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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Notes

Pour un ministère du Temps libéré

Note présentée dans le cadre du Festival des idées, Le 8 juillet 2023, à La-Charité-sur-Loire Introduction « La retraite avant l’arthrite », « Ne pas perdre sa vie à la gagner »… Les slogans de la mobilisation contre la réforme des retraites ont été nourris de références au refus du sacrifice d’un temps de vie « pour soi » par l’allongement de l’âge de départ en retraites à 64 ans. La réforme des retraites a soulevé la question de la place du travail dans nos vies et plus profondément encore celle du temps de vie à notre disposition, une fois soustrait le temps passé au travail. En effet, tout se passe comme si la réforme des retraites avait rappelé à notre société la valeur du temps personnel. Probablement que les graines de cette réflexion avaient été semées lors de l’arrêt du travail pendant le confinement et avec le développement du télétravail. Le rapport des Français au travail semble en tout cas avoir profondément changé : c’est ce que révèle une enquête de l’IFOP[1] menée en octobre 2022 selon laquelle 21 % des Français considèrent le travail comme très important, soit trois fois moins qu’en 1990. Ce constat appelle logiquement une réflexion sur le réaménagement du temps de travail, par exemple avec la semaine de quatre jours (voir la note de l’Institut Rousseau sur ce sujet[2]). Il mène aussi à une réflexion d’accompagnement, de protection et de valorisation du temps libre de chacun d’entre nous. C’est que depuis plusieurs décennies, et malgré les gains de productivité, le travail semble avoir pris une place croissante dans nos vies, au détriment de notre temps personnel. C’est le fruit d’évolutions politiques (comme souligné par François Ruffin dans son dernier livre Le Temps d’apprendre à vivre[3]), d’évolutions du monde du travail, des outils numériques et du management (comme l’ont mis en lumière Dominique Méda et Bruno Palier notamment[4]), et aussi de l’emballement productif[5] d’une société de la surconsommation. Au global, c’est l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle qui est bouleversé. Ces évolutions se font dans le contexte d’avancées technologiques qui génèrent une « accélération du temps »[6], telle que formulée par Hartmut Rosa. Selon lui, cette accélération s’articule autour de trois facteurs[7] : l’innovation technique (qui notamment comprime l’espace et multiplie la nécessité de communiquer), un accroissement des rythmes sociaux et culturels, et enfin une augmentation des rythmes de vie prenant la forme d’une densification des tâches à réaliser et donc un sentiment d’urgence permanent. Ces effets sont particulièrement visibles dans le monde du travail comme on le verra ci-dessous. Ils créent une corrélation entre d’un côté une meilleure productivité au travail grâce à la modernité, qui fait gagner du temps, et pourtant une sensation de manque de temps. De plus, le temps individuel semble de plus en plus déconnecté du temps collectif à travers une forme de désynchronisation des rythmes de vie[8]. La nouveauté de la situation actuelle repose également sur la valeur du temps à l’aune du dérèglement de la planète. L’urgence climatique nous impose que le temps disponible ne soit pas en contradiction avec ce défi qui constitue, lui aussi, une course contre la montre. De fait, le temps libéré interroge l’équation entre croissance, soutenabilité écologique et temps de travail. Dans cette perspective, nous proposons la création d’un ministère du Temps libéré, ministère de plein exercice qui aurait la charge de coordonner une véritable politique publique d’accompagnement du temps libéré. Par « temps libéré », nous entendons tout le temps libre, c’est-à-dire qui n’est pas contraint. Ce temps peut être contraint par le travail au sens classique du terme, en pensant plus particulièrement au travail salarié qui représente 37 heures par semaine en moyenne[9]. Le travail salarié reste aujourd’hui la forme d’activité majoritaire et nous semble la plus souhaitable. C’est à ce titre que nous le privilégions dans cette note, qui prendra nécessairement moins en compte les personnes inactives, les demandeurs d’emploi, les travailleurs non-salariés et les travailleurs à temps partiel. Il apparaît néanmoins souhaitable de donner autant que possible une dimension universelle à cette politique du temps libéré pour en permettre le bénéfice à tous, quelle que soit la situation professionnelle. Le temps est également contraint par les trajets domicile-travail qui représentent environ 50 minutes par jour en moyenne (principalement en voiture)[10] ou encore par le « travail domestique ». Nous faisons le choix, dans le prolongement de certains sociologues (notamment Pierre Bourdieu[11]), de considérer les tâches domestiques et administratives, souvent réalisées par les femmes, comme un travail à part entière. Par définition, le travail domestique et administratif est multiple (faire les courses, aller chercher les enfants, tenir les comptes, prendre les rendez-vous médicaux, régler les factures…). Cette définition fait immédiatement apparaitre des inégalités dans la répartition du temps disponible. Inégalités de classe, inégalités territoriales et inégalités de genre en particulier. Ces inégalités nous amènent à considérer le temps comme un « capital temporel »[12] inégalement réparti et qu’il s’agira de mieux redistribuer. En positif, nous considérons comme « temps libéré » le « temps pour soi »[13], quelle que soit l’utilisation qui en est faite. Passer du temps avec ses petits-enfants, faire du sport, jardiner, regarder une série à la maison, ne rien faire… Toutes ces activités constituent du temps utilisé librement pour soi. Pour autant, ce temps libre peut également être mis au service des autres. Comme le soulignait André Henry, ministre du Temps libre, « Le temps libre, ce n’est pas seulement les loisirs, c’est aussi la culture et la vie citoyenne, l’engagement citoyen pour la République »[14]. Cet engagement n’a pas besoin d’être formalisé. Pour autant et sans l’imposer, nous pensons qu’il est nécessaire de créer les conditions que le temps libéré soit profitable à l’ensemble de la société et au climat par l’engagement citoyen dans sa forme institutionnelle. À l’aune de ces enjeux, le rapport au temps constitue l’une des préoccupations les plus concrètes au quotidien pour les Français. Alors que l’offre politique française et européenne est en pleine mutation, un réformisme « radical » en prise avec le quotidien de nos concitoyens semble plus que jamais nécessaire. C’est dans cette perspective que nous versons dans le débat public la proposition d’un ministère du

Par Montjotin P., Adrianssens C.

