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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Notes

Notes

LE NOUVEAU FRONT POPULAIRE : UNE RUPTURE RÉALISTE

Cette note contribue à éclaircir un certain nombre de points du programme économique du Nouveau Front Populaire (NFP). En particulier, elle fournit des éléments quantifiés montrant que les mesures de politique publique préconisées par le NFP sont à la fois pertinentes, réalistes et finançables. Les principales contributions de cette note sont : Une simulation numérique permet de prendre en compte le bouclage macroéconomique du programme et de le comparer à un scénario de référence obtenu par prolongement des tendances récentes. Elle montre que le programme ne provoquera ni explosion du déficit public, ni récession, ni fièvre inflationniste. Au contraire, hormis la balance commerciale (légèrement dégradée, ce qui devrait être compensé par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières prévu par l’UE), toutes les variables de l’économie française (PIB, dette, etc.) seront améliorées par les mesures du NFP. La mise en œuvre de ce programme réduira les inégalités et le chômage, augmentera le pouvoir d’achat des citoyens tout en maintenant une inflation autour de la cible de 2 %. Nous montrons que, non seulement la décarbonation est une chance pour l’économie française mais que l’ensemble du programme du NFP constitue un gisement potentiel d’au moins 495 000 emplois nets en 5 ans (i.e. incluant ceux qui devront être reconvertis ou abandonnés). La justice sociale et l’efficacité écologique ne sont pas les ennemies de l’emploi en France. Au contraire, ce sont ses meilleurs alliés. Nous confirmons que l’enveloppe annuelle de 30 milliards d’euros pour la bifurcation écologique annoncée par le NFP est cohérente et en proposons une version détaillée. Nous proposons des canaux complémentaires et originaux de financement et de recettes, lesquels permettront de diminuer davantage encore le coût net des mesures. Nous considérons par ailleurs qu’il est possible de dégager une marge de manœuvre budgétaire d’environ 20 milliards d’euros par an, en plus de ce qui a été envisagé jusqu’à présent par le NFP, sans nécessairement imposer au-delà de 50 % la tranche des plus hauts revenus .Aujourd’hui, le réalisme économique a changé de camp. I-REMETTRE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE SUR UNE TRAJECTOIRE SAINE Plusieurs commentateurs ont laissé entendre que ce programme déstabiliserait dangereusement l’économie française, en pesant sur les finances publiques, la croissance et l’emploi. Toutefois, tous se contentent d’examiner point par point le coût des mesures proposées, sans les mettre en regard de leurs effets. Un bouclage macro-économique offre la possibilité d’aller plus loin qu’un simple chiffrage, qui ne permet pas de prendre en compte les interactions entre les propositions du NFP et donc la trajectoire qu’il souhaite impulser à la société. Nous fournissons ici une représentation stylisée de cette trajectoire à l’aide d’une simulation macroéconomique, en prenant en compte l’essentiel des interactions entre toutes les variables en jeu : salaires, prix, emploi, investissements publics, dettes privées et publiques, inégalités, pollution etc. Voici la liste des mesures testées : Les investissements publics et la création de nouveaux emplois publics ; Le passage à la semaine de 32 h ; L’amorce d’une bifurcation écologique selon les lignes directrices indiquées infra (cf. section 3) ; La réforme de l’impôt sur le revenu et sur le patrimoine ; Le retour à l’âge de départ à la retraite à 62 ans ; La revalorisation du SMIC à 1 600 euros/mois ; Le déploiement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Pour tester ces mesures, nous avons utilisé le modèle Eurogreen[1] (construit en vue de simuler des scénarios de transition de l’économie française) actualisé au contexte de 2024[2]. Afin d’isoler l’effet des mesures du programme du NFP sur l’économie française entre 2024 et 2025, nous avons d’abord conçu un scénario de référence à partir des projections de la Banque de France. Il s’agit essentiellement d’un prolongement des tendances observées au cours des dernières années. Le contraste serait encore plus saisissant s’il était possible de simuler l’impact du « programme » du RN, lequel est trop flou pour se prêter au moindre chiffrage. Fig. 1 Simulation des effets macroéconomiques du programme économique du NFP Parcourue de gauche à droite et de haut en bas, la Figure 1 fournit les enseignements suivants. Elle confirme tout d’abord l’effet positif de l’ensemble des mesures considérées sur le revenu national[3]. Elle quantifie l’importante baisse des émissions de gaz à effet de serre à laquelle conduira ce programme (60 millions de tonnes en moins en 2030, ce qui respecte les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) : -40 % d’émissions de GES par rapport à 1990). Elle montre que l’inflation restera très proche de la cible d’inflation annuelle de 2 %. Après un pic de 1 point de PIB supplémentaire par rapport au scénario de référence, le déficit public descendra à +3 % du PIB en 2030, au lieu de +6 % dans le scénario de référence. Ce pic initial correspond à l’enclenchement d’un cercle vertueux de relance par la dépense publique, dont les fruits sont récoltés sur les années suivantes. Par conséquent, grâce au programme du NFP, le rapport entre dette publique sur PIB sera de 10 points inférieur en 2030 au niveau qu’il atteindrait en prolongement de tendance. Enfin, la balance commerciale est la seule variable macroéconomique affectée négativement par rapport au scénario de référence. Le déficit de la balance commerciale se creuserait en effet de 0,8 % du PIB du fait de la hausse des importations provoquée par l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages, dont le surcroît de consommation est en partie absorbé par les producteurs étrangers. La mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières aligné sur les prix de l’EU ETS[4] et son élargissement à un plus grand nombre de secteurs[5] (dont nous n’avons pas tenu compte dans nos simulations), ou encore d’une taxe kilométrique sur les produits importés, permettrait vraisemblablement de limiter cet effet, en plus de lutter contre le dumping social et environnemental. Quant à la productivité du travail dans l’industrie, elle sera stimulée par le passage à la semaine de 32 heures, comme ce fut déjà le cas lors du passage à 35 heures. L’effet redistributif du programme du NFP est

Par Giraud G., Souffron C., Bordenave M., Kerlero de Rosbo G., Desquinabo N., Dufrêne N., Driouich R., Ramos P., Dicale L., Kleman J.

27 juin 2024

L’Union européenne et le sauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : le droit comme rempart à l’indignité

