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Comment améliorer le traitement des enjeux écologiques dans les médias ?

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Comment améliorer le traitement des enjeux écologiques dans les médias ?

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Comment améliorer le traitement des enjeux écologiques dans les médias ?

Introduction générale

Les crises écologiques engendrent déjà de nombreux bouleversements. Le GIEC estime que 3,3 à 3,6 milliards d’individus sont déjà en situation de vulnérabilité. Entre le 1er juin et le 22 août 2022, l’INSEE évalue à 11 000 la surmortalité en France vraisemblablement liée aux vagues de chaleur successives, par rapport à la même période en 2019. Au Pakistan, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), 33 millions de Pakistanais ont été touchés par les inondations dévastatrices de ce même été, provoquant 8 millions de déplacés climatiques, 1500 disparus, 3,5 millions d’hectares de cultures perdus et la destruction de nombreuses infrastructures. Face au coût exorbitant de l’inaction, l’impérieuse nécessité d’agir n’est plus à démontrer. L’ordre mondial se trouve donc fragilisé par des crises s’amplifiant rapidement pour lesquelles notre capacité d’anticipation, et donc de protection, diminue.

Face à ces bascules importantes, les médias ne sont pas à la hauteur de l’urgence écologique. Seulement 3,6 % des contenus médiatiques pendant la campagne électorale présidentielle de 2022 portaient sur les questions climatiques.[1] À titre de comparaison, le Covid-19 a occupé jusqu’à 74,9 % du temps d’antenne[2]. De même, dans le secteur audiovisuel, seuls 0,8% des reportages ont été consacrés aux enjeux écologiques depuis 2013[3]. Bien que le traitement médiatique de l’écologie ait triplé depuis les années 1990[4], cette proportion apparaît encore insuffisante au regard des faits et enjeux liés au franchissement des limites planétaires (dérèglement climatique, érosion vertigineuse de la biodiversité, perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, changements d’utilisation des sols, acidification des océans, utilisation mondiale de l’eau, appauvrissement de l’ozone stratosphérique, augmentation des aérosols dans l’atmosphère, introduction d’entités nouvelles dans la biosphère) et à la raréfaction des ressources déjà à l’œuvre.

À cela s’ajoute le cadrage médiatique des enjeux écologiques, souvent cantonné à des rubriques dédiées. Si cette organisation en silos est censée faciliter l’accès à l’information thématique, elle contribue néanmoins à isoler l’information et à ne la transmettre qu’à une portion réduite et déjà sensibilisée de la population. Par ailleurs, ce traitement va à l’encontre de la dimension systémique des enjeux écologiques, possédant des ramifications transversales dans diverses rubriques (économie, politique, société, agriculture, santé, etc…).

De plus, de nombreux médias français favorisent la fabrique du doute en ne distinguant pas les faits des opinions. Cela a notamment pu alimenter “une polarisation de l’opinion publique, avec des répercussions négatives pour la politique climatique”, expliquent les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il souligne ainsi le rôle majeur des médias : “Les médias peuvent avoir un  impact significatif pour faire progresser la conscience climatique et la légitimité des actions engagées. Ils cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique, ils ont un rôle crucial dans la perception qu’en a le public, sa compréhension et sa volonté d’agir”. Les médias, par leur mission d’informer les citoyens sont, à ce titre, des acteurs démocratiques essentiels pour la reconstruction écologique de nos sociétés. Il est impératif que chaque citoyen, quels que soient les médias qu’il consulte, puisse avoir accès à un niveau d’information suffisant et qualitatif sur des enjeux aussi vitaux. Or, l’édition 2022 de l’étude “Fractures Françaises” (Ipsos-Sopra Steria) révèle que si 90 % des Français considèrent que “nous sommes en train de vivre un changement climatique”, 39 % doutent encore de l’origine anthropique de cette crise. Il existe pourtant un consensus scientifique mondial sur cette question. Il y a donc urgence à informer davantage et mieux.

En outre, de nombreux médias français publient des contenus éditoriaux contradictoires. En parallèle de la publication d’articles, de reportages et d’émissions traitant des enjeux écologiques, ils publient des contenus relatifs à des modes de vie ou des imaginaires allant à l’encontre des préconisations scientifiques permettant de faire face à l’urgence. Ces contenus éditoriaux sont également insatisfaisants dans la façon dont ils font le lien entre les causes de la crise écologique et ses effets.  Au-delà des contenus éditoriaux, les contenus publicitaires faisant la promotion de biens ou de services défavorables à l’environnement, nuancent la portée des messages transmis concernant l’urgence écologique. Cette inadéquation entre contenus éditoriaux et publicitaires, contribue à une dissonance cognitive portant préjudice à la compréhension et la perception des enjeux. Ce traitement déséquilibré des enjeux délégitime les décisions publiques et met à mal l’engagement citoyen.

La transformation des médias se justifie doublement, à la fois dans l’intérêt public mais également dans l’intérêt du public. L’intérêt public, général, n’est plus à démontrer tant les conséquences de la crise écologique sont manifestes et tangibles. Or, les médias offrent souvent une analyse des faits partielle, voire erronée, comme nous avons pu le voir ces précédentes années avec le traitement des vagues de chaleur en France. Malgré leurs conséquences sanitaires (mortalité), agricoles et économiques, ces catastrophes sont encore traitées avec une connotation positive dans les médias[5]. L’intérêt du public est bien présent puisque les Français font de l’environnement leur seconde priorité, tout en estimant que les médias et les journalistes n’accordent “pas assez de place” aux questions posées par le changement climatique et l’environnement.

Il est donc urgent que le traitement médiatique des enjeux écologiques progresse. Des évolutions sont d’ores-et-déjà perceptibles. En septembre 2022, Radio France a annoncé son « Tournant » écologique engageant à la fois la formation des journalistes, la transformation des contenus éditoriaux et publicitaires et l’amélioration de la performance écologique interne. Le 14 septembre 2022, un collectif de journalistes a publié une Charte “Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique”, composée de 13 engagements. La charte a été signée par plus de 1 500 journalistes et 120 rédactions, attestant du souhait de la profession d’améliorer ses pratiques en matière d’écologie.

Retrouvez ici la proposition de loi relative à la responsabilité des médias dans le traitement des enjeux environnementaux et de durabilité

Tout en saluant les récents engagements des journalistes en faveur d’un traitement médiatique plus sérieux de la crise écologique, la réponse à cet enjeu ne peut reposer que sur le seul volontariat. La réglementation est l’un des outils les plus adéquats pour garantir aux individus le droit à l’information sur l’environnement, un droit à valeur constitutionnelle. Aussi, notre Constitution affirme le caractère inaliénable de la liberté des médias, de leur pluralisme et de leur indépendance. Outre des propositions de nature législative, d’autres évolutions sont d’ordre réglementaire ou relèvent de la propre initiative des médias. Cette note politique propose ainsi un éventail de dispositifs complémentaires pour améliorer qualitativement et quantitativement le traitement médiatique des enjeux écologiques, dans le respect des libertés et des droits des médias.

  • Miser sur la formation initiale et continue des journalistes, un prérequis incontournable pour une meilleure intégration des enjeux écologiques dans les médias

Celles et ceux qui transmettent l’information aux citoyens, à savoir les journalistes, sont trop rarement et insuffisamment formés aux enjeux écologiques. Cela découle d’un manque de contenus pédagogiques consacrés à ces sujets lors de leur formation initiale mais aussi d’un déficit de formation continue.

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et sans ces pré-requis de formation, la profession ne peut jouer ce rôle primordial de prise de conscience et de mise en perspective des enjeux écologiques, complexes à appréhender car systémiques.

Dans sa volonté d’indépendance à l’égard du pouvoir politique, les journalistes et plus généralement les médias nationaux se sont auto-régulés sur de nombreux aspects relatifs à l’exercice de leur profession. Aussi, les propositions ci-dessous ne sont pas d’ordre législatif mais relèvent de la libre décision de la profession ou du niveau réglementaire. Dans certains cas, il peut incomber à l’Etat par ses prérogatives et pouvoirs de veiller à leur bonne application.

Proposition 1 : Généraliser la formation initiale des enjeux écologiques aux étudiants en journalisme via l’adoption d’une convention collective

Plus que jamais, les futures générations de journalistes doivent être formées à la compréhension et à la vulgarisation de l’information scientifique et écologique. De façon générale, les lignes bougent au niveau de la formation initiale. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, a annoncé en octobre 2022 la généralisation de l’enseignement des enjeux de transition écologique et de développement durable dans l’enseignement supérieur. Si, à ce stade, rien ne semble précisé pour les écoles de journalisme, celles-ci sont concernées. De telles réflexions sont également déjà engagées au sein de certaines écoles de journalisme. L’école de journalisme de Lille dispose déjà d’un master en journalisme scientifique et propose des enseignements et des conférences sur ces enjeux à l’ensemble de ses élèves. La Conférence des Écoles de Journalisme (CEJ) s’est également engagée en rejoignant la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique, publiée le 14 septembre 2022.

Le constat paraît aujourd’hui clairement établi, et le renforcement de la formation sur ces enjeux est une évidence. Ainsi, une convention collective adoptée par la profession pourrait établir les modalités de formation adaptées aux 14 écoles de journalisme reconnues et aux différentes filières de formation en journalisme et en communication de l’enseignement supérieur. Dans les 3 prochaines années, l’ensemble des étudiants devrait avoir suivi au minimum 30 heures de cours par an sur les grands enjeux écologiques et les limites planétaires (climat, biodiversité, pollutions, etc.) dans l’objectif d’avoir un socle de connaissances et de compétences commun permettant d’appréhender les enjeux systémiques de la transition écologique. Ces cours devraient être dispensés par des experts qualifiés sur ces sujets (scientifiques, ingénieurs, maîtres de conférences…). Ils devraient également faire l’objet d’une certification annuelle pour valider les acquis.

Proposition 2 : Permettre, au sein de chaque rédaction, la formation continue des enjeux écologiques aux rédacteurs en chef et aux journalistes

Pour assurer leurs missions de garants du droit à l’information environnementale des Français, une formation continue des métiers du journalisme paraît incontournable. Les entreprises ou sociétés éditrices de presse ou de communication audiovisuelle devraient prendre l’engagement volontaire de mettre à disposition une formation continue aux enjeux écologiques pour les journalistes professionnels qu’elles emploient. Le dispositif de formation choisi par le média serait bien sûr libre, mais devrait assurer une certaine qualité et exhaustivité des informations transmises sur les causes, les conséquences et les solutions des différents pans de la crise écologique (climat, biodiversité, ressources, pollutions, greenwashing, mal-adaptation, etc.). Afin qu’il soit pleinement opérationnel, ce dispositif devrait être gratuit pour les salariés et être obligatoire, a minima, pour les rédacteurs en chef, en poste ou en amont de leur prise de poste. Les cycles de formation interviendraient à intervalles de temps réguliers pour que le personnel puisse avoir accès à un état des lieux actualisés des enjeux écologiques, et pour que les nouveaux salariés du média puissent en bénéficier rapidement.

Proposition 3 : Conditionner le montant des aides à la presse à l’adhésion au CDJM et à une formation minimale et régulière sur les enjeux écologiques

Le régime légal d’encadrement de la presse écrite et des communications audiovisuelles est différencié. L’observation et le contrôle des communications presse reposent exclusivement sur l’auto-régulation assurée par le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), auquel l’adhésion n’est pas obligatoire. Au contraire des communications audiovisuelles sur lesquelles l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, l’ex-CSA) possède un droit de regard relatif, aucune autorité publique n’exerce ce rôle pour la presse écrite. Lorsque saisi, le CDJM émet des avis, pas de sanctions. Le CDJM possède toutefois un rôle important pour les sociétés éditrices de presse, car se positionnant comme le garant de leur déontologie, si cruciale à la confiance leur étant accordée par le grand public. Les médias assurent le plein exercice de nos propres libertés et de nos droits publics (liberté d’expression, le droit à l’information, participer et nourrir le débat public, etc…), ils sont un rouage indispensable et incontournable de notre démocratie. C’est pourquoi, si la presse écrite est libre et auto-régulée, elle endosse une grande responsabilité vis-à-vis des individus et de la société. Elle a en effet le devoir de garantir l’accès à l’information juste et de qualité sur l’environnement, un droit à valeur constitutionnelle qui plus est.

Proposition 3.1 : Les subventions de l’État représentent une part substantielle des recettes de ces sociétés éditrices, notamment abreuvées par le plan Filière Presse, doté de 483 millions d’euros sur la période 2020-2022[6]. Il paraîtrait donc justifié de conditionner une proportion à définir de ces aides, à l’adhésion au CDJM. Cela faciliterait la conformité de l’ensemble du secteur aux principes déontologiques de la profession, auxquels la Charte de l’Environnement devrait être ajoutée.

