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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

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Institut Rousseau

Institut Rousseau

Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine.

Gaël Giraud

Gaël Giraud

Gaël Giraud est économiste, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École nationale des ponts et chaussées et auteur. Il dirige le programme justice environnementale de Georgetown University. Spécialiste des interactions entre économie et écologie, il occupait les fonctions de chef économiste de l’Agence française de développement (AFD) jusqu’en juillet 2019. Il est président d'honneur de l'Institut Rousseau.

Nicolas Dufrêne

Nicolas Dufrêne

Haut fonctionnaire, spécialiste des questions institutionnelles, monétaires et des outils de financement publics. Avec Alain Grandjean, il est l'auteur de Une monnaie écologique paru aux éditions Odile Jacob en 2020. Nicolas Dufrêne est directeur général de l'Institut Rousseau.

Christian Nicol

Christian Nicol

Christian Nicol est cadre dans une banque, militant écologiste et conseiller municipal en charge du Développement Durable d’Elancourt. Passé par l’Université Paris Dauphine et le MBA RSE de Léonard de Vinci, il se mobilise depuis plusieurs années, pour faire progresser la prise de conscience et les solutions sur le sujet du Développement Durable. Depuis 2020, il collabore sur ces thématiques avec Gaël Giraud, économiste français spécialisé dans la Transition Ecologique et dans l’économie mathématique.

Guillaume Kerlero

Guillaume Kerlero de Rosbo

Ingénieur diplômé de l'Agro Paris et des Mines de Paris, Guillaume Kerlero de Rosbo est expert de la transition énergétique et écologique, après 10 ans de conseil en stratégie sur ces questions. Il est également passionné par les enjeux de justice sociale, qui ne peuvent être traitées séparément des enjeux écologiques. Il dirige les études autour des questions écologiques au sein de l'institut.

2% pour 2°C !Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050

Résumé exécutif du rapport 2 % pour 2°C : Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050. La conférence de présentation du rapport peut-être visionnée entièrement sur notre chaîne YouTube. Le rapport complet est disponible en téléchargement.

Au cours des dernières années, nous avons fixé des objectifs ambitieux pour le climat. Nous avons multiplié les accords internationaux, les lois et les stratégies nationales. Mais les résultats ne suivent pas : nos émissions baissent trop lentement. Une des causes principales de cet échec est que la reconstruction écologique de nos sociétés se heurte au mur de l’argent. Or, atteindre la neutralité carbone suppose, certains y verront un paradoxe au regard de l’impératif de sobriété, de nombreux investissements.

Mais combien, exactement ? On pourrait imaginer que ce chiffrage existe déjà : en effet, comment penser des stratégies nationales bas carbone (SNBC) ou des programmations pluriannuelles pour l’énergie (PPE) sans aborder simultanément la question des moyens budgétaires et financiers nécessaires pour les atteindre ? Or, cela peut paraître surprenant, mais ce « recensement » n’existe tout simplement pas, malgré des tentatives éparses et incomplètes d’organismes publics ou privés de fournir des données. Cela nous conduit inévitablement à une forme de double discours en matière d’environnement : celui qui consiste à promettre beaucoup en matière d’objectifs, tout en mobilisant peu au niveau des financements.

C’est à ce problème majeur pour la réussite de la transition bas-carbone et pour le débat démocratique et économique que ce rapport entreprend de s’attaquer. Notre objectif final, la raison d’être de ce rapport, est d’associer aux leviers de décarbonation de l’économie les moyens financiers nécessaires pour les réaliser.

Nous chiffrons ces investissements, publics et privés confondus, à 182 milliards d’euros par an, dont 57 milliards d’euros par an en plus des investissements déjà prévus dans un scénario tendanciel, ce qui comprend aussi bien les dépenses « vertes » actuelles que celles dont nous pouvons anticiper la réorientation (par exemple les investissements actuels dans les véhicules thermiques seront transformés en investissements dans des véhicules électriques). Ces investissements supplémentaires représentent 2,3 % du PIB de la France en 2021. C’est ce qui donne le titre de notre rapport : 2 % du PIB d’investissements publics et privés supplémentaires sont nécessaires chaque année pour tenir notre engagement de neutralité carbone et faire notre juste part pour limiter le réchauffement à 2 degrés !

Précisons que ces « investissements » ne sont pas à considérer au sens économique strict du terme : il s’agit en réalité de l’ensemble des dépenses publiques et privées nécessaires pour atteindre les objectifs fixés et peuvent prendre la forme d’investissements durs, mais également de subventions, de crédits d’impôts, d’allégements fiscaux, d’aides à l’installation ou à la reforestation, de l’acquisition de biens par des ménages, etc.

Sur ces 57 milliards d’euros supplémentaires, 36 milliards d’euros d’investissements devraient être pris en charge par l’État. 36 milliards d’euros par an d’argent public supplémentaire pour atteindre la neutralité carbone : qu’est-ce que c’est pour le budget de l’État ? C’est à peu près ce que paie chaque année l’État aux banques et autres investisseurs en remboursement des intérêts de sa dette publique (38 milliards d’euros pour 2022, plus de 40 milliards d’euros pendant les années 2010). C’est nettement moins que ce qu’on dépense chaque année pour la défense (50 milliards d’euros) ou que ce que les actionnaires privés ont perçu en dividendes en 2019 (49,2 milliards d’euros). Et c’est un peu moins que le premier plan d’urgence budgétaire mis en place dès le début de la pandémie en mars 2020 (42 milliards d’euros). Pour le climat aussi, il nous faut un plan d’urgence, dès maintenant et pour les années à venir.

Quelques points de comparaison du surcoût public de l’ensemble des mesures proposées

 

Ces investissements publics et privés que nous requérons n’ont donc rien d’insurmontable : ils permettraient bien au contraire d’enclencher une dynamique vertueuse pour l’environnement, l’emploi, la santé et in fine la prospérité de nos concitoyens.

Quelques précisions importantes pour bien comprendre le cadre de notre étude. Tout d’abord, cette dernière est centrée sur les investissements publics et privés qui permettront de réduire suffisamment les émissions de gaz à effet de serre de la France pour atteindre une neutralité carbone d’ici trente ans. Par conséquent, notre étude ne prend pas en compte l’ensemble des investissements qui seraient nécessaires à une politique complète de reconstruction écologique (préservation de la biodiversité et lutte contre la sixième extinction de masse que nous connaissons, reconstruction des réseaux d’eau, dépollution chimique des sols et des procédés, etc.), encore que plusieurs investissements étudiés contribuent aussi à agir sur ces fronts. Notre chiffrage constitue donc un plancher pour atteindre la neutralité carbone mais devrait être revu sensiblement à la hausse en intégrant les autres enjeux écologiques. Ce sera l’objet de travaux ultérieurs. En outre, nous avons évalué le coût de l’investissement en capital (le “Capex”) et avons donc laissé de côté les coûts opérationnels (les “Opex”), beaucoup plus difficiles à évaluer et anticiper.

Ensuite, il est important de souligner que notre travail n’est pas d’ordre réglementaire mais plutôt budgétaire : nous ne nous préoccupons pas systématiquement des mesures législatives et réglementaires qui devront nécessairement accompagner le déploiement des investissements. Les mesures réglementaires les plus structurantes, ou constituant des prérequis aux investissements, sont cependant décrites.

Enfin, si nous avons pleinement conscience de l’importance des enjeux liés au bon déploiement opérationnel d’une telle transition, l’ensemble des conditions nécessaires au bon déroulement de ce plan d’action chiffré n’est pas systématiquement décrit.

