénomènes de sécheresse et d’inondation ne sont en réalité que les deux faces d’une même pièce : ils sont les conséquences d’une dégradation de la santé de nos sols. Imperméabilisés, tassés, stérilisés, ils perdent peu à peu leur capacité d’infiltration et de retenue de l’eau précipitée ou ruisselée. Le changement climatique, en augmentant la fréquence et l’intensité des sécheresses météorologiques et des précipitations extrêmes, révèle, en réalité, la mort lente des écosystèmes régulateurs du cycle de l’eau. Pour l’agriculture, les modes de cultures trop intensifs en eau comme ceux du maïs, largement destinés à l’export et à l’alimentation animale, vont être rendus non viables et même confiscatoires vis-à-vis des autres usagers, la faute à des recharges d’eau souterraine de plus en plus contrainte. Les conséquences sanitaires des rejets de polluants agricoles comme industriels vont largement s’aggraver du fait d’une quantité d’eau plus faible pour les diluer. La diminution des débits et le réchauffement des eaux vont affecter les productions électriques et industrielles. Dans ce contexte, il revient au législateur d’arbitrer des conflits d’usage qui pourraient régulièrement dégénérer en guerre de l’eau. Qui doit avoir un accès prioritaire à la ressource et pour quels usages ? Aujourd’hui, la faiblesse des réglementations permet l’accaparement par les plus gros acteurs agricoles ou industriels. Dans le pire des cas, la puissance publique encourage même cette confiscation : c’est l’exemple des fameuses mégabassines subventionnées à plus de 70 % par l’argent public. L’arsenal législatif reste également trop faible ou mal appliqué pour faire durablement respecter les exigences de qualité. En 2021, environ 12 millions de Français ont été concernés par des dépassements des seuils autorisés de pesticide dans l’eau potable tandis que la pollution au nitrate s’est étendue sur 37 % des masses d’eau souterraine entre 1996 et 2018[1]. Pour institutionnaliser la sobriété hydrique en France, trois piliers sont à construire. Le premier est d’inscrire dans la Constitution à la fois un droit universel d’accès à l’eau issue d’un traitement de qualité et permettant de garantir à chacun des conditions d’hygiène compatible avec une vie digne, mais aussi de reconnaitre le caractère de bien commun du cycle de l’eau qu’il convient alors de gérer de manière coopérative. Pour pouvoir être exercés pleinement, ces deux principes doivent se décliner en un large éventail de politiques publiques, allant de la mise en application du principe du pollueur-payeur à l’instauration d’une tarification progressive, en passant par la rénovation des canalisations. Face à une ressource qui se raréfie, la puissance publique doit organiser le partage en faisant prévaloir le droit à l’eau sur tout autre usage excessif et de fait confiscatoire de la ressource. Le deuxième axe consiste à régénérer le grand cycle en transformant profondément les modalités d’aménagement du territoire. Il faut mettre en application le paradigme de l’hydrologie régénérative : « ralentir, répartir et infiltrer »[2] à l’agriculture comme au tissu urbain. Dans le premier cas, l’idée est d’aménager la parcelle agricole de sorte que l’eau s’y écoule lentement, se répartisse le plus largement possible sur les sols pour s’y infiltrer et recharger durablement les nappes. La parcelle agricole est transformée en « un paysage aquatique ». Ensuite les solutions d’agroécologie (rotation de culture, polyculture élevage, etc.) comme d’agroforesterie (plantation d’arbres et de haies, etc.) permettent d’enrichir le sol en matière organique et de le recouvrir d’un large couvert végétal. Ces aménagements réduisent le ruissellement, infiltrent plus efficacement les eaux de pluie, filtrent mieux les polluants et apportent une fraîcheur décisive pour résister aux vagues de chaleur. Plus généralement, placer le système de production alimentaire sur la voie d’un développement résilient suppose de repenser la finalité du modèle agricole. La contrainte hydrique rend la décroissance de l’assolement de maïs et de la production de viande inévitable ; planifions-la plutôt que de la subir. Le concept d’hydrologie régénérative s’applique également parfaitement aux villes. Pour affronter des précipitations extrêmes plus intenses et les inondations afférentes, il faut débétonner, végétaliser et renaturer l’hydrologie des cours d’eau pour former des villes éponges capables d’absorber les excès d’eau. Enfin, il faut rénover les institutions de l’eau pour expérimenter une gestion de la ressource comme un bien commun. La première étape est alors de reconnaître juridiquement, à la fois le cycle de l’eau et les droits des écosystèmes aquatiques. Pour initier leur préservation, nous proposons d’utiliser la connaissance scientifique pour forger des objectifs spécifiques à chacun des six bassins hydrographiques français de réduction des prélèvements, des consommations, de rejet de polluants et préservation des écosystèmes. Ces derniers seront votés par les Comités de bassin, aussi appelés Parlements de l’eau et mis en application par les six Agences de l’eau en charge des bassins. Nous proposons aussi d’expérimenter une gestion locale de la ressource sur le modèle du bien commun au sens de la prix Nobel d’économie Elinor Ostrom par la création d’Associations d’usagers de l’eau à l’échelle des bassins de vie. Ces collectifs auront pour mandat de gérer collectivement la ressource du territoire en définissant des règles locales garantissant un usage compatible avec les objectifs définis par les Agences de l’eau. Aussi, il faut inciter et accompagner la gestion en régie publique pour les collectivités qui le souhaitent, notamment en renforçant leurs

Par Moundib I.

19 février 2024

Quelle stratégie pour un logement abordable et durable ?