Please click here for an English version (translation provided by the author) / version en anglais (fournie par l’auteur). Résumé exécutif La situation des secours en mer à l’égard des migrants-naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable » de la part de l’Union européenne. Le Forum Humanitaire Européen qui se tenait à Bruxelles les 18 et 19 mars 2024 aurait pu constituer un espace légitime pour inscrire les secours en mer à l’agenda politique de l’UE. Ce sujet a pourtant été totalement occulté. La perspective des élections du nouveau Parlement européen en juin 2024 donne à la question du sauvetage en mer un relief et des enjeux cruciaux, car les futures orientations de l’UE seront bien-sûr influencées par le résultat de cette élection. I – La Méditerranée centrale est la voie la plus dangereuse pour les migrants Les drames récurrents – pas toujours documentés car certains naufrages se font sans témoins – des noyades en Méditerranée sont aujourd’hui l’une des expressions les plus pathétiques de la fuite à tout prix de personnes désespérées, acceptant tous les risques dans leur aspiration à plus de sécurités fondamentales. C’est ainsi en Méditerranée que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est estimé à 28 888 personnes. II – Le secours aux naufragés constitue une obligation légale et morale Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pas à de rudes et parfois manichéennes controverses politiques : c’est la question du devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette question relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat. Ni au regard du Droit de la mer, ni en référence au Droit International Humanitaire. Dès lors, comme l’a également réaffirmé la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), l’acceptance et l’inertie des gouvernements des Etats-membres de l’UE – sous couvert de lutte anti-migration – devant les drames récurrents est intolérable : au plan moral, légal et politique. III – L’UE déploie une stupéfiante stratégie : ne pas aider, et laisser les pays riverains de la Méditerranée entraver ceux qui aident On assiste de fait en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyenne et tunisienne aux comportements obscurs et violents, et -par transfert de mandat- à des ONG de secours. Ces organisations sont pourtant soumises à des stratégies délibérées de harassement et d’empêchement à agir. Sans aucune contribution financière de la part de l’UE aux profits des actions qu’elles déploient. Ce repli dans l’implication de l’Union européenne au service du sauvetage, est d’autant plus inacceptable que l’UE est l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence. IV – Ne pas entériner, aujourd’hui et demain la violence pratiquée sur l’autre rive de la Méditerranée Les violences de toutes sortes pratiquées à l’égard des migrants en Lybie et en Tunisie sont amplement documentées. L’adoption du « pacte Migration et asile » intervient alors que l’UE a formalisé en 2024 des accords de coopération avec deux pays supplémentaires situés sur la rive sud de la Méditerranée qui se voient confiés des rôles cruciaux pour contrôler et endiguer les migrations. L’Egypte et la Mauritanie ont ainsi rejoint la Turquie (2016), la Libye (2017) et la Tunisie (2023) pour organiser une « ligne Maginot » anti migrants vers l’Europe. (…) Des questions et des doutes émergent d’emblée sur les pratiques qui seront adoptées par les deux pays récemment entrés dans le dispositif européen délocalisé. V – Des mesures sont énoncées, qui réaffirment la dimension humanitaire des actions développées par les navires de secours. A – Réaffirmer des principes généraux aujourd’hui occultés B – Mettre en œuvre les mesures correctives que requièrent les dysfonctionnements et défaillances constatées du secours aux naufragés Des modalités opérationnelles et politiques sont proposées dans la note pour rendre concrètes les solutions préconisées. Elles peuvent utilement nourrir le plaidoyer des député(e)s européen(ne)s et des organisations issues de la société civile. Introduction Des voix s’élèvent de toutes parts pour alerter sur les limites financières et politiques auxquelles se heurte désormais l’aide humanitaire internationale dans sa capacité de déploiement. Les fonds gouvernementaux, qui représentent 80 % des ressources annuelles, traduisent des choix directement liés aux priorités politiques des pays donateurs. La situation des secours à l’égard des migrants-naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable ». La perspective des élections du nouveau Parlement européen en juin 2024 dote la question du sauvetage d’un relief et d’enjeux cruciaux. Les futures orientations de l’Union européenne (UE) seront évidemment influencées par le résultat de cette élection. Le Forum Humanitaire Européen qui se tenait à Bruxelles les 18 et 19 mars derniers aurait pu constituer un espace légitime pour inscrire les secours en mer à l’agenda politique de l’Union européenne. Ce sujet a pourtant été totalement occulté. De même, on ne peut que regretter qu’il ne soit fait aucune mention explicite de la question du sauvetage des naufragés dans la toute récente publication de la stratégie humanitaire du gouvernement français pour sa programmation 2023-2027[1]. Il n’est pas trop tard. Deux objectifs du plan peuvent facilement et utilement accueillir un volet en résonance avec les secours en mer, contribuant à combler les carences constatées. L’un des objectifs affirme la nécessaire attention portée aux femmes et aux enfants, populations particulièrement fragiles parmi les migrants, à fortiori parmi ceux qui tentent la traversée (II.4 et II.5). 14 % de l’ensemble des personnes arrivées en Italie en 2016 après avoir traversé la Méditerranée étaient des enfants non accompagnés. Entre 2014 et 2020, au moins 2300 enfants sont morts ou ont disparu au cours de leur voyage migratoire[2]. Les femmes représentent 20 % des arrivées maritimes en Europe, avec une moindre chance de survivre à la traversée que les hommes[3]. Un autre objectif de la stratégie humanitaire affirme que la France défendra l’action humanitaire comme priorité européenne (IV.1.B). I – La Méditerranée est la porte d’entrée

Par Micheletti P.

