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Institutionnalisons la sobriété hydrique en France !

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      Ilian Moundib

      Ilian Moundib

      Ilian Moundib est ingénieur spécialiste des questions de résilience climatique. Diplômé de l’Ecole Centrale de Lyon et titulaire d’un master de science physique de l’Imperial College de Londres. Il est chercheur, consultant, conférencier et formateur indépendant sur les questions d’adaptation aux risques climatiques. Il accompagne de grands acteurs publics comme privés sur ces sujets cruciaux. Membre du conseil scientifique de l’Institut Rousseau, il a publié trois notes à destination des pouvoirs publics français portant sur l’institutionnalisation de la sobriété hydrique, l’adaptation de la France au changement climatique et le déploiement de la sobriété numérique. Ilian est l’auteur d’une formation en ligne de 10h dispensée sur la plateforme Sator.fr intitulée «Construire l'adaptation climatique - Les enjeux et méthodes de l’adaptation du territoire au changement climatique » . Cette masterclass transmet de manière inédite les notions et les outils d'une adaptation efficace au changement climatique sur nos territoires de France. Villes, agriculture, infrastructures, industrie, énergie, littoraux, forêts, montagnes… Le cours parcourt les méthodes comme les opportunités qui permettront de construire ensemble la véritable résilience à toutes les échelles. Ilian est régulièrement sollicité pour dispenser des conférences grand public, comme à l’Ecole Centrale de Lyon, à l’Académie du climat ou à Produrable ainsi que des formations et ateliers collaboratifs dans un cadre professionnel. En tant que consultant indépendant sur la question de l’adaptation au changement climatique et de la résilience des organisations : il intervient régulièrement dans la réalisation d’étude de risques climatiques physiques et de risques de transition dans le but de diagnostiquer l’exposition et la vulnérabilité de tous types d’acteurs. Habitué à l’usage des modèles climatiques et des cadres réglementaires RSE comme la CSRD, il utilise cette phase de cartographie et d’analyse par scénario pour proposer une quantification des pertes potentielles (coût de l’inaction) et la mise en place de plans de résilience visant à réduire la vulnérabilité de l’acteur en question. La connaissance des sujets liés à l’eau, la biodiversité, les ressources fossiles et métalliques permet de donner un caractère complet et systémique à ses analyses de résilience. Ensuite, il s’est spécialisé sur la question de l’empreinte climatique du numérique et de la mise en application de la sobriété carbone du secteur. Il a ainsi pu mettre sur pied l’un premier modèle d’évaluation de l’impact climatique lié aux différentes étapes du transfert de l’information pour le compte de la société EcoAct pour laquelle il a travaillé 4 ans. Il a également eu l’occasion de publier de nombreuses notes sur le sujet dont une pour l’Institut Rousseau. Finalement, il possède aussi une solide expérience des diagnostics d’émissions des gaz à effet de serre des organisations (Bilan Carbone® et GHG Protocol) ainsi que dans l’établissement de trajectoire de réduction compatible avec les budgets carbone du GIEC. Il se trouve également être formateur pour La Fresque de Climat, et des Ateliers de l’adaptation au changement climatique (AdACC), ateliers de sensibilisation qu’il anime régulièrement.

      Institutionnalisons la sobriété hydrique en France !Première partie

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      Cette note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’Institutionnalisation de la sobriété hydrique en France sera publiée en quatre parties. Voici la première.

      Résumé de la note

      En France, le dérèglement du cycle de l’eau va tout changer. Comme pour les collectivités d’Outre-mer qui connaissent déjà une sidérante crise de l’eau, l’approvisionnement en eau potable ne sera peut-être plus garanti non plus à moyen terme en métropole. À cet égard, l’été 2022 nous a déjà fait changer d’époque : 43 % des cours d’eau à sec, des déficits de précipitation entre 10 et 50 % sur l’intégralité du territoire, des nappes à leurs plus bas historiques et des glaciers qui perdent leur eau douce au rythme des anticipations les plus pessimistes. Bien qu’il accélère le cycle de l’eau, le changement climatique n’est pas l’unique cause des graves conséquences pour lesquelles nous constatons une impréparation. Les phénomènes de sécheresse et d’inondation ne sont en réalité que les deux faces d’une même pièce : ils sont les conséquences d’une dégradation de la santé de nos sols. Imperméabilisés, tassés, stérilisés, ils perdent peu à peu leur capacité d’infiltration et de retenue de l’eau précipitée ou ruisselée. Le changement climatique, en augmentant la fréquence et l’intensité des sécheresses météorologiques et des précipitations extrêmes, révèle, en réalité, la mort lente des écosystèmes régulateurs du cycle de l’eau.

      Pour l’agriculture, les modes de cultures trop intensifs en eau comme ceux du maïs, largement destinés à l’export et à l’alimentation animale, vont être rendus non viables et même confiscatoires vis-à-vis des autres usagers, la faute à des recharges d’eau souterraine de plus en plus contrainte. Les conséquences sanitaires des rejets de polluants agricoles comme industriels vont largement s’aggraver du fait d’une quantité d’eau plus faible pour les diluer. La diminution des débits et le réchauffement des eaux vont affecter les productions électriques et industrielles. Dans ce contexte, il revient au législateur d’arbitrer des conflits d’usage qui pourraient régulièrement dégénérer en guerre de l’eau.  Qui doit avoir un accès prioritaire à la ressource et pour quels usages ? Aujourd’hui, la faiblesse des réglementations permet l’accaparement par les plus gros acteurs agricoles ou industriels. Dans le pire des cas, la puissance publique encourage même cette confiscation : c’est l’exemple des fameuses mégabassines subventionnées à plus de 70 % par l’argent public. L’arsenal législatif reste également trop faible ou mal appliqué pour faire durablement respecter les exigences de qualité. En 2021, environ 12 millions de Français ont été concernés par des dépassements des seuils autorisés de pesticide dans l’eau potable tandis que la pollution au nitrate s’est étendue sur 37 % des masses d’eau souterraine entre 1996 et 2018[1].

      Pour institutionnaliser la sobriété hydrique en France, trois piliers sont à construire. Le premier est d’inscrire dans la Constitution à la fois un droit universel d’accès à l’eau issue d’un traitement de qualité et permettant de garantir à chacun des conditions d’hygiène compatible avec une vie digne, mais aussi de reconnaitre le caractère de bien commun du cycle de l’eau qu’il convient alors de gérer de manière coopérative. Pour pouvoir être exercés pleinement, ces deux principes doivent se décliner en un large éventail de politiques publiques, allant de la mise en application du principe du pollueur-payeur à l’instauration d’une tarification progressive, en passant par la rénovation des canalisations. Face à une ressource qui se raréfie, la puissance publique doit organiser le partage en faisant prévaloir le droit à l’eau sur tout autre usage excessif et de fait confiscatoire de la ressource.

      Le deuxième axe consiste à régénérer le grand cycle en transformant profondément les modalités d’aménagement du territoire. Il faut mettre en application le paradigme de l’hydrologie régénérative : « ralentir, répartir et infiltrer »[2] à l’agriculture comme au tissu urbain. Dans le premier cas, l’idée est d’aménager la parcelle agricole de sorte que l’eau s’y écoule lentement, se répartisse le plus largement possible sur les sols pour s’y infiltrer et recharger durablement les nappes. La parcelle agricole est transformée en « un paysage aquatique ». Ensuite les solutions d’agroécologie (rotation de culture, polyculture élevage, etc.) comme d’agroforesterie (plantation d’arbres et de haies, etc.) permettent d’enrichir le sol en matière organique et de le recouvrir d’un large couvert végétal. Ces aménagements réduisent le ruissellement, infiltrent plus efficacement les eaux de pluie, filtrent mieux les polluants et apportent une fraîcheur décisive pour résister aux vagues de chaleur. Plus généralement, placer le système de production alimentaire sur la voie d’un développement résilient suppose de repenser la finalité du modèle agricole. La contrainte hydrique rend la décroissance de l’assolement de maïs et de la production de viande inévitable ; planifions-la plutôt que de la subir. Le concept d’hydrologie régénérative s’applique également parfaitement aux villes. Pour affronter des précipitations extrêmes plus intenses et les inondations afférentes, il faut débétonner, végétaliser et renaturer l’hydrologie des cours d’eau pour former des villes éponges capables d’absorber les excès d’eau.

      Enfin, il faut rénover les institutions de l’eau pour expérimenter une gestion de la ressource comme un bien commun. La première étape est alors de reconnaître juridiquement, à la fois le cycle de l’eau et les droits des écosystèmes aquatiques. Pour initier leur préservation, nous proposons d’utiliser la connaissance scientifique pour forger des objectifs spécifiques à chacun des six bassins hydrographiques français de réduction des prélèvements, des consommations, de rejet de polluants et préservation des écosystèmes. Ces derniers seront votés par les Comités de bassin, aussi appelés Parlements de l’eau et mis en application par les six Agences de l’eau en charge des bassins. Nous proposons aussi d’expérimenter une gestion locale de la ressource sur le modèle du bien commun au sens de la prix Nobel d’économie Elinor Ostrom par la création d’Associations d’usagers de l’eau à l’échelle des bassins de vie. Ces collectifs auront pour mandat de gérer collectivement la ressource du territoire en définissant des règles locales garantissant un usage compatible avec les objectifs définis par les Agences de l’eau. Aussi, il faut inciter et accompagner la gestion en régie publique pour les collectivités qui le souhaitent, notamment en renforçant leurs moyens financiers et d’ingénierie territoriale. Dans les cas où la délégation de service public est présente, les Agences de l’eau doivent préétablir une gamme de contrats imposant aux concessionnaires des objectifs sociaux et environnementaux, notamment de sobriété hydrique.

      La question de l’eau fait office de porte d’entrée à beaucoup d’autres. Un modèle agricole largement tourné vers l’export de céréales est-il encore viable ? Quel mix électrique voulons-nous collectivement pour demain au regard de la contrainte hydrique ? La relocalisation industrielle est-elle compatible avec une disponibilité plus rare de la ressource ? Au même titre que le changement climatique, la dimension hydrique doit désormais être intégrée dans chacune de nos décisions de politique publique.

      Finalement, la notion de sobriété hydrique interroge le partage des biens communs. Comme la santé ou l’alimentation, l’accès à l’eau est un droit fondamental que nous jugeons tous légitime de reconnaître et de garantir partout et à tout moment sur le territoire. Pourtant l’actualité montre que l’accaparement de ce bien commun n’est plus acceptable lorsque la pression climatique vient réduire sa disponibilité. Dans ce contexte, construire notre résilience aux chocs futurs passera inévitablement par la réappropriation collective du cycle de l’eau et par l’élaboration d’institutions à même de garantir son partage. L’ambition de cette note et des 22 propositions de politiques publiques qu’elle exhibe est de mettre en discussion de nouvelles formes d’organisations plus résilientes à une contrainte hydrique qui ne va que s’intensifier dans les années à venir.

      Introduction

      L’été 2022 nous a fait changer d’époque :  43 % des cours d’eau à sec, des déficits de précipitation entre 10 et 50 % sur l’intégralité du territoire, des nappes à leurs plus bas historiques et des glaciers qui perdent leur eau douce au rythme des anticipations les plus pessimistes. Records après records, la France constate son impréparation par les ruptures d’alimentation en eau potable en métropole ou dans les collectivités d’Outre-mer comme à Mayotte où l’eau du robinet ne coule désormais plus qu’un jour sur trois à la fin de l’été 2023.

      La cause est une accélération anthropique du cycle de l’eau. L’aménagement du territoire, l’irrigation agricole, l’imperméabilisation, l’appauvrissement des sols, la pollution ainsi que la dégradation des écosystèmes aquatiques affectent profondément la circulation hydrologique. Pourtant, la crise de l’eau pure ne se réduit pas à celle du climat. S’il y a toujours autant d’eau (entendu dans le sens H2O) sur Terre, la répartition de l’eau potable est fragilisée par des épisodes de sécheresses et d’inondations qui ne sont que les deux faces d’une même pièce. Elles sont toutes deux les conséquences d’une dégradation de la qualité de nos sols devenus incapables d’infiltrer et de retenir suffisamment d’eau. Le changement climatique, en augmentant la fréquence et l’intensité des sécheresses et des précipitations extrêmes, met à nu une mort lente des écosystèmes régulateurs du cycle de l’eau.

      Partout dans le monde, le dérèglement du cycle de l’eau se fait sentir. Le stress hydrique se généralise dans le contexte d’un accès déjà très inégalitaire : neuf pays détiennent 60 % des réserves mondiales d’eau et environ 2,1 milliards de personnes vivent sans accès à de l’eau potable[3]. Selon les Nations unies, 40 % de la population mondiale fait déjà face à des pénuries d’eau au moins une fois par an, et d’ici 2030, environ quatre milliards de personnes se trouveront dans des régions où l’approvisionnement en eau sera insuffisant[4]. À l’échelle européenne, déjà 30 % de la population habite dans des zones souffrant d’une rareté en eau douce tout au long de l’année[5]. Dans le contexte de pénurie hydrique que l’on connaît en France, la privatisation de la ressource intensifie les conflits d’usages, et nous amène à des guerres de l’eau entre corporations agricoles, grands industriels et citoyens. Réduisant l’eau à un bien marchand, le modèle économique de ces entreprises pèse lourdement sur le cycle de l’eau qu’elles participent à dérégler.