Les politiques publiques menées en France ne permettent pas de contenir le coût croissant des logements, dont le poids est passé de 20 à 30 % des revenus de la majorité de la population[1]. Si des territoires subissent une vacance élevée[2], les pénuries dans les zones tendues sont telles[3] que les constructions de logements restent très insuffisantes, alors que leurs impacts écologiques sont déjà importants, notamment en termes de gaz à effet de serre (plus d’un tiers des émissions de l’industrie[4]). Les divers travaux d’évaluation des politiques du logement soulignent que ces résultats médiocres s’expliquent surtout par des soutiens « inversés » : les fiscalités favorisent les rentes immobilières au détriment des logements pérennes abordables. De plus, la métropolisation aggrave les pénuries de logement dans les zones tendues et les problèmes de vacance ailleurs. Pourtant, des politiques cohérentes et efficaces sont possibles et parfois déjà mises en œuvre dans des pays étrangers ou des territoires français. En complément d’une hausse des dépenses en faveur des logements abordables, le succès de ces politiques implique plusieurs transformations globales : Investir dans des résidences principales « abordables » (location ou accession sociale) doit devenir plus rentable que les autres usages (de la location touristique à la rétention foncière en passant par les bureaux), qui doivent être limités dans les zones tendues (par des taxes élevées et/ou une compensation des « non résidences principales »). De la même manière, les réhabilitations lourdes doivent devenir moins coûteuses que le neuf, en particulier dans les zones moins tendues, afin de remobiliser les logements vacants dégradés (en lien avec les politiques de rénovation énergétique et du patrimoine bâti et paysager). En complément, les modalités des aides au logement et des avantages de loyers devraient être modulées selon le « taux d’effort » (la part des dépenses de logement dans le revenu). Cela permettrait de fortement diminuer le poids des dépenses de logement de plusieurs millions de ménages à court terme. De manière transversale, deux autres transformations profondes doivent être engagées par l’État, afin de tarir les principales sources des déséquilibres du logement : Le rééquilibrage de l’offre de formation et des services publics (santé, transports, etc.) vers les villes moyennes et petites permettra à moyen terme de réduire la demande excessive de logements dans les zones déjà tendues, tout en améliorant l’accès aux services publics dans les autres territoires. Un simple rééquilibrage territorial permettrait de résorber plus de la moitié du manque de logement dans les zones tendues. Une plus forte régulation des usages, loyers et qualités des logements impose également un changement d’échelle des contrôles et des sanctions, qui devraient toujours être au moins deux fois supérieures aux gains et dommages occasionnés. Au-delà de leurs effets directs sur l’accessibilité des logements, ces transformations apporteront des bénéfices publics majeurs : une forte diminution des dépenses contraintes de la majorité des Français (avec une réduction parallèle des rentes et des fraudes), une meilleure cohésion sociale et territoriale, ainsi qu’une réduction efficace et juste de l’empreinte écologique des constructions. À l’inverse, une forte réduction de la construction sans augmenter l’offre de logement abordable aurait des impacts sociaux extrêmement régressifs pour la majorité de la population, ainsi que des impacts sanitaires négatifs (liés au mal-logement) et des effets pervers écologiques (l’allongement des trajets domicile-travail). Seuls les plus aisés bénéficieraient alors d’une très forte hausse de leur patrimoine, déjà en forte augmentation depuis 2017. Après un résumé des constats sur l’impasse des politiques « pro-rentes » actuelles, nous montrerons qu’il est possible de diffuser le logement abordable tout en limitant son empreinte écologique, à condition de passer d’une politique centrée sur le nombre total de logement à une politique visant l’augmentation des résidences principales abordables ainsi que la réduction de la sur-demande dans les zones tendues. I – Des résultats très insuffisants, notamment depuis 2017 Au regard des objectifs fixés (produire 500 000 logements par an dont 150 000 logements sociaux, principalement dans les zones tendues), les politiques publiques menées en France n’atteignent que la moitié des objectifs fixés depuis 2010. La construction oscille autour de 350 000 logements construits par an[5], mais cela n’augmente l’offre de résidences principales[6] que d’environ 250 000 (+ 2,5 millions en 10 ans), après déduction des logements devenus vacants ou secondaires, dont la croissance est très forte depuis 2005. Principaux objectifs et résultats des politiques du logement 2010-2020 Principaux objectifs Principaux résultats Écart objectifs vs. résultats finaux Production de logements 500 000 par an + 380 000 logements mis en construction par an dont seulement + 250 000 résidences principales – 50 % Logements sociaux 150 000 par an + 100 000 logements sociaux agréés par an dont seulement + 70 000 « effectifs » – 55 % Sources : Comptes du logement, Parc locatif social et Insee Logement 2021 Les financements de logements sociaux varient eux autour de 100 000 par an (dont 10 000 acquisitions de logements existants dans le parc privé), mais le parc social n’augmente que de 70 000 par an, déduction faite des projets abandonnés, des démolitions et des reventes sur le marché privé non régulé. Plus grave, la construction chute surtout dans les zones ayant le plus de besoins, notamment depuis 2017. Or l’offre neuve ne suivait déjà pas l’augmentation de la population des grandes métropoles avant 2015 (+ 5 à 10 % de logements vs. + 8 à 15 % de ménages en 8 ans), malgré un volume très important de logements construits chaque année dans ces départements[7]. Les zones « tendues » correspondent principalement aux zonages A et B1, qui regroupent la plupart des grandes agglomérations, le littoral sud et quelques autres territoires touristiques (e.g. Haute-Savoie). En conséquence, l’augmentation du prix des logements dépasse +160 % depuis 20 ans alors que le revenu salarial n’a augmenté sur la période que de 40 %[8] (et l’inflation courante de 30 %[9]). Cette augmentation dépasse même 200 % dans certaines grandes agglomérations où les loyers ont presque doublé sur cette période[10]. La hausse a surtout été forte entre 2000 et 2010, puis à nouveau depuis 2017 avec +25 % en moyenne nationale sur 4 ans[11], voire davantage dans les agglomérations et littoraux déjà tendus. La plupart

Par Desquinabo N.

8 novembre 2023

Comment améliorer le traitement des enjeux écologiques dans les médias ?