Pour mettre en œuvre le plan d’investissement que nous proposons, nous recommandons, avec d’autres acteurs importants du débat, l’élaboration d’une loi de programmation pluriannuelle du financement de la reconstruction écologique (LPFRE), comme il en existe en matière de recherche et de défense, qui permettrait d’opérer une jonction étroite entre les objectifs fixés et les moyens de les atteindre. La plus-value et l’originalité de notre rapport est également de proposer une vision de ce que devrait contenir cette loi de programmation pluriannuelle de financement de la reconstruction écologique, secteur par secteur. Cette vision repose sur des éléments chiffrés les plus concrets et objectifs possibles, mais ces derniers s’articulent également avec une réflexion politique et sociale sur la manière de conduire la reconstruction écologique. Cette réflexion repose sur deux principes directeurs : d’abord, un effort d’investissement massif dans la reconstruction écologique est nécessaire dès maintenant car chaque année perdue accentue la difficulté de la pente ; ensuite, la reconstruction écologique ne peut pas se faire sans justice sociale, sans accompagner financièrement et opérationnellement les citoyens les plus pauvres et les entreprises les moins bien dotées. Notre étude nous permet par exemple de conclure que sans mettre dès maintenant des financements à la hauteur des tâches à accomplir, il est extrêmement peu probable que nous arriverons à tenir l’objectif de – 55 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (« Fit for 55 »).

Ces éléments expliquent qu’une large part du « surcoût » de la transition doive être prise en charge par la puissance publique (36 milliards d’euros sur 57 milliards d’euros de surcoût). Cela représente des montants conséquents mais nous démontrons également, dans la troisième partie du rapport, comment ces dépenses publiques peuvent être financées aisément dans la durée, notamment si elles s’articulent avec des réformes budgétaires et monétaires plus importantes, mais même si nous devions faire sans attendre ces réformes potentielles. Nous montrons par ailleurs les nombreux bénéfices économiques qui peuvent en résulter, que ce soit pour les finances publiques, pour le pouvoir d’achat des ménages, pour les gains qui peuvent en résulter pour la sécurité sociale et le système de santé ou encore du point de vue de la balance commerciale.

Une méthodologie d’évaluation en trois temps

La méthode utilisée est simple et peut se résumer en trois phases (une présentation détaillée est disponible en annexe). La première phase consiste, à partir des études existantes et des stratégies nationales, à définir l’ensemble des leviers d’action permettant de réduire les émissions de la France à presque zéro. Ces émissions de gaz à effet de serre sont celles des six grands secteurs d’activité aujourd’hui à l’origine de l’ensemble des émissions territoriales de notre économie (transport, industrie, agriculture, bâtiments, production d’énergie, déchets).  La somme des « leviers de décarbonation » sectoriels proposés dans cette étude nous permet de baisser de 87 % les émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à aujourd’hui. Les 13 % restants ont vocation à être couverts par le développement d’un dernier secteur à émissions négatives, les puits de carbone.

La deuxième phase vise à établir un « surcoût » global d’investissements nécessaires pour parvenir à la décarbonation de chacun de ces secteurs, sans distinction à ce stade entre le public et le privé. Ce surcoût est calculé pour chaque levier de décarbonation. Il repose sur la différence entre les investissements nécessaires à la décarbonation de l’économie (scénario de transition) et ce que la France continuera d’investir, sur le même périmètre et selon les données que nous avons à notre disposition, si la tendance actuelle est poursuivie jusqu’à 2050 (scénario tendanciel utilisé comme référence). Dans ce scénario tendanciel, on conserve globalement les modes d’organisation actuels, les politiques actuellement menées sont poursuivies, ou les changements opérés continuent de se faire à la vitesse actuelle (ou anticipée par les politiques actuelles), sans accélérer fortement la cadence ni engager les mutations plus profondes que nous proposons dans le scénario de transition. Les surcoûts affichés impliquent donc que les investissements tendanciels qui ne sont pas déjà au service de la transition soient réorientés vers des investissements de transition (voir figure ci-après). Comme indiqué précédemment, c’est ce qui se produit lorsque des particuliers investissent dans un véhicule électrique au lieu d’un véhicule thermique, ou quand des investisseurs investissent dans des moyens de production d’énergie bas-carbone et non plus d’énergie fossile.

 

Philosophie de calcul du surcoût de la transition par rapport aux investissements déjà réalisés et aux investissements à réorienter

Enfin, la troisième phase consiste à définir et à chiffrer les principales mesures publiques qui permettront d’activer efficacement les leviers de décarbonation. Ces propositions sont au nombre de 73. Seules sont recensées les mesures que nous estimons être les plus importantes et qui sont également, le plus souvent, les plus coûteuses pour les finances publiques. Comme indiqué précédemment, il s’agit essentiellement de mesures d’investissements directs ou d’aides à l’investissement ou à la consommation, qu’elles prennent la forme de subventions, de crédits d’impôt, de baisse (ou de hausse) de la fiscalité.

Les émissions de la France et les investissements nécessaires à leur réduction

Les émissions territoriales de la France sont d’abord le fait du transport de biens et de personnes, pour près d’un tiers des émissions, et en particulier de l’usage de la voiture (plus de la moitié des émissions du transport, 17 % du total). Viennent ensuite, en proportions relativement égales (un peu moins de 20 % chacun), l’industrie, l’agriculture et les bâtiments (qui consomment de l’énergie pour chauffer, éclairer, cuisiner, ventiler, etc.). La production d’énergie sur le territoire pèse pour environ 10 % du total, pour moitié liée à la production d’électricité à partir de ressources fossiles (gaz, fuel, etc.). Enfin, la gestion des déchets est responsable de 3,4 % de nos émissions, principalement en raison des fuites de méthane issues de la décomposition naturelle de déchets organiques dans les centres d’enfouissement.

Émissions territoriales 2019 de la France, par secteur d’activité

 

Les leviers d’action à mobiliser pour réduire ces émissions sont, dans l’ensemble, bien connus et référencés. Le cœur du dispositif consiste à décarboner la production d’énergie nécessaire à toutes les activités de la vie courante : se déplacer, se nourrir, se loger, s’éclairer ou se chauffer, s’approvisionner en objets divers, etc. Mais tous les autres secteurs doivent également s’adapter, à la fois pour réduire leur consommation d’énergie et pour pouvoir utiliser ces nouvelles formes décarbonées d’énergie (par exemple en passant d’équipements thermiques à des équipements électriques). Enfin, certaines sources d’émissions non directement liées à la consommation d’énergie nécessitent des changements de pratiques ou de procédés, comme dans l’agriculture ou l’industrie. Nous avons listé 33 leviers d’actions, dont 26 concernent directement les émissions sectorielles et 7 concernent des moyens d’action transverses, profitables à l’ensemble des secteurs.

La totalité des investissements collectifs nécessaires à la mise en place de l’ensemble des leviers de décarbonation présentés dans le rapport est estimée à environ 5 000 milliards d’euros d’ici 2050, soit 181 milliards d’euros en moyenne par an. Comme expliqué précédemment, ces investissements nécessaires à la décarbonation de l’économie sont à comparer à ce que la France continuera d’investir, sur le même périmètre, si la tendance actuelle est poursuivie jusqu’à 2050, c’est-à-dire ce que l’on a coutume d’appeler le business as usual. Par exemple, les enveloppes de coûts d’investissement tendanciels incluent le coût d’achat des voitures thermiques que nous continuerions d’acheter si nous n’opérions pas de conversion vers des véhicules bas-carbone, le coût des rénovations des bâtiments selon le rythme et le type de rénovation actuellement constatés ou encore, côté public, des coûts relatifs au maintien de budgets actuels de dépense publique (Fonds Chaleur, Fonds Économie Circulaire, etc.). La somme de ces coûts tendanciels comparables à nos coûts de transition est estimée à environ 3 400 milliards d’euros d’ici 2050, soit 121 milliards d’euros en moyenne par an. La différence entre les coûts d’investissement totaux nécessaires à la transition et les coûts tendanciels permettent d’en déduire le niveau de « surinvestissement » (ou surcoût) à débloquer pour atteindre la neutralité carbone. La somme de ces surcoûts d’investissement est estimée à environ 1 650 milliards d’euros d’ici 2050, soit 57 milliards d’euros en moyenne par an, représentant une hausse d’environ 50 % par rapport au périmètre tendanciel.