      Face à ces défis, l’eau potable doit être reconnue comme un bien commun dont l’accès doit être garanti à tous : c’est le droit à l’eau qui doit devenir constitutionnel pour organiser un partage équitable. Institutionnaliser la sobriété hydrique notamment en construisant des modes de gestion démocratiques des usages de l’eau est inévitable pour s’organiser face aux pénuries. Cela implique que la France puisse participer activement à la protection du cycle de l’eau en empêchant l’accaparement de la ressource pour l’irrigation agricole d’une production de maïs qui soutient la hausse de la consommation de viande mondiale. Le pays doit s’interroger sur la viabilité d’une partie de sa production industrielle et de son mix électrique au regard de la nouvelle contrainte hydrique. La question des pollutions s’avère également centrale aussi bien pour organiser la réduction à la source de ces pressions que pour amorcer la réflexion sur la politique du tout à l’égout. La gouvernance de l’eau comme les infrastructures du petit cycle se doivent également d’être transformées d’urgence pour s’adapter à ce nouveau contexte. Enfin, au-delà de le protéger, il faudra régénérer le cycle de l’eau grâce à un nouvel aménagement rural et urbain permettant de ralentir la circulation de l’eau, de la réinfiltrer dans les sols et de la faire circuler au sein d’écosystèmes enrichis.

      Cette note tentera d’explorer les spécificités de la contrainte hydrique appliquée à notre agriculture, nos usages domestiques, notre industrie et notre production électrique. Elle se donne pour objectif de proposer les modalités d’un droit à l’eau et du déploiement de la sobriété hydrique. À cet effet, elle exposera 22 propositions de politique publique en mesure d’initier l’adaptation du pays à l’enjeu du XXIe siècle : l’accès à l’eau. Les parties sont indépendantes entre elles, il est donc tout à fait possible de consulter ce document section par section sans le lire intégralement.

      La présente note a été largement inspirée par les travaux de plusieurs auteurs, associations et organisations travaillant sur la question de l’eau depuis de nombreuses années. En premier lieu, je tiens à chaleureusement remercier Justine Le Floch, membre du collectif Pour Un Réveil Écologique, qui a investi une grande partie de son temps dans la réflexion d’une majorité de cette note. Les travaux de l’hydrologue Charlène Descollonges, notamment par son livre L’eau fake or not aux éditions Broché ou son cours proposé sur la plateforme Sator.fr ont permis de structurer les parties liées à l’agriculture, l’industrie et bien entendu à son sujet de prédilection, l’hydrologie régénérative. Les propositions de l’association Pour une Hydrologie Régénérative dont elle est co-fondatrice ont nourri entièrement la partie dédiée à ce sujet. Les travaux de Ludovic Torbey et de l’équipe Osons comprendre ont permis d’éclairer beaucoup d’éléments en lien avec la question croisée nucléaire-eau, plusieurs éléments issus de leur vidéo « Nucléaire : une énergie inadaptée au changement climatique ? » sont repris dans la partie destinée à la production électrique dans le cadre de la sobriété hydrique. Les travaux de la Confédération Paysanne et des Greniers de l’Abondance ont largement abondé la partie proposant une refondation du modèle d’agriculture.

      Partie 1 : Reconnaitre le droit à l’eau pour initier la sobriété hydrique

      Ceci est la première partie de la note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’Institutionnalisation de la sobriété hydrique en France.

           I.         S’approprier les enjeux de l’eau par ses concepts clés

      1.    Grand cycle de l’eau, petit cycle de l’eau et usages

      Pour commencer, quelques notions s’avèrent nécessaires pour une compréhension fine des enjeux liés à la gestion de l’eau. D’abord, le grand cycle de l’eau correspond au cycle qui nous est enseigné à l’école. Le cycle de l’eau est le processus par lequel l’eau circule entre les différents réservoirs que sont les océans, les continents et l’atmosphère. C’est un phénomène global qui voit l’eau changer d’état au cours de son parcours et interagir largement avec les différents écosystèmes. Par exemple, l’évaporation de l’eau des océans contribue à la formation des nuages, qui se déplacent ensuite sous l’effet des vents. Ces nuages peuvent se condenser et précipiter sous forme de pluie, de neige ou de grêle sur les continents ou sur les océans. Une partie de cette eau ruisselle à la surface du sol ou s’infiltre dans les nappes souterraines, tandis qu’une autre partie retourne à l’atmosphère par la transpiration des plantes ou l’évaporation des eaux de surface. L’eau peut également être stockée sous forme solide dans les calottes polaires ou les glaciers, qui peuvent ensuite fondre ou se sublimer en fonction des variations de température. Le cycle de l’eau est donc un système complexe et dynamique, qui peut être perturbé par les activités humaines. Par exemple, la déforestation au Brésil affecte largement les schémas de précipitation sur le continent latino-américain (et peut-être même les précipitations mondiales), notamment en réduisant la quantité d’eau transpirée par la végétation.

      Figure 1 : Schéma illustratif du grand cycle de l’eau [6]

      Le petit cycle de l’eau est lui, au contraire, totalement artificiel puisque dédié à la consommation d’eau pour les activités humaines. Il est défini par l’Office français de la biodiversité, comme « le parcours que l’eau emprunte du point de captage dans la rivière ou la nappe d’eau souterraine jusqu’à son rejet dans le milieu naturel. Il comprend le circuit de l’eau potable et celui du traitement des eaux usées »[7]. En France, c’est 32,8 milliards de m3 d’eau qui sont prélevés chaque année pour le petit cycle de l’eau, dont une grande partie est restituée aux milieux aquatiques. Environ 35 % de cette eau prélevée pour le petit cycle de l’eau est de l’eau dite de « surface », c’est-à-dire qu’elle provient des fleuves, rivières, lacs, cours d’eau, mais également des eaux de ruissellement (eaux de pluie), des réservoirs, des lacs de barrage, mers, océans, etc. Les 65 % restants sont des eaux souterraines issues des nappes phréatiques.

      Le choix d’avoir recours à l’eau de surface ou à l’eau souterraine pour le prélèvement et la distribution d’eau se fait essentiellement en fonction des spécificités hydrogéographiques du territoire, même si historiquement, les collectivités ont une préférence pour les eaux souterraines, en raison de la qualité supérieure de la ressource[8]. Dans un cas comme dans l’autre, l’eau est traitée et fait l’objet de nombreux contrôles avant d’être distribuée. L’eau souterraine est généralement de meilleure qualité : le dernier bulletin national de synthèse de l’état des lieux des bassins considérait qu’en 2019, seuls 43,1 % des eaux de surface étaient en bon état écologique et 44,7 % en bon état chimique tandis que pour les eaux souterraines, il s’agit d’un peu plus de 14 % de ces eaux qui n’atteignent pas le bon état quantitatif et 40 % le bon état chimique[9].

      Figure 2 : Schéma illustratif du petit cycle de l’eau [10]

      L’eau consommée correspond à l’eau qui a été prélevée, mais qui ne retourne pas directement au milieu naturel. Les activités les plus consommatrices sont l’agriculture et l’eau potable, qui représentent respectivement 58 % et 26 % du total de l’eau consommée, suivies par la production électrique (12 %) et l’industrie (4 %)[11]. Cependant, en comparaison, l’activité qui prélève le plus d’eau est la production d’électricité (représentant 49 % des prélèvements), suivie par l’alimentation des canaux de navigation (16 %) et enfin l’eau potable (17 %) et l’agriculture (10 %). Cela est dû au fait que la majorité de l’eau prélevée pour ces activités est rejetée, instantanément ou presque, dans le milieu dans lequel elle a été prélevée[12].

      Figure 3 : Eau prélevée et eau consommée en France en moyenne entre les années 2010 et 2019

      2.    État des lieux hydrologique en France

      La France bénéficie d’une grande diversité hydrologique : le pays est traversé par de nombreux cours d’eau, possède un vaste réseau de lacs et est entouré par l’océan Atlantique, la mer du Nord, la Manche et la Méditerranée. Parmi les fleuves les plus importants, on trouve la Seine, qui traverse Paris avant de se jeter dans la Manche, la Loire, le plus long fleuve ayant l’intégralité de son cours en France, qui prend sa source au Mont Gerbier-de-Jonc et se jette dans l’océan Atlantique, et le Rhône, qui prend sa source en Suisse, traverse le sud-est et se jette dans la mer Méditerranée. En plus des fleuves, la France compte de nombreux affluents, rivières et cours d’eau plus petits qui sillonnent le paysage. Ces voies d’eau sont source d’eau douce pour l’irrigation, l’approvisionnement domestique, ainsi que pour la production électrique. La France est également réputée pour ses lacs, qui jouent un rôle important dans l’écosystème local : ceux d’Annecy, du Bourget et du Léman sont parmi les plus connus.

      Les eaux souterraines sont aussi essentielles dans le cycle de l’eau. Le territoire français est composé de différentes formations rocheuses telles que les calcaires, les grès, les schistes, les basaltes, les alluvions et les nappes phréatiques. Chaque formation géologique a ses propres propriétés hydrogéologiques, ce qui influence la quantité et la qualité des eaux souterraines qu’elles abritent. Les nappes aquifères (aussi appelées phréatiques) les plus importantes comprennent la nappe de la craie, qui s’étend sur une grande partie du nord du pays, la nappe alluviale de la vallée du Rhône, la nappe de la Limagne en Auvergne et la nappe du Bassin parisien. La recharge des eaux souterraines se fait principalement par infiltration des précipitations. Les régions montagneuses et les zones de plateaux sont souvent des zones de recharge importantes, où l’eau de pluie s’infiltre à travers les sols et les roches pour alimenter les nappes souterraines.

      Figure 4 : [Droite] Les bassins versants en France [13] [Gauche] Lithologie des aquifères français [14]

      3.    État des lieux institutionnels de l’eau en France

      Le schéma institutionnel de la gestion de l’eau en France est particulièrement complexe. Si depuis le XIXe siècle, les communes ont la responsabilité juridique de la gestion de l’accès à l’eau potable et de l’assainissement, la répartition de la ressource entre les usages se fait depuis 1964 à l’échelle des bassins hydrographiques afin de correspondre aux réalités physiques et géographiques des territoires.

      La France est d’ailleurs précurseur à l’échelle européenne puisque la directive-cadre sur l’eau de 2000 oblige l’ensemble des États membres à répertorier leurs bassins hydrographiques et à établir des autorités en charge de ces derniers. En France, ces bassins, divisés en sous-bassins, sont au nombre de six en métropole et cinq dans les collectivités d’Outre-mer. Chaque bassin est géré par un établissement public administratif national qui s’occupe de récolter les redevances et de financer des projets favorisant une meilleure gestion de la ressource, appelé Agence de l’eau.

      Figure 5 : Les bassins hydrographiques en France [15]

      Ce découpage est cohérent avec les singularités des territoires, mais ne correspond cependant à aucune réalité administrative et rend la répartition des compétences particulièrement complexe. À l’échelle des bassins, les Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) ont été créés pour planifier les orientations à mettre en œuvre, sur une période de 6 ans, prenant notamment en compte le changement climatique et les conflits d’usage à venir. Une fois arrêtées par les préfets coordonnateurs de bassin, les orientations du Sdage sont déclinées en Schéma d’aménagement de gestion d’eau (Sage) dans les sous-bassins, puis éventuellement mis en place par les Commissions locales de l’eau (CLE). Les Sdage sont définis par les comités de bassin, parlement représentant les différents usagers du territoire dont le secrétariat est géré par l’Agence de l’eau. Enfin, les Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), l’Office français de la biodiversité (OFB) et l’Agence de l’eau servent d’appui aux comités de bassin.

      La gestion des inondations, des submersions et des cours d’eau non domaniaux relève de la compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi) des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-FP). Ces derniers se retrouvent au sein des syndicats mixtes constitués à l’échelle d’un bassin versant d’un fleuve côtier appelé établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau (Epage). Les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) sont eux aussi des syndicats mixtes, constitués à l’échelle d’un bassin ou d’un groupement de sous-bassins hydrographiques, mais sont en charge de la prévention des inondations et la défense contre la mer, la gestion équilibrée de la ressource en eau, ainsi que la préservation et la gestion des zones humides en plus de contribuer, s’il y a lieu, à l’élaboration et au suivi du schéma d’aménagement et de gestion des eaux[16].

      Enfin, malgré le caractère à la fois déconcentré et décentralisé de la politique de l’eau, l’État joue un rôle important puisqu’il assure à travers les Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), les Agences de l’eau et les Directions départementales des territoires (DDT) une partie du financement et de la mise en œuvre des politiques de gestion quantitative de la ressource.

      Dans les domaines de l’accès à l’eau potable et de l’assainissement, les collectivités ont le choix du mode de gestion de leur service. Elles peuvent décider de gérer le service par elle-même (en régie) ou de déléguer une partie ou la totalité de la gestion à une entreprise privée (en délégation de service public). En 2020, environ 30 % des services d’eau potable étaient gérés en délégation de service public, représentant tout de même l’approvisionnement de plus de 60 % de la population[17].