28 juillet 2023

Mettre l’administration au service de l’éducation civique

Si l’enseignement de l’Éducation morale et civique (EMC) constitue, dès la IIIème République, une brique essentielle de l’édifice social, il semble désormais en crise. En effet, après avoir connu de multiples modifications programmatiques et horaires tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle, l’EMC recouvre aujourd’hui un contenu si large, et des pratiques pédagogiques si incertaines, qu’il est possible de douter de sa réelle efficacité. Pour résorber la fracture qui prévient l’adhésion d’une partie des citoyens aux valeurs du contrat social, nous proposons, outre une augmentation du volume horaire d’enseignement de l’EMC, une mesure forte : mettre l’administration au service de l’instruction civique. Sur l’ensemble du territoire français, les agents publics exerçant des fonctions d’encadrement pourraient, selon des modalités contraignantes ou non, dispenser aux élèves des cours sur le fonctionnement des institutions, les valeurs républicaines et les fondamentaux de la culture politique. Un tel dispositif réaffirmerait le rôle de l’État dans l’éducation, tout en revalorisant son image auprès de la jeunesse. Introduction L’Éducation morale et civique (EMC) est en crise autant qu’elle est en vogue : en crise, d’abord, car son contenu demeure mal délimité, son volume horaire de plus en plus réduit et les pratiques pédagogiques qu’elle offre mal saisies par le corps professoral ; en vogue, d’autre part, en ce qu’elle fait, depuis plusieurs décennies, l’objet d’incessantes réformes visant à l’adapter aux nouveaux enjeux de la société et qu’elle constitue, pour cause, une réponse fourre-tout pour les crises politiques et sociales que traverse le pays. Toutefois, l’excroissance des programmes de l’EMC, autant que leur difficile applicabilité, suppose de repenser les modalités de son fonctionnement. Cette nécessité est d’autant plus prégnante que les signes d’une crise de la défiance à l’égard des institutions et des valeurs de la République sont chaque jour plus visibles, notamment au sein des couches les plus jeunes de la population. Face à l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui l’EMC, il apparaît nécessaire d’imaginer une politique publique nouvelle et simplifiée. Tandis que les professeurs font part de leur dénuement face à la diversité des outils pédagogiques dont ils disposent et la complexité inhérente à leur mise en œuvre, nous proposons qu’une partie de leurs enseignements soit prise en charge par des agents publics exerçant des fonctions d’encadrement au sein de l’administration. En effet, l’agent public pourrait illustrer auprès des élèves, à partir d’expériences éprouvées dans le cadre de ses fonctions, les valeurs de la République en action : ici, un juge parlant des droits de l’homme ; là, un commissaire de police parlant de l’ordre public ; ailleurs, enfin, un sous-préfet parlant de la laïcité. La présente note vise en conséquence à rappeler le rôle historique et philosophique de l’EMC en République, mettre en lumière les principaux maux dont elle souffre et détailler les modalités concrètes de notre proposition. I. Une instruction civique placée en première ligne du combat pour l’école républicaine Dans un discours prononcé à Bordeaux le 16 novembre 1871, Léon Gambetta, père fondateur de la IIIème République, se demande : « Comment admettre que des hommes qui ne connaissent la société que par le côté qui les irrite […] ne s’aigrissent pas dans la misère et n’apparaissent pas sur la place publique avec des passions effroyables ? ». Et le tribun d’ajouter : « Je déclare qu’il n’y aura de paix, de repos et d’ordre qu’alors que toutes les classes considéreront leur gouvernement comme une émanation légitime de leur souveraineté et non plus comme un maître avide et jaloux »[1]. L’instruction civique est née : avec la loi Ferry du 28 mars 1882, l’éducation morale et civique de l’élève figure au premier rang des apprentissages de l’école primaire, devant l’écriture et la lecture. Son initiateur, Jules Ferry, rappelle devant le Sénat, le 10 juin 1881, l’intérêt primordial qu’elle revêt pour la constitution d’une société républicaine, au lendemain de la tourmente de Sedan et de la destitution de Louis-Napoléon Bonaparte, mais aussi de l’épisode de la Commune : « Si vous voulez chasser des esprits les utopies, si vous voulez émonder les idées fausses, il faut que vous fassiez entrer dans l’esprit et dans le cœur de l’enfant des idées vraies sur la société où il doit vivre, sur les droits qu’il doit exercer. Comment ! dans quelques années, il sortira de l’école primaire – et pour un grand nombre de ces jeunes gens, c’est à l’école primaire que s’arrêtent malheureusement et se limitent tout le bagage et toutes les connaissances scientifiques. Comment ! il sera électeur dans quelques années et vous voulez nous défendre de lui apprendre ce que c’est qu’une patrie ! »[2]. Les valeurs alors enseignées, à la fin du XIXème siècle, sont proprement conçues pour garantir une adhésion totale et collective des élèves de l’école primaire au modèle républicain : il est ainsi question du service militaire, de la foi dans le progrès, du patriotisme et de l’obligation fiscale[3]. A. Aux origines historiques et théoriques d’une instruction civique universelle Son intérêt, dans l’esprit de ses promoteurs, est double. L’instruction civique assure, en premier lieu, de faire vivre effectivement la démocratie en diffusant un corpus de principes et de valeurs communs chez les plus jeunes. La démocratie n’est, en effet, pas qu’une convocation régulière à voter : elle est, comme l’écrit Pierre Mendès-France, « un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire »[4]. Ce type de mœurs spécifique est institué par le maître d’école, qui convainc les élèves d’une pratique partagée et sans cesse renouvelée du débat et de la délibération. Octave Gréard, le Vice-recteur de l’Académie de Paris jusqu’en 1877 et créateur des premiers lycées de jeunes filles, écrivait ainsi dans un Cours de pédagogie théorique et pratique à destination des professeurs des écoles : « Ce que le bon sens demande, c’est qu’au respect des traditions nationales, qui est la base du patriotisme éclairé, se joigne dans l’esprit des enfants, arrivés, comme on dit, à l’âge de raison, la connaissance des lois générales de la vie publique de leur pays. Ce que nos élèves savent le moins, c’est ce qu’ils

Par Klotz P.

25 juillet 2023

Comment améliorer le traitement des enjeux écologiques dans les médias ?