5 juin 2024

Sortir du paradigme sécuritaire : garantir le droit d’asile en Europe

Résumé exécutif   Dans le contexte politique actuel, accentué par la campagne des élections européennes, les migrations en France et en Europe sont traitées majoritairement sous un prisme sécuritaire terriblement réducteur. Or, ces migrations comprennent en particulier un nombre important de migrations « forcées » de personnes venant solliciter une protection internationale en Europe. Alors que la norme devrait être un transit facilité, leur parcours migratoire s’amorce par des situations de détresse humanitaire dans les pays d’origine, auxquelles succèdent les risques dans les zones traversées, des frontières verrouillées ainsi que des politiques d’accueil défaillantes, tant en France que dans l’Union européenne. Face à cette situation et aux structures du débat public actuel, nous souhaitons rappeler que (1) les politiques anti-migratoires actuelles renvoient à un paradigme sécuritaire propre aux pays développés et historiquement récent, qui nie l’impératif de « sécurité humaine » reconnu par les institutions onusiennes et qui doit primer. En particulier, les conséquences de telles politiques, qui insécurisent les parcours migratoires, sont meurtrières, tel qu’illustré par les milliers de morts annuels en Méditerranée, et dramatiques pour les migrants « forcés », en situation de particulière vulnérabilité. À titre d’illustration, nous avons souhaité donner voix à trois témoignages recueillis par la voie associative. Ensuite, et pour sortir du paradigme sécuritaire européen, (2) cette note réaffirme les principes humanistes que nous estimons nécessaires pour guider les politiques publiques, et en particulier appréhender les migrations « forcées » et sécuriser les parcours migratoires. Sur cette base, nous présentons (3) plusieurs propositions qui nous paraissent répondre le plus urgemment à la nécessité de faciliter le transit et l’accueil en France et en Europe des migrants « forcés » nécessitant une protection. Notre proposition phare est à cet effet la création d’un « visa humanitaire » renouvelé et élargi, à l’échelle de l’Union européenne, qui permette de créer une voie sécurisée propre aux demandes de protection internationale, de soins médicaux, et aux autres situations d’urgence. En complément de celle-ci, nous proposons aussi que la Méditerranée soit reconnue comme espace humanitaire, d’améliorer la situation des demandeurs d’asile par l’accès sans délai à la possibilité de travailler, de développer des programmes de réinstallation, et de renforcer les mécanismes de redevabilité pour les États utilisant les fonds dédiés à la politique migratoire de l’Union européenne. L’Union européenne (UE) a adopté le 10 avril 2024 un nouveau Pacte européen sur les migrations et l’asile. Celui-ci prévoit notamment de renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière, en prévoyant un « filtrage » des personnes demandeuses d’asile aux frontières de l’Union européenne. L’actuelle surenchère relative à la question migratoire en France et dans l’Union européenne ignore toutefois la réalité des flux migratoires internationaux, relativement faibles, et la nécessité de pouvoir accueillir en Europe les personnes nécessitant une protection internationale à l’instar de l’asile. En effet, les statistiques internationales nous rappellent l’ampleur limitée des migrations, et en particulier les migrations dites « forcées », qui ne concernent qu’à titre marginal la France et l’Union européenne. En effet, d’après le rapport sur l’état de la migration dans le monde présenté par l’Organisation internationale des migrations (OIM[1]), en 2022, 280 millions de personnes étaient migrantes sur la planète, soit 3,6 % de la population mondiale. En particulier parmi ces mouvements migratoires, une partie seulement concerne les migrations dites « forcées », celles-ci pouvant se produire à l’intérieur d’un même pays, soit des déplacements internes, ou en dehors des frontières nationales. Selon le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR)[2], en 2022, 108 millions de personnes sont déplacées de force dans le monde – dont 40 % d’enfants – « en raison de persécutions, de conflits, de violences, de violations des droits de l’homme ou d’événements troublant gravement l’ordre public »[3]. Ce chiffre a augmenté de 21 % par rapport à 2021. Parmi ces migrations dites forcées, on dénombre 5,4 millions de demandeurs d’asile[4]. Ce même organisme estime également à 5,2 millions le nombre de personnes « ayant besoin d’une protection »[5]. Ainsi dans les faits, près de 10 millions de personnes nécessitent une protection, ce qui ne représente que 0,0133 % de la population mondiale. L’essentiel de ces demandes de protection se tourne vers les États-Unis d’Amérique (730 000), l’Allemagne (217 000), la France (137 000), le Costa Rica (130 000), l’Espagne et le Mexique (118 000 tous deux). Soulignons aussi que se trouvent parmi eux 51 000 enfants non accompagnés. Pour l’ensemble de l’UE, c’est 1,1 million de demandes d’asile[6], soit, si on met ce chiffre en regard de la population totale, 0,13 % de sa population. Ces chiffres restent donc dans des proportions démographiquement modestes. Pourtant les politiques migratoires restrictives mises en place en Europe ont pour effet de stigmatiser les personnes migrantes, occultant les causes qui « mettent en mouvement » celles et ceux qui n’ont d’autre choix que de quitter leurs territoires d’origine. Les États européens ont ainsi de facto délégué aux pays de la rive sud de la Méditerranée la responsabilité de contenir les personnes migrantes forcées à travers un certain nombre de pratiques, dont la plus répandue serait celle des « refoulements illégaux » ou « pushbacks ». Qualifié par les organisations non-gouvernementales (ONG) et autres défenseurs des droits humains de « sale boulot », ces pratiques dérivent en violences et violations systématiques des droits fondamentaux et de la dignité humaine. Les naufrages de bateaux transportant des personnes migrantes forcées aux portes de l’Europe en sont un terrible exemple. Face à cela, la grande famille européenne fait preuve de cécité humanitaire en n’ayant pas pour priorité de mettre fin à ces mises en danger et à ces situations dramatiques pour des milliers de personnes, en particulier en Méditerranée centrale. Un impératif : assurer la sécurité humaine Le Pacte européen adopté fixe le cadre de gestion en matière d’asile et de migrations. Ce pacte a pour ambition de réduire les migrations forcées vers l’Europe par le renforcement des contrôles aux frontières, et ce grâce à la collaboration des pays d’origine et de transit. Cette approche « sécuritaire » considère implicitement toute personne migrante comme une menace à la stabilité de l’Union européenne. Cette logique de l’« Europe forteresse » constitue le cœur des politiques migratoires européennes. Or, cela renvoie à une