      Figure 6 : Présentation simplifiée de la gouvernance de l’eau[18]

      Il est à noter que le modèle actuel du secteur de l’eau repose sur deux principes : le principe de recouvrement des coûts par les recettes (communément appelé ​ le principe de « l’eau paie l’eau ») et le principe de pollueur-payeur. Le principe de l’eau paie l’eau restreint considérablement les financements du secteur puisque seules les factures d’eau des usagers financent le service (qu’il soit géré en régie ou en délégation de service public au secteur privé) et les Agences de l’eau au travers des redevances. Le principe du pollueur-payeur est lui gravement critiqué pour son incapacité à être mis en place. La Cour des comptes européenne rappelait elle-même en 2021 les lacunes en la matière[19].

         II.         Le changement climatique, un accélérateur du cycle de l’eau

      1.    Grand cycle de l’eau et propagation des sécheresses

                     i.         Changement climatique et grand cycle de l’eau, une modélisation complexe

      Les influences sur le grand cycle de l’eau du changement climatique sont complexes et difficilement anticipables. On a, par exemple, l’habitude d’évoquer le chiffre d’un réchauffement de 1°C supplémentaire qui provoquerait une augmentation de l’évaporation de 7 % des eaux de surfaces et des mers[20]. Ce chiffre est exact, mais le phénomène se complexifie par la suite : cette vapeur d’eau va être transportée par les vents pour former des nuages et précipiter sur les continents ; on estime en général qu’un tiers des précipitations continentales est issu de ce phénomène. De même, le réchauffement participe activement à augmenter l’évapotranspiration, c’est-à-dire le dégagement de vapeur d’eau issu de la respiration végétale. Cette évapotranspiration est alors responsable des deux tiers restant des précipitations sur les continents.

      En plus d’augmenter le contenu de vapeur d’eau dans l’atmosphère, le changement climatique a une influence sur les vents encore mal évaluée par les climatologues. De même, la science du climat souffre d’une modélisation insatisfaisante de la formation des nuages ou de l’influence de la végétation sur le cycle de l’eau. En conséquence, les modèles scientifiques et en particulier ceux du GIEC qui synthétisent les meilleurs disponibles, ont beaucoup de mal à anticiper les changements locaux de précipitations dans certaines régions. En Europe, les incertitudes sont grandes entre le sud qui devrait s’assécher et le nord qui devrait recevoir plus de précipitations [21].

       

                    ii.         La sécheresse : un phénomène de propagation du ciel vers les sous-sols

      Autour du bassin méditerranéen, la tendance semble tout de même claire : la sécheresse s’accentue ! Mais avant d’en décrire les caractéristiques, il est important préciser ce que l’on désigne précisément par cette notion. Il existe en réalité trois types de sécheresse qui se suivent et interagissent successivement les unes avec les autres. La première est la sécheresse météorologique qui correspond à un défaut de précipitation sur une région. Elle peut être mesurée en évaluant la différence entre le nombre de jours consécutifs sans pluie entre une période de référence et la période d’étude sur une localisation géographique donnée.

      La persistance d’une sécheresse météorologique va ensuite avoir des impacts sur les écosystèmes : le déficit de précipitation induit le deuxième type de sécheresse, celle des sols ou sécheresse agricole. La sécheresse des sols intervient donc quand l’humidité des sols est trop faible par rapport aux cultures ou aux écosystèmes qu’ils abritent. Elle s’avère aussi largement dépendante de leur usage : certaines cultures comme celles du maïs ou du riz sont très consommatrices en eau tandis que certaines pratiques agricoles comme l’artificialisation, le tassement ou l’usage de pesticides empêchent l’infiltration des eaux de pluie.

      Cette sécheresse des sols se répercute donc sur la quantité d’eau qui s’infiltre et impacte de fait le niveau des nappes souterraines et le débit des cours d’eau avec qui elles sont largement connectées. C’est la sécheresse hydrologique qui survient lorsque le débit des rivières et le niveau des réserves d’eau disponibles dans les nappes phréatiques, aquifères, lacs et réservoirs sont anormalement bas.

      Figure 7 : Propagation entre les différents types de sécheresse [22]

      2.    Pression climatique sur la ressource : l’exemple de l’année 2022

                     i.         Sécheresse météorologique et changement climatique : l’exemple du Var

      L’été 2022 fait office de cas d’école de propagation des différents types de sécheresse. Le mois de juillet 2022 s’est trouvé être le plus sec jamais enregistré en France depuis 1959 avec seulement 9,7 millimètres de pluie enregistrés contre 90,8 millimètres à la même période l’an passé (soit -84 % de déficit) et à 58 millimètres l’année suivante [23]. Sur l’ensemble de l’année, on constate une diminution de 25 % des précipitations entre 2022 et 2021. De la même façon que pour les vagues de chaleur, les niveaux de sécheresse météorologique extrêmes d’aujourd’hui vont devenir la norme sur une large partie du territoire. En Europe, ils pourraient être dix fois plus fréquents et 70 % plus longs d’ici 2060[24].

      Figure 8 : Écart par rapport au nombre maximal de jours secs consécutifs pour le scénario RCP8.5 (4°C) du GIEC

      Le cas du Var est un bon exemple des conséquences graves de ce type d’événements. Du fait de la sécheresse que connaît le département quasi sans interruption depuis l’été 2022, les nouvelles demandes de permis de construire ont été gelées en mars dernier et pour au moins quatre ans dans la communauté de communes de Fayence, les élus craignant de ne plus être en mesure d’assurer l’approvisionnement en eau potable à leurs administrés [25].

      Le stress hydrique est une notion utile pour éclairer cette problématique. Celui-ci se définit comme le rapport entre les consommations d’eau générées sur un territoire et la ressource en eau disponible sur celui-ci. Ce stress hydrique peut augmenter pour des raisons climatiques, comme la surexploitation de la ressource. Des prélèvements excessifs liés aux besoins agricoles, industriels ou démographiques peuvent exercer une pression sur les eaux souterraines et de surface tout aussi importante que le déficit de précipitations. Dans le cas du Var, d’après le World Resources Institute, le stress hydrique devrait augmenter entre 20 et 40 % à horizon 2040 [26]. Cette tendance va donc créer de violents conflits d’usage entre les besoins des résidents permanents, la surconsommation touristique et l’irrigation des exploitations céréalières et parfois viticoles.

      Figure 9 : L’équation du stress hydrique

                    ii.         Sécheresse des sols et changement climatique : des rendements affectés

      Conséquence directe du changement climatique, les événements extrêmes tels que le défaut de précipitation ainsi que l’augmentation de l’évapotranspiration vont assécher les sols. Comme l’évoque le Haut conseil pour le climat, « certains terroirs vont progressivement devenir inadaptés aux agrosystèmes qu’ils abritent et, de fait, remettre profondément en question l’équilibre économique et l’implantation géographique de nombreuses productions (arboriculture, viticulture, systèmes pastoraux) »[27]. La sécheresse météorologique prolongée 2022-2023 a eu des conséquences majeures sur les sols venant induire des pertes de l’ordre de 10 à 20 % sur les cultures céréalières. On y a également constaté le rendement le plus bas depuis 30 ans pour la culture de pommes de terre[28].

      Figure 10 : Évolution de la sécheresse agricole en France avec le changement climatique

                  iii.         Sécheresse météorologique et eaux de surface : le cas de l’assèchement de la Loire

      Conséquences de la modification des schémas de précipitation et de la sécheresse des sols, la sécheresse hydrologique va elle aussi se renforcer en France affectant les eaux de surface et les eaux souterraines. Sur le plan hydrologique, l’impact sécheresse de 2022 ne s’est jamais vraiment terminé : après les records battus en 2022, la tendance s’est prolongée sur l’année 2023 sous la forme d’une sécheresse météorologique prolongée.

      Pour recharger les nappes, l’eau doit tomber en automne et en hiver. Au printemps, la végétation se réactive et absorbe l’essentiel de l’eau de pluie. Largement connectée aux réservoirs souterrains, la possibilité d’un assèchement de la Loire était même évoquée à la fin de l’hiver 2023 [29]. Déjà lors de la sécheresse de 2022, son débit était soutenu entre 50 % et 80 % par un important soutien d’étiage c’est-à-dire par l’apport d’un débit supplémentaire par relargage de l’eau retenue dans les barrages de Naussac et de Villerest. Sauf qu’en février, celle-ci affichait déjà un débit entre 25 % et 60 % inférieur à son niveau hivernal habituel tandis que les retenues de Naussac ne se trouvaient remplies qu’au tiers de leurs capacités au mois de février soit un niveau deux fois inférieur au niveau des années précédentes.

      Dans son rapport Explore 70, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a tenté, en 2012, de modéliser l’évolution des sécheresses hydrologiques induites par le changement climatique. Malgré ses 12 ans d’âge, il reste l’un des rapports les plus complets sur la question. Il conclut d’abord qu’une baisse généralisée du débit moyen des cours d’eau de l’ordre de 10 à 40 % par rapport à aujourd’hui est à prévoir sur toute la métropole à horizon 2050 [30]. Les modèles projettent une diminution particulièrement marquée du débit moyen pour les cours d’eau des contreforts pyrénéens et, dans une moindre mesure, de la majorité du district hydrographique Seine-Normandie, avec des diminutions simulées comprises entre 10 et 60 %. Les baisses des débits d’étiage, débit minimal d’un fleuve, seront par ailleurs plus sévères, plus longues et plus précoces, avec des débits estivaux réduits de 30 à 60 %. Ainsi, le Rhône, fleuve alimentant une partie significative du parc nucléaire français comme de nombreuses productions agricoles, pourrait subir une baisse du débit minimum jusqu’à -50 % à horizon 2100 [31]. Pour la Seine, les modélisations du BRGM anticipent une baisse moyenne annuelle comprise entre 10 et 50 %.

      Figure 11 : [Gauche] Évolution moyenne du débit des cours d’eau en France avec le changement climatique [Droite] Variation de la recharge des nappes [32]

      Concernant l’eau bleue souterraine, les modèles du BRGM présentent également une baisse significative de la recharge des nappes comprise entre 10 et 25 % à horizon 2050. Elle sera particulièrement marquée pour le bassin de la Loire, où elle atteindra 25 à 30 %, et pour le Sud-Ouest (30 à 50 %) [33].

      3.    Droit à l’eau, bien commun, inégalité d’accès et Outremers

                              i.         Constitutionnaliser l’accès à l’eau et la reconnaissance de son caractère de bien commun

      Le droit à l’eau et à l’assainissement de qualité a été reconnu comme un droit humain fondamental par les Nations unies en 2010. Cependant en France, mais aussi en Europe, les dispositions juridiques ne suivent pas, rien ne donne réellement et de façon contraignante de statut spécial à l’eau. Cette situation aurait probablement pu perdurer d’autant que l’Europe vivait dans une relative abondance dans l’accès à l’eau. Mais le changement climatique change tout… Celui-ci contraint déjà fortement la disponibilité de la ressource et cette situation va inévitablement s’aggraver.

      Dans ce contexte de pénurie, il revient au législateur d’arbitrer les conflits d’usage : qui doit avoir accès à l’eau en priorité et pour quels usages ? Aujourd’hui, la faiblesse des réglementations permet et parfois encourage (par la subvention) l’accaparement par les plus gros consommateurs agricoles ou industriels. L’arsenal législatif reste également trop faible ou mal appliqué pour faire durablement respecter les exigences de qualité.

      La proclamation et l’inscription dans la constitution d’un nouveau droit humain fondamental, celui de l’accès universel à l’eau issue d’un assainissement de qualité et permettant de garantir à chacun des conditions de vie compatible avec une vie digne semble décisif pour démarrer notre adaptation au changement climatique. Il est vrai que l’article L 210-1 du code de l’environnement proclame déjà une forme de droit à l’eau, mais il n’affirme aucun dispositif juridique contraignant permettant de prioriser un usage sur un autre. Le laisser-faire n’est plus une option, en constitutionnalisant de droit à l’eau le législateur reconnaît qu’il doit d’une part, assumer pleinement ses responsabilités en mobilisant des moyens financiers, techniques et humains suffisants pour garantir ce droit à tous les citoyens. D’autre part, il affirme par là son caractère d’arbitre dans les conflits d’usage : il doit organiser la hiérarchisation des usages afin que ceux indispensables à des conditions de vie dignes ne soient jamais dépriorisés par rapport à d’autres, plus futiles …

      Le cycle de l’eau doit lui aussi être reconnu juridiquement : l’eau et son grand cycle doivent récupérer le statut d’un bien commun qu’il convient de préserver et de gérer de manière collective. Juridiquement l’eau est déjà reconnue comme « patrimoine commun de la Nation » sauf que ce caractère n’implique aucun mode de gestion spécifique. Constitutionnaliser le droit à l’eau impliquerait de reconnaître l’accès à l’eau comme un droit fondamental non seulement pour les humains, mais aussi pour les écosystèmes avec qui nous partageons la ressource. Ce caractère de bien commun imposera alors d’organiser progressivement la soustraction de la ressource à la logique marchande : l’eau ne serait plus considérée comme un produit comme un autre, mais comme une ressource dont il faut organiser le partage entre tous les usagers humains comme non-humains. La gestion de l’eau devra également respecter des modalités précises : la participation démocratique aux choix prit dans la gestion de la ressource, la transparence dans les décisions prises, la responsabilité par rapport aux écosystèmes et la précaution vis-à-vis de l’utilisation de substance et le déploiement d’infrastructures pouvant avoir des conséquences écologiques ou sanitaires graves.