Introduction générale Les crises écologiques engendrent déjà de nombreux bouleversements. Le GIEC estime que 3,3 à 3,6 milliards d’individus sont déjà en situation de vulnérabilité. Entre le 1er juin et le 22 août 2022, l’INSEE évalue à 11 000 la surmortalité en France vraisemblablement liée aux vagues de chaleur successives, par rapport à la même période en 2019. Au Pakistan, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), 33 millions de Pakistanais ont été touchés par les inondations dévastatrices de ce même été, provoquant 8 millions de déplacés climatiques, 1500 disparus, 3,5 millions d’hectares de cultures perdus et la destruction de nombreuses infrastructures. Face au coût exorbitant de l’inaction, l’impérieuse nécessité d’agir n’est plus à démontrer. L’ordre mondial se trouve donc fragilisé par des crises s’amplifiant rapidement pour lesquelles notre capacité d’anticipation, et donc de protection, diminue. Face à ces bascules importantes, les médias ne sont pas à la hauteur de l’urgence écologique. Seulement 3,6 % des contenus médiatiques pendant la campagne électorale présidentielle de 2022 portaient sur les questions climatiques.[1] À titre de comparaison, le Covid-19 a occupé jusqu’à 74,9 % du temps d’antenne[2]. De même, dans le secteur audiovisuel, seuls 0,8% des reportages ont été consacrés aux enjeux écologiques depuis 2013[3]. Bien que le traitement médiatique de l’écologie ait triplé depuis les années 1990[4], cette proportion apparaît encore insuffisante au regard des faits et enjeux liés au franchissement des limites planétaires (dérèglement climatique, érosion vertigineuse de la biodiversité, perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, changements d’utilisation des sols, acidification des océans, utilisation mondiale de l’eau, appauvrissement de l’ozone stratosphérique, augmentation des aérosols dans l’atmosphère, introduction d’entités nouvelles dans la biosphère) et à la raréfaction des ressources déjà à l’œuvre. À cela s’ajoute le cadrage médiatique des enjeux écologiques, souvent cantonné à des rubriques dédiées. Si cette organisation en silos est censée faciliter l’accès à l’information thématique, elle contribue néanmoins à isoler l’information et à ne la transmettre qu’à une portion réduite et déjà sensibilisée de la population. Par ailleurs, ce traitement va à l’encontre de la dimension systémique des enjeux écologiques, possédant des ramifications transversales dans diverses rubriques (économie, politique, société, agriculture, santé, etc…). De plus, de nombreux médias français favorisent la fabrique du doute en ne distinguant pas les faits des opinions. Cela a notamment pu alimenter “une polarisation de l’opinion publique, avec des répercussions négatives pour la politique climatique”, expliquent les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il souligne ainsi le rôle majeur des médias : “Les médias peuvent avoir un impact significatif pour faire progresser la conscience climatique et la légitimité des actions engagées. Ils cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique, ils ont un rôle crucial dans la perception qu’en a le public, sa compréhension et sa volonté d’agir”. Les médias, par leur mission d’informer les citoyens sont, à ce titre, des acteurs démocratiques essentiels pour la reconstruction écologique de nos sociétés. Il est impératif que chaque citoyen, quels que soient les médias qu’il consulte, puisse avoir accès à un niveau d’information suffisant et qualitatif sur des enjeux aussi vitaux. Or, l’édition 2022 de l’étude “Fractures Françaises” (Ipsos-Sopra Steria) révèle que si 90 % des Français considèrent que “nous sommes en train de vivre un changement climatique”, 39 % doutent encore de l’origine anthropique de cette crise. Il existe pourtant un consensus scientifique mondial sur cette question. Il y a donc urgence à informer davantage et mieux. En outre, de nombreux médias français publient des contenus éditoriaux contradictoires. En parallèle de la publication d’articles, de reportages et d’émissions traitant des enjeux écologiques, ils publient des contenus relatifs à des modes de vie ou des imaginaires allant à l’encontre des préconisations scientifiques permettant de faire face à l’urgence. Ces contenus éditoriaux sont également insatisfaisants dans la façon dont ils font le lien entre les causes de la crise écologique et ses effets. Au-delà des contenus éditoriaux, les contenus publicitaires faisant la promotion de biens ou de services défavorables à l’environnement, nuancent la portée des messages transmis concernant l’urgence écologique. Cette inadéquation entre contenus éditoriaux et publicitaires, contribue à une dissonance cognitive portant préjudice à la compréhension et la perception des enjeux. Ce traitement déséquilibré des enjeux délégitime les décisions publiques et met à mal l’engagement citoyen. La transformation des médias se justifie doublement, à la fois dans l’intérêt public mais également dans l’intérêt du public. L’intérêt public, général, n’est plus à démontrer tant les conséquences de la crise écologique sont manifestes et tangibles. Or, les médias offrent souvent une analyse des faits partielle, voire erronée, comme nous avons pu le voir ces précédentes années avec le traitement des vagues de chaleur en France. Malgré leurs conséquences sanitaires (mortalité), agricoles et économiques, ces catastrophes sont encore traitées avec une connotation positive dans les médias[5]. L’intérêt du public est bien présent puisque les Français font de l’environnement leur seconde priorité, tout en estimant que les médias et les journalistes n’accordent “pas assez de place” aux questions posées par le changement climatique et l’environnement. Il est donc urgent que le traitement médiatique des enjeux écologiques progresse. Des évolutions sont d’ores-et-déjà perceptibles. En septembre 2022, Radio France a annoncé son « Tournant » écologique engageant à la fois la formation des journalistes, la transformation des contenus éditoriaux et publicitaires et l’amélioration de la performance écologique interne. Le 14 septembre 2022, un collectif de journalistes a publié une Charte “Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique”, composée de 13 engagements. La charte a été signée par plus de 1 500 journalistes et 120 rédactions, attestant du souhait de la profession d’améliorer ses pratiques en matière d’écologie. Retrouvez ici la proposition de loi relative à la responsabilité des médias dans le traitement des enjeux environnementaux et de durabilité Tout en saluant les récents engagements des journalistes en faveur d’un traitement médiatique plus sérieux de la crise écologique, la réponse à cet enjeu ne peut reposer que sur le seul volontariat. La réglementation est l’un des outils les plus adéquats pour garantir aux

Par Prosperi J., Ramos P., Vernières A., Morel E., Magat A., Dufrêne N.

19 juillet 2023

Proposition de loi relative à la responsabilité des médias dans le traitement des enjeux environnementaux et de durabilité