Proposition 3.2 : Ces mêmes aides pourraient être partiellement conditionnées à la mise à disposition, au sein de chaque société éditrice de presse, d’un dispositif de formation gratuit et régulier sur les enjeux écologiques, qui devrait être a minima obligatoire pour les rédacteurs en chef. Le dispositif de formation choisi par le média serait bien sûr libre, mais devrait idéalement être certifié Qualiopi pour assurer une certaine qualité et exhaustivité des informations transmises (limites planétaires, solutions expertisées, éco-blanchiment, mal-adaptation, etc…).

Proposition 4 : Constituer un portail public centralisateur de données, en lien avec la profession journalistique et le ministère chargé de la transition écologique

Selon l’étude “Fractures Françaises” (Ipsos-Sopra Steria) publiée en 2022, 90 % des Français considèrent que “nous sommes en train de vivre un changement climatique”. Toutefois 39 % doutent encore de l’origine anthropique de cette crise. Aussi, le sentiment de ne pas avoir de référentiel fiable et commun est fortement présent sur ces enjeux, en particulier pour les jeunes. Dans le détail, plus des deux tiers déclarent manquer d’informations scientifiques sur le réchauffement climatique (69 %), près de trois quarts d’entre eux ont le sentiment que, sur ce sujet, on entend tout et son contraire (72 %).

Il existe pourtant un consensus scientifique mondial sur de nombreux éléments (causes, conséquences et solutions) liés aux enjeux écologiques. Il devient impératif d’informer davantage et mieux, quel que soit le média, et sur de multiples supports. C’est dans cet esprit que le Commissariat général au développement durable (CGDD) a entrepris la création d’un site gouvernemental conçu comme “le point d’accès national à l’information liée à l’environnement et au développement durable”. Ce portail est déjà accessible et poursuit son développement. Il nous semble être une bonne opportunité pour devenir un référentiel connu et identifié par et pour la profession journalistique, en tant que portail centralisateur des informations scientifiques reconnues sur le sujet mais aussi comme une plateforme de fact-checking. Le métier de journaliste souffre de contraintes temporelles et budgétaires évidentes, c’est pourquoi des outils facilitateurs, et de confiance, sont essentiels pour contribuer à un traitement plus quantitatif et qualitatif de ces enjeux complexes.

  • Renforcer les prérogatives de l’Arcom sur le volet écologique, pour assurer la quantité et la qualité du traitement médiatique dans les médias audiovisuels

Aux termes de l’article 3.1 de la loi du 30 septembre 1986 (loi Léotard) relative à la liberté de communication,  “L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, autorité publique indépendante, garantit l’exercice de la liberté de communication au public par voie électronique”, dans les conditions définies par la même loi. Sa mission de protection de l’environnement est définie à l’alinéa 6 du même article : “L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique veille à ce que le développement du secteur de la communication audiovisuelle s’accompagne d’un niveau élevé de protection de l’environnement et de la santé de la population.”

Cette attribution est déclinée :

  • à l’article 13 – alinéa 5 par la définition de codes de bonne conduite appelés “contrats climat” promus par l’autorité, mais sans caractère contraignant ;
  • à l’article 43-11 alinéa 2 par la mission d’éducation à l’environnement et au développement durable dévolue au secteur public de la communication audiovisuelle ;

L’Arcom peut aussi s’appuyer sur diverses dispositions de la loi pour lutter contre les comportements attentatoires à l’ordre public, à la santé, à la dignité des personnes et à la diffusion de fausses informations. Ces termes ne suffisent visiblement pas à donner à l’Arcom les moyens d’agir contre la présentation de propos niant la crise écologique ou ses impacts, comme peut en attester l’affaire Claire Nouvian vs Pascal Praud sur le plateau de CNews en 2019, restée sans suite.

Par contraste, l’Office of Communications (Ofcom, régulateur britannique cumulant les prérogatives de l’Arcom et de l’Arcep) a su se saisir de dispositions très générales du Communications Act 2003 – “news included in television and radio services is presented with due impartiality (… and)  is reported with due accuracy – pour un rappel à l’ordre de BBC Radio 4, sur des propos climatosceptiques tenus par l’un de ses invités. Le droit d’accès aux informations relatives à l’environnement, défini par l’article 7 de la Charte de l’Environnement, et l’éducation à l’environnement qui contribue à l’exercice de ce droit (article 8 de la même Charte) ne se traduisant pas concrètement, il paraît impératif de renforcer par la voie législative les prérogatives de l’Arcom.

Proposition 5 : Doter l’Arcom d’une mission de service public d’information aux enjeux écologiques

Proposition 5.1 : Autorité publique de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, l’Arcom a pour principale mission de garantir la liberté d’expression dans l’intérêt du public et en concertation avec les professionnels de l’audiovisuel. De cette mission-mère découlent de nombreuses missions sectorielles : la protection des œuvres, le respect des personnes et du public, la régulation technique et économique, etc….

Dans le cadre de sa mission “Pluralisme et cohésion sociale”, l’Arcom stipule que la déontologie des contenus audiovisuels comprend sept grands domaines identifiés sur la base des textes légaux et conventionnels :

  • Le respect de la dignité humaine
  • La sauvegarde de l’ordre public
  • La santé publique
  • La lutte contre les discriminations
  • L’honnêteté et l’indépendance de l’information
  • Le traitement des affaires judiciaires
  • Le respect du droit à la vie privée

La liste des missions de l’Arcom devrait être complétée par un huitième domaine : “Le respect du droit à l’information sur les enjeux environnementaux et de durabilité”, en s’appuyant sur les considérants de la Charte de l’environnement.

Proposition 5.2 : Les actions de l’Arcom sur l’honnêteté et l’indépendance de l’information devraient être complétées en s’appuyant sur les dispositions de l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui définit les sanctions applicables à la diffusion de fausses informations.

Proposition 5.3 : La loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias a généralisé la présence, au sein des médias audiovisuels de comités d’éthique. Ces comités, supervisés par l’Arcom, sont composés de personnalités indépendantes. Ils peuvent s’auto-saisir, être saisis par un médiateur lorsqu’il existe, ou toute autre personne. Leurs modalités de fonctionnement sont fixées par les conventions pour les éditeurs privés et les cahiers des charges pour les sociétés publiques. La mission de ces comités devrait être élargie pour intégrer la lutte contre la désinformation sur l’existence de la crise écologique et de son origine anthropique (modification art 30-8 de la loi Léotard).

Proposition 6 : Redéfinir la mission du service public de l’audiovisuel sur l’information pour la prise en compte des enjeux écologiques

Si le service public de l’audiovisuel est indépendant, il est néanmoins financé par la contribution à l’audiovisuel public. Les chaînes bénéficiant de la contribution, qui représente près 90 % du financement de l’audiovisuel public, doivent donc veiller de façon accrue au respect de leurs missions de service public. Définies au sein de la loi Léotard, celles-ci sont peu précises sur les enjeux écologiques, c’est pourquoi il conviendrait de mieux définir leurs prérogatives par voie législative. Il s’agirait notamment de détailler leur responsabilité vis-à-vis de la pédagogie autour des causes, des conséquences et des solutions face à la crise écologique, et leur rôle en tant que promoteurs de modes de vie, de consommation et de production compatibles avec les engagements de la France en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

La mission actuelle de France Télévisions et Arte sur l’environnement et le développement durable doit également être précisée pour intégrer les réalités et les enjeux de la transition écologique. Une mission identique doit être explicitement dévolue à Radio France.

Concrètement, à l’article 43-11 de la loi Léotard, après “elles participent à l’éducation à l’environnement et au développement durables”, la mission des chaînes et des radios publiques doit être détaillée pour insister sur leur responsabilité accrue : “L’une de leur mission de service public consiste à informer le public des réalités et des enjeux de la crise écologique en cours et à venir ainsi qu’à proposer, encourager et promouvoir les modes de vie, de consommation et de production compatibles avec les engagements de la France en matière d’émissions de gaz à effet de serre et favorisant la résilience et l’adaptation de la société française.”

Proposition 7 : Établir des règles temporaires de production, de programmation et de diffusion sur les enjeux écologiques en période électorale

L’encadrement du temps de parole médiatique en période électorale diffère du quotidien, car il est communément reconnu que les communications publiques possèdent un impact non négligeable dans la formation d’opinions et le comportement électoral qui s’ensuit. Octroyer de l’espace médiatique à certains enjeux plutôt que d’autres, favorise l’orientation des programmes électoraux et des prises de positions et engagements politiques vers ces enjeux.

Si octroyer un espace médiatique supérieur à un candidat plutôt qu’un autre est encadré par la loi, qui confie à l’Arcom le contrôle des temps de parole politique en période électorale, ce n’est pas le cas pour le traitement d’enjeux d’intérêt général. Si certains ne semblent pas nécessiter de mesures légales particulières pour être abondamment évoqués dans l’espace médiatique, les enjeux écologiques sont naturellement sous-représentés en comparaison de leur gravité et de l’impérieuse nécessité d’agir rapidement à leur encontre. Leurs effets de long-terme ne sont pas propices à inciter des médias focalisés sur l’immédiateté, à leur consacrer de l’attention. Mais les aborder relève de l’urgence. C’est pourquoi il est proposé de consacrer un quota de temps dédié, de façon éphémère, en période électorale. Ce quota sera ajustable, à la discrétion de l’Arcom, en fonction de la couverture médiatique dédiée à ces enjeux. Seul ce dispositif semble être en mesure de corriger le déficit notoire d’attention médiatique, particulièrement préjudiciable à l’action environnementale nationale. Il est indissociable d’un traitement qualitatif de ces enjeux.

Proposition 8 : Lutter contre la diffusion de fausses informations sur la crise écologique sur les plateformes en ligne

Le développement des grandes plateformes de services numériques a conduit la Commission européenne à présenter le règlement « Digital Services Act » (DSA)[7] fin 2020. Il a été définitivement voté par le Parlement européen en juillet 2022, approuvé par le Conseil de l’UE le 4 octobre 2022 et publié le 27 octobre 2022. Il sera applicable en février 2024, sauf pour les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche qui seront concernés dès 2023.

Le règlement vient préciser et compléter les dispositions introduites par différentes directives. Il vise à harmoniser les différentes législations nationales, dont le développement non coordonné serait un obstacle au développement du marché. S’il ne cite jamais la désinformation sur la crise écologique, il se réfère à la Charte des droits fondamentaux[8] dont l’article 37 stipule qu’ “un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable.”

Concernant les actions contre les contenus illicites (article 9), le règlement autorise les autorités judiciaires ou administratives nationales compétentes à agir sur la base “du droit de l’Union ou du droit national conforme au droit de l’Union applicable”, les dotant par là-même d’un pouvoir de subsidiarité.

Enfin, il définit un rôle de coordinateur des services numériques par État membre, qui sera dévolu aux instances de régulation nationales, et le dote de pouvoirs d’enquête, de sanction et d’astreinte.

Ce renforcement des prérogatives des régulateurs intervient opportunément, alors qu’un rapport publié par les associations Avaaz, Greenpeace et Les Amis de la Terre en avril 2022 montrait que les actions des plateformes en ligne  dans la lutte contre la désinformation sur la crise écologique restent insuffisantes[9].

Ainsi, l’Arcom, qui assure le rôle de coordinateur des services numériques en France pourrait être doté, par la loi, de compétences explicites pour lutter contre la désinformation sur la crise écologique. L’autorité pourrait s’appuyer, pour cela, sur un observatoire et s’assurer de la publication annuelle d’un rapport d’action des opérateurs.

  • Produire des données pour assurer un suivi annuel, public et objectivé de la progression du traitement médiatique sur les enjeux écologiques

Proposition 9 : Créer un Observatoire de la couverture médiatique de la crise écologique

Depuis la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006, l’Arcom a pour mission de veiller à la juste représentation de la diversité de la société française dans les médias, un baromètre de la diversité a notamment été institué. Ainsi, chaque année, l’Arcom rend compte au Parlement “des actions des éditeurs en faveur d’une programmation reflétant la diversité de la société française et propose les mesures adaptées pour améliorer la représentation de cette diversité dans tous les genres de programmes”. Depuis l’adoption, en 2020, de la loi contre les contenus haineux sur internet, l’Arcom s’est également vu confier la composition et la présidence de l’Observatoire de la haine en ligne. Cet observatoire analyse et quantifie les contenus relatifs à la cyber-haine et suit son évolution. L’égalité entre les femmes et les hommes fait, elle aussi, l’objet d’un rapport annuel réalisé par le ministère de la Culture pour mesurer la représentation des genres dans la culture et la communication.