      Un exemple de pays qui a constitutionnalisé le caractère de bien commun de l’eau est l’Équateur. En 2008, la nouvelle Constitution équatorienne a reconnu l’eau comme un droit humain, un patrimoine national stratégique et un bien public inaliénable. La gestion de l’eau est assurée par le Conseil national de l’eau, qui regroupe les représentants de l’État, des collectivités territoriales, des usagers et des organisations sociales. L’Équateur a ainsi adopté une vision intégrale et pluriculturelle de l’eau, qui vise à préserver sa qualité, sa quantité et sa régénération.

      Le droit à l’eau et la reconnaissance du cycle de l’eau doivent être les deux principes socles pour institutionnaliser démocratiquement la sobriété hydrique en France. Leur proclamation est nécessaire, mais non suffisante pour initier une gestion juste et égalitaire. Ce grand principe devra être suivi de mesures permettant de moderniser les institutions de l’eau en France c’est-à-dire de les adapter aux nouvelles contraintes climatiques et au statut de bien commun que revêtira désormais la ressource. Ensuite, la sobriété hydrique ne pourra se construire qu’en adoptant une logique de planification sectorielle des usages déclinée à l’échelle locale. La suite de la note permettra de décrire précisément les mesures d’adaptation systémiques et transformationnelles à même de rendre effectifs ces deux principes.

      Proposition #01 : Constitutionnaliser un droit universel d’accès à l’eau et reconnaître cette ressource comme un bien commun

      Inscrire dans la constitution comme un droit humain fondamental l’accès à l’eau issue d’un assainissement de qualité et permettant de garantir à chacun des conditions d’hygiène compatible avec une vie digne. Par cette proclamation le législateur reconnaît qu’il doit d’une part, assumer pleinement ses responsabilités en mobilisant les moyens financiers, techniques et humains suffisants pour garantir ce droit à tous les citoyens. D’autre part, il affirme son rôle d’arbitre dans les conflits d’usage comme sa responsabilité à prioriser ceux indispensables à des conditions de vie dignes.

      Reconnaître l’eau, ainsi que la préservation de l’intégralité de son cycle en tant que bien commun à gérer de manière coopérative. Ce caractère imposera alors d’organiser progressivement la soustraction de la ressource à la logique marchande : l’eau sera considérée comme une ressource dont il faut organiser le partage équitable entre tous les usagers humains et non-humains. La gestion de l’eau devra également respecter des modalités précises : la participation démocratique aux choix prit dans la gestion de la ressource, la transparence dans les décisions prises, la responsabilité par rapport aux écosystèmes et la précaution par rapport à l’utilisation de substances et le déploiement d’infrastructures pouvant avoir des conséquences écologiques ou sanitaires graves. 

                             ii.         Eau et pauvreté en France

      Cette évolution est rendue d’autant plus nécessaire que la question de l’eau revêt une dimension sociale fondamentale.  En France métropolitaine, l’accès à l’eau n’est pas garanti pour toutes et tous : 1,4 million d’individus ne disposent pas d’un approvisionnement sûr en eau potable. L’eau pèse aussi sur le pouvoir d’achat : 2 millions de personnes sont confrontées à des factures d’eau et d’assainissement équivalant à plus de 3 % de leurs revenus [34].

      Avoir accès à une eau suffisante en quantité et en qualité est également indispensable pour garantir la dignité de chacune et chacun. L’OMS fixe à 15 litres par jour les besoins minimaux en eau. En France, ceux-ci sont assurés en moyenne : un Français consomme 150 litres par jour. Cependant, certains ne disposent pas de cette facilité d’accès, notre pays compte 300 000 sans-abris : chiffre qui a doublé depuis 10 ans, et seuls 32 % des lieux qui les accueillent disposent d’un accès à l’eau potable [35]. Plus généralement, près de 900 000 personnes souffrent d’un accès restreint à des installations sanitaires, notamment en raison de leur “déconnexion” des réseaux d’eau et d’assainissement.

      Assurer le droit à l’eau ne peut se faire en excluant les plus modestes, c’est pour cela qu’une politique consciente des enjeux sociaux de l’eau doit garantir la dignité de toutes et tous. Les services publics de l’eau potable sont une partie de la solution à ce problème : les installations de sanitaires publics, de bain-douche et de fontaines à eau gratuite et en libre accès doivent se généraliser sur tout le territoire.

      Proposition #02 : Assurer les droits à l’eau et à l’assainissement pour les sans-abris et les plus précaires par la multiplication des points d’accès gratuits en ville.

      Développer largement l’installation de sanitaires publics, de bains-douches et de fontaines à eau gratuites et en libre accès sur l’ensemble du territoire.

      Assurer leur entretien régulier et localiser leurs installations autour des bassins de pauvreté (bidonvilles, quartiers denses).

      Assurer l’accès à l’eau potable et l’assainissement dans 100 % des établissements d’accueil de sans-abris.

                           iii.         Les Outremers face aux pénuries [36]

      Si l’on peut se réjouir de la place qu’a prise la question de l’eau dans le débat public, on doit aussi déplorer que la discussion ait laissé de côté plus de 2 millions de nos compatriotes …  Abandonnés par les pouvoirs publics, les Outremers françaises doivent faire face quotidiennement à des situations de pénurie qui s’aggravent.

      C’est sûrement à Mayotte (299 000 habitants) que la situation est la plus dramatique. Fin 2023, une famille sur 3 n’avait pas accès à l’eau courante et où l’eau potable était coupée 2 jours sur 3 à l’automne 2023 ! Alors que 77 % de la population se trouve sous le seuil de pauvreté, la facture d’eau représente 17 % du budget d’un ménage mahorais (contre 3 % dans l’hexagone).

      En Martinique (353 000 habitants), les coupures sont quotidiennes et 40 % de l’eau est perdu dans le réseau d’adduction, c’est-à-dire les canalisations qui permettent son acheminement. Les sols et les rivières sont largement contaminés au chlordécone, pesticide autorisé dans les Outremers longtemps après que son caractère cancérigène ait été démontré et des années après que son usage ait été interdit en France métropolitaine : la Martinique détient d’ailleurs le triste record du nombre de cancers de la prostate par habitant, conséquence directe de l’utilisation de ce pesticide…

      En Guadeloupe (381 000 habitants), les coupures inopinées font qu’un quart de la population n’a pas d’eau tous les jours. L’école est régulièrement suspendue par manque d’eau alors que la ressource disponible par habitant y est deux fois plus importante que dans l’hexagone. En raison du chlordécone et d’un taux de fuite de 70 % dans les canalisations, les habitants sont contraints de se reposer sur les tours de pluie pour leurs usages domestiques.

      L’île de la Réunion (867 000 habitants) souffre d’un retard structurel en matière de traitement des eaux potables tandis que 56 % des masses d’eau souterraine ne sont pas en bon état. Un réunionnais sur deux est alimenté par un réseau ancien (40 % de pertes) dont la sécurité sanitaire n’est pas suffisante.

      En Guyane (296 000 habitants), troisième réserve d’eau douce par habitant au monde, un litre sur trois est perdu dans les canalisations et 15 % de la population n’a pas accès à l’eau courante. De plus, la Guyane devra faire face à un défi démographique immense avec une population qui va doubler d’ici 2040.

      Dans les Outremers, la réappropriation collective de l’eau est devenue autant une question de survie que de dignité. La Métropole doit donc assumer pleinement ses responsabilités, en mobilisant les moyens suffisants pour assurer un accès digne à la ressource. Il est inacceptable que ce genre de situation perdure dans l’une des plus grandes puissances économiques du monde. Il faut initier en priorité les chantiers d’urgence décrits dans cette note. Il faut par exemple un grand plan d’investissement public pour la rénovation et la modernisation des réseaux d’eau et d’assainissement. La puissance publique doit également renforcer la lutte contre la pollution des eaux et accélérer leur dépollution, notamment en ce qui concerne les Antilles avec le chlordécone qui affecte gravement la santé des populations. Enfin en Outremers encore plus qu’ailleurs l’instauration d’une tarification sociale et solidaire de l’eau est un impératif.

      Proposition #03 : Déclarer l’état d’urgence hydrique dans tous les territoires d’Outremers

      Instaurer et déclarer l’état d’urgence écologique dans les Outremers concernant l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. L’État doit assumer pleinement ses responsabilités en matière de politique de l’eau, en mobilisant les moyens financiers, techniques et humains suffisants pour garantir ce droit fondamental à tous les habitants des Outremers. La puissance publique doit également renforcer la lutte contre la pollution des eaux et accélérer leur dépollution, notamment en ce qui concerne les Antilles avec le chlordécone qui affecte gravement la santé des populations.

      Lancer un grand plan d’investissement public pour la rénovation et la modernisation des réseaux d’eau et d’assainissement, en concertation avec les collectivités locales, les usagers et les associations.

      Instaurer une tarification sociale et solidaire de l’eau prenant en compte les spécificités climatiques, géographiques et culturelles des Outremers, qui garantisse la gratuité des premiers mètres cubes indispensables à la vie, un chèque eau pour les ménages modestes, et un plafonnement du prix de l’eau en bouteille.

      [1] ADES, Eau et milieux aquatiques ; les chiffres clés ; édition 2022, 2020.

      [2] Association Pour une hydrologie régénérative

      [3] UNICEF, 2,1 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable salubre.

      [4] ONU, L’ONU lance la Décennie d’action sur l’eau pour le développement durable

      [5] European Environment Agency, ; European Environment Agency; Janvier 2023 conditions in Europe (Water exploitation index plus) (8th EAP), Janvier 2023

      [6] Grand cycle de l’eau, glossaire eau, milieu marine et biodiversité, Avril 2021

      [7] Office français de la biodiversité n.d. À noter que de nombreuses industries en France sont rattachées aux réseaux d’eau domestique, les incluant également dans le petit cycle. D’autres, peuvent avoir leurs propres captages, en fonction de leurs besoins.

      [8] Comme le rappelle l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement dans son rapport 2023, « la part des eaux souterraines dans les prélèvements d’eau à destination de la consommation humaine s’établit à 63 % » en 2021.

      [9] Belrhiti et al., 2022

      [10] Office international de l’eau, Le petit cycle de l’eau, 2018

      [11] Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, 2023

      [12] Commissariat général au développement durable, 2023

      [13] Robert Zsucs, River Basin Map Of France, Rainbow Colours On Black – Fine Art Print

      [14] Ministère de la Transition écologique, Les eaux souterraines, données et études statistiques , décembre 2015. Seuls les aquifères les plus proches du sol, dits de niveau 1 sont présentés sur la carte ci-dessus. Source :  BRGM, DBRHFV1 pour le France métropolitaine, masses d’eau souterraine DCE pour les DOM. Traitements : SOeS, 2013

      [15] CNRS, Une politique organisée autour de six bassins hydrographiques

      [16] Cour des comptes, Rapport public annuel 2023 – LA décentralisation 40 ans après, 2023

      [17] Lao and Portela, , Lao and Portela, 2022État des lieux des services publics d’assainissement non collectif, 2022

      [18]Cour des comptes, Rapport public annuel 2023 – LA décentralisation 40 ans après, 2023

      [19] Cour des comptes européenne, La gestion quantitative de l’eau en période de changement climatique, exercice 2016-2022, 2023

      [20] Résultat de thermodynamique facilement démontrable par la relation de Clausius Clapeyron

      [21] Voir les zones d’incertitudes sur les précipitations dans l’atlas interactif du GIEC

      [22] Qu’est-ce que la sécheresse ? INRAE ; Juillet 2020

      [23] Ce mois de juillet a été le plus sec jamais mesuré en France ; Reporterre ; août 2022

      [24]Increase in severe and extreme soil moisture droughts for Europe under climate change. Science of The Total Environment 660:1245–1255 ;  Grillakis MG. (2019)

      [25] La sécheresse oblige des maires du Var à suspendre les permis de construire : « Le dérèglement climatique devient concret pour nous » ; Le Monde, Mars 2023

      [26] Water Risk Atlas, Aqueduct, World Resource Institute

      [27] « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

      [28] Face à la sécheresse, les rendements agricoles menacés en 2023, YouMatter, avril 2023

      [29] La Loire peut-elle s’assécher en 2023 ?; France info ; février 2023

      [30] PROJET Explore 2070 – Evaluation de l’impact du changement climatique – Volume 1, BRGM

      [31] Climat : le Rhône pourrait baisser de moitié d’ici un siècle; Le Monde; février 2018

      [32] Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : urgence déclarée, rapport d’information au Sénat, Mai 2019

      [33] Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : urgence déclarée, rapport d’information au Sénat, Mai 2019

      [34] Evaluation du livret thématique de l’avenir en commun : Eau notre bien commun, 2022

      [35] Evaluation du livret thématique de l’avenir en commun : Eau notre bien commun, 2022

      [36] Données issus de Evaluation du livret thématique de l’avenir en commun : Eau notre bien commun, 2022

