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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

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Mettre l’administration au service de l’éducation civique

Si l’enseignement de l’Éducation morale et civique (EMC) constitue, dès la IIIème République, une brique essentielle de l’édifice social, il semble désormais en crise. En effet, après avoir connu de multiples modifications programmatiques et horaires tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle, l’EMC recouvre aujourd’hui un contenu si large, et des pratiques pédagogiques si incertaines, qu’il est possible de douter de sa réelle efficacité. Pour résorber la fracture qui prévient l’adhésion d’une partie des citoyens aux valeurs du contrat social, nous proposons, outre une augmentation du volume horaire d’enseignement de l’EMC, une mesure forte : mettre l’administration au service de l’instruction civique. Sur l’ensemble du territoire français, les agents publics exerçant des fonctions d’encadrement pourraient, selon des modalités contraignantes ou non, dispenser aux élèves des cours sur le fonctionnement des institutions, les valeurs républicaines et les fondamentaux de la culture politique. Un tel dispositif réaffirmerait le rôle de l’État dans l’éducation, tout en revalorisant son image auprès de la jeunesse. Introduction L’Éducation morale et civique (EMC) est en crise autant qu’elle est en vogue : en crise, d’abord, car son contenu demeure mal délimité, son volume horaire de plus en plus réduit et les pratiques pédagogiques qu’elle offre mal saisies par le corps professoral ; en vogue, d’autre part, en ce qu’elle fait, depuis plusieurs décennies, l’objet d’incessantes réformes visant à l’adapter aux nouveaux enjeux de la société et qu’elle constitue, pour cause, une réponse fourre-tout pour les crises politiques et sociales que traverse le pays. Toutefois, l’excroissance des programmes de l’EMC, autant que leur difficile applicabilité, suppose de repenser les modalités de son fonctionnement. Cette nécessité est d’autant plus prégnante que les signes d’une crise de la défiance à l’égard des institutions et des valeurs de la République sont chaque jour plus visibles, notamment au sein des couches les plus jeunes de la population. Face à l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui l’EMC, il apparaît nécessaire d’imaginer une politique publique nouvelle et simplifiée. Tandis que les professeurs font part de leur dénuement face à la diversité des outils pédagogiques dont ils disposent et la complexité inhérente à leur mise en œuvre, nous proposons qu’une partie de leurs enseignements soit prise en charge par des agents publics exerçant des fonctions d’encadrement au sein de l’administration. En effet, l’agent public pourrait illustrer auprès des élèves, à partir d’expériences éprouvées dans le cadre de ses fonctions, les valeurs de la République en action : ici, un juge parlant des droits de l’homme ; là, un commissaire de police parlant de l’ordre public ; ailleurs, enfin, un sous-préfet parlant de la laïcité. La présente note vise en conséquence à rappeler le rôle historique et philosophique de l’EMC en République, mettre en lumière les principaux maux dont elle souffre et détailler les modalités concrètes de notre proposition. I. Une instruction civique placée en première ligne du combat pour l’école républicaine Dans un discours prononcé à Bordeaux le 16 novembre 1871, Léon Gambetta, père fondateur de la IIIème République, se demande : « Comment admettre que des hommes qui ne connaissent la société que par le côté qui les irrite […] ne s’aigrissent pas dans la misère et n’apparaissent pas sur la place publique avec des passions effroyables ? ». Et le tribun d’ajouter : « Je déclare qu’il n’y aura de paix, de repos et d’ordre qu’alors que toutes les classes considéreront leur gouvernement comme une émanation légitime de leur souveraineté et non plus comme un maître avide et jaloux »[1]. L’instruction civique est née : avec la loi Ferry du 28 mars 1882, l’éducation morale et civique de l’élève figure au premier rang des apprentissages de l’école primaire, devant l’écriture et la lecture. Son initiateur, Jules Ferry, rappelle devant le Sénat, le 10 juin 1881, l’intérêt primordial qu’elle revêt pour la constitution d’une société républicaine, au lendemain de la tourmente de Sedan et de la destitution de Louis-Napoléon Bonaparte, mais aussi de l’épisode de la Commune : « Si vous voulez chasser des esprits les utopies, si vous voulez émonder les idées fausses, il faut que vous fassiez entrer dans l’esprit et dans le cœur de l’enfant des idées vraies sur la société où il doit vivre, sur les droits qu’il doit exercer. Comment ! dans quelques années, il sortira de l’école primaire – et pour un grand nombre de ces jeunes gens, c’est à l’école primaire que s’arrêtent malheureusement et se limitent tout le bagage et toutes les connaissances scientifiques. Comment ! il sera électeur dans quelques années et vous voulez nous défendre de lui apprendre ce que c’est qu’une patrie ! »[2]. Les valeurs alors enseignées, à la fin du XIXème siècle, sont proprement conçues pour garantir une adhésion totale et collective des élèves de l’école primaire au modèle républicain : il est ainsi question du service militaire, de la foi dans le progrès, du patriotisme et de l’obligation fiscale[3]. A. Aux origines historiques et théoriques d’une instruction civique universelle Son intérêt, dans l’esprit de ses promoteurs, est double. L’instruction civique assure, en premier lieu, de faire vivre effectivement la démocratie en diffusant un corpus de principes et de valeurs communs chez les plus jeunes. La démocratie n’est, en effet, pas qu’une convocation régulière à voter : elle est, comme l’écrit Pierre Mendès-France, « un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire »[4]. Ce type de mœurs spécifique est institué par le maître d’école, qui convainc les élèves d’une pratique partagée et sans cesse renouvelée du débat et de la délibération. Octave Gréard, le Vice-recteur de l’Académie de Paris jusqu’en 1877 et créateur des premiers lycées de jeunes filles, écrivait ainsi dans un Cours de pédagogie théorique et pratique à destination des professeurs des écoles : « Ce que le bon sens demande, c’est qu’au respect des traditions nationales, qui est la base du patriotisme éclairé, se joigne dans l’esprit des enfants, arrivés, comme on dit, à l’âge de raison, la connaissance des lois générales de la vie publique de leur pays. Ce que nos élèves savent le moins, c’est ce qu’ils

Par Klotz P.