EXPOSÉ DES MOTIFS Les crises écologiques engendrent déjà de nombreux bouleversements. Le GIEC estime que 3,3 à 3,6 milliards d’individus sont déjà en situation de vulnérabilité. Entre le 1er juin et le 22 août 2022, l’INSEE évalue à 11 000 la surmortalité en France vraisemblablement liée aux vagues de chaleur successives, par rapport à la même période en 2019. Au Pakistan, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), 33 millions de Pakistanais ont été touchés par les inondations dévastatrices de ce même été, provoquant 8 millions de déplacés climatiques, 1500 disparus, 3,5 millions d’hectares de cultures perdus et la destruction de nombreuses infrastructures. Face au coût exorbitant de l’inaction, l’impérieuse nécessité d’agir n’est plus à démontrer. L’ordre mondial se trouve donc fragilisé par des crises s’amplifiant rapidement pour lesquelles notre capacité d’anticipation, et donc de protection, diminue. Face à ces bascules importantes, les médias ne sont pas à la hauteur de l’urgence écologique. Seulement 3,6 % des contenus médiatiques pendant la campagne électorale présidentielle de 2022 portaient sur les questions climatiques.[1] À titre de comparaison, le Covid-19 a occupé jusqu’à 74,9 % du temps d’antenne[2]. De même, dans le secteur audiovisuel, seuls 0,8% des reportages ont été consacrés aux enjeux écologiques depuis 2013[3]. Bien que le traitement médiatique de l’écologie ait triplé depuis les années 1990[4], cette proportion apparaît encore insuffisante au regard des faits et enjeux liés au franchissement des limites planétaires (dérèglement climatique, érosion vertigineuse de la biodiversité, perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, changements d’utilisation des sols, acidification des océans, utilisation mondiale de l’eau, appauvrissement de l’ozone stratosphérique, augmentation des aérosols dans l’atmosphère, introduction d’entités nouvelles dans la biosphère) et à la raréfaction des ressources déjà à l’oeuvre. À cela s’ajoute le cadrage médiatique des enjeux écologiques, souvent cantonné à des rubriques dédiées. Si cette organisation en silos est censée faciliter l’accès à l’information thématique, elle contribue néanmoins à isoler l’information et à ne la transmettre qu’à une portion réduite et déjà sensibilisée de la population. Par ailleurs, ce traitement va à l’encontre de la dimension systémique des enjeux écologiques, possédant des ramifications transversales dans diverses rubriques (économie, politique, société, agriculture, santé, etc…). De plus, de nombreux médias français favorisent la fabrique du doute en ne distinguant pas les faits des opinions. Cela a notamment pu alimenter “une polarisation de l’opinion publique, avec des répercussions négatives pour la politique climatique”, expliquent les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il souligne ainsi le rôle majeur des médias : “Les médias peuvent avoir un impact significatif pour faire progresser la conscience climatique et la légitimité des actions engagées. Ils cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique, ils ont un rôle crucial dans la perception qu’en a le public, sa compréhension et sa volonté d’agir”. Les médias, par leur mission d’informer les citoyens sont, à ce titre, des acteurs démocratiques essentiels pour la reconstruction écologique de nos sociétés. Il est impératif que chaque citoyen, quels que soient les médias qu’il consulte, puisse avoir accès à un niveau d’information suffisant et qualitatif sur des enjeux aussi vitaux. Or, l’édition 2022 de l’étude “Fractures Françaises” (Ipsos-Sopra Steria) révèle que si 90 % des Français considèrent que “nous sommes en train de vivre un changement climatique”, 39% doutent encore de l’origine anthropique de cette crise. Il existe pourtant un consensus scientifique mondial sur cette question. Il y a donc urgence à informer davantage et mieux. En outre, de nombreux médias français publient des contenus éditoriaux contradictoires. En parallèle de la publication d’articles, de reportages et d’émissions traitant des enjeux écologiques, ils publient des contenus relatifs à des modes de vie ou des imaginaires allant à l’encontre des préconisations scientifiques permettant de faire face à l’urgence. Ces contenus éditoriaux sont également insatisfaisants dans la façon dont ils font le lien entre les causes de la crise écologique et ses effets. Au-delà des contenus éditoriaux, les contenus publicitaires faisant la promotion de biens ou de services défavorables à l’environnement, nuancent la portée des messages transmis concernant l’urgence écologique. Cette inadéquation entre contenus éditoriaux et publicitaires, contribue à une dissonance cognitive portant préjudice à la compréhension et la perception des enjeux. Ce traitement déséquilibré des enjeux délégitime les décisions publiques et met à mal l’engagement citoyen. La transformation des médias se justifie doublement, à la fois dans l’intérêt public mais également dans l’intérêt du public. L’intérêt public, général, n’est plus à démontrer tant les conséquences de la crise écologique sont manifestes et tangibles. Or, les médias offrent souvent une analyse des faits partielle, voire erronée, comme nous avons pu le voir ces précédentes années avec le traitement des vagues de chaleur en France. Malgré leurs conséquences sanitaires (mortalité), agricoles et économiques, ces catastrophes sont encore traitées avec une connotation positive dans les médias[5]. L’intérêt du public est bien présent puisque les Français font de l’environnement leur seconde priorité, tout en estimant que les médias et les journalistes n’accordent “pas assez de place” aux questions posées par le changement climatique et l’environnement. Il est donc urgent que le traitement médiatique des enjeux écologiques progresse. Des évolutions sont d’ores-et-déjà perceptibles. En septembre 2022, Radio France a annoncé son « Tournant » écologique engageant à la fois la formation des journalistes, la transformation des contenus éditoriaux et publicitaires et l’amélioration de la performance écologique interne. Le 14 septembre 2022, un collectif de journalistes a publié une Charte “Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique”, composée de 13 engagements. La charte a été signée par plus de 1 500 journalistes et 120 rédactions, attestant du souhait de la profession d’améliorer ses pratiques en matière d’écologie. Tout en saluant les récents engagements des journalistes en faveur d’un traitement médiatique plus sérieux de la crise écologique, la réponse à cet enjeu ne peut reposer que sur le seul volontariat. La réglementation est l’un des outils les plus adéquats pour garantir aux individus le droit à l’information sur l’environnement, un droit à valeur constitutionnelle. Aussi, notre Constitution affirme le caractère inaliénable de la

Par Prosperi J., Ramos P., Vernières A., Morel E., Magat A., Dufrêne N.

19 juillet 2023

Quelles transformations globales pour une transition écologique effective ?

