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Mettre l’administration au service de l’éducation civique

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Mettre l’administration au service de l’éducation civique

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Si l’enseignement de l’Éducation morale et civique (EMC) constitue, dès la IIIème République, une brique essentielle de l’édifice social, il semble désormais en crise. En effet, après avoir connu de multiples modifications programmatiques et horaires tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle, l’EMC recouvre aujourd’hui un contenu si large, et des pratiques pédagogiques si incertaines, qu’il est possible de douter de sa réelle efficacité. Pour résorber la fracture qui prévient l’adhésion d’une partie des citoyens aux valeurs du contrat social, nous proposons, outre une augmentation du volume horaire d’enseignement de l’EMC, une mesure forte : mettre l’administration au service de l’instruction civique. Sur l’ensemble du territoire français, les agents publics exerçant des fonctions d’encadrement pourraient, selon des modalités contraignantes ou non, dispenser aux élèves des cours sur le fonctionnement des institutions, les valeurs républicaines et les fondamentaux de la culture politique. Un tel dispositif réaffirmerait le rôle de l’État dans l’éducation, tout en revalorisant son image auprès de la jeunesse.

Introduction

L’Éducation morale et civique (EMC) est en crise autant qu’elle est en vogue : en crise, d’abord, car son contenu demeure mal délimité, son volume horaire de plus en plus réduit et les pratiques pédagogiques qu’elle offre mal saisies par le corps professoral ; en vogue, d’autre part, en ce qu’elle fait, depuis plusieurs décennies, l’objet d’incessantes réformes visant à l’adapter aux nouveaux enjeux de la société et qu’elle constitue, pour cause, une réponse fourre-tout pour les crises politiques et sociales que traverse le pays.

Toutefois, l’excroissance des programmes de l’EMC, autant que leur difficile applicabilité, suppose de repenser les modalités de son fonctionnement. Cette nécessité est d’autant plus prégnante que les signes d’une crise de la défiance à l’égard des institutions et des valeurs de la République sont chaque jour plus visibles, notamment au sein des couches les plus jeunes de la population.

Face à l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui l’EMC, il apparaît nécessaire d’imaginer une politique publique nouvelle et simplifiée. Tandis que les professeurs font part de leur dénuement face à la diversité des outils pédagogiques dont ils disposent et la complexité inhérente à leur mise en œuvre, nous proposons qu’une partie de leurs enseignements soit prise en charge par des agents publics exerçant des fonctions d’encadrement au sein de l’administration. En effet, l’agent public pourrait illustrer auprès des élèves, à partir d’expériences éprouvées dans le cadre de ses fonctions, les valeurs de la République en action : ici, un juge parlant des droits de l’homme ; là, un commissaire de police parlant de l’ordre public ; ailleurs, enfin, un sous-préfet parlant de la laïcité.

La présente note vise en conséquence à rappeler le rôle historique et philosophique de l’EMC en République, mettre en lumière les principaux maux dont elle souffre et détailler les modalités concrètes de notre proposition.

I. Une instruction civique placée en première ligne du combat pour l’école républicaine

Dans un discours prononcé à Bordeaux le 16 novembre 1871, Léon Gambetta, père fondateur de la IIIème République, se demande : « Comment admettre que des hommes qui ne connaissent la société que par le côté qui les irrite […] ne s’aigrissent pas dans la misère et n’apparaissent pas sur la place publique avec des passions effroyables ? ». Et le tribun d’ajouter : « Je déclare qu’il n’y aura de paix, de repos et d’ordre qu’alors que toutes les classes considéreront leur gouvernement comme une émanation légitime de leur souveraineté et non plus comme un maître avide et jaloux »[1].

L’instruction civique est née : avec la loi Ferry du 28 mars 1882, l’éducation morale et civique de l’élève figure au premier rang des apprentissages de l’école primaire, devant l’écriture et la lecture. Son initiateur, Jules Ferry, rappelle devant le Sénat, le 10 juin 1881, l’intérêt primordial qu’elle revêt pour la constitution d’une société républicaine, au lendemain de la tourmente de Sedan et de la destitution de Louis-Napoléon Bonaparte, mais aussi de l’épisode de la Commune : « Si vous voulez chasser des esprits les utopies, si vous voulez émonder les idées fausses, il faut que vous fassiez entrer dans l’esprit et dans le cœur de l’enfant des idées vraies sur la société où il doit vivre, sur les droits qu’il doit exercer. Comment ! dans quelques années, il sortira de l’école primaire – et pour un grand nombre de ces jeunes gens, c’est à l’école primaire que s’arrêtent malheureusement et se limitent tout le bagage et toutes les connaissances scientifiques. Comment ! il sera électeur dans quelques années et vous voulez nous défendre de lui apprendre ce que c’est qu’une patrie ! »[2].

Les valeurs alors enseignées, à la fin du XIXème siècle, sont proprement conçues pour garantir une adhésion totale et collective des élèves de l’école primaire au modèle républicain : il est ainsi question du service militaire, de la foi dans le progrès, du patriotisme et de l’obligation fiscale[3].

A. Aux origines historiques et théoriques d’une instruction civique universelle

Son intérêt, dans l’esprit de ses promoteurs, est double. L’instruction civique assure, en premier lieu, de faire vivre effectivement la démocratie en diffusant un corpus de principes et de valeurs communs chez les plus jeunes. La démocratie n’est, en effet, pas qu’une convocation régulière à voter : elle est, comme l’écrit Pierre Mendès-France, « un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire »[4]. Ce type de mœurs spécifique est institué par le maître d’école, qui convainc les élèves d’une pratique partagée et sans cesse renouvelée du débat et de la délibération.

Octave Gréard, le Vice-recteur de l’Académie de Paris jusqu’en 1877 et créateur des premiers lycées de jeunes filles, écrivait ainsi dans un Cours de pédagogie théorique et pratique à destination des professeurs des écoles : « Ce que le bon sens demande, c’est qu’au respect des traditions nationales, qui est la base du patriotisme éclairé, se joigne dans l’esprit des enfants, arrivés, comme on dit, à l’âge de raison, la connaissance des lois générales de la vie publique de leur pays. Ce que nos élèves savent le moins, c’est ce qu’ils auraient, pour eux et pour tout le monde, le plus d’intérêt à savoir. Il n’est pas inutile assurément qu’ils aient une idée des capitulaires de Charlemagne ; mais combien n’est-il pas plus nécessaire de ne point leur laisser ignorer les principes de l’organisation sociale au sein de laquelle ils sont appelés à remplir leurs devoirs de citoyens ! »[5].