25 juillet 2023

Un sursaut pour l’école de la République

Plan : I. Il est urgent de mettre l’éducation au cœur du débat pour la présidentielle a) Une préoccupation majeure des Français b) Un sujet crucial pour l’avenir du pays c) Un thème laissé en friche par le pouvoir et les candidats II. Un constat d’urgence a) La chute du niveau, symptomatique d’un système à bout de souffle b) L’aggravation des inégalités scolaires, ou la faillite de la promesse républicaine c) Un malaise enseignant généralisé III. Un plan d’action concret pour le prochain quinquennat a) 10 mesures simples pour l’école b) Mettre en place les conditions institutionnelles de réussite et de suivi du plan c) Mettre en place les conditions budgétaires d’exécution du plan I. L’éducation est n’a pas la place qu’elle mérite dans les débats pour l’élection présidentielle L’éducation doit enfin être au cœur de la campagne présidentielle pour trois raisons : il s’agit à la fois d’une préoccupation majeure des Français, d’un sujet crucial pour l’avenir du pays et enfin d’un thème que le gouvernement sortant et nombre de candidats à la présidentielle n’ont que trop maltraité. A. Une préoccupation majeure des Français Contrairement à ce que le débat médiatique indigent sur le sujet pourrait laisser croire, l’éducation est une véritable préoccupation des Français. En août 2021, ce thème était jugé « tout à fait prioritaire » par 73 % des Français (proportion identique depuis avril 2021), en deuxième position derrière la santé et à égalité avec la sécurité[1]. Les citoyens concernés au premier chef sont bien entendu les parents d’élèves. La grande préoccupation des parents pour l’éducation de leurs enfants se traduit par des phénomènes ; observables notamment chez les classes moyennes et supérieures, qui signalent une perte de confiance dans l’école publique : mouvement de fond vers le privé à défaut de contournement de la carte scolaire, explosion du privé hors contrat[2], ou encore développement des cours particuliers[3]. Les classes populaires, qui n’ont pas accès à ces options, ne sont pas en reste. La fuite vers le périurbain des classes populaires traditionnelles s’explique en partie par des considérations scolaires[4]. Face à ces mouvements centrifuges vers les établissements jugés les moins « à problèmes », les revendications en faveur de la mixité sociale et ethnique dans des quartiers populaires où l’immigration extra-européenne est majoritaire montrent l’intérêt pour les questions scolaires de ces parents a priori les plus éloignés de l’institution scolaire, mais légitimement inquiets d’être la dernière roue du carrosse dans un système à plusieurs vitesses[5]. B. Un sujet crucial pour l’avenir du pays Parce qu’elle détermine l’avenir à moyen terme du pays, l’éducation est un thème central qui conditionne tous les sujets, civiques, sociaux et économiques. Il s’agit de former à la fois des citoyens émancipés, aptes à la vie démocratique et républicaine, et des individus qui trouvent leur place dans la société indépendamment des déterminismes de leur milieu d’origine et en concordance avec les bouleversements structurels à venir. Les questions des inégalités et de la mobilité sociale, de « l’archipélisation »[6] de la société française, de la transition écologique ou encore de la place de l’économie française dans la mondialisation sont ainsi toutes reliées à celle de l’éducation. À court terme, la crise éducative nourrit à la fois les fractures sociales et un risque de déclassement économique. À moyen terme, c’est notre souveraineté et la capacité d’adaptation de notre société qui sont en jeu : dans un monde menacé par le changement climatique et les risques environnementaux, marqué par une compétition exacerbée et des tensions croissantes, comment s’assurer de notre capacité collective à demeurer une démocratie saine et vivante ? L’incapacité de l’école à forger une culture commune fondée sur le jugement critique est une grave menace pour la démocratie. À rebours de l’utilitarisme éducatif en vogue, l’enseignement des humanités et des sciences sociales à tous les futurs citoyens est ainsi crucial, de manière indépendante des spécialisations et des qualifications professionnelles requises par le marché du travail. La crise éducative nourrit à la fois l’immobilité et “l’archipélisation” sociales. L’affaiblissement du niveau et l’augmentation de « l’inégalité des chances » se font avant tout au préjudice des enfants des classes populaires, dont les chances relatives de réussite scolaire vont décroissantes, et qui sont relégués dans des filières professionnelles dévalorisées, malgré leur utilité sociale. Le contrat républicain se retrouve ainsi brisé, entre d’un côté des classes moyennes et supérieures qui n’ont plus confiance dans l’école publique et de l’autre des classes populaires forcées de constater que sa promesse d’égalité est mensongère. Par ailleurs, d’un point de vue économique, une relation directe entre revenu moyen par habitant et niveau d’éducation de la population est bien établie à l’échelle internationale. Ainsi, sur la période 1960-2000, on peut prédire 75 % de la différence de croissance entre pays par le niveau en mathématiques et en sciences[7]. Cette relation ne peut que se renforcer à mesure que la demande de travail se déplace vers des emplois de plus en plus qualifiés, par exemple dans une industrie de plus en plus robotisée. La place d’un pays dans le monde au XXIe siècle dépend donc directement de la qualité de son système éducatif, ce qu’ont bien compris les pays asiatiques, en tête des classements scolaires. Notons bien qu’il n’est pas seulement question des secteurs de technologie de pointe comme le nucléaire ou l’IA, mais également des emplois intermédiaires dans les services[8] ou encore des emplois manuels’qualifiés cruciaux pour la transition écologique (pour rendre un plan d’isolation des logements possible, par exemple). La filière nucléaire – entre autres – a par exemple beaucoup souffert d’une pénurie de soudeurs très qualifiés[9]. Réindustrialiser la France passe aussi par un effort sur l’éducation et la formation de ces métiers techniques hautement qualifiés. Ce sont toutes ces raisons qui poussent par exemple un économiste comme Patrick Artus à affirmer que la « perte de compétence de la main-d’œuvre » est le problème auquel le prochain gouvernement devrait s’atteler en premier, puisqu’il conditionne tous les autres[10]. En particulier, la proportion considérable de NEET (ni en études, ni en formation, ni en emploi)[11] parmi les jeunes est un

Par Picard É., Barel V.