Introduction générale Les crises écologiques engendrent déjà de nombreux bouleversements. Le GIEC estime que 3,3 à 3,6 milliards d’individus sont déjà en situation de vulnérabilité. Entre le 1er juin et le 22 août 2022, l’INSEE évalue à 11 000 la surmortalité en France vraisemblablement liée aux vagues de chaleur successives, par rapport à la même période en 2019. Au Pakistan, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), 33 millions de Pakistanais ont été touchés par les inondations dévastatrices de ce même été, provoquant 8 millions de déplacés climatiques, 1500 disparus, 3,5 millions d’hectares de cultures perdus et la destruction de nombreuses infrastructures. Face au coût exorbitant de l’inaction, l’impérieuse nécessité d’agir n’est plus à démontrer. L’ordre mondial se trouve donc fragilisé par des crises s’amplifiant rapidement pour lesquelles notre capacité d’anticipation, et donc de protection, diminue. Face à ces bascules importantes, les médias ne sont pas à la hauteur de l’urgence écologique. Seulement 3,6 % des contenus médiatiques pendant la campagne électorale présidentielle de 2022 portaient sur les questions climatiques.[1] À titre de comparaison, le Covid-19 a occupé jusqu’à 74,9 % du temps d’antenne[2]. De même, dans le secteur audiovisuel, seuls 0,8% des reportages ont été consacrés aux enjeux écologiques depuis 2013[3]. Bien que le traitement médiatique de l’écologie ait triplé depuis les années 1990[4], cette proportion apparaît encore insuffisante au regard des faits et enjeux liés au franchissement des limites planétaires (dérèglement climatique, érosion vertigineuse de la biodiversité, perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, changements d’utilisation des sols, acidification des océans, utilisation mondiale de l’eau, appauvrissement de l’ozone stratosphérique, augmentation des aérosols dans l’atmosphère, introduction d’entités nouvelles dans la biosphère) et à la raréfaction des ressources déjà à l’œuvre. À cela s’ajoute le cadrage médiatique des enjeux écologiques, souvent cantonné à des rubriques dédiées. Si cette organisation en silos est censée faciliter l’accès à l’information thématique, elle contribue néanmoins à isoler l’information et à ne la transmettre qu’à une portion réduite et déjà sensibilisée de la population. Par ailleurs, ce traitement va à l’encontre de la dimension systémique des enjeux écologiques, possédant des ramifications transversales dans diverses rubriques (économie, politique, société, agriculture, santé, etc…). De plus, de nombreux médias français favorisent la fabrique du doute en ne distinguant pas les faits des opinions. Cela a notamment pu alimenter “une polarisation de l’opinion publique, avec des répercussions négatives pour la politique climatique”, expliquent les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il souligne ainsi le rôle majeur des médias : “Les médias peuvent avoir un impact significatif pour faire progresser la conscience climatique et la légitimité des actions engagées. Ils cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique, ils ont un rôle crucial dans la perception qu’en a le public, sa compréhension et sa volonté d’agir”. Les médias, par leur mission d’informer les citoyens sont, à ce titre, des acteurs démocratiques essentiels pour la reconstruction écologique de nos sociétés. Il est impératif que chaque citoyen, quels que soient les médias qu’il consulte, puisse avoir accès à un niveau d’information suffisant et qualitatif sur des enjeux aussi vitaux. Or, l’édition 2022 de l’étude “Fractures Françaises” (Ipsos-Sopra Steria) révèle que si 90 % des Français considèrent que “nous sommes en train de vivre un changement climatique”, 39 % doutent encore de l’origine anthropique de cette crise. Il existe pourtant un consensus scientifique mondial sur cette question. Il y a donc urgence à informer davantage et mieux. En outre, de nombreux médias français publient des contenus éditoriaux contradictoires. En parallèle de la publication d’articles, de reportages et d’émissions traitant des enjeux écologiques, ils publient des contenus relatifs à des modes de vie ou des imaginaires allant à l’encontre des préconisations scientifiques permettant de faire face à l’urgence. Ces contenus éditoriaux sont également insatisfaisants dans la façon dont ils font le lien entre les causes de la crise écologique et ses effets. Au-delà des contenus éditoriaux, les contenus publicitaires faisant la promotion de biens ou de services défavorables à l’environnement, nuancent la portée des messages transmis concernant l’urgence écologique. Cette inadéquation entre contenus éditoriaux et publicitaires, contribue à une dissonance cognitive portant préjudice à la compréhension et la perception des enjeux. Ce traitement déséquilibré des enjeux délégitime les décisions publiques et met à mal l’engagement citoyen. La transformation des médias se justifie doublement, à la fois dans l’intérêt public mais également dans l’intérêt du public. L’intérêt public, général, n’est plus à démontrer tant les conséquences de la crise écologique sont manifestes et tangibles. Or, les médias offrent souvent une analyse des faits partielle, voire erronée, comme nous avons pu le voir ces précédentes années avec le traitement des vagues de chaleur en France. Malgré leurs conséquences sanitaires (mortalité), agricoles et économiques, ces catastrophes sont encore traitées avec une connotation positive dans les médias[5]. L’intérêt du public est bien présent puisque les Français font de l’environnement leur seconde priorité, tout en estimant que les médias et les journalistes n’accordent “pas assez de place” aux questions posées par le changement climatique et l’environnement. Il est donc urgent que le traitement médiatique des enjeux écologiques progresse. Des évolutions sont d’ores-et-déjà perceptibles. En septembre 2022, Radio France a annoncé son « Tournant » écologique engageant à la fois la formation des journalistes, la transformation des contenus éditoriaux et publicitaires et l’amélioration de la performance écologique interne. Le 14 septembre 2022, un collectif de journalistes a publié une Charte “Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique”, composée de 13 engagements. La charte a été signée par plus de 1 500 journalistes et 120 rédactions, attestant du souhait de la profession d’améliorer ses pratiques en matière d’écologie. Retrouvez ici la proposition de loi relative à la responsabilité des médias dans le traitement des enjeux environnementaux et de durabilité Tout en saluant les récents engagements des journalistes en faveur d’un traitement médiatique plus sérieux de la crise écologique, la réponse à cet enjeu ne peut reposer que sur le seul volontariat. La réglementation est l’un des outils les plus adéquats pour garantir aux

Par Prosperi J., Ramos P., Vernières A., Morel E., Magat A., Dufrêne N.

19 juillet 2023

Proposition de loi relative à la responsabilité des médias dans le traitement des enjeux environnementaux et de durabilité