Lorsqu’on raisonne en investissement total, on constate que la majorité des investissements (près de 60 %) est concentrée sur deux secteurs : celui du transport et celui du bâtiment. Cela s’explique par le caractère massifié de ces deux secteurs : les investissements à mener s’appliquent à des dizaines de millions de véhicules et de bâtiments. Viennent ensuite, dans des proportions relativement comparables, la production d’énergie (17 %, 30,8 milliards d’euros par an), l’agriculture (11 %, 19,8 milliards d’euros par an) et les mesures transverses (11 %, 20,8 milliards d’euros par an). L’industrie (2,4 milliards d’euros par an) et les puits de carbone (1,2 milliards d’euros par an), arrivent loin derrière avec 2 % des investissements à eux deux.

Volumes d’investissements annuels à débloquer par secteur (en milliards d’euros par an)

Lorsqu’on raisonne en surinvestissement par rapport à la tendance, le classement change du tout au tout. Le secteur du bâtiment est de loin celui qui nécessite le plus gros effort supplémentaire par rapport à la tendance (36 % du surcoût de transition, soit 21 milliards par an), suivi par la production d’énergie (28 %, 15,9 milliards d’euros par an). Ces deux secteurs représentent à eux deux 64 % des besoins d’investissements supplémentaires. Côté bâtiment, cela s’explique par le besoin de fortement accélérer le rythme des rénovations, ainsi qu’au passage de rénovations partielles (dites « par gestes ») à des rénovations globales, unitairement plus coûteuses. Côté énergie, cela est dû à une hypothèse de forte électrification des usages dans le scénario de transition, entraînant une hausse de 60 % de la consommation électrique par rapport au scénario tendanciel. Enfin, la forte baisse du secteur du transport dans le classement des surcoûts est principalement due à deux raisons. D’une part, le surinvestissement dans le secteur des transports est égal au différentiel de coût entre des véhicules bas-carbone et des véhicules thermiques dans lesquelles il faut de toute façon investir dans le scénario tendanciel (contrairement au bâtiment, par exemple, ou une partie des rénovations nécessaires n’est tout simplement pas faite). D’autre part, cela est dû à une baisse de 20 % du nombre de voitures particulières dans le scénario de transition par rapport au scénario tendanciel, résultant notamment du fort développement du train et des transports en commun (voir partie suivante relative aux transports). On achètera moins de voitures d’ici 2050 qu’en tendance actuelle, ce qui engendre un surcoût « négatif » sur ce levier, qui vient fortement alléger les autres postes de surcoût du secteur (développement des transports en commun, relance du ferroviaire, etc.).

Volume d’investissements supplémentaires à débloquer, par secteur, en plus d’une réorientation des dépenses actuelles (surcoût, en milliards d’euros par an)

 

Comment financer ces investissements ?

Parmi les pistes de financement disponibles, il faudra nécessairement en passer, en premier lieu, par davantage d’endettement public. Ce financement supplémentaire, de l’ordre de 20 à 30 milliards d’euros annuels (si l’on prend en compte les « économies » budgétaires permises par la suppression d’un certain nombre de dépenses fiscales défavorables à l’environnement – cf. infra), doit s’opérer dans la durée, de manière continue pour chacune des 30 prochaines années. Cela ne doit pas nous effrayer car ces sommes ne représentent pas un montant « conséquent » pour les marchés financiers. À titre de comparaison, la France a placé sur les marchés près de 24 milliards d’euros entre le 3 et le 15 février de cette année 2022 sur des maturités allant jusqu’à 31 ans pour des taux inférieurs à 1 %. On peut également souligner le fait que le besoin de financement de l’État devrait atteindre 302,5 milliards d’euros en 2022, contre 321,1 milliards pour l’année 2021 (hors roulement de dettes à court terme qui augmentent le besoin de financements comme indiqué plus loin). Par conséquent, emprunter 30 à 40 milliards d’euros supplémentaires représenterait moins de 10 % du besoin de financement annuel de l’État à ajouter aux emprunts annuels. Et cela alors que les offres de financements reçues par le Trésor représentent, à chaque adjudication, près de 3,5 fois les montants de financement recherchés, ce qui signifie que la France pourrait aisément placer davantage de titres de dette sur les marchés financiers sans se trouver à court d’investisseurs.

Au niveau européen, la mise en œuvre des investissements nécessaires à la transition écologique suppose toutefois une remise en cause complète du cadre juridique actuel, qui devrait passer a minima par l’exclusion du calcul du déficit public des dépenses publiques relatives à plusieurs secteurs d’investissements bénéfiques pour la reconstruction écologique qui sont détaillés dans le rapport.

Au niveau national, les règles de la commande publique devront aussi être repensées. Cette dernière représente environ 200 milliards d’euros chaque année, soit un peu moins de 10 % de notre produit intérieur brut (PIB). Cependant, l’observatoire de la commande publique estime que seuls 13,6 % des marchés publics comportent aujourd’hui une clause environnementale, contre un objectif fixé par la loi de transition énergétique de 2015 à 30 % en 2020. Mais le prix reste le critère majeur dans la pondération des différents critères au moment des consultations. Il n’est pas rare que le seul critère prix dépasse 70 % de l’ensemble de la notation, contre moins de 10 % en moyenne pour les considérations environnementales. Si l’on veut engager une véritable reconstruction écologique, il est nécessaire d’aller plus loin en introduisant dans la loi une obligation de pondération des critères environnementaux qui soit au moins égale à une fourchette comprise entre 30 et 50 % de l’ensemble des critères en fonction des catégories de produits et services concernés.

Le recours à l’arme monétaire est également une piste à considérer sérieusement : une partie des dépenses pourrait et devrait être monétisée afin d’alléger la facture pour les États, même s’ils peuvent a priori s’en passer tant que les taux d’intérêts demeurent faibles et que la Banque centrale assure des débouchés à la dette publique (ce qui devient de moins en moins certain au regard des déclarations récentes des banques centrales). Une solution à terme pourrait alors être l’introduction raisonnée et ciblée de monnaie libre (libre de dettes), dans des volumes limités et décidés sous contrôle démocratique, dans le système économique. Cette proposition a été explorée par l’Institut Rousseau dans plusieurs publications. Par exemple, on pourrait imaginer que la Banque centrale crée de l’argent ex nihilo pour approvisionner soit directement les États soit des fonds d’investissement dans la reconstruction écologique afin de faciliter le financement de cette dernière. La BCE pourrait par exemple financer à hauteur de 20 milliards d’euros par an (pour la France) l’effort visé dans la loi de programmation du financement de la reconstruction écologique décrite dans la première partie, tout en en faisant autant, à proportion de leurs besoins, pour les autres pays de la zone euro. Cette politique conduirait à une injection de liquidités au profit de la société et de l’intérêt général, et non plus seulement au profit des marchés financiers. Mais techniquement, la méthode serait la même et l’impact sur le bilan de la banque centrale également.