24 mars 2022

Refonder l’organisation de l’État local et mettre fin à la libéralisation des politiques publiques environnementales consécutive aux vagues de décentralisation

Ce projet de note s’inscrit dans la continuité et en complément de celle publiée le 26 mars 2020 par l’Institut Rousseau et intitulée « Décentralisation et organisation territoriale : vers un retour de l’État ». Elle a pour objectif d’en poursuivre l’analyse sur les conséquences de la répartition actuelle des compétences au niveau local et de proposer, en réponse, des propositions quant à l’organisation territoriale de l’État et la répartition des compétences au niveau infra-régional. Le prisme principal de cette analyse est celui de l’aménagement du territoire et des politiques environnementales, qui sont parmi celles où la décentralisation a été la plus poussée, emportant avec elle des effets pervers aux conséquences désormais difficilement soutenables. Introduction Les politiques liées à l’aménagement du territoire (autrefois appelées planificatrices, terme désormais connoté comme trop dirigiste et ingérant), et plus largement liées à l’environnement font partie de celles qui ont été les premières et les plus décentralisées, de façon continue depuis bientôt 40 ans. Cette décentralisation dont il sera mis en évidence qu’elle s’est faite de façon incrémentielle, ni évaluée ni structurée a conduit à une situation actuelle d’une complexité difficilement descriptible et dont tous les acteurs, bien que pour des motifs différents, s’accordent à dire qu’elle n’est ni soutenable ni durable. Dans ce paysage devenu illisible et dans lequel l’intérêt général s’évalue généralement sous le seul prisme économique, l’État local relictuel est devenu le plus souvent spectateur de la mise en œuvre insatisfaisante des politiques pourtant décidées par le gouvernement et votées par le Parlement. Il tente ainsi maladroitement de continuer à exister en troquant sa casquette régalienne pour un rôle d’accompagnement coupable ou d’influenceur sur le déclin. Comme cela sera démontré et illustré plus loin à partir d’exemples, cet état de fait permet d’expliquer en grande partie l’échec des politiques nationales environnementales, politiques dont les objectifs sont, en toute conscience, fixés sans espoir de les atteindre car sans maîtrise des leviers d’actions par l’État ni contrôle de leur mise en œuvre effective par ceux qui en ont les compétences. C’est ainsi que nous constatons sur de nombreux domaines environnementaux des résultats médiocres, très éloignés des objectifs nationaux et encore davantage de ce que la situation exige. On peut citer de façon non exhaustive la réduction des pollutions des eaux, la réduction de l’artificialisation des sols, la réduction des déchets, la restauration écologique, la limitation des émissions de particules fines…objectifs dont certains valent à la France d’être rappelée à l’ordre ou en procédure contentieuse de l’UE [1][2]. Intégrant par postulat les propositions de la publication du 26 mars 2020 par l’IR et intitulée « Décentralisation et organisation territoriale : vers un retour de l’État », cet article vient les étayer et les compléter par d’autres propositions portant plus particulièrement sur la définition des politiques publiques liées à l’environnement et à l’aménagement du territoire, à la répartition de leurs compétences et à la réorganisation de l’État local. Il mettra en évidence que l’organisation actuelle ne peut garantir la mise en œuvre effective des mesures permettant d’atteindre les objectifs (dont certains sont déjà fixés et annoncés) concourant à la nécessaire « transition écologique » de la France. Plusieurs propositions y sont faites pour pallier ce problème en s’appuyant sur une révision de la décentralisation mais aussi une réforme à la fois pratique et de l’organisation de l’État local qui doit retrouver pleinement sa présence, sa légitimité et son utilité aux yeux d’élus locaux aux attentes différentes, partagés entre sentiment d’abandon et critique d’une verticalité trop marquée. I – De la décentralisation à la différenciation : la libéralisation des politiques publiques environnementales et d’aménagement du territoire   Les étapes du démantèlement et de la libéralisation des politiques publiques environnementales 1982, l’acte 1 : une opportunité à coût politique faible au sortir des Trente Glorieuses   La fin des Trente Glorieuses ne permettent plus à l’État de continuer son rôle de planificateur/constructeur Au sortir d’une guerre qui a ravagé le pays, mais qui l’a aussi soudé et obligé à revoir en profondeur ses institutions, sa structure sociale et ses interactions avec le reste le monde, la France se reconstruit et se modernise rapidement et dans un élan qui ne sera brisé que par les chocs pétroliers des années 1970. Les Trente Glorieuses sont l’apogée de l’État moderne planificateur et bâtisseur, l’époque des grandes avancées technologiques et des choix déterminants en particulier dans les domaines agricole, de l’énergie, des transports, de l’habitat… redéfinissant complètement l’aménagement du territoire. Ces choix se nourrissent alors d’une croissance économique continue et surtout d’énergies carbonées accessibles et facilement disponibles. Cette dépendance rend le pays très vulnérable aux chocs pétroliers (et gaziers) successifs qui ne font qu’initier le déclin d’un modèle qui, avec un recul critique maintenant évident mais difficilement audible dans le contexte de l’époque, ne pouvait perdurer. L’État commence alors à douter et à s’interroger sur ses propres missions face à ses premières difficultés financières depuis des décennies, à une concurrence internationale croissante, à une perte d’autonomie liée à l’intégration croissante des politiques au niveau européen et à une société de plus en plus accusatrice de ce qu’elle juge être des manquements de sa part. Les lois Deferre actent des principes généraux qui seront lourds de conséquence C’est dans ce contexte, qui en est en grande partie la cause, qu’intervient la première alternance de la Vème République avec l’arrivée de la gauche au pouvoir. Le constat d’un État qui a été probablement trop dirigiste et sûr de lui, en qui la confiance est écornée et qui ne peut plus s’affranchir du cadre européen et international ouvre la voie au début de la décentralisation dès l’entame de mandat en 1982 au travers des lois Deferre ; cette politique est soutenue idéologiquement par le nouvel exécutif. De ces premières d’une longue série de lois de décentralisation, on retient d’abord la création d’un nouvel échelon administratif territorial, les régions, avec les conséquences déjà développées dans une précédente note de l’Institut[3] sur lesquelles nous reviendrons. En corollaire est instauré le transfert de « blocs » de compétences (qui sont en réalité rarement des blocs, mais des portions) aux désormais trois

Par Delelys A.

27 janvier 2022

Et si les élections présidentielles se jouaient au jugement majoritaire ?