Aujourd’hui, aucun observatoire public n’existe sur le traitement médiatique de la crise écologique. Quelques initiatives associatives sont nées de la volonté d’objectiver le propos sur ce sujet, et de mettre en avant les manquements des médias sur ces enjeux vitaux. Par exemple, seulement 1,5 % du temps médiatique fut consacré aux enjeux écologiques durant la période de publication du deuxième volet du sixième rapport du GIEC (Baromètre de l’Affaire du siècle). Celui-ci fut publié en pleine campagne présidentielle, un moment pourtant opportun pour débattre de ces enjeux majeurs. De même, les médias ont 20 fois plus traité de la Coupe du monde au Qatar que de la COP15 sur la biodiversité, elle-même couverte à hauteur de 0,3 % de l’espace médiatique sur les deux semaines de l’évènement (Baromètre Data For Good et QuotaClimat). Ces résultats ont suscité de nombreuses réactions de l’écosystème médiatique, politique mais aussi de la part des citoyens. Néanmoins, ils émanent d’initiatives citoyennes soumises à certaines limites techniques et budgétaires qui restreignent l’analyse. Des données objectivées, publiques et permanentes sont donc nécessaires pour analyser et mesurer, sur le long terme, la qualité du traitement médiatique.

Pour assurer le suivi des objectifs définis par la proposition 5, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique pourrait être chargée de la mise en place d’un tel observatoire, en y associant les acteurs de l’écosystème et des représentants de la communauté scientifique. À l’instar du rapport sur l’égalité entre les femmes et les hommes, et afin de prendre en compte l’ensemble des médias (médias audiovisuels et presse écrite), cet observatoire pourrait également être rattaché au ministère de la Culture et au ministère chargé de la Transition écologique.

  • Garantir une couverture médiatique éthique des enjeux écologiques

Proposition 10 : Prendre en compte le traitement des enjeux écologiques dans la charte des devoirs professionnels des journalistes français

La déontologie du journalisme est l’ensemble des règles auxquelles les journalistes devraient se référer et s’astreindre. Elle comprend quelques principes centraux : la vérité, la rigueur et l’exactitude, l’intégrité, l’équité et l’imputabilité. En France, la déontologie du journalisme est définie par deux textes.

  • La Charte d’éthique professionnelle des journalistes, rédigée par le Syndicat National des Journalistes en 1918. Elle fut modifiée en 1938, puis en 2011 pour prendre en compte les enjeux de protection des sources d’information des journalistes.
  • La Déclaration des devoirs des journalistes, aussi appelée Charte de Munich, adoptée par les syndicats de journalistes de la CEE en 1971.

Si ces chartes sont purement déclaratives, elles sont des textes de référence dans la profession. Elles servent notamment de base aux travaux du Conseil de déontologie journalistique et de médiation, le conseil de presse français créé en 2019. Il s’agit d’une instance chargée de la médiation et d’arbitrage entre les médias, les rédactions et leurs publics. Le CDJM peut s’autosaisir ou être saisi par une personne extérieure, et produit des avis rendus publics sur son site ou celui du média concerné.

Enfin, depuis la loi de 2014 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, aussi appelée loi Bloche, les entreprises ou sociétés éditrices de presse ou audiovisuelles ont l’obligation de se doter d’une charte de déontologie. Si l’introduction de cette injonction s’inscrit dans la volonté du législateur de généraliser à toute la profession le droit d’opposition du journaliste, ces chartes internes semblent être le vecteur pertinent pour initier, au sein de chaque média, un dialogue sur l’intégration des enjeux écologiques à leurs pratiques éditoriales. En effet, selon les principes énoncés au sein de la Charte de l’Environnement, toute personne a le droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement afin de prendre part à sa préservation et à son amélioration. Il convient donc d’appeler à ce que les chartes des médias (presse écrite, radio, télévision) permettent une concertation sur ces principes constitutionnels, tant pour renforcer l’indépendance des journalistes que pour renouer avec la confiance de leur public.

Si ajouter un volet au sein des chartes déontologiques des entreprises ou sociétés éditrices de presse ou audiovisuelles peut être précisé via l’outil législatif en complétant l’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il n’en est évidemment pas de même pour la Charte d’éthique professionnelle des journalistes et la Charte de Munich. Celles-ci sont rédigées par la profession elle-même et toute volonté de modification ou d’ajout est naturellement indépendante du législateur. Il semblerait néanmoins opportun que de tels enjeux puissent être spécifiquement mentionnés au sein de ces chartes, par la volonté-même de la profession. Depuis 2022, différentes initiatives individuelles et éparses ont initié cette dynamique au sein de l’écosystème médiatique (Charte “Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique”, “Tournant” vert de Radio France, etc.). Assurer une couverture équilibrée et homogène des enjeux écologiques, quel que soit le média, devrait ainsi s’inscrire dans une démarche universelle et partagée par l’ensemble de la profession au même titre, et au nom de la vérité, de la rigueur, de l’exactitude, de l’intégrité, de l’équité et de l’imputabilité.

Proposition 11 : Créer un délit de contradiction ou de minimisation de l’existence de la crise écologique et de son origine anthropique dans l’espace public.

Si, à ce jour, aucune donnée n’existe sur le nombre annuel d’interventions climato-confusionnistes dans les médias, leurs interventions demeurent régulières. Des climato-sceptiques connus (François Gervais, Yves Roucaute, Benoît Rittaud, Michel Onfray…) ou des climato-rassuristes avérés (Sylvie Brunel, Bertrand Alliot…) sont encore régulièrement invités sur les plateaux de télévision, aux micros de radios largement écoutés, ou dans les colonnes de grands journaux français.

Pourtant, l’ampleur de la crise écologique, ses causes et ses conséquences sont désormais unanimement reconnues par la communauté scientifique internationale. En 2014, le GIEC estimait la « probabilité » que le réchauffement climatique soit dû aux activités humaines « supérieure à 95 % », tandis qu’une étude publiée en 2018 dans la revue Science estime la probabilité que son origine soit anthropique à plus de 99,99 %. Outre la légitimation scientifique du dérèglement climatique, les institutions internationales reconnaissent son existence, à l’unanimité. En 2015, les 195 Etats membres de la CCNUCC sont parvenus à un accord historique attestant de l’impérieuse nécessité de demeurer sous les 1,5°C de réchauffement planétaire, pour rester dans les limites d’un monde habitable.

La crise écologique n’est donc pas une opinion, mais bien un fait réel dont les enjeux d’atténuation et d’adaptation reposent sur des fondements scientifiques, juridiques et constitutionnels. Les faits avancés par la communauté scientifique mondiale sont désormais incontestables et les remettre en cause nuit gravement à notre capacité à protéger et à garantir nos propres conditions de vie. Ces thèses entretiennent l’inaction individuelle et collective dans un moment où il est impératif que l’ensemble de la société s’engage dans une transformation profonde et transsectorielle.

La création d’un délit de contradiction ou de minimisation de l’existence de la crise écologique et de son origine anthropique dans l’espace public paraîtrait donc un outil pertinent pour lutter contre de telles thèses de nature à troubler l’ordre public.

Le rempart à cette mesure réside bien sûr dans la protection de la liberté d’expression et d’opinion, et ce, à juste titre. La liberté d’expression est considérée comme l’un des fondements de nos sociétés démocratiques et le restreindre constitue une atteinte grave aux droits et aux libertés des individus. Elle est consacrée par de nombreux textes en droit international (Déclaration universelle des droits de l’Homme, Pacte international des droits civils et politiques), en droit européen (Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’Homme, Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne) et en droit interne. En France, la liberté d’expression fait partie du bloc de constitutionnalité à l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Selon l’arrêté Handyside (7 décembre 1976), la liberté d’expression inclut le droit de dire ce que nous pensons, que cela “choque, heurte où inquiète l’État”.

Toutefois, la liberté d’expression n’est pas absolue, elle connaît des limites. C’est notamment ce que précise l’article 17 de la CEDH au travers du principe d’“abus de droit” : “Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention.”. En prohibant “l’abus de droit”, l’article 17 vise à donner aux démocraties les moyens de lutter contre les actes destructeurs ou indûment limitatifs des droits et libertés fondamentaux. Ainsi, l’abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication peut faire l’objet d’une incrimination par le législateur au regard de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : “La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.”

À ce jour, l’abus de liberté d’expression constitue une infraction au titre de la diffamation, ou du délit en ce qui concerne la négation de la Shoah. Concernant le délit de négationnisme, il a été introduit par la loi Gayssot du 13 juillet 1990 et a été déclaré conforme à la Constitution. Cette loi vient ainsi compléter l’héritage de la loi Pleven du 1er  juillet 1972 qui condamne la “haine et la provocation raciales”. Aussi, dans l’arrêt Garaudy, la CEDH précise qu’il n’est pas possible de contester la réalité de fait historique communément admis sans tomber dans la falsification historique, ce qui est interdit (CEDH, Garaudy c. la France, 24 juin 2003, 65831/01). Le Conseil Constitutionnel a statué de la même manière, jugeant que la négation directe ou indirecte ou la minoration outrancière de faits communément admis et constatés par un tribunal constitue un abus de la liberté d’expression (Conseil constitutionnel 2016, n°2015-512 QPC) : “Considérant que les propos contestant l’existence de faits commis durant la seconde guerre mondiale qualifiés de crimes contre l’humanité et sanctionnés comme tels par une juridiction française ou internationale constituent en eux-mêmes une incitation au racisme et à l’antisémitisme ; que, par suite, les dispositions contestées ont pour objet de réprimer un abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui porte atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers”.

Or, les projections des rapports successifs du GIEC établissent des conséquences désastreuses sur la vie humaine. Que ce soit en termes de santé humaine, de migrations ou de vulnérabilités économiques, les troubles à l’ordre public et l’insécurité sur le maintien des droits humains qui résulteraient de l’échec des pouvoirs publics à respecter l’Accord de Paris, n’ont rien de négligeables. Contredire l’existence de la crise écologique, dont le dérèglement climatique, et de l’origine anthropique de cette crise, influence directement notre capacité individuelle et collective à atteindre des objectifs inscrits en droit français, européen et international. Aussi, la désinformation portant sur les enjeux écologiques viole des droits constitutionnels, regardant l’accès à l’information défini à l’article 7 de la Charte de l’Environnement et le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux défini à l’article 1 de ce même texte.

Les prises de parole climato-confusionnistes dans l’espace public relèvent donc d’un abus de liberté d’expression. La persistance de ces propos constitue bien une atteinte pour le bien commun actuel et à venir qu’il convient d’encadrer par la loi par l’introduction d’un délit de contradiction ou de minimisation de l’existence de la crise écologique et de son origine anthropique dans l’espace public.

  • Mieux encadrer la publicité pour lutter contre la dissonance d’informations dans les médias et orienter vers un modèle de consommation viable

Optimiser les contrôles existants 

L’article 14 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée confie à l’Arcom une mission de contrôle sur l’objet, le contenu et les modalités de programmation des communications commerciales diffusées par les services de communication audiovisuelle. Ce contrôle s’exerce, comme pour le reste des programmes, non pas avant la diffusion des communications commerciales, mais au moment de cette diffusion.

S’agissant des messages publicitaires télévisés, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) effectue un contrôle avant diffusion, le CSA ayant choisi en 1992 de les contrôler a posteriori[10], conformément au principe de liberté et de responsabilité éditoriale des diffuseurs. L’ARPP affirme être suivie dans ses recommandations de modification.

A posteriori une instance de l’ARPP, le Jury de Déontologie Publicitaire (JDP), peut être amenée à statuer sur des plaintes, sur la base non légale de ses recommandations, sans disposer d’un pouvoir de sanction réel et en limitant son action au “name and shame”[11]dont l’efficacité reste à prouver. Dans son bilan 2021 au Parlement[12], l’ARPP mentionne un délai moyen de traitement d’une plainte de 34 jours soit généralement plus long que la durée des campagnes visées par les plaintes. La publication de l’avis du JDP a lieu un mois plus tard, soit deux mois après la plainte. L’association Antipub[13] mentionne de rares cas de cessation de campagnes et quasiment aucun encart publié dans la presse. Contrairement à l’ARPP et à son instance le JDP, l’Arcom dispose d’un pouvoir de sanction (art. 14, art. 42 et suivants).

Les avis de l’ARPP se fondent sur :

  • Le décret du 27 mars 1992[14] fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat.
  • L’art L121-1 du code de la consommation sur les pratiques commerciales déloyales
  • Sa propre recommandation “développement durable”

Ce modèle d’autorégulation, approuvé par l’ensemble de la profession et communément pratiqué dans l’Union européenne, constitue un “droit souple” dont le Conseil d’État recommande de “doter les pouvoirs publics pour contribuer à la politique de simplification des normes et à la qualité de la réglementation” (2013). Toutefois ce modèle n’a pas permis de freiner le rôle de la publicité dans la dynamique de consommation. Le GIEC recommande à cet effet une régulation par les Etats dans le troisième volet de son sixième rapport[15].