      Publié le 19 février 2024

      Institutionnalisons la sobriété hydrique en France !
      Première partie

      Auteurs

      Ilian Moundib
      Ilian Moundib est ingénieur spécialiste des questions de résilience climatique. Diplômé de l’Ecole Centrale de Lyon et titulaire d’un master de science physique de l’Imperial College de Londres. Il est chercheur, consultant, conférencier et formateur indépendant sur les questions d’adaptation aux risques climatiques. Il accompagne de grands acteurs publics comme privés sur ces sujets cruciaux. Membre du conseil scientifique de l’Institut Rousseau, il a publié trois notes à destination des pouvoirs publics français portant sur l’institutionnalisation de la sobriété hydrique, l’adaptation de la France au changement climatique et le déploiement de la sobriété numérique. Ilian est l’auteur d’une formation en ligne de 10h dispensée sur la plateforme Sator.fr intitulée «Construire l'adaptation climatique - Les enjeux et méthodes de l’adaptation du territoire au changement climatique » . Cette masterclass transmet de manière inédite les notions et les outils d'une adaptation efficace au changement climatique sur nos territoires de France. Villes, agriculture, infrastructures, industrie, énergie, littoraux, forêts, montagnes… Le cours parcourt les méthodes comme les opportunités qui permettront de construire ensemble la véritable résilience à toutes les échelles. Ilian est régulièrement sollicité pour dispenser des conférences grand public, comme à l’Ecole Centrale de Lyon, à l’Académie du climat ou à Produrable ainsi que des formations et ateliers collaboratifs dans un cadre professionnel. En tant que consultant indépendant sur la question de l’adaptation au changement climatique et de la résilience des organisations : il intervient régulièrement dans la réalisation d’étude de risques climatiques physiques et de risques de transition dans le but de diagnostiquer l’exposition et la vulnérabilité de tous types d’acteurs. Habitué à l’usage des modèles climatiques et des cadres réglementaires RSE comme la CSRD, il utilise cette phase de cartographie et d’analyse par scénario pour proposer une quantification des pertes potentielles (coût de l’inaction) et la mise en place de plans de résilience visant à réduire la vulnérabilité de l’acteur en question. La connaissance des sujets liés à l’eau, la biodiversité, les ressources fossiles et métalliques permet de donner un caractère complet et systémique à ses analyses de résilience. Ensuite, il s’est spécialisé sur la question de l’empreinte climatique du numérique et de la mise en application de la sobriété carbone du secteur. Il a ainsi pu mettre sur pied l’un premier modèle d’évaluation de l’impact climatique lié aux différentes étapes du transfert de l’information pour le compte de la société EcoAct pour laquelle il a travaillé 4 ans. Il a également eu l’occasion de publier de nombreuses notes sur le sujet dont une pour l’Institut Rousseau. Finalement, il possède aussi une solide expérience des diagnostics d’émissions des gaz à effet de serre des organisations (Bilan Carbone® et GHG Protocol) ainsi que dans l’établissement de trajectoire de réduction compatible avec les budgets carbone du GIEC. Il se trouve également être formateur pour La Fresque de Climat, et des Ateliers de l’adaptation au changement climatique (AdACC), ateliers de sensibilisation qu’il anime régulièrement.

      Cette note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’Institutionnalisation de la sobriété hydrique en France sera publiée en quatre parties. Voici la première.

      Résumé de la note

      En France, le dérèglement du cycle de l’eau va tout changer. Comme pour les collectivités d’Outre-mer qui connaissent déjà une sidérante crise de l’eau, l’approvisionnement en eau potable ne sera peut-être plus garanti non plus à moyen terme en métropole. À cet égard, l’été 2022 nous a déjà fait changer d’époque : 43 % des cours d’eau à sec, des déficits de précipitation entre 10 et 50 % sur l’intégralité du territoire, des nappes à leurs plus bas historiques et des glaciers qui perdent leur eau douce au rythme des anticipations les plus pessimistes. Bien qu’il accélère le cycle de l’eau, le changement climatique n’est pas l’unique cause des graves conséquences pour lesquelles nous constatons une impréparation. Les phénomènes de sécheresse et d’inondation ne sont en réalité que les deux faces d’une même pièce : ils sont les conséquences d’une dégradation de la santé de nos sols. Imperméabilisés, tassés, stérilisés, ils perdent peu à peu leur capacité d’infiltration et de retenue de l’eau précipitée ou ruisselée. Le changement climatique, en augmentant la fréquence et l’intensité des sécheresses météorologiques et des précipitations extrêmes, révèle, en réalité, la mort lente des écosystèmes régulateurs du cycle de l’eau.

      Pour l’agriculture, les modes de cultures trop intensifs en eau comme ceux du maïs, largement destinés à l’export et à l’alimentation animale, vont être rendus non viables et même confiscatoires vis-à-vis des autres usagers, la faute à des recharges d’eau souterraine de plus en plus contrainte. Les conséquences sanitaires des rejets de polluants agricoles comme industriels vont largement s’aggraver du fait d’une quantité d’eau plus faible pour les diluer. La diminution des débits et le réchauffement des eaux vont affecter les productions électriques et industrielles. Dans ce contexte, il revient au législateur d’arbitrer des conflits d’usage qui pourraient régulièrement dégénérer en guerre de l’eau.  Qui doit avoir un accès prioritaire à la ressource et pour quels usages ? Aujourd’hui, la faiblesse des réglementations permet l’accaparement par les plus gros acteurs agricoles ou industriels. Dans le pire des cas, la puissance publique encourage même cette confiscation : c’est l’exemple des fameuses mégabassines subventionnées à plus de 70 % par l’argent public. L’arsenal législatif reste également trop faible ou mal appliqué pour faire durablement respecter les exigences de qualité. En 2021, environ 12 millions de Français ont été concernés par des dépassements des seuils autorisés de pesticide dans l’eau potable tandis que la pollution au nitrate s’est étendue sur 37 % des masses d’eau souterraine entre 1996 et 2018[1].

      Pour institutionnaliser la sobriété hydrique en France, trois piliers sont à construire. Le premier est d’inscrire dans la Constitution à la fois un droit universel d’accès à l’eau issue d’un traitement de qualité et permettant de garantir à chacun des conditions d’hygiène compatible avec une vie digne, mais aussi de reconnaitre le caractère de bien commun du cycle de l’eau qu’il convient alors de gérer de manière coopérative. Pour pouvoir être exercés pleinement, ces deux principes doivent se décliner en un large éventail de politiques publiques, allant de la mise en application du principe du pollueur-payeur à l’instauration d’une tarification progressive, en passant par la rénovation des canalisations. Face à une ressource qui se raréfie, la puissance publique doit organiser le partage en faisant prévaloir le droit à l’eau sur tout autre usage excessif et de fait confiscatoire de la ressource.

      Le deuxième axe consiste à régénérer le grand cycle en transformant profondément les modalités d’aménagement du territoire. Il faut mettre en application le paradigme de l’hydrologie régénérative : « ralentir, répartir et infiltrer »[2] à l’agriculture comme au tissu urbain. Dans le premier cas, l’idée est d’aménager la parcelle agricole de sorte que l’eau s’y écoule lentement, se répartisse le plus largement possible sur les sols pour s’y infiltrer et recharger durablement les nappes. La parcelle agricole est transformée en « un paysage aquatique ». Ensuite les solutions d’agroécologie (rotation de culture, polyculture élevage, etc.) comme d’agroforesterie (plantation d’arbres et de haies, etc.) permettent d’enrichir le sol en matière organique et de le recouvrir d’un large couvert végétal. Ces aménagements réduisent le ruissellement, infiltrent plus efficacement les eaux de pluie, filtrent mieux les polluants et apportent une fraîcheur décisive pour résister aux vagues de chaleur. Plus généralement, placer le système de production alimentaire sur la voie d’un développement résilient suppose de repenser la finalité du modèle agricole. La contrainte hydrique rend la décroissance de l’assolement de maïs et de la production de viande inévitable ; planifions-la plutôt que de la subir. Le concept d’hydrologie régénérative s’applique également parfaitement aux villes. Pour affronter des précipitations extrêmes plus intenses et les inondations afférentes, il faut débétonner, végétaliser et renaturer l’hydrologie des cours d’eau pour former des villes éponges capables d’absorber les excès d’eau.

      Enfin, il faut rénover les institutions de l’eau pour expérimenter une gestion de la ressource comme un bien commun. La première étape est alors de reconnaître juridiquement, à la fois le cycle de l’eau et les droits des écosystèmes aquatiques. Pour initier leur préservation, nous proposons d’utiliser la connaissance scientifique pour forger des objectifs spécifiques à chacun des six bassins hydrographiques français de réduction des prélèvements, des consommations, de rejet de polluants et préservation des écosystèmes. Ces derniers seront votés par les Comités de bassin, aussi appelés Parlements de l’eau et mis en application par les six Agences de l’eau en charge des bassins. Nous proposons aussi d’expérimenter une gestion locale de la ressource sur le modèle du bien commun au sens de la prix Nobel d’économie Elinor Ostrom par la création d’Associations d’usagers de l’eau à l’échelle des bassins de vie. Ces collectifs auront pour mandat de gérer collectivement la ressource du territoire en définissant des règles locales garantissant un usage compatible avec les objectifs définis par les Agences de l’eau. Aussi, il faut inciter et accompagner la gestion en régie publique pour les collectivités qui le souhaitent, notamment en renforçant leurs moyens financiers et d’ingénierie territoriale. Dans les cas où la délégation de service public est présente, les Agences de l’eau doivent préétablir une gamme de contrats imposant aux concessionnaires des objectifs sociaux et environnementaux, notamment de sobriété hydrique.

      La question de l’eau fait office de porte d’entrée à beaucoup d’autres. Un modèle agricole largement tourné vers l’export de céréales est-il encore viable ? Quel mix électrique voulons-nous collectivement pour demain au regard de la contrainte hydrique ? La relocalisation industrielle est-elle compatible avec une disponibilité plus rare de la ressource ? Au même titre que le changement climatique, la dimension hydrique doit désormais être intégrée dans chacune de nos décisions de politique publique.

      Finalement, la notion de sobriété hydrique interroge le partage des biens communs. Comme la santé ou l’alimentation, l’accès à l’eau est un droit fondamental que nous jugeons tous légitime de reconnaître et de garantir partout et à tout moment sur le territoire. Pourtant l’actualité montre que l’accaparement de ce bien commun n’est plus acceptable lorsque la pression climatique vient réduire sa disponibilité. Dans ce contexte, construire notre résilience aux chocs futurs passera inévitablement par la réappropriation collective du cycle de l’eau et par l’élaboration d’institutions à même de garantir son partage. L’ambition de cette note et des 22 propositions de politiques publiques qu’elle exhibe est de mettre en discussion de nouvelles formes d’organisations plus résilientes à une contrainte hydrique qui ne va que s’intensifier dans les années à venir.

      Introduction

      L’été 2022 nous a fait changer d’époque :  43 % des cours d’eau à sec, des déficits de précipitation entre 10 et 50 % sur l’intégralité du territoire, des nappes à leurs plus bas historiques et des glaciers qui perdent leur eau douce au rythme des anticipations les plus pessimistes. Records après records, la France constate son impréparation par les ruptures d’alimentation en eau potable en métropole ou dans les collectivités d’Outre-mer comme à Mayotte où l’eau du robinet ne coule désormais plus qu’un jour sur trois à la fin de l’été 2023.

      La cause est une accélération anthropique du cycle de l’eau. L’aménagement du territoire, l’irrigation agricole, l’imperméabilisation, l’appauvrissement des sols, la pollution ainsi que la dégradation des écosystèmes aquatiques affectent profondément la circulation hydrologique. Pourtant, la crise de l’eau pure ne se réduit pas à celle du climat. S’il y a toujours autant d’eau (entendu dans le sens H2O) sur Terre, la répartition de l’eau potable est fragilisée par des épisodes de sécheresses et d’inondations qui ne sont que les deux faces d’une même pièce. Elles sont toutes deux les conséquences d’une dégradation de la qualité de nos sols devenus incapables d’infiltrer et de retenir suffisamment d’eau. Le changement climatique, en augmentant la fréquence et l’intensité des sécheresses et des précipitations extrêmes, met à nu une mort lente des écosystèmes régulateurs du cycle de l’eau.

      Partout dans le monde, le dérèglement du cycle de l’eau se fait sentir. Le stress hydrique se généralise dans le contexte d’un accès déjà très inégalitaire : neuf pays détiennent 60 % des réserves mondiales d’eau et environ 2,1 milliards de personnes vivent sans accès à de l’eau potable[3]. Selon les Nations unies, 40 % de la population mondiale fait déjà face à des pénuries d’eau au moins une fois par an, et d’ici 2030, environ quatre milliards de personnes se trouveront dans des régions où l’approvisionnement en eau sera insuffisant[4]. À l’échelle européenne, déjà 30 % de la population habite dans des zones souffrant d’une rareté en eau douce tout au long de l’année[5]. Dans le contexte de pénurie hydrique que l’on connaît en France, la privatisation de la ressource intensifie les conflits d’usages, et nous amène à des guerres de l’eau entre corporations agricoles, grands industriels et citoyens. Réduisant l’eau à un bien marchand, le modèle économique de ces entreprises pèse lourdement sur le cycle de l’eau qu’elles participent à dérégler.

