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Rechercher la bonne densité en ville par la protection du patrimoine bâti et paysager

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Rechercher la bonne densité en ville par la protection du patrimoine bâti et paysager

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En matière d’aménagement urbain et de besoin en logement, le choix entre l’étalement de la ville dans les zones rurales et la densification des espaces déjà urbanisés est souvent présenté comme une alternative inévitable. Pour stopper l’artificialisation des sols, il faudrait nécessairement « faire la ville sur elle-même » en surélevant le bâti existant, en comblant les dents creuses, voire en démolissant pour reconstruire à plus grande hauteur. Mais ces solutions ne s’attaquent pas aux causes du phénomène : est-il besoin de construire toujours plus en masse au regard du taux élevé de logements vacants et de sa répartition géographique ? Nous faisons face, pour reprendre les termes du sociologue Yankel Fijalkow, à une « crise de répartition » et non à une « crise de pénurie ».

Outre les dommages environnementaux inhérents à la construction à grande échelle par une consommation excessive de ressources naturelles, la surdensification des centres détériore le bien-être de ses habitants et fragilise la préservation du patrimoine architectural et paysager. Elle altère la conception française du patrimoine bâti, fondée non sur la protection individuelle d’un monument classé ou inscrit, mais sur la cohérence d’ensemble du site dans lequel il s’insère : « un chef d’œuvre isolé risque d’être un chef d’œuvre mort » déclara André Malraux à l’Assemblée nationale en 1962.

En complément du zonage des espaces ruraux pour freiner l’urbanisation et préserver les ressources naturelles, la recherche de la bonne densité en ville réhabilite la méthode du « curetage d’îlot » pratiquée par l’architecte Albert Laprade : elle consiste à rénover le bâti ancien au lieu de le démolir, améliorer son hygiène et son confort tout en préservant son intégrité architecturale.

I – Densifier les centres pour mettre un terme à l’artificialisation des sols : une fausse alternative ?

  • 1 – Les conséquences environnementales et sociales de l’artificialisation des sols

Depuis la fin des années 2010, la notion d’« artificialisation des sols » s’est imposée à l’agenda politique et médiatique pour décrire la dynamique d’urbanisation des espaces ruraux (principalement agricoles) en bordure des villes. Sur le plan technique, l’« artificialisation » consiste à imperméabiliser des sols naturels par une opération d’aménagement bâti, viaire ou équipementier : zones commerciales dotés de parkings, routes, lotissements pavillonnaires, etc[1]. Bien qu’un certain flou entoure encore sa définition (l’urbanisation résidentielle implique souvent une part de renaturation des parcelles loties grâce aux jardins privés), le Ministère de la transition écologique estime qu’entre 20 000 et 40 000 hectares sont artificialisés chaque année en France[2]. Les évaluations renvoient notamment aux données de la base Teruti-Lucas, faisant dire à certains observateurs que l’artificialisation engloutit l’équivalent d’un département français tous les dix ans[3].

L’artificialisation des sols est aujourd’hui vertement critiquée non seulement pour la perte de biodiversité qu’elle implique en rompant les continuités écologiques des milieux naturels, mais aussi pour l’uniformisation supposée des paysages et le caractère insoutenable des modes de vie périurbains, fondés sur la faible densité de l’habitat et la rareté d’implantation des petites infrastructures commerciales de proximité accessibles sans véhicule automobile. En motorisant l’accès aux équipements sur le territoire, le zonage périurbain augmente l’empreinte carbone. Comme la sociologie urbaine d’après-guerre, l’essayiste américain Lewis Mumford dénonçait déjà dans The City in history (1961) la désintégration individualiste provoquée par le lotissement en maisons individuelles, selon lui incapable de recréer les conditions spatiales de la vie en commun associée aux tissus urbains et ruraux anciens. C’est un enjeu aux implications à la fois sociales, environnementales et paysagères. Mais aujourd’hui, le problème n’est plus tant l’existence d’un habitat et d’un mode de vie périurbains – une réalité irrémédiable – que la poursuite d’un aménagement fondé sur des modèles résidentiels et commerciaux trop peu denses. C’est ainsi que la notion de densité s’invite en creux dans le débat sur l’artificialisation, car la dispersion spatiale de l’habitat est inhérente à la dynamique de l’étalement périurbain. La densification des centres urbains existants est-elle en miroir son contre-modèle écologique ?

  • 2 – La densification comme contre-modèle de l’artificialisation

Depuis les années 2000, les pouvoirs publics tentent d’enrayer le phénomène des extensions urbaines, avec un résultat mitigé. Promulguée le 22 août 2021, la loi Climat et résilience a institué la lutte contre l’artificialisation des sols par le mécanisme du Zéro artificialisation nette (ZAN), qui vise la « renaturation » (c’est-à-dire la reconquête d’un milieu naturel sur une surface donnée) de zones dont la superficie est équivalente aux espaces soumis à une future urbanisation. Bien qu’il soit trop tôt pour en dresser le premier bilan, cette mesure corrective semble faire un pas en avant, même si elle ne consiste pas à élaborer de véritables schémas nationaux et régionaux d’occupation des sols (comme les périmètres d’inconstructibilité décrétés dans les parcs naturels). Néanmoins, le ZAN consacre la prise de conscience par les pouvoirs publics de la crise environnementale déclenchée par l’étalement urbain et la nécessité d’une relocalisation économique et résidentielle dans les centralités urbaines existantes.

Aujourd’hui, un nombre croissant d’architectes, d’urbanistes ou d’universitaires défendent à l’inverse la densification des villes comme contre-modèle écologique à l’artificialisation des sols : il faudrait « faire la ville sur la ville », voire préférer la verticalité à l’horizontalité pour mettre un terme à la périurbanisation. Les organismes d’État s’en sont fait une courroie de transmission privilégiée, comme l’Agence de la transition écologique (ex-ADEME) qui y a consacré un de ses Cahiers techniques pour l’approche environnementale de la ville en 2015[4]. En somme, il ne s’agit pas seulement de réoccuper des bâtiments désaffectés, mais aussi de surélever le bâti ancien, remplir les dents creuses (espace vide entre deux parcelles bâties), voire démolir de l’habitat à faible hauteur pour reconstruire à plus grande hauteur sur une même parcelle.

Or l’idée de construire la ville sur elle-même pour résoudre le mal-logement des Français et résorber l’étalement périurbain engage trois grandes difficultés. En premier lieu, les centres-villes denses de plus de 5000 habitants/km2 courent un risque de surdensification qui dégrade significativement le bien-être de ses résidents (assombrissement des cours et des intérieurs, promiscuité, bruit, vis-à-vis), jusqu’à détériorer l’hygiène en créant des problèmes de circulation de l’air, de la pollution voire des pathologies dans le bâti. En second lieu, la construction peut conduire à faire l’impasse sur l’attribution au préalable des logements vacants et la réhabilitation d’anciens bureaux : faire l’économie d’une réflexion sur l’occupation du bâti existant renvoie finalement à l’impensé de la protection patrimoniale des paysages urbains, laquelle contredit l’impératif de fabrication de la ville sur elle-même dans la mesure où la législation française des monuments historiques, au gré des lois de 1930, 1942 (confirmée à la libération) puis 1962, implique la préservation d’ensembles bâtis et paysagers et non de monuments isolés ou de quelques façades seules.

La densification des centres est-elle vraiment la solution pour pallier l’arrêt de l’artificialisation, et l’opposition entre urbanisation des zones rurales et « ville sur la ville » constitue-t-elle une alternative insoluble ? N’existe-t-il pourtant pas un moyen d’éviter ce double écueil en démontrant qu’il y a là un faux dilemme qui ferait du patrimoine bâti et paysager la victime collatérale ?

II – L’impensé spatial de la construction de logements face à la vacance et ses conséquences sur la densité des villes

  • 1 – Construire toujours plus pour résoudre le mal-logement : une illusion ?

Le passage d’une croissance horizontale des villes par l’urbanisation des campagnes à une croissance verticale par la surélévation des bâtiments, voire la construction de tours procède d’un présupposé qu’il faut remettre en cause : la nécessité d’une croissance continue ou linéaire des besoins en logement et en équipement.

Or, comme l’a expliqué le sociologue Yankel Fijalkow dans The conversation, la France contemporaine fait face à une « crise de répartition » et non à une « crise de pénurie » des besoins en logement[5]. Les destructions de la seconde guerre mondiale et le boom démographique d’après-guerre avaient déclenché une pénurie telle que l’État dût conduire une politique de reconstruction des villes sinistrées (1948-1962) puis de construction en masse à partir du Plan Courant-Lemaire (1953). Or les politiques du logement contemporaines reconduisent l’idée qu’il faudrait, comme durant l’après-guerre, amplifier la cadence de construction pour répondre au besoin de sortir du mal-logement. Dans la droite ligne de cette vision, la loi Elan (2018) a prétendu instituer un « choc de l’offre » visant à « construire plus, mieux et moins cher » en déréglementant certaines protections environnementales et patrimoniales au nom de l’urgence à mieux loger. En retirant l’avis conforme de l’Architecte des Bâtiments de France sur la démolition de l’habitat déclaré en péril, loi Elan favorise la « démolition-reconstruction » alors qu’il s’agit de valoriser la restauration de l’existant : à Foix (Ariège), la mairie a décidé la démolition de quatre bâtisses en centre-ville, dont un moulin du 17e siècle, un hôtel particulier du 18e siècle et une maison dont les soubassements remontent au 14e siècle[6]. La loi risque ainsi d’encourager le phénomène de bruxellisation, par lequel une municipalité peut laisser volontairement pourrir le bâti ancien et le démolir sans l’avoir entretenu préventivement.

L’échec de la loi Elan est par ailleurs cuisant : non seulement la baisse concomitante des dotations locatives comme les APL a fait baisser de 8,6% la délivrance de permis de construire en 2019, mais surtout la loi ne semble pas en mesure d’enrayer à grande échelle le mal-logement, qui touche encore aujourd’hui 4 millions de français. Le choc de l’offre ou de la demande est une illusion solidement ancrée dans les imaginaires des politiques du logement : comme le souligne encore Fijalkow, la massification de la construction reste soutenue par les politiques publiques, le BTP, les acteurs privés de l’immobilier et les bailleurs sociaux.

  • 2 – Réduire la part des logements vacants pour harmoniser la distribution des densités urbaines sur tout le territoire français.

À l’inverse, nous devons affronter la « crise de répartition » que représente le nombre élevé de logements vacants et de surfaces de bureaux à reconvertir sur l’ensemble du territoire français. La vacance concerne typiquement les logements en attente d’occupation par la vente ou la location (que le futur occupant soit désigné ou non), sans affectation par son propriétaire, ou encore dans le processus d’une indivision de patrimoine immobilier[7]. Les résidences secondaires ne sont pas considérées comme des logements vacants. Si l’INSEE estime que la France en comptait 3 116 000 en 2020 — soit 8% du parc total[8], la vacance de longue durée (habitat vétuste ou non occupé depuis plus de deux ans) représenterait 1 million de logements environ selon les données 2019 de la base LOVAC du Cerema[9]. Organisme rattaché à l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), l’Observatoire des territoires[10] a calculé au 1er janvier 2020 le taux de vacance (c’est-à-dire la part de logements vacants dans l’ensemble du parc français) par découpage territorial jusqu’à l’échelle de la commune. Selon ses travaux[11], la vacance connaît à l’échelle nationale et régionale des taux élevés dans les centres des villes moyennes et petites qui ne sont pas intégrées à un pôle métropolitain, ainsi que dans un ensemble de zones rurales qui correspond à l’ancienne « diagonale du vide », selon une étendue partant du Massif central qui pousse vers la Bourgogne, la Champagne et la Lorraine au nord-est, la zone de contact entre l’ancien Maine et la Normandie au nord-ouest, et enfin vers le sud-ouest, jusqu’au département du Gers. Par exemple, la commune de Bourges (Cher) comprenait en 2018 13,7% de logements vacants, tandis que la couronne périurbaine affichait des taux inférieurs à la moyenne nationale, comme à Fussy (4,1%) soumise à l’urbanisation en lotissements de maisons individuelles. En revanche, l’arrière-pays solognot, caractérisé par un milieu sylvestre et un éloignement des grands centres urbains, connaît des vacances élevées, jusqu’à 18,4% à Ennordres. A l’échelle locale, on observe de façon quasi systématique un taux de vacance plus élevé dans les centres-villes que dans les périphéries, y compris dans les métropoles : en 2018, Rouen comptait 10,7% de logements vacants contre 3,5% à Boos, une commune fortement périurbanisée en maisons individuelles et polarisée par la capitale normande, illustrant l’attrait du modèle pavillonnaire périurbain aux yeux d’une majorité de français.

Face à la déshérence des villes petites et moyennes et de leurs hinterlands ruraux, souvent accompagnée par une activité économique fragilisée et un faible taux d’emploi, il est primordial de rééquilibrer le peuplement du territoire national de concert avec une politique de démétropolisation des activités et des équipements des grandes métropoles vers les villes moyennes et petites pour harmoniser les croissances économiques territoriales. La politique de répartition consisterait alors en une géographie volontaire de l’habitat qui soit « anti-métropolitaine » au niveau national et régional en desserrant Paris et quelques grandes métropoles régionales, mais « pro-urbaine » au niveau local par la réaffectation des logements vacants en centres-villes pour contrer l’attractivité résidentielle des périphéries. L’affectation préalable des logements vacants met ainsi un terme à trop d’étalement urbain sans densifier les centres par la construction. La lutte contre la vacance devient une politique d’aménagement du territoire qui accompagne la démétropolisation en équilibrant la répartition spatiale du peuplement dans un maillage réticulaire de petites centralités urbaines existantes, y compris jusque dans les cœurs des bourgs ruraux : c’est pourquoi ce sont d’abord les logements vacants en centre-ville et non en périphérie qu’il faut attribuer d’urgence à de nouveaux résidents.