La transition vers une économie bas-carbone et écologique combine plusieurs enjeux massifs. Aux enjeux mondiaux du changement climatique et des maladies chroniques liées aux pollutions[1] s’ajoutent, pour les pays non producteurs de fossiles comme la France, les enjeux majeurs de la dépendance extérieure (plus de 80 % des ressources énergétiques et des intrants agricoles sont importés[2]), des déficits commerciaux liés aux fossiles (- 73 milliards d’euros entre juin 2021 et mai 2022)[3] et des pertes d’emplois associés. Plusieurs rapports récents, dont le rapport « 2 % pour 2° » publié par l’Institut Rousseau[4], permettent de préciser les types et montants d’investissements et de subventions nécessaires pour atteindre les objectifs énergie/climat de la France. Cette note vise à compléter ces travaux en précisant les autres transformations de politiques publiques à mener pour atteindre ces objectifs. En effet, l’examen des évaluations disponibles et des expériences étrangères suggère que les subventions aux investissements « favorables » (à la réduction des fossiles et des autres polluants) doivent être complétées par d’autres types d’interventions (tarifs, fiscalités, régulations), afin de lever les freins massifs aux changements. En s’appuyant sur un diagnostic documenté des principales « dissuasions » aux transitions énergétiques et écologiques (de l’incitation aux « petits travaux » de rénovation énergétique aux avantages massifs accordés au fret routier ou à l’agriculture intensive), l’objectif de cette note est de préciser des propositions de transformations globales cumulant : Des subventions « doublement progressives », à la fois selon les besoins financiers de l’ « investisseur » (particulier ou entreprise plus ou moins modeste), mais également selon l’ambition de l’investissement (en termes de coût et/ou de performance), afin d’éviter les effets d’aubaine et la préférence pour les solutions les plus simples qui sont souvent les moins performantes ; Des fiscalités et tarifications progressives des énergies et des infrastructures, afin d’inciter à la modération des consommations et de rendre les investissements ciblés nettement moins chers et/ou plus rentables et moins risqués que le « business as usual » fossile ou intensif ; Des boucliers sociaux-écologiques, pour que les particuliers et les entreprises les plus modestes ne subissent pas les hausses de tarifs lorsqu’ils sont en incapacité de modifier leurs pratiques à court terme (ex. locataires qui ne peuvent rénover leur logement) ; Enfin, des dispositifs de contrôle dissuasif des fraudes et des concurrences « déloyales » sont à prévoir, afin de garantir les impacts des investissements (en limitant les écarts entre émissions théoriques et effectives, notamment dans les rénovations et les transports) et d’éviter les « fuites de carbone » liées aux délocalisations (notamment dans l’agriculture et l’industrie). Des exemples d’expériences étrangères et locales permettent d’illustrer comment ces transformations, articulées aux investissements mis en avant dans le rapport « 2 % pour 2° » pourraient (enfin) accélérer le rythme des changements attendus et entraîner de multiples bénéfices publics, dont notamment une forte amélioration de l’état de santé de la population et une forte hausse des emplois de qualité. 1. Des résultats très éloignés des objectifs dans tous les domaines Premier constat à souligner, les politiques publiques menées en France n’atteignent qu’entre 10 et 60 % des améliorations visées selon les secteurs, malgré des objectifs le plus souvent peu ambitieux : Twh [5] Sources : Enquêtes Open 2015 et Tremi 2018, Bilan énergétique 2019, PPE et Mementoagricole *avec un gain > à 40% de consommation d’énergie (Mm² = millions de mètres carrés) **vs. 18 % des voyages et 14% des marchandises en 2010 ***vs. 12% de la consommation d’énergie finale en 2010 ****vs. 3% des surfaces agricoles en 2010 En France, seule l’industrie réduit sa consommation d’énergie et ses émissions de gaz à effet de serre, mais principalement en raison de la forte hausse des importations depuis 2000. En prenant en compte l’ensemble des émissions liées à la consommation des Français, l’ « empreinte » carbone du pays est plus de deux fois supérieure à ses émissions « nationales » et n’ont pas baissé depuis 2000[6] : Au sein de l’Europe, la France est classée parmi les moins performants des pays comparables (hors pays de l’est) : 10ème sur 12 pour les énergies renouvelables, 10ème sur 12 pour le fret ferroviaire et 9ème sur 12 pour l’agriculture bio[7]. Ces comparaisons européennes et les différentes évaluations disponibles soulignent que les mauvais résultats de la France ne sont ni liés à des coûts trop élevés ou à des impossibilités techniques, mais à des choix politiques. En effet, nous allons voir que les soutiens publics sont très largement défavorables à la réduction de la dépendance aux fossiles, notamment en France : les incitations à la transition énergétique restent marginales, alors que les dissuasions sont nettement plus élevées et diversifiées. Et c’est cette « inversion » des moyens qui occasionne un coût économique et des sacrifices sociaux croissants, notamment dans un pays comme la France, qui ne bénéficie pas (ou peu) des profits extravagants des hydrocarbures[8]. 2. Des politiques incohérentes avec des dissuasions six fois supérieures aux incitations Voyons d’abord les principaux dispositifs dont l’objectif est d’inciter aux investissements dans des activités économes et/ou utilisant des ressources renouvelables. Les évaluations réalisées sur ces dispositifs[9] soulignent que peu d’entre eux ont une efficacité forte, certains ayant même des impacts plutôt négatifs : Principaux objectifs, montants et résultats des dispositifs de transition énergétique/écologique Dépense publique/an[10] *Dont subventions des collectivités mais hors fonctionnement des transports collectifs locaux qui ne visent pas les investissements. ** Environ 4 Twh/an engagés sur +- 15 ans avec un surcoût moyen de +-10 euros/Mwh hors biogaz (avant la forte hausse des prix de gros fin 2021 qui impliquent depuis des recettes publiques de la part des Enr électriques récentes). Sources : Documents budgétaires, Comptes sectoriels (Transports, Energie et Agriculture), Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) et Bilans Anah, ART, LOM et CSPE et Evaluation du fonds chaleur Malgré leur niveau très limité (< à 1 % du total des dépenses publiques), les soutiens publics aux investissements dans la transition énergétique et écologique ont été réduits d’environ 20 % depuis la période 2010-2016 (d’environ 10 milliards d’euros/an à 8 milliards d’euros/an en 2017-2020, hors plan de relance et certificats d’économie d’énergie[11]). La baisse des nouvelles dépenses publiques est concentrée dans les énergies renouvelables et le développement des lignes ferroviaires (environ – 1 milliard par an chacun

Par Desquinabo N.