Cette proposition de monétisation des dépenses publiques sous contrôle démocratique, via le mécanisme de la monnaie libre, conduit presque au même résultat que la conversion des dettes publiques détenues par la BCE en investissements écologiques. L’Institut Rousseau a en effet porté une proposition originale : annuler les dettes publiques détenues par le système européen de banques centrales (SEBC), soit près de 4 000 milliards d’euros début 2022, en échange de l’engagement des États de développer des investissements de même montant dans la reconstruction écologique et sociale. En annulant 750 milliards d’euros de dette publique française détenue par la BCE, en échange de l’engagement de réinvestir 36 milliards d’euros par an dans la neutralité carbone, nous pourrions financer 20 années du plan que nous proposons, et cela sans aucune augmentation de la dette publique.

Enfin, le coût pour les finances publiques peut être atténué en utilisant la fiscalité écologique. Cela passe d’une part par la suppression des dépenses fiscales nocives pour l’environnement. En 2022, selon le rapport du Réseau Action Climat, les dépenses fiscales nocives pour l’environnement ont atteint près de 12,5 milliards d’euros pour les plus importantes d’entre elles. D’autre part, une fiscalité écologique peut être développée pour taxer les activités et produits polluants pour inciter à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Ce genre de fiscalité a été introduite depuis une trentaine d’années mais la France ne l’utilise qu’assez peu : notre pays ne figure même pas dans les 10 premiers pays européens pour la proportion des recettes fiscales environnementales dans le PIB.

Des coûts mais aussi des gains pour l’État, les entreprises et les ménages

La reconstruction écologique s’accompagne également de nombreux effets positifs directs ou indirects sur les plans économiques et sociaux. Parmi ces effets positifs directs, on pense par exemple aux près de 54 milliards d’euros de gains annuels sur la balance commerciale, principalement dû aux baisses des importations d’hydrocarbures économisés chaque année. Pour le cas de la France, ce gain lié aux hydrocarbures peut être estimé à environ 46,5 milliards d’euros chaque année. Il doit toutefois être nuancé par le surplus d’importation de 1 milliards d’euros par an pour les biocarburants (montant calculé dans la partie Transport). Les importations françaises en matière agricole seront également une source d’économie. Le coût des importations d’intrants à base d’azote et de phosphore s’élevait en 2019 à 1,84 milliards d’euros. Cette somme serait réduite de plus de 50 % par les mesures que nous présentons dans ce rapport, ce qui nous conduit à estimer à près d’un milliard d’euros par an le gain pour la balance commerciale française.

Au niveau de l’emploi, la création nette d’au moins 300 000 emplois selon les chiffres du Shift Projet aurait une incidence positive pour les finances publiques. Si l’on considère une baisse de 300 000 chômeurs, le fait que l’allocation moyenne de chômage en septembre 2020 était de 1266 €, que le salaire brut moyen est de 3183€ par mois en France en 2019, un rapide calcul permet d’obtenir près de 4,56 milliards d’allocation chômage soit économisés soit cotisés. En outre, si l’on considère le taux de cotisation salariale moyen de 22 % et le fait que les charges patronales sont comprises entre 25 % et 42 % (donc ici nous retiendrons 30 %), cela conduirait à augmenter de 2,52 milliards d’euros les cotisations salariales et de 3,44 milliards d’euros par an les cotisations patronales. Au total, les créations d’emplois supplémentaires pourraient éviter des allocations chômage et générer des cotisations supplémentaires pour un montant de l’ordre de 10 milliards d’euros.

Au niveau de la sécurité sociale, les coûts évités pour la Sécurité sociale de la pollution de l’air pourraient être de l’ordre de 3 milliards d’euros chaque année. Des coûts spécifiques liés à des maladies provoquées par l’humidité et une insuffisance de chauffage dans les logements pourraient également être évités : un rapport parlementaire récent évoque ainsi un coût pour la sécurité sociale spécifique lié à ces logements, qui sont en réalité des « passoires thermiques », de 666 millions d’euros par an.

Enfin, pour les ménages, le premier élément d’économie est lié aux véhicules individuels. Dans les études, en moyenne, une voiture électrique coûte 1,5 à 2 € pour 100 kilomètres sur les routes alors que les voitures thermiques coûtent plutôt 8 à 9 € pour la même distance. Or, en moyenne, les Français roulent 12 200 km chaque année. Cela permet à un utilisateur de voiture thermique de gagner en moyenne plus de 800 € chaque année, dans l’hypothèse où les coûts des carburants sont stables dans le temps, ce qui n’est pas certain. On peut également envisager 100 € d’économies annuelles sur l’entretien selon plusieurs études convergentes (voir partie Transports).

De la même façon, des économies importantes seront effectuées grâce aux rénovations thermiques ambitieuses. Une étude estime qu’il peut y avoir jusqu’à 67,5 % d’économies potentielles sur la facture du chauffage pour un ménage effectuant des travaux performants tant sur l’isolation que sur un mode de chauffage efficient. La facture énergétique étant de 1602 € par an en moyenne, dont environ 1058 € pour la facture de chauffage, les logements qui seront rénovés correctement peuvent donc permettre à leurs habitants une économie de 714 € par an.

Additionnées, ces mesures permettent d’atteindre des économies moyennes cumulées d’environ 1700 euros par an pour les ménages. Ces opérations étaient par ailleurs largement subventionnées par l’État pour les ménages modestes et pour les classes moyennes, au regard des choix opérés dans notre étude, ces économies seraient souvent nettes des dépenses initiales nécessaires.

En conclusion

  • La décarbonation de notre économie a un coût non négligeable : 181 milliards d’euros d’investissements publics et privés, dont 57 milliards d’euros de surcoût par rapport aux scénarios tendanciels, dont a minima 36 milliards d’euros devront être pris en charge par la puissance publique. Mais ce coût, qui peut aussi être vu comme un investissement, est aisément finançable, en particulier si l’on mobilise des sources de financement innovantes.
  • Afin de réaliser ces investissements dans la durée et de permettre une discussion démocratique informée sur ce thème, la France doit mettre en place au plus vite une loi de programmation pluriannuelle de financement de la reconstruction écologique (LPFRE). Cela suppose également un État stratège : la « main invisible » des marchés ne permettra pas d’organiser la transition.
  • Toutes les filières de notre économie doivent dès à présent se lancer dans la transition, sans quoi tout retard entraînera une surcharge d’investissement dans les années futures. Quel que soit le secteur considéré, attendre ne fera que rendre la reconstruction écologique plus difficile et plus chère. L’objectif « Fit for 55 » est déjà menacé.
  • Des avantages économiques substantiels sont à tirer de la transition bas-carbone, en matière de santé, de performance des entreprises, d’emplois et de gains économiques pour les ménages, en plus des gains en termes de qualité de vie. Un ménage pourrait espérer économiser en moyenne 1700 sur ses factures annuelles, essentiellement consacrées au logement et au transport.
  • Il existe des moyens d’accompagner socialement la reconstruction écologique de notre pays de manière que les plus défavorisés d’entre nous ne se retrouvent pas à devoir supporter le poids de la transition sans accompagnement adéquat. Certains investissements devront être pris en charge à 100 % par la puissance publique. En effet, justice sociale et transition écologique doivent aller de pair.
  • En conclusion, atteindre la neutralité carbone de la France nécessite une action volontariste, immédiate et de nous donner les moyens intellectuels et budgétaires de régler le problème. Mais à ces conditions, elle est à portée de main. Il s’agit d’une question de volonté politique. Alors, qu’attendons-nous ?

 

Ce travail est issu des efforts d’un groupe composé d’une vingtaine de personnes qui ont travaillé de manière bénévole pendant près de huit mois. Il a été relu par plusieurs experts dont les commentaires ont été précieux pour affiner les résultats et mieux expliquer la démarche. Merci à eux !