Au surplus, si l’instruction civique participe de la défense de l’ordre et de la paix sociale à l’échelle de la Nation, en fixant un cadre déterminant les limites nécessaires à la préservation de l’intérêt public, elle porte aussi sa part de rigidité, d’ordre moral critiquable et peut rapidement être interrogée dans son essence même ; ainsi, pour Maurice Agulhon, dès l’origine, l’instruction civique de Ferry était pour partie viciée : « Ferry était un bourgeois et se méfiait du peuple, bon pour fournir des soldats et des ouvriers à l’industrie »[6].

Cet ordre imposé suscite de nombreuses contestations et peut même attiser les revendications les plus transgressives : à l’issue des événements de mai 1968, le « cours de morale » disparait ainsi progressivement des salles de classes. En 1977, un arrêté portant sur les horaires applicables au cycle préparatoire des écoles élémentaires enterre définitivement l’instruction civique héritée de la IIIème République, en disposant que celle-ci ne doit pas être « un dressage qui, par divers modes plus ou moins subtils de conditionnement, induirait des conduites dont la signification et la justification échapperaient à l’enfant prisonnier du conformisme qu’elles instaurent »[7].

B. Le long cheminement vers l’éducation morale et civique contemporaine

Pour autant, en 1985, Jean-Pierre Chevènement, soucieux que la formation « des citoyens passe par un véritable enseignement d’éducation civique »[8], réintroduit l’instruction morale au sein de l’école primaire et du collège, en la nommant cette-fois ci explicitement « éducation civique ». « L’éducation civique est une pièce maîtresse de l’éducation dans un Etat républicain, garant des libertés » rappelle ainsi un extrait du programme réglementaire de classe de sixième publié en 1987[9], lequel ajoute qu’elle a vocation à mettre « les élèves en mesure de répondre à leur propre exigence de liberté et de justice ». La même année, l’ancien ministre de l’Éducation nationale décrète par ailleurs l’apprentissage de La Marseillaise obligatoire. L’objectif affiché, toujours selon ce même programme réglementaire, est ainsi de former des « personnalités d’homme et de citoyens épris de liberté ».

Dix ans plus tard, en 1995, l’éducation civique fait son grand retour de la seconde à la terminale. Ce retour se fait toutefois au détriment des enseignements parallèles : au collège, l’éducation civique est inscrite dans le service de l’enseignement d’histoire-géographie, lequel est amputé d’une demie heure[10] par semaine ; au lycée, le programme d’histoire est modifié de sorte à mettre en lumière, selon le ministre de l’éducation François Bayrou, le fonctionnement du « monde contemporain ».

Enfin, en 1999, sous le gouvernement Jospin, l’éducation civique est formalisée comme une matière à part entière avec l’introduction de l’Enseignement civique, juridique et social (ECJS), auquel les lycéens doivent consacrer deux heures hebdomadaires. Cet ECJS sera finalement remplacé, moyennant une refonte des programmes, par l’Éducation morale et civique (EMC) en 2015.

Cette nouvelle EMC, initiée par l’arrivée d’un gouvernement socialiste au pouvoir à partir de 2012, voit notamment ses objectifs entérinés dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République de 2013, laquelle « fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République » (article 2) et exige que les symboles de la République, tels que la devise républicaine ou encore la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, soient désormais « visibles dans tous les établissements du second degré » (article 3)[11].

Somme de l’ensemble de ces réformes, l’EMC contemporaine s’articule, au sein de l’école primaire et du collège, autour de quatre dimensions fondamentales : la « sensibilité », qui consiste à développer l’empathie ; le « droit et la règle », qui permet de comprendre les principes de la République et les raisons de l’obéissance à la règle ; le « jugement », qui permet de développer des aptitudes à la réflexion critique ; et, enfin, « l’engagement », visant à développer une conscience citoyenne et écologique chez les plus jeunes. Dans le même sens, au lycée, les cours d’EMC sont désormais répartis autour de six grandes thématiques : il est question d’y enseigner les principaux droits et devoirs des citoyens, ainsi que les valeurs qui fondent le contrat social ; d’expliciter le fonctionnement institutionnel des pouvoirs publics en France et en Europe ; d’approfondir les principes se rapportant à la vie lycéenne ; de définir avec les élèves les enjeux ayant trait à la laïcité ; de détailler les questions de citoyenneté, nationale et européenne ; et enfin d’aborder les grandes questions bioéthiques et de société.

Toutefois, si article L. 121-4-1 du code de l’éducation dispose que, « au titre de sa mission d’éducation à la citoyenneté, le service public de l’éducation prépare les élèves à vivre en société et à devenir des citoyens responsables et libres, conscients des principes et des règles qui fondent la démocratie », plusieurs éléments semblent appuyer l’idée d’une éducation morale et civique insuffisamment pertinente et utile, en dépit des grandes promesses que reflète son programme et son remodelage par les gouvernements successifs.

II. L’instruction civique n’a pas eu le rôle attendu de barrage contre le désengagement citoyen

La faiblesse de la participation électorale des 18-24 ans et la défiance d’une partie de la population à l’égard de nos institutions, parfois perçues comme rigides et inadaptées aux évolutions de la société, interrogent quant à la capacité de l’instruction civique à remplir sa mission de barrage contre le désengagement citoyen et invitent à revoir ses modalités.

A. Les taux d’abstention des 18-24 ans battent tous les records tandis que les valeurs du contrat social français semblent peu intégrées par les jeunes citoyens

Lors de l’élection présidentielle de 2022, seulement 41 % des 18-24 ans – c’est-à-dire de la population venant de terminer le lycée – avaient voté au premier tour[12]. Force est de constater que l’EMC ne contribue pas à endiguer le long déclin de la participation électorale. Ce désintérêt est structurel : comme le montrent les sociologues Marc Lazar et Olivier Galland dans une étude dressant le portrait de la jeunesse en France, parue en février 2022[13], 26 % des 18-24 ans se disent en retrait de toutes les questions politiques et sociétales.

Plus généralement, les sondages annuels réalisés par le CEVIPOF mettent en lumière la crise de la défiance croissante qui sépare désormais une partie des citoyens de leurs institutions : entre 2022 et 2023, le taux de confiance à l’égard de l’Assemblée nationale a ainsi chuté de 10 points, passant de 38% à 28% ; de même, l’institution du conseil municipal, traditionnellement extrêmement populaire, est passée d’un taux de confiance de 63% à 53% sur une année.