Un sondage Opinion Way – Mieux Voter a interrogé, les 8 et 9 décembre 2021, un même panel de 962 Français inscrits sur les listes électorales concernant leurs intentions de vote aux élections présidentielles de 2022 selon deux modes de scrutin différents : le scrutin uninominal majoritaire et le scrutin par jugement majoritaire. Le scrutin uninominal majoritaire est le mode de scrutin en vigueur pour l’élection présidentielle de 2022. Le jugement majoritaire est un mode de scrutin où l’électeur doit évaluer tous les candidats indépendamment les uns des autres, en leur attribuant une mention sur une échelle qui va de « Excellent » à « A rejeter ». Il a été inventé en 2007 par deux directeurs de recherche au CNRS, Michel Balinski et Rida Laraki. Le sondage Opinion Way – Mieux Voter permet d’abord de rappeler qu’un mode de scrutin n’est pas une donnée tombée du ciel mais une règle inventée, parmi une infinité de possibilités. Mais un mode de scrutin doit avoir pour objectif de désigner le candidat jugé le meilleur par l’électorat. Pour ce faire, il doit permettre de mesurer l’état d’une opinion. Le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours, actuellement utilisé pour élire le Président de la République en France, faillit à ce pré-requis, parce qu’en demandant aux électeurs de choisir un candidat, il les contraint fortement dans leur expression. En effet, ayant voté pour un candidat, l’électeur ne révèle absolument rien de ce qu’il pense des autres, et pas plus de ce qu’il pense de celle ou celui pour qui il a voté. Tout vote pour un candidat est assimilé à un vote d’adhésion, alors que ce vote peut être un vote « contre » un autre candidat, un vote par défaut, ou encore un vote stratégique : on additionne des « voix » qui n’ont rien à voir les unes avec les autres et on en sort un score numérique qui ne traduit rien de la légitimité réelle du candidat. L’électeur est ainsi souvent contraint à voter « utile » au détriment de ses opinions. L’électeur qui n’apprécie aucune candidature ne peut pas l’exprimer dans le cadre du scrutin, et se retrouve contraint au vote blanc (non comptabilisé) ou à l’abstention. Depuis 200 ans, la science démontre que l’on pourrait mieux voter avec des modes de scrutin alternatifs. Le jugement majoritaire, inventé en 2007, en fait partie. Il est le seul à satisfaire un ensemble de propriétés et notamment à résister au vote stratégique.[1] Le paysage politique selon le scrutin uninominal majoritaire Le sondage Opinion Way – Mieux Voter a posé aux interrogés cette première question sur leurs intentions de vote au scrutin uninominal majoritaire : « Si le premier tour de l’élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, pour lequel des candidats suivants y aurait-il le plus de chances que vous votiez ? ». Les résultats sont les suivants : Ces résultats[2] sont similaires à ceux observés par d’autres sondages[3] sur la même période, soit juste après la désignation de Valérie Pécresse lors du congrès du parti Les Républicains, le 5 décembre 2021. Avec 17 % des intentions de vote, celle-ci apparaît en position de se qualifier pour le second tour. Cependant, la proximité de son score avec celui de Marine Le Pen (17 % vs 16 % soit 1 % d’écart, dans la marge d’erreur) implique une grande incertitude sur sa présence au second tour. Le sondage Opinion Way – Mieux Voter confirme aussi la dispersion de l’électorat de gauche et la faiblesse de l’ensemble des candidats de gauche qui totaliseraient seulement 30 % des voix, presque à égalité avec l’extrême droite. Le paysage politique selon le jugement majoritaire Le sondage Opinion Way – Mieux Voter a posé aux interrogés cette deuxième question sur leurs intentions de vote au scrutin par jugement majoritaire : « Pour présider la France, ayant pris tous les éléments en compte, jugez-vous en conscience que ce(tte) candidat(e) serait… ». Les interrogés devaient alors obligatoirement attribuer une mention par candidat, sur l’échelle de mentions suivante : Excellent, Très Bien, Bien, Assez Bien, Passable, Insuffisant, et à Rejeter. Le classement des candidats au jugement majoritaire est le suivant : Les candidats sont classés en fonction de leur mention majoritaire : au moins 50 % de leurs mentions sont plus élevées ou égales, et au moins 50 % sont moins élevées ou égales (c’est la « médiane » de leurs mentions). Si la mention majoritaire d’un candidat est « Bien », alors une majorité des électeurs juge qu’il mérite au moins « Bien » et une majorité juge qu’il mérite au plus « Bien ». Au jugement majoritaire, un seul tour suffit : l’élu est le candidat ayant la meilleure mention majoritaire. Une règle majoritaire simple, issue d’une théorie mathématique, départage les candidats avec les pourcentages en cas d’égalité de mention majoritaire. Les résultats du sondage Opinion Way – Mieux Voter au jugement majoritaire permettent de tirer les conclusions suivantes : Aucun candidat n’est apprécié par une majorité de l’électorat : tous les candidats sont rejetés par au moins 23 % des électeurs et aucun candidat n’est jugé Excellent par plus de 8 % d’entre eux. Aucun candidat n’obtient une mention majoritaire mieux que Passable. Ces appréciations sont rendues invisibles par le scrutin uninominal majoritaire où il est impossible de connaître le sentiment profond des électeurs vis-à-vis de l’offre politique, que seule l’abstention permet de deviner. Plusieurs raisons peuvent expliquer la défiance qui émane du sondage au jugement majoritaire : la campagne électorale démarre et les français ne s’y intéressent pas ou peu ; le mode de scrutin officiel force les candidats à cliver dans leurs propositions et leur discours car ils n’ont besoin que de 20 % des voix pour accéder au second tour et éventuellement, remporter l’élection. Résultat, l’électorat est fortement polarisé : les électeurs de gauche rejettent les candidats de droite et inversement. Au jugement majoritaire, Valérie Pécresse domine assez largement tous les candidats et notamment le Président Emmanuel Macron : la candidate a à la fois plus de mentions positives, et aussi moins de mentions négatives

Par Ridel C., Laraki R.

17 décembre 2021

Quel rôle de l’État pour aligner les entreprises sur les ambitions de neutralité carbone de la France ?