23 novembre 2022

Rechercher la bonne densité en ville par la protection du patrimoine bâti et paysager

En matière d’aménagement urbain et de besoin en logement, le choix entre l’étalement de la ville dans les zones rurales et la densification des espaces déjà urbanisés est souvent présenté comme une alternative inévitable. Pour stopper l’artificialisation des sols, il faudrait nécessairement « faire la ville sur elle-même » en surélevant le bâti existant, en comblant les dents creuses, voire en démolissant pour reconstruire à plus grande hauteur. Mais ces solutions ne s’attaquent pas aux causes du phénomène : est-il besoin de construire toujours plus en masse au regard du taux élevé de logements vacants et de sa répartition géographique ? Nous faisons face, pour reprendre les termes du sociologue Yankel Fijalkow, à une « crise de répartition » et non à une « crise de pénurie ». Outre les dommages environnementaux inhérents à la construction à grande échelle par une consommation excessive de ressources naturelles, la surdensification des centres détériore le bien-être de ses habitants et fragilise la préservation du patrimoine architectural et paysager. Elle altère la conception française du patrimoine bâti, fondée non sur la protection individuelle d’un monument classé ou inscrit, mais sur la cohérence d’ensemble du site dans lequel il s’insère : « un chef d’œuvre isolé risque d’être un chef d’œuvre mort » déclara André Malraux à l’Assemblée nationale en 1962. En complément du zonage des espaces ruraux pour freiner l’urbanisation et préserver les ressources naturelles, la recherche de la bonne densité en ville réhabilite la méthode du « curetage d’îlot » pratiquée par l’architecte Albert Laprade : elle consiste à rénover le bâti ancien au lieu de le démolir, améliorer son hygiène et son confort tout en préservant son intégrité architecturale. I – Densifier les centres pour mettre un terme à l’artificialisation des sols : une fausse alternative ? 1 – Les conséquences environnementales et sociales de l’artificialisation des sols Depuis la fin des années 2010, la notion d’« artificialisation des sols » s’est imposée à l’agenda politique et médiatique pour décrire la dynamique d’urbanisation des espaces ruraux (principalement agricoles) en bordure des villes. Sur le plan technique, l’« artificialisation » consiste à imperméabiliser des sols naturels par une opération d’aménagement bâti, viaire ou équipementier : zones commerciales dotés de parkings, routes, lotissements pavillonnaires, etc[1]. Bien qu’un certain flou entoure encore sa définition (l’urbanisation résidentielle implique souvent une part de renaturation des parcelles loties grâce aux jardins privés), le Ministère de la transition écologique estime qu’entre 20 000 et 40 000 hectares sont artificialisés chaque année en France[2]. Les évaluations renvoient notamment aux données de la base Teruti-Lucas, faisant dire à certains observateurs que l’artificialisation engloutit l’équivalent d’un département français tous les dix ans[3]. L’artificialisation des sols est aujourd’hui vertement critiquée non seulement pour la perte de biodiversité qu’elle implique en rompant les continuités écologiques des milieux naturels, mais aussi pour l’uniformisation supposée des paysages et le caractère insoutenable des modes de vie périurbains, fondés sur la faible densité de l’habitat et la rareté d’implantation des petites infrastructures commerciales de proximité accessibles sans véhicule automobile. En motorisant l’accès aux équipements sur le territoire, le zonage périurbain augmente l’empreinte carbone. Comme la sociologie urbaine d’après-guerre, l’essayiste américain Lewis Mumford dénonçait déjà dans The City in history (1961) la désintégration individualiste provoquée par le lotissement en maisons individuelles, selon lui incapable de recréer les conditions spatiales de la vie en commun associée aux tissus urbains et ruraux anciens. C’est un enjeu aux implications à la fois sociales, environnementales et paysagères. Mais aujourd’hui, le problème n’est plus tant l’existence d’un habitat et d’un mode de vie périurbains – une réalité irrémédiable – que la poursuite d’un aménagement fondé sur des modèles résidentiels et commerciaux trop peu denses. C’est ainsi que la notion de densité s’invite en creux dans le débat sur l’artificialisation, car la dispersion spatiale de l’habitat est inhérente à la dynamique de l’étalement périurbain. La densification des centres urbains existants est-elle en miroir son contre-modèle écologique ? 2 – La densification comme contre-modèle de l’artificialisation Depuis les années 2000, les pouvoirs publics tentent d’enrayer le phénomène des extensions urbaines, avec un résultat mitigé. Promulguée le 22 août 2021, la loi Climat et résilience a institué la lutte contre l’artificialisation des sols par le mécanisme du Zéro artificialisation nette (ZAN), qui vise la « renaturation » (c’est-à-dire la reconquête d’un milieu naturel sur une surface donnée) de zones dont la superficie est équivalente aux espaces soumis à une future urbanisation. Bien qu’il soit trop tôt pour en dresser le premier bilan, cette mesure corrective semble faire un pas en avant, même si elle ne consiste pas à élaborer de véritables schémas nationaux et régionaux d’occupation des sols (comme les périmètres d’inconstructibilité décrétés dans les parcs naturels). Néanmoins, le ZAN consacre la prise de conscience par les pouvoirs publics de la crise environnementale déclenchée par l’étalement urbain et la nécessité d’une relocalisation économique et résidentielle dans les centralités urbaines existantes. Aujourd’hui, un nombre croissant d’architectes, d’urbanistes ou d’universitaires défendent à l’inverse la densification des villes comme contre-modèle écologique à l’artificialisation des sols : il faudrait « faire la ville sur la ville », voire préférer la verticalité à l’horizontalité pour mettre un terme à la périurbanisation. Les organismes d’État s’en sont fait une courroie de transmission privilégiée, comme l’Agence de la transition écologique (ex-ADEME) qui y a consacré un de ses Cahiers techniques pour l’approche environnementale de la ville en 2015[4]. En somme, il ne s’agit pas seulement de réoccuper des bâtiments désaffectés, mais aussi de surélever le bâti ancien, remplir les dents creuses (espace vide entre deux parcelles bâties), voire démolir de l’habitat à faible hauteur pour reconstruire à plus grande hauteur sur une même parcelle. Or l’idée de construire la ville sur elle-même pour résoudre le mal-logement des Français et résorber l’étalement périurbain engage trois grandes difficultés. En premier lieu, les centres-villes denses de plus de 5000 habitants/km2 courent un risque de surdensification qui dégrade significativement le bien-être de ses résidents (assombrissement des cours et des intérieurs, promiscuité, bruit, vis-à-vis), jusqu’à détériorer l’hygiène en créant

Par Bianco D.