Publié le 8 mars 2022

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Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050

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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine.

Gaël Giraud
Gaël Giraud est économiste, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École nationale des ponts et chaussées et auteur. Il dirige le programme justice environnementale de Georgetown University. Spécialiste des interactions entre économie et écologie, il occupait les fonctions de chef économiste de l’Agence française de développement (AFD) jusqu’en juillet 2019. Il est président d'honneur de l'Institut Rousseau.

Nicolas Dufrêne
Haut fonctionnaire, spécialiste des questions institutionnelles, monétaires et des outils de financement publics. Avec Alain Grandjean, il est l'auteur de Une monnaie écologique paru aux éditions Odile Jacob en 2020. Nicolas Dufrêne est directeur général de l'Institut Rousseau.

Christian Nicol
Christian Nicol est cadre dans une banque, militant écologiste et conseiller municipal en charge du Développement Durable d’Elancourt. Passé par l’Université Paris Dauphine et le MBA RSE de Léonard de Vinci, il se mobilise depuis plusieurs années, pour faire progresser la prise de conscience et les solutions sur le sujet du Développement Durable. Depuis 2020, il collabore sur ces thématiques avec Gaël Giraud, économiste français spécialisé dans la Transition Ecologique et dans l’économie mathématique.

Guillaume Kerlero de Rosbo
Ingénieur diplômé de l'Agro Paris et des Mines de Paris, Guillaume Kerlero de Rosbo est expert de la transition énergétique et écologique, après 10 ans de conseil en stratégie sur ces questions. Il est également passionné par les enjeux de justice sociale, qui ne peuvent être traitées séparément des enjeux écologiques. Il dirige les études autour des questions écologiques au sein de l'institut.

Résumé exécutif du rapport 2 % pour 2°C : Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050. La conférence de présentation du rapport peut-être visionnée entièrement sur notre chaîne YouTube. Le rapport complet est disponible en téléchargement.

Au cours des dernières années, nous avons fixé des objectifs ambitieux pour le climat. Nous avons multiplié les accords internationaux, les lois et les stratégies nationales. Mais les résultats ne suivent pas : nos émissions baissent trop lentement. Une des causes principales de cet échec est que la reconstruction écologique de nos sociétés se heurte au mur de l’argent. Or, atteindre la neutralité carbone suppose, certains y verront un paradoxe au regard de l’impératif de sobriété, de nombreux investissements.

Mais combien, exactement ? On pourrait imaginer que ce chiffrage existe déjà : en effet, comment penser des stratégies nationales bas carbone (SNBC) ou des programmations pluriannuelles pour l’énergie (PPE) sans aborder simultanément la question des moyens budgétaires et financiers nécessaires pour les atteindre ? Or, cela peut paraître surprenant, mais ce « recensement » n’existe tout simplement pas, malgré des tentatives éparses et incomplètes d’organismes publics ou privés de fournir des données. Cela nous conduit inévitablement à une forme de double discours en matière d’environnement : celui qui consiste à promettre beaucoup en matière d’objectifs, tout en mobilisant peu au niveau des financements.

C’est à ce problème majeur pour la réussite de la transition bas-carbone et pour le débat démocratique et économique que ce rapport entreprend de s’attaquer. Notre objectif final, la raison d’être de ce rapport, est d’associer aux leviers de décarbonation de l’économie les moyens financiers nécessaires pour les réaliser.

Nous chiffrons ces investissements, publics et privés confondus, à 182 milliards d’euros par an, dont 57 milliards d’euros par an en plus des investissements déjà prévus dans un scénario tendanciel, ce qui comprend aussi bien les dépenses « vertes » actuelles que celles dont nous pouvons anticiper la réorientation (par exemple les investissements actuels dans les véhicules thermiques seront transformés en investissements dans des véhicules électriques). Ces investissements supplémentaires représentent 2,3 % du PIB de la France en 2021. C’est ce qui donne le titre de notre rapport : 2 % du PIB d’investissements publics et privés supplémentaires sont nécessaires chaque année pour tenir notre engagement de neutralité carbone et faire notre juste part pour limiter le réchauffement à 2 degrés !

Précisons que ces « investissements » ne sont pas à considérer au sens économique strict du terme : il s’agit en réalité de l’ensemble des dépenses publiques et privées nécessaires pour atteindre les objectifs fixés et peuvent prendre la forme d’investissements durs, mais également de subventions, de crédits d’impôts, d’allégements fiscaux, d’aides à l’installation ou à la reforestation, de l’acquisition de biens par des ménages, etc.

Sur ces 57 milliards d’euros supplémentaires, 36 milliards d’euros d’investissements devraient être pris en charge par l’État. 36 milliards d’euros par an d’argent public supplémentaire pour atteindre la neutralité carbone : qu’est-ce que c’est pour le budget de l’État ? C’est à peu près ce que paie chaque année l’État aux banques et autres investisseurs en remboursement des intérêts de sa dette publique (38 milliards d’euros pour 2022, plus de 40 milliards d’euros pendant les années 2010). C’est nettement moins que ce qu’on dépense chaque année pour la défense (50 milliards d’euros) ou que ce que les actionnaires privés ont perçu en dividendes en 2019 (49,2 milliards d’euros). Et c’est un peu moins que le premier plan d’urgence budgétaire mis en place dès le début de la pandémie en mars 2020 (42 milliards d’euros). Pour le climat aussi, il nous faut un plan d’urgence, dès maintenant et pour les années à venir.

Quelques points de comparaison du surcoût public de l’ensemble des mesures proposées

 

Ces investissements publics et privés que nous requérons n’ont donc rien d’insurmontable : ils permettraient bien au contraire d’enclencher une dynamique vertueuse pour l’environnement, l’emploi, la santé et in fine la prospérité de nos concitoyens.

Quelques précisions importantes pour bien comprendre le cadre de notre étude. Tout d’abord, cette dernière est centrée sur les investissements publics et privés qui permettront de réduire suffisamment les émissions de gaz à effet de serre de la France pour atteindre une neutralité carbone d’ici trente ans. Par conséquent, notre étude ne prend pas en compte l’ensemble des investissements qui seraient nécessaires à une politique complète de reconstruction écologique (préservation de la biodiversité et lutte contre la sixième extinction de masse que nous connaissons, reconstruction des réseaux d’eau, dépollution chimique des sols et des procédés, etc.), encore que plusieurs investissements étudiés contribuent aussi à agir sur ces fronts. Notre chiffrage constitue donc un plancher pour atteindre la neutralité carbone mais devrait être revu sensiblement à la hausse en intégrant les autres enjeux écologiques. Ce sera l’objet de travaux ultérieurs. En outre, nous avons évalué le coût de l’investissement en capital (le “Capex”) et avons donc laissé de côté les coûts opérationnels (les “Opex”), beaucoup plus difficiles à évaluer et anticiper.

Ensuite, il est important de souligner que notre travail n’est pas d’ordre réglementaire mais plutôt budgétaire : nous ne nous préoccupons pas systématiquement des mesures législatives et réglementaires qui devront nécessairement accompagner le déploiement des investissements. Les mesures réglementaires les plus structurantes, ou constituant des prérequis aux investissements, sont cependant décrites.

Enfin, si nous avons pleinement conscience de l’importance des enjeux liés au bon déploiement opérationnel d’une telle transition, l’ensemble des conditions nécessaires au bon déroulement de ce plan d’action chiffré n’est pas systématiquement décrit.