Par Dontaine A.

31 mai 2024

Neutralité carbone de l’Europe : l’Institut Rousseau ouvre la voie pour une transition réussie

Alors que la récente crise agricole a mis en lumière les tensions autour de la rémunération des agriculteurs, avant de se solder par un recul sur les normes environnementales, l’Institut Rousseau s’est interrogé sur la nécessité de trouver le bon équilibre pour concilier enjeux économiques, sociaux et écologiques. Comment décarboner tous les secteurs de l’économie ? Combien d’investissements cela nécessite-t-il, par secteur, par pays, par mesure ? À l’heure de l’austérité budgétaire, comment financer la transformation nécessaire de notre économie ? Pour répondre à cette question, l’Institut Rousseau a réuni plus de 150 chercheurs et experts de toute l’Europe afin d’évaluer les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques de l’Europe, et notamment la neutralité carbone d’ici 2050. Le rapport Road to Net Zero compile l’ensemble de ce travail de recherche et constitue, par son niveau de précision, une première mondiale. L’étude analyse en détail sept grands pays en plus de l’Europe – la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Suède – et chiffre ainsi 37 leviers de décarbonation, tous secteurs confondus, et plus de 70 politiques publiques. « Atteindre nos objectifs climatiques nous coûtera deux fois plus cher si nous ne l’abordons que sous l’angle technologique » En parallèle, la Commission européenne a récemment publié son étude d’impact ‘Europe’s 2040 climate target and path to climate neutrality by 2050 building a sustainable, just and prosperous society’ (« L’objectif climatique de l’Europe à l’horizon 2040 et la voie vers la neutralité carbone d’ici 2050 pour construire une société durable, juste et prospère »). Chacune de ces deux études constate que des investissements supplémentaires substantiels, par rapport à ceux déjà prévus (“les investissements tendanciels”), sont absolument nécessaires. En revanche, la comparaison entre ces deux études met en exergue une différence d’approche notable : le scénario de la Commission européenne préconise une “simple” décarbonation des usages (c’est à dire un pur « switch » technologique ») quand l’Institut Rousseau propose une transition plus globale, intégrant des mesures de réduction des consommations énergétiques. De cette différence d’approche découle un triple constat. La transition écologique globale couplée à des mesures de réduction des consommations énergétiques que propose l’Institut Rousseau est : Deux fois moins coûteuse pour l’ensemble de l’économie par rapport aux scénarios reposant principalement sur l’électrification des secteurs énergivores. Possible, car s’appuyant sur des politiques déjà mises en œuvre dans certains pays ou régions d’Europe. Synonyme d’une bien plus grande souveraineté économique pour les pays de l’UE, en réduisant largement leur dépendance aux importations, de fossiles et de matériaux critiques à court terme, et de “gaz verts” à plus long terme. Une transition globale, économe et ambitieuse A l’inverse des discours sur les « coûts exorbitants » d’une transition écologique globale, la comparaison entre le rapport de l’Institut Rousseau et l’étude de la Commission européenne démontre qu’une transition intégrant des mesures de réduction des consommations énergétiques – par efficacité et sobriété – est in fine nettement moins coûteuse, sur le long terme, qu’une transition centrée sur la seule décarbonation des usages. L’analyse de l’étude d’impact de la Commission UE permet de mettre en évidence les coûts supplémentaires d’une stratégie centrée sur la seule décarbonation. En effet, la Commission européenne prévoit deux fois plus d’investissements supplémentaires d’ici 2050 pour le scénario qu’elle privilégie, soit environ 540 milliards d’euros par an, contre 285 milliards d’euros par an pour le scénario proposé par l’Institut Rousseau[1] (ramené à un périmètre similaire, pour comparaison). Cette différence de coûts, entre transition globale et décarbonation des usages, s’explique principalement par les surcoûts liés à une trop forte augmentation de la production d’électricité et au renouvellement de la totalité des flottes de véhicules sans report modal (là où le scénario de l’Institut Rousseau, grâce à un développement ambitieux du train, des transports en commun et du vélo, permet une baisse de 20 à 25% du nombre de voitures particulières en circulation). Les besoins d’investissements climat selon les études Institut Rousseau vs. Com UE* Sources : Rapport RtNZ (2024) et Impact assessment « path to climate neutrality by 2050 » de la commission UE (2024) en euros 2022 et 2023 sur les 4 principaux secteurs étudiés. Note : Dans l’étude de la Commission européenne, le sur-investissement est même estimé à plus de 640 Mds/an mais les années considérées pour évaluer la « dépense actuelle » sont antérieures à celles du rapport RtNZ (2019-2022), qui correspond à 1040 Mds/an d’investissements dans ces 4 secteurs (vs. 1160 Mds en ajoutant l’agriculture, la R&D et les puits, voir graphique suivant). *L’étude UECom n’intégrant pas les investissements dans les infrastructures ferroviaires et cyclables (environ 100 Mds/an dans RtNZ), nous avons ajouté les investissements prévus sur le seul réseau « Trans-européen », estimés à au moins 65 Mds/an dans l’étude d’impact « réseaux de transports » de 2021 de la Commission (pour l’essentiel ferroviaires).   Certes, d’autres scénarios de « décarbonation seule », produits par des gestionnaires de réseaux électriques européens aboutissent à des besoins d’investissements moins élevés dans la production d’énergie que l’étude de la Commission européenne. Mais ces scénarios préconisent un recours massif aux importations de « gaz verts » (ex. hydrogène produit à partir d’électricité renouvelable ou biométhane). Or, d’une part les surcoûts engendrés par ces importations sont estimés à environ 200 milliards d’euros par an pour l’économie européenne. D’autre part, ces scénarios auront pour conséquence de remplacer les dépendances actuelles de l’Europe en gaz et en pétrole par de nouvelles dépendances aux “gaz verts”. Dans le détail, l’Institut Rousseau préconise d’accroître les investissements de 30%, en particulier dans les domaines de la rénovation énergétique (+ 140 milliards d’euros par an), de la production d’énergie (+ 80 milliards d’euros par an), des infrastructures de transports et de l’agriculture (avec respectivement + 52 et + 47 milliards d’euros par an) : Une transition possible et souhaitable Les politiques publiques nationales et locales étudiées dans le rapport prouvent qu’il est possible de réorienter la stratégie de l’Europe vers une transition globale limitant les investissements supplémentaires grâce à des efforts mieux ciblés. Dans le secteur des transports, l’exemple de l’Autriche et du Danemark ont démontré que