EXPOSÉ DES MOTIFS Les crises écologiques engendrent déjà de nombreux bouleversements. Le GIEC estime que 3,3 à 3,6 milliards d’individus sont déjà en situation de vulnérabilité. Entre le 1er juin et le 22 août 2022, l’INSEE évalue à 11 000 la surmortalité en France vraisemblablement liée aux vagues de chaleur successives, par rapport à la même période en 2019. Au Pakistan, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), 33 millions de Pakistanais ont été touchés par les inondations dévastatrices de ce même été, provoquant 8 millions de déplacés climatiques, 1500 disparus, 3,5 millions d’hectares de cultures perdus et la destruction de nombreuses infrastructures. Face au coût exorbitant de l’inaction, l’impérieuse nécessité d’agir n’est plus à démontrer. L’ordre mondial se trouve donc fragilisé par des crises s’amplifiant rapidement pour lesquelles notre capacité d’anticipation, et donc de protection, diminue. Face à ces bascules importantes, les médias ne sont pas à la hauteur de l’urgence écologique. Seulement 3,6 % des contenus médiatiques pendant la campagne électorale présidentielle de 2022 portaient sur les questions climatiques.[1] À titre de comparaison, le Covid-19 a occupé jusqu’à 74,9 % du temps d’antenne[2]. De même, dans le secteur audiovisuel, seuls 0,8% des reportages ont été consacrés aux enjeux écologiques depuis 2013[3]. Bien que le traitement médiatique de l’écologie ait triplé depuis les années 1990[4], cette proportion apparaît encore insuffisante au regard des faits et enjeux liés au franchissement des limites planétaires (dérèglement climatique, érosion vertigineuse de la biodiversité, perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, changements d’utilisation des sols, acidification des océans, utilisation mondiale de l’eau, appauvrissement de l’ozone stratosphérique, augmentation des aérosols dans l’atmosphère, introduction d’entités nouvelles dans la biosphère) et à la raréfaction des ressources déjà à l’oeuvre. À cela s’ajoute le cadrage médiatique des enjeux écologiques, souvent cantonné à des rubriques dédiées. Si cette organisation en silos est censée faciliter l’accès à l’information thématique, elle contribue néanmoins à isoler l’information et à ne la transmettre qu’à une portion réduite et déjà sensibilisée de la population. Par ailleurs, ce traitement va à l’encontre de la dimension systémique des enjeux écologiques, possédant des ramifications transversales dans diverses rubriques (économie, politique, société, agriculture, santé, etc…). De plus, de nombreux médias français favorisent la fabrique du doute en ne distinguant pas les faits des opinions. Cela a notamment pu alimenter “une polarisation de l’opinion publique, avec des répercussions négatives pour la politique climatique”, expliquent les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il souligne ainsi le rôle majeur des médias : “Les médias peuvent avoir un impact significatif pour faire progresser la conscience climatique et la légitimité des actions engagées. Ils cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique, ils ont un rôle crucial dans la perception qu’en a le public, sa compréhension et sa volonté d’agir”. Les médias, par leur mission d’informer les citoyens sont, à ce titre, des acteurs démocratiques essentiels pour la reconstruction écologique de nos sociétés. Il est impératif que chaque citoyen, quels que soient les médias qu’il consulte, puisse avoir accès à un niveau d’information suffisant et qualitatif sur des enjeux aussi vitaux. Or, l’édition 2022 de l’étude “Fractures Françaises” (Ipsos-Sopra Steria) révèle que si 90 % des Français considèrent que “nous sommes en train de vivre un changement climatique”, 39% doutent encore de l’origine anthropique de cette crise. Il existe pourtant un consensus scientifique mondial sur cette question. Il y a donc urgence à informer davantage et mieux. En outre, de nombreux médias français publient des contenus éditoriaux contradictoires. En parallèle de la publication d’articles, de reportages et d’émissions traitant des enjeux écologiques, ils publient des contenus relatifs à des modes de vie ou des imaginaires allant à l’encontre des préconisations scientifiques permettant de faire face à l’urgence. Ces contenus éditoriaux sont également insatisfaisants dans la façon dont ils font le lien entre les causes de la crise écologique et ses effets. Au-delà des contenus éditoriaux, les contenus publicitaires faisant la promotion de biens ou de services défavorables à l’environnement, nuancent la portée des messages transmis concernant l’urgence écologique. Cette inadéquation entre contenus éditoriaux et publicitaires, contribue à une dissonance cognitive portant préjudice à la compréhension et la perception des enjeux. Ce traitement déséquilibré des enjeux délégitime les décisions publiques et met à mal l’engagement citoyen. La transformation des médias se justifie doublement, à la fois dans l’intérêt public mais également dans l’intérêt du public. L’intérêt public, général, n’est plus à démontrer tant les conséquences de la crise écologique sont manifestes et tangibles. Or, les médias offrent souvent une analyse des faits partielle, voire erronée, comme nous avons pu le voir ces précédentes années avec le traitement des vagues de chaleur en France. Malgré leurs conséquences sanitaires (mortalité), agricoles et économiques, ces catastrophes sont encore traitées avec une connotation positive dans les médias[5]. L’intérêt du public est bien présent puisque les Français font de l’environnement leur seconde priorité, tout en estimant que les médias et les journalistes n’accordent “pas assez de place” aux questions posées par le changement climatique et l’environnement. Il est donc urgent que le traitement médiatique des enjeux écologiques progresse. Des évolutions sont d’ores-et-déjà perceptibles. En septembre 2022, Radio France a annoncé son « Tournant » écologique engageant à la fois la formation des journalistes, la transformation des contenus éditoriaux et publicitaires et l’amélioration de la performance écologique interne. Le 14 septembre 2022, un collectif de journalistes a publié une Charte “Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique”, composée de 13 engagements. La charte a été signée par plus de 1 500 journalistes et 120 rédactions, attestant du souhait de la profession d’améliorer ses pratiques en matière d’écologie. Tout en saluant les récents engagements des journalistes en faveur d’un traitement médiatique plus sérieux de la crise écologique, la réponse à cet enjeu ne peut reposer que sur le seul volontariat. La réglementation est l’un des outils les plus adéquats pour garantir aux individus le droit à l’information sur l’environnement, un droit à valeur constitutionnelle. Aussi, notre Constitution affirme le caractère inaliénable de la

Par Prosperi J., Ramos P., Vernières A., Morel E., Magat A., Dufrêne N.

19 juillet 2023

Les politiques de « finance durable » et le climat : ne pas confondre l’objectif et l’outil