Cette répartition harmonieuse des établissements humains dans l’espace renvoie à la recherche de la bonne densité et de la taille optimale des villes, un enjeu cher au courant anglo-saxon de l’« urbanisme humaniste », relayé durant l’après-guerre en France par le géographe Jean-François Gravier et l’architecte-urbaniste Gaston Bardet. Tenant d’un « urbanisme culturaliste », ce dernier envisageait une taille optimale de 10 000 habitants pour les petites villes[12], là où Ebenezer Howard en prévoyait 30 000 par ville-satellite, supposant dans les deux cas la redistribution spatiale des flux démographiques plutôt que leur concentration. Ce modèle ne doit pas être mis en œuvre par une planification rigoureuse, mais il doit fournir l’exemple d’une vue d’ensemble du territoire qui fonctionne sur le principe des vases communicants, énonçant que l’on ne peut densifier à saturation une ville quand une autre souffre d’une vacance élevée.

À cet égard, la politique de densification du tissu bâti engagé par la mairie de Paris dans son périmètre communal fait fausse route : dans son projet d’aménagement et de développement durable (PADD)[13] récemment annoncé, la municipalité parisienne prétend concilier deux objectifs contradictoires en souhaitant verdir et densifier à la fois (avec 20 000 habitants par km2, Paris est la ville la plus dense d’Eu e densité aussi forte dans une ville aussi attractive sur le plan économique porte à saturation la présence des équipements commerciaux, culturels, universitaires, les transports et les infrastructures publiques nécessaires aux habitants alors qu’à deux cents kilomètres de la capitale s’étiolent de la Champagne à la Lorraine des villes désindustrialisées comme Sainte-Menehould, dont le taux de logements vacants atteignait les 18,4% en 2018. Les erreurs de l’urbanisme parisien tiennent à une régression dans la gouvernance de l’aménagement régional : alors que le Plan Prost (1931) puis le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région de Paris (SDAURP, 1965) avaient institué une croissance urbaine à l’échelle francilienne, le retour à une échelle municipale est fondamentalement inadaptée à la recherche d’une densité optimale des villes dans un contexte où celles-ci se sont étendues dans les campagnes et se sont fortement métropolisées, débordant les frontières municipales traditionnelles. À l’inverse, la méthode de l’urbanisme régional élaborée par l’urbaniste écossais Patrick Geddes et reprise par la Regional Planning Association of America (RPAA) et le Town and Country planning de Sir Roger Abercrombie au Royaume-Uni permet de dédensifier les centres sans diffuser la ville dans les espaces ruraux.

  • 3 – Le traumatisme et de l’approche quantitative du logement.

Il ne s’agit pas d’arrêter la construction, mais de la modérer en répondant aux besoins réels d’augmentation du volume de logements sur le long-terme car l’affectation des logements vacants ne sera pas suffisante pour répondre à ce défi. Les études de prospective démographique démontrent qu’il est peu probable que la France connaisse dans les années et décennies à venir un boom démographique similaire aux Trente glorieuses, même si le progrès technique et la politique socio-économique d’un État constituent deux facteurs qui peuvent renverser la tendance selon les orientations que les gouvernements futurs leur donneront. La baisse du taux de fécondité constatée depuis 2014, l’augmentation du taux de mortalité depuis 2012, l’angoisse climatique et les restrictions liées à la transition environnementale, les politiques néolibérales qui dégradent les conditions de vie et de travail (et qui provoqueront peut-être l’augmentation des maladies cardio-vasculaires des jeunes générations parvenues à l’âge de la retraite dans plusieurs décennies) constituent les indices d’une baisse du niveau de vie qui pourrait conforter la variante basse du scénario démographique à horizon 2070 de l’INSEE dans le sens d’un accroissement faible, voire nul de la population française[14]. Même le scénario central de la projection à horizon 2070 ne va pas dans le sens d’un boom démographique. Ce dernier envisage un gain de 11 millions d’habitants entre 2013 et 2070 (en maintenant le même taux de mortalité et de natalité qu’au début des années 2010, ainsi qu’un solde migratoire de 70 000 nouveaux habitants par an). Cette augmentation de 16,3% équivaut à une augmentation de 0,2% de la population chaque année.

Si les politiques de logement voulaient atteindre un seuil maximal de 400 000 logements construits par an (à titre de comparaison, 550 000 logements ont été construits en 1970), cela représenterait un taux d’augmentation de 1,3% par an du stock total par rapport au 30 millions de résidences principales que la France comporte : en y ajoutant le nombre de logements vacants, on voit que le « choc de l’offre » des politiques de logement dépasserait largement les besoins réels et favoriseraient l’intérêt particulier des constructeurs, promoteurs et bailleurs à l’insatiable appétit de construction.

Outre le risque d’une crise de surproduction, la construction de masse contredit l’impératif de sobriété écologique visant à moins extraire et transformer les matières premières, démontrant en creux le caractère vertueux d’une mesure visant l’attribution préalable des logements vacants plutôt que d’atteindre un objectif purement quantitatif sans justification démographique. L’historien Stéphane Gaessler a montré dans une note sur l’industrie du béton pour le Groupe d’aménagement volontaire[15] que l’empreinte carbone n’est pas tant liée aux caractéristiques techniques de chaque matériau qu’aux quantités dans lesquelles il est extrait, prélevé ou transformé. Se passer du béton pour adopter le bois stoppera l’extraction problématique de sable pour industrialiser les forêts en les soumettant à la coupe rase, à la perte de biodiversité et à l’altération des paysages culturels. Il ne faut pas adopter massivement les « matériaux biosourcés », mais modérer la construction sur le plan quantitatif pour favoriser une variété de matériaux locaux disponibles à proximité des sites de construction, appuyée sur des filières traditionnelles et nouvelles : béton décarboné, pierre, brique, terre, bois, etc.

En filigrane, l’illusion des politiques publiques à maintenir l’injonction contradictoire de construire « plus et mieux » à la fois renvoie à l’échec de la politique de construction des Grands ensembles dont visiblement aucun enseignement n’a été tiré, malgré le traumatisme qu’il a laissé chez les administrateurs, les intellectuels et une partie des classes populaires qui se sont massivement tournés vers la maison individuelle dans les années 1970. L’adoption et la généralisation des brevets de préfabrication lourde pour le secteur du bâtiment en 1955 (à partir de l’opération « 4 000 logements de la Région parisienne » par l’usine Camus de Montesson) répondait de l’exigence d’accélérer la construction tout en abaissant les coûts et la main-d’œuvre nécessaire[16] ; l’industrialisation s’est accompagnée de la restructuration fordo-étatiste du capitalisme français avec la création des géants du BTP (Bâtiments et travaux publics). Mais ces objectifs quantitatifs, mal nécessaire face à la pénurie de l’époque, ont également conduit à la planification adhoc de grands ensembles d’habitations en barres et tours à la périphérie de la quasi-totalité des villes grandes et moyennes de France au cours des années 1960. Malgré quelques réalisations exemplaires comme Meudon-la-Forêt par l’architecte Fernand Pouillon (1959-1961 pour la première tranche, labélisée patrimoine du 20e siècle), les Grands ensembles sont largement critiqués pour l’uniformisation des paysages, la piètre qualité d’exécution et les défaillances d’isolation phonique et thermique. L’histoire enseigne ainsi qu’approche quantitative et démarche qualitative s’excluent mutuellement : la désillusion du mouvement moderne, dont l’idéal social et universel tomba dans les mains du BTP, ne doit pas se répéter par à l’heure de la transition écologique par l’alignement de l’écologie politique sur un programme de « densification-reconstruction » à grande échelle des centres-villes (ressemblant au scénario Technologies vertes de l’étude Transition(s) 2050 de l’ADEME[17]), tendant un piège dans lequel tomberait même le plus honnête militant écologiste. Il devient légitime de se demander si la densification verticale des villes ne satisferait pas d’abord les intérêts du secteur de la construction plutôt que l’intérêt général qui va à la santé des habitants, à l’accès de tous à des espaces publics lumineux, aérés, entretenus et à la préservation du caractère artistique et historique des paysages urbains.

Parce qu’il serait incohérent de reconstruire ou surélever le bâti dans les centres anciens au regard de l’impératif de sobriété, les dispositifs légaux de protection du patrimoine bâti apparaissent en creux comme le moyen juridique le plus efficace pour modérer ou interdire les interventions sur l’existant qui ne présentent pas de caractère de nécessité. Or nous buttons là sur une impasse politique, car le renforcement de la politique patrimoniale à des fins écologiques est devenu un impensé majeur d’une part croissante de la classe politique : ces dispositions sont inexistantes dans les programmes des formations politiques de sensibilité sociale-écologiste. De l’autre côté du spectre politique, les courants conservateurs et réactionnaires défendent généralement le patrimoine, mais ils contredisent ce combat avec une politique économique de laissez-faire et de baisse de la dépense publique absolument incompatible avec la protection du patrimoine. Notion englobant à la fois enjeux sanitaires et enjeux esthétiques, c’est plus généralement la qualité du cadre de vie qui a déserté les imaginaires politiques critiques du libéralisme alors qu’elle fut historiquement un pré-carré idéologique de la gauche, notamment durant l’entre-deux-guerres où le modèle des cités-jardins irriguait le socialisme municipal et les idéaux du mouvement moderne s’incarnaient dans le communisme. Cet oubli révèle en creux une méconnaissance profonde de la législation des monuments historiques dont il importe de rappeler l’histoire et les enjeux, afin de voir en quoi elle constitue l’outil fondamental d’une densité et d’un cadre de vie harmonieux en ville.

III – La conception française du patrimoine bâti et paysager

  • 1 – Définition et histoire des monuments historiques

 Le patrimoine culturel désigne l’ensemble des biens mobiliers et immobiliers qui présentent une valeur historique ou artistique pouvant faire l’objet d’une reconnaissance institutionnelle, et bénéficier ultérieurement d’un cadre juridique de protection de son état existant. Cette définition large inclut les œuvres d’art, les objets mobiliers, le patrimoine architectural et monumental — avec les arts monumentaux comme le vitrail ou la sculpture, et enfin les infrastructures et les paysages (au sens de la perception « artialisé » de l’espace géographique issue de la Renaissance italienne).

La notion de patrimoine s’impose lors de la Révolution française, même si son origine est plus ancienne. Elle est consubstantielle à l’idée de nation et de contrat social car elle repose sur le caractère public et institutionnel de l’intérêt porté sur un ensemble d’œuvres artistiques et architecturales dignes d’être préservées face aux menaces de destruction, aboutissant à la création du Musée des monuments français par Alexandre Lenoir en 1795. Concept de nature politique et juridique, le modèle français du patrimoine est historiquement marqué par une élaboration fortement jacobine dès la création de l’Inspection générale des monuments historiques en 1830 — un savoureux paradoxe quand on sait que la protection du patrimoine résulte d’une réaction face au vandalisme révolutionnaire tout en héritant des instruments juridiques issus de la vente des biens nationaux. Pour l’historien d’art André Chastel, le patrimoine est français quand bien même un art est normand ou champenois.

Mais avant de considérer la protection du patrimoine culturel au sens large, c’est d’abord le patrimoine monumental, propriété de l’État ou des communes, qui bénéficie de la première initiative de classement en 1840, essentiellement des édifices gothiques dont on redécouvre les principes architecturaux. Le classement de biens privés à la fin du 19e siècle est une victoire « rousseauiste » pourrait-on dire dans la mesure où l’État peut enfin intervenir sur la protection des monuments au nom de l’intérêt général et public, sans le consentement du propriétaire, accompagnant ainsi la maîtrise progressive du territoire par la République.

Mais qu’est-ce qui justifie une telle restriction par la puissance publique du droit des propriétaires à agir sur l’état existant de leurs biens ? Dans le cas du patrimoine bâti et paysager, c’est en vertu d’un principe simple de philosophie du droit : quand bien même l’habitant jouit de la propriété du bien immobilier dans lequel il réside, la vue extérieure sur sa façade appartient à tout le monde puisqu’elle donne sur l’espace public. La patrimonialisation n’ouvre pas de droit d’usage sur l’espace public comme les communs, elle en garantit l’accès universel. La cathédrale Notre-Dame de Paris n’appartient pas (seulement) à la communauté catholique qui en fait un usage liturgique, c’est un bien universel qui appartient à tous les Français ainsi qu’à tous les étrangers qui visitent le monument. Sa valeur en tant que monument n’est pas religieuse, mais historique et artistique, découlant de la vision séculaire et positiviste d’Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879), défenseur toujours mal compris de l’architecture médiévale et fondateur du Musée des monuments français en 1879. La notion de patrimoine désigne en quelque sorte l’épaisseur esthétique et l’incarnation matérielle de la « chose publique » : l’architecture est l’art le plus démocratisé par nature puisqu’elle se donne à voir dans les rues, et non dans les musées.

  • 2 – La notion de patrimoine bâti et paysager

Mais les lois du 19e siècle ne font que protéger des monuments isolés, ce qui n’empêche en rien la transformation des ensembles bâtis et paysagers qui les entourent. Et c’est le 20e siècle qui s’en charge. La loi du 2 mai 1930 institue la catégorie de « site classé et site inscrit », permettant de protéger des ensembles paysagers à valeur naturelle ou pittoresque. Elle est aujourd’hui inscrite dans le code de l’environnement. Mais c’est surtout la loi du 25 février 1943, confirmée à la Libération, qui crée une règle de protection des « abords » dans un rayon de 500 mètres autour du monument classé, présent dans la plupart des villes et des bourgs ruraux de France. Il faut alors une administration pour appliquer ces règles : c’est le corps des Architectes des bâtiments de France (ABF), créé en 1946 avec le statut de fonctionnaire déconcentré dans chaque département. Sa mission consiste à surveiller le bon respect de l’intégrité architecturale et paysagère dans les abords des monuments. Il représente le sommet du jacobinisme et du modèle français de protection qui élargit le champ du patrimoine architectural du monument à l’ensemble bâti et paysager. « Un chef d’œuvre isolé risque d’être un chef d’œuvre mort » déclare André Malraux à l’Assemblée nationale en 1962, pour justifier la loi du 4 octobre de la même année qui institue le secteur sauvegardé en centre-ville (dite loi Malraux), dispositif désignant un périmètre à l’intérieur duquel l’ABF est chargé de mettre en valeur l’aspect historique et esthétique jusqu’aux détails du second œuvre (fenêtres, portes, etc).