Par ailleurs, l’application de ce modèle se limite à la publicité télévisée. Le rapport Publicité et transition écologique (Guibert et Libaert – 2020)[16], remis au ministère de la Transition écologique et solidaire souligne que « le contrôle préalable de l’ARPP ne s’exerce qu’en matière de publicité télévisée, les autres supports ne sont pas concernés. Pourtant, le 11 avril 2008, l’ensemble des représentants des professions publicitaires avaient signé une charte d’engagement spécifiant expressément “la mise en place d’un conseil avant diffusion tous médias systématiques dès lors qu’il y a eu un argument écologique”. Ce point de la charte qui fut présenté au ministre de l’écologie et du développement durable, Jean-Louis Borloo, n’a pas été respecté. L’ARPP a annoncé sa volonté de faire respecter cet engagement, elle pourrait y être encouragée.”

Proposition 12 : Maintenir l’auto-régulation et renforcer les fondements juridiques des décisions ARPP

L’effectivité de l’article 1 – Impacts éco-citoyens, issu de la recommandation “Développement durable” de l’ARPP[17], est renforcée en mentionnant  dans le Code de la consommation, “le caractère trompeur de toute publicité intégrant la banalisation, la valorisation de pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable ou discréditant les principes et objectifs communément admis en matière de développement durable”, comme préconisé par la Convention Citoyenne pour le Climat[18].

La convention Arcom-ARPP de 1992 est également revue pour étendre le contrôle préalable des messages publicitaires à l’ensemble des médias.

Promouvoir un mode de consommation viable

Malgré les mesures d’auto-régulation en vigueur depuis les années 90, les dépenses de communication commerciale ont représenté plus de 30 milliards d’euros par an au cours des 20 dernières années, soit l’ordre de grandeur de l’ensemble des dépenses de recherche et développement des entreprises. Une étude de l’Institut Veblen et Communication et Démocratie[19] montre que ces dépenses ont conduit à l’augmentation de 5,3% de la consommation et de 6,6 % des heures travaillées et propose d’en limiter la croissance en recourant à la taxation. Au plan qualitatif les messages développant un imaginaire du bonheur par la consommation perdurent, les incitations marketing à l’obsolescence rapide progressent et le caractère informatif des publicités évolue peu.

Pour faire face à cette situation et compte-tenu de l’urgence à agir, nous préconisons un ensemble de mesures articulées prioritairement sur la réallocation des budgets publicitaires, le recours à la taxation constituant une solution de dernier recours, en raison de la sensibilité du modèle économique des médias à la publicité.

Proposition 13 : Rendre obligatoires les contrats climat

Les “contrats climat” prévus par la loi Climat et Résilience visent à réduire le volume de communications commerciales relatives à des produits ou des services ayant un impact négatif sur l’environnement, mais aussi à favoriser la transparence de la publicité et l’engagement des annonceurs, médias, plateformes, agences et régies pour la transition écologique.

Selon un pré-rapport de l’Arcom[20], seules 17 % des entreprises assujetties aux contrats climats en ont souscrit un en 2022. Face à un constat d’échec de la promotion, nous proposons de rendre obligatoires les contrats climat pour toutes les entreprises assujetties. Dans ce même rapport, il est précisé que près d’un tiers (30 %) des contrats climat des entreprises concernées ne comporte pas d’engagement en matière de réduction des communications commerciales pour des biens et services ayant un impact négatif sur l’environnement. Aussi, parmi les 77 entreprises assujetties qui ont contracté un contrat-climat, seules huit d’entre elles ont pris un engagement répondant directement au second objectif de la loi, à savoir la prévention de l’écoblanchiment. Outre le défaut de souscriptions, la plupart des dispositions dans les contrats déposés sont donc peu ambitieuses. Pour en assurer leur effectivité, ces contrats climat doivent également devenir opposables afin de respecter les deux objectifs fixés par la loi, à savoir réduire la publicité néfaste pour l’environnement et lutter contre l’écoblanchiment. L’Arcom est chargée de leur mise en œuvre, de leur évaluation et de leur validation annuelles.

Un autre bilan d’étape sur le contenu et le suivi des engagements volontaires de l’écosystème de la publicité sera nécessaire avant de décider d’intégrer un aspect plus coercitif de la régulation, si non respect des engagements.

Proposition 14 : Mettre en place des exclusions sectorielles

L’atteinte de la neutralité carbone en 2050 implique de limiter au plus vite l’usage de produits et services appelés à être retirés du marché ou dont l’usage sera restreint.

Nous proposons d’élargir la liste de recommandations de l’ADEME[21] pour y inclure l’interdiction des biens et services à fort impact environnemental, notamment les services aériens, les véhicules particuliers lourds ou les produits numériques à obsolescence rapide.

Afin de donner plus de poids à cette liste, nous proposons que la définition des entreprises mentionnées à l’article L229-67 du code de l’environnement[22] soit établie à partir de cette liste de recommandations de l’ADEME.

Par ailleurs, pour intégrer les transports les plus fortement émetteurs de gaz à effet de serre, comme le transport aérien, l’article L. 229-61 du code de l’environnement posant interdiction sur la promotion des énergies fossiles est ainsi modifié : “Est interdite la publicité relative à la commercialisation ou faisant la promotion des énergies fossiles et les transports associés”.

Aussi, dans le décret 92-280, “l’exclusion des produits susceptibles de nuire à l’environnement et à la biodiversité” pourrait être précisée à l’article 4 définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat, dans sa partie protection de l’environnement.

Proposition 15 : Sortir de l’auto-régulation en mettant en place une autorité indépendante

L’auto-régulation fait l’objet de critiques récurrentes parmi lesquelles on peut citer :

  • La gouvernance : le conseil d’administration de l’ARPP compte 32 membres répartis en trois catégories : les annonceurs, les agences conseils et médias, les supports de diffusion, et deux personnalités qualifiées, la présidente du jury de déontologie de la publicité et un membre du Medef, ancien président de l’Union des Marques. Cela semble problématique puisque les points de vue exprimés ne proviennent que des émetteurs de la publicité, ayant de forts intérêts économiques, et non des récepteurs et des garants de l’intérêt général.
  • Le faible nombre de recours contre des comportements préjudiciables à la protection de l’environnement, en raison probablement d’une formulation trop vague de ce principe pour être jugé opérationnel.
  • Seuls les avis du JDP sont systématiquement publiés, peu d’encarts dans la presse et communiqués de presse sont observés et le retrait d’une campagne de publicité est rare[23] ;
  • Le “name and shame” ne suffit pas à modérer le comportement des utilisateurs (exemples : diesel gate, bouteilles plastique, restauration rapide) ;
  • L’échec récent de la démarche volontaire sur les contrats climat, mentionnée supra.

Les propositions 12 à 14 sont de nature à remédier à cet état de fait. Si ce n’était pas le cas, nous proposons  d’envisager un dispositif plus contraignant, en transmettant les plaintes auprès du JDP à une cour juridictionnelle (comme pratiqué en Allemagne), voire de réorganiser la régulation en la confiant à une autorité indépendante des pouvoirs publics et de la profession et dotée de pouvoirs de sanction.

[1] Lacroux Margaux et Clair Alice, Présidentielle: le climat n’a occupé que 3,6% du temps médiatique ces deux derniers mois, Libération, 8 avril 2022 https://www.liberation.fr/environnement/climat/presidentielle-le-climat-na-occupe-que-36-du-temps-mediatique-ces-deux-derniers-mois-20220408_VZN2LZOO4FAXBCZNIEYGW375ME/

[2] Bayet Anne et Hervé Nicolas,  Information à la télé et coronavirus : l’INA a mesuré le temps d’antenne historique consacré au Covid-19, INA (coll. « La Revue des Médias »), http://larevuedesmedias.ina.fr/etude-coronavirus-covid19-temps-antenne-information , 24 mars 2020

[3] Colmet Daâge Violaine, Climat : pour « faire changer les choses », des citoyens secouent les JT, Reporterre, https://reporterre.net/Climat-pour-faire-changer-les-choses-des-citoyens-secouent-les-JT, publié le 12 septembre 2022, Mis à jour le 14 septembre 2022

[4] Quinton François, Poels Géraldine et Lefort Véronique, Trois fois plus de temps pour l’environnement dans les JT depuis la fin des années 1990, s.l., INA (coll. « La Revue des Médias »), http://larevuedesmedias.ina.fr/environnement-jt-information-television-energie-climat-pollution-biodiversite, Publié le 19 novembre 2020,  Mis à jour le 27 novembre 2020

[5] Saffron O’Neill and others, Visual Portrayals of Fun in the Sun Misrepresent Heatwave Risks in European Newspapers (SocArXiv, 5 May 2022)

[6] Rapport pour avis sur la mission “Médias, livre et industries culturelles” et le compte “Avances à l’audiovisuel public du projet de loi de finances 2022 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b4597-tiii_rapport-avis#_Toc256000003

[7] Digital Services Act https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act

[8] Charte européenne des droits fondamentaux https://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf

[9] In the dark : how Social Media Companies’ Climate Disinformation Problem is Hidden from the Public https://www.greenpeace.org/usa/wp-content/uploads/2022/04/In-The-Dark-Climate-Disinfo-Report.pdf

[10] Décision n° 92-1133 du 22 décembre 1992 relative à l’exercice du contrôle du CSA sur les messages publicitaires diffusés par les sociétés de radio et de télévision https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000543224

[11] Jury de déontologie publicitaire-diffusion des avis https://www.jdp-pub.org/statuts-et-ri/#art20

[12] Rapport ARPP 2021 au Parlement https://www.arpp.org/wp-content/uploads/2022/08/ARPP-Rapport-Parlement-2021.pdf

[13] https://antipub.org/lautoregulation-de-la-pub-ca-marche/

[14] Décret n°92-280 du 27 mars 1992 pris pour l’application des articles 27 et 33 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat.https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000346165/2022-12-02/

[15] Rapport du GIEC AR6-WG3 https://report.ipcc.ch/ar6/wg3/IPCC_AR6_WGIII_Full_Report.pdf chapitre 15-19 ligne 42

[16] Rapport Publicité et transition écologique 2020 https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/274683.pdf

[17] ARPP – recommandation développement durable 2020 https://www.arpp.org/nous-consulter/regles/regles-de-deontologie/developpement-durable/#toc_0_1

[18] Convention Citoyenne pour le Climat proposition C.2.2.5 https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/pdf/tl/ccc-consommer-reguler-la-publicite-pour-reeduire-les-incitations-a-la-surconsommation-tl.pdf

[19] Mathilde Dupré et Renaud Fossart, La communication commerciale à l’ère de la sobriété, octobre 2022

[20] Rapport de l’Arcom, Contrats climat : premiers constats et perspectives d’amélioration, janvier 2023

[21]https://communication-responsable.ademe.fr/sites/default/files/cahier_des_charges_ademe_informations_environnementales_et_sanitaires_17112022_vdef.pdf

[22] Article 7 de la loi Climat résilience, devenu l’article L229-67 du code de l’environnement, lequel impose à certaines entreprises de se déclarer sur une plateforme numérique (www.publicite-responsable.ecologie.gouv.fr) et permet de suivre lesquelles des entreprises assujetties ont souscrit ou non à un contrat climat.

[23] Bilan des 4 premiers mois d’application de la version 3 de la Recommandation « Développement durable » : https://www.arpp.org/actualite/bilan-des-4-premiers-mois-dapplication-de-la-version-3-de-la-recommandation-developpement-durable/ : le taux de conformité des publicités s’élève à 89,1% en 2020, il « reste nettement inférieur aux autres bilans thématiques de l’ARPP, ce qui interroge sur la bonne maîtrise de la Recommandation “Développement Durable” par les acteurs ».

Publié le 19 juillet 2023

Comment améliorer le traitement des enjeux écologiques dans les médias ?

Auteurs

Jean Prosperi
Ingénieur général du Corps des Mines. Après une carrière dans le domaine des technologies de l'information et de la communication, Jean Prosperi se consacre à des missions de bénévolat dans le secteur social.pour l’accompagnement des jeunes dans leur projet de formation ou de recherche d’emploi.

Philippe Ramos
Directeur Général et co-fondateur d'INUA PROD.

Anne-Lise Vernières
Co-fondatrice de Quota Climat et collaboratrice parlementaire.

Eva Morel
Co-fondatrice de Quota Climat et collaboratrice parlementaire.