Pour mettre en œuvre le plan d’investissement que nous proposons, nous recommandons, avec d’autres acteurs importants du débat, l’élaboration d’une loi de programmation pluriannuelle du financement de la reconstruction écologique (LPFRE), comme il en existe en matière de recherche et de défense, qui permettrait d’opérer une jonction étroite entre les objectifs fixés et les moyens de les atteindre. La plus-value et l’originalité de notre rapport est également de proposer une vision de ce que devrait contenir cette loi de programmation pluriannuelle de financement de la reconstruction écologique, secteur par secteur. Cette vision repose sur des éléments chiffrés les plus concrets et objectifs possibles, mais ces derniers s’articulent également avec une réflexion politique et sociale sur la manière de conduire la reconstruction écologique. Cette réflexion repose sur deux principes directeurs : d’abord, un effort d’investissement massif dans la reconstruction écologique est nécessaire dès maintenant car chaque année perdue accentue la difficulté de la pente ; ensuite, la reconstruction écologique ne peut pas se faire sans justice sociale, sans accompagner financièrement et opérationnellement les citoyens les plus pauvres et les entreprises les moins bien dotées. Notre étude nous permet par exemple de conclure que sans mettre dès maintenant des financements à la hauteur des tâches à accomplir, il est extrêmement peu probable que nous arriverons à tenir l’objectif de – 55 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (« Fit for 55 »).

Ces éléments expliquent qu’une large part du « surcoût » de la transition doive être prise en charge par la puissance publique (36 milliards d’euros sur 57 milliards d’euros de surcoût). Cela représente des montants conséquents mais nous démontrons également, dans la troisième partie du rapport, comment ces dépenses publiques peuvent être financées aisément dans la durée, notamment si elles s’articulent avec des réformes budgétaires et monétaires plus importantes, mais même si nous devions faire sans attendre ces réformes potentielles. Nous montrons par ailleurs les nombreux bénéfices économiques qui peuvent en résulter, que ce soit pour les finances publiques, pour le pouvoir d’achat des ménages, pour les gains qui peuvent en résulter pour la sécurité sociale et le système de santé ou encore du point de vue de la balance commerciale.

Une méthodologie d’évaluation en trois temps

La méthode utilisée est simple et peut se résumer en trois phases (une présentation détaillée est disponible en annexe). La première phase consiste, à partir des études existantes et des stratégies nationales, à définir l’ensemble des leviers d’action permettant de réduire les émissions de la France à presque zéro. Ces émissions de gaz à effet de serre sont celles des six grands secteurs d’activité aujourd’hui à l’origine de l’ensemble des émissions territoriales de notre économie (transport, industrie, agriculture, bâtiments, production d’énergie, déchets).  La somme des « leviers de décarbonation » sectoriels proposés dans cette étude nous permet de baisser de 87 % les émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à aujourd’hui. Les 13 % restants ont vocation à être couverts par le développement d’un dernier secteur à émissions négatives, les puits de carbone.

La deuxième phase vise à établir un « surcoût » global d’investissements nécessaires pour parvenir à la décarbonation de chacun de ces secteurs, sans distinction à ce stade entre le public et le privé. Ce surcoût est calculé pour chaque levier de décarbonation. Il repose sur la différence entre les investissements nécessaires à la décarbonation de l’économie (scénario de transition) et ce que la France continuera d’investir, sur le même périmètre et selon les données que nous avons à notre disposition, si la tendance actuelle est poursuivie jusqu’à 2050 (scénario tendanciel utilisé comme référence). Dans ce scénario tendanciel, on conserve globalement les modes d’organisation actuels, les politiques actuellement menées sont poursuivies, ou les changements opérés continuent de se faire à la vitesse actuelle (ou anticipée par les politiques actuelles), sans accélérer fortement la cadence ni engager les mutations plus profondes que nous proposons dans le scénario de transition. Les surcoûts affichés impliquent donc que les investissements tendanciels qui ne sont pas déjà au service de la transition soient réorientés vers des investissements de transition (voir figure ci-après). Comme indiqué précédemment, c’est ce qui se produit lorsque des particuliers investissent dans un véhicule électrique au lieu d’un véhicule thermique, ou quand des investisseurs investissent dans des moyens de production d’énergie bas-carbone et non plus d’énergie fossile.

 

Philosophie de calcul du surcoût de la transition par rapport aux investissements déjà réalisés et aux investissements à réorienter

Enfin, la troisième phase consiste à définir et à chiffrer les principales mesures publiques qui permettront d’activer efficacement les leviers de décarbonation. Ces propositions sont au nombre de 73. Seules sont recensées les mesures que nous estimons être les plus importantes et qui sont également, le plus souvent, les plus coûteuses pour les finances publiques. Comme indiqué précédemment, il s’agit essentiellement de mesures d’investissements directs ou d’aides à l’investissement ou à la consommation, qu’elles prennent la forme de subventions, de crédits d’impôt, de baisse (ou de hausse) de la fiscalité.

Les émissions de la France et les investissements nécessaires à leur réduction

Les émissions territoriales de la France sont d’abord le fait du transport de biens et de personnes, pour près d’un tiers des émissions, et en particulier de l’usage de la voiture (plus de la moitié des émissions du transport, 17 % du total). Viennent ensuite, en proportions relativement égales (un peu moins de 20 % chacun), l’industrie, l’agriculture et les bâtiments (qui consomment de l’énergie pour chauffer, éclairer, cuisiner, ventiler, etc.). La production d’énergie sur le territoire pèse pour environ 10 % du total, pour moitié liée à la production d’électricité à partir de ressources fossiles (gaz, fuel, etc.). Enfin, la gestion des déchets est responsable de 3,4 % de nos émissions, principalement en raison des fuites de méthane issues de la décomposition naturelle de déchets organiques dans les centres d’enfouissement.

Émissions territoriales 2019 de la France, par secteur d’activité

 

Les leviers d’action à mobiliser pour réduire ces émissions sont, dans l’ensemble, bien connus et référencés. Le cœur du dispositif consiste à décarboner la production d’énergie nécessaire à toutes les activités de la vie courante : se déplacer, se nourrir, se loger, s’éclairer ou se chauffer, s’approvisionner en objets divers, etc. Mais tous les autres secteurs doivent également s’adapter, à la fois pour réduire leur consommation d’énergie et pour pouvoir utiliser ces nouvelles formes décarbonées d’énergie (par exemple en passant d’équipements thermiques à des équipements électriques). Enfin, certaines sources d’émissions non directement liées à la consommation d’énergie nécessitent des changements de pratiques ou de procédés, comme dans l’agriculture ou l’industrie. Nous avons listé 33 leviers d’actions, dont 26 concernent directement les émissions sectorielles et 7 concernent des moyens d’action transverses, profitables à l’ensemble des secteurs.

La totalité des investissements collectifs nécessaires à la mise en place de l’ensemble des leviers de décarbonation présentés dans le rapport est estimée à environ 5 000 milliards d’euros d’ici 2050, soit 181 milliards d’euros en moyenne par an. Comme expliqué précédemment, ces investissements nécessaires à la décarbonation de l’économie sont à comparer à ce que la France continuera d’investir, sur le même périmètre, si la tendance actuelle est poursuivie jusqu’à 2050, c’est-à-dire ce que l’on a coutume d’appeler le business as usual. Par exemple, les enveloppes de coûts d’investissement tendanciels incluent le coût d’achat des voitures thermiques que nous continuerions d’acheter si nous n’opérions pas de conversion vers des véhicules bas-carbone, le coût des rénovations des bâtiments selon le rythme et le type de rénovation actuellement constatés ou encore, côté public, des coûts relatifs au maintien de budgets actuels de dépense publique (Fonds Chaleur, Fonds Économie Circulaire, etc.). La somme de ces coûts tendanciels comparables à nos coûts de transition est estimée à environ 3 400 milliards d’euros d’ici 2050, soit 121 milliards d’euros en moyenne par an. La différence entre les coûts d’investissement totaux nécessaires à la transition et les coûts tendanciels permettent d’en déduire le niveau de « surinvestissement » (ou surcoût) à débloquer pour atteindre la neutralité carbone. La somme de ces surcoûts d’investissement est estimée à environ 1 650 milliards d’euros d’ici 2050, soit 57 milliards d’euros en moyenne par an, représentant une hausse d’environ 50 % par rapport au périmètre tendanciel.