Par Kerlero de Rosbo G., Desquinabo N.

28 mai 2024

Débat des candidats : le fact-checking Le fact-checking détaillé du débat que nous avons organisé avec les candidats aux européennes

Introduction Cet article rend compte des inexactitudes factuelles et déformations prononcées lors du débat électoral européen du 22 mai 2024, organisé par l’Institut Rousseau, en partenariat avec Alternatives économiques, Vert, le média et l’école des Mines de Paris. Ce débat a fait intervenir : – Jean Marc Germain (PS – Place Publique) – Pascal Canfin (Re) – Marina Mesure (LFI) – Flora Ghebali (Les Écologistes) La cellule de fact-checking, tant en live qu’à l’issue du débat a été co-animée par l’Institut Rousseau et QuotaClimat. Elle était composée de : – Guillaume Kerlero de Rosbo, directeur Transition écologique de l’Institut Rousseau – Jean Sauvignon, responsable baromètre de l’association QuotaClimat – Titouan Rio, bénévole QuotaClimat – Lucien Mathieu, responsable voitures à Transport & Environnement (sujet Transport) – Nicolas Desquinabo, expert en politiques publiques (sujet Logements) – Hervé Guyomard, directeur de recherche à l’INRAE (sujets Agriculture) – Serge Besanger, enseignant-chercheur à l’ESCE (sujets Commerce International) – William Honvo, professeur d’économie et de finances publiques (sujets Financement) – Nicolas Dufrene, directeur de l’Institut Rousseau (sujet Financement) – Philippe Ramos, chargé de plaidoyer à Positive Money Europe (sujets Financement) Le débat dans son intégralité est à retrouver ici : Europe, climat, économie : le débat des candidats (version avec fact-checking). Des bandeaux annonçant les fact-checking détaillés ci-dessous sont intégrés à la vidéo. Sur le sujet des Transports LFI – Marina Mesure L’UE favorise la route et l’aviation. La privatisation du ferroviaire a engendré une augmentation du prix des billets et une disparition des petites lignes. 15’12’’ – Inexact : privatisation et libéralisation sont deux choses différentes. La mise en concurrence imposée par l’UE n’implique pas forcément une privatisation, qui relève de l’autorité publique nationale. Cette mise en concurrence peut dans certains cas faire monter les prix, mais elle peut également les faire baisser. Au Royaume-Uni, les prix ont très fortement augmenté mais suite à une privatisation totale du ferroviaire sans soutien de l’Etat sur le prix des billets. Source : https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/vrai-ou-fake-l-ouverture-du-rail-a-la-concurrence-fait-elle-baisser-le-prix-des-billets-de-trains_5885759.html&sa=D&source=docs&ust=1716487803230386&usg=AOvVaw35z1qZVXvEO5PmGFG7k3go   Propose un pass interrail européen pour les jeunes 16”12 – À préciser (déjà existant) : le pass interrail européen pour les jeunes existe déjà PS – PP – Jean-Marc Germain La libéralisation du fret a engendré baisse des flux et hausse des prix. 18’38’’ – Incomplet : la libéralisation n’est pas seule en cause dans la baisse des flux et la hausse des prix, le manque d’investissement et les gains en compétitivité du secteur routier sont également responsables. Source : https://www.transportenvironment.org/topics/rail&sa=D&source=docs&ust=1716495334742427&usg=AOvVaw0nlNsDEmrnpj5WgXjdVLIC   Renaissance – Pascal Canfin Il n’y a aucune chance que la fiscalité sur le kérosène se réalise car il y a toujours un pays qui sera contre. L’aviation a donc été intégrée dans le marché du CO2 en se servant de la majorité qualifiée pour éviter le droit de véto, une raison de la fin du régime dérogatoire. 25’42’’ – Vrai, à nuancer : en effet, le droit de véto peut bloquer une fiscalité globale. Plusieurs pays peuvent en revanche se mettre d’accord pour les vols les concernant. De plus, les Etats peuvent fixer une éco-contribution sur les billets au départ de leur territoire, comme c’est le cas en France depuis 2019. Dans ce cas, c’est du ressort de la politique nationale. Sources: https://www.i4ce.org/wp-content/uploads/2022/07/I4CE-Etude-EvalClimat360%25C2%25B0BudgetEtat-1.pdf&sa=D&source=docs&ust=1716486511321690&usg=AOvVaw1InvZzI0Dee3Lg4KBbZSXr https://www.ouest-france.fr/economie/transports/avion/leurope-ne-parvient-pas-a-taxer-le-kerosene-des-avions-la-france-quelle-le-fera-seule-9f51aa9a-3149-11ee-895b-b99bc8a96af7&sa=D&source=docs&ust=1716493721638038&usg=AOvVaw3Y6jZo-pwqEvAgdR8biJJC Sur le sujet des Logements Renaissance – Pascal Canfin Personne ne dépensera 40 000€ pour développer un patrimoine qui en vaut 100 000€ 31’46’’ – Faux : Dans le cas (rare) des petites maisons « passoires » à 100 000 euros, il y a justement une forte rationalité économique à engager une rénovation « profonde » de 40 000 euros car : Selon l’étude des notaires sur la valeur verte, les biens passant d’une étiquette F-G à B bénéficient d’une valorisation de 20 à 36% https://www.notaires.fr/fr/actualites/la-valeur-verte-des-logements-en-2022-et-tendances-2023 Dès le premier hiver, les gains sur les factures énergétiques pourront dépasser 1500 euros/an (ex. I4CE pp.22-23) https://www.i4ce.org/wp-content/uploads/2023/10/La-transition-est-elle-accessible-a-tous-les-menages.pdf Le frein principal à ces travaux est qu’ils concernent principalement des ménages modestes sans épargne ni accès au crédit, d’où les aides et avances « Sérénité / Rénovation d’ampleur » puis « Parcours accompagné » mis en place par…Renaissance en France https://www.economie.gouv.fr/particuliers/maprimerenov-parcours-accompagne-tout-savoir-sur-cette-aide https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F35083 Quand Emmanuel Macron est arrivé à l’Élysée, 80% de Ma Prime Rénov profitait aux ménages riches, aujourd’hui c’est 80% pour les ménages précaires, essentiellement grâce aux réformes du gouvernement. 33’09’’ – Faux : en 2023 70% des bénéficiaires de Ma Prime Rénov’ étaient des ménages “modestes”, mais seulement 46% des “très modestes”, correspondant donc aux 80% pour les ménages “précaires” annoncés. Sources : https://www.anah.gouv.fr/sites/default/files/2023-07/20230127_Reporting-MPR-filiere-bilan-2022.pdf https://www.anah.gouv.fr/sites/default/files/2024-01/202401_ChiffresCles2023_WEBA.pdf   Les Écologistes – Flora Ghebali Passer de 0,2% de rénovation annuelle aujourd’hui à 2% pour rénover tous les logements à horizon 2050 et atteindre les objectifs de neutralité carbone. 35’39’’ – Imprécis : le taux de rénovation énergétique annuel au sens large est nettement plus élevé (12,3% des logements), le taux de 0,2% évoqué correspond probablement aux rénovations “profondes”, entraînant plus de 60% de gains énergétiques. Par ailleurs, la cible de 2% pour rénover tous les logements à horizon 2050 est correcte. Sources : https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/97d6a4ca-5847-11ea-8b81-01aa75ed71a1/language-en/format-PDF/source-119528141 On peut créer 110 000 emplois rien qu’avec la rénovation énergétique d’après le Shift Project. 36’ – Vrai : selon le Plan de Transformation de l’Économie Française (PTEF) Source : https://theshiftproject.org/plan-de-transformation-de-leconomie-francaise-focus-sur-le-logement-individuel-et-collectif/   LFI – Marina Mesure 30% c’est la couverture actuelle proposée à un ménage pour la rénovation de son logement. 38’10’’ – Faux : le taux de 30% est loin d’être la moyenne : en France le taux d’aide pour une rénovation d’ampleur va de 30% à 90%, avec un plafond de 40 000€ à 70 000€ selon cas de figures. Dans les autres pays, les taux d’aide sont très variables, mais le plus souvent supérieurs à 30% pour les rénovations “d’ampleur” des ménages modestes, hormis en Allemagne où les taux d’aides à la rénovation énergétique sont pour la plupart inférieurs à 30%. Sources : https://www.anah.gouv.fr/sites/default/files/2024-02/202402_Guide_des_aides_WEBA.pdf https://www.energieheld.de/foerderung/institute-anbieter/beg-aenderungen-2024   À Marseille, les charges de certains HLM ont augmenté de 300%. 38’59’’ – Difficile à vérifier : en effet, une affaire médiatisée en 2023 fait mention de 200% d’augmentation pour certains locataires d’un bailleur spécifique à Marseille. Source :