24 mai 2022

2% pour 2°C ! Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050

Résumé exécutif du rapport 2 % pour 2°C : Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050. La conférence de présentation du rapport peut-être visionnée entièrement sur notre chaîne YouTube. Le rapport complet est disponible en téléchargement. Au cours des dernières années, nous avons fixé des objectifs ambitieux pour le climat. Nous avons multiplié les accords internationaux, les lois et les stratégies nationales. Mais les résultats ne suivent pas : nos émissions baissent trop lentement. Une des causes principales de cet échec est que la reconstruction écologique de nos sociétés se heurte au mur de l’argent. Or, atteindre la neutralité carbone suppose, certains y verront un paradoxe au regard de l’impératif de sobriété, de nombreux investissements. Mais combien, exactement ? On pourrait imaginer que ce chiffrage existe déjà : en effet, comment penser des stratégies nationales bas carbone (SNBC) ou des programmations pluriannuelles pour l’énergie (PPE) sans aborder simultanément la question des moyens budgétaires et financiers nécessaires pour les atteindre ? Or, cela peut paraître surprenant, mais ce « recensement » n’existe tout simplement pas, malgré des tentatives éparses et incomplètes d’organismes publics ou privés de fournir des données. Cela nous conduit inévitablement à une forme de double discours en matière d’environnement : celui qui consiste à promettre beaucoup en matière d’objectifs, tout en mobilisant peu au niveau des financements. C’est à ce problème majeur pour la réussite de la transition bas-carbone et pour le débat démocratique et économique que ce rapport entreprend de s’attaquer. Notre objectif final, la raison d’être de ce rapport, est d’associer aux leviers de décarbonation de l’économie les moyens financiers nécessaires pour les réaliser. Nous chiffrons ces investissements, publics et privés confondus, à 182 milliards d’euros par an, dont 57 milliards d’euros par an en plus des investissements déjà prévus dans un scénario tendanciel, ce qui comprend aussi bien les dépenses « vertes » actuelles que celles dont nous pouvons anticiper la réorientation (par exemple les investissements actuels dans les véhicules thermiques seront transformés en investissements dans des véhicules électriques). Ces investissements supplémentaires représentent 2,3 % du PIB de la France en 2021. C’est ce qui donne le titre de notre rapport : 2 % du PIB d’investissements publics et privés supplémentaires sont nécessaires chaque année pour tenir notre engagement de neutralité carbone et faire notre juste part pour limiter le réchauffement à 2 degrés ! Précisons que ces « investissements » ne sont pas à considérer au sens économique strict du terme : il s’agit en réalité de l’ensemble des dépenses publiques et privées nécessaires pour atteindre les objectifs fixés et peuvent prendre la forme d’investissements durs, mais également de subventions, de crédits d’impôts, d’allégements fiscaux, d’aides à l’installation ou à la reforestation, de l’acquisition de biens par des ménages, etc. Sur ces 57 milliards d’euros supplémentaires, 36 milliards d’euros d’investissements devraient être pris en charge par l’État. 36 milliards d’euros par an d’argent public supplémentaire pour atteindre la neutralité carbone : qu’est-ce que c’est pour le budget de l’État ? C’est à peu près ce que paie chaque année l’État aux banques et autres investisseurs en remboursement des intérêts de sa dette publique (38 milliards d’euros pour 2022, plus de 40 milliards d’euros pendant les années 2010). C’est nettement moins que ce qu’on dépense chaque année pour la défense (50 milliards d’euros) ou que ce que les actionnaires privés ont perçu en dividendes en 2019 (49,2 milliards d’euros). Et c’est un peu moins que le premier plan d’urgence budgétaire mis en place dès le début de la pandémie en mars 2020 (42 milliards d’euros). Pour le climat aussi, il nous faut un plan d’urgence, dès maintenant et pour les années à venir. Quelques points de comparaison du surcoût public de l’ensemble des mesures proposées   Ces investissements publics et privés que nous requérons n’ont donc rien d’insurmontable : ils permettraient bien au contraire d’enclencher une dynamique vertueuse pour l’environnement, l’emploi, la santé et in fine la prospérité de nos concitoyens. Quelques précisions importantes pour bien comprendre le cadre de notre étude. Tout d’abord, cette dernière est centrée sur les investissements publics et privés qui permettront de réduire suffisamment les émissions de gaz à effet de serre de la France pour atteindre une neutralité carbone d’ici trente ans. Par conséquent, notre étude ne prend pas en compte l’ensemble des investissements qui seraient nécessaires à une politique complète de reconstruction écologique (préservation de la biodiversité et lutte contre la sixième extinction de masse que nous connaissons, reconstruction des réseaux d’eau, dépollution chimique des sols et des procédés, etc.), encore que plusieurs investissements étudiés contribuent aussi à agir sur ces fronts. Notre chiffrage constitue donc un plancher pour atteindre la neutralité carbone mais devrait être revu sensiblement à la hausse en intégrant les autres enjeux écologiques. Ce sera l’objet de travaux ultérieurs. En outre, nous avons évalué le coût de l’investissement en capital (le “Capex”) et avons donc laissé de côté les coûts opérationnels (les “Opex”), beaucoup plus difficiles à évaluer et anticiper. Ensuite, il est important de souligner que notre travail n’est pas d’ordre réglementaire mais plutôt budgétaire : nous ne nous préoccupons pas systématiquement des mesures législatives et réglementaires qui devront nécessairement accompagner le déploiement des investissements. Les mesures réglementaires les plus structurantes, ou constituant des prérequis aux investissements, sont cependant décrites. Enfin, si nous avons pleinement conscience de l’importance des enjeux liés au bon déploiement opérationnel d’une telle transition, l’ensemble des conditions nécessaires au bon déroulement de ce plan d’action chiffré n’est pas systématiquement décrit. Pour mettre en œuvre le plan d’investissement que nous proposons, nous recommandons, avec d’autres acteurs importants du débat, l’élaboration d’une loi de programmation pluriannuelle du financement de la reconstruction écologique (LPFRE), comme il en existe en matière de recherche et de défense, qui permettrait d’opérer une jonction étroite entre les objectifs fixés et les moyens de les atteindre. La plus-value et l’originalité de notre rapport est également de proposer une vision de ce que devrait contenir cette loi de programmation pluriannuelle de financement de la reconstruction écologique, secteur par secteur. Cette vision repose sur

Par Institut Rousseau, Giraud G., Dufrêne N., Nicol C., Kerlero de Rosbo G.

8 mars 2022

Les arguments juridiques en faveur d’une conversion des titres de dette publique détenus par la BCE en investissements verts

À l’heure où la COP 26 s’interroge sur le financement des investissements nécessaires pour réussir la reconstruction écologique de nos sociétés, le sujet de la dette, publique comme privée, apparaît au cœur des réflexions économiques et politiques contemporaines. Le traitement de la dette sera certainement un enjeu majeur des prochaines élections présidentielles de 2022 en France.