Introduction Les objectifs climat de la France ne seront jamais atteints sans le concours plein et entier du secteur privé. Les entreprises se situent en effet à l’épicentre de la question climatique : non seulement elles génèrent des émissions directes provenant du fonctionnement de leurs propres actifs (bureaux, usines, flottes de véhicules), mais elles endossent aussi une responsabilité plus large en tant que pourvoyeuses de biens et services qui alimentent, modifient ou maintiennent le système socio-technique dont nous dépendons au quotidien sur le territoire national (infrastructures de transport, bâtiments, sources de chauffage, produits d’alimentation, etc.). Par ailleurs, leur dépendance à des chaînes d’approvisionnement et de logistique étrangères a une influence directe sur l’empreinte carbone de la France, qui doit elle aussi être maîtrisée[1]. Certaines entreprises du secteur agricole et forestier sont en outre amenées à jouer le rôle particulier de gérer et développer les puits de carbone, une activité indispensable à l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone nationale. Enfin, elles sont conduites à mettre à profit leurs fortes capacités de financement pour soutenir des projets bas-carbone sur le territoire, dans une logique de contribution financière à l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils organiser l’alignement des entreprises sur les objectifs climat de la France ? Quel système d’indicateurs à surveiller et piloter pourrait être inventé ? Quelles instances doivent être créées par l’État afin de systématiser le contrôle de leur action climat ? Quels modes de réglementation, d’incitation et de coercition sont à encourager pour amener rapidement l’ensemble du secteur privé sur une trajectoire compatible avec l’Accord de Paris ? La présente note cherche premièrement à décrire l’ambition climat de la France (I.1) et à expliciter sa co-dépendance avec la sphère privée (I.2). La seconde partie vise à construire un système de mesure de la contribution des entreprises à la neutralité carbone française (II.1) et à esquisser des pistes pour institutionnaliser un tel système de mesure au niveau national (II.2). Enfin, la troisième partie expose les moyens à disposition de l’État pour inciter, orienter et/ou obliger les entreprises à s’aligner sur l’ambition climat collective, fort du système d’évaluation décrit dans la partie précédente.   I. S’appuyer sur les objectifs climat nationaux pour fixer le cap du secteur privé 1) La Stratégie nationale bas-carbone, une feuille de route ambitieuse Créée en 2015 et révisée en 2019, la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) fixe le cap de l’action climat de la France. Elle vise la neutralité carbone du territoire français d’ici à 2050, en cohérence avec le maintien du réchauffement climatique en dessous des 2°C. Cela signifie concrètement que les émissions nationales devront baisser de 85 % entre 1990 et 2050, et que les puits de carbone nationaux devront doubler sur la même période, afin d’atteindre un point d’équilibre émissions/absorptions en 2050. Trajectoire des émissions et puits de gaz à effet de serre sur le territoire national entre 2005 et 2050 d’après la Stratégie nationale bas carbone. Source : MTE   Les émissions considérées correspondent exclusivement aux émissions générées sur le territoire français. Les émissions importées, telles que les émissions de la production à l’étranger de biens électroniques consommés en France, ne sont pas prises en compte dans la forme actuelle de la SNBC. Chaque secteur d’émissions (transport, bâtiment, agriculture, industrie, industrie de l’énergie, déchets) possède son propre budget carbone, au regard des capacités particulières de chacun à se décarboner. Le secteur des terres (forêts, prairies, sols agricoles) possède quant à lui un budget « négatif » d’émissions, c’est-à-dire une quantité de carbone à séquestrer annuellement sur le territoire de manière à atteindre l’objectif d’absorption en 2050. La SNBC incarne donc une ambition rigoureuse d’un point de vue scientifique sur le cap à fixer pour les émissions du territoire français. Néanmoins, ce cadre n’est pas applicable tel quel aux entreprises, qui dépendent le plus souvent de chaînes d’approvisionnement et de production internationales, tandis que l’objet de la SNBC est uniquement de donner des trajectoires sectorielles de réduction sur le territoire national. Précisons par ailleurs que la SNBC n’est pas contraignante, et n’a qu’une valeur normative et déclarative.   2) Quel est le lien entre les entreprises et la Stratégie nationale bas-carbone ? Pour aligner le secteur privé sur les objectifs nationaux fixés par la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), il est nécessaire d’identifier les entreprises dont il est question. Ne devrait-il s’agir que des entreprises ayant leur siège en France ? D’entreprises ayant une implantation, quelle qu’elle soit, en France ? Ou plus largement, doit-on inclure des entreprises ayant accès au marché français ? Supposons pour simplifier que les émissions d’une entreprise sont constituées de deux « pôles » principaux : les émissions de production, et les émissions de consommation/utilisation en aval par les consommateurs finaux. Quatre grandes configurations se distinguent alors[2] : Cas 1: l’entreprise produit en France et vend en France Cas 2: l’entreprise produit en France et vend à l’international Cas 3: l’entreprise produit à l’international et vend en France Cas 4: l’entreprise produit à l’international et vend à l’international     Schéma des configurations d’entreprises entre lieu de production et lieu de vente   Pour le cas 1, la solution est simple : l’ensemble de l’activité de l’entreprise s’inscrivant au sein du territoire français, l’entreprise est directement concernée par l’ambition de la SNBC. Le cas 2 est un peu plus complexe, car l’entreprise produit en France mais exporte ses produits à l’international. Les émissions de production, qui sont incluses dans l’inventaire national, sont soumises sans ambiguïté aux exigences climat de la France. La question est de savoir si les produits vendus à l’international doivent eux aussi être soumis à la même exigence. Nous proposons que cela soit le cas, et que l’État adopte une approche simple : appliquer l’ambition climatique de la France à ces produits en considérant que l’ambition française est la mieux-disante. Par exemple, si la loi française interdit la vente des véhicules thermiques en 2035, il sera attendu des entreprises produisant ces véhicules sur le territoire national d’appliquer cette interdiction à l’ensemble des pays de vente. L’avantage de la simplicité est

Par Dugast C., Joly A.