Par Kerlero de Rosbo G., Desquinabo N., Dufrêne N., Ramos P.

27 mai 2024

Face aux pièges de l’écologie « punitive », quelles restrictions les plus efficaces et justes ?

Résumé exécutif   Les débats sur l’écologie soulignent régulièrement la question des « restrictions » à imposer ou non aux populations. De manière quasi systématique, les opposants au changement agitent le spectre de l’écologie « punitive » et font passer la moindre contrainte réglementaire comme une grave atteinte à la liberté. Or, en complément d’une réorientation massive des investissements vers les activités durables, il est clair que des outils réglementaires et normatifs doivent être mobilisés. Mais pas n’importe lesquels.   À travers des exemples précis empruntés aux secteurs de la mobilité, du logement et de l’agriculture, cette note met en lumière le caractère inefficace et socialement injuste des mesures actuellement les plus discutées dans le débat public. Ces débats mal posés jouent un rôle central dans le statu quo actuel : repoussoir légitime pour une part importante de la population, ils aggravent le fossé entre l’opinion publique et la nécessité d’agir face aux enjeux écologiques, et permettent aux décideurs publics de justifier leur inaction voire un recul de l’action publique sur ces questions. La taxe carbone sur le carburant sans proposition d’alternatives (point de départ de la crise des gilets jaunes), ou encore les normes pesant sur nos agriculteurs au profit de l’importation de viandes issues d’élevages intensifs non soumises à ces contraintes, en sont de bons exemples.   En miroir, cette note reprend plusieurs propositions développées dans des notes et rapports précédents de l’Institut Rousseau[1] sur les thématiques du transport (partie 1), du logement (partie 2) et de l’agriculture (partie 3) afin de les comparer avec les mesures « restrictives » actuellement les plus débattues et d’en préciser les impacts écologiques et sociaux potentiels (partie 4). La note conclut ensuite sur la question des alternatives (partie 5) et de l’opportunité de restrictions ciblées et non générales (partir 6) :   1. Promouvoir des malus ciblés plutôt que des zones à faibles émissions (ZFE) 2. Restreindre le logement occasionnel plutôt que le neuf abordable 3. Limiter les importations issues de l’élevage intensif plutôt que l’élevage extensif local 4. L’impact écologique de ces mesures : majeur à court terme, complémentaire à long terme 5. Accepter que les alternatives ne soient jamais parfaites 6. Passer de restrictions générales inutiles à des contraintes ciblées bénéficiant à la majorité   Le spectre de l’écologie « punitive » s’alimente de perspectives de restrictions trop générales, peu efficaces et régressives. Celles-ci constituent de véritables aubaines politiques pour les divers populismes anti-écologiques. Cette note ambitionne de déconstruire cet épouvantail en démontrant que le problème, ce ne sont pas les normes et restrictions environnementales en elles-mêmes mais la façon dont elles sont conçues et formulées dans le débat public. Et que des restrictions efficaces et justes, seules à pouvoir remporter un soutien populaire, sont possibles. Les débats sur l’écologie soulignent régulièrement la question des « restrictions » à imposer ou non aux français et plus globalement aux populations des pays développés. Certains en font la promotion générale, d’autres les craignent et beaucoup utilisent le spectre de l’écologie « punitive » comme argument pour ne rien faire. Or, en complément d’investissements massifs réorientés vers les activités durables (décrits de façon détaillée dans les rapports « 2% pour 2 degrés » et « Road to Net Zero » et la note « Quelles transformations globales pour une transition écologique effective ? » de l’Institut Rousseau), il est clair que des outils réglementaires et fiscaux doivent également être mobilisés. Des restrictions seront nécessaires pour réduire plus vite et plus fort nos empreintes écologiques et dépendances extérieures, mais pas n’importe lesquelles. Pour être opérantes et acceptables, il faut que ces restrictions : N’aggravent pas les inégalités déjà croissantes, et même les réduisent, en centrant les contraintes sur les ménages et organisations ayant le plus de moyens, et en introduisant des malus sur les comportements non vertueux qui permettent de financer des alternatives à bas coût pour la majorité. Aient des impacts écologiques importants (en termes de gaz à effet de serre, de polluants sanitaires et/ou de biodiversité), à court et moyen terme, afin de légitimer les efforts demandés. Complètent les solutions alternatives, en particulier lorsque ces alternatives arrivent à maturité et sont largement accessibles ou lorsque les soutiens aux alternatives écologiques n’ont plus d’effet sur leur adoption par certains publics. Loin de ces conditions d’efficacité et de justice sociale, les restrictions actuellement les plus débattues ont des impacts écologiques limités voire négatifs, tout en aggravant les inégalités sociales. Cela est notamment dû au fait que ces restrictions sont présentées de façon très générale (« anti-voitures », « anti-maison », « anti-viande ») et gomment ainsi les indispensables subtilités à prendre en compte pour être à la fois efficaces et justes. Plus précisément, les restrictions générales s’appuient sur trois grandes illusions, largement documentées par les données scientifiques récentes et les évaluations indépendantes : L’illusion des « moyennes », qui stigmatise les impacts d’objets généraux, en particulier « la voiture»[2], « la viande »[3] ou « la maison individuelle »[4], alors que leurs impacts sont loin d’être homogènes. En conséquence, des écarts de 1 à 10 sont gommés et des activités bénéfiques sont jetées avec l’eau du bain. Par exemple, les viandes sont stigmatisées de manière générale, alors que les élevages bovins extensifs ont des impacts écologiques globaux très positifs[5]. De même, des restrictions sont envisagées pour l’ensemble des populations, sans distinguer de sous-populations en fonction de leurs statuts (organisation ou particulier), revenus ou accès aux alternatives. L’illusion des « politiques actuelles » qui auraient déjà essayé mais, malgré de nombreuses incitations, auraient échoué à limiter les pollutions, démontrant par-là que les incitations sont inefficaces et que la seule solution serait de passer à une coercition homogène des masses. À l’inverse de ce postulat, il faut rappeler que les politiques actuelles sont en réalité fortement pro-fossiles[6]. Si les politiques incitaient réellement à des pratiques durables ou que celles-ci étaient déjà largement accessibles, des restrictions pourraient alors être efficaces, à condition d’être ciblées sur des acteurs et pratiques clés, par exemple les entreprises ayant de larges flottes automobiles ou les multi-propriétaires de logements et/ou de locaux tertiaires. L’illusion de la « réglementation magique », qui consiste à penser qu’une interdiction a un effet immédiat et absolu, sans effets de « transfert »

Par Desquinabo N.

6 mai 2024

Institutionnalisons la sobriété hydrique en France ! Quatrième partie

Ceci est la quatrième et dernière partie de la note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’institutionnalisation de la sobriété hydrique en France. Elle porte sur la construction d’institutions du partage de l’eau. I. La sobriété hydrique dans les services publics d’eau potable et d’assainissement 1. Les enjeux d’une utilisation sobre de l’eau domestique Comment assurer l’institutionnalisation de la sobriété hydrique dans les services d’eau et d’assainissement lorsque les fleuves et les nappes s’assèchent et/ou les inondations n’ont plus de saison ? C’est l’ensemble des services publics qui doivent être repensés pour assurer une adaptation qui met la gestion de l’eau au cœur de sa stratégie. Avant même d’imaginer une intervention dans les comportements des usagers, les acteurs publics doivent lever le voile sur les fragilités des réseaux d’eau et d’assainissement, accentuées par le changement climatique. Peut-on légitimement demander aux usagers de réduire leur consommation lorsque les réseaux sont vieillissants avec des taux de fuites parfois supérieurs à 20 % ? L’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), dans l’un de ses articles, interrogeait ce qu’est un « individu sobre au sein d’infrastructures dispendieuses ? »[1]. Il ne s’agit plus d’envisager des solutions pansements pour faire face aux épisodes de sécheresse et aux inondations. Si les politiques publiques de ces dernières années ont mené à un sous-investissement chronique dans les réseaux et donc à ces fuites – que l’État essaie tant bien que mal de reboucher –, d’autres problèmes s’accumulent, et la France prend l’eau. Figure 21 : Consommation domestique moyenne annuelle d’eau potable par habitant et par département [2] Plusieurs échelles de risques sont à identifier afin de pouvoir proposer une stratégie d’adaptation ayant la sobriété en son cœur. Tout d’abord, à l’échelle des réseaux d’eau et d’assainissement, une baisse des quantités d’eau dans ces réseaux augmentera son temps de séjour, et donc dégradera sa qualité en raison de la baisse de dilution des effluents d’assainissement. Le deuxième niveau de risque est celui du foyer. Parmi les 32 milliards de mètres cubes prélevés chaque année, 5,6 milliards sont potabilisés. En 2020, un foyer français (2,2 personnes selon l’INSEE) consommait en moyenne 119 mètres cubes par an. Si cela représente 150 litres par habitant et par jour en 2020, notons que la consommation d’eau est passée, en France, de 106 litres par jour et par habitant en 1975 à 165 litres par jour et par habitant en 2004, pour se stabiliser dans les années 2010 à ce chiffre[3]. Par ailleurs, il faut prendre en compte les disparités sur le territoire : la consommation domestique d’eau moyenne en Provence-Alpes-Côte d’Azur est jusqu’à trois fois plus élevée que la consommation domestique moyenne dans le Nord, notamment en raison de la présence de piscines. En effet, l’eau à notre robinet est une ressource locale : on prélève et on potabilise au plus près possible du robinet. Trois exemples pour illustrer cela. En Île-de-France, on prélève 840 millions de mètres cubes d’eau chaque année dont la moitié provient de la Seine et de la Marne et l’autre moitié est issue des nappes et sources de la région ou des régions voisines. Dans les territoires de montagne, l’eau potable provient en général des lacs, des sources en altitude ou des nappes de fond de vallée. Pour les territoires littoraux, la majorité des prélèvements pour l’eau domestique provient des nappes phréatiques [4]. 2. Pénurie quantitative, pénurie chimique : les services de l’eau à l’épreuve Les coupures d’eau peuvent survenir à la suite d’épisodes de sécheresse prolongés, ou résulter d’une qualité de la ressource dégradée en raison de la pollution [5]. Dans un cas comme dans l’autre, les usages en eau potable étant prioritaires, les collectivités doivent alors acheminer l’eau par camions-citernes ou bouteilles d’eau. Si elles en sont équipées, l’acheminement peut être assuré par interconnexion en achetant de l’eau aux collectivités voisines. Lors de l’été 2022, 343 communes ont eu recours au citernage, 196 autres ont distribué de l’eau en bouteille et 271 ont bénéficié de l’aide des communes voisines via des interconnexions en raison de la sécheresse[6]. Au-delà du risque même de coupure d’eau, les résultats concernant la qualité de l’eau en France sont insatisfaisants d’après le rapport du Sénat publié en décembre dernier. Les micropolluants forment une famille de plus de 11 000 substances que l’on retrouve dans l’environnement en faible concentration. Ce sont les fameux perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire des substances qui ont des effets sur le système hormonal des populations et des espèces exposées. Une fois répandus dans les sols, il faut plusieurs décennies pour les éliminer. On retrouve d’ailleurs régulièrement des résidus de substances interdites en France dans les masses d’eau souterraines et de surface. C’est le cas de l’atrazine, un herbicide toujours présent dans les nappes malgré son interdiction en 2002 [7]. Cité précédemment, le dernier bulletin national de synthèse de l’état des lieux des bassins considérait qu’en 2019, seuls 43,1 % des eaux de surface étaient en bon état écologique et 44,7 % en bon état chimique. Les projections indiquent un risque que 67 % des masses d’eau de surface ne soient pas en bon état écologique et presque 10 % en bon état chimique en 2027[8]. Concernant les eaux souterraines, il s’agirait de plus de 14 % de ces eaux qui n’atteindraient pas le bon état écologique et plus de 40 % le bon état chimique. 65 % des 38 000 points de captage pour l’alimentation en eau potable étant des forages en eau souterraine, la protection de la ressource et de son environnement naturel est primordiale pour maintenir un coût de potabilisation acceptable sur le petit cycle de l’eau. 3. Rénover l’amont du petit cycle de l’eau : un enjeu de sobriété et un enjeu sanitaire En France, un litre sur cinq est perdu lors de son transport du fait de fuite dans les canalisations. Le réseau d’adduction et de transport de l’eau en France recouvre des distances impressionnantes. Il en existe plusieurs, avec deux prédominants : tout d’abord, le réseau d’eau potable