Policy Brief Agenda 2030 2021/14 Les politiques de « finance durable » et le climat : ne pas confondre l’objectif et l’outil par Hugues Chenet[1] (University College London Institute for Sustainable Resources ; Chaire Énergie et Prospérité) et Luis Zamarioli (Frankfurt School UNEP Center ; Humboldt Universität zu Berlin) La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com. 1 – La finance pour stopper le changement climatique… pas si simple L’Accord de Paris et la finance L’Accord de Paris sur le climat[2] a introduit un troisième objectif global en plus des impératifs de mitigation (contenir le réchauffement nettement en dessous de +2°C, ciblant +1,5°C) et d’adaptation (assurer l’ajustement et la résilience des sociétés aux changements climatiques) : par son article 2.1(c), l’Accord stipule que les flux financiers doivent être rendus compatibles avec l’atteinte des deux premiers objectifs. Ainsi, tel qu’analysé dans un article paru dans la revue Nature Climate Change[3], l’Accord de Paris donne un rôle beaucoup plus important à la finance que les précédents textes dans le cadre de la CCNUCC[4]. En effet, la finance, qui n’y figurait jusque-là que comme moyen d’implémentation parmi d’autres, essentiellement limité aux flux publics Nord-Sud et aux réductions d’émissions de gaz à effet de serre (GES) additionnelles, se place désormais comme outil central pour décarboner l’économie globalement… et rapidement. Ceci implique de s’appuyer autant que nécessaire sur la finance privée et les marchés de capitaux, qui constituent l’essentiel des ressources financières disponibles sur la planète. Et le défi est de taille : ne pas dépasser +1,5°C revient en effet à ne plus émettre à l’horizon 2050 plus de CO2 qu’on est capable d’en absorber (c’est-à-dire zéro émission nette)[5]. La finance comme outil Mais pour que la finance joue un tel rôle moteur dans la décarbonation de l’économie, il faut qu’elle en soit réellement capable. Or, depuis les années 1970, les marchés de capitaux ont progressivement été vus comme une entité dont la fonction première est d’évaluer le risque, et ainsi la valeur des actifs. Ce signal prix, censé refléter toute l’information disponible sur l’état actuel et futur de l’économie[6], constitue ainsi la principale – si ce n’est la seule – ligne directrice à suivre pour les acteurs sur ces marchés, affranchis en quelque sorte d’un objet ou d’un objectif socioéconomique spécifique à financer. Et c’est justement ce que l’Accord de Paris écrit noir sur blanc : nous avons un objectif socioéconomique d’envergure à atteindre, et la finance, en le ciblant, doit prendre sa part dans ce qui est ni plus ni moins que la réalisation d’une révolution industrielle, technique et sociétale. Et celle-ci s’apparente plus à une démarche volontaire et planifiée contre vents et marées qu’à une marche spontanée et aléatoire au gré des courants, aussi inspirés soient-ils. Ainsi, le fait d’en « appeler à la finance » pour décarboner l’économie, et plus largement de lutter contre la destruction de la nature[7], peut-il sembler contradictoire en l’état actuel du système financier et de la compréhension dominante de sa raison d’être[8]. Dans le cadre de la pensée économique mainstream, le changement climatique a pu être décrit comme « la plus grande défaillance de marché que le monde a connu » (Stern, 2008). Ainsi, pour corriger cette défaillance (et « internaliser cette externalité » que sont les émissions de GES), l’application généralisée d’un prix aux émissions de gaz à effet de serre a-t-elle d’abord été vue comme la solution économique ultime. Puis, alors que les institutions financières privées commençaient à se préoccuper du climat et que l’attente grandissait quant à la place qu’elles devaient prendre dans cette lutte, l’obstacle principal à la formation de prix « efficients », représentatifs du niveau de risque provenant du changement climatique présent et à venir, est devenu le manque d’information quant à ces risques pour chaque institution financière. La planète financière réalisait alors grâce à Mark Carney (2015)[9] le danger d’attendre des banques et des investisseurs qu’ils anticipent correctement le risque à long terme lié au changement climatique, alors que ces acteurs ont structurellement et institutionnellement des horizons de temps incompatibles, beaucoup trop courts. La priorité fut alors donnée au disclosure, c’est-à-dire à la mise en transparence par les acteurs économiques de leurs expositions aux risques liés au climat, afin que les décisions financières soient éclairées – rendant les prix de marché de nouveau « efficients » – et guident naturellement et optimalement la décarbonation de l’économie. Vers une finance durable ? C’est alors que, dans le sillage de l’Accord de Paris, se manifeste une volonté politique de généraliser ces approches de mobilisation des marchés financiers, matérialisée dans le cadre de ce que l’on appellera désormais des politiques de « finance durable[10] ». Pouvoirs publics et acteurs économiques réalisent en effet que le secteur financier ne peut plus se contenter de jouer un rôle de second plan vis-à-vis du défi climatique et plus largement des objectifs de développement durable – secteur financier pour qui, il y a peu, l’enjeu premier en la matière consistait à changer les ampoules électriques de ses bureaux. C’est ainsi qu’émergent différentes initiatives normatives et réglementaires de mobilisation du système financier, visant à le mettre en ordre de bataille pour cette nouvelle fonction. 2 – Quels fondements théoriques derrières ces politiques « finance durable » ? En se lançant dans de telles démarches de réforme ou d’ajustement du système financier, les pouvoirs publics admettent, explicitement ou implicitement, les faiblesses du système actuel confronté au financement de la décarbonation de l’économie et des objectifs de développement durable. Selon les représentations de comment fonctionne et doit fonctionner la finance, de comment elle interagit avec l’économie réelle et plus largement avec la société (consommation, innovation, etc.), deux grandes options se présentent alors : corriger le système financier à la marge ou le réformer en profondeur. La première peut se résumer à des dispositions permettant d’établir une efficience informationnelle des marchés vis-à-vis des « nouveaux »

10 juin 2023

Pour 500 millions d’euros, soit 6 euros par habitant, une offre de permanence des soins ambulatoires performante est possible

L’engorgement des services des urgences hospitalières dont la presse s’est abondamment faite l’écho au cours de l’été 2022 s’explique par une situation critique des services d’urgence mais aussi par une offre de premier recours déficiente au regard des besoins en santé de la population. Ces constats sont connus et partagés par les différentes missions parlementaires et gouvernementales diligentées ces dernières années. Faute d’une réponse satisfaisante en amont, « les urgences sont devenues le premier recours médical de nombreuses personnes »[1] selon le professeur André Grimaldi. Le cap des 20 millions de passages par an aux urgences a été franchi en 2019 dont « plus de la moitié sont injustifiés et auraient dû logiquement trouver une réponse en médecine de ville »[2]. La saturation des services d’urgence se traduit par des temps d’attente inimaginables il y a encore quelques années, par des heures passées sur des brancards à attendre et, comme nous le verrons plus loin, par des morts, depuis peu recensées, qualifiées d’« inattendues », c’est-à-dire celles relatives à un défaut de prise en charge dans les services d’accueil des urgences. Nous avons fait le choix de ne pas traiter dans cette note des urgences hospitalières qui répondent à une problématique qui leur est propre : manque d’environ 2000 urgentistes, déficit en infirmières et aides-soignantes sous payées en dépit de la revalorisation des salaires décidée dans le cadre du Ségur de la santé, épuisement du personnel et environnement de travail dégradé, insuffisance des lits dans les services et en aval en soins de suite. Nous retiendrons donc comme principal périmètre d’analyse celui de la permanence des soins ambulatoires (PDSA) ou de médecine de ville, appellation donnée à l’organisation de l’offre de soins aux heures de fermeture des cabinets médicaux, à savoir la nuit à compter de 20 heures, les samedis à partir de 12 heures, les dimanches et les jours fériés. Toutefois, l’interaction avec la continuité des soins – il s’agit alors de l’organisation de l’offre de soins pendant la journée aux heures d’ouverture habituelles des cabinets médicaux, centres de soins et maisons de santé –, qu’illustre en particulier le déport de plus de 30% d’activité de la première vers la seconde, nous conduira nécessairement à évoquer partiellement des pistes d’amélioration dépassant le seul cadre de la PDSA. La première partie sera consacrée à un large panorama de la situation, dressé à partir de trois angles de vue distincts mais complémentaires – les urgences hospitalières, la médecine de ville et l’aide médicale d’urgences aux personnes – indispensables pour bien comprendre en particulier les dysfonctionnements de notre système de soins et plus particulièrement de l’offre de soins de premier recours avec les effets de déports d’activité associés selon un mécanisme de vases communicants. Nous dresserons dans la deuxième partie un bilan assez préoccupant de l’organisation existante en matière de PDSA en France, établi à partir des données d’une récente enquête du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM). Nos propositions s’articuleront autour de deux axes principaux de progrès. Le premier, présenté dans la troisième partie, porte sur la généralisation à l’ensemble des départements d’une offre de PDSA efficace avec des sites de garde dédiés dans tous les secteurs et, à compter de minuit, des effecteurs mobiles. Pour cela, nous nous appuierons sur l’exemple de l’organisation mise en place dans le département de la Loire-Atlantique. Le second axe de progrès, développé dans la quatrième partie, prenant acte d’une démographie médicale défavorable durable, considère impératif de s’appuyer sur l’ensemble des structures médicales existantes proposant un exercice collectif de la médecine de ville. L’idée est de les soutenir financièrement dans leur développement pour les aider à atteindre au plus vite une taille critique qui, comme nous le verrons, est le prérequis indispensable à une offre de soins de premier recours satisfaisante. En contrepartie de ce soutien financier, un engagement de participation à la prise en charge des soins non programmés aux heures d’ouverture des cabinets et à la permanence des soins à compter de 20 heures serait contractualisé. D’autres recommandations plus spécifiques sont aussi proposées. I – Un système de santé en crise dans tous les secteurs et qui n’assure plus une correcte prise en charge des soins non programmés Dressons en quelques mots le panorama de la situation en matière de prise en charge des soins non programmés urgents ou non (SNP), que résume le schéma proposé ci-dessus[3]. Les structures de prise en charge n’ayant pas évolué au même rythme que l’augmentation des passages aux urgences, les conditions d’accueil des patients et de travail pour les personnels médicaux se détériorent. Les temps d’attente explosent. Une centaine d’hôpitaux créait début 2018 le « No Bed Challenge » visant à recenser le nombre de patients passant la nuit sur un brancard faute de leur avoir trouvé un lit, quand on sait qu’il s’agit là d’une cause établie de surmortalité. Les chiffres sont éloquents : plus de 120 000 à fin mars 2018, soit trois mois après la création de cet indicateur. Un chiffre jugé « incroyable » par François Braun, l’actuel ministre des Solidarités et de la Santé, à l’époque où il était encore président d’un syndicat d’urgentistes. En réponse à la saturation des services d’urgence, Agnès Buzyn, la ministre de l’époque, propose un pacte de refondation des urgences structuré autour de 12 propositions dont la mesure phare est la création du service d’accès aux soins (SAS), à savoir une plateforme d’appels accessible à tous par téléphone 24h/24 et 7j/7. Le pacte prévoit aussi le renforcement de l’offre de consultations médicales sans rendez-vous en cabinet, maison et centre de santé. Une enveloppe de 750 millions d’euros sur 3 ans est débloquée. En mars 2022, la commission d’enquête du Sénat publie un rapport[4] sur la situation de l’hôpital, dont les constats sont dans la droite ligne du pacte de refondation des urgences : offre de soins de premier recours insuffisante, régions sous-dotées, besoins de lits en aval mal anticipés et enfin, services mal organisés. Ces dernières conclusions laissent entendre que l’hôpital pourrait être mieux organisé et que les solutions à trouver sont de nature organisationnelle plutôt