Le service des monuments historiques vise désormais la protection d’ensembles urbains qui incluent, au-delà des « monuments remarquables » de l’architecture majeure, le « bâti ancien » : immeubles de rapports parisiens, rangs de maisons dans les centres-bourgs ou encore fermes rurales, et même bâtiments art déco de l’entre-deux-guerres. Cette extension est aussi le souhait d’André Chastel, ami et collaborateur d’André Malraux, qui crée en 1964 l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, visant à « recenser, étudier et faire connaître les éléments du patrimoine qui présentent un intérêt culturel, historique ou scientifique »[18], c’est-à-dire à l’héritage matériel de l’histoire dans sa globalité. L’Inventaire enquête, selon le mot d’André Chastel, le patrimoine « de la cathédrale à la petite cuillère », c’est une institution qui crée d’elle-même la valeur objective de ce qu’elle étudie, un processus inhérent aux méthodes de l’histoire de l’art[19]. Sans portée prescriptive sur le plan juridique, l’Inventaire élargit considérablement l’intérêt public porté à des œuvres méconnues, parfois discréditées, dont la protection peut échapper à la législation existante.

L’avis conforme de l’ABF sur les abords de monuments historiques et les servitudes d’utilité publique présentes dans les secteurs sauvegardés (devenus en 2016 les Sites patrimoniaux remarquables) permettent d’interdire tout projet irrespectueux du cadre bâti et paysager d’un site. Autrement dit, ces dispositifs peuvent empêcher tout projet de densification indésirable d’un centre, voire toute construction nouvelle dans le périmètre désigné. La législation des monuments historiques est aujourd’hui le moyen juridique le plus efficace pour mettre en œuvre le principe de sobriété selon lequel le bâtiment le plus écologique est encore celui que l’on ne construit pas, car toute construction, même si elle emploie des matériaux à faible empreinte carbone, suppose toujours l’usage de ressources naturelles. Par ailleurs, si le secteur du bâtiment est responsable d’un tiers des émissions domestiques de CO₂, c’est en grande partie lié à la construction de zones d’aménagement concertés (ZAC) dans les grandes métropoles et de nouvelles zones commerciales en périphérie, dans des espaces généralement situés en dehors du périmètre où l’ABF dispose d’un droit de veto par l’avis conforme. Il n’existe pas de calcul de l’empreinte carbone de la construction dans les secteurs patrimoniaux pour démontrer qu’elle y est bien plus faible, tout simplement parce qu’aucune étude n’a été menée sur la question. Mais il y a là encore une profonde impasse politique dans la mesure où le formidable pouvoir de l’ABF pour stopper la fièvre constructrice de la promotion immobilière est un impensé des programmes politiques d’obédience progressiste qui n’évoquent jamais son rôle. Il fait même l’objet d’un rejet croissant de la part de tout un segment de la société (propriétaires privés, entreprises immobilières, acteurs administratifs, voire urbanistes), à l’exemple des regrettables conflits avec les bailleurs pour la construction de logements sociaux en ville. Son sort est comparable au préfet : alors que l’ABF était le résultat de l’élaboration jacobine des services de la culture, il est devenu le souffre-douleur de certains élus locaux depuis la décentralisation de l’urbanisme aux municipalités (1982), et plus profondément depuis la montée de l’individualisme et l’émergence du relativisme culturel qui remet en cause l’objectivisme inhérent aux méthodes d’analyse de l’histoire de l’architecture auxquelles l’ABF a recours pour accorder ou non les permis de construire. Si le blocage d’un projet de construction par l’avis conforme est très faible en réalité (1% des dossiers déposés n’aboutissent pas), l’actualité récente est venue illustrer de façon spectaculaire cette répudiation : Caroline Cayeux, maire de Beauvais, a obtenu du ministère de la culture le renvoi de Jean-Lucien Guenoun qui bloquait la démolition-reconstruction d’immeubles en pierre de parement dans la préfecture de l’Oise, car il souhaitait conserver ces ensembles et en rénover de façon respectueuse les façades[20].

Ce rejet s’explique notamment par le fait que la défense de la législation patrimoniale conduit automatiquement à l’adoption de certaines doctrines d’aménagement et à l’abandon d’autres visions de l’urbanisme. Et c’est le cas de la densification verticale. En plus d’être critiquable sur le plan carbone, la fabrication de la ville sur elle-même suppose en fait le démantèlement partiel de la législation française des monuments historiques, dont nous avons vu l’élaboration pluriséculaire et le rôle qu’elle joue dans la définition de l’exception culturelle française comme son rapport à l’identité historique de la France. La densification verticale nie la notion de paysage urbain en tant qu’ensemble cohérent, marqué par les silhouettes urbaines particulières à chaque architecture régionale : hautes toitures d’ardoises dans la vallée de la Loire, faibles pentes et tuiles canal dans le Midi sont différenciables grâce à leur protection d’ensemble par les abords et les sites. La surélévation d’un immeuble peut conduire à perdre ces caractères homogènes, provoquer une rupture d’échelle dans les volumes bâtis, ou encore boucher l’ouverture des points de vue dans le tissu organique du centre-ville. Le comblement des dents creuses par la construction entre deux parcelles bâties peut détériorer l’harmonie architecturale d’une rangée de façades et introduire une typologie hétérogène au regard des caractéristiques parcellaires d’un quartier, typiques d’une région, voire d’un terroir.

Quelle doctrine d’urbanisme et de patrimoine permettrait de protéger les centres anciens tout en les adaptant à un mode de vie non seulement contemporain, mais aussi écologique en réduisant l’empreinte carbone et en assainissant le cadre de vie ?

IV – Le curetage d’îlot, une doctrine d’urbanisme protecteur pour empêcher la surdensification et assainir les villes

  • 1 – La ville moderne face à la ville ancienne.

Fabriquer la ville sur elle-même réactualise un enjeu qui s’est posé dès la fin du 19e siècle : le rapport de la ville moderne à la ville ancienne. Dans un cours public donné en 2010 à la Cité de l’architecture[21], l’historien Alexandre Gady définit la ville ancienne comme un « objet mort qui ne se produit plus de lui-même » depuis la rupture introduite par l’« urbanisme chirurgical »[22] du Baron Haussmann à Paris dès 1853. Le développement des théories modernes de l’urbanisme, qu’il s’agisse du courant « humaniste » de la cité-jardin d’Ebenezer Howard (1898), ou de la ville fonctionnelle promue par Le Corbusier et la Charte d’Athènes (1933)[23], prolonge la rupture définitive avec le mode de production de la ville ancienne, laquelle ne se perpétuera désormais qu’en étant protégée. Toute nouvelle intervention, de la réhabilitation lourde du bâti supprimant le second-œuvre à la démolition pure et simple, y constitue alors une perte irrémédiable. Alexandre Gady emploie l’image de la peau de chagrin pour décrire le destin tragique d’une ville ancienne qui ne cesse de se réduire à portion congrue à mesure que se poursuivent les opérations de reconstruction ou de réaménagement. Nous pouvons étendre cette problématique jusqu’à 1948 (date en-deçà de laquelle le bâti est caractérisé comme ancien) car les couronnes faubouriennes où se situent d’anciens quartiers ouvriers, des architectures régionalistes ou des résidences art déco présentent également un mode d’urbanisation « mort » dans son processus de création comme le dit Gady, et même aux architectures remarquables de l’après-guerre classées, inscrites ou labellisées (Reconstructions, Mission Racine…). La densification verticale accélérerait ce sort tragique car il est difficile et coûteux (ni même souhaitable peut-être) de reproduire parfaitement à l’identique le bâti ancien : les techniques de construction évoluent, tout comme la création architecturale. Plutôt que le pastiche auquel a prétendu le New Urbanism dès les années 1980, fruit du populisme esthétique de la promotion immobilière, c’est d’abord la préservation du patrimoine bâti qui constitue l’opération d’urgence à mener dans le tissu organique de la ville ancienne.

L’architecte autrichien Camillo Sitte (1843-1903) est l’un des premiers théoriciens de l’urbanisme à chercher la conciliation entre une approche artistique de la composition urbaine et l’impératif d’en améliorer les conditions d’hygiène[24]. Dans L’art de bâtir les villes (1889), Sitte rejette les voies en ligne droite et l’isolement des monuments publics au milieu des places au profit d’une conception organique et pittoresque qui s’insère harmonieusement dans l’architecture urbaine de la ville ancienne. Il voit la densification comme un danger qui va à l’encontre de l’assainissement des villes, mais il refuse les transformations brutales et anti-historiques au nom de l’hygiène comme le promouvra une partie du mouvement moderne de l’entre-deux-guerres. Différente d’Haussmann, la vision de Sitte est originale parmi les théories hygiénistes du 19e siècle qui dénoncent la sur-densification des centres : faut-il rappeler que les rues peu lumineuses et étroites, où végétait un bâti ancien à l’état de taudis, provoquaient les tares urbaines qu’étaient la pollution des industries, l’insalubrité de la voirie et les maladies comme la tuberculose.

Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une doctrine patrimoniale, les idées de Sitte irriguent les conceptions de l’architecte et ingénieur italien Gustavo Giovannoni (1873-1947) qui souhaite concilier la restauration de la ville ancienne avec le progrès technico-sanitaire et la modernisation industrielle. Dans L’urbanisme face aux villes anciennes, Giovannoni défend une approche patrimoniale des centres anciens. Il considère que la ville contemporaine lui est incompatible et qu’elle doit se construire autour de la ville ancienne et non dedans, à la façon d’un raccordement et non d’une superposition ou d’un palimpseste contemporain. Il faut donc adopter un modèle de rénovation spécifiquement adapté aux centres qui ne densifie pas le bâti, sans pour autant le dédensifier radicalement par le percement chirurgical de larges voies, une opération à situer à l’extérieur du centre pour faciliter les circulations interurbaines.

  • 2 – Le curetage d’îlot : définition et problèmes

Cette école italienne est importée en France par l’architecte Robert Auzelle (1913-1983) qui a donné naissance au « curetage d’îlot », une notion que nous défendons comme contre-modèle à la « ville sur la ville ». Le curetage d’îlot consiste à mettre un terme à la densification et la concentration des centres en procédant à une restauration globale du bâti à l’échelle non pas de la parcelle lotie, qui tient de l’initiative privée, mais de l’îlot urbain dans son ensemble (les parcelles forment un bloc bâti entouré de voirie). La rénovation par îlot tient de l’initiative publique qu’elle soit municipale, territoriale ou étatique puisqu’elle nécessite d’associer les copropriétés entre elles. Cette maîtrise foncière n’est pas forcément requise dans la fabrication de la ville sur elle-même où une surélévation, voire une démolition-reconstruction peut s’opérer de façon individualiste dans chaque parcelle sans coordination d’ensemble et dans le mépris du paysage urbain qui l’englobe. À l’inverse, le curetage d’îlot proscrit toute surélévation, et pour Robert Auzelle il pouvait même consister à faire baisser d’un étage ou deux un édifice, voire à démolir quelques bâtiments contemporains disgracieux, dysharmoniques et mal implantés pour ouvrir les cœurs d’îlot depuis la rue et créer une circulation de l’air et de la lumière fidèle à l’entreprise de modernisation sanitaire et hygiénique de l’urbanisme humaniste du 20e siècle (aujourd’hui, cette solution ne pourrait être conduite que dans de rares cas puisque l’amélioration considérable de l’équipement sanitaire a quasiment éliminé l’insalubrité dans un contexte de forte densité). Les îlots semi-ouverts constituent par ailleurs une solution systématique de l’architecture urbaine de la première reconstruction (1948-1953) qui puise son origine dans les morphologies en U des Habitations à bon marché de la ceinture parisienne d’entre-deux-guerres. La légère dédensification du curetage d’îlot, qui permet de conserver les caractéristiques du parcellaire ancien tout en créant des formes urbaines ouvertes, visait à créer des surfaces au sol suffisamment vastes pour planter des arbres, voire des jardins. L’intégrité architecturale des façades et du bâti est entièrement préservée, mais les usages sont adaptés à la vie contemporaine et à l’exigence d’un mode de vie sain. Enfin, la voirie et ses équipements publics font l’objet d’un réaménagement complet adapté aux usages modernes (hier la voiture, aujourd’hui les transports publics et le vélo).

Bien connu des ABF qui essaient autant que possible de le pratiquer dans les sites patrimoniaux et les abords des monuments historiques, le curetage d’îlot fut expérimenté par l’architecte Albert Laprade pour rénover l’îlot insalubre n°16 du Marais à Paris. Laprade incarne en France la figure giovannonienne de l’architecte humaniste à la fois artiste, historien et ingénieur : participant aux premiers projets de « New Deal à la française »[25], inspirés de la Tennessee Valley Authority en construisant le barrage de Génissiat de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) entre 1939 et 1941, il est l’auteur malheureux d’un projet de reconstruction régionaliste néo-flamande de Valenciennes dont les esquisses ne verront pas le jour. Enfin, il est un fervent militant du patrimoine grâce aux croquis qu’il réalise pour inventorier les « Architectures de France »[26]. C’est en vertu de ces activités qu’il expérimente le curetage d’îlot pour restaurer 14 hectares dans le IVe arrondissement avec Robert Danis et Michel Roux-Spitz de 1942 à 1965. Victoire de Laprade sur Le Corbusier, le curetage d’îlot du Marais s’oppose à la table rase illustrée par le Plan voisin (1925) qui prétendait traiter l’insalubrité en démolissant pour reconstruire en tours de grande hauteur une partie du centre ancien de la capitale. Paradoxalement, l’attitude corbuséenne, marquée par l’idée de rupture et non d’adaptation, trouve un successeur depuis les années 1980 dans la politique de la ville et l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) qui défendent la démolition-reconstruction systématique des Grands ensembles d’habitation (improprement attribués à Le Corbusier) plutôt qu’une réhabilitation parfois envisageable. À l’inverse, l’approche qualitative du curetage d’îlot doit permettre de sortir du traitement méprisant envers le cadre de vie des classes populaires inhérente à la logique actuelle de production de logement, qu’il s’agisse de leur mauvaise qualité (trop petits, mal éclairés), ou de leur esthétique déplorable (comme les « écoquartiers »). Nous pourrions dire, dans une veine ruskinienne, qu’il s’agit d’opposer au bulldozer et à la pelleteuse de l’ouvrier peu qualifié le travail d’orfèvre de l’artisan spécialisé ou encore, pour reprendre la métaphore médicale de l’urbanisme, remplacer l’ablation chirurgicale par la médecine préventive. À l’inverse, les programmes Action cœur de ville et Petite ville de demain de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) pointent assez timidement dans le juste sens d’une revitalisation des îlots dégradés, si nombreux dans les villes petites et moyennes en stagnation économique éloignées des grandes métropoles. Néanmoins, cette politique de financement allouée par l’ANCT pour redynamiser ces villes bute sur le caractère contractuel des projets, dont le nombre limité n’est guère en mesure de systématiser l’expérience de revitalisation commerciale et patrimoniale qui s’élève au niveau de la législation des monuments historiques forte de ses 45 000 bâtiments et 800 sites.