      Face à ces défis, l’eau potable doit être reconnue comme un bien commun dont l’accès doit être garanti à tous : c’est le droit à l’eau qui doit devenir constitutionnel pour organiser un partage équitable. Institutionnaliser la sobriété hydrique notamment en construisant des modes de gestion démocratiques des usages de l’eau est inévitable pour s’organiser face aux pénuries. Cela implique que la France puisse participer activement à la protection du cycle de l’eau en empêchant l’accaparement de la ressource pour l’irrigation agricole d’une production de maïs qui soutient la hausse de la consommation de viande mondiale. Le pays doit s’interroger sur la viabilité d’une partie de sa production industrielle et de son mix électrique au regard de la nouvelle contrainte hydrique. La question des pollutions s’avère également centrale aussi bien pour organiser la réduction à la source de ces pressions que pour amorcer la réflexion sur la politique du tout à l’égout. La gouvernance de l’eau comme les infrastructures du petit cycle se doivent également d’être transformées d’urgence pour s’adapter à ce nouveau contexte. Enfin, au-delà de le protéger, il faudra régénérer le cycle de l’eau grâce à un nouvel aménagement rural et urbain permettant de ralentir la circulation de l’eau, de la réinfiltrer dans les sols et de la faire circuler au sein d’écosystèmes enrichis.

      Cette note tentera d’explorer les spécificités de la contrainte hydrique appliquée à notre agriculture, nos usages domestiques, notre industrie et notre production électrique. Elle se donne pour objectif de proposer les modalités d’un droit à l’eau et du déploiement de la sobriété hydrique. À cet effet, elle exposera 22 propositions de politique publique en mesure d’initier l’adaptation du pays à l’enjeu du XXIe siècle : l’accès à l’eau. Les parties sont indépendantes entre elles, il est donc tout à fait possible de consulter ce document section par section sans le lire intégralement.

      La présente note a été largement inspirée par les travaux de plusieurs auteurs, associations et organisations travaillant sur la question de l’eau depuis de nombreuses années. En premier lieu, je tiens à chaleureusement remercier Justine Le Floch, membre du collectif Pour Un Réveil Écologique, qui a investi une grande partie de son temps dans la réflexion d’une majorité de cette note. Les travaux de l’hydrologue Charlène Descollonges, notamment par son livre L’eau fake or not aux éditions Broché ou son cours proposé sur la plateforme Sator.fr ont permis de structurer les parties liées à l’agriculture, l’industrie et bien entendu à son sujet de prédilection, l’hydrologie régénérative. Les propositions de l’association Pour une Hydrologie Régénérative dont elle est co-fondatrice ont nourri entièrement la partie dédiée à ce sujet. Les travaux de Ludovic Torbey et de l’équipe Osons comprendre ont permis d’éclairer beaucoup d’éléments en lien avec la question croisée nucléaire-eau, plusieurs éléments issus de leur vidéo « Nucléaire : une énergie inadaptée au changement climatique ? » sont repris dans la partie destinée à la production électrique dans le cadre de la sobriété hydrique. Les travaux de la Confédération Paysanne et des Greniers de l’Abondance ont largement abondé la partie proposant une refondation du modèle d’agriculture.

      Partie 1 : Reconnaitre le droit à l’eau pour initier la sobriété hydrique

      Ceci est la première partie de la note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’Institutionnalisation de la sobriété hydrique en France.

           I.         S’approprier les enjeux de l’eau par ses concepts clés

      1.    Grand cycle de l’eau, petit cycle de l’eau et usages

      Pour commencer, quelques notions s’avèrent nécessaires pour une compréhension fine des enjeux liés à la gestion de l’eau. D’abord, le grand cycle de l’eau correspond au cycle qui nous est enseigné à l’école. Le cycle de l’eau est le processus par lequel l’eau circule entre les différents réservoirs que sont les océans, les continents et l’atmosphère. C’est un phénomène global qui voit l’eau changer d’état au cours de son parcours et interagir largement avec les différents écosystèmes. Par exemple, l’évaporation de l’eau des océans contribue à la formation des nuages, qui se déplacent ensuite sous l’effet des vents. Ces nuages peuvent se condenser et précipiter sous forme de pluie, de neige ou de grêle sur les continents ou sur les océans. Une partie de cette eau ruisselle à la surface du sol ou s’infiltre dans les nappes souterraines, tandis qu’une autre partie retourne à l’atmosphère par la transpiration des plantes ou l’évaporation des eaux de surface. L’eau peut également être stockée sous forme solide dans les calottes polaires ou les glaciers, qui peuvent ensuite fondre ou se sublimer en fonction des variations de température. Le cycle de l’eau est donc un système complexe et dynamique, qui peut être perturbé par les activités humaines. Par exemple, la déforestation au Brésil affecte largement les schémas de précipitation sur le continent latino-américain (et peut-être même les précipitations mondiales), notamment en réduisant la quantité d’eau transpirée par la végétation.

      Figure 1 : Schéma illustratif du grand cycle de l’eau [6]

      Le petit cycle de l’eau est lui, au contraire, totalement artificiel puisque dédié à la consommation d’eau pour les activités humaines. Il est défini par l’Office français de la biodiversité, comme « le parcours que l’eau emprunte du point de captage dans la rivière ou la nappe d’eau souterraine jusqu’à son rejet dans le milieu naturel. Il comprend le circuit de l’eau potable et celui du traitement des eaux usées »[7]. En France, c’est 32,8 milliards de m3 d’eau qui sont prélevés chaque année pour le petit cycle de l’eau, dont une grande partie est restituée aux milieux aquatiques. Environ 35 % de cette eau prélevée pour le petit cycle de l’eau est de l’eau dite de « surface », c’est-à-dire qu’elle provient des fleuves, rivières, lacs, cours d’eau, mais également des eaux de ruissellement (eaux de pluie), des réservoirs, des lacs de barrage, mers, océans, etc. Les 65 % restants sont des eaux souterraines issues des nappes phréatiques.

      Le choix d’avoir recours à l’eau de surface ou à l’eau souterraine pour le prélèvement et la distribution d’eau se fait essentiellement en fonction des spécificités hydrogéographiques du territoire, même si historiquement, les collectivités ont une préférence pour les eaux souterraines, en raison de la qualité supérieure de la ressource[8]. Dans un cas comme dans l’autre, l’eau est traitée et fait l’objet de nombreux contrôles avant d’être distribuée. L’eau souterraine est généralement de meilleure qualité : le dernier bulletin national de synthèse de l’état des lieux des bassins considérait qu’en 2019, seuls 43,1 % des eaux de surface étaient en bon état écologique et 44,7 % en bon état chimique tandis que pour les eaux souterraines, il s’agit d’un peu plus de 14 % de ces eaux qui n’atteignent pas le bon état quantitatif et 40 % le bon état chimique[9].

      Figure 2 : Schéma illustratif du petit cycle de l’eau [10]

      L’eau consommée correspond à l’eau qui a été prélevée, mais qui ne retourne pas directement au milieu naturel. Les activités les plus consommatrices sont l’agriculture et l’eau potable, qui représentent respectivement 58 % et 26 % du total de l’eau consommée, suivies par la production électrique (12 %) et l’industrie (4 %)[11]. Cependant, en comparaison, l’activité qui prélève le plus d’eau est la production d’électricité (représentant 49 % des prélèvements), suivie par l’alimentation des canaux de navigation (16 %) et enfin l’eau potable (17 %) et l’agriculture (10 %). Cela est dû au fait que la majorité de l’eau prélevée pour ces activités est rejetée, instantanément ou presque, dans le milieu dans lequel elle a été prélevée[12].

      Figure 3 : Eau prélevée et eau consommée en France en moyenne entre les années 2010 et 2019

      2.    État des lieux hydrologique en France

      La France bénéficie d’une grande diversité hydrologique : le pays est traversé par de nombreux cours d’eau, possède un vaste réseau de lacs et est entouré par l’océan Atlantique, la mer du Nord, la Manche et la Méditerranée. Parmi les fleuves les plus importants, on trouve la Seine, qui traverse Paris avant de se jeter dans la Manche, la Loire, le plus long fleuve ayant l’intégralité de son cours en France, qui prend sa source au Mont Gerbier-de-Jonc et se jette dans l’océan Atlantique, et le Rhône, qui prend sa source en Suisse, traverse le sud-est et se jette dans la mer Méditerranée. En plus des fleuves, la France compte de nombreux affluents, rivières et cours d’eau plus petits qui sillonnent le paysage. Ces voies d’eau sont source d’eau douce pour l’irrigation, l’approvisionnement domestique, ainsi que pour la production électrique. La France est également réputée pour ses lacs, qui jouent un rôle important dans l’écosystème local : ceux d’Annecy, du Bourget et du Léman sont parmi les plus connus.

      Les eaux souterraines sont aussi essentielles dans le cycle de l’eau. Le territoire français est composé de différentes formations rocheuses telles que les calcaires, les grès, les schistes, les basaltes, les alluvions et les nappes phréatiques. Chaque formation géologique a ses propres propriétés hydrogéologiques, ce qui influence la quantité et la qualité des eaux souterraines qu’elles abritent. Les nappes aquifères (aussi appelées phréatiques) les plus importantes comprennent la nappe de la craie, qui s’étend sur une grande partie du nord du pays, la nappe alluviale de la vallée du Rhône, la nappe de la Limagne en Auvergne et la nappe du Bassin parisien. La recharge des eaux souterraines se fait principalement par infiltration des précipitations. Les régions montagneuses et les zones de plateaux sont souvent des zones de recharge importantes, où l’eau de pluie s’infiltre à travers les sols et les roches pour alimenter les nappes souterraines.

      Figure 4 : [Droite] Les bassins versants en France [13] [Gauche] Lithologie des aquifères français [14]

      3.    État des lieux institutionnels de l’eau en France

      Le schéma institutionnel de la gestion de l’eau en France est particulièrement complexe. Si depuis le XIXe siècle, les communes ont la responsabilité juridique de la gestion de l’accès à l’eau potable et de l’assainissement, la répartition de la ressource entre les usages se fait depuis 1964 à l’échelle des bassins hydrographiques afin de correspondre aux réalités physiques et géographiques des territoires.

      La France est d’ailleurs précurseur à l’échelle européenne puisque la directive-cadre sur l’eau de 2000 oblige l’ensemble des États membres à répertorier leurs bassins hydrographiques et à établir des autorités en charge de ces derniers. En France, ces bassins, divisés en sous-bassins, sont au nombre de six en métropole et cinq dans les collectivités d’Outre-mer. Chaque bassin est géré par un établissement public administratif national qui s’occupe de récolter les redevances et de financer des projets favorisant une meilleure gestion de la ressource, appelé Agence de l’eau.

      Figure 5 : Les bassins hydrographiques en France [15]

      Ce découpage est cohérent avec les singularités des territoires, mais ne correspond cependant à aucune réalité administrative et rend la répartition des compétences particulièrement complexe. À l’échelle des bassins, les Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) ont été créés pour planifier les orientations à mettre en œuvre, sur une période de 6 ans, prenant notamment en compte le changement climatique et les conflits d’usage à venir. Une fois arrêtées par les préfets coordonnateurs de bassin, les orientations du Sdage sont déclinées en Schéma d’aménagement de gestion d’eau (Sage) dans les sous-bassins, puis éventuellement mis en place par les Commissions locales de l’eau (CLE). Les Sdage sont définis par les comités de bassin, parlement représentant les différents usagers du territoire dont le secrétariat est géré par l’Agence de l’eau. Enfin, les Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), l’Office français de la biodiversité (OFB) et l’Agence de l’eau servent d’appui aux comités de bassin.

      La gestion des inondations, des submersions et des cours d’eau non domaniaux relève de la compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi) des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-FP). Ces derniers se retrouvent au sein des syndicats mixtes constitués à l’échelle d’un bassin versant d’un fleuve côtier appelé établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau (Epage). Les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) sont eux aussi des syndicats mixtes, constitués à l’échelle d’un bassin ou d’un groupement de sous-bassins hydrographiques, mais sont en charge de la prévention des inondations et la défense contre la mer, la gestion équilibrée de la ressource en eau, ainsi que la préservation et la gestion des zones humides en plus de contribuer, s’il y a lieu, à l’élaboration et au suivi du schéma d’aménagement et de gestion des eaux[16].

      Enfin, malgré le caractère à la fois déconcentré et décentralisé de la politique de l’eau, l’État joue un rôle important puisqu’il assure à travers les Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), les Agences de l’eau et les Directions départementales des territoires (DDT) une partie du financement et de la mise en œuvre des politiques de gestion quantitative de la ressource.

      Dans les domaines de l’accès à l’eau potable et de l’assainissement, les collectivités ont le choix du mode de gestion de leur service. Elles peuvent décider de gérer le service par elle-même (en régie) ou de déléguer une partie ou la totalité de la gestion à une entreprise privée (en délégation de service public). En 2020, environ 30 % des services d’eau potable étaient gérés en délégation de service public, représentant tout de même l’approvisionnement de plus de 60 % de la population[17].