Par Moundib I.

12 mars 2024

Institutionnalisons la sobriété hydrique en France ! Troisième partie

Ceci est la troisième partie de la note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’institutionnalisation de la sobriété hydrique en France. I. Encastrer la production industrielle dans la contrainte hydrique : réinventer le principe du pollueur-payeur 1. L’industrie en première ligne de la contrainte hydrique Chimie, agroalimentaire, production de papier, l’industrie représente près de 10 % des prélèvements dans les milieux naturels. La ressource en eau est au cœur de nombreux processus industriels, que ce soit pour le lavage, l’évacuation des déchets, le refroidissement des usines ou pour le fonctionnement des chaudières. À titre d’exemple, il faut près de 500 litres d’eau pour produire 1 kilogramme de papier[1]. Cependant, à l’instar de la production d’énergie, l’industrie rejette presque l’intégralité de l’eau qu’elle prélève, si bien qu’elle ne représente que 5 % de l’eau consommée en France. Depuis les années 1990, les prélèvements d’eau pour l’industrie ont baissé de près de 25 % en raison, d’abord, de la désindustrialisation, puis de nouveaux procédés plus économes et du recours à des systèmes de circuits fermés dans lesquels la même eau peut être utilisée à plusieurs reprises. Le secteur de l’industrie présente des différences régionales assez marquées. Les prélèvements y sont plus importants dans les régions de l’Est, du Nord, du Sud-Ouest et de la vallée du Rhône[2]. Figure 19 : Prélèvements en eau douce du secteur de l’industrie [3] 2. L’industrie de l’eau en bouteille en temps de pénurie Certaines activités industrielles génèrent une utilisation excessive, non durable et inéquitable de la ressource. C’est notamment le cas des multinationales de l’eau en bouteille qui, parfois, surexploitent les nappes phréatiques. En France, bien que les communes de Volvic et de Vittel soient touchées par des périodes de sécheresse chaque année, Danone et Nestlé continuent d’être autorisés à puiser davantage d’eau, principalement pour l’exportation de bouteilles d’eau à l’étranger. À titre d’exemple, Nestlé surexploite les nappes phréatiques de Vittel, prélevant annuellement 2,5 millions de mètres cubes d’eau, au détriment des résidents et des écosystèmes [4]. Proposition 12 : Restreindre les prélèvements d’eau en vue de la commercialisation de l’eau en bouteille Imposer des restrictions significatives et interdire, lors de périodes de sécheresse, les prélèvements d’eau en vue de la commercialisation de l’eau en bouteille. L’envoi de bouteilles d’eau pour les situations d’urgence ne serait pas affecté par cette mesure. Plus généralement, l’industrie est fortement dépendante de la disponibilité en eau. Souvent critique en période d’étiage, la sécheresse hydrologique rend difficile l’accès à des sources d’eau fiables et en quantité suffisante, mettant ainsi en péril leur productivité et leur compétitivité. De plus, certaines industries dépendent largement de la production électrique, notamment pour alimenter leurs installations et leurs procédés. Les contraintes hydriques peuvent affecter le niveau des cours d’eau, réduisant ainsi la production d’électricité nucléaire ou hydraulique. Par ailleurs, la sécheresse peut endommager les infrastructures de transport, comme les voies navigables ou les canaux, entraînant des perturbations logistiques. Les approvisionnements en matières premières notamment métalliques peuvent être affectés. Tout cela peut entraîner des augmentations de prix ou des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, affectant ainsi les entreprises dépendantes de ces intrants. La relocalisation et la réindustrialisation française doivent être également interrogées au prisme de la demande supplémentaire en eau qu’elle va générer. Il est donc vital d’aborder la question de la réindustrialisation par la double question des besoins (que souhaitons-nous produire ?) et de la vulnérabilité (les besoins industriels sont-ils compatibles avec la ressource disponible localement ?). 3. Industrie et PFAS : les révélateurs de notre cécité sur les émissions de polluants Le 23 février 2023, le journal Le Monde et le Forever Pollution Project publiaient une grande enquête sur la contamination des eaux et des sols européens aux substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), des polluants jusqu’ici assez peu étudiés et quasi indestructibles. Ces produits chimiques sont utilisés pour fabriquer les traitements anti adhésifs, antitaches et imperméabilisants de nos ustensiles, nos textiles et semi-conducteurs du quotidien. Extrêmement persistants, voire indestructibles dans la nature, ces polluants éternels se dénombreraient en milliers voire millions de variétés différentes, sur lesquels les institutions publiques et les chercheurs avaient peu prêté attention jusque-là. D’après les estimations de l’étude, l’Europe compterait plus de 17 000 sites contaminés à des niveaux qui requièrent l’attention des pouvoirs publics et 2 100 points chauds où la concentration serait particulièrement dangereuse pour la santé. La connaissance de ces PFAS est encore très limitée, il est par exemple encore impossible d’estimer le nombre d’usines chimiques qui en produisent en Europe ou aux États-Unis [5]. Mais l’étude est parvenue à définir trois typologies d’activités « présumées contaminantes » avec les sites de stockage et de rejet de mousses anti-incendie, les sites de traitement des déchets et de traitement des eaux usées, et les activités industrielles diverses de production et de traitement de papier et de métaux. Proposition 13 : Mettre en place un plan national de lutte contre les PFAS prolongeant les initiatives européennes sur le sujet Renforcer la réglementation sur les PFAS au niveau européen (règlement REACH), en soutenant la proposition de restriction déposée par cinq pays auprès de l’Echa [6]. Cette proposition vise à interdire la fabrication et l’utilisation de plus de 2000 PFAS, sauf pour des usages essentiels et contrôlés. Financer massivement la recherche sur les sources des PFAS. Mettre en place un plan national de surveillance et de réduction des émissions de PFAS dans l’environnement, en s’appuyant sur le plan d’action ministériel sur les PFAS 2023-2027 [7]. Ce plan prévoit notamment de disposer de normes sur les rejets et les milieux, de porter une interdiction large au niveau européen, de renforcer le contrôle des sites industriels et des stations d’épuration, de développer des solutions de traitement des eaux et des sols contaminés, et d’informer le public sur les risques liés aux PFAS. Renforcer la protection des populations exposées aux PFAS, en établissant des seuils sanitaires pour les différents PFAS dans l’eau potable, les aliments et le sang. Il s’agit également de mettre en place un suivi médical des personnes exposées et des mesures d’indemnisation