Deux nuances doivent être apportées aux bienfaits du curetage d’îlot. En premier lieu, il faut reconnaître l’échec historique de nombreuses rénovations urbaines à maintenir les classes populaires dans les quartiers curetés, échec qui n’est pas imputable à la législation patrimoniale en tant que tel, mais à l’absence de contrôle des prix de l’immobilier et de quotas de logements sociaux (avant la loi SRU de 2000) qui ont déclenché un phénomène de gentrification dans les centres-villes. Le cas du curetage de l’îlot insalubre n°16 du Marais nous plonge même dans les abîmes les plus sombres de l’histoire de France, puisque la rénovation a pris place après l’expulsion des juifs en 1942[27]. Toute nouvelle opération de revitalisation urbaine doit veiller à y maintenir les populations modestes et non à les déloger en périphérie.

L’autre nuance concerne la limitation géographique du curetage d’îlot, puisque par définition il ne s’applique pas aux espaces périurbains et au mitage des espaces ruraux. La légère dédensification conséquente au curetage ne doit pas relancer la dynamique de périurbanisation. S’il faut proscrire la densification dans les centres anciens ou reconstruits, mais aussi dans les couronnes faubouriennes de densité moyenne et les banlieues proches, il devient possible de l’autoriser de façon parcimonieuse dans les espaces périurbains très peu denses, les friches non patrimoniales et les zones urbaines en déshérence d’activité. Là encore, il s’agit de procéder par îlot en construisant des résidences en maisons groupées de morphologie dense-horizontale: c’est un modèle d’urbanisme qui associe une maison individuelle spacieuse avec entrée et jardin privé à la mitoyenneté à la façon du tissu organique des cœurs de bourg en habitat groupé. « Préserver les centres, innover à la périphérie »[28] préconisait André Chastel, fidèle à son approche spatiale de l’architecture: l’embellissement est une opération nécessaire dans ces zones qui n’ont pas toujours reçu de soin architectural analogue aux centres anciens. Si l’habitat groupé fait l’objet depuis 20 ans d’un regain d’intérêt des pouvoirs publics, ses modèles architecturaux ne parviennent toujours pas à rompre avec la banalité esthétique, contre laquelle la reconquête d’un caractère désirable devrait conduire à réinventer une architecture régionaliste. Mais cette densification périurbaine ne peut fonctionner que sur le fondement préalable d’un zonage territorial qui sépare espace rural et espace urbain en introduisant de la mixité fonctionnelle et le principe de l’unité d’habitation (neighborhood unit) élaborée par l’urbaniste américain Clarence Perry prescrivant pour les logements un éloignement maximal des équipements de service (5 minutes à pied)[29].

  • 3 – Un curetage d’îlot écologique: la rénovation thermique du bâti ancien

Nous comprenons le caractère écologique des opérations de curetage d’îlot : en évitant la démolition-reconstruction, il réduit l’empreinte carbone du secteur du bâtiment ; en créant des espaces verts, il introduit de la pleine-terre et des arbres permettant de réduire l’effet de chaleur urbaine durant les étés chauds. En revanche, la végétalisation systématique des murs est proscrite pour des raisons esthétiques et techniques: non seulement elle uniformise les paysages urbains en cachant la diversité et la typicité des matériaux régionaux, mais elle risque de créer des pathologies sur les murs et des dégradations liées à l’humidité, car un milieu urbain ne fonctionne pas comme un milieu naturel.

Mais comment soulager la chaleur d’été appelée à s’amplifier sous l’effet du réchauffement climatique pour les décennies à venir, mais aussi pour en finir avec l’inconfort d’hiver liée aux déperditions thermiques ? Nécessité absolue pour décarboner les usages domestiques, l’efficacité énergétique des bâtiments suppose de mettre en œuvre un programme ambitieux de rénovation thermique du bâtiment, permettant ainsi de repenser les visées sanitaires du curetage d’îlot à l’aune des enjeux du 21e siècle. Or, la diversité du bâti ancien, ses particularités architecturales et les caractéristiques techniques des matériaux demandent une intervention adaptée que seuls les architectes du patrimoine sont en mesure de conduire. Sur le plan thermique, le bâti ancien concerne usuellement les constructions qui précèdent 1948 (avènement de la préfabrication). Ses propriétés thermiques diffèrent de la période d’après-guerre (entre 1948 et 1975, date des premières réglementations énergétiques faisant suite au choc pétrolier) et se distinguent par la bonne inertie des murs perspirants, mais une forte humidité et une perméabilité importante. Outre la nécessité de sortir définitivement du chauffage au fioul et au gaz et l’isolation des combles, l’opération la plus délicate concerne l’isolation des murs et le second œuvre (fenêtres, portes, menuiseries, etc) car elle touche à l’intégrité architecturale du bâtiment, et donc à la protection du caractère patrimonial du bâti ancien. Comment améliorer ses performances thermiques, voir le hisser au niveau Bâtiment Basse Consommation (BBC) sans défigurer l’architecture ?

Plusieurs initiatives existent pour résoudre ce dilemme: l’étude Habitat ancien en Alsace[30] portée par la DRAC Grand Est en 2015 envisage différentes méthodes pour la mener à bien tout en préservant la volumétrie d’ensemble et les pans de bois en façade. L’association Effinergie patrimoine a lancé le label « Patrimoine Basse Consommation » en 2019, quand des initiatives locales comme le Parc naturel de la Brenne (Indre) ont lancé des chantiers de restauration patrimoniale visant à rendre le bâti ancien performant. Enfin, c’est surtout le CREBA[31] (Centre de ressource pour la réhabilitation responsable du bâti ancien) qui a mené une série de recherche qui aboutissent à montrer que le remplacement du second œuvre, indissociable de l’esthétique générale d’un bâtiment, se révèle inutile quand les isolations sont réalisées sur certains types de bâtiments qui possèdent une inertie supérieure aux logements en béton préfabriqué d’après-guerre. Dans tous les cas, toute isolation des murs (quand elle est possible) est à conduire par l’intérieur (ITI), avec des matériaux écologiques comme le béton de chanvre, mais jamais à base de matériaux hydrofuges qui risquent de créer des pathologies irréversibles dans le bâti qui ne permettent pas la migration de la vapeur d’eau. Il est important de conserver l’avis conforme de l’ABF dans ces opérations de façon à préserver la cohérence architecturale et paysagère des centres anciens soumis à des opérations de rénovation thermique. Or il existe aujourd’hui une séparation problématique entre les recherches menées au sein du Ministère de la Transition écologique et de l’ADEME et les préoccupations patrimoniales des services du Ministère de la culture, créant une pensée en silo où l’État valorise à son insu des méthodes et des projets contradictoires.

Le curetage d’îlot fait du patrimoine bâti non pas l’unique facteur d’une économie tertiarisée, fondée sur le tourisme et la communication culturelle, mais une ressource technique et culturelle pour instituer un modèle français (ou franco-italien pourrait-on dire) de la transition écologique. Approche de l’« architecture intégrale » chère à Giovannoni, qui intègre les problématiques technico-constructives, patrimoniales, architecturales, urbanistiques et paysagères jusqu’à l’échelle de l’aménagement du territoire, où science et art ne font plus qu’un dans la fidélité à la tradition du rationalisme français.

Propositions

Proposition 1 : Engager une politique nationale d’attribution des logements vacants situés dans les centres des villes petites et moyennes et dans le cœur des bourgs ruraux. Cette mesure ne peut être efficace sans une politique de transfert d’une part modeste des activités économiques des grandes métropoles aux petites villes.

Proposition 2 : Circulaire d’État qui s’oppose à la « ville sur la ville » et à la construction de grande hauteur en ville en réintroduisant le coefficient d’occupation des sols supprimé par la loi ALUR. Faire passer la surface minimum d’un logement en location de 9m2 à 15m2, accompagné d’un encadrement national des loyers et d’une augmentation des aides au logement. 

Proposition 3 : Restaurer le rêve d’André Malraux en créant au moins 200 nouveaux sites patrimoniaux remarquables en centre-ville, en classant et inscrivant 20 000 nouveaux monuments historiques et en restaurant l’avis conforme de l’ABF sur la démolition de l’habitat insalubre en centre-ville.

Proposition 4 : Mettre en œuvre, dans l’ensemble de ces nouveaux abords et sites classés ou inscrits, le principe du curetage d’îlot pour restaurer le bâti, rénover les performances thermiques et planter des arbres en respectant les perspectives urbaines. Ces opérations de revitalisation doivent être alignées sur la législation des monuments historiques, et non uniquement sous la forme d’un contrat de projet comme les programmes de l’ANCT.

Proposition 5 : Créer un schéma national et des schéma régionaux d’occupation des sols pilotés par le Commissariat au Plan (doté d’une administration fusionnée avec France Stratégie) en partenariat avec les DRAC, les DREAL et les UDAP. Son but est de délimiter espaces ruraux et espaces urbains pour autoriser des densifications par îlot dans les espaces déjà urbanisés et peu denses avec mixité fonctionnelle.

[1] Définition officielle adoptée par le Ministère de la transition écologique: https://www.ecologie.gouv.fr/artificialisation-des-sols

[2] ibidem

[3] https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00849424/document

[4] https://librairie.ademe.fr/urbanisme-et-batiment/2826-construire-la-ville-sur-elle-meme-9782358385664.html

[5] https://theconversation.com/de-marseille-aux-gilets-jaunes-lechec-de-la-politique-du-logement-113724

[6]https://www.paj-mag.fr/2021/11/29/quatre-maisons-historiques-bientot-detruites-a-foix/?fbclid=IwAR0QQEVQz9xlORiMexsW0q7WeuxyMdhDHcmD9FiPqQUf0FAZEUEt9MKRkQU

[7] https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1059

[8] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4985385

[9] Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement.

[10] https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/part-des-logements-vacants

[11] https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/visiotheque/2017-logement-part-des-logements-vacants-en-2014

[12] Gaston Bardet, Pierre sur pierre. Construction du nouvel urbanisme, Paris: Éditions L.C.B., 1945.

[13] http://pluenligne.paris.fr/plu/sites-plu/site_statique_50/index_plu.html

[14] https://www.insee.fr/fr/statistiques/2496228

[15] https://www.amenagementvolontaire.com/blog/sortir-du-tout-beton-signifie-transformer-l-industrie-du-beton

[16] Yves Delemontey, Reconstruire la France. L’aventure du béton assemblé, 1940-1955, Paris: Editions de la Villette, 2015.

[17] https://librairie.ademe.fr/cadic/6529/transitions2050-synthese.pdf?modal=false

[18] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006399703/

[19] Nathalie Heinich, La Fabrique du patrimoine. De la cathédrale à la petite cuillère, Paris: Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2009.

[20] https://www.oisehebdo.fr/2021/05/21/patrimoine-depart-imminent-de-jean-lucien-guenoun-architecte-des-batiments-de-france-de-loise/

[21] https://www.franceculture.fr/conferences/cite-de-larchitecture-et-du-patrimoine/la-ville-ancienne-dans-la-ville-moderne

[22] Pierre Lavedan. Histoire de l’urbanisme. Epoque contemporaine, Paris: Henri Laurens, 1952.

[23] Françoise Choay, Urbanisme, utopie et réalités. Une anthologie, Paris: Seuil, 1965.

[24] Monteiro de Andrade Carlos Roberto, Jacobs Eveline. Le pittoresque et le sanitaire. Sitte, Martin, Brito, traductions et métamorphoses de savoirs professionnels (1889-1929). In: Genèses, 22, 1996. La ville : postures, regards, savoirs, sous la direction de Alban Bensa et Éric Wittersheim. pp. 64-86.

[25] Maurice Culot, Albert Laprade, Paris: Norma, 2007.

[26] Albert Laprade, Architectures de France à travers les croquis d’Albert Laprade, Paris: Berger-Levrault, 1995.

[27] Jean-Louis Cohen (sous la direction de), Architecture et urbanisme dans la France de Vichy, Paris: Collège de France, 2020.

[28]André Chastel, « Homo architector », préface au Grand Atlas de l’architecture mondiale, Paris, 1982, p.8/9.

[29] Clarence Perry, « The Neighborhood Unit », in The Regional Plan of New York and its environs, 1929, London: Routledge/Thoemmes (nouvelle édition), 1998, p.25-44.

[30] https://www.culture.gouv.fr/Regions/Drac-Grand-Est/actu/an/2015/Etude-Habitat-ancien-en-Alsace-amelioration-energique-et-preservation-du-patrimoine

[31] https://www.rehabilitation-bati-ancien.fr/

Publié le 24 mai 2022

Rechercher la bonne densité en ville par la protection du patrimoine bâti et paysager

Auteurs

Dorian Bianco
Historien de l’architecture et de l’urbanisme spécialiste du 20e siècle, Dorian Bianco est doctorant au Centre André Chastel (Sorbonne Université). Il est directeur du Groupe d’aménagement volontaire et Secrétaire général adjoint de l’Institut des territoires.