Ces données laissent voir un mouvement de fond : celui d’une incompréhension croissante entre, d’une part, une grande majorité de la population détachée des enjeux relatifs aux affaires de la Cité et, d’autre part, un édifice institutionnel perçu comme rigide et inadapté aux évolutions de la société. Un tel hiatus, nous en sommes convaincus, ne saurait être résolu que par un effort démultiplié de conviction et de pédagogie quant au rôle des institutions dans le fonctionnement du pays, et à celui des valeurs républicaines quant à la vitalité du pacte démocratique.

En conséquence, face aux soupçons d’inefficacité qui pèsent sur elle, l’Éducation morale et civique soulève deux questions : quelle conception du statut de citoyen charrie-t-elle auprès de l’élève ? Ses modalités pédagogiques sont-elles satisfaisantes pour instituer, au sein des couches les plus jeunes de la population, les valeurs qui fondent le pacte social ?

S’il est difficile d’attribuer aux défaillances de l’EMC la responsabilité du désengagement et de la défiance des jeunes à l’égard de la sphère publique, il est toutefois permis de penser qu’une instruction civique renforcée dans ses méthodes et stabilisée dans son contenu contribuerait à freiner les conséquences délétères de ces mutations. Car l’éducation civique souffre aujourd’hui de quatre grands maux qui, s’ils sont résolus, pourraient contribuer humblement mais efficacement à la revitalisation de la démocratie.

B. Plusieurs maux frappent l’instruction civique et sont consubstantiels à la manière dont elle est enseignée

Le premier de ces maux est celui de la durée. Le volume d’EMC n’est que de 18 heures annuelles dans l’enseignement secondaire et de 36 heures annuelles dans l’enseignement primaire.

Vient ensuite la question des thématiques abordées. Depuis les années 1990, le programme de l’instruction civique s’est élargi, partant des questions de citoyenneté pour désormais traiter des questions de société dans leur ensemble.  Dans un rapport d’information portant sur la jeunesse et remis au Sénat durant l’été 2022, le sénateur Henri Cabanel[14] montre ainsi que l’instruction morale et civique donne désormais la part belle aux sujets d’inégalités entre le Nord et le Sud, de climat ou encore de bioéthique. Ces sujets essentiels sont ainsi réunis dans un enseignement qui s’apparente à un fourre-tout traitant indistinctement des grands enjeux qui traversent le monde. Sans renoncer définitivement à évoquer l’ensemble des grandes thématiques contemporaines qui structurent actuellement l’enseignement d’EMC, celles-ci pourraient être discutées sous le prisme spécifique de la cohésion sociale et de la capacité des institutions à répondre aux défis qui leur font face, renforçant ainsi la culture politique et institutionnelle des élèves.

Le troisième des maux dont souffre l’EMC est celui des pratiques pédagogiques. Dans un rapport rendu en 2019[15], l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) constate ainsi l’absence de pratique pédagogique unifiée et le désarroi des enseignants en matière d’instruction civique. Le décret fixant les modalités de l’enseignement de l’EMC recense en effet plusieurs instruments dont peuvent disposer les professeurs, sans qu’aucun d’eux ne soit réellement explicité et précisé : il est ainsi question de sensibiliser les élèves aux questions civiques par le biais d’analyses et d’études de cas issus de journaux, de livres ou d’œuvres cinématographiques ; ou encore, d’organiser des rencontres entre des acteurs de la société civile et des élèves pour leur permettre d’appréhender certaines questions de société.

Enfin, le quatrième des maux frappant l’enseignement d’EMC réside dans la grande complexité et l’illisibilité croissante des réformes qui touchent au programme et aux modalités d’enseignement de la matière. L’EMC constitue, à l’image du bac, une marotte que chaque nouveau responsable politique souhaite réformer : au cours de la période récente, la réforme du baccalauréat modifie par exemple la pondération de l’EMC dans le résultat final de l’élève, en autonomisant sa note de celle du cours d’histoire-géographie tout en laissant les deux matières au sein d’un même enseignement ; de même, à l’occasion de cette réforme, les programmes de l’EMC ont à nouveau connu des modifications au lycée ; enfin, l’ajout souhaitable et attendu de l’EMC au cursus de la voie professionnelle de l’enseignement agricole, mis en œuvre sur une période s’étalant de 2022 à 2024, montre combien le régime de l’EMC peut encore être dérogatoire.

Au total, le rapport précité de l’IGÉSR souligne ainsi que « globalement, les enseignants semblent davantage démunis que motivés pour dispenser cet enseignement qui manque de stabilité dans les textes et discours institutionnels depuis des années, ce qui ne contribue pas à consolider des pratiques et une expertise professionnelle ».

III. Renouer avec l’ambition républicaine et universaliste de l’instruction civique

Face à ces maux, nous proposons de simplifier l’enseignement d’EMC tout en le densifiant, aussi bien dans son contenu que par ses pratiques pédagogiques.

Renforcer la lisibilité et le volume horaire des enseignements d’EMC

Pour cela, nous proposons la mise en place d’une politique publique qui, à notre connaissance, n’a pas encore été débattue au sein de l’espace public : faire obligation aux agents exerçant des fonctions d’encadrement dans l’administration de dispenser, suivant un certain volume horaire annuel, des cours devant les élèves de primaire, collège et lycée, pour leur expliquer les principales valeurs de la République et le rôle concret de l’action de l’État. Avant de préciser la nature de cette proposition, deux conditions semblent toutefois pouvoir être avancées : renforcer le volume horaire des enseignements d’EMC (1) et la lisibilité des programmes enseignés (2).

Proposition 1 : accroître substantiellement le volume horaire consacré à l’enseignement de l’EMC, a minima au sein de l’enseignement secondaire. D’une part, le volume horaire hebdomadaire consacré à l’EMC semble devoir nécessairement croître, tant il est dérisoire de constater qu’il n’excède pas, au total, une demie heure par semaine dans l’enseignement secondaire. En France, 86% des élèves sont inscrits dans l’enseignement public et bénéficient d’une éducation gratuite[16], se voulant équitable pour tous et encourageant l’émancipation intellectuelle : un temps civique supplémentaire consacré à l’étude de tout ce qu’autorise le modèle républicain, et le service public qui repose sur ses valeurs, apparaît être un prérequis indispensable.