Par Moundib I.

7 mars 2024

Institutionnalisons la sobriété hydrique en France ! Seconde partie

Cette note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’Institutionnalisation de la sobriété hydrique en France sera publiée en quatre parties. Partie 2 : Réhydrater les sols, régénérer le cycle de l’eau Ceci est la deuxième partie de la note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’Institutionnalisation de la sobriété hydrique en France. I. Sécheresse anthropique et santé des sols, une menace grave pour l’agriculture française 1. Irrigation et utilisation de l’eau en agriculture L’organisation des sociétés actuelles s’appuie sur le triptyque eau, énergie et agriculture. En France, cette dernière est le premier poste de consommation d’eau douce avec 58 % du total : elle est destinée aux deux tiers à l’irrigation des cultures. L’irrigation est au centre des usages agricoles de l’eau : en 2020, 6,8 % des surfaces agricoles ont été irriguées, soit plus de 1,8 million d’hectares [1]. L’irrigation des grandes cultures céréalières concentre la moitié des volumes prélevés et parmi elles le maïs est la culture qui occupe, à la fois, le plus de surfaces irriguées, mais aussi celle qui consomme le plus d’eau par hectare avec un besoin centré sur la période estivale [2]. Ainsi, la culture du maïs grain représente 8,5 % des surfaces agricoles, mais occupe entre le tiers des surfaces irriguées, avec un besoin centré sur la saison où se concentrent les épisodes de sécheresse. Trois régions concentrent 70 % de la surface irriguée. En Nouvelle-Aquitaine, dans le Centre-Val de Loire et en Occitanie, les prélèvements majoritairement issus des nappes servent à l’irrigation des cultures de maïs grain et de semences. La Provence-Alpes-Côte d’Azur concentre le reste des besoins pour l’irrigation de céréales, de fruits, de légumes et parfois de vigne. La région tire profit de l’irrigation gravitaire des eaux du Canal de Provence rendue possible par la topographie et surtout les différents aménagements du Rhône. Figure 12 : [Gauche] Prélèvements d’eau douce pour l’agriculture par sous-bassin hydrographique, en 2019 [3] [Droite] Répartition des surfaces irriguées par types de cultures en 2016. Les maïs grain, semence et fourrage concentrent la moitié des surfaces irriguées. La catégorie « Autres » recouvre en particulier l’arboriculture. [4] 2. La France, une grande puissance céréalière La France produit via des modes de culture très gourmands en eau environ 70 millions de tonnes de céréales chaque année. Sur ce total, seulement 5 millions sont destinés à l’alimentation humaine. Cette production céréalière est dirigée pour moitié vers les cheptels français et pour moitié vers l’exportation. En 2022, la France a exporté pour 10 milliards d’euros de céréales, deuxième poste de recette dans la balance commerciale après les vins et spiritueux [5]. À la faveur de prix plus élevés et d’exportations de céréales plus importantes, celle-ci a permis une amélioration nette de la balance commerciale agricole. De fait, malgré un cheptel stable sur son sol, la France participe largement à l’augmentation de la consommation de viande partout dans le monde. Figure 13 : Production de céréales en France [6] En effet, cette prépondérance de la production de céréales dans l’agriculture française suit une tendance mondiale profondément liée à l’augmentation de la demande en céréales : d’après la FAO, en 60 ans, les productions mondiales de maïs et de blé ont été multipliées respectivement par 5,6 et 3,4 [7]. Figure 14 : Production mondiale de céréales totales [8] Sur cette même période, les cheptels bovins, ovins, porcins et caprins ont presque doublé et le nombre de volailles a été multiplié par huit ! La croissance démographique seule n’est pas en mesure d’expliquer cette hausse spectaculaire, la hausse de la consommation de viande par habitant est bien visible en comparant ces deux tendances. Celle-ci a doublé entre 1960 et 2020 passant de 20 kg par personne et par an à 40 kg par personne et par an. Figure 15 : Quantité de viande totale produite au niveau mondiale[9] En France, les chiffres sont un peu différents, la production de viandes représentait 4 millions de tonnes en 1960 pour atteindre un maximum autour de 7 millions de tonnes dans les années 2000 avant de décroître lentement à 6 millions de tonnes aujourd’hui. De fait, en 1960, un Français mangeait en moyenne 50 kg de viandes par an, en 2000 ce chiffre plafonnait à plus de 90 kg et on l’évalue classiquement aujourd’hui autour de 80 kg par personne et par an. Figure 16 : Cheptel France et quantité de viande totale produite [10] 3. Une exposition climatique croissante et des pratiques agricoles sources de vulnérabilité Comme évoqué plus haut, la sécheresse des sols s’accentue significativement et vient remettre en cause la pérennité du paradigme actuel. Le consortium World-Weather-Attribution estime que la sécheresse agricole de 2022 a été rendue cinq à six fois plus probable avec le changement climatique, et la sécheresse hydrologique trois à quatre fois plus probable [11] . Par conséquent, la conjugaison d’une hausse des besoins pour l’irrigation et de l’assèchement des sols provoqués par l’évapotranspiration et la pression croissante sur les masses d’eau va irrémédiablement entraîner la généralisation des conflits d’usages impliquant le monde agricole. Le stress hydrique augmente dans les grandes régions productrices de céréales. Celles-ci observent déjà une diminution des ressources en eau souterraine disponibles aussi bien en été qu’en hiver. De même, le débit des fleuves diminue progressivement mettant en danger les modes d’irrigation qui en dépendent. Les effets déjà constatés sont renforcés par les modes de culture agro-industriels. La biodiversité souterraine est au cœur de la fertilité des sols. Elle y assure des fonctions primordiales comme la décomposition de matière organique et donc la libération de nutriments, ou encore l’infiltration et la rétention de l’eau captée dans les racines des végétaux. On estime par exemple que 1 % de matière organique en plus par hectare, c’est 250 m3 d’eau en plus absorbés par les sols [12] . Cette biodiversité des sols comme celle des champs est en recul du fait du fort recours aux pesticides, au tassement du sol initié par la mécanisation, la perturbation du cycle des nutriments et par l’utilisation excessive

Par Moundib I.

27 février 2024

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