En matière d’aménagement urbain et de besoin en logement, le choix entre l’étalement de la ville dans les zones rurales et la densification des espaces déjà urbanisés est souvent présenté comme une alternative inévitable. Pour stopper l’artificialisation des sols, il faudrait nécessairement « faire la ville sur elle-même » en surélevant le bâti existant, en comblant les dents creuses, voire en démolissant pour reconstruire à plus grande hauteur. Mais ces solutions ne s’attaquent pas aux causes du phénomène : est-il besoin de construire toujours plus en masse au regard du taux élevé de logements vacants et de sa répartition géographique ? Nous faisons face, pour reprendre les termes du sociologue Yankel Fijalkow, à une « crise de répartition » et non à une « crise de pénurie ».

Outre les dommages environnementaux inhérents à la construction à grande échelle par une consommation excessive de ressources naturelles, la surdensification des centres détériore le bien-être de ses habitants et fragilise la préservation du patrimoine architectural et paysager. Elle altère la conception française du patrimoine bâti, fondée non sur la protection individuelle d’un monument classé ou inscrit, mais sur la cohérence d’ensemble du site dans lequel il s’insère : « un chef d’œuvre isolé risque d’être un chef d’œuvre mort » déclara André Malraux à l’Assemblée nationale en 1962.

En complément du zonage des espaces ruraux pour freiner l’urbanisation et préserver les ressources naturelles, la recherche de la bonne densité en ville réhabilite la méthode du « curetage d’îlot » pratiquée par l’architecte Albert Laprade : elle consiste à rénover le bâti ancien au lieu de le démolir, améliorer son hygiène et son confort tout en préservant son intégrité architecturale.

I – Densifier les centres pour mettre un terme à l’artificialisation des sols : une fausse alternative ?

  • 1 – Les conséquences environnementales et sociales de l’artificialisation des sols

Depuis la fin des années 2010, la notion d’« artificialisation des sols » s’est imposée à l’agenda politique et médiatique pour décrire la dynamique d’urbanisation des espaces ruraux (principalement agricoles) en bordure des villes. Sur le plan technique, l’« artificialisation » consiste à imperméabiliser des sols naturels par une opération d’aménagement bâti, viaire ou équipementier : zones commerciales dotés de parkings, routes, lotissements pavillonnaires, etc[1]. Bien qu’un certain flou entoure encore sa définition (l’urbanisation résidentielle implique souvent une part de renaturation des parcelles loties grâce aux jardins privés), le Ministère de la transition écologique estime qu’entre 20 000 et 40 000 hectares sont artificialisés chaque année en France[2]. Les évaluations renvoient notamment aux données de la base Teruti-Lucas, faisant dire à certains observateurs que l’artificialisation engloutit l’équivalent d’un département français tous les dix ans[3].

L’artificialisation des sols est aujourd’hui vertement critiquée non seulement pour la perte de biodiversité qu’elle implique en rompant les continuités écologiques des milieux naturels, mais aussi pour l’uniformisation supposée des paysages et le caractère insoutenable des modes de vie périurbains, fondés sur la faible densité de l’habitat et la rareté d’implantation des petites infrastructures commerciales de proximité accessibles sans véhicule automobile. En motorisant l’accès aux équipements sur le territoire, le zonage périurbain augmente l’empreinte carbone. Comme la sociologie urbaine d’après-guerre, l’essayiste américain Lewis Mumford dénonçait déjà dans The City in history (1961) la désintégration individualiste provoquée par le lotissement en maisons individuelles, selon lui incapable de recréer les conditions spatiales de la vie en commun associée aux tissus urbains et ruraux anciens. C’est un enjeu aux implications à la fois sociales, environnementales et paysagères. Mais aujourd’hui, le problème n’est plus tant l’existence d’un habitat et d’un mode de vie périurbains – une réalité irrémédiable – que la poursuite d’un aménagement fondé sur des modèles résidentiels et commerciaux trop peu denses. C’est ainsi que la notion de densité s’invite en creux dans le débat sur l’artificialisation, car la dispersion spatiale de l’habitat est inhérente à la dynamique de l’étalement périurbain. La densification des centres urbains existants est-elle en miroir son contre-modèle écologique ?

  • 2 – La densification comme contre-modèle de l’artificialisation

Depuis les années 2000, les pouvoirs publics tentent d’enrayer le phénomène des extensions urbaines, avec un résultat mitigé. Promulguée le 22 août 2021, la loi Climat et résilience a institué la lutte contre l’artificialisation des sols par le mécanisme du Zéro artificialisation nette (ZAN), qui vise la « renaturation » (c’est-à-dire la reconquête d’un milieu naturel sur une surface donnée) de zones dont la superficie est équivalente aux espaces soumis à une future urbanisation. Bien qu’il soit trop tôt pour en dresser le premier bilan, cette mesure corrective semble faire un pas en avant, même si elle ne consiste pas à élaborer de véritables schémas nationaux et régionaux d’occupation des sols (comme les périmètres d’inconstructibilité décrétés dans les parcs naturels). Néanmoins, le ZAN consacre la prise de conscience par les pouvoirs publics de la crise environnementale déclenchée par l’étalement urbain et la nécessité d’une relocalisation économique et résidentielle dans les centralités urbaines existantes.

Aujourd’hui, un nombre croissant d’architectes, d’urbanistes ou d’universitaires défendent à l’inverse la densification des villes comme contre-modèle écologique à l’artificialisation des sols : il faudrait « faire la ville sur la ville », voire préférer la verticalité à l’horizontalité pour mettre un terme à la périurbanisation. Les organismes d’État s’en sont fait une courroie de transmission privilégiée, comme l’Agence de la transition écologique (ex-ADEME) qui y a consacré un de ses Cahiers techniques pour l’approche environnementale de la ville en 2015[4]. En somme, il ne s’agit pas seulement de réoccuper des bâtiments désaffectés, mais aussi de surélever le bâti ancien, remplir les dents creuses (espace vide entre deux parcelles bâties), voire démolir de l’habitat à faible hauteur pour reconstruire à plus grande hauteur sur une même parcelle.

Or l’idée de construire la ville sur elle-même pour résoudre le mal-logement des Français et résorber l’étalement périurbain engage trois grandes difficultés. En premier lieu, les centres-villes denses de plus de 5000 habitants/km2 courent un risque de surdensification qui dégrade significativement le bien-être de ses résidents (assombrissement des cours et des intérieurs, promiscuité, bruit, vis-à-vis), jusqu’à détériorer l’hygiène en créant des problèmes de circulation de l’air, de la pollution voire des pathologies dans le bâti. En second lieu, la construction peut conduire à faire l’impasse sur l’attribution au préalable des logements vacants et la réhabilitation d’anciens bureaux : faire l’économie d’une réflexion sur l’occupation du bâti existant renvoie finalement à l’impensé de la protection patrimoniale des paysages urbains, laquelle contredit l’impératif de fabrication de la ville sur elle-même dans la mesure où la législation française des monuments historiques, au gré des lois de 1930, 1942 (confirmée à la libération) puis 1962, implique la préservation d’ensembles bâtis et paysagers et non de monuments isolés ou de quelques façades seules.

La densification des centres est-elle vraiment la solution pour pallier l’arrêt de l’artificialisation, et l’opposition entre urbanisation des zones rurales et « ville sur la ville » constitue-t-elle une alternative insoluble ? N’existe-t-il pourtant pas un moyen d’éviter ce double écueil en démontrant qu’il y a là un faux dilemme qui ferait du patrimoine bâti et paysager la victime collatérale ?

II – L’impensé spatial de la construction de logements face à la vacance et ses conséquences sur la densité des villes

  • 1 – Construire toujours plus pour résoudre le mal-logement : une illusion ?

Le passage d’une croissance horizontale des villes par l’urbanisation des campagnes à une croissance verticale par la surélévation des bâtiments, voire la construction de tours procède d’un présupposé qu’il faut remettre en cause : la nécessité d’une croissance continue ou linéaire des besoins en logement et en équipement.

Or, comme l’a expliqué le sociologue Yankel Fijalkow dans The conversation, la France contemporaine fait face à une « crise de répartition » et non à une « crise de pénurie » des besoins en logement[5]. Les destructions de la seconde guerre mondiale et le boom démographique d’après-guerre avaient déclenché une pénurie telle que l’État dût conduire une politique de reconstruction des villes sinistrées (1948-1962) puis de construction en masse à partir du Plan Courant-Lemaire (1953). Or les politiques du logement contemporaines reconduisent l’idée qu’il faudrait, comme durant l’après-guerre, amplifier la cadence de construction pour répondre au besoin de sortir du mal-logement. Dans la droite ligne de cette vision, la loi Elan (2018) a prétendu instituer un « choc de l’offre » visant à « construire plus, mieux et moins cher » en déréglementant certaines protections environnementales et patrimoniales au nom de l’urgence à mieux loger. En retirant l’avis conforme de l’Architecte des Bâtiments de France sur la démolition de l’habitat déclaré en péril, loi Elan favorise la « démolition-reconstruction » alors qu’il s’agit de valoriser la restauration de l’existant : à Foix (Ariège), la mairie a décidé la démolition de quatre bâtisses en centre-ville, dont un moulin du 17e siècle, un hôtel particulier du 18e siècle et une maison dont les soubassements remontent au 14e siècle[6]. La loi risque ainsi d’encourager le phénomène de bruxellisation, par lequel une municipalité peut laisser volontairement pourrir le bâti ancien et le démolir sans l’avoir entretenu préventivement.

L’échec de la loi Elan est par ailleurs cuisant : non seulement la baisse concomitante des dotations locatives comme les APL a fait baisser de 8,6% la délivrance de permis de construire en 2019, mais surtout la loi ne semble pas en mesure d’enrayer à grande échelle le mal-logement, qui touche encore aujourd’hui 4 millions de français. Le choc de l’offre ou de la demande est une illusion solidement ancrée dans les imaginaires des politiques du logement : comme le souligne encore Fijalkow, la massification de la construction reste soutenue par les politiques publiques, le BTP, les acteurs privés de l’immobilier et les bailleurs sociaux.

  • 2 – Réduire la part des logements vacants pour harmoniser la distribution des densités urbaines sur tout le territoire français.

À l’inverse, nous devons affronter la « crise de répartition » que représente le nombre élevé de logements vacants et de surfaces de bureaux à reconvertir sur l’ensemble du territoire français. La vacance concerne typiquement les logements en attente d’occupation par la vente ou la location (que le futur occupant soit désigné ou non), sans affectation par son propriétaire, ou encore dans le processus d’une indivision de patrimoine immobilier[7]. Les résidences secondaires ne sont pas considérées comme des logements vacants. Si l’INSEE estime que la France en comptait 3 116 000 en 2020 — soit 8% du parc total[8], la vacance de longue durée (habitat vétuste ou non occupé depuis plus de deux ans) représenterait 1 million de logements environ selon les données 2019 de la base LOVAC du Cerema[9]. Organisme rattaché à l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), l’Observatoire des territoires[10] a calculé au 1er janvier 2020 le taux de vacance (c’est-à-dire la part de logements vacants dans l’ensemble du parc français) par découpage territorial jusqu’à l’échelle de la commune. Selon ses travaux[11], la vacance connaît à l’échelle nationale et régionale des taux élevés dans les centres des villes moyennes et petites qui ne sont pas intégrées à un pôle métropolitain, ainsi que dans un ensemble de zones rurales qui correspond à l’ancienne « diagonale du vide », selon une étendue partant du Massif central qui pousse vers la Bourgogne, la Champagne et la Lorraine au nord-est, la zone de contact entre l’ancien Maine et la Normandie au nord-ouest, et enfin vers le sud-ouest, jusqu’au département du Gers. Par exemple, la commune de Bourges (Cher) comprenait en 2018 13,7% de logements vacants, tandis que la couronne périurbaine affichait des taux inférieurs à la moyenne nationale, comme à Fussy (4,1%) soumise à l’urbanisation en lotissements de maisons individuelles. En revanche, l’arrière-pays solognot, caractérisé par un milieu sylvestre et un éloignement des grands centres urbains, connaît des vacances élevées, jusqu’à 18,4% à Ennordres. A l’échelle locale, on observe de façon quasi systématique un taux de vacance plus élevé dans les centres-villes que dans les périphéries, y compris dans les métropoles : en 2018, Rouen comptait 10,7% de logements vacants contre 3,5% à Boos, une commune fortement périurbanisée en maisons individuelles et polarisée par la capitale normande, illustrant l’attrait du modèle pavillonnaire périurbain aux yeux d’une majorité de français.

Face à la déshérence des villes petites et moyennes et de leurs hinterlands ruraux, souvent accompagnée par une activité économique fragilisée et un faible taux d’emploi, il est primordial de rééquilibrer le peuplement du territoire national de concert avec une politique de démétropolisation des activités et des équipements des grandes métropoles vers les villes moyennes et petites pour harmoniser les croissances économiques territoriales. La politique de répartition consisterait alors en une géographie volontaire de l’habitat qui soit « anti-métropolitaine » au niveau national et régional en desserrant Paris et quelques grandes métropoles régionales, mais « pro-urbaine » au niveau local par la réaffectation des logements vacants en centres-villes pour contrer l’attractivité résidentielle des périphéries. L’affectation préalable des logements vacants met ainsi un terme à trop d’étalement urbain sans densifier les centres par la construction. La lutte contre la vacance devient une politique d’aménagement du territoire qui accompagne la démétropolisation en équilibrant la répartition spatiale du peuplement dans un maillage réticulaire de petites centralités urbaines existantes, y compris jusque dans les cœurs des bourgs ruraux : c’est pourquoi ce sont d’abord les logements vacants en centre-ville et non en périphérie qu’il faut attribuer d’urgence à de nouveaux résidents.