Anastasia Magat
Doctorante en sociologie à l’Université de Grenoble Alpes, Anastasia Magat travaille sur l’image des quartiers prioritaires sur les réseaux sociaux. Diplômée de Sciences Po Grenoble en études d’opinion, elle s’intéresse à la sociologie électorale. Elle est la Directrice adjointe de l'Institut et est en charge des études autour des médias et des réseaux sociaux.

Nicolas Dufrêne
Nicolas Dufrêne est haut fonctionnaire à l'Assemblée nationale depuis 2012, économiste et directeur de l'Institut Rousseau depuis mars 2020. Il est co-auteur du livre "Une monnaie écologique" avec Alain Grandjean, paru aux éditions Odile Jacob en 2020 et auteur du livre "La dette au XXIe siècle, comment s'en libérer" (éditions Odile Jacob, 2023). Il est spécialiste des questions institutionnelles, monétaires et des outils de financement public. nicolas.dufrene@institut-rousseau.fr

Introduction générale

Les crises écologiques engendrent déjà de nombreux bouleversements. Le GIEC estime que 3,3 à 3,6 milliards d’individus sont déjà en situation de vulnérabilité. Entre le 1er juin et le 22 août 2022, l’INSEE évalue à 11 000 la surmortalité en France vraisemblablement liée aux vagues de chaleur successives, par rapport à la même période en 2019. Au Pakistan, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), 33 millions de Pakistanais ont été touchés par les inondations dévastatrices de ce même été, provoquant 8 millions de déplacés climatiques, 1500 disparus, 3,5 millions d’hectares de cultures perdus et la destruction de nombreuses infrastructures. Face au coût exorbitant de l’inaction, l’impérieuse nécessité d’agir n’est plus à démontrer. L’ordre mondial se trouve donc fragilisé par des crises s’amplifiant rapidement pour lesquelles notre capacité d’anticipation, et donc de protection, diminue.

Face à ces bascules importantes, les médias ne sont pas à la hauteur de l’urgence écologique. Seulement 3,6 % des contenus médiatiques pendant la campagne électorale présidentielle de 2022 portaient sur les questions climatiques.[1] À titre de comparaison, le Covid-19 a occupé jusqu’à 74,9 % du temps d’antenne[2]. De même, dans le secteur audiovisuel, seuls 0,8% des reportages ont été consacrés aux enjeux écologiques depuis 2013[3]. Bien que le traitement médiatique de l’écologie ait triplé depuis les années 1990[4], cette proportion apparaît encore insuffisante au regard des faits et enjeux liés au franchissement des limites planétaires (dérèglement climatique, érosion vertigineuse de la biodiversité, perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, changements d’utilisation des sols, acidification des océans, utilisation mondiale de l’eau, appauvrissement de l’ozone stratosphérique, augmentation des aérosols dans l’atmosphère, introduction d’entités nouvelles dans la biosphère) et à la raréfaction des ressources déjà à l’œuvre.

À cela s’ajoute le cadrage médiatique des enjeux écologiques, souvent cantonné à des rubriques dédiées. Si cette organisation en silos est censée faciliter l’accès à l’information thématique, elle contribue néanmoins à isoler l’information et à ne la transmettre qu’à une portion réduite et déjà sensibilisée de la population. Par ailleurs, ce traitement va à l’encontre de la dimension systémique des enjeux écologiques, possédant des ramifications transversales dans diverses rubriques (économie, politique, société, agriculture, santé, etc…).

De plus, de nombreux médias français favorisent la fabrique du doute en ne distinguant pas les faits des opinions. Cela a notamment pu alimenter “une polarisation de l’opinion publique, avec des répercussions négatives pour la politique climatique”, expliquent les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il souligne ainsi le rôle majeur des médias : “Les médias peuvent avoir un  impact significatif pour faire progresser la conscience climatique et la légitimité des actions engagées. Ils cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique, ils ont un rôle crucial dans la perception qu’en a le public, sa compréhension et sa volonté d’agir”. Les médias, par leur mission d’informer les citoyens sont, à ce titre, des acteurs démocratiques essentiels pour la reconstruction écologique de nos sociétés. Il est impératif que chaque citoyen, quels que soient les médias qu’il consulte, puisse avoir accès à un niveau d’information suffisant et qualitatif sur des enjeux aussi vitaux. Or, l’édition 2022 de l’étude “Fractures Françaises” (Ipsos-Sopra Steria) révèle que si 90 % des Français considèrent que “nous sommes en train de vivre un changement climatique”, 39 % doutent encore de l’origine anthropique de cette crise. Il existe pourtant un consensus scientifique mondial sur cette question. Il y a donc urgence à informer davantage et mieux.

En outre, de nombreux médias français publient des contenus éditoriaux contradictoires. En parallèle de la publication d’articles, de reportages et d’émissions traitant des enjeux écologiques, ils publient des contenus relatifs à des modes de vie ou des imaginaires allant à l’encontre des préconisations scientifiques permettant de faire face à l’urgence. Ces contenus éditoriaux sont également insatisfaisants dans la façon dont ils font le lien entre les causes de la crise écologique et ses effets.  Au-delà des contenus éditoriaux, les contenus publicitaires faisant la promotion de biens ou de services défavorables à l’environnement, nuancent la portée des messages transmis concernant l’urgence écologique. Cette inadéquation entre contenus éditoriaux et publicitaires, contribue à une dissonance cognitive portant préjudice à la compréhension et la perception des enjeux. Ce traitement déséquilibré des enjeux délégitime les décisions publiques et met à mal l’engagement citoyen.

La transformation des médias se justifie doublement, à la fois dans l’intérêt public mais également dans l’intérêt du public. L’intérêt public, général, n’est plus à démontrer tant les conséquences de la crise écologique sont manifestes et tangibles. Or, les médias offrent souvent une analyse des faits partielle, voire erronée, comme nous avons pu le voir ces précédentes années avec le traitement des vagues de chaleur en France. Malgré leurs conséquences sanitaires (mortalité), agricoles et économiques, ces catastrophes sont encore traitées avec une connotation positive dans les médias[5]. L’intérêt du public est bien présent puisque les Français font de l’environnement leur seconde priorité, tout en estimant que les médias et les journalistes n’accordent “pas assez de place” aux questions posées par le changement climatique et l’environnement.

Il est donc urgent que le traitement médiatique des enjeux écologiques progresse. Des évolutions sont d’ores-et-déjà perceptibles. En septembre 2022, Radio France a annoncé son « Tournant » écologique engageant à la fois la formation des journalistes, la transformation des contenus éditoriaux et publicitaires et l’amélioration de la performance écologique interne. Le 14 septembre 2022, un collectif de journalistes a publié une Charte “Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique”, composée de 13 engagements. La charte a été signée par plus de 1 500 journalistes et 120 rédactions, attestant du souhait de la profession d’améliorer ses pratiques en matière d’écologie.

Retrouvez ici la proposition de loi relative à la responsabilité des médias dans le traitement des enjeux environnementaux et de durabilité

Tout en saluant les récents engagements des journalistes en faveur d’un traitement médiatique plus sérieux de la crise écologique, la réponse à cet enjeu ne peut reposer que sur le seul volontariat. La réglementation est l’un des outils les plus adéquats pour garantir aux individus le droit à l’information sur l’environnement, un droit à valeur constitutionnelle. Aussi, notre Constitution affirme le caractère inaliénable de la liberté des médias, de leur pluralisme et de leur indépendance. Outre des propositions de nature législative, d’autres évolutions sont d’ordre réglementaire ou relèvent de la propre initiative des médias. Cette note politique propose ainsi un éventail de dispositifs complémentaires pour améliorer qualitativement et quantitativement le traitement médiatique des enjeux écologiques, dans le respect des libertés et des droits des médias.

  • Miser sur la formation initiale et continue des journalistes, un prérequis incontournable pour une meilleure intégration des enjeux écologiques dans les médias

Celles et ceux qui transmettent l’information aux citoyens, à savoir les journalistes, sont trop rarement et insuffisamment formés aux enjeux écologiques. Cela découle d’un manque de contenus pédagogiques consacrés à ces sujets lors de leur formation initiale mais aussi d’un déficit de formation continue.

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et sans ces pré-requis de formation, la profession ne peut jouer ce rôle primordial de prise de conscience et de mise en perspective des enjeux écologiques, complexes à appréhender car systémiques.

Dans sa volonté d’indépendance à l’égard du pouvoir politique, les journalistes et plus généralement les médias nationaux se sont auto-régulés sur de nombreux aspects relatifs à l’exercice de leur profession. Aussi, les propositions ci-dessous ne sont pas d’ordre législatif mais relèvent de la libre décision de la profession ou du niveau réglementaire. Dans certains cas, il peut incomber à l’Etat par ses prérogatives et pouvoirs de veiller à leur bonne application.

Proposition 1 : Généraliser la formation initiale des enjeux écologiques aux étudiants en journalisme via l’adoption d’une convention collective

Plus que jamais, les futures générations de journalistes doivent être formées à la compréhension et à la vulgarisation de l’information scientifique et écologique. De façon générale, les lignes bougent au niveau de la formation initiale. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, a annoncé en octobre 2022 la généralisation de l’enseignement des enjeux de transition écologique et de développement durable dans l’enseignement supérieur. Si, à ce stade, rien ne semble précisé pour les écoles de journalisme, celles-ci sont concernées. De telles réflexions sont également déjà engagées au sein de certaines écoles de journalisme. L’école de journalisme de Lille dispose déjà d’un master en journalisme scientifique et propose des enseignements et des conférences sur ces enjeux à l’ensemble de ses élèves. La Conférence des Écoles de Journalisme (CEJ) s’est également engagée en rejoignant la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique, publiée le 14 septembre 2022.

Le constat paraît aujourd’hui clairement établi, et le renforcement de la formation sur ces enjeux est une évidence. Ainsi, une convention collective adoptée par la profession pourrait établir les modalités de formation adaptées aux 14 écoles de journalisme reconnues et aux différentes filières de formation en journalisme et en communication de l’enseignement supérieur. Dans les 3 prochaines années, l’ensemble des étudiants devrait avoir suivi au minimum 30 heures de cours par an sur les grands enjeux écologiques et les limites planétaires (climat, biodiversité, pollutions, etc.) dans l’objectif d’avoir un socle de connaissances et de compétences commun permettant d’appréhender les enjeux systémiques de la transition écologique. Ces cours devraient être dispensés par des experts qualifiés sur ces sujets (scientifiques, ingénieurs, maîtres de conférences…). Ils devraient également faire l’objet d’une certification annuelle pour valider les acquis.

Proposition 2 : Permettre, au sein de chaque rédaction, la formation continue des enjeux écologiques aux rédacteurs en chef et aux journalistes

Pour assurer leurs missions de garants du droit à l’information environnementale des Français, une formation continue des métiers du journalisme paraît incontournable. Les entreprises ou sociétés éditrices de presse ou de communication audiovisuelle devraient prendre l’engagement volontaire de mettre à disposition une formation continue aux enjeux écologiques pour les journalistes professionnels qu’elles emploient. Le dispositif de formation choisi par le média serait bien sûr libre, mais devrait assurer une certaine qualité et exhaustivité des informations transmises sur les causes, les conséquences et les solutions des différents pans de la crise écologique (climat, biodiversité, ressources, pollutions, greenwashing, mal-adaptation, etc.). Afin qu’il soit pleinement opérationnel, ce dispositif devrait être gratuit pour les salariés et être obligatoire, a minima, pour les rédacteurs en chef, en poste ou en amont de leur prise de poste. Les cycles de formation interviendraient à intervalles de temps réguliers pour que le personnel puisse avoir accès à un état des lieux actualisés des enjeux écologiques, et pour que les nouveaux salariés du média puissent en bénéficier rapidement.

Proposition 3 : Conditionner le montant des aides à la presse à l’adhésion au CDJM et à une formation minimale et régulière sur les enjeux écologiques

Le régime légal d’encadrement de la presse écrite et des communications audiovisuelles est différencié. L’observation et le contrôle des communications presse reposent exclusivement sur l’auto-régulation assurée par le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), auquel l’adhésion n’est pas obligatoire. Au contraire des communications audiovisuelles sur lesquelles l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, l’ex-CSA) possède un droit de regard relatif, aucune autorité publique n’exerce ce rôle pour la presse écrite. Lorsque saisi, le CDJM émet des avis, pas de sanctions. Le CDJM possède toutefois un rôle important pour les sociétés éditrices de presse, car se positionnant comme le garant de leur déontologie, si cruciale à la confiance leur étant accordée par le grand public. Les médias assurent le plein exercice de nos propres libertés et de nos droits publics (liberté d’expression, le droit à l’information, participer et nourrir le débat public, etc…), ils sont un rouage indispensable et incontournable de notre démocratie. C’est pourquoi, si la presse écrite est libre et auto-régulée, elle endosse une grande responsabilité vis-à-vis des individus et de la société. Elle a en effet le devoir de garantir l’accès à l’information juste et de qualité sur l’environnement, un droit à valeur constitutionnelle qui plus est.