Lorsqu’on raisonne en investissement total, on constate que la majorité des investissements (près de 60 %) est concentrée sur deux secteurs : celui du transport et celui du bâtiment. Cela s’explique par le caractère massifié de ces deux secteurs : les investissements à mener s’appliquent à des dizaines de millions de véhicules et de bâtiments. Viennent ensuite, dans des proportions relativement comparables, la production d’énergie (17 %, 30,8 milliards d’euros par an), l’agriculture (11 %, 19,8 milliards d’euros par an) et les mesures transverses (11 %, 20,8 milliards d’euros par an). L’industrie (2,4 milliards d’euros par an) et les puits de carbone (1,2 milliards d’euros par an), arrivent loin derrière avec 2 % des investissements à eux deux.

Volumes d’investissements annuels à débloquer par secteur (en milliards d’euros par an)

Lorsqu’on raisonne en surinvestissement par rapport à la tendance, le classement change du tout au tout. Le secteur du bâtiment est de loin celui qui nécessite le plus gros effort supplémentaire par rapport à la tendance (36 % du surcoût de transition, soit 21 milliards par an), suivi par la production d’énergie (28 %, 15,9 milliards d’euros par an). Ces deux secteurs représentent à eux deux 64 % des besoins d’investissements supplémentaires. Côté bâtiment, cela s’explique par le besoin de fortement accélérer le rythme des rénovations, ainsi qu’au passage de rénovations partielles (dites « par gestes ») à des rénovations globales, unitairement plus coûteuses. Côté énergie, cela est dû à une hypothèse de forte électrification des usages dans le scénario de transition, entraînant une hausse de 60 % de la consommation électrique par rapport au scénario tendanciel. Enfin, la forte baisse du secteur du transport dans le classement des surcoûts est principalement due à deux raisons. D’une part, le surinvestissement dans le secteur des transports est égal au différentiel de coût entre des véhicules bas-carbone et des véhicules thermiques dans lesquelles il faut de toute façon investir dans le scénario tendanciel (contrairement au bâtiment, par exemple, ou une partie des rénovations nécessaires n’est tout simplement pas faite). D’autre part, cela est dû à une baisse de 20 % du nombre de voitures particulières dans le scénario de transition par rapport au scénario tendanciel, résultant notamment du fort développement du train et des transports en commun (voir partie suivante relative aux transports). On achètera moins de voitures d’ici 2050 qu’en tendance actuelle, ce qui engendre un surcoût « négatif » sur ce levier, qui vient fortement alléger les autres postes de surcoût du secteur (développement des transports en commun, relance du ferroviaire, etc.).

Volume d’investissements supplémentaires à débloquer, par secteur, en plus d’une réorientation des dépenses actuelles (surcoût, en milliards d’euros par an)

 

Comment financer ces investissements ?

Parmi les pistes de financement disponibles, il faudra nécessairement en passer, en premier lieu, par davantage d’endettement public. Ce financement supplémentaire, de l’ordre de 20 à 30 milliards d’euros annuels (si l’on prend en compte les « économies » budgétaires permises par la suppression d’un certain nombre de dépenses fiscales défavorables à l’environnement – cf. infra), doit s’opérer dans la durée, de manière continue pour chacune des 30 prochaines années. Cela ne doit pas nous effrayer car ces sommes ne représentent pas un montant « conséquent » pour les marchés financiers. À titre de comparaison, la France a placé sur les marchés près de 24 milliards d’euros entre le 3 et le 15 février de cette année 2022 sur des maturités allant jusqu’à 31 ans pour des taux inférieurs à 1 %. On peut également souligner le fait que le besoin de financement de l’État devrait atteindre 302,5 milliards d’euros en 2022, contre 321,1 milliards pour l’année 2021 (hors roulement de dettes à court terme qui augmentent le besoin de financements comme indiqué plus loin). Par conséquent, emprunter 30 à 40 milliards d’euros supplémentaires représenterait moins de 10 % du besoin de financement annuel de l’État à ajouter aux emprunts annuels. Et cela alors que les offres de financements reçues par le Trésor représentent, à chaque adjudication, près de 3,5 fois les montants de financement recherchés, ce qui signifie que la France pourrait aisément placer davantage de titres de dette sur les marchés financiers sans se trouver à court d’investisseurs.

Au niveau européen, la mise en œuvre des investissements nécessaires à la transition écologique suppose toutefois une remise en cause complète du cadre juridique actuel, qui devrait passer a minima par l’exclusion du calcul du déficit public des dépenses publiques relatives à plusieurs secteurs d’investissements bénéfiques pour la reconstruction écologique qui sont détaillés dans le rapport.

Au niveau national, les règles de la commande publique devront aussi être repensées. Cette dernière représente environ 200 milliards d’euros chaque année, soit un peu moins de 10 % de notre produit intérieur brut (PIB). Cependant, l’observatoire de la commande publique estime que seuls 13,6 % des marchés publics comportent aujourd’hui une clause environnementale, contre un objectif fixé par la loi de transition énergétique de 2015 à 30 % en 2020. Mais le prix reste le critère majeur dans la pondération des différents critères au moment des consultations. Il n’est pas rare que le seul critère prix dépasse 70 % de l’ensemble de la notation, contre moins de 10 % en moyenne pour les considérations environnementales. Si l’on veut engager une véritable reconstruction écologique, il est nécessaire d’aller plus loin en introduisant dans la loi une obligation de pondération des critères environnementaux qui soit au moins égale à une fourchette comprise entre 30 et 50 % de l’ensemble des critères en fonction des catégories de produits et services concernés.

Le recours à l’arme monétaire est également une piste à considérer sérieusement : une partie des dépenses pourrait et devrait être monétisée afin d’alléger la facture pour les États, même s’ils peuvent a priori s’en passer tant que les taux d’intérêts demeurent faibles et que la Banque centrale assure des débouchés à la dette publique (ce qui devient de moins en moins certain au regard des déclarations récentes des banques centrales). Une solution à terme pourrait alors être l’introduction raisonnée et ciblée de monnaie libre (libre de dettes), dans des volumes limités et décidés sous contrôle démocratique, dans le système économique. Cette proposition a été explorée par l’Institut Rousseau dans plusieurs publications. Par exemple, on pourrait imaginer que la Banque centrale crée de l’argent ex nihilo pour approvisionner soit directement les États soit des fonds d’investissement dans la reconstruction écologique afin de faciliter le financement de cette dernière. La BCE pourrait par exemple financer à hauteur de 20 milliards d’euros par an (pour la France) l’effort visé dans la loi de programmation du financement de la reconstruction écologique décrite dans la première partie, tout en en faisant autant, à proportion de leurs besoins, pour les autres pays de la zone euro. Cette politique conduirait à une injection de liquidités au profit de la société et de l’intérêt général, et non plus seulement au profit des marchés financiers. Mais techniquement, la méthode serait la même et l’impact sur le bilan de la banque centrale également.