Proposition 2 : recentrer l’enseignement de l’EMC sur le fonctionnement des institutions, les valeurs républicaines et les fondamentaux de la culture politique. D’autre part, l’enseignement d’EMC pourrait se recentrer sur la transmission des éléments essentiels de la vie publique et institutionnelle de la Nation, pour renforcer prioritairement la culture politique et la réflexion des élèves sur les valeurs du contrat social. Pour autant, les nouveaux enseignements, tels que la sensibilisation aux inégalités grandissantes, aux sciences de l’environnement et aux conséquences du réchauffement climatique, semblent plus que jamais nécessaires pour changer durablement les mentalités en faveur de la transition écologique et sociale. Aussi, si l’instruction civique doit pouvoir se circonscrire à un programme spécifique destiné à renforcer la participation citoyenne et l’adhésion à la démocratie, celle-ci pourrait ponctuellement évoquer les enjeux socio-économiques ou écologiques pour éclairer certains aspects de la manière dont se construit le débat public et s’abritent les décisions. Toutefois, l’essentiel des sujets qui permettent d’appréhender les mutations du monde contemporain devraient faire l’objet d’un approfondissement hors de l’enseignement moral et civique. À ce titre, les questions relatives à la protection de l’environnement pourraient être approfondies au sein des cours de sciences ; celles relatives aux inégalités pourraient être traitées au sein des enseignements de géographie ; enfin, celles relatives aux sujets bioéthiques pourraient par exemple faire l’objet d’un approfondissement en classe de philosophie en Terminale.

B. Mettre l’administration au service de l’instruction civique

Au sein de ces cours d’EMC mieux circonscrits et densifiés, les pratiques pédagogiques doivent être stabilisées afin de renforcer l’efficacité et la pertinence de l’éducation civique.

Proposition 3 : créer un dispositif, contraignant ou non, permettant aux agents publics occupant des fonctions d’encadrement de dispenser des enseignements d’EMC dans les classes. Tandis que les professeurs font part de leur dénuement face à la diversité des outils pédagogiques dont ils disposent et la complexité inhérente à leur mise en œuvre, nous proposons qu’une partie de leurs enseignements soit prise en charge par des agents publics exerçant des fonctions d’encadrement dans l’administration. Concrètement, un enseignant qui doit donner 18 heures (à volume horaire constant) d’enseignement d’EMC à une classe de terminale pourrait bénéficier de la disponibilité d’un agent public de l’ordre de 5 heures par an et par classe pour que celui-ci vienne délivrer l’enseignement. Le professeur accompagnerait, sur ces périodes, l’agent public durant son cours. En ce sens, notre proposition conduirait à une hausse du volume horaire des enseignements hebdomadaires totaux d’EMC pour les enseignants d’histoire-géographie, et nécessite de mener parallèlement un élargissement des recrutements dans cette profession afin d’amortir la charge de travail supplémentaire.

Quel serait concrètement l’enseignement d’EMC que délivrerait l’agent public ?

L’intérêt de créer cette logique partenariale nouvelle entre l’Éducation nationale et le reste de l’administration (qui pourrait par ailleurs prendre la forme d’une obligation pour le fonctionnaire, s’inscrivant dans le cadre de son obligation de servir) réside dans le partage d’une expérience étroitement liée aux valeurs de la République et au fonctionnement des institutions.

L’agent public pourrait illustrer, à partir d’expériences éprouvées dans le cadre de ses fonctions, les valeurs de la République en action : ici, un commissaire de police parlant de l’ordre public ; là, un juge parlant des droits de l’homme ; ailleurs, enfin, un sous-préfet parlant de la laïcité.

Cette proposition repose sur la conviction qu’un « haut fonctionnaire » (au sens large) peut libérer deux heures hebdomadaires pour exercer de telles activités et se justifie par la nécessité (1) de pouvoir témoigner, devant les élèves, de situations pratiques d’arbitrages et de décisions publiques mettant en jeu les valeurs de la République ; (2) de fournir une vision panoramique de l’ensemble de la sphère administrative et institutionnelle aux élèves ; et (3) de garantir une égalité entre tous les territoires. Ces éléments ne sont que des exemples parmi la multiplicité des avantages qu’offre l’opportunité, pour un élève, de bénéficier de cours d’EMC dispensés par des agents publics encadrants.

Enfin, une telle proposition pourrait contribuer, de manière plus accessoire, à redynamiser l’attractivité des métiers de la fonction publique, alors que les tensions de recrutement se font de plus en plus fortes dans la fonction publique territoriale, dans l’Éducation nationale, dans la police, ou encore dans la fonction publique hospitalière par exemple.

Qui seraient les fonctionnaires concernés par cette proposition ?

Les fonctionnaires qui pourraient s’inscrire dans la proposition que nous formulons devraient donc, en théorie, occuper des missions d’encadrement au sein de l’administration, ou en être les hauts fonctionnaires.

Par ailleurs, il conviendrait que la catégorie d’agents publics délimitée dans le cadre de notre proposition puisse couvrir l’ensemble du territoire national, afin de ne pas créer de distorsions entre les villes dotées en services publics et les territoires ruraux isolés.

À ce titre, voici plusieurs exemples de corps administratifs et d’emplois fonctionnels qui pourraient dispenser des cours d’EMC de l’école primaire au lycée :

Dans les territoires ruraux Dans les villes moyennes et grandes À Paris et en Île-de-France
– Commissaires de police et commandants de gendarmerie ;

– Sous-préfets d’arrondissements ;

– Dirigeants d’établissements publics (Pôle emploi, universités, musées…) ;

– Directeurs généraux et directeurs des services de mairie et des établissements publics locaux ;

– Agents publics cités-ci contre ;

– Responsables d’administrations déconcentrées (directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités, directions départementales des finances publiques, agences régionales de santé, etc.) ;

– Directeurs d’hôpitaux ;

– Membres du corps préfectoral et sous-préfets ;

– Administrateurs territoriaux ;

– Magistrats ;

– Cadres de la Banque de France ;

– Responsables des organismes de Sécurité sociale ;

– Agents publics cités ci-contre ;

– Membres du Conseil d’État et de la Cour des Comptes ;

– Administrateurs d’État au sein des ministères ;

– Administrateurs du Parlement ;

 

Quelles seraient les modalités de mise en œuvre de cette proposition ?

Deux scénarios semblent à ce stade envisageables pour mettre l’administration au service de l’éducation morale et civique :

3.1. Le scénario incitatif : souple mais vecteur d’inégalités.

Les agents publics précités pourraient disposer d’un crédit horaire annuel à dépenser, selon leur convenance et sans conséquences sur leur rémunération ou leur avancement, pour dispenser des cours d’EMC auprès des élèves. De même, les professeurs dispensant traditionnellement les cours d’EMC pourraient décider librement du volume horaire annuel pour lequel ils auraient besoin de l’appui de l’agent public.