Proposition 3.1 : Les subventions de l’État représentent une part substantielle des recettes de ces sociétés éditrices, notamment abreuvées par le plan Filière Presse, doté de 483 millions d’euros sur la période 2020-2022[6]. Il paraîtrait donc justifié de conditionner une proportion à définir de ces aides, à l’adhésion au CDJM. Cela faciliterait la conformité de l’ensemble du secteur aux principes déontologiques de la profession, auxquels la Charte de l’Environnement devrait être ajoutée.

Proposition 3.2 : Ces mêmes aides pourraient être partiellement conditionnées à la mise à disposition, au sein de chaque société éditrice de presse, d’un dispositif de formation gratuit et régulier sur les enjeux écologiques, qui devrait être a minima obligatoire pour les rédacteurs en chef. Le dispositif de formation choisi par le média serait bien sûr libre, mais devrait idéalement être certifié Qualiopi pour assurer une certaine qualité et exhaustivité des informations transmises (limites planétaires, solutions expertisées, éco-blanchiment, mal-adaptation, etc…).

Proposition 4 : Constituer un portail public centralisateur de données, en lien avec la profession journalistique et le ministère chargé de la transition écologique

Selon l’étude “Fractures Françaises” (Ipsos-Sopra Steria) publiée en 2022, 90 % des Français considèrent que “nous sommes en train de vivre un changement climatique”. Toutefois 39 % doutent encore de l’origine anthropique de cette crise. Aussi, le sentiment de ne pas avoir de référentiel fiable et commun est fortement présent sur ces enjeux, en particulier pour les jeunes. Dans le détail, plus des deux tiers déclarent manquer d’informations scientifiques sur le réchauffement climatique (69 %), près de trois quarts d’entre eux ont le sentiment que, sur ce sujet, on entend tout et son contraire (72 %).

Il existe pourtant un consensus scientifique mondial sur de nombreux éléments (causes, conséquences et solutions) liés aux enjeux écologiques. Il devient impératif d’informer davantage et mieux, quel que soit le média, et sur de multiples supports. C’est dans cet esprit que le Commissariat général au développement durable (CGDD) a entrepris la création d’un site gouvernemental conçu comme “le point d’accès national à l’information liée à l’environnement et au développement durable”. Ce portail est déjà accessible et poursuit son développement. Il nous semble être une bonne opportunité pour devenir un référentiel connu et identifié par et pour la profession journalistique, en tant que portail centralisateur des informations scientifiques reconnues sur le sujet mais aussi comme une plateforme de fact-checking. Le métier de journaliste souffre de contraintes temporelles et budgétaires évidentes, c’est pourquoi des outils facilitateurs, et de confiance, sont essentiels pour contribuer à un traitement plus quantitatif et qualitatif de ces enjeux complexes.

  • Renforcer les prérogatives de l’Arcom sur le volet écologique, pour assurer la quantité et la qualité du traitement médiatique dans les médias audiovisuels

Aux termes de l’article 3.1 de la loi du 30 septembre 1986 (loi Léotard) relative à la liberté de communication,  “L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, autorité publique indépendante, garantit l’exercice de la liberté de communication au public par voie électronique”, dans les conditions définies par la même loi. Sa mission de protection de l’environnement est définie à l’alinéa 6 du même article : “L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique veille à ce que le développement du secteur de la communication audiovisuelle s’accompagne d’un niveau élevé de protection de l’environnement et de la santé de la population.”

Cette attribution est déclinée :

  • à l’article 13 – alinéa 5 par la définition de codes de bonne conduite appelés “contrats climat” promus par l’autorité, mais sans caractère contraignant ;
  • à l’article 43-11 alinéa 2 par la mission d’éducation à l’environnement et au développement durable dévolue au secteur public de la communication audiovisuelle ;

L’Arcom peut aussi s’appuyer sur diverses dispositions de la loi pour lutter contre les comportements attentatoires à l’ordre public, à la santé, à la dignité des personnes et à la diffusion de fausses informations. Ces termes ne suffisent visiblement pas à donner à l’Arcom les moyens d’agir contre la présentation de propos niant la crise écologique ou ses impacts, comme peut en attester l’affaire Claire Nouvian vs Pascal Praud sur le plateau de CNews en 2019, restée sans suite.

Par contraste, l’Office of Communications (Ofcom, régulateur britannique cumulant les prérogatives de l’Arcom et de l’Arcep) a su se saisir de dispositions très générales du Communications Act 2003 – “news included in television and radio services is presented with due impartiality (… and)  is reported with due accuracy – pour un rappel à l’ordre de BBC Radio 4, sur des propos climatosceptiques tenus par l’un de ses invités. Le droit d’accès aux informations relatives à l’environnement, défini par l’article 7 de la Charte de l’Environnement, et l’éducation à l’environnement qui contribue à l’exercice de ce droit (article 8 de la même Charte) ne se traduisant pas concrètement, il paraît impératif de renforcer par la voie législative les prérogatives de l’Arcom.

Proposition 5 : Doter l’Arcom d’une mission de service public d’information aux enjeux écologiques

Proposition 5.1 : Autorité publique de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, l’Arcom a pour principale mission de garantir la liberté d’expression dans l’intérêt du public et en concertation avec les professionnels de l’audiovisuel. De cette mission-mère découlent de nombreuses missions sectorielles : la protection des œuvres, le respect des personnes et du public, la régulation technique et économique, etc….

Dans le cadre de sa mission “Pluralisme et cohésion sociale”, l’Arcom stipule que la déontologie des contenus audiovisuels comprend sept grands domaines identifiés sur la base des textes légaux et conventionnels :

  • Le respect de la dignité humaine
  • La sauvegarde de l’ordre public
  • La santé publique
  • La lutte contre les discriminations
  • L’honnêteté et l’indépendance de l’information
  • Le traitement des affaires judiciaires
  • Le respect du droit à la vie privée

La liste des missions de l’Arcom devrait être complétée par un huitième domaine : “Le respect du droit à l’information sur les enjeux environnementaux et de durabilité”, en s’appuyant sur les considérants de la Charte de l’environnement.

Proposition 5.2 : Les actions de l’Arcom sur l’honnêteté et l’indépendance de l’information devraient être complétées en s’appuyant sur les dispositions de l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui définit les sanctions applicables à la diffusion de fausses informations.

Proposition 5.3 : La loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias a généralisé la présence, au sein des médias audiovisuels de comités d’éthique. Ces comités, supervisés par l’Arcom, sont composés de personnalités indépendantes. Ils peuvent s’auto-saisir, être saisis par un médiateur lorsqu’il existe, ou toute autre personne. Leurs modalités de fonctionnement sont fixées par les conventions pour les éditeurs privés et les cahiers des charges pour les sociétés publiques. La mission de ces comités devrait être élargie pour intégrer la lutte contre la désinformation sur l’existence de la crise écologique et de son origine anthropique (modification art 30-8 de la loi Léotard).

Proposition 6 : Redéfinir la mission du service public de l’audiovisuel sur l’information pour la prise en compte des enjeux écologiques

Si le service public de l’audiovisuel est indépendant, il est néanmoins financé par la contribution à l’audiovisuel public. Les chaînes bénéficiant de la contribution, qui représente près 90 % du financement de l’audiovisuel public, doivent donc veiller de façon accrue au respect de leurs missions de service public. Définies au sein de la loi Léotard, celles-ci sont peu précises sur les enjeux écologiques, c’est pourquoi il conviendrait de mieux définir leurs prérogatives par voie législative. Il s’agirait notamment de détailler leur responsabilité vis-à-vis de la pédagogie autour des causes, des conséquences et des solutions face à la crise écologique, et leur rôle en tant que promoteurs de modes de vie, de consommation et de production compatibles avec les engagements de la France en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

La mission actuelle de France Télévisions et Arte sur l’environnement et le développement durable doit également être précisée pour intégrer les réalités et les enjeux de la transition écologique. Une mission identique doit être explicitement dévolue à Radio France.

Concrètement, à l’article 43-11 de la loi Léotard, après “elles participent à l’éducation à l’environnement et au développement durables”, la mission des chaînes et des radios publiques doit être détaillée pour insister sur leur responsabilité accrue : “L’une de leur mission de service public consiste à informer le public des réalités et des enjeux de la crise écologique en cours et à venir ainsi qu’à proposer, encourager et promouvoir les modes de vie, de consommation et de production compatibles avec les engagements de la France en matière d’émissions de gaz à effet de serre et favorisant la résilience et l’adaptation de la société française.”

Proposition 7 : Établir des règles temporaires de production, de programmation et de diffusion sur les enjeux écologiques en période électorale

L’encadrement du temps de parole médiatique en période électorale diffère du quotidien, car il est communément reconnu que les communications publiques possèdent un impact non négligeable dans la formation d’opinions et le comportement électoral qui s’ensuit. Octroyer de l’espace médiatique à certains enjeux plutôt que d’autres, favorise l’orientation des programmes électoraux et des prises de positions et engagements politiques vers ces enjeux.

Si octroyer un espace médiatique supérieur à un candidat plutôt qu’un autre est encadré par la loi, qui confie à l’Arcom le contrôle des temps de parole politique en période électorale, ce n’est pas le cas pour le traitement d’enjeux d’intérêt général. Si certains ne semblent pas nécessiter de mesures légales particulières pour être abondamment évoqués dans l’espace médiatique, les enjeux écologiques sont naturellement sous-représentés en comparaison de leur gravité et de l’impérieuse nécessité d’agir rapidement à leur encontre. Leurs effets de long-terme ne sont pas propices à inciter des médias focalisés sur l’immédiateté, à leur consacrer de l’attention. Mais les aborder relève de l’urgence. C’est pourquoi il est proposé de consacrer un quota de temps dédié, de façon éphémère, en période électorale. Ce quota sera ajustable, à la discrétion de l’Arcom, en fonction de la couverture médiatique dédiée à ces enjeux. Seul ce dispositif semble être en mesure de corriger le déficit notoire d’attention médiatique, particulièrement préjudiciable à l’action environnementale nationale. Il est indissociable d’un traitement qualitatif de ces enjeux.

Proposition 8 : Lutter contre la diffusion de fausses informations sur la crise écologique sur les plateformes en ligne

Le développement des grandes plateformes de services numériques a conduit la Commission européenne à présenter le règlement « Digital Services Act » (DSA)[7] fin 2020. Il a été définitivement voté par le Parlement européen en juillet 2022, approuvé par le Conseil de l’UE le 4 octobre 2022 et publié le 27 octobre 2022. Il sera applicable en février 2024, sauf pour les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche qui seront concernés dès 2023.

Le règlement vient préciser et compléter les dispositions introduites par différentes directives. Il vise à harmoniser les différentes législations nationales, dont le développement non coordonné serait un obstacle au développement du marché. S’il ne cite jamais la désinformation sur la crise écologique, il se réfère à la Charte des droits fondamentaux[8] dont l’article 37 stipule qu’ “un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable.”

Concernant les actions contre les contenus illicites (article 9), le règlement autorise les autorités judiciaires ou administratives nationales compétentes à agir sur la base “du droit de l’Union ou du droit national conforme au droit de l’Union applicable”, les dotant par là-même d’un pouvoir de subsidiarité.

Enfin, il définit un rôle de coordinateur des services numériques par État membre, qui sera dévolu aux instances de régulation nationales, et le dote de pouvoirs d’enquête, de sanction et d’astreinte.

Ce renforcement des prérogatives des régulateurs intervient opportunément, alors qu’un rapport publié par les associations Avaaz, Greenpeace et Les Amis de la Terre en avril 2022 montrait que les actions des plateformes en ligne  dans la lutte contre la désinformation sur la crise écologique restent insuffisantes[9].

Ainsi, l’Arcom, qui assure le rôle de coordinateur des services numériques en France pourrait être doté, par la loi, de compétences explicites pour lutter contre la désinformation sur la crise écologique. L’autorité pourrait s’appuyer, pour cela, sur un observatoire et s’assurer de la publication annuelle d’un rapport d’action des opérateurs.