Cette proposition de monétisation des dépenses publiques sous contrôle démocratique, via le mécanisme de la monnaie libre, conduit presque au même résultat que la conversion des dettes publiques détenues par la BCE en investissements écologiques. L’Institut Rousseau a en effet porté une proposition originale : annuler les dettes publiques détenues par le système européen de banques centrales (SEBC), soit près de 4 000 milliards d’euros début 2022, en échange de l’engagement des États de développer des investissements de même montant dans la reconstruction écologique et sociale. En annulant 750 milliards d’euros de dette publique française détenue par la BCE, en échange de l’engagement de réinvestir 36 milliards d’euros par an dans la neutralité carbone, nous pourrions financer 20 années du plan que nous proposons, et cela sans aucune augmentation de la dette publique.

Enfin, le coût pour les finances publiques peut être atténué en utilisant la fiscalité écologique. Cela passe d’une part par la suppression des dépenses fiscales nocives pour l’environnement. En 2022, selon le rapport du Réseau Action Climat, les dépenses fiscales nocives pour l’environnement ont atteint près de 12,5 milliards d’euros pour les plus importantes d’entre elles. D’autre part, une fiscalité écologique peut être développée pour taxer les activités et produits polluants pour inciter à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Ce genre de fiscalité a été introduite depuis une trentaine d’années mais la France ne l’utilise qu’assez peu : notre pays ne figure même pas dans les 10 premiers pays européens pour la proportion des recettes fiscales environnementales dans le PIB.

Des coûts mais aussi des gains pour l’État, les entreprises et les ménages

La reconstruction écologique s’accompagne également de nombreux effets positifs directs ou indirects sur les plans économiques et sociaux. Parmi ces effets positifs directs, on pense par exemple aux près de 54 milliards d’euros de gains annuels sur la balance commerciale, principalement dû aux baisses des importations d’hydrocarbures économisés chaque année. Pour le cas de la France, ce gain lié aux hydrocarbures peut être estimé à environ 46,5 milliards d’euros chaque année. Il doit toutefois être nuancé par le surplus d’importation de 1 milliards d’euros par an pour les biocarburants (montant calculé dans la partie Transport). Les importations françaises en matière agricole seront également une source d’économie. Le coût des importations d’intrants à base d’azote et de phosphore s’élevait en 2019 à 1,84 milliards d’euros. Cette somme serait réduite de plus de 50 % par les mesures que nous présentons dans ce rapport, ce qui nous conduit à estimer à près d’un milliard d’euros par an le gain pour la balance commerciale française.

Au niveau de l’emploi, la création nette d’au moins 300 000 emplois selon les chiffres du Shift Projet aurait une incidence positive pour les finances publiques. Si l’on considère une baisse de 300 000 chômeurs, le fait que l’allocation moyenne de chômage en septembre 2020 était de 1266 €, que le salaire brut moyen est de 3183€ par mois en France en 2019, un rapide calcul permet d’obtenir près de 4,56 milliards d’allocation chômage soit économisés soit cotisés. En outre, si l’on considère le taux de cotisation salariale moyen de 22 % et le fait que les charges patronales sont comprises entre 25 % et 42 % (donc ici nous retiendrons 30 %), cela conduirait à augmenter de 2,52 milliards d’euros les cotisations salariales et de 3,44 milliards d’euros par an les cotisations patronales. Au total, les créations d’emplois supplémentaires pourraient éviter des allocations chômage et générer des cotisations supplémentaires pour un montant de l’ordre de 10 milliards d’euros.

Au niveau de la sécurité sociale, les coûts évités pour la Sécurité sociale de la pollution de l’air pourraient être de l’ordre de 3 milliards d’euros chaque année. Des coûts spécifiques liés à des maladies provoquées par l’humidité et une insuffisance de chauffage dans les logements pourraient également être évités : un rapport parlementaire récent évoque ainsi un coût pour la sécurité sociale spécifique lié à ces logements, qui sont en réalité des « passoires thermiques », de 666 millions d’euros par an.

Enfin, pour les ménages, le premier élément d’économie est lié aux véhicules individuels. Dans les études, en moyenne, une voiture électrique coûte 1,5 à 2 € pour 100 kilomètres sur les routes alors que les voitures thermiques coûtent plutôt 8 à 9 € pour la même distance. Or, en moyenne, les Français roulent 12 200 km chaque année. Cela permet à un utilisateur de voiture thermique de gagner en moyenne plus de 800 € chaque année, dans l’hypothèse où les coûts des carburants sont stables dans le temps, ce qui n’est pas certain. On peut également envisager 100 € d’économies annuelles sur l’entretien selon plusieurs études convergentes (voir partie Transports).

De la même façon, des économies importantes seront effectuées grâce aux rénovations thermiques ambitieuses. Une étude estime qu’il peut y avoir jusqu’à 67,5 % d’économies potentielles sur la facture du chauffage pour un ménage effectuant des travaux performants tant sur l’isolation que sur un mode de chauffage efficient. La facture énergétique étant de 1602 € par an en moyenne, dont environ 1058 € pour la facture de chauffage, les logements qui seront rénovés correctement peuvent donc permettre à leurs habitants une économie de 714 € par an.

Additionnées, ces mesures permettent d’atteindre des économies moyennes cumulées d’environ 1700 euros par an pour les ménages. Ces opérations étaient par ailleurs largement subventionnées par l’État pour les ménages modestes et pour les classes moyennes, au regard des choix opérés dans notre étude, ces économies seraient souvent nettes des dépenses initiales nécessaires.

En conclusion

  • La décarbonation de notre économie a un coût non négligeable : 181 milliards d’euros d’investissements publics et privés, dont 57 milliards d’euros de surcoût par rapport aux scénarios tendanciels, dont a minima 36 milliards d’euros devront être pris en charge par la puissance publique. Mais ce coût, qui peut aussi être vu comme un investissement, est aisément finançable, en particulier si l’on mobilise des sources de financement innovantes.
  • Afin de réaliser ces investissements dans la durée et de permettre une discussion démocratique informée sur ce thème, la France doit mettre en place au plus vite une loi de programmation pluriannuelle de financement de la reconstruction écologique (LPFRE). Cela suppose également un État stratège : la « main invisible » des marchés ne permettra pas d’organiser la transition.
  • Toutes les filières de notre économie doivent dès à présent se lancer dans la transition, sans quoi tout retard entraînera une surcharge d’investissement dans les années futures. Quel que soit le secteur considéré, attendre ne fera que rendre la reconstruction écologique plus difficile et plus chère. L’objectif « Fit for 55 » est déjà menacé.
  • Des avantages économiques substantiels sont à tirer de la transition bas-carbone, en matière de santé, de performance des entreprises, d’emplois et de gains économiques pour les ménages, en plus des gains en termes de qualité de vie. Un ménage pourrait espérer économiser en moyenne 1700 sur ses factures annuelles, essentiellement consacrées au logement et au transport.
  • Il existe des moyens d’accompagner socialement la reconstruction écologique de notre pays de manière que les plus défavorisés d’entre nous ne se retrouvent pas à devoir supporter le poids de la transition sans accompagnement adéquat. Certains investissements devront être pris en charge à 100 % par la puissance publique. En effet, justice sociale et transition écologique doivent aller de pair.
  • En conclusion, atteindre la neutralité carbone de la France nécessite une action volontariste, immédiate et de nous donner les moyens intellectuels et budgétaires de régler le problème. Mais à ces conditions, elle est à portée de main. Il s’agit d’une question de volonté politique. Alors, qu’attendons-nous ?

 

Ce travail est issu des efforts d’un groupe composé d’une vingtaine de personnes qui ont travaillé de manière bénévole pendant près de huit mois. Il a été relu par plusieurs experts dont les commentaires ont été précieux pour affiner les résultats et mieux expliquer la démarche. Merci à eux !

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