Dans ce scénario, le lien entre le professeur dispensant le cours et l’agent public venant l’appuyer serait partenarial : il appartiendrait à l’Éducation nationale et aux administrations concernées de favoriser des procédures d’appariement entre les deux fonctionnaires. Ces procédures pourraient passer par une application numérique, tenant compte notamment des zones éloignées des services publics et plafonnant leur disponibilité pour une classe si la demande est trop forte sur le territoire.

Toutefois, un tel scénario risquerait de renforcer les inégalités scolaires, du fait de la présence disparate des agents publics sur le territoire et de la liberté de choix laissée aux professeurs.

3.2. Le scénario privilégié : une planification efficace pour revaloriser réellement l’EMC mais nécessitant d’importants moyens.

Un deuxième scénario pourrait consister en la création d’une véritable obligation, pour les agents publics concernés, de dispenser un volume horaire donné d’enseignements d’éducation civique aux classes allant du CP à la terminale. Ce volume horaire pourrait être déterminé de sorte à couvrir un quart du temps total des enseignements d’EMC à l’école.

En conséquence, pour chaque agent public, le ministère de l’Éducation nationale affecterait, avec le concours des autres administrations, ce volume horaire obligatoire auprès d’un ou de plusieurs professeurs. Ces derniers s’entendraient ensuite avec les agents publics pour fixer, ensemble, leurs dates d’intervention et le contenu de celles-ci.

Si ce scénario présente l’avantage de garantir une égalité d’enseignement d’EMC entre tous les territoires, il suppose toutefois de mobiliser d’importants moyens humains (pour constituer la base de données des agents publics disponibles et pour les assister, ainsi que les professeurs, dans la formation et la mise en œuvre de leurs obligations) et financiers (pour garantir la mobilité des agents publics vers des territoires dans lesquels la présence de l’État est en recul).

En outre, puisqu’il repose sur la constitution d’un binôme entre un agent public encadrant et un professeur, ce scénario se traduirait par une charge de travail supplémentaire pour chacun des deux fonctionnaires. Deux solutions apparaissent dès lors souhaitable : du côté de l’enseignement public, il conviendrait de mener une campagne de recrutement importante à destination des candidats à l’enseignement, afin de répartir la charge de temps additionnel qu’implique la proposition et de prévenir toute augmentation finale du volume horaire des enseignants ; d’autre part, un dispositif de dérogation pourrait être créé à destination des agents publics exerçant des fonctions d’encadrement dont la charge de travail ne permettrait pas de dispenser, en sus de leurs fonctions administratives, des enseignements d’EMC dans les établissements scolaires.

Résumé des propositions

Proposition 1 : accroître substantiellement le volume horaire consacré à l’enseignement de l’EMC, a minima au sein de l’enseignement secondaire.

Proposition 2 : recentrer l’enseignement de l’EMC sur le fonctionnement des institutions, les valeurs républicaines et les fondamentaux de la culture politique.

Proposition 3 : créer un dispositif, contraignant ou non, permettant aux agents publics occupant des fonctions d’encadrement de dispenser des enseignements d’EMC dans les classes.

[1] Joseph Reinach, Discours et plaidoyers politiques de Gambetta (1881), Paris, Charpentier, 1880-1884 (11 volumes).

[2] Philippe Marchand, « L’instruction civique en France : quelques éléments d’histoire », Spirale n°7, 1992.

[3] Serge Chassagne, « L’instruction civique d’hier à aujourd’hui : l’instruction civique à l’école (1870-1914) », Les Cahiers de l’Animation, n° 38, 1982, p. 44-51.

[4] Pierre Mendès France, La Vérité guidait leurs pas, Paris, Gallimard, 1976.

[5] Octave Gréard, « L’enseignement primaire à Paris de 1867 à 1877 » dans G. Compayré, Cours de pédagogie théorique et pratique, Paris, Delaplane, s.d. 467 p.

[6] Maurice Agulhon, La République de Jules Ferry à François Mitterrand 1880 à nos jours. Paris, Hachette, 1990, 525 p., p. 31-32.

[7] Arrêté du 18 mars 1977 portant sur les horaires applicables au cycle préparatoire des écoles élémentaires.

[8] Circulaire du 8 janvier 1985 « Pour une école de la réussite : préparation de la rentrée 1985 » de Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Éducation nationale.

[9] Programme règlementaire de sixième,1987, p. 249

[10] Décret du 29 mai 1996 publié au BO n° 25 du 20 juin 1996.

[11] Loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

[12] Ipsos, « Second tour : profil des abstentionnistes et sociologie des électorats », 24 avril 2022.

[13] Institut Montaigne, « Une jeunesse plurielle : enquête auprès des 18-24 ans », 3 février 2022.

[14] Rapport d’information de M. Henri Cabanel, fait au nom de la MI Culture citoyenne, « Jeunesse et citoyenneté : une culture à réinventer – 23 recommandations pour redynamiser la culture citoyenne », 7 juin 2022.

[15] Rapport n° 2019-063 de l’IGÉSR sur le suivi de l’enseignement des fondamentaux à l’école primaire, juillet 2019.

[16] Ministère de l’Éducation nationale, « L’Éducation nationale en chiffres 2021 », 2022.

Publié le 25 juillet 2023

Mettre l’administration au service de l’éducation civique

Auteurs

Paul Klotz
Normalien et étudiant à Sciences Po, Paul Klotz est président du laboratoire d'idées Ligere.fr.

Si l’enseignement de l’Éducation morale et civique (EMC) constitue, dès la IIIème République, une brique essentielle de l’édifice social, il semble désormais en crise. En effet, après avoir connu de multiples modifications programmatiques et horaires tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle, l’EMC recouvre aujourd’hui un contenu si large, et des pratiques pédagogiques si incertaines, qu’il est possible de douter de sa réelle efficacité. Pour résorber la fracture qui prévient l’adhésion d’une partie des citoyens aux valeurs du contrat social, nous proposons, outre une augmentation du volume horaire d’enseignement de l’EMC, une mesure forte : mettre l’administration au service de l’instruction civique. Sur l’ensemble du territoire français, les agents publics exerçant des fonctions d’encadrement pourraient, selon des modalités contraignantes ou non, dispenser aux élèves des cours sur le fonctionnement des institutions, les valeurs républicaines et les fondamentaux de la culture politique. Un tel dispositif réaffirmerait le rôle de l’État dans l’éducation, tout en revalorisant son image auprès de la jeunesse.