  • Produire des données pour assurer un suivi annuel, public et objectivé de la progression du traitement médiatique sur les enjeux écologiques

Proposition 9 : Créer un Observatoire de la couverture médiatique de la crise écologique

Depuis la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006, l’Arcom a pour mission de veiller à la juste représentation de la diversité de la société française dans les médias, un baromètre de la diversité a notamment été institué. Ainsi, chaque année, l’Arcom rend compte au Parlement “des actions des éditeurs en faveur d’une programmation reflétant la diversité de la société française et propose les mesures adaptées pour améliorer la représentation de cette diversité dans tous les genres de programmes”. Depuis l’adoption, en 2020, de la loi contre les contenus haineux sur internet, l’Arcom s’est également vu confier la composition et la présidence de l’Observatoire de la haine en ligne. Cet observatoire analyse et quantifie les contenus relatifs à la cyber-haine et suit son évolution. L’égalité entre les femmes et les hommes fait, elle aussi, l’objet d’un rapport annuel réalisé par le ministère de la Culture pour mesurer la représentation des genres dans la culture et la communication.

Aujourd’hui, aucun observatoire public n’existe sur le traitement médiatique de la crise écologique. Quelques initiatives associatives sont nées de la volonté d’objectiver le propos sur ce sujet, et de mettre en avant les manquements des médias sur ces enjeux vitaux. Par exemple, seulement 1,5 % du temps médiatique fut consacré aux enjeux écologiques durant la période de publication du deuxième volet du sixième rapport du GIEC (Baromètre de l’Affaire du siècle). Celui-ci fut publié en pleine campagne présidentielle, un moment pourtant opportun pour débattre de ces enjeux majeurs. De même, les médias ont 20 fois plus traité de la Coupe du monde au Qatar que de la COP15 sur la biodiversité, elle-même couverte à hauteur de 0,3 % de l’espace médiatique sur les deux semaines de l’évènement (Baromètre Data For Good et QuotaClimat). Ces résultats ont suscité de nombreuses réactions de l’écosystème médiatique, politique mais aussi de la part des citoyens. Néanmoins, ils émanent d’initiatives citoyennes soumises à certaines limites techniques et budgétaires qui restreignent l’analyse. Des données objectivées, publiques et permanentes sont donc nécessaires pour analyser et mesurer, sur le long terme, la qualité du traitement médiatique.

Pour assurer le suivi des objectifs définis par la proposition 5, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique pourrait être chargée de la mise en place d’un tel observatoire, en y associant les acteurs de l’écosystème et des représentants de la communauté scientifique. À l’instar du rapport sur l’égalité entre les femmes et les hommes, et afin de prendre en compte l’ensemble des médias (médias audiovisuels et presse écrite), cet observatoire pourrait également être rattaché au ministère de la Culture et au ministère chargé de la Transition écologique.

  • Garantir une couverture médiatique éthique des enjeux écologiques

Proposition 10 : Prendre en compte le traitement des enjeux écologiques dans la charte des devoirs professionnels des journalistes français

La déontologie du journalisme est l’ensemble des règles auxquelles les journalistes devraient se référer et s’astreindre. Elle comprend quelques principes centraux : la vérité, la rigueur et l’exactitude, l’intégrité, l’équité et l’imputabilité. En France, la déontologie du journalisme est définie par deux textes.

  • La Charte d’éthique professionnelle des journalistes, rédigée par le Syndicat National des Journalistes en 1918. Elle fut modifiée en 1938, puis en 2011 pour prendre en compte les enjeux de protection des sources d’information des journalistes.
  • La Déclaration des devoirs des journalistes, aussi appelée Charte de Munich, adoptée par les syndicats de journalistes de la CEE en 1971.

Si ces chartes sont purement déclaratives, elles sont des textes de référence dans la profession. Elles servent notamment de base aux travaux du Conseil de déontologie journalistique et de médiation, le conseil de presse français créé en 2019. Il s’agit d’une instance chargée de la médiation et d’arbitrage entre les médias, les rédactions et leurs publics. Le CDJM peut s’autosaisir ou être saisi par une personne extérieure, et produit des avis rendus publics sur son site ou celui du média concerné.

Enfin, depuis la loi de 2014 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, aussi appelée loi Bloche, les entreprises ou sociétés éditrices de presse ou audiovisuelles ont l’obligation de se doter d’une charte de déontologie. Si l’introduction de cette injonction s’inscrit dans la volonté du législateur de généraliser à toute la profession le droit d’opposition du journaliste, ces chartes internes semblent être le vecteur pertinent pour initier, au sein de chaque média, un dialogue sur l’intégration des enjeux écologiques à leurs pratiques éditoriales. En effet, selon les principes énoncés au sein de la Charte de l’Environnement, toute personne a le droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement afin de prendre part à sa préservation et à son amélioration. Il convient donc d’appeler à ce que les chartes des médias (presse écrite, radio, télévision) permettent une concertation sur ces principes constitutionnels, tant pour renforcer l’indépendance des journalistes que pour renouer avec la confiance de leur public.

Si ajouter un volet au sein des chartes déontologiques des entreprises ou sociétés éditrices de presse ou audiovisuelles peut être précisé via l’outil législatif en complétant l’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il n’en est évidemment pas de même pour la Charte d’éthique professionnelle des journalistes et la Charte de Munich. Celles-ci sont rédigées par la profession elle-même et toute volonté de modification ou d’ajout est naturellement indépendante du législateur. Il semblerait néanmoins opportun que de tels enjeux puissent être spécifiquement mentionnés au sein de ces chartes, par la volonté-même de la profession. Depuis 2022, différentes initiatives individuelles et éparses ont initié cette dynamique au sein de l’écosystème médiatique (Charte “Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique”, “Tournant” vert de Radio France, etc.). Assurer une couverture équilibrée et homogène des enjeux écologiques, quel que soit le média, devrait ainsi s’inscrire dans une démarche universelle et partagée par l’ensemble de la profession au même titre, et au nom de la vérité, de la rigueur, de l’exactitude, de l’intégrité, de l’équité et de l’imputabilité.

Proposition 11 : Créer un délit de contradiction ou de minimisation de l’existence de la crise écologique et de son origine anthropique dans l’espace public.

Si, à ce jour, aucune donnée n’existe sur le nombre annuel d’interventions climato-confusionnistes dans les médias, leurs interventions demeurent régulières. Des climato-sceptiques connus (François Gervais, Yves Roucaute, Benoît Rittaud, Michel Onfray…) ou des climato-rassuristes avérés (Sylvie Brunel, Bertrand Alliot…) sont encore régulièrement invités sur les plateaux de télévision, aux micros de radios largement écoutés, ou dans les colonnes de grands journaux français.

Pourtant, l’ampleur de la crise écologique, ses causes et ses conséquences sont désormais unanimement reconnues par la communauté scientifique internationale. En 2014, le GIEC estimait la « probabilité » que le réchauffement climatique soit dû aux activités humaines « supérieure à 95 % », tandis qu’une étude publiée en 2018 dans la revue Science estime la probabilité que son origine soit anthropique à plus de 99,99 %. Outre la légitimation scientifique du dérèglement climatique, les institutions internationales reconnaissent son existence, à l’unanimité. En 2015, les 195 Etats membres de la CCNUCC sont parvenus à un accord historique attestant de l’impérieuse nécessité de demeurer sous les 1,5°C de réchauffement planétaire, pour rester dans les limites d’un monde habitable.

La crise écologique n’est donc pas une opinion, mais bien un fait réel dont les enjeux d’atténuation et d’adaptation reposent sur des fondements scientifiques, juridiques et constitutionnels. Les faits avancés par la communauté scientifique mondiale sont désormais incontestables et les remettre en cause nuit gravement à notre capacité à protéger et à garantir nos propres conditions de vie. Ces thèses entretiennent l’inaction individuelle et collective dans un moment où il est impératif que l’ensemble de la société s’engage dans une transformation profonde et transsectorielle.

La création d’un délit de contradiction ou de minimisation de l’existence de la crise écologique et de son origine anthropique dans l’espace public paraîtrait donc un outil pertinent pour lutter contre de telles thèses de nature à troubler l’ordre public.

Le rempart à cette mesure réside bien sûr dans la protection de la liberté d’expression et d’opinion, et ce, à juste titre. La liberté d’expression est considérée comme l’un des fondements de nos sociétés démocratiques et le restreindre constitue une atteinte grave aux droits et aux libertés des individus. Elle est consacrée par de nombreux textes en droit international (Déclaration universelle des droits de l’Homme, Pacte international des droits civils et politiques), en droit européen (Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’Homme, Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne) et en droit interne. En France, la liberté d’expression fait partie du bloc de constitutionnalité à l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Selon l’arrêté Handyside (7 décembre 1976), la liberté d’expression inclut le droit de dire ce que nous pensons, que cela “choque, heurte où inquiète l’État”.

Toutefois, la liberté d’expression n’est pas absolue, elle connaît des limites. C’est notamment ce que précise l’article 17 de la CEDH au travers du principe d’“abus de droit” : “Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention.”. En prohibant “l’abus de droit”, l’article 17 vise à donner aux démocraties les moyens de lutter contre les actes destructeurs ou indûment limitatifs des droits et libertés fondamentaux. Ainsi, l’abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication peut faire l’objet d’une incrimination par le législateur au regard de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : “La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.”

À ce jour, l’abus de liberté d’expression constitue une infraction au titre de la diffamation, ou du délit en ce qui concerne la négation de la Shoah. Concernant le délit de négationnisme, il a été introduit par la loi Gayssot du 13 juillet 1990 et a été déclaré conforme à la Constitution. Cette loi vient ainsi compléter l’héritage de la loi Pleven du 1er  juillet 1972 qui condamne la “haine et la provocation raciales”. Aussi, dans l’arrêt Garaudy, la CEDH précise qu’il n’est pas possible de contester la réalité de fait historique communément admis sans tomber dans la falsification historique, ce qui est interdit (CEDH, Garaudy c. la France, 24 juin 2003, 65831/01). Le Conseil Constitutionnel a statué de la même manière, jugeant que la négation directe ou indirecte ou la minoration outrancière de faits communément admis et constatés par un tribunal constitue un abus de la liberté d’expression (Conseil constitutionnel 2016, n°2015-512 QPC) : “Considérant que les propos contestant l’existence de faits commis durant la seconde guerre mondiale qualifiés de crimes contre l’humanité et sanctionnés comme tels par une juridiction française ou internationale constituent en eux-mêmes une incitation au racisme et à l’antisémitisme ; que, par suite, les dispositions contestées ont pour objet de réprimer un abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui porte atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers”.

Or, les projections des rapports successifs du GIEC établissent des conséquences désastreuses sur la vie humaine. Que ce soit en termes de santé humaine, de migrations ou de vulnérabilités économiques, les troubles à l’ordre public et l’insécurité sur le maintien des droits humains qui résulteraient de l’échec des pouvoirs publics à respecter l’Accord de Paris, n’ont rien de négligeables. Contredire l’existence de la crise écologique, dont le dérèglement climatique, et de l’origine anthropique de cette crise, influence directement notre capacité individuelle et collective à atteindre des objectifs inscrits en droit français, européen et international. Aussi, la désinformation portant sur les enjeux écologiques viole des droits constitutionnels, regardant l’accès à l’information défini à l’article 7 de la Charte de l’Environnement et le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux défini à l’article 1 de ce même texte.

Les prises de parole climato-confusionnistes dans l’espace public relèvent donc d’un abus de liberté d’expression. La persistance de ces propos constitue bien une atteinte pour le bien commun actuel et à venir qu’il convient d’encadrer par la loi par l’introduction d’un délit de contradiction ou de minimisation de l’existence de la crise écologique et de son origine anthropique dans l’espace public.

  • Mieux encadrer la publicité pour lutter contre la dissonance d’informations dans les médias et orienter vers un modèle de consommation viable

Optimiser les contrôles existants 

L’article 14 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée confie à l’Arcom une mission de contrôle sur l’objet, le contenu et les modalités de programmation des communications commerciales diffusées par les services de communication audiovisuelle. Ce contrôle s’exerce, comme pour le reste des programmes, non pas avant la diffusion des communications commerciales, mais au moment de cette diffusion.

S’agissant des messages publicitaires télévisés, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) effectue un contrôle avant diffusion, le CSA ayant choisi en 1992 de les contrôler a posteriori[10], conformément au principe de liberté et de responsabilité éditoriale des diffuseurs. L’ARPP affirme être suivie dans ses recommandations de modification.

A posteriori une instance de l’ARPP, le Jury de Déontologie Publicitaire (JDP), peut être amenée à statuer sur des plaintes, sur la base non légale de ses recommandations, sans disposer d’un pouvoir de sanction réel et en limitant son action au “name and shame”[11]dont l’efficacité reste à prouver. Dans son bilan 2021 au Parlement[12], l’ARPP mentionne un délai moyen de traitement d’une plainte de 34 jours soit généralement plus long que la durée des campagnes visées par les plaintes. La publication de l’avis du JDP a lieu un mois plus tard, soit deux mois après la plainte. L’association Antipub[13] mentionne de rares cas de cessation de campagnes et quasiment aucun encart publié dans la presse. Contrairement à l’ARPP et à son instance le JDP, l’Arcom dispose d’un pouvoir de sanction (art. 14, art. 42 et suivants).