      Figure 6 : Présentation simplifiée de la gouvernance de l’eau[18]

      Il est à noter que le modèle actuel du secteur de l’eau repose sur deux principes : le principe de recouvrement des coûts par les recettes (communément appelé ​ le principe de « l’eau paie l’eau ») et le principe de pollueur-payeur. Le principe de l’eau paie l’eau restreint considérablement les financements du secteur puisque seules les factures d’eau des usagers financent le service (qu’il soit géré en régie ou en délégation de service public au secteur privé) et les Agences de l’eau au travers des redevances. Le principe du pollueur-payeur est lui gravement critiqué pour son incapacité à être mis en place. La Cour des comptes européenne rappelait elle-même en 2021 les lacunes en la matière[19].

         II.         Le changement climatique, un accélérateur du cycle de l’eau

      1.    Grand cycle de l’eau et propagation des sécheresses

                     i.         Changement climatique et grand cycle de l’eau, une modélisation complexe

      Les influences sur le grand cycle de l’eau du changement climatique sont complexes et difficilement anticipables. On a, par exemple, l’habitude d’évoquer le chiffre d’un réchauffement de 1°C supplémentaire qui provoquerait une augmentation de l’évaporation de 7 % des eaux de surfaces et des mers[20]. Ce chiffre est exact, mais le phénomène se complexifie par la suite : cette vapeur d’eau va être transportée par les vents pour former des nuages et précipiter sur les continents ; on estime en général qu’un tiers des précipitations continentales est issu de ce phénomène. De même, le réchauffement participe activement à augmenter l’évapotranspiration, c’est-à-dire le dégagement de vapeur d’eau issu de la respiration végétale. Cette évapotranspiration est alors responsable des deux tiers restant des précipitations sur les continents.

      En plus d’augmenter le contenu de vapeur d’eau dans l’atmosphère, le changement climatique a une influence sur les vents encore mal évaluée par les climatologues. De même, la science du climat souffre d’une modélisation insatisfaisante de la formation des nuages ou de l’influence de la végétation sur le cycle de l’eau. En conséquence, les modèles scientifiques et en particulier ceux du GIEC qui synthétisent les meilleurs disponibles, ont beaucoup de mal à anticiper les changements locaux de précipitations dans certaines régions. En Europe, les incertitudes sont grandes entre le sud qui devrait s’assécher et le nord qui devrait recevoir plus de précipitations [21].

       

                    ii.         La sécheresse : un phénomène de propagation du ciel vers les sous-sols

      Autour du bassin méditerranéen, la tendance semble tout de même claire : la sécheresse s’accentue ! Mais avant d’en décrire les caractéristiques, il est important préciser ce que l’on désigne précisément par cette notion. Il existe en réalité trois types de sécheresse qui se suivent et interagissent successivement les unes avec les autres. La première est la sécheresse météorologique qui correspond à un défaut de précipitation sur une région. Elle peut être mesurée en évaluant la différence entre le nombre de jours consécutifs sans pluie entre une période de référence et la période d’étude sur une localisation géographique donnée.

      La persistance d’une sécheresse météorologique va ensuite avoir des impacts sur les écosystèmes : le déficit de précipitation induit le deuxième type de sécheresse, celle des sols ou sécheresse agricole. La sécheresse des sols intervient donc quand l’humidité des sols est trop faible par rapport aux cultures ou aux écosystèmes qu’ils abritent. Elle s’avère aussi largement dépendante de leur usage : certaines cultures comme celles du maïs ou du riz sont très consommatrices en eau tandis que certaines pratiques agricoles comme l’artificialisation, le tassement ou l’usage de pesticides empêchent l’infiltration des eaux de pluie.

      Cette sécheresse des sols se répercute donc sur la quantité d’eau qui s’infiltre et impacte de fait le niveau des nappes souterraines et le débit des cours d’eau avec qui elles sont largement connectées. C’est la sécheresse hydrologique qui survient lorsque le débit des rivières et le niveau des réserves d’eau disponibles dans les nappes phréatiques, aquifères, lacs et réservoirs sont anormalement bas.

      Figure 7 : Propagation entre les différents types de sécheresse [22]

      2.    Pression climatique sur la ressource : l’exemple de l’année 2022

                     i.         Sécheresse météorologique et changement climatique : l’exemple du Var

      L’été 2022 fait office de cas d’école de propagation des différents types de sécheresse. Le mois de juillet 2022 s’est trouvé être le plus sec jamais enregistré en France depuis 1959 avec seulement 9,7 millimètres de pluie enregistrés contre 90,8 millimètres à la même période l’an passé (soit -84 % de déficit) et à 58 millimètres l’année suivante [23]. Sur l’ensemble de l’année, on constate une diminution de 25 % des précipitations entre 2022 et 2021. De la même façon que pour les vagues de chaleur, les niveaux de sécheresse météorologique extrêmes d’aujourd’hui vont devenir la norme sur une large partie du territoire. En Europe, ils pourraient être dix fois plus fréquents et 70 % plus longs d’ici 2060[24].

      Figure 8 : Écart par rapport au nombre maximal de jours secs consécutifs pour le scénario RCP8.5 (4°C) du GIEC

      Le cas du Var est un bon exemple des conséquences graves de ce type d’événements. Du fait de la sécheresse que connaît le département quasi sans interruption depuis l’été 2022, les nouvelles demandes de permis de construire ont été gelées en mars dernier et pour au moins quatre ans dans la communauté de communes de Fayence, les élus craignant de ne plus être en mesure d’assurer l’approvisionnement en eau potable à leurs administrés [25].

      Le stress hydrique est une notion utile pour éclairer cette problématique. Celui-ci se définit comme le rapport entre les consommations d’eau générées sur un territoire et la ressource en eau disponible sur celui-ci. Ce stress hydrique peut augmenter pour des raisons climatiques, comme la surexploitation de la ressource. Des prélèvements excessifs liés aux besoins agricoles, industriels ou démographiques peuvent exercer une pression sur les eaux souterraines et de surface tout aussi importante que le déficit de précipitations. Dans le cas du Var, d’après le World Resources Institute, le stress hydrique devrait augmenter entre 20 et 40 % à horizon 2040 [26]. Cette tendance va donc créer de violents conflits d’usage entre les besoins des résidents permanents, la surconsommation touristique et l’irrigation des exploitations céréalières et parfois viticoles.

      Figure 9 : L’équation du stress hydrique

                    ii.         Sécheresse des sols et changement climatique : des rendements affectés

      Conséquence directe du changement climatique, les événements extrêmes tels que le défaut de précipitation ainsi que l’augmentation de l’évapotranspiration vont assécher les sols. Comme l’évoque le Haut conseil pour le climat, « certains terroirs vont progressivement devenir inadaptés aux agrosystèmes qu’ils abritent et, de fait, remettre profondément en question l’équilibre économique et l’implantation géographique de nombreuses productions (arboriculture, viticulture, systèmes pastoraux) »[27]. La sécheresse météorologique prolongée 2022-2023 a eu des conséquences majeures sur les sols venant induire des pertes de l’ordre de 10 à 20 % sur les cultures céréalières. On y a également constaté le rendement le plus bas depuis 30 ans pour la culture de pommes de terre[28].

      Figure 10 : Évolution de la sécheresse agricole en France avec le changement climatique

                  iii.         Sécheresse météorologique et eaux de surface : le cas de l’assèchement de la Loire

      Conséquences de la modification des schémas de précipitation et de la sécheresse des sols, la sécheresse hydrologique va elle aussi se renforcer en France affectant les eaux de surface et les eaux souterraines. Sur le plan hydrologique, l’impact sécheresse de 2022 ne s’est jamais vraiment terminé : après les records battus en 2022, la tendance s’est prolongée sur l’année 2023 sous la forme d’une sécheresse météorologique prolongée.

      Pour recharger les nappes, l’eau doit tomber en automne et en hiver. Au printemps, la végétation se réactive et absorbe l’essentiel de l’eau de pluie. Largement connectée aux réservoirs souterrains, la possibilité d’un assèchement de la Loire était même évoquée à la fin de l’hiver 2023 [29]. Déjà lors de la sécheresse de 2022, son débit était soutenu entre 50 % et 80 % par un important soutien d’étiage c’est-à-dire par l’apport d’un débit supplémentaire par relargage de l’eau retenue dans les barrages de Naussac et de Villerest. Sauf qu’en février, celle-ci affichait déjà un débit entre 25 % et 60 % inférieur à son niveau hivernal habituel tandis que les retenues de Naussac ne se trouvaient remplies qu’au tiers de leurs capacités au mois de février soit un niveau deux fois inférieur au niveau des années précédentes.

      Dans son rapport Explore 70, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a tenté, en 2012, de modéliser l’évolution des sécheresses hydrologiques induites par le changement climatique. Malgré ses 12 ans d’âge, il reste l’un des rapports les plus complets sur la question. Il conclut d’abord qu’une baisse généralisée du débit moyen des cours d’eau de l’ordre de 10 à 40 % par rapport à aujourd’hui est à prévoir sur toute la métropole à horizon 2050 [30]. Les modèles projettent une diminution particulièrement marquée du débit moyen pour les cours d’eau des contreforts pyrénéens et, dans une moindre mesure, de la majorité du district hydrographique Seine-Normandie, avec des diminutions simulées comprises entre 10 et 60 %. Les baisses des débits d’étiage, débit minimal d’un fleuve, seront par ailleurs plus sévères, plus longues et plus précoces, avec des débits estivaux réduits de 30 à 60 %. Ainsi, le Rhône, fleuve alimentant une partie significative du parc nucléaire français comme de nombreuses productions agricoles, pourrait subir une baisse du débit minimum jusqu’à -50 % à horizon 2100 [31]. Pour la Seine, les modélisations du BRGM anticipent une baisse moyenne annuelle comprise entre 10 et 50 %.

      Figure 11 : [Gauche] Évolution moyenne du débit des cours d’eau en France avec le changement climatique [Droite] Variation de la recharge des nappes [32]

      Concernant l’eau bleue souterraine, les modèles du BRGM présentent également une baisse significative de la recharge des nappes comprise entre 10 et 25 % à horizon 2050. Elle sera particulièrement marquée pour le bassin de la Loire, où elle atteindra 25 à 30 %, et pour le Sud-Ouest (30 à 50 %) [33].

      3.    Droit à l’eau, bien commun, inégalité d’accès et Outremers

                              i.         Constitutionnaliser l’accès à l’eau et la reconnaissance de son caractère de bien commun

      Le droit à l’eau et à l’assainissement de qualité a été reconnu comme un droit humain fondamental par les Nations unies en 2010. Cependant en France, mais aussi en Europe, les dispositions juridiques ne suivent pas, rien ne donne réellement et de façon contraignante de statut spécial à l’eau. Cette situation aurait probablement pu perdurer d’autant que l’Europe vivait dans une relative abondance dans l’accès à l’eau. Mais le changement climatique change tout… Celui-ci contraint déjà fortement la disponibilité de la ressource et cette situation va inévitablement s’aggraver.

      Dans ce contexte de pénurie, il revient au législateur d’arbitrer les conflits d’usage : qui doit avoir accès à l’eau en priorité et pour quels usages ? Aujourd’hui, la faiblesse des réglementations permet et parfois encourage (par la subvention) l’accaparement par les plus gros consommateurs agricoles ou industriels. L’arsenal législatif reste également trop faible ou mal appliqué pour faire durablement respecter les exigences de qualité.

      La proclamation et l’inscription dans la constitution d’un nouveau droit humain fondamental, celui de l’accès universel à l’eau issue d’un assainissement de qualité et permettant de garantir à chacun des conditions de vie compatible avec une vie digne semble décisif pour démarrer notre adaptation au changement climatique. Il est vrai que l’article L 210-1 du code de l’environnement proclame déjà une forme de droit à l’eau, mais il n’affirme aucun dispositif juridique contraignant permettant de prioriser un usage sur un autre. Le laisser-faire n’est plus une option, en constitutionnalisant de droit à l’eau le législateur reconnaît qu’il doit d’une part, assumer pleinement ses responsabilités en mobilisant des moyens financiers, techniques et humains suffisants pour garantir ce droit à tous les citoyens. D’autre part, il affirme par là son caractère d’arbitre dans les conflits d’usage : il doit organiser la hiérarchisation des usages afin que ceux indispensables à des conditions de vie dignes ne soient jamais dépriorisés par rapport à d’autres, plus futiles …

      Le cycle de l’eau doit lui aussi être reconnu juridiquement : l’eau et son grand cycle doivent récupérer le statut d’un bien commun qu’il convient de préserver et de gérer de manière collective. Juridiquement l’eau est déjà reconnue comme « patrimoine commun de la Nation » sauf que ce caractère n’implique aucun mode de gestion spécifique. Constitutionnaliser le droit à l’eau impliquerait de reconnaître l’accès à l’eau comme un droit fondamental non seulement pour les humains, mais aussi pour les écosystèmes avec qui nous partageons la ressource. Ce caractère de bien commun imposera alors d’organiser progressivement la soustraction de la ressource à la logique marchande : l’eau ne serait plus considérée comme un produit comme un autre, mais comme une ressource dont il faut organiser le partage entre tous les usagers humains comme non-humains. La gestion de l’eau devra également respecter des modalités précises : la participation démocratique aux choix prit dans la gestion de la ressource, la transparence dans les décisions prises, la responsabilité par rapport aux écosystèmes et la précaution vis-à-vis de l’utilisation de substance et le déploiement d’infrastructures pouvant avoir des conséquences écologiques ou sanitaires graves.