Introduction

L’Éducation morale et civique (EMC) est en crise autant qu’elle est en vogue : en crise, d’abord, car son contenu demeure mal délimité, son volume horaire de plus en plus réduit et les pratiques pédagogiques qu’elle offre mal saisies par le corps professoral ; en vogue, d’autre part, en ce qu’elle fait, depuis plusieurs décennies, l’objet d’incessantes réformes visant à l’adapter aux nouveaux enjeux de la société et qu’elle constitue, pour cause, une réponse fourre-tout pour les crises politiques et sociales que traverse le pays.

Toutefois, l’excroissance des programmes de l’EMC, autant que leur difficile applicabilité, suppose de repenser les modalités de son fonctionnement. Cette nécessité est d’autant plus prégnante que les signes d’une crise de la défiance à l’égard des institutions et des valeurs de la République sont chaque jour plus visibles, notamment au sein des couches les plus jeunes de la population.

Face à l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui l’EMC, il apparaît nécessaire d’imaginer une politique publique nouvelle et simplifiée. Tandis que les professeurs font part de leur dénuement face à la diversité des outils pédagogiques dont ils disposent et la complexité inhérente à leur mise en œuvre, nous proposons qu’une partie de leurs enseignements soit prise en charge par des agents publics exerçant des fonctions d’encadrement au sein de l’administration. En effet, l’agent public pourrait illustrer auprès des élèves, à partir d’expériences éprouvées dans le cadre de ses fonctions, les valeurs de la République en action : ici, un juge parlant des droits de l’homme ; là, un commissaire de police parlant de l’ordre public ; ailleurs, enfin, un sous-préfet parlant de la laïcité.

La présente note vise en conséquence à rappeler le rôle historique et philosophique de l’EMC en République, mettre en lumière les principaux maux dont elle souffre et détailler les modalités concrètes de notre proposition.

I. Une instruction civique placée en première ligne du combat pour l’école républicaine

Dans un discours prononcé à Bordeaux le 16 novembre 1871, Léon Gambetta, père fondateur de la IIIème République, se demande : « Comment admettre que des hommes qui ne connaissent la société que par le côté qui les irrite […] ne s’aigrissent pas dans la misère et n’apparaissent pas sur la place publique avec des passions effroyables ? ». Et le tribun d’ajouter : « Je déclare qu’il n’y aura de paix, de repos et d’ordre qu’alors que toutes les classes considéreront leur gouvernement comme une émanation légitime de leur souveraineté et non plus comme un maître avide et jaloux »[1].

L’instruction civique est née : avec la loi Ferry du 28 mars 1882, l’éducation morale et civique de l’élève figure au premier rang des apprentissages de l’école primaire, devant l’écriture et la lecture. Son initiateur, Jules Ferry, rappelle devant le Sénat, le 10 juin 1881, l’intérêt primordial qu’elle revêt pour la constitution d’une société républicaine, au lendemain de la tourmente de Sedan et de la destitution de Louis-Napoléon Bonaparte, mais aussi de l’épisode de la Commune : « Si vous voulez chasser des esprits les utopies, si vous voulez émonder les idées fausses, il faut que vous fassiez entrer dans l’esprit et dans le cœur de l’enfant des idées vraies sur la société où il doit vivre, sur les droits qu’il doit exercer. Comment ! dans quelques années, il sortira de l’école primaire – et pour un grand nombre de ces jeunes gens, c’est à l’école primaire que s’arrêtent malheureusement et se limitent tout le bagage et toutes les connaissances scientifiques. Comment ! il sera électeur dans quelques années et vous voulez nous défendre de lui apprendre ce que c’est qu’une patrie ! »[2].

Les valeurs alors enseignées, à la fin du XIXème siècle, sont proprement conçues pour garantir une adhésion totale et collective des élèves de l’école primaire au modèle républicain : il est ainsi question du service militaire, de la foi dans le progrès, du patriotisme et de l’obligation fiscale[3].

A. Aux origines historiques et théoriques d’une instruction civique universelle

Son intérêt, dans l’esprit de ses promoteurs, est double. L’instruction civique assure, en premier lieu, de faire vivre effectivement la démocratie en diffusant un corpus de principes et de valeurs communs chez les plus jeunes. La démocratie n’est, en effet, pas qu’une convocation régulière à voter : elle est, comme l’écrit Pierre Mendès-France, « un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire »[4]. Ce type de mœurs spécifique est institué par le maître d’école, qui convainc les élèves d’une pratique partagée et sans cesse renouvelée du débat et de la délibération.

Octave Gréard, le Vice-recteur de l’Académie de Paris jusqu’en 1877 et créateur des premiers lycées de jeunes filles, écrivait ainsi dans un Cours de pédagogie théorique et pratique à destination des professeurs des écoles : « Ce que le bon sens demande, c’est qu’au respect des traditions nationales, qui est la base du patriotisme éclairé, se joigne dans l’esprit des enfants, arrivés, comme on dit, à l’âge de raison, la connaissance des lois générales de la vie publique de leur pays. Ce que nos élèves savent le moins, c’est ce qu’ils auraient, pour eux et pour tout le monde, le plus d’intérêt à savoir. Il n’est pas inutile assurément qu’ils aient une idée des capitulaires de Charlemagne ; mais combien n’est-il pas plus nécessaire de ne point leur laisser ignorer les principes de l’organisation sociale au sein de laquelle ils sont appelés à remplir leurs devoirs de citoyens ! »[5].

Au surplus, si l’instruction civique participe de la défense de l’ordre et de la paix sociale à l’échelle de la Nation, en fixant un cadre déterminant les limites nécessaires à la préservation de l’intérêt public, elle porte aussi sa part de rigidité, d’ordre moral critiquable et peut rapidement être interrogée dans son essence même ; ainsi, pour Maurice Agulhon, dès l’origine, l’instruction civique de Ferry était pour partie viciée : « Ferry était un bourgeois et se méfiait du peuple, bon pour fournir des soldats et des ouvriers à l’industrie »[6].

Cet ordre imposé suscite de nombreuses contestations et peut même attiser les revendications les plus transgressives : à l’issue des événements de mai 1968, le « cours de morale » disparait ainsi progressivement des salles de classes. En 1977, un arrêté portant sur les horaires applicables au cycle préparatoire des écoles élémentaires enterre définitivement l’instruction civique héritée de la IIIème République, en disposant que celle-ci ne doit pas être « un dressage qui, par divers modes plus ou moins subtils de conditionnement, induirait des conduites dont la signification et la justification échapperaient à l’enfant prisonnier du conformisme qu’elles instaurent »[7].