28 octobre 2021

Repenser les fondements, le financement et la finalité de la protection sociale, socle républicain de la cohésion sociale

La crise sanitaire a été l’occasion de mesurer l’agilité et la puissance de la protection sociale à la française. L’État a décidé, par l’assurance maladie obligatoire, de prendre en charge les coûts engendrés par la pandémie (hospitalisation, dépistage, vaccination, etc.), ainsi que le financement des téléconsultations pour garantir l’accès aux soins. Outre l’assurance maladie, les complémentaires santé sont intervenues pour accompagner la crise, les populations, notamment les mutuelles. Dans le même temps, par le chômage partiel, la protection sociale a parachevé l’accompagnement des personnes pour les secteurs les plus affectés économiquement compte-tenu des fermetures administratives pour raisons sanitaires (restauration, tourisme, culture, événementiel, etc.). Pour le dire autrement, la protection sociale a été l’un des leviers puissants des mesures d’accompagnement mises en œuvre par la puissance publique et s’est traduite par le fameux « quoiqu’il en coûte » affirmé par le Président de la République dès mars 2020. Pourtant, ce facteur essentiel de redistribution est confronté à une crise de modèle : en plus de souffrir d’une image très dégradée dans l’opinion publique, notre conception actuelle de la protection sociale pourrait ne pas résister à l’épreuve du réchauffement climatique sans une refondation profonde de ses objectifs et de son financement. Repenser notre rapport à la protection sociale pour l’inscrire au cœur de la reconstruction écologique La protection sociale est aujourd’hui un des principaux leviers de redistribution et de cohésion sociale. Pour rappel, en 1985, les dépenses de protection sociale représentaient 26 % du PIB, contre 31 % des dépenses du PIB actuellement. Cela est dû à une augmentation des dépenses de santé, à la technicisation des soins, à l’explosion des pathologies chroniques, mais aussi au vieillissement de la population et à l’élargissement du filet social souhaité par la population. Ce pourcentage augmenterait encore si nous décidions de socialiser les dépenses liées à la prise en charge de la perte d’autonomie chez les personnes âgées. La comparaison des effets de la crise en France par rapport à d’autres pays européens au cours de l’année écoulée a démontré combien il était nécessaire de socialiser cette dépense afin de constituer un amortisseur social en période de crise. Néanmoins, force est de constater que nombre de nos concitoyens n’ont pas une perception positive de cette protection collective. À force de ne pas expliquer, de ne pas démontrer son utilité, s’installe l’idée que la protection sociale est trop coûteuse. On la perçoit comme une charge et non comme un investissement social et solidaire. On ne mesure pas les externalités positives qu’elle constitue au travers de la redistribution induite, notamment par la misère évitée aux plus fragiles. Face à cela, il est nécessaire de remettre le modèle de protection sociale au cœur du débat afin que les assurés sociaux en comprennent les ressorts, le fonctionnement, et perçoivent son caractère redistributif et solidaire. À l’heure où de plus en plus d’acteurs économiques, de femmes et d’hommes engagés, d’ONG, plaident pour que nous révisions notre modèle de production et de consommation afin d’adopter une approche qui soit économiquement plus durable, mais aussi écologiquement et solidairement plus responsable, il est également essentiel de nous interroger sur la manière de financer la protection sociale. Les trente dernières années permettent en effet de constater que les grandes phases de déficit de la sécurité sociale, socle de notre protection sociale, sont essentiellement dues à des chutes massives de la production et au chômage de masse. Ainsi, la hausse massive du chômage au cours de la période 1993 – 1996 a provoqué un déficit de 10 milliards d’euros de l’assurance maladie. La crise financière puis économique de 2008 – 2010 a ensuite entraîné un déficit de 28 milliards d’euros. À son tour, la crise sanitaire de 2020 a provoqué un déficit de la branche maladie de 38 milliards d’euros. Les modalités actuelles de financement induisent des déficits majeurs dès que les recettes diminuent, en raison d’une hausse du chômage et / ou d’une baisse de l’activité économique. Malgré la fiscalisation d’une partie du financement de la protection sociale avec la Contribution sociale généralisée (CSG) ou la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), le financement de la protection sociale demeure très dépendant du PIB. Appuyer notre modèle de production sur une nouvelle définition de la santé, élargie au bien-être Pour engager la transition écologique de notre modèle de production et de consommation sans altérer le niveau de protection sociale, il est nécessaire d’interroger la manière de financer durablement la protection sociale afin de la rendre plus résiliente aux aléas du PIB, et substituer la mesure du progrès à une autre norme : la mesure du progrès intérieur au bien-être (PIBE) qui élargit la notion de santé à l’état de complet bien-être physique, psychique, social et environnemental, pour paraphraser la charte d’Ottawa. Pour cela, il sera nécessaire de s’appuyer sur les indicateurs de bien-être existants, mais également d’en construire de nouveaux. Cette mesure du PIBE pourrait ainsi prendre en compte les externalités positives et négatives induites par un modèle de production. Ainsi, un modèle qui induit des pollutions engendrant des dépenses sanitaires et sociales devra être appréhendé d’une manière moins positive qu’un modèle qui améliorerait au contraire le bien être, la santé, etc. Or, la mesure actuelle du produit intérieur brut valorise davantage le premier modèle de production, puisqu’elle additionnera à la production initiale les flux économiques liés à la pollution occasionnée. Cette incohérence alimente le hiatus perçu par une partie de la population qui ne se reconnaît plus dans les améliorations revendiquées par les indicateurs macroéconomiques, censés objectiver l’amélioration de leur bien-être et de la richesse nationale. Il faut ainsi ouvrir une grande réflexion sur les indicateurs qui guident l’action publique. La démocratie sociale comme ancrage pour adapter la protection sociale aux risques environnementaux Nos engagements internationaux pris lors de la COP 21 en 2015 afin de réduire la hausse de la température à moins de 1,5°C d’ici la fin du siècle affecteront la croissance économique du pays, et détermineront en particulier le type de croissance que nous adopterons. En parallèle,

Par Chenut É.