Par Moutenet P.

10 juin 2023

Semaine de quatre jours : le temps du monde d’après

En pleine mobilisation contre la réforme des retraites, le gouvernement avait annoncé une expérimentation de la semaine de quatre jours dans un service de l’URSSAF en Picardie[1]. Cette proposition peu commune dans le secteur public en France se voulait un signe de compréhension à l’attention du mouvement social sur un registre nouveau : il faut réaménager la place du travail dans nos vies. Car comme beaucoup d’observateurs l’ont noté, la réforme des retraites posait non seulement la question de l’emploi, de l’après vie professionnelle, mais peut-être plus encore la question du travail et de la place qu’il occupe au quotidien dans nos vies. Le gouvernement puis le Président de la République ont renvoyé cette question à une future loi travail qui serait la « jambe gauche » de la réforme des retraites, éventuellement discutée avec les syndicats. On peut douter du fait que nos concitoyens et concitoyennes ne fassent pas la différence entre les mesures d’âge et l’amélioration des conditions de travail. Pour autant, on peut se demander si cette future loi ne serait pas l’occasion de créer les conditions d’une généralisation progressive de la semaine de quatre jours ? Plusieurs pays européens mais aussi les États-Unis et le Japon ont lancé le chantier, avec des fortunes diverses. Les pays adoptent des règles différentes : 32 heures, quatre jours sans réduction du temps de travail, réduction partielle du temps de travail… Au sein de ces pays, les entreprises elles-mêmes n’appliquent pas la semaine de quatre jours de la même manière. Il ne s’agit donc pas dans cette note de trancher entre réduction et réaménagement du temps de travail, car, quelle qu’en soit la forme, la semaine de quatre jours poursuit des objectifs différents tels que le bien-être au travail, la lutte contre le changement climatique ou encore l’engagement citoyen. Cette note entend démontrer que la semaine de quatre jours, au regard de ses bénéficies écologiques et sociaux (cf. partie 2) ; constitue une proposition qui arrive en France à maturité dans les entreprises, le monde du travail et la société dans son ensemble. La question des effets de la réduction du temps de travail sur la création d’emplois fait l’objet de controverses vives, en particulier en France depuis le vote des lois Aubry et il n’existe pas aujourd’hui de consensus des économistes à ce sujet. Dans ce cadre, cette note ne conçoit pas la semaine de quatre jours comme une politique de lutte contre le chômage, mais l’inscrit dans un horizon politique nouveau. Cette note pose par ailleurs quelques principes clés dans lesquels s’inscrit la mise en œuvre de la semaine de quatre jours. D’abord la semaine de quatre jours doit être proposée sans baisse de salaire (quatre jours travaillés et payés comme cinq jours) pour les salariés. Le deuxième principe porte sur l’effectivité de la semaine de quatre jours : les entreprises doivent prendre des engagements pour en garantir le respect afin de bénéficier d’une aide (cf. proposition 2). Le troisième principe est celui du dialogue social : les entreprises doivent conclure un accord collectif pour bénéficier d’une aide à la mise en place de la semaine de quatre jours. Il apparaît en effet essentiel de leur permettre de trouver la bonne organisation pour passer à la semaine de quatre jours. Enfin la démarche proposée s’inscrit dans un principe d’expérimentation. Une évaluation par le Parlement des externalités de la semaine de quatre jours pourra ainsi être réalisée auprès d’un échantillon d’entreprises ayant adopté cet aménagement du temps de travail. Il convient par ailleurs de préciser ici que les propositions en faveur de la semaine de quatre jours ne concernent que les personnes salariées travaillant à temps complet à raison de cinq jours par semaine. Les personnes non salariées (artisans, commerçants, professions libérales, agriculteurs) ainsi que celles travaillant à temps partiel ou sur des horaires atypiques ne pourraient pas être concernées par cette mesure dans un premier temps, bien qu’il soit souhaitable d’engager une réflexion plus générale sur la réduction du temps de travail. Par ailleurs, une expérimentation auprès d’agents publics est proposée dans cette note. Alors que la France est confrontée à une crise profonde du monde du travail, exprimée lors du mouvement des « Gilets jaunes » puis à l’occasion de la crise du Covid, la question de la semaine de quatre jours se pose aujourd’hui avec une acuité nouvelle. Pour les gilets jaunes dont les dépenses contraintes de transport, 5 à 6 fois par semaine, les empêchent de « vivre de leur travail », la baisse des déplacements (un ou deux aller-retour en moins par semaine) offrirait un gain financier non négligeable (cf. ci-dessous). Pour les travailleurs dits de la « deuxième ligne »[2] (notamment les éboueurs, les hôtesses de caisse, les agents d’entretien, les aides à domicile, etc., dont beaucoup travaillent sur six jours), le passage à la semaine de quatre jours apparaîtrait comme une forme de reconnaissance alors que la crise sanitaire a mis en lumière leur caractère « essentiel ». Pour l’ensemble de ces travailleurs, qui partagent le fait d’être confronté à des conditions de travail difficiles et de ne pas pouvoir télétravailler, l’amélioration des conditions de vie permise par la semaine de quatre jours constituerait une mesure de justice sociale. La France des années 2020 semble plus que jamais prête à accueillir cette évolution. Alors que la réduction du temps de travail avait jusqu’aux années 1980 toujours été au cœur des conquêtes du monde du travail obtenues par le mouvement syndical, il y a aujourd’hui une aspiration forte, comme le démontrent les sondages (voir infra), à reprendre le fil de cette histoire pour réinscrire la recherche du temps libre dans le progrès social. Cette conquête du temps libre doit désormais être pensée à l’aune des défis écologiques et sociaux de notre époque. Ayant permis au XXe siècle d’accompagner l’essor de la société des loisirs et de la consommation, la réduction, ou au moins le réaménagement, du temps de travail est nécessaire pour faire émerger au 21e siècle la société de l’engagement et du lien social. En ce sens, cette conquête du temps libre n’est pas