B. Le long cheminement vers l’éducation morale et civique contemporaine

Pour autant, en 1985, Jean-Pierre Chevènement, soucieux que la formation « des citoyens passe par un véritable enseignement d’éducation civique »[8], réintroduit l’instruction morale au sein de l’école primaire et du collège, en la nommant cette-fois ci explicitement « éducation civique ». « L’éducation civique est une pièce maîtresse de l’éducation dans un Etat républicain, garant des libertés » rappelle ainsi un extrait du programme réglementaire de classe de sixième publié en 1987[9], lequel ajoute qu’elle a vocation à mettre « les élèves en mesure de répondre à leur propre exigence de liberté et de justice ». La même année, l’ancien ministre de l’Éducation nationale décrète par ailleurs l’apprentissage de La Marseillaise obligatoire. L’objectif affiché, toujours selon ce même programme réglementaire, est ainsi de former des « personnalités d’homme et de citoyens épris de liberté ».

Dix ans plus tard, en 1995, l’éducation civique fait son grand retour de la seconde à la terminale. Ce retour se fait toutefois au détriment des enseignements parallèles : au collège, l’éducation civique est inscrite dans le service de l’enseignement d’histoire-géographie, lequel est amputé d’une demie heure[10] par semaine ; au lycée, le programme d’histoire est modifié de sorte à mettre en lumière, selon le ministre de l’éducation François Bayrou, le fonctionnement du « monde contemporain ».

Enfin, en 1999, sous le gouvernement Jospin, l’éducation civique est formalisée comme une matière à part entière avec l’introduction de l’Enseignement civique, juridique et social (ECJS), auquel les lycéens doivent consacrer deux heures hebdomadaires. Cet ECJS sera finalement remplacé, moyennant une refonte des programmes, par l’Éducation morale et civique (EMC) en 2015.

Cette nouvelle EMC, initiée par l’arrivée d’un gouvernement socialiste au pouvoir à partir de 2012, voit notamment ses objectifs entérinés dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République de 2013, laquelle « fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République » (article 2) et exige que les symboles de la République, tels que la devise républicaine ou encore la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, soient désormais « visibles dans tous les établissements du second degré » (article 3)[11].

Somme de l’ensemble de ces réformes, l’EMC contemporaine s’articule, au sein de l’école primaire et du collège, autour de quatre dimensions fondamentales : la « sensibilité », qui consiste à développer l’empathie ; le « droit et la règle », qui permet de comprendre les principes de la République et les raisons de l’obéissance à la règle ; le « jugement », qui permet de développer des aptitudes à la réflexion critique ; et, enfin, « l’engagement », visant à développer une conscience citoyenne et écologique chez les plus jeunes. Dans le même sens, au lycée, les cours d’EMC sont désormais répartis autour de six grandes thématiques : il est question d’y enseigner les principaux droits et devoirs des citoyens, ainsi que les valeurs qui fondent le contrat social ; d’expliciter le fonctionnement institutionnel des pouvoirs publics en France et en Europe ; d’approfondir les principes se rapportant à la vie lycéenne ; de définir avec les élèves les enjeux ayant trait à la laïcité ; de détailler les questions de citoyenneté, nationale et européenne ; et enfin d’aborder les grandes questions bioéthiques et de société.

Toutefois, si article L. 121-4-1 du code de l’éducation dispose que, « au titre de sa mission d’éducation à la citoyenneté, le service public de l’éducation prépare les élèves à vivre en société et à devenir des citoyens responsables et libres, conscients des principes et des règles qui fondent la démocratie », plusieurs éléments semblent appuyer l’idée d’une éducation morale et civique insuffisamment pertinente et utile, en dépit des grandes promesses que reflète son programme et son remodelage par les gouvernements successifs.

II. L’instruction civique n’a pas eu le rôle attendu de barrage contre le désengagement citoyen

La faiblesse de la participation électorale des 18-24 ans et la défiance d’une partie de la population à l’égard de nos institutions, parfois perçues comme rigides et inadaptées aux évolutions de la société, interrogent quant à la capacité de l’instruction civique à remplir sa mission de barrage contre le désengagement citoyen et invitent à revoir ses modalités.

A. Les taux d’abstention des 18-24 ans battent tous les records tandis que les valeurs du contrat social français semblent peu intégrées par les jeunes citoyens

Lors de l’élection présidentielle de 2022, seulement 41 % des 18-24 ans – c’est-à-dire de la population venant de terminer le lycée – avaient voté au premier tour[12]. Force est de constater que l’EMC ne contribue pas à endiguer le long déclin de la participation électorale. Ce désintérêt est structurel : comme le montrent les sociologues Marc Lazar et Olivier Galland dans une étude dressant le portrait de la jeunesse en France, parue en février 2022[13], 26 % des 18-24 ans se disent en retrait de toutes les questions politiques et sociétales.

Plus généralement, les sondages annuels réalisés par le CEVIPOF mettent en lumière la crise de la défiance croissante qui sépare désormais une partie des citoyens de leurs institutions : entre 2022 et 2023, le taux de confiance à l’égard de l’Assemblée nationale a ainsi chuté de 10 points, passant de 38% à 28% ; de même, l’institution du conseil municipal, traditionnellement extrêmement populaire, est passée d’un taux de confiance de 63% à 53% sur une année.

Ces données laissent voir un mouvement de fond : celui d’une incompréhension croissante entre, d’une part, une grande majorité de la population détachée des enjeux relatifs aux affaires de la Cité et, d’autre part, un édifice institutionnel perçu comme rigide et inadapté aux évolutions de la société. Un tel hiatus, nous en sommes convaincus, ne saurait être résolu que par un effort démultiplié de conviction et de pédagogie quant au rôle des institutions dans le fonctionnement du pays, et à celui des valeurs républicaines quant à la vitalité du pacte démocratique.

En conséquence, face aux soupçons d’inefficacité qui pèsent sur elle, l’Éducation morale et civique soulève deux questions : quelle conception du statut de citoyen charrie-t-elle auprès de l’élève ? Ses modalités pédagogiques sont-elles satisfaisantes pour instituer, au sein des couches les plus jeunes de la population, les valeurs qui fondent le pacte social ?

S’il est difficile d’attribuer aux défaillances de l’EMC la responsabilité du désengagement et de la défiance des jeunes à l’égard de la sphère publique, il est toutefois permis de penser qu’une instruction civique renforcée dans ses méthodes et stabilisée dans son contenu contribuerait à freiner les conséquences délétères de ces mutations. Car l’éducation civique souffre aujourd’hui de quatre grands maux qui, s’ils sont résolus, pourraient contribuer humblement mais efficacement à la revitalisation de la démocratie.