13 octobre 2021

Institutions : 10 propositions pour un programme commun

  « C’est alors qu’au milieu de la tourmente nationale et de la guerre étrangère apparut la République ! Elle était la souveraineté du peuple, l’appel de la liberté, l’espérance de la justice. Elle devait rester cela à travers les péripéties agitées de son histoire. Aujourd’hui, autant que jamais, nous voulons qu’elle le demeure. » (Charles de Gaulle, discours du 4 septembre 1958)   « Ne légiférer qu’en tremblant » (Jean Carbonnier) Introduction « La souveraineté du peuple, l’appel de la liberté, l’espérance de la justice » : c’est en ces termes que le général de Gaulle inaugurait la Vè République dans son discours du 4 septembre 1958. Cette promesse d’une République souveraine, libre et juste, érigée sur les ruines d’un régime à bout de souffle, a-t-elle été tenue ? Le cadre de nos institutions le permet-il vraiment ? Et ne vaudrait-il pas mieux, comme certains le préconisent, faire table rase pour inventer une VIè République ? L’idée n’est pas nouvelle : conçue au plus fort de la guerre d’Algérie, ratifiée par les Français dans un référendum s’apparentant à la sauvegarde in extremis de l’ordre républicain autant qu’au plébiscite de l’homme du 18 juin, la Constitution de 1958 a suscité depuis ses origines des interrogations nombreuses et légitimes. Dominée par la volonté de renforcer le pouvoir exécutif et d’assurer, à tout prix, la stabilité des gouvernements, la République gaullienne est ainsi apparue, dès sa naissance, comme un régime de monarchie présidentielle, faisant du Parlement une simple courroie de l’activité législative tout en privant les citoyens de nombreuses garanties. De ces déséquilibres originels, notre régime conserve incontestablement les traces, qui se sont même doublées au fil du temps de défaillances supplémentaires. La transformation du Président en chef de la majorité avec la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, l’érosion du dialogue présidentiel avec la presse, la persistance de son irresponsabilité politique en temps de crise, la disparition du recours au référendum, la succession presqu’ininterrompue des états d’urgence, sont autant d’exemples de cette dégradation. La hausse constante de l’abstention, notamment aux élections législatives, achève le tableau d’un régime rétréci, trop peu en phase avec ce que les citoyens pourraient en espérer. Faisant un tel constat, faudrait-il faire table rase et refonder de fond en comble nos institutions ? À cette question, la présente note propose une réponse négative. Négative, d’abord, parce que la Vè République est désormais solidement ancrée dans la pratique de la politique nationale. Legs d’une figure unique, le général de Gaulle, mais également d’une crise profonde et multiforme liée aux excès du parlementarisme, elle a même acquis au fil du temps un indéniable crédit politique et moral. Malgré de nombreuses critiques, la Vè République est ainsi louée pour sa stabilité, dans un pays longtemps habitué aux crises de régime. Renouvelant en outre le rapport du peuple au chef de l’État, « rationalisant » certaines dérives des régimes précédents, la Constitution actuelle a permis une cohérence dans l’action du pouvoir exécutif qu’il serait coûteux d’abandonner. Sauf à vouloir « réinventer », dans une nouvelle Constitution, les caractéristiques les plus ancrées du régime actuel – mais qui peut garantir que telle serait l’issue, par nature incertaine, d’une assemblée constituante ? –, toute volonté de faire table rase prendrait le risque de réveiller des maux que la Vè République est parvenue à écarter, et dont le profond rejet par la population s’était justement exprimé entre mai et septembre 1958. Négative, encore, car toute révision de la Constitution suppose que la procédure de l’article 89 soit respectée. Rendant peu vraisemblable – sauf événement majeur – la convocation d’une assemblée constituante, cette procédure, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, impose que tout projet de loi constitutionnelle soit approuvé dans les mêmes termes par les deux assemblées. En d’autres termes, l’avenir de toute révision dépend inévitablement de l’accord du Sénat, et pour cela, de l’assentiment du centre et d’une partie de la droite. Cette exigence d’un large consensus, pour modifier notre loi fondamentale, n’est-elle pas d’ailleurs pleinement justifiée ? Qu’il nous suffise, à cet égard, de relire François Mitterrand : « Les membres de la plus modeste association de pêche ou de pétanque savent qu’on ne modifie pas les statuts d’une société aussi facilement qu’un règlement intérieur. Si la révision des statuts d’un groupement sportif requiert une procédure lente et solennelle, ne convient-il pas de protéger, avec un soin au moins égal, la Constitution d’un pays ? Tel est l’objet de l’article 89 […] »[1]. Une voie alternative pourrait alors consister, au lendemain de l’élection présidentielle, à invoquer l’article 11, qui permet au chef de l’État de soumettre au référendum « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics » sans en passer par le vote des assemblées. Une telle option serait toutefois très incertaine, cet article n’ayant pas vocation à s’appliquer en cas de révision de la Constitution. Certes, c’est par cette procédure que le général de Gaulle soumit ses projets de révision, en 1962 et 1969, au suffrage populaire. Mais le Conseil, présidé par les gaullistes historiques Léon Noël et Gaston Palewski, n’avait encore qu’une légitimité précaire[2]. La situation est aujourd’hui bien différente : depuis sa célèbre décision Hauchemaille du 25 juillet 2000, le Conseil se reconnaît compétent pour contrôler la constitutionnalité du décret de convocation de tout référendum. Dans l’hypothèse où, désormais, le Président de la République ferait usage de l’article 11 pour réviser la Constitution, l’opposition du Conseil constitutionnel serait, sinon certaine, du moins hautement probable. La réussite d’une telle révision serait alors soumise à un fort aléa. Gardant à l’esprit les exigences de l’article 89, la présente note, qui fait écho aux « 50 propositions » de Benjamin Morel[3], entend s’écarter de la perspective d’une VIè République pour esquisser les grandes orientations d’une révision ambitieuse mais s’inscrivant dans la continuité des institutions existantes, et qui pourrait ainsi recueillir un véritable soutien transpartisan. Une telle réforme conserverait les principaux acquis de la Vè République, pouvant se résumer à quatre piliers : le parlementarisme rationalisé ; l’élection du Président de la République au suffrage universel direct ; la double modalité d’expression de la souveraineté, par la représentation et le référendum ; la division verticale du pouvoir entre le Président et

Par Stoleru D., Expert F.