Cette répartition harmonieuse des établissements humains dans l’espace renvoie à la recherche de la bonne densité et de la taille optimale des villes, un enjeu cher au courant anglo-saxon de l’« urbanisme humaniste », relayé durant l’après-guerre en France par le géographe Jean-François Gravier et l’architecte-urbaniste Gaston Bardet. Tenant d’un « urbanisme culturaliste », ce dernier envisageait une taille optimale de 10 000 habitants pour les petites villes[12], là où Ebenezer Howard en prévoyait 30 000 par ville-satellite, supposant dans les deux cas la redistribution spatiale des flux démographiques plutôt que leur concentration. Ce modèle ne doit pas être mis en œuvre par une planification rigoureuse, mais il doit fournir l’exemple d’une vue d’ensemble du territoire qui fonctionne sur le principe des vases communicants, énonçant que l’on ne peut densifier à saturation une ville quand une autre souffre d’une vacance élevée.

À cet égard, la politique de densification du tissu bâti engagé par la mairie de Paris dans son périmètre communal fait fausse route : dans son projet d’aménagement et de développement durable (PADD)[13] récemment annoncé, la municipalité parisienne prétend concilier deux objectifs contradictoires en souhaitant verdir et densifier à la fois (avec 20 000 habitants par km2, Paris est la ville la plus dense d’Eu e densité aussi forte dans une ville aussi attractive sur le plan économique porte à saturation la présence des équipements commerciaux, culturels, universitaires, les transports et les infrastructures publiques nécessaires aux habitants alors qu’à deux cents kilomètres de la capitale s’étiolent de la Champagne à la Lorraine des villes désindustrialisées comme Sainte-Menehould, dont le taux de logements vacants atteignait les 18,4% en 2018. Les erreurs de l’urbanisme parisien tiennent à une régression dans la gouvernance de l’aménagement régional : alors que le Plan Prost (1931) puis le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région de Paris (SDAURP, 1965) avaient institué une croissance urbaine à l’échelle francilienne, le retour à une échelle municipale est fondamentalement inadaptée à la recherche d’une densité optimale des villes dans un contexte où celles-ci se sont étendues dans les campagnes et se sont fortement métropolisées, débordant les frontières municipales traditionnelles. À l’inverse, la méthode de l’urbanisme régional élaborée par l’urbaniste écossais Patrick Geddes et reprise par la Regional Planning Association of America (RPAA) et le Town and Country planning de Sir Roger Abercrombie au Royaume-Uni permet de dédensifier les centres sans diffuser la ville dans les espaces ruraux.

  • 3 – Le traumatisme et de l’approche quantitative du logement.

Il ne s’agit pas d’arrêter la construction, mais de la modérer en répondant aux besoins réels d’augmentation du volume de logements sur le long-terme car l’affectation des logements vacants ne sera pas suffisante pour répondre à ce défi. Les études de prospective démographique démontrent qu’il est peu probable que la France connaisse dans les années et décennies à venir un boom démographique similaire aux Trente glorieuses, même si le progrès technique et la politique socio-économique d’un État constituent deux facteurs qui peuvent renverser la tendance selon les orientations que les gouvernements futurs leur donneront. La baisse du taux de fécondité constatée depuis 2014, l’augmentation du taux de mortalité depuis 2012, l’angoisse climatique et les restrictions liées à la transition environnementale, les politiques néolibérales qui dégradent les conditions de vie et de travail (et qui provoqueront peut-être l’augmentation des maladies cardio-vasculaires des jeunes générations parvenues à l’âge de la retraite dans plusieurs décennies) constituent les indices d’une baisse du niveau de vie qui pourrait conforter la variante basse du scénario démographique à horizon 2070 de l’INSEE dans le sens d’un accroissement faible, voire nul de la population française[14]. Même le scénario central de la projection à horizon 2070 ne va pas dans le sens d’un boom démographique. Ce dernier envisage un gain de 11 millions d’habitants entre 2013 et 2070 (en maintenant le même taux de mortalité et de natalité qu’au début des années 2010, ainsi qu’un solde migratoire de 70 000 nouveaux habitants par an). Cette augmentation de 16,3% équivaut à une augmentation de 0,2% de la population chaque année.

Si les politiques de logement voulaient atteindre un seuil maximal de 400 000 logements construits par an (à titre de comparaison, 550 000 logements ont été construits en 1970), cela représenterait un taux d’augmentation de 1,3% par an du stock total par rapport au 30 millions de résidences principales que la France comporte : en y ajoutant le nombre de logements vacants, on voit que le « choc de l’offre » des politiques de logement dépasserait largement les besoins réels et favoriseraient l’intérêt particulier des constructeurs, promoteurs et bailleurs à l’insatiable appétit de construction.

Outre le risque d’une crise de surproduction, la construction de masse contredit l’impératif de sobriété écologique visant à moins extraire et transformer les matières premières, démontrant en creux le caractère vertueux d’une mesure visant l’attribution préalable des logements vacants plutôt que d’atteindre un objectif purement quantitatif sans justification démographique. L’historien Stéphane Gaessler a montré dans une note sur l’industrie du béton pour le Groupe d’aménagement volontaire[15] que l’empreinte carbone n’est pas tant liée aux caractéristiques techniques de chaque matériau qu’aux quantités dans lesquelles il est extrait, prélevé ou transformé. Se passer du béton pour adopter le bois stoppera l’extraction problématique de sable pour industrialiser les forêts en les soumettant à la coupe rase, à la perte de biodiversité et à l’altération des paysages culturels. Il ne faut pas adopter massivement les « matériaux biosourcés », mais modérer la construction sur le plan quantitatif pour favoriser une variété de matériaux locaux disponibles à proximité des sites de construction, appuyée sur des filières traditionnelles et nouvelles : béton décarboné, pierre, brique, terre, bois, etc.

En filigrane, l’illusion des politiques publiques à maintenir l’injonction contradictoire de construire « plus et mieux » à la fois renvoie à l’échec de la politique de construction des Grands ensembles dont visiblement aucun enseignement n’a été tiré, malgré le traumatisme qu’il a laissé chez les administrateurs, les intellectuels et une partie des classes populaires qui se sont massivement tournés vers la maison individuelle dans les années 1970. L’adoption et la généralisation des brevets de préfabrication lourde pour le secteur du bâtiment en 1955 (à partir de l’opération « 4 000 logements de la Région parisienne » par l’usine Camus de Montesson) répondait de l’exigence d’accélérer la construction tout en abaissant les coûts et la main-d’œuvre nécessaire[16] ; l’industrialisation s’est accompagnée de la restructuration fordo-étatiste du capitalisme français avec la création des géants du BTP (Bâtiments et travaux publics). Mais ces objectifs quantitatifs, mal nécessaire face à la pénurie de l’époque, ont également conduit à la planification adhoc de grands ensembles d’habitations en barres et tours à la périphérie de la quasi-totalité des villes grandes et moyennes de France au cours des années 1960. Malgré quelques réalisations exemplaires comme Meudon-la-Forêt par l’architecte Fernand Pouillon (1959-1961 pour la première tranche, labélisée patrimoine du 20e siècle), les Grands ensembles sont largement critiqués pour l’uniformisation des paysages, la piètre qualité d’exécution et les défaillances d’isolation phonique et thermique. L’histoire enseigne ainsi qu’approche quantitative et démarche qualitative s’excluent mutuellement : la désillusion du mouvement moderne, dont l’idéal social et universel tomba dans les mains du BTP, ne doit pas se répéter par à l’heure de la transition écologique par l’alignement de l’écologie politique sur un programme de « densification-reconstruction » à grande échelle des centres-villes (ressemblant au scénario Technologies vertes de l’étude Transition(s) 2050 de l’ADEME[17]), tendant un piège dans lequel tomberait même le plus honnête militant écologiste. Il devient légitime de se demander si la densification verticale des villes ne satisferait pas d’abord les intérêts du secteur de la construction plutôt que l’intérêt général qui va à la santé des habitants, à l’accès de tous à des espaces publics lumineux, aérés, entretenus et à la préservation du caractère artistique et historique des paysages urbains.

Parce qu’il serait incohérent de reconstruire ou surélever le bâti dans les centres anciens au regard de l’impératif de sobriété, les dispositifs légaux de protection du patrimoine bâti apparaissent en creux comme le moyen juridique le plus efficace pour modérer ou interdire les interventions sur l’existant qui ne présentent pas de caractère de nécessité. Or nous buttons là sur une impasse politique, car le renforcement de la politique patrimoniale à des fins écologiques est devenu un impensé majeur d’une part croissante de la classe politique : ces dispositions sont inexistantes dans les programmes des formations politiques de sensibilité sociale-écologiste. De l’autre côté du spectre politique, les courants conservateurs et réactionnaires défendent généralement le patrimoine, mais ils contredisent ce combat avec une politique économique de laissez-faire et de baisse de la dépense publique absolument incompatible avec la protection du patrimoine. Notion englobant à la fois enjeux sanitaires et enjeux esthétiques, c’est plus généralement la qualité du cadre de vie qui a déserté les imaginaires politiques critiques du libéralisme alors qu’elle fut historiquement un pré-carré idéologique de la gauche, notamment durant l’entre-deux-guerres où le modèle des cités-jardins irriguait le socialisme municipal et les idéaux du mouvement moderne s’incarnaient dans le communisme. Cet oubli révèle en creux une méconnaissance profonde de la législation des monuments historiques dont il importe de rappeler l’histoire et les enjeux, afin de voir en quoi elle constitue l’outil fondamental d’une densité et d’un cadre de vie harmonieux en ville.

III – La conception française du patrimoine bâti et paysager

  • 1 – Définition et histoire des monuments historiques

 Le patrimoine culturel désigne l’ensemble des biens mobiliers et immobiliers qui présentent une valeur historique ou artistique pouvant faire l’objet d’une reconnaissance institutionnelle, et bénéficier ultérieurement d’un cadre juridique de protection de son état existant. Cette définition large inclut les œuvres d’art, les objets mobiliers, le patrimoine architectural et monumental — avec les arts monumentaux comme le vitrail ou la sculpture, et enfin les infrastructures et les paysages (au sens de la perception « artialisé » de l’espace géographique issue de la Renaissance italienne).

La notion de patrimoine s’impose lors de la Révolution française, même si son origine est plus ancienne. Elle est consubstantielle à l’idée de nation et de contrat social car elle repose sur le caractère public et institutionnel de l’intérêt porté sur un ensemble d’œuvres artistiques et architecturales dignes d’être préservées face aux menaces de destruction, aboutissant à la création du Musée des monuments français par Alexandre Lenoir en 1795. Concept de nature politique et juridique, le modèle français du patrimoine est historiquement marqué par une élaboration fortement jacobine dès la création de l’Inspection générale des monuments historiques en 1830 — un savoureux paradoxe quand on sait que la protection du patrimoine résulte d’une réaction face au vandalisme révolutionnaire tout en héritant des instruments juridiques issus de la vente des biens nationaux. Pour l’historien d’art André Chastel, le patrimoine est français quand bien même un art est normand ou champenois.

Mais avant de considérer la protection du patrimoine culturel au sens large, c’est d’abord le patrimoine monumental, propriété de l’État ou des communes, qui bénéficie de la première initiative de classement en 1840, essentiellement des édifices gothiques dont on redécouvre les principes architecturaux. Le classement de biens privés à la fin du 19e siècle est une victoire « rousseauiste » pourrait-on dire dans la mesure où l’État peut enfin intervenir sur la protection des monuments au nom de l’intérêt général et public, sans le consentement du propriétaire, accompagnant ainsi la maîtrise progressive du territoire par la République.

Mais qu’est-ce qui justifie une telle restriction par la puissance publique du droit des propriétaires à agir sur l’état existant de leurs biens ? Dans le cas du patrimoine bâti et paysager, c’est en vertu d’un principe simple de philosophie du droit : quand bien même l’habitant jouit de la propriété du bien immobilier dans lequel il réside, la vue extérieure sur sa façade appartient à tout le monde puisqu’elle donne sur l’espace public. La patrimonialisation n’ouvre pas de droit d’usage sur l’espace public comme les communs, elle en garantit l’accès universel. La cathédrale Notre-Dame de Paris n’appartient pas (seulement) à la communauté catholique qui en fait un usage liturgique, c’est un bien universel qui appartient à tous les Français ainsi qu’à tous les étrangers qui visitent le monument. Sa valeur en tant que monument n’est pas religieuse, mais historique et artistique, découlant de la vision séculaire et positiviste d’Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879), défenseur toujours mal compris de l’architecture médiévale et fondateur du Musée des monuments français en 1879. La notion de patrimoine désigne en quelque sorte l’épaisseur esthétique et l’incarnation matérielle de la « chose publique » : l’architecture est l’art le plus démocratisé par nature puisqu’elle se donne à voir dans les rues, et non dans les musées.

  • 2 – La notion de patrimoine bâti et paysager

Mais les lois du 19e siècle ne font que protéger des monuments isolés, ce qui n’empêche en rien la transformation des ensembles bâtis et paysagers qui les entourent. Et c’est le 20e siècle qui s’en charge. La loi du 2 mai 1930 institue la catégorie de « site classé et site inscrit », permettant de protéger des ensembles paysagers à valeur naturelle ou pittoresque. Elle est aujourd’hui inscrite dans le code de l’environnement. Mais c’est surtout la loi du 25 février 1943, confirmée à la Libération, qui crée une règle de protection des « abords » dans un rayon de 500 mètres autour du monument classé, présent dans la plupart des villes et des bourgs ruraux de France. Il faut alors une administration pour appliquer ces règles : c’est le corps des Architectes des bâtiments de France (ABF), créé en 1946 avec le statut de fonctionnaire déconcentré dans chaque département. Sa mission consiste à surveiller le bon respect de l’intégrité architecturale et paysagère dans les abords des monuments. Il représente le sommet du jacobinisme et du modèle français de protection qui élargit le champ du patrimoine architectural du monument à l’ensemble bâti et paysager. « Un chef d’œuvre isolé risque d’être un chef d’œuvre mort » déclare André Malraux à l’Assemblée nationale en 1962, pour justifier la loi du 4 octobre de la même année qui institue le secteur sauvegardé en centre-ville (dite loi Malraux), dispositif désignant un périmètre à l’intérieur duquel l’ABF est chargé de mettre en valeur l’aspect historique et esthétique jusqu’aux détails du second œuvre (fenêtres, portes, etc).