Les avis de l’ARPP se fondent sur :

  • Le décret du 27 mars 1992[14] fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat.
  • L’art L121-1 du code de la consommation sur les pratiques commerciales déloyales
  • Sa propre recommandation “développement durable”

Ce modèle d’autorégulation, approuvé par l’ensemble de la profession et communément pratiqué dans l’Union européenne, constitue un “droit souple” dont le Conseil d’État recommande de “doter les pouvoirs publics pour contribuer à la politique de simplification des normes et à la qualité de la réglementation” (2013). Toutefois ce modèle n’a pas permis de freiner le rôle de la publicité dans la dynamique de consommation. Le GIEC recommande à cet effet une régulation par les Etats dans le troisième volet de son sixième rapport[15].

Par ailleurs, l’application de ce modèle se limite à la publicité télévisée. Le rapport Publicité et transition écologique (Guibert et Libaert – 2020)[16], remis au ministère de la Transition écologique et solidaire souligne que « le contrôle préalable de l’ARPP ne s’exerce qu’en matière de publicité télévisée, les autres supports ne sont pas concernés. Pourtant, le 11 avril 2008, l’ensemble des représentants des professions publicitaires avaient signé une charte d’engagement spécifiant expressément “la mise en place d’un conseil avant diffusion tous médias systématiques dès lors qu’il y a eu un argument écologique”. Ce point de la charte qui fut présenté au ministre de l’écologie et du développement durable, Jean-Louis Borloo, n’a pas été respecté. L’ARPP a annoncé sa volonté de faire respecter cet engagement, elle pourrait y être encouragée.”

Proposition 12 : Maintenir l’auto-régulation et renforcer les fondements juridiques des décisions ARPP

L’effectivité de l’article 1 – Impacts éco-citoyens, issu de la recommandation “Développement durable” de l’ARPP[17], est renforcée en mentionnant  dans le Code de la consommation, “le caractère trompeur de toute publicité intégrant la banalisation, la valorisation de pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable ou discréditant les principes et objectifs communément admis en matière de développement durable”, comme préconisé par la Convention Citoyenne pour le Climat[18].

La convention Arcom-ARPP de 1992 est également revue pour étendre le contrôle préalable des messages publicitaires à l’ensemble des médias.

Promouvoir un mode de consommation viable

Malgré les mesures d’auto-régulation en vigueur depuis les années 90, les dépenses de communication commerciale ont représenté plus de 30 milliards d’euros par an au cours des 20 dernières années, soit l’ordre de grandeur de l’ensemble des dépenses de recherche et développement des entreprises. Une étude de l’Institut Veblen et Communication et Démocratie[19] montre que ces dépenses ont conduit à l’augmentation de 5,3% de la consommation et de 6,6 % des heures travaillées et propose d’en limiter la croissance en recourant à la taxation. Au plan qualitatif les messages développant un imaginaire du bonheur par la consommation perdurent, les incitations marketing à l’obsolescence rapide progressent et le caractère informatif des publicités évolue peu.

Pour faire face à cette situation et compte-tenu de l’urgence à agir, nous préconisons un ensemble de mesures articulées prioritairement sur la réallocation des budgets publicitaires, le recours à la taxation constituant une solution de dernier recours, en raison de la sensibilité du modèle économique des médias à la publicité.

Proposition 13 : Rendre obligatoires les contrats climat

Les “contrats climat” prévus par la loi Climat et Résilience visent à réduire le volume de communications commerciales relatives à des produits ou des services ayant un impact négatif sur l’environnement, mais aussi à favoriser la transparence de la publicité et l’engagement des annonceurs, médias, plateformes, agences et régies pour la transition écologique.

Selon un pré-rapport de l’Arcom[20], seules 17 % des entreprises assujetties aux contrats climats en ont souscrit un en 2022. Face à un constat d’échec de la promotion, nous proposons de rendre obligatoires les contrats climat pour toutes les entreprises assujetties. Dans ce même rapport, il est précisé que près d’un tiers (30 %) des contrats climat des entreprises concernées ne comporte pas d’engagement en matière de réduction des communications commerciales pour des biens et services ayant un impact négatif sur l’environnement. Aussi, parmi les 77 entreprises assujetties qui ont contracté un contrat-climat, seules huit d’entre elles ont pris un engagement répondant directement au second objectif de la loi, à savoir la prévention de l’écoblanchiment. Outre le défaut de souscriptions, la plupart des dispositions dans les contrats déposés sont donc peu ambitieuses. Pour en assurer leur effectivité, ces contrats climat doivent également devenir opposables afin de respecter les deux objectifs fixés par la loi, à savoir réduire la publicité néfaste pour l’environnement et lutter contre l’écoblanchiment. L’Arcom est chargée de leur mise en œuvre, de leur évaluation et de leur validation annuelles.

Un autre bilan d’étape sur le contenu et le suivi des engagements volontaires de l’écosystème de la publicité sera nécessaire avant de décider d’intégrer un aspect plus coercitif de la régulation, si non respect des engagements.

Proposition 14 : Mettre en place des exclusions sectorielles

L’atteinte de la neutralité carbone en 2050 implique de limiter au plus vite l’usage de produits et services appelés à être retirés du marché ou dont l’usage sera restreint.

Nous proposons d’élargir la liste de recommandations de l’ADEME[21] pour y inclure l’interdiction des biens et services à fort impact environnemental, notamment les services aériens, les véhicules particuliers lourds ou les produits numériques à obsolescence rapide.

Afin de donner plus de poids à cette liste, nous proposons que la définition des entreprises mentionnées à l’article L229-67 du code de l’environnement[22] soit établie à partir de cette liste de recommandations de l’ADEME.

Par ailleurs, pour intégrer les transports les plus fortement émetteurs de gaz à effet de serre, comme le transport aérien, l’article L. 229-61 du code de l’environnement posant interdiction sur la promotion des énergies fossiles est ainsi modifié : “Est interdite la publicité relative à la commercialisation ou faisant la promotion des énergies fossiles et les transports associés”.

Aussi, dans le décret 92-280, “l’exclusion des produits susceptibles de nuire à l’environnement et à la biodiversité” pourrait être précisée à l’article 4 définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat, dans sa partie protection de l’environnement.

Proposition 15 : Sortir de l’auto-régulation en mettant en place une autorité indépendante

L’auto-régulation fait l’objet de critiques récurrentes parmi lesquelles on peut citer :

  • La gouvernance : le conseil d’administration de l’ARPP compte 32 membres répartis en trois catégories : les annonceurs, les agences conseils et médias, les supports de diffusion, et deux personnalités qualifiées, la présidente du jury de déontologie de la publicité et un membre du Medef, ancien président de l’Union des Marques. Cela semble problématique puisque les points de vue exprimés ne proviennent que des émetteurs de la publicité, ayant de forts intérêts économiques, et non des récepteurs et des garants de l’intérêt général.
  • Le faible nombre de recours contre des comportements préjudiciables à la protection de l’environnement, en raison probablement d’une formulation trop vague de ce principe pour être jugé opérationnel.
  • Seuls les avis du JDP sont systématiquement publiés, peu d’encarts dans la presse et communiqués de presse sont observés et le retrait d’une campagne de publicité est rare[23] ;
  • Le “name and shame” ne suffit pas à modérer le comportement des utilisateurs (exemples : diesel gate, bouteilles plastique, restauration rapide) ;
  • L’échec récent de la démarche volontaire sur les contrats climat, mentionnée supra.

Les propositions 12 à 14 sont de nature à remédier à cet état de fait. Si ce n’était pas le cas, nous proposons  d’envisager un dispositif plus contraignant, en transmettant les plaintes auprès du JDP à une cour juridictionnelle (comme pratiqué en Allemagne), voire de réorganiser la régulation en la confiant à une autorité indépendante des pouvoirs publics et de la profession et dotée de pouvoirs de sanction.

[1] Lacroux Margaux et Clair Alice, Présidentielle: le climat n’a occupé que 3,6% du temps médiatique ces deux derniers mois, Libération, 8 avril 2022 https://www.liberation.fr/environnement/climat/presidentielle-le-climat-na-occupe-que-36-du-temps-mediatique-ces-deux-derniers-mois-20220408_VZN2LZOO4FAXBCZNIEYGW375ME/

[2] Bayet Anne et Hervé Nicolas,  Information à la télé et coronavirus : l’INA a mesuré le temps d’antenne historique consacré au Covid-19, INA (coll. « La Revue des Médias »), http://larevuedesmedias.ina.fr/etude-coronavirus-covid19-temps-antenne-information , 24 mars 2020

[3] Colmet Daâge Violaine, Climat : pour « faire changer les choses », des citoyens secouent les JT, Reporterre, https://reporterre.net/Climat-pour-faire-changer-les-choses-des-citoyens-secouent-les-JT, publié le 12 septembre 2022, Mis à jour le 14 septembre 2022

[4] Quinton François, Poels Géraldine et Lefort Véronique, Trois fois plus de temps pour l’environnement dans les JT depuis la fin des années 1990, s.l., INA (coll. « La Revue des Médias »), http://larevuedesmedias.ina.fr/environnement-jt-information-television-energie-climat-pollution-biodiversite, Publié le 19 novembre 2020,  Mis à jour le 27 novembre 2020

[5] Saffron O’Neill and others, Visual Portrayals of Fun in the Sun Misrepresent Heatwave Risks in European Newspapers (SocArXiv, 5 May 2022)

[6] Rapport pour avis sur la mission “Médias, livre et industries culturelles” et le compte “Avances à l’audiovisuel public du projet de loi de finances 2022 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b4597-tiii_rapport-avis#_Toc256000003

[7] Digital Services Act https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act

[8] Charte européenne des droits fondamentaux https://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf

[9] In the dark : how Social Media Companies’ Climate Disinformation Problem is Hidden from the Public https://www.greenpeace.org/usa/wp-content/uploads/2022/04/In-The-Dark-Climate-Disinfo-Report.pdf

[10] Décision n° 92-1133 du 22 décembre 1992 relative à l’exercice du contrôle du CSA sur les messages publicitaires diffusés par les sociétés de radio et de télévision https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000543224

[11] Jury de déontologie publicitaire-diffusion des avis https://www.jdp-pub.org/statuts-et-ri/#art20

[12] Rapport ARPP 2021 au Parlement https://www.arpp.org/wp-content/uploads/2022/08/ARPP-Rapport-Parlement-2021.pdf

[13] https://antipub.org/lautoregulation-de-la-pub-ca-marche/

[14] Décret n°92-280 du 27 mars 1992 pris pour l’application des articles 27 et 33 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat.https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000346165/2022-12-02/

[15] Rapport du GIEC AR6-WG3 https://report.ipcc.ch/ar6/wg3/IPCC_AR6_WGIII_Full_Report.pdf chapitre 15-19 ligne 42

[16] Rapport Publicité et transition écologique 2020 https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/274683.pdf

[17] ARPP – recommandation développement durable 2020 https://www.arpp.org/nous-consulter/regles/regles-de-deontologie/developpement-durable/#toc_0_1

[18] Convention Citoyenne pour le Climat proposition C.2.2.5 https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/pdf/tl/ccc-consommer-reguler-la-publicite-pour-reeduire-les-incitations-a-la-surconsommation-tl.pdf

[19] Mathilde Dupré et Renaud Fossart, La communication commerciale à l’ère de la sobriété, octobre 2022

[20] Rapport de l’Arcom, Contrats climat : premiers constats et perspectives d’amélioration, janvier 2023

[21]https://communication-responsable.ademe.fr/sites/default/files/cahier_des_charges_ademe_informations_environnementales_et_sanitaires_17112022_vdef.pdf

[22] Article 7 de la loi Climat résilience, devenu l’article L229-67 du code de l’environnement, lequel impose à certaines entreprises de se déclarer sur une plateforme numérique (www.publicite-responsable.ecologie.gouv.fr) et permet de suivre lesquelles des entreprises assujetties ont souscrit ou non à un contrat climat.

[23] Bilan des 4 premiers mois d’application de la version 3 de la Recommandation « Développement durable » : https://www.arpp.org/actualite/bilan-des-4-premiers-mois-dapplication-de-la-version-3-de-la-recommandation-developpement-durable/ : le taux de conformité des publicités s’élève à 89,1% en 2020, il « reste nettement inférieur aux autres bilans thématiques de l’ARPP, ce qui interroge sur la bonne maîtrise de la Recommandation “Développement Durable” par les acteurs ».

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