Par Adrianssens C., Montjotin P.

2 mai 2023

L’écologie, combat du siècle ? La transformation de la finance n’a pas eu lieu

On peut lire sur une page du site de l’Élysée nommée « L’écologie, combat du siècle » que le gouvernement a pour « ambition […] une transformation en profondeur de la finance privée »[1] dans le sens d’une meilleure prise en compte des enjeux climatiques. De nombreuses initiatives en faveur de la finance durable ont ainsi été lancées au cours du quinquennat. Deux commissions Climat ont été créées au sein des régulateurs bancaires et des marchés financiers, dont l’objectif principal est le suivi des engagements des institutions financières françaises. L’État a également contribué à la promotion de Finance for Tomorrow, un consortium d’institutions financières principalement privées, notamment à travers son soutien au lancement de l’Observatoire de la Finance Durable, dont le rôle est là encore de réaliser le suivi des pratiques et engagements des acteurs financiers. L’action du quinquennat en faveur de la finance durable s’est soldée par la publication du rapport Perrier, du nom du président d’Amundi, rédigé à la demande du ministre de l’Économie afin de présenter des pistes de renforcement de la finance durable. Sur le plan réglementaire, l’action a principalement été menée au niveau européen. On compte notamment le règlement « Disclosure », qui décline les obligations de transparence quant à la prise en compte des enjeux climatiques. Il a été transposé en France par l’article 29 de la loi énergie-climat en 2019. L’État a également facilité l’accès aux offres d’épargne verte à travers la loi Pacte. L’ensemble de ces actions, détaillées par Philippe Zaouati en introduction de cette série[2], est-il en mesure d’engager « une transformation en profondeur de la finance privée » ? Au prisme de notre analyse, il apparait fortement insuffisant. Cette note se propose d’appréhender les mécanismes qui compromettent aujourd’hui la durabilité de la finance, et singulièrement sa capacité à tenir compte du réchauffement climatique et de la transition bas-carbone. À notre sens, la finance durable doit reposer sur deux piliers, conditionnant les leviers permettant de faire des agents financiers des acteurs de la transition. D’une part, la finance doit être en mesure d’identifier les risques associés au réchauffement climatique (risques physiques) et à la transition écologique (risque de transition). On montrera que cela est impossible sans une action franche de l’État, du fait de l’incertitude radicale, dite knightienne, associée à ces risques. Il s’agit en somme de prendre acte du fait que le mécanisme d’évaluation des risques/rendements est défectueux en présence de telles incertitudes, et de supplanter ce mode de coordination par un rôle accru de l’État. D’autre part, elle doit tenir compte de ces risques une fois ceux-ci mis au jour par l’action de l’État. La domination des stratégies d’investissement de court terme, ou spéculatives, sur les marchés financiers l’empêche. Cela est une conséquence de l’excessive liquidité[3] des marchés, résultat de décennies de libéralisation financière. Nous montrerons que les actions visant à rendre la finance durable ne peuvent aboutir si elles ne s’inscrivent pas dans un mouvement plus large de réglementation et de cloisonnement des marchés, qui obligerait les investisseurs de tenir compte des enjeux de long terme. I) Mise en perspective des réformes en faveur de la finance durable privée : un ancrage néo-libéral franc A. L’efficacité limitée d’une approche par l’incitation pour encadrer une « défaillance de marché » Les actions du dernier quinquennat en matière de finance durable sont caractérisées par leur ancrage idéologique profondément néo-libéral. Fidèles à la doctrine selon laquelle la liberté économique et le libre jeu de l’entreprise ne doivent pas être entravés, ou le moins possible, les mesures gouvernementales ont eu pour objectif principal d’inciter les acteurs financiers à s’orienter vers une finance dite « verte ». L’architecture réglementaire actuelle fait principalement appel au bon vouloir des acteurs financiers. L’efficacité de cette approche se heurte toutefois à des limites profondes : l’incapacité d’une finance déréglementée et autorégulée à prendre en compte les enjeux écologiques. Ainsi, les efforts français et européens en matière de finance durable se sont concentrés sur des objectifs de transparence de l’information, formant ainsi l’hypothèse que l’accès à l’information permettrait aux acteurs des marchés financiers d’intégrer spontanément les exigences environnementales dans leurs stratégies d’investissement. L’article 29 de la loi énergie-climat sur le reporting extrafinancier des acteurs de marché est censé garantir la publication systématique des modalités de prise en compte des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) dans les politiques d’investissement et les procédures de gestion des risques, tout en incitant à la prise en compte des risques climatiques. Cependant, ce type d’approches qui met l’accent sur la publication des données relatives au climat se fonde sur l’hypothèse implicite selon laquelle une fois les risques pleinement révélés, les acteurs financiers répondront de manière rationnelle et alignée sur l’intérêt public. Cette conception trouve ses racines dans « l’hypothèse des marchés financiers efficients », appliquée au secteur financier et à sa perception de la politique climatique2. Cette approche ne saurait toutefois être considérée comme un moyen suffisant pour encadrer le comportement des acteurs financiers : en effet, le dérèglement climatique est encore souvent perçu comme une externalité économique, c’est-à-dire que les investisseurs considèrent que les conséquences environnementales néfastes de leurs décisions d’investissement n’affecteront pas directement la rentabilité de leur portefeuille. Les acteurs financiers transfèrent le coût des risques environnementaux de leurs décisions à la société dans son ensemble et sur les générations futures au-delà du court terme qui régit leurs performances. Il s’agit ici d’un cas d’aléa moral, vecteur de déresponsabilisation des investisseurs qui ne supportent pas le coût de leurs actions, qui souligne la limite majeure de l’hypothèse selon laquelle les acteurs financiers ajusteront leur comportement dans le sens d’un alignement avec les objectifs de préservation du climat. Cela est d’autant plus vrai que les enjeux environnementaux tombent dans la catégorie des défaillances de marché[4] à de multiples égards, c’est-à-dire qu’ils relèvent d’une situation dans laquelle le marché concurrentiel ne peut réguler efficacement les activités économiques. La responsabilité fiduciaire des gestionnaires d’actifs illustre bien la manière dont cette défaillance de marché grève les capacités des acteurs financiers à rendre leurs comportements plus vertueux. Le rôle juridiquement défini des gestionnaires d’actifs est d’optimiser le rendement du risque financier des actifs sous gestion,

Par Driouich R., Saviuc A.