Le service des monuments historiques vise désormais la protection d’ensembles urbains qui incluent, au-delà des « monuments remarquables » de l’architecture majeure, le « bâti ancien » : immeubles de rapports parisiens, rangs de maisons dans les centres-bourgs ou encore fermes rurales, et même bâtiments art déco de l’entre-deux-guerres. Cette extension est aussi le souhait d’André Chastel, ami et collaborateur d’André Malraux, qui crée en 1964 l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, visant à « recenser, étudier et faire connaître les éléments du patrimoine qui présentent un intérêt culturel, historique ou scientifique »[18], c’est-à-dire à l’héritage matériel de l’histoire dans sa globalité. L’Inventaire enquête, selon le mot d’André Chastel, le patrimoine « de la cathédrale à la petite cuillère », c’est une institution qui crée d’elle-même la valeur objective de ce qu’elle étudie, un processus inhérent aux méthodes de l’histoire de l’art[19]. Sans portée prescriptive sur le plan juridique, l’Inventaire élargit considérablement l’intérêt public porté à des œuvres méconnues, parfois discréditées, dont la protection peut échapper à la législation existante.

L’avis conforme de l’ABF sur les abords de monuments historiques et les servitudes d’utilité publique présentes dans les secteurs sauvegardés (devenus en 2016 les Sites patrimoniaux remarquables) permettent d’interdire tout projet irrespectueux du cadre bâti et paysager d’un site. Autrement dit, ces dispositifs peuvent empêcher tout projet de densification indésirable d’un centre, voire toute construction nouvelle dans le périmètre désigné. La législation des monuments historiques est aujourd’hui le moyen juridique le plus efficace pour mettre en œuvre le principe de sobriété selon lequel le bâtiment le plus écologique est encore celui que l’on ne construit pas, car toute construction, même si elle emploie des matériaux à faible empreinte carbone, suppose toujours l’usage de ressources naturelles. Par ailleurs, si le secteur du bâtiment est responsable d’un tiers des émissions domestiques de CO₂, c’est en grande partie lié à la construction de zones d’aménagement concertés (ZAC) dans les grandes métropoles et de nouvelles zones commerciales en périphérie, dans des espaces généralement situés en dehors du périmètre où l’ABF dispose d’un droit de veto par l’avis conforme. Il n’existe pas de calcul de l’empreinte carbone de la construction dans les secteurs patrimoniaux pour démontrer qu’elle y est bien plus faible, tout simplement parce qu’aucune étude n’a été menée sur la question. Mais il y a là encore une profonde impasse politique dans la mesure où le formidable pouvoir de l’ABF pour stopper la fièvre constructrice de la promotion immobilière est un impensé des programmes politiques d’obédience progressiste qui n’évoquent jamais son rôle. Il fait même l’objet d’un rejet croissant de la part de tout un segment de la société (propriétaires privés, entreprises immobilières, acteurs administratifs, voire urbanistes), à l’exemple des regrettables conflits avec les bailleurs pour la construction de logements sociaux en ville. Son sort est comparable au préfet : alors que l’ABF était le résultat de l’élaboration jacobine des services de la culture, il est devenu le souffre-douleur de certains élus locaux depuis la décentralisation de l’urbanisme aux municipalités (1982), et plus profondément depuis la montée de l’individualisme et l’émergence du relativisme culturel qui remet en cause l’objectivisme inhérent aux méthodes d’analyse de l’histoire de l’architecture auxquelles l’ABF a recours pour accorder ou non les permis de construire. Si le blocage d’un projet de construction par l’avis conforme est très faible en réalité (1% des dossiers déposés n’aboutissent pas), l’actualité récente est venue illustrer de façon spectaculaire cette répudiation : Caroline Cayeux, maire de Beauvais, a obtenu du ministère de la culture le renvoi de Jean-Lucien Guenoun qui bloquait la démolition-reconstruction d’immeubles en pierre de parement dans la préfecture de l’Oise, car il souhaitait conserver ces ensembles et en rénover de façon respectueuse les façades[20].

Ce rejet s’explique notamment par le fait que la défense de la législation patrimoniale conduit automatiquement à l’adoption de certaines doctrines d’aménagement et à l’abandon d’autres visions de l’urbanisme. Et c’est le cas de la densification verticale. En plus d’être critiquable sur le plan carbone, la fabrication de la ville sur elle-même suppose en fait le démantèlement partiel de la législation française des monuments historiques, dont nous avons vu l’élaboration pluriséculaire et le rôle qu’elle joue dans la définition de l’exception culturelle française comme son rapport à l’identité historique de la France. La densification verticale nie la notion de paysage urbain en tant qu’ensemble cohérent, marqué par les silhouettes urbaines particulières à chaque architecture régionale : hautes toitures d’ardoises dans la vallée de la Loire, faibles pentes et tuiles canal dans le Midi sont différenciables grâce à leur protection d’ensemble par les abords et les sites. La surélévation d’un immeuble peut conduire à perdre ces caractères homogènes, provoquer une rupture d’échelle dans les volumes bâtis, ou encore boucher l’ouverture des points de vue dans le tissu organique du centre-ville. Le comblement des dents creuses par la construction entre deux parcelles bâties peut détériorer l’harmonie architecturale d’une rangée de façades et introduire une typologie hétérogène au regard des caractéristiques parcellaires d’un quartier, typiques d’une région, voire d’un terroir.

Quelle doctrine d’urbanisme et de patrimoine permettrait de protéger les centres anciens tout en les adaptant à un mode de vie non seulement contemporain, mais aussi écologique en réduisant l’empreinte carbone et en assainissant le cadre de vie ?

IV – Le curetage d’îlot, une doctrine d’urbanisme protecteur pour empêcher la surdensification et assainir les villes

  • 1 – La ville moderne face à la ville ancienne.

Fabriquer la ville sur elle-même réactualise un enjeu qui s’est posé dès la fin du 19e siècle : le rapport de la ville moderne à la ville ancienne. Dans un cours public donné en 2010 à la Cité de l’architecture[21], l’historien Alexandre Gady définit la ville ancienne comme un « objet mort qui ne se produit plus de lui-même » depuis la rupture introduite par l’« urbanisme chirurgical »[22] du Baron Haussmann à Paris dès 1853. Le développement des théories modernes de l’urbanisme, qu’il s’agisse du courant « humaniste » de la cité-jardin d’Ebenezer Howard (1898), ou de la ville fonctionnelle promue par Le Corbusier et la Charte d’Athènes (1933)[23], prolonge la rupture définitive avec le mode de production de la ville ancienne, laquelle ne se perpétuera désormais qu’en étant protégée. Toute nouvelle intervention, de la réhabilitation lourde du bâti supprimant le second-œuvre à la démolition pure et simple, y constitue alors une perte irrémédiable. Alexandre Gady emploie l’image de la peau de chagrin pour décrire le destin tragique d’une ville ancienne qui ne cesse de se réduire à portion congrue à mesure que se poursuivent les opérations de reconstruction ou de réaménagement. Nous pouvons étendre cette problématique jusqu’à 1948 (date en-deçà de laquelle le bâti est caractérisé comme ancien) car les couronnes faubouriennes où se situent d’anciens quartiers ouvriers, des architectures régionalistes ou des résidences art déco présentent également un mode d’urbanisation « mort » dans son processus de création comme le dit Gady, et même aux architectures remarquables de l’après-guerre classées, inscrites ou labellisées (Reconstructions, Mission Racine…). La densification verticale accélérerait ce sort tragique car il est difficile et coûteux (ni même souhaitable peut-être) de reproduire parfaitement à l’identique le bâti ancien : les techniques de construction évoluent, tout comme la création architecturale. Plutôt que le pastiche auquel a prétendu le New Urbanism dès les années 1980, fruit du populisme esthétique de la promotion immobilière, c’est d’abord la préservation du patrimoine bâti qui constitue l’opération d’urgence à mener dans le tissu organique de la ville ancienne.

L’architecte autrichien Camillo Sitte (1843-1903) est l’un des premiers théoriciens de l’urbanisme à chercher la conciliation entre une approche artistique de la composition urbaine et l’impératif d’en améliorer les conditions d’hygiène[24]. Dans L’art de bâtir les villes (1889), Sitte rejette les voies en ligne droite et l’isolement des monuments publics au milieu des places au profit d’une conception organique et pittoresque qui s’insère harmonieusement dans l’architecture urbaine de la ville ancienne. Il voit la densification comme un danger qui va à l’encontre de l’assainissement des villes, mais il refuse les transformations brutales et anti-historiques au nom de l’hygiène comme le promouvra une partie du mouvement moderne de l’entre-deux-guerres. Différente d’Haussmann, la vision de Sitte est originale parmi les théories hygiénistes du 19e siècle qui dénoncent la sur-densification des centres : faut-il rappeler que les rues peu lumineuses et étroites, où végétait un bâti ancien à l’état de taudis, provoquaient les tares urbaines qu’étaient la pollution des industries, l’insalubrité de la voirie et les maladies comme la tuberculose.

Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une doctrine patrimoniale, les idées de Sitte irriguent les conceptions de l’architecte et ingénieur italien Gustavo Giovannoni (1873-1947) qui souhaite concilier la restauration de la ville ancienne avec le progrès technico-sanitaire et la modernisation industrielle. Dans L’urbanisme face aux villes anciennes, Giovannoni défend une approche patrimoniale des centres anciens. Il considère que la ville contemporaine lui est incompatible et qu’elle doit se construire autour de la ville ancienne et non dedans, à la façon d’un raccordement et non d’une superposition ou d’un palimpseste contemporain. Il faut donc adopter un modèle de rénovation spécifiquement adapté aux centres qui ne densifie pas le bâti, sans pour autant le dédensifier radicalement par le percement chirurgical de larges voies, une opération à situer à l’extérieur du centre pour faciliter les circulations interurbaines.

  • 2 – Le curetage d’îlot : définition et problèmes

Cette école italienne est importée en France par l’architecte Robert Auzelle (1913-1983) qui a donné naissance au « curetage d’îlot », une notion que nous défendons comme contre-modèle à la « ville sur la ville ». Le curetage d’îlot consiste à mettre un terme à la densification et la concentration des centres en procédant à une restauration globale du bâti à l’échelle non pas de la parcelle lotie, qui tient de l’initiative privée, mais de l’îlot urbain dans son ensemble (les parcelles forment un bloc bâti entouré de voirie). La rénovation par îlot tient de l’initiative publique qu’elle soit municipale, territoriale ou étatique puisqu’elle nécessite d’associer les copropriétés entre elles. Cette maîtrise foncière n’est pas forcément requise dans la fabrication de la ville sur elle-même où une surélévation, voire une démolition-reconstruction peut s’opérer de façon individualiste dans chaque parcelle sans coordination d’ensemble et dans le mépris du paysage urbain qui l’englobe. À l’inverse, le curetage d’îlot proscrit toute surélévation, et pour Robert Auzelle il pouvait même consister à faire baisser d’un étage ou deux un édifice, voire à démolir quelques bâtiments contemporains disgracieux, dysharmoniques et mal implantés pour ouvrir les cœurs d’îlot depuis la rue et créer une circulation de l’air et de la lumière fidèle à l’entreprise de modernisation sanitaire et hygiénique de l’urbanisme humaniste du 20e siècle (aujourd’hui, cette solution ne pourrait être conduite que dans de rares cas puisque l’amélioration considérable de l’équipement sanitaire a quasiment éliminé l’insalubrité dans un contexte de forte densité). Les îlots semi-ouverts constituent par ailleurs une solution systématique de l’architecture urbaine de la première reconstruction (1948-1953) qui puise son origine dans les morphologies en U des Habitations à bon marché de la ceinture parisienne d’entre-deux-guerres. La légère dédensification du curetage d’îlot, qui permet de conserver les caractéristiques du parcellaire ancien tout en créant des formes urbaines ouvertes, visait à créer des surfaces au sol suffisamment vastes pour planter des arbres, voire des jardins. L’intégrité architecturale des façades et du bâti est entièrement préservée, mais les usages sont adaptés à la vie contemporaine et à l’exigence d’un mode de vie sain. Enfin, la voirie et ses équipements publics font l’objet d’un réaménagement complet adapté aux usages modernes (hier la voiture, aujourd’hui les transports publics et le vélo).