      Un exemple de pays qui a constitutionnalisé le caractère de bien commun de l’eau est l’Équateur. En 2008, la nouvelle Constitution équatorienne a reconnu l’eau comme un droit humain, un patrimoine national stratégique et un bien public inaliénable. La gestion de l’eau est assurée par le Conseil national de l’eau, qui regroupe les représentants de l’État, des collectivités territoriales, des usagers et des organisations sociales. L’Équateur a ainsi adopté une vision intégrale et pluriculturelle de l’eau, qui vise à préserver sa qualité, sa quantité et sa régénération.

      Le droit à l’eau et la reconnaissance du cycle de l’eau doivent être les deux principes socles pour institutionnaliser démocratiquement la sobriété hydrique en France. Leur proclamation est nécessaire, mais non suffisante pour initier une gestion juste et égalitaire. Ce grand principe devra être suivi de mesures permettant de moderniser les institutions de l’eau en France c’est-à-dire de les adapter aux nouvelles contraintes climatiques et au statut de bien commun que revêtira désormais la ressource. Ensuite, la sobriété hydrique ne pourra se construire qu’en adoptant une logique de planification sectorielle des usages déclinée à l’échelle locale. La suite de la note permettra de décrire précisément les mesures d’adaptation systémiques et transformationnelles à même de rendre effectifs ces deux principes.

      Proposition #01 : Constitutionnaliser un droit universel d’accès à l’eau et reconnaître cette ressource comme un bien commun

      Inscrire dans la constitution comme un droit humain fondamental l’accès à l’eau issue d’un assainissement de qualité et permettant de garantir à chacun des conditions d’hygiène compatible avec une vie digne. Par cette proclamation le législateur reconnaît qu’il doit d’une part, assumer pleinement ses responsabilités en mobilisant les moyens financiers, techniques et humains suffisants pour garantir ce droit à tous les citoyens. D’autre part, il affirme son rôle d’arbitre dans les conflits d’usage comme sa responsabilité à prioriser ceux indispensables à des conditions de vie dignes.

      Reconnaître l’eau, ainsi que la préservation de l’intégralité de son cycle en tant que bien commun à gérer de manière coopérative. Ce caractère imposera alors d’organiser progressivement la soustraction de la ressource à la logique marchande : l’eau sera considérée comme une ressource dont il faut organiser le partage équitable entre tous les usagers humains et non-humains. La gestion de l’eau devra également respecter des modalités précises : la participation démocratique aux choix prit dans la gestion de la ressource, la transparence dans les décisions prises, la responsabilité par rapport aux écosystèmes et la précaution par rapport à l’utilisation de substances et le déploiement d’infrastructures pouvant avoir des conséquences écologiques ou sanitaires graves. 

                             ii.         Eau et pauvreté en France

      Cette évolution est rendue d’autant plus nécessaire que la question de l’eau revêt une dimension sociale fondamentale.  En France métropolitaine, l’accès à l’eau n’est pas garanti pour toutes et tous : 1,4 million d’individus ne disposent pas d’un approvisionnement sûr en eau potable. L’eau pèse aussi sur le pouvoir d’achat : 2 millions de personnes sont confrontées à des factures d’eau et d’assainissement équivalant à plus de 3 % de leurs revenus [34].

      Avoir accès à une eau suffisante en quantité et en qualité est également indispensable pour garantir la dignité de chacune et chacun. L’OMS fixe à 15 litres par jour les besoins minimaux en eau. En France, ceux-ci sont assurés en moyenne : un Français consomme 150 litres par jour. Cependant, certains ne disposent pas de cette facilité d’accès, notre pays compte 300 000 sans-abris : chiffre qui a doublé depuis 10 ans, et seuls 32 % des lieux qui les accueillent disposent d’un accès à l’eau potable [35]. Plus généralement, près de 900 000 personnes souffrent d’un accès restreint à des installations sanitaires, notamment en raison de leur “déconnexion” des réseaux d’eau et d’assainissement.

      Assurer le droit à l’eau ne peut se faire en excluant les plus modestes, c’est pour cela qu’une politique consciente des enjeux sociaux de l’eau doit garantir la dignité de toutes et tous. Les services publics de l’eau potable sont une partie de la solution à ce problème : les installations de sanitaires publics, de bain-douche et de fontaines à eau gratuite et en libre accès doivent se généraliser sur tout le territoire.

      Proposition #02 : Assurer les droits à l’eau et à l’assainissement pour les sans-abris et les plus précaires par la multiplication des points d’accès gratuits en ville.

      Développer largement l’installation de sanitaires publics, de bains-douches et de fontaines à eau gratuites et en libre accès sur l’ensemble du territoire.

      Assurer leur entretien régulier et localiser leurs installations autour des bassins de pauvreté (bidonvilles, quartiers denses).

      Assurer l’accès à l’eau potable et l’assainissement dans 100 % des établissements d’accueil de sans-abris.

                           iii.         Les Outremers face aux pénuries [36]

      Si l’on peut se réjouir de la place qu’a prise la question de l’eau dans le débat public, on doit aussi déplorer que la discussion ait laissé de côté plus de 2 millions de nos compatriotes …  Abandonnés par les pouvoirs publics, les Outremers françaises doivent faire face quotidiennement à des situations de pénurie qui s’aggravent.

      C’est sûrement à Mayotte (299 000 habitants) que la situation est la plus dramatique. Fin 2023, une famille sur 3 n’avait pas accès à l’eau courante et où l’eau potable était coupée 2 jours sur 3 à l’automne 2023 ! Alors que 77 % de la population se trouve sous le seuil de pauvreté, la facture d’eau représente 17 % du budget d’un ménage mahorais (contre 3 % dans l’hexagone).

      En Martinique (353 000 habitants), les coupures sont quotidiennes et 40 % de l’eau est perdu dans le réseau d’adduction, c’est-à-dire les canalisations qui permettent son acheminement. Les sols et les rivières sont largement contaminés au chlordécone, pesticide autorisé dans les Outremers longtemps après que son caractère cancérigène ait été démontré et des années après que son usage ait été interdit en France métropolitaine : la Martinique détient d’ailleurs le triste record du nombre de cancers de la prostate par habitant, conséquence directe de l’utilisation de ce pesticide…

      En Guadeloupe (381 000 habitants), les coupures inopinées font qu’un quart de la population n’a pas d’eau tous les jours. L’école est régulièrement suspendue par manque d’eau alors que la ressource disponible par habitant y est deux fois plus importante que dans l’hexagone. En raison du chlordécone et d’un taux de fuite de 70 % dans les canalisations, les habitants sont contraints de se reposer sur les tours de pluie pour leurs usages domestiques.

      L’île de la Réunion (867 000 habitants) souffre d’un retard structurel en matière de traitement des eaux potables tandis que 56 % des masses d’eau souterraine ne sont pas en bon état. Un réunionnais sur deux est alimenté par un réseau ancien (40 % de pertes) dont la sécurité sanitaire n’est pas suffisante.

      En Guyane (296 000 habitants), troisième réserve d’eau douce par habitant au monde, un litre sur trois est perdu dans les canalisations et 15 % de la population n’a pas accès à l’eau courante. De plus, la Guyane devra faire face à un défi démographique immense avec une population qui va doubler d’ici 2040.

      Dans les Outremers, la réappropriation collective de l’eau est devenue autant une question de survie que de dignité. La Métropole doit donc assumer pleinement ses responsabilités, en mobilisant les moyens suffisants pour assurer un accès digne à la ressource. Il est inacceptable que ce genre de situation perdure dans l’une des plus grandes puissances économiques du monde. Il faut initier en priorité les chantiers d’urgence décrits dans cette note. Il faut par exemple un grand plan d’investissement public pour la rénovation et la modernisation des réseaux d’eau et d’assainissement. La puissance publique doit également renforcer la lutte contre la pollution des eaux et accélérer leur dépollution, notamment en ce qui concerne les Antilles avec le chlordécone qui affecte gravement la santé des populations. Enfin en Outremers encore plus qu’ailleurs l’instauration d’une tarification sociale et solidaire de l’eau est un impératif.

      Proposition #03 : Déclarer l’état d’urgence hydrique dans tous les territoires d’Outremers

      Instaurer et déclarer l’état d’urgence écologique dans les Outremers concernant l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. L’État doit assumer pleinement ses responsabilités en matière de politique de l’eau, en mobilisant les moyens financiers, techniques et humains suffisants pour garantir ce droit fondamental à tous les habitants des Outremers. La puissance publique doit également renforcer la lutte contre la pollution des eaux et accélérer leur dépollution, notamment en ce qui concerne les Antilles avec le chlordécone qui affecte gravement la santé des populations.

      Lancer un grand plan d’investissement public pour la rénovation et la modernisation des réseaux d’eau et d’assainissement, en concertation avec les collectivités locales, les usagers et les associations.

      Instaurer une tarification sociale et solidaire de l’eau prenant en compte les spécificités climatiques, géographiques et culturelles des Outremers, qui garantisse la gratuité des premiers mètres cubes indispensables à la vie, un chèque eau pour les ménages modestes, et un plafonnement du prix de l’eau en bouteille.

      [1] ADES, Eau et milieux aquatiques ; les chiffres clés ; édition 2022, 2020.

      [2] Association Pour une hydrologie régénérative

      [3] UNICEF, 2,1 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable salubre.

      [4] ONU, L’ONU lance la Décennie d’action sur l’eau pour le développement durable

      [5] European Environment Agency, ; European Environment Agency; Janvier 2023 conditions in Europe (Water exploitation index plus) (8th EAP), Janvier 2023

      [6] Grand cycle de l’eau, glossaire eau, milieu marine et biodiversité, Avril 2021

      [7] Office français de la biodiversité n.d. À noter que de nombreuses industries en France sont rattachées aux réseaux d’eau domestique, les incluant également dans le petit cycle. D’autres, peuvent avoir leurs propres captages, en fonction de leurs besoins.

      [8] Comme le rappelle l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement dans son rapport 2023, « la part des eaux souterraines dans les prélèvements d’eau à destination de la consommation humaine s’établit à 63 % » en 2021.

      [9] Belrhiti et al., 2022

      [10] Office international de l’eau, Le petit cycle de l’eau, 2018

      [11] Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, 2023

      [12] Commissariat général au développement durable, 2023

      [13] Robert Zsucs, River Basin Map Of France, Rainbow Colours On Black – Fine Art Print

      [14] Ministère de la Transition écologique, Les eaux souterraines, données et études statistiques , décembre 2015. Seuls les aquifères les plus proches du sol, dits de niveau 1 sont présentés sur la carte ci-dessus. Source :  BRGM, DBRHFV1 pour le France métropolitaine, masses d’eau souterraine DCE pour les DOM. Traitements : SOeS, 2013

      [15] CNRS, Une politique organisée autour de six bassins hydrographiques

      [16] Cour des comptes, Rapport public annuel 2023 – LA décentralisation 40 ans après, 2023

      [17] Lao and Portela, , Lao and Portela, 2022État des lieux des services publics d’assainissement non collectif, 2022

      [18]Cour des comptes, Rapport public annuel 2023 – LA décentralisation 40 ans après, 2023

      [19] Cour des comptes européenne, La gestion quantitative de l’eau en période de changement climatique, exercice 2016-2022, 2023

      [20] Résultat de thermodynamique facilement démontrable par la relation de Clausius Clapeyron

      [21] Voir les zones d’incertitudes sur les précipitations dans l’atlas interactif du GIEC

      [22] Qu’est-ce que la sécheresse ? INRAE ; Juillet 2020

      [23] Ce mois de juillet a été le plus sec jamais mesuré en France ; Reporterre ; août 2022

      [24]Increase in severe and extreme soil moisture droughts for Europe under climate change. Science of The Total Environment 660:1245–1255 ;  Grillakis MG. (2019)

      [25] La sécheresse oblige des maires du Var à suspendre les permis de construire : « Le dérèglement climatique devient concret pour nous » ; Le Monde, Mars 2023

      [26] Water Risk Atlas, Aqueduct, World Resource Institute

      [27] « Qui veille au grain ? Du consensus scientifique à l’action publique », Les Greniers de l’Abondance, février 2022

      [28] Face à la sécheresse, les rendements agricoles menacés en 2023, YouMatter, avril 2023

      [29] La Loire peut-elle s’assécher en 2023 ?; France info ; février 2023

      [30] PROJET Explore 2070 – Evaluation de l’impact du changement climatique – Volume 1, BRGM

      [31] Climat : le Rhône pourrait baisser de moitié d’ici un siècle; Le Monde; février 2018

      [32] Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : urgence déclarée, rapport d’information au Sénat, Mai 2019

      [33] Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : urgence déclarée, rapport d’information au Sénat, Mai 2019

      [34] Evaluation du livret thématique de l’avenir en commun : Eau notre bien commun, 2022

      [35] Evaluation du livret thématique de l’avenir en commun : Eau notre bien commun, 2022

      [36] Données issus de Evaluation du livret thématique de l’avenir en commun : Eau notre bien commun, 2022

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