Par Dufrêne N., Giraud G., Felter C.

7 novembre 2021

Quel rôle de l’État pour aligner les entreprises sur les ambitions de neutralité carbone de la France ?

Introduction Les objectifs climat de la France ne seront jamais atteints sans le concours plein et entier du secteur privé. Les entreprises se situent en effet à l’épicentre de la question climatique : non seulement elles génèrent des émissions directes provenant du fonctionnement de leurs propres actifs (bureaux, usines, flottes de véhicules), mais elles endossent aussi une responsabilité plus large en tant que pourvoyeuses de biens et services qui alimentent, modifient ou maintiennent le système socio-technique dont nous dépendons au quotidien sur le territoire national (infrastructures de transport, bâtiments, sources de chauffage, produits d’alimentation, etc.). Par ailleurs, leur dépendance à des chaînes d’approvisionnement et de logistique étrangères a une influence directe sur l’empreinte carbone de la France, qui doit elle aussi être maîtrisée[1]. Certaines entreprises du secteur agricole et forestier sont en outre amenées à jouer le rôle particulier de gérer et développer les puits de carbone, une activité indispensable à l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone nationale. Enfin, elles sont conduites à mettre à profit leurs fortes capacités de financement pour soutenir des projets bas-carbone sur le territoire, dans une logique de contribution financière à l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils organiser l’alignement des entreprises sur les objectifs climat de la France ? Quel système d’indicateurs à surveiller et piloter pourrait être inventé ? Quelles instances doivent être créées par l’État afin de systématiser le contrôle de leur action climat ? Quels modes de réglementation, d’incitation et de coercition sont à encourager pour amener rapidement l’ensemble du secteur privé sur une trajectoire compatible avec l’Accord de Paris ? La présente note cherche premièrement à décrire l’ambition climat de la France (I.1) et à expliciter sa co-dépendance avec la sphère privée (I.2). La seconde partie vise à construire un système de mesure de la contribution des entreprises à la neutralité carbone française (II.1) et à esquisser des pistes pour institutionnaliser un tel système de mesure au niveau national (II.2). Enfin, la troisième partie expose les moyens à disposition de l’État pour inciter, orienter et/ou obliger les entreprises à s’aligner sur l’ambition climat collective, fort du système d’évaluation décrit dans la partie précédente.   I. S’appuyer sur les objectifs climat nationaux pour fixer le cap du secteur privé 1) La Stratégie nationale bas-carbone, une feuille de route ambitieuse Créée en 2015 et révisée en 2019, la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) fixe le cap de l’action climat de la France. Elle vise la neutralité carbone du territoire français d’ici à 2050, en cohérence avec le maintien du réchauffement climatique en dessous des 2°C. Cela signifie concrètement que les émissions nationales devront baisser de 85 % entre 1990 et 2050, et que les puits de carbone nationaux devront doubler sur la même période, afin d’atteindre un point d’équilibre émissions/absorptions en 2050. Trajectoire des émissions et puits de gaz à effet de serre sur le territoire national entre 2005 et 2050 d’après la Stratégie nationale bas carbone. Source : MTE   Les émissions considérées correspondent exclusivement aux émissions générées sur le territoire français. Les émissions importées, telles que les émissions de la production à l’étranger de biens électroniques consommés en France, ne sont pas prises en compte dans la forme actuelle de la SNBC. Chaque secteur d’émissions (transport, bâtiment, agriculture, industrie, industrie de l’énergie, déchets) possède son propre budget carbone, au regard des capacités particulières de chacun à se décarboner. Le secteur des terres (forêts, prairies, sols agricoles) possède quant à lui un budget « négatif » d’émissions, c’est-à-dire une quantité de carbone à séquestrer annuellement sur le territoire de manière à atteindre l’objectif d’absorption en 2050. La SNBC incarne donc une ambition rigoureuse d’un point de vue scientifique sur le cap à fixer pour les émissions du territoire français. Néanmoins, ce cadre n’est pas applicable tel quel aux entreprises, qui dépendent le plus souvent de chaînes d’approvisionnement et de production internationales, tandis que l’objet de la SNBC est uniquement de donner des trajectoires sectorielles de réduction sur le territoire national. Précisons par ailleurs que la SNBC n’est pas contraignante, et n’a qu’une valeur normative et déclarative.   2) Quel est le lien entre les entreprises et la Stratégie nationale bas-carbone ? Pour aligner le secteur privé sur les objectifs nationaux fixés par la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), il est nécessaire d’identifier les entreprises dont il est question. Ne devrait-il s’agir que des entreprises ayant leur siège en France ? D’entreprises ayant une implantation, quelle qu’elle soit, en France ? Ou plus largement, doit-on inclure des entreprises ayant accès au marché français ? Supposons pour simplifier que les émissions d’une entreprise sont constituées de deux « pôles » principaux : les émissions de production, et les émissions de consommation/utilisation en aval par les consommateurs finaux. Quatre grandes configurations se distinguent alors[2] : Cas 1: l’entreprise produit en France et vend en France Cas 2: l’entreprise produit en France et vend à l’international Cas 3: l’entreprise produit à l’international et vend en France Cas 4: l’entreprise produit à l’international et vend à l’international     Schéma des configurations d’entreprises entre lieu de production et lieu de vente   Pour le cas 1, la solution est simple : l’ensemble de l’activité de l’entreprise s’inscrivant au sein du territoire français, l’entreprise est directement concernée par l’ambition de la SNBC. Le cas 2 est un peu plus complexe, car l’entreprise produit en France mais exporte ses produits à l’international. Les émissions de production, qui sont incluses dans l’inventaire national, sont soumises sans ambiguïté aux exigences climat de la France. La question est de savoir si les produits vendus à l’international doivent eux aussi être soumis à la même exigence. Nous proposons que cela soit le cas, et que l’État adopte une approche simple : appliquer l’ambition climatique de la France à ces produits en considérant que l’ambition française est la mieux-disante. Par exemple, si la loi française interdit la vente des véhicules thermiques en 2035, il sera attendu des entreprises produisant ces véhicules sur le territoire national d’appliquer cette interdiction à l’ensemble des pays de vente. L’avantage de la simplicité est

Par Dugast C., Joly A.

28 octobre 2021

    Partager

    EmailFacebookTwitterLinkedInTelegram