Bien connu des ABF qui essaient autant que possible de le pratiquer dans les sites patrimoniaux et les abords des monuments historiques, le curetage d’îlot fut expérimenté par l’architecte Albert Laprade pour rénover l’îlot insalubre n°16 du Marais à Paris. Laprade incarne en France la figure giovannonienne de l’architecte humaniste à la fois artiste, historien et ingénieur : participant aux premiers projets de « New Deal à la française »[25], inspirés de la Tennessee Valley Authority en construisant le barrage de Génissiat de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) entre 1939 et 1941, il est l’auteur malheureux d’un projet de reconstruction régionaliste néo-flamande de Valenciennes dont les esquisses ne verront pas le jour. Enfin, il est un fervent militant du patrimoine grâce aux croquis qu’il réalise pour inventorier les « Architectures de France »[26]. C’est en vertu de ces activités qu’il expérimente le curetage d’îlot pour restaurer 14 hectares dans le IVe arrondissement avec Robert Danis et Michel Roux-Spitz de 1942 à 1965. Victoire de Laprade sur Le Corbusier, le curetage d’îlot du Marais s’oppose à la table rase illustrée par le Plan voisin (1925) qui prétendait traiter l’insalubrité en démolissant pour reconstruire en tours de grande hauteur une partie du centre ancien de la capitale. Paradoxalement, l’attitude corbuséenne, marquée par l’idée de rupture et non d’adaptation, trouve un successeur depuis les années 1980 dans la politique de la ville et l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) qui défendent la démolition-reconstruction systématique des Grands ensembles d’habitation (improprement attribués à Le Corbusier) plutôt qu’une réhabilitation parfois envisageable. À l’inverse, l’approche qualitative du curetage d’îlot doit permettre de sortir du traitement méprisant envers le cadre de vie des classes populaires inhérente à la logique actuelle de production de logement, qu’il s’agisse de leur mauvaise qualité (trop petits, mal éclairés), ou de leur esthétique déplorable (comme les « écoquartiers »). Nous pourrions dire, dans une veine ruskinienne, qu’il s’agit d’opposer au bulldozer et à la pelleteuse de l’ouvrier peu qualifié le travail d’orfèvre de l’artisan spécialisé ou encore, pour reprendre la métaphore médicale de l’urbanisme, remplacer l’ablation chirurgicale par la médecine préventive. À l’inverse, les programmes Action cœur de ville et Petite ville de demain de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) pointent assez timidement dans le juste sens d’une revitalisation des îlots dégradés, si nombreux dans les villes petites et moyennes en stagnation économique éloignées des grandes métropoles. Néanmoins, cette politique de financement allouée par l’ANCT pour redynamiser ces villes bute sur le caractère contractuel des projets, dont le nombre limité n’est guère en mesure de systématiser l’expérience de revitalisation commerciale et patrimoniale qui s’élève au niveau de la législation des monuments historiques forte de ses 45 000 bâtiments et 800 sites.

Deux nuances doivent être apportées aux bienfaits du curetage d’îlot. En premier lieu, il faut reconnaître l’échec historique de nombreuses rénovations urbaines à maintenir les classes populaires dans les quartiers curetés, échec qui n’est pas imputable à la législation patrimoniale en tant que tel, mais à l’absence de contrôle des prix de l’immobilier et de quotas de logements sociaux (avant la loi SRU de 2000) qui ont déclenché un phénomène de gentrification dans les centres-villes. Le cas du curetage de l’îlot insalubre n°16 du Marais nous plonge même dans les abîmes les plus sombres de l’histoire de France, puisque la rénovation a pris place après l’expulsion des juifs en 1942[27]. Toute nouvelle opération de revitalisation urbaine doit veiller à y maintenir les populations modestes et non à les déloger en périphérie.

L’autre nuance concerne la limitation géographique du curetage d’îlot, puisque par définition il ne s’applique pas aux espaces périurbains et au mitage des espaces ruraux. La légère dédensification conséquente au curetage ne doit pas relancer la dynamique de périurbanisation. S’il faut proscrire la densification dans les centres anciens ou reconstruits, mais aussi dans les couronnes faubouriennes de densité moyenne et les banlieues proches, il devient possible de l’autoriser de façon parcimonieuse dans les espaces périurbains très peu denses, les friches non patrimoniales et les zones urbaines en déshérence d’activité. Là encore, il s’agit de procéder par îlot en construisant des résidences en maisons groupées de morphologie dense-horizontale: c’est un modèle d’urbanisme qui associe une maison individuelle spacieuse avec entrée et jardin privé à la mitoyenneté à la façon du tissu organique des cœurs de bourg en habitat groupé. « Préserver les centres, innover à la périphérie »[28] préconisait André Chastel, fidèle à son approche spatiale de l’architecture: l’embellissement est une opération nécessaire dans ces zones qui n’ont pas toujours reçu de soin architectural analogue aux centres anciens. Si l’habitat groupé fait l’objet depuis 20 ans d’un regain d’intérêt des pouvoirs publics, ses modèles architecturaux ne parviennent toujours pas à rompre avec la banalité esthétique, contre laquelle la reconquête d’un caractère désirable devrait conduire à réinventer une architecture régionaliste. Mais cette densification périurbaine ne peut fonctionner que sur le fondement préalable d’un zonage territorial qui sépare espace rural et espace urbain en introduisant de la mixité fonctionnelle et le principe de l’unité d’habitation (neighborhood unit) élaborée par l’urbaniste américain Clarence Perry prescrivant pour les logements un éloignement maximal des équipements de service (5 minutes à pied)[29].

  • 3 – Un curetage d’îlot écologique: la rénovation thermique du bâti ancien

Nous comprenons le caractère écologique des opérations de curetage d’îlot : en évitant la démolition-reconstruction, il réduit l’empreinte carbone du secteur du bâtiment ; en créant des espaces verts, il introduit de la pleine-terre et des arbres permettant de réduire l’effet de chaleur urbaine durant les étés chauds. En revanche, la végétalisation systématique des murs est proscrite pour des raisons esthétiques et techniques: non seulement elle uniformise les paysages urbains en cachant la diversité et la typicité des matériaux régionaux, mais elle risque de créer des pathologies sur les murs et des dégradations liées à l’humidité, car un milieu urbain ne fonctionne pas comme un milieu naturel.

Mais comment soulager la chaleur d’été appelée à s’amplifier sous l’effet du réchauffement climatique pour les décennies à venir, mais aussi pour en finir avec l’inconfort d’hiver liée aux déperditions thermiques ? Nécessité absolue pour décarboner les usages domestiques, l’efficacité énergétique des bâtiments suppose de mettre en œuvre un programme ambitieux de rénovation thermique du bâtiment, permettant ainsi de repenser les visées sanitaires du curetage d’îlot à l’aune des enjeux du 21e siècle. Or, la diversité du bâti ancien, ses particularités architecturales et les caractéristiques techniques des matériaux demandent une intervention adaptée que seuls les architectes du patrimoine sont en mesure de conduire. Sur le plan thermique, le bâti ancien concerne usuellement les constructions qui précèdent 1948 (avènement de la préfabrication). Ses propriétés thermiques diffèrent de la période d’après-guerre (entre 1948 et 1975, date des premières réglementations énergétiques faisant suite au choc pétrolier) et se distinguent par la bonne inertie des murs perspirants, mais une forte humidité et une perméabilité importante. Outre la nécessité de sortir définitivement du chauffage au fioul et au gaz et l’isolation des combles, l’opération la plus délicate concerne l’isolation des murs et le second œuvre (fenêtres, portes, menuiseries, etc) car elle touche à l’intégrité architecturale du bâtiment, et donc à la protection du caractère patrimonial du bâti ancien. Comment améliorer ses performances thermiques, voir le hisser au niveau Bâtiment Basse Consommation (BBC) sans défigurer l’architecture ?

Plusieurs initiatives existent pour résoudre ce dilemme: l’étude Habitat ancien en Alsace[30] portée par la DRAC Grand Est en 2015 envisage différentes méthodes pour la mener à bien tout en préservant la volumétrie d’ensemble et les pans de bois en façade. L’association Effinergie patrimoine a lancé le label « Patrimoine Basse Consommation » en 2019, quand des initiatives locales comme le Parc naturel de la Brenne (Indre) ont lancé des chantiers de restauration patrimoniale visant à rendre le bâti ancien performant. Enfin, c’est surtout le CREBA[31] (Centre de ressource pour la réhabilitation responsable du bâti ancien) qui a mené une série de recherche qui aboutissent à montrer que le remplacement du second œuvre, indissociable de l’esthétique générale d’un bâtiment, se révèle inutile quand les isolations sont réalisées sur certains types de bâtiments qui possèdent une inertie supérieure aux logements en béton préfabriqué d’après-guerre. Dans tous les cas, toute isolation des murs (quand elle est possible) est à conduire par l’intérieur (ITI), avec des matériaux écologiques comme le béton de chanvre, mais jamais à base de matériaux hydrofuges qui risquent de créer des pathologies irréversibles dans le bâti qui ne permettent pas la migration de la vapeur d’eau. Il est important de conserver l’avis conforme de l’ABF dans ces opérations de façon à préserver la cohérence architecturale et paysagère des centres anciens soumis à des opérations de rénovation thermique. Or il existe aujourd’hui une séparation problématique entre les recherches menées au sein du Ministère de la Transition écologique et de l’ADEME et les préoccupations patrimoniales des services du Ministère de la culture, créant une pensée en silo où l’État valorise à son insu des méthodes et des projets contradictoires.

Le curetage d’îlot fait du patrimoine bâti non pas l’unique facteur d’une économie tertiarisée, fondée sur le tourisme et la communication culturelle, mais une ressource technique et culturelle pour instituer un modèle français (ou franco-italien pourrait-on dire) de la transition écologique. Approche de l’« architecture intégrale » chère à Giovannoni, qui intègre les problématiques technico-constructives, patrimoniales, architecturales, urbanistiques et paysagères jusqu’à l’échelle de l’aménagement du territoire, où science et art ne font plus qu’un dans la fidélité à la tradition du rationalisme français.

Propositions

Proposition 1 : Engager une politique nationale d’attribution des logements vacants situés dans les centres des villes petites et moyennes et dans le cœur des bourgs ruraux. Cette mesure ne peut être efficace sans une politique de transfert d’une part modeste des activités économiques des grandes métropoles aux petites villes.

Proposition 2 : Circulaire d’État qui s’oppose à la « ville sur la ville » et à la construction de grande hauteur en ville en réintroduisant le coefficient d’occupation des sols supprimé par la loi ALUR. Faire passer la surface minimum d’un logement en location de 9m2 à 15m2, accompagné d’un encadrement national des loyers et d’une augmentation des aides au logement. 

Proposition 3 : Restaurer le rêve d’André Malraux en créant au moins 200 nouveaux sites patrimoniaux remarquables en centre-ville, en classant et inscrivant 20 000 nouveaux monuments historiques et en restaurant l’avis conforme de l’ABF sur la démolition de l’habitat insalubre en centre-ville.

Proposition 4 : Mettre en œuvre, dans l’ensemble de ces nouveaux abords et sites classés ou inscrits, le principe du curetage d’îlot pour restaurer le bâti, rénover les performances thermiques et planter des arbres en respectant les perspectives urbaines. Ces opérations de revitalisation doivent être alignées sur la législation des monuments historiques, et non uniquement sous la forme d’un contrat de projet comme les programmes de l’ANCT.

Proposition 5 : Créer un schéma national et des schéma régionaux d’occupation des sols pilotés par le Commissariat au Plan (doté d’une administration fusionnée avec France Stratégie) en partenariat avec les DRAC, les DREAL et les UDAP. Son but est de délimiter espaces ruraux et espaces urbains pour autoriser des densifications par îlot dans les espaces déjà urbanisés et peu denses avec mixité fonctionnelle.

[1] Définition officielle adoptée par le Ministère de la transition écologique: https://www.ecologie.gouv.fr/artificialisation-des-sols

[2] ibidem

[3] https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00849424/document

[4] https://librairie.ademe.fr/urbanisme-et-batiment/2826-construire-la-ville-sur-elle-meme-9782358385664.html

[5] https://theconversation.com/de-marseille-aux-gilets-jaunes-lechec-de-la-politique-du-logement-113724

[6]https://www.paj-mag.fr/2021/11/29/quatre-maisons-historiques-bientot-detruites-a-foix/?fbclid=IwAR0QQEVQz9xlORiMexsW0q7WeuxyMdhDHcmD9FiPqQUf0FAZEUEt9MKRkQU

[7] https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1059

[8] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4985385

[9] Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement.

[10] https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/part-des-logements-vacants

[11] https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/visiotheque/2017-logement-part-des-logements-vacants-en-2014

[12] Gaston Bardet, Pierre sur pierre. Construction du nouvel urbanisme, Paris: Éditions L.C.B., 1945.

[13] http://pluenligne.paris.fr/plu/sites-plu/site_statique_50/index_plu.html

[14] https://www.insee.fr/fr/statistiques/2496228

[15] https://www.amenagementvolontaire.com/blog/sortir-du-tout-beton-signifie-transformer-l-industrie-du-beton

[16] Yves Delemontey, Reconstruire la France. L’aventure du béton assemblé, 1940-1955, Paris: Editions de la Villette, 2015.

[17] https://librairie.ademe.fr/cadic/6529/transitions2050-synthese.pdf?modal=false

[18] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006399703/

[19] Nathalie Heinich, La Fabrique du patrimoine. De la cathédrale à la petite cuillère, Paris: Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2009.

[20] https://www.oisehebdo.fr/2021/05/21/patrimoine-depart-imminent-de-jean-lucien-guenoun-architecte-des-batiments-de-france-de-loise/

[21] https://www.franceculture.fr/conferences/cite-de-larchitecture-et-du-patrimoine/la-ville-ancienne-dans-la-ville-moderne

[22] Pierre Lavedan. Histoire de l’urbanisme. Epoque contemporaine, Paris: Henri Laurens, 1952.

[23] Françoise Choay, Urbanisme, utopie et réalités. Une anthologie, Paris: Seuil, 1965.

[24] Monteiro de Andrade Carlos Roberto, Jacobs Eveline. Le pittoresque et le sanitaire. Sitte, Martin, Brito, traductions et métamorphoses de savoirs professionnels (1889-1929). In: Genèses, 22, 1996. La ville : postures, regards, savoirs, sous la direction de Alban Bensa et Éric Wittersheim. pp. 64-86.

[25] Maurice Culot, Albert Laprade, Paris: Norma, 2007.

[26] Albert Laprade, Architectures de France à travers les croquis d’Albert Laprade, Paris: Berger-Levrault, 1995.

[27] Jean-Louis Cohen (sous la direction de), Architecture et urbanisme dans la France de Vichy, Paris: Collège de France, 2020.

[28]André Chastel, « Homo architector », préface au Grand Atlas de l’architecture mondiale, Paris, 1982, p.8/9.

[29] Clarence Perry, « The Neighborhood Unit », in The Regional Plan of New York and its environs, 1929, London: Routledge/Thoemmes (nouvelle édition), 1998, p.25-44.

[30] https://www.culture.gouv.fr/Regions/Drac-Grand-Est/actu/an/2015/Etude-Habitat-ancien-en-Alsace-amelioration-energique-et-preservation-du-patrimoine

[31] https://www.rehabilitation-bati-ancien.fr/

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