25 août 2021

Les régionales et les partis politiques Analyse des rapports de force partisanes pour les régionales dans une perspective des présidentielles en 2022

La présente note vise à analyser les enjeux des régionales en 2021 ainsi que les alliances et les positionnements des différentes forces politiques s’y présentant avant de présenter des pronostics de résultats. Elle analysera tout aussi bien les têtes de listes que le périmètre des alliances politiques afin de voir ce que les régionales peuvent nous apprendre de la structuration de l’espace politique français. Ce scrutin est nationalisé à la fois du fait du scrutin de liste et de sa proximité avec l’élection présidentielle. Il posera notamment la question de la montée du RN et de la persistance ou non du Front républicain face à celui-ci. Cependant, l’émergence de LREM et le déclin du PS et de LR au niveau national couplé à leur résistance locale entraîne un désalignement des comportements électoraux nationaux et locaux dans le cas de LREM avec une prime aux sortants LR et PS bien implantés. Introduction Le 20 et 27 juin 2021, les élections régionales se tiendront de manière concomitante avec les départementales. Bien que les élections régionales ne prédisent pas les résultats de l’élection présidentielle, elles présentent plusieurs enjeux pour les partis politiques. Les résultats offrent une photographie des forces partisanes à l’entrée de la campagne présidentielle. Dans un contexte où la présidentielle se tient en 2022, soit moins d’un an après les élections régionales, ces élections ont donc une grande importance pour les partis politiques. En effet, dans un système au scrutin majoritaire à deux tours, le but pour une force politique qui cherche à conquérir et à exercer le pouvoir est d’arriver au second tour. La dernière élection apporte une indication plus précieuse que les sondages pour les stratégies d’alliance qui ont pour but d’accéder au second tour. Enfin, les alliances régionales permettront de voir comment les partis politiques se situent par rapport à leurs adversaires, aux concurrents avec qui ils peuvent fusionner et avec quels autres partis ils s’allient. Les enjeux des élections régionales Un rapprochement des élections régionales et de la présidentielle lié à la crise sanitaire de la covid-19 Depuis plus d’un an désormais, la crise de la covid-19 bouscule la vie démocratique française. Les élections n’y échappent pas. Initialement prévues en mars 2021, les élections régionales ont été déplacées à juin 2021. Cette situation unique conduit à un rapprochement des élections régionales de juin 2021 avec l’élection présidentielle qui aura lieu en avril 2022. Or, l’élection présidentielle sous la Vème République demeure l’élection nationale phare de la démocratie française, celle qui mobilise le plus les électeurs, suscite le plus l’engouement de l’opinion et concentre l’attention médiatique et politique. Elle constitue la clé de voûte politique pour les partis qui aspirent à gouverner d’autant qu’elle précède les législatives. À ce titre, la tenue des régionales moins d’un an avant l’élection présidentielle cristallise le paysage politique, mettant en exergue les forces et les faiblesses des organisations politiques. Les résultats des élections régionales pourraient indiquer un changement du rapport de force politique quelques mois avant le scrutin de 2022, sans pour autant être interprétés comme prédictifs de la présidentielle. En effet, l’inertie au niveau local du Parti Socialiste (PS) et des Républicains (LR) ne reflète pas leur étiolement national. Ces scrutins se placent, malgré tout, dans une perspective de « galop d’essai » pour les partis politiques et les candidats têtes de liste. Ils jouent le rôle des sondages d’opinion en amont de la présidentielle, c’est-à-dire de mesurer la popularité d’un parti et de ses candidats et d’effectuer une présélection des candidats à la présidentielle en comparant leur capital politique dans l’opinion. Certains candidats ne s’y trompent pas et voient dans ces élections régionales un tremplin vers la présidentielle. Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez font de leur élection à la tête de leur région respective une condition sine qua non de leur candidature à la présidentielle. Les élections régionales sont ici envisagées comme une première étape d’une candidature à droite, remplaçant une primaire de la droite dont le résultat a été négatif et permettant de trancher entre des candidats. Les enjeux que revêtent les élections régionales s’accentuent du fait que le paysage politique français actuel est encore en pleine recomposition depuis l’élection présidentielle de 2017. Les enjeux nationaux des élections régionales apparaissent d’autant plus saillants pour les organisations et partis politiques qui cherchent à consolider et étendre leur espace politique. Les alliances entre partis au premier tour et surtout au second tour se font, en fonction des contextes partisans et électoraux locaux, et contribuent à dessiner les espaces politiques. Une nationalisation des enjeux du scrutin L’inscription des élections régionales dans la perspective de la présidentielle liée au rapprochement des deux élections dont nous avons parlé, accentue la nationalisation des enjeux des élections régionales pour les partis. La nationalisation de ces élections a toujours été présente au regard du mode de scrutin qui ne favorise pas l’implantation des candidats et la lisibilité des enjeux locaux. Elle était déjà à l’œuvre avec la réduction du nombre de régions à 13 en 2014, regroupant des anciennes régions et créant, ainsi, des vastes territoires plus ou moins homogènes. D’un espace politique relégué derrière le national et les municipalités, les régions ont gagné en prestige et sont devenues des duchés locaux avec des présidents de régions puissants. Cette montée en puissance de l’échelon régional coïncide également avec l’accentuation de la compétition électorale puis l’accès à la présidence par des figures de stature nationale. Les élections régionales voient s’affronter des personnalités de poids comme des anciens candidats à la présidentielle, des anciens ministres ou encore en exercice, ainsi que des chefs ou des cadres de partis. Les présidents de région bénéficient d’un ancrage local tout en ayant des compétences sur un vaste territoire, ce qui leur permet de discuter avec l’exécutif. Le local tutoie le national tant en termes d’attention médiatique que de symbolique. Ce renforcement des régions suscite un engouement de figures partisanes qui aspirent à évoluer sur la scène nationale. Par ailleurs, les thématiques abordées dans la campagne électorale confirment cette dimension

Par Magat A., Herbet A.

16 juin 2021

Pour une nouvelle politique carcérale, humaine et efficace

Pourquoi défendre une réduction du recours à la prison dans l’univers judiciaire ? Probablement parce que l’enfermement touche à la valeur la plus fondamentale et sensible de toutes : la liberté individuelle. Dès lors que l’on considère l’autre comme égal à soi, le fait que la privation de liberté soit l’une des premières réponses de la justice pénale face à la délinquance a quelque chose de révoltant. Cette idée inspira notamment à Albert Camus une phrase restée célèbre : « une société se juge à l’état de ses prisons ».

Par Klotz P.

5 mai 2021

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