13 avril 2023

EDF, la concurrence jusqu’à la lie ?

Quelle que soit l’issue de la crise énergétique traversée par l’Europe, il est à espérer qu’elle aura au moins le mérite d’interroger sur les politiques publiques qui nous ont amenés là. Les auditions à l’Assemblée nationale de la Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France apportent un éclairage saisissant sur le cas particulier de l’électricité. Un enjeu d’autant plus crucial que la décarbonation de nos modes de vie passera nécessairement par l’augmentation de la part de ce vecteur énergétique dans les usages finaux. Durant son audition à l’Assemblée nationale le 13 décembre 2022 en tant qu’ex-PDG d’Électricité de France (EDF), Proglio rappelle que l’entreprise publique se trouvait à l’aube de la libéralisation du secteur de l’électricité en position d’exportatrice nette, disposait des prix les plus compétitifs au niveau européen, offrait un contrat de service public qui faisait référence dans le monde et possédait une longueur d’avance avec son parc de production émettant peu de gaz à effet de serre. Avant d’ajouter laconiquement : « il n’y avait plus qu’à tout détruire. C’est chose faite ». Le contraste est en effet saisissant vis-à-vis de la situation actuelle du groupe qui termine l’année 2022 avec la production électronucléaire la plus basse enregistrée depuis 1988, des pertes historiques de 17,9 milliards d’euros et un endettement record de 64,5 milliards d’euros[1]. Au-delà des accusations croisées entre plusieurs des hauts dirigeants auditionnés et ayant probablement à cœur de se dédouaner de leurs responsabilités dans la crise ambiante, un thème revient en boucle : celui de l’introduction toute particulière de la concurrence dans le domaine électrique français. Généalogie du dogme Mais avant de se pencher sur ce point précis, il est utile de revenir sur les origines d’un mouvement qui brisera dans le monde entier l’organisation du secteur de l’électricité sous la forme d’entreprises verticalement intégrées. La première grande réforme visant à introduire la concurrence dans ce domaine est à l’actif du gouvernement de Pinochet dans le Chili de 1982. Les activités de production, de transport et de distribution d’électricité sont alors séparées préalablement à la privatisation des entreprises locales. Est venue ensuite l’ouverture du marché de l’électricité par le gouvernement de Thatcher dans la Grande-Bretagne en 1989, suivie de près par celle de l’Argentine en 1992, du Japon en 1995, de la Californie en 1998 et de nombreux autres pays par la suite. Le cas des États-Unis est intéressant dans le sens où aujourd’hui encore, environ la moitié des régions de ce pays continue de fonctionner avec le modèle du monopole régulé. Aux dernières nouvelles, celles-ci ont observé une moindre augmentation des tarifs de l’électricité par rapport à celles qui ont décidé de parier sur les supposées vertus de la concurrence[2]. Dans le cas de l’Union européenne, le coup d’envoi a été donné par la directive 96/92/CE du parlement européen et du conseil du 19 décembre 1996. Tous les pays membres sont alors sommés d’ouvrir à la concurrence la production et la fourniture d’électricité tandis que le transport et la distribution restent à part en tant que « monopole naturel »[3]. Pour ces deux derniers segments, on parle plutôt de concurrence pour le marché, c’est-à-dire de mettre en enchère pour des entreprises, privées de préférence, la concession de portions du réseau électrique. Comme dans les cas précédents, il a été mis en avant que la concurrence permettrait d’améliorer l’efficacité de la gestion du réseau électrique et que ces usagers se verraient bénéficier de prix plus compétitifs. C’était l’époque où le modèle de monopoles publics ou privés sous la supervision d’une institution publique de régulation était critiqué pour conduire à des surinvestissements. Rétrospectivement, on peut trouver cet argument particulièrement cocasse quand on sait qu’aujourd’hui on souffre d’un manque d’investissements dans les énergies décarbonées pour assurer la transition écologique. Les réformes ont donc été menées tambour battant en dépit des avertissements des économistes spécialistes de l’énergie (qui n’étaient d’ailleurs pas nécessairement réfractaires aux idées libérales)[4]. En effet, l’électricité n’est pas un bien comme les autres puisqu’à chaque instant l’offre doit être égale à la demande sous peine d’écroulement du réseau. Malgré le fait que facturer des électrons reste quelque chose de plutôt standard, on espérait aussi que la libéralisation permettrait des innovations dans la fourniture d’électricité à même de compenser les nouveaux coûts de marketing et de transaction qu’implique la création de nouveaux segments de marché[5]. Concernant la production d’électricité, l’introduction de la concurrence se traduit par la mise en place d’un marché spot où se confrontent les prix de chaque centrale, celle ayant le coût variable le plus haut définissant le prix rémunéré à toutes les autres. Ce système de fixation du prix au coût marginal de la dernière centrale appelée pour satisfaire la demande trouve son origine théorique dans les apports de Marcel Boiteux, pionnier de l’économie de l’électricité et historique dirigeant d’EDF. Cet économiste avait en effet démontré que sous certaines conditions ce système était le meilleur possible, car il incitait à bien dimensionner le parc de production dans une gestion centralisée. Il s’agissait cependant d’un mécanisme qui s’inscrivait dans le cadre d’un monopole public comme celui d’EDF et non pas dans celui d’un marché avec différents agents décentralisés en concurrence. En effet, pour cela il faudrait que ce dernier puisse soit être omniscient en connaissant parfaitement la demande d’électricité à venir ou parfaitement flexible en rajoutant ou retirant des unités de production selon les variations de la demande. Pour un secteur dont les coûts fixes sont énormes et les cycles de vie peuvent se compter en décennies, cela est évidemment impossible. Le marché ouvert à la concurrence ne satisfait pas non plus la condition de convexité du modèle théorique à cause des coûts de démarrage et d’arrêt des centrales, du fait que certaines d’entre elles ne peuvent descendre en dessous d’une puissance minimum ou bien dans le cas de l’hydraulique parce que l’ouverture des vannes d’un barrage se répercute sur ceux en aval. Il n’est toutefois pas rare de trouver des défenseurs acharnés de cette théorie se retrancher derrière leurs équations différentielles du premier

Par Sergent A.

9 mars 2023

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