B. Plusieurs maux frappent l’instruction civique et sont consubstantiels à la manière dont elle est enseignée

Le premier de ces maux est celui de la durée. Le volume d’EMC n’est que de 18 heures annuelles dans l’enseignement secondaire et de 36 heures annuelles dans l’enseignement primaire.

Vient ensuite la question des thématiques abordées. Depuis les années 1990, le programme de l’instruction civique s’est élargi, partant des questions de citoyenneté pour désormais traiter des questions de société dans leur ensemble.  Dans un rapport d’information portant sur la jeunesse et remis au Sénat durant l’été 2022, le sénateur Henri Cabanel[14] montre ainsi que l’instruction morale et civique donne désormais la part belle aux sujets d’inégalités entre le Nord et le Sud, de climat ou encore de bioéthique. Ces sujets essentiels sont ainsi réunis dans un enseignement qui s’apparente à un fourre-tout traitant indistinctement des grands enjeux qui traversent le monde. Sans renoncer définitivement à évoquer l’ensemble des grandes thématiques contemporaines qui structurent actuellement l’enseignement d’EMC, celles-ci pourraient être discutées sous le prisme spécifique de la cohésion sociale et de la capacité des institutions à répondre aux défis qui leur font face, renforçant ainsi la culture politique et institutionnelle des élèves.

Le troisième des maux dont souffre l’EMC est celui des pratiques pédagogiques. Dans un rapport rendu en 2019[15], l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) constate ainsi l’absence de pratique pédagogique unifiée et le désarroi des enseignants en matière d’instruction civique. Le décret fixant les modalités de l’enseignement de l’EMC recense en effet plusieurs instruments dont peuvent disposer les professeurs, sans qu’aucun d’eux ne soit réellement explicité et précisé : il est ainsi question de sensibiliser les élèves aux questions civiques par le biais d’analyses et d’études de cas issus de journaux, de livres ou d’œuvres cinématographiques ; ou encore, d’organiser des rencontres entre des acteurs de la société civile et des élèves pour leur permettre d’appréhender certaines questions de société.

Enfin, le quatrième des maux frappant l’enseignement d’EMC réside dans la grande complexité et l’illisibilité croissante des réformes qui touchent au programme et aux modalités d’enseignement de la matière. L’EMC constitue, à l’image du bac, une marotte que chaque nouveau responsable politique souhaite réformer : au cours de la période récente, la réforme du baccalauréat modifie par exemple la pondération de l’EMC dans le résultat final de l’élève, en autonomisant sa note de celle du cours d’histoire-géographie tout en laissant les deux matières au sein d’un même enseignement ; de même, à l’occasion de cette réforme, les programmes de l’EMC ont à nouveau connu des modifications au lycée ; enfin, l’ajout souhaitable et attendu de l’EMC au cursus de la voie professionnelle de l’enseignement agricole, mis en œuvre sur une période s’étalant de 2022 à 2024, montre combien le régime de l’EMC peut encore être dérogatoire.

Au total, le rapport précité de l’IGÉSR souligne ainsi que « globalement, les enseignants semblent davantage démunis que motivés pour dispenser cet enseignement qui manque de stabilité dans les textes et discours institutionnels depuis des années, ce qui ne contribue pas à consolider des pratiques et une expertise professionnelle ».

III. Renouer avec l’ambition républicaine et universaliste de l’instruction civique

Face à ces maux, nous proposons de simplifier l’enseignement d’EMC tout en le densifiant, aussi bien dans son contenu que par ses pratiques pédagogiques.

Renforcer la lisibilité et le volume horaire des enseignements d’EMC

Pour cela, nous proposons la mise en place d’une politique publique qui, à notre connaissance, n’a pas encore été débattue au sein de l’espace public : faire obligation aux agents exerçant des fonctions d’encadrement dans l’administration de dispenser, suivant un certain volume horaire annuel, des cours devant les élèves de primaire, collège et lycée, pour leur expliquer les principales valeurs de la République et le rôle concret de l’action de l’État. Avant de préciser la nature de cette proposition, deux conditions semblent toutefois pouvoir être avancées : renforcer le volume horaire des enseignements d’EMC (1) et la lisibilité des programmes enseignés (2).

Proposition 1 : accroître substantiellement le volume horaire consacré à l’enseignement de l’EMC, a minima au sein de l’enseignement secondaire. D’une part, le volume horaire hebdomadaire consacré à l’EMC semble devoir nécessairement croître, tant il est dérisoire de constater qu’il n’excède pas, au total, une demie heure par semaine dans l’enseignement secondaire. En France, 86% des élèves sont inscrits dans l’enseignement public et bénéficient d’une éducation gratuite[16], se voulant équitable pour tous et encourageant l’émancipation intellectuelle : un temps civique supplémentaire consacré à l’étude de tout ce qu’autorise le modèle républicain, et le service public qui repose sur ses valeurs, apparaît être un prérequis indispensable.

Proposition 2 : recentrer l’enseignement de l’EMC sur le fonctionnement des institutions, les valeurs républicaines et les fondamentaux de la culture politique. D’autre part, l’enseignement d’EMC pourrait se recentrer sur la transmission des éléments essentiels de la vie publique et institutionnelle de la Nation, pour renforcer prioritairement la culture politique et la réflexion des élèves sur les valeurs du contrat social. Pour autant, les nouveaux enseignements, tels que la sensibilisation aux inégalités grandissantes, aux sciences de l’environnement et aux conséquences du réchauffement climatique, semblent plus que jamais nécessaires pour changer durablement les mentalités en faveur de la transition écologique et sociale. Aussi, si l’instruction civique doit pouvoir se circonscrire à un programme spécifique destiné à renforcer la participation citoyenne et l’adhésion à la démocratie, celle-ci pourrait ponctuellement évoquer les enjeux socio-économiques ou écologiques pour éclairer certains aspects de la manière dont se construit le débat public et s’abritent les décisions. Toutefois, l’essentiel des sujets qui permettent d’appréhender les mutations du monde contemporain devraient faire l’objet d’un approfondissement hors de l’enseignement moral et civique. À ce titre, les questions relatives à la protection de l’environnement pourraient être approfondies au sein des cours de sciences ; celles relatives aux inégalités pourraient être traitées au sein des enseignements de géographie ; enfin, celles relatives aux sujets bioéthiques pourraient par exemple faire l’objet d’un approfondissement en classe de philosophie en Terminale.

B. Mettre l’administration au service de l’instruction civique

Au sein de ces cours d’EMC mieux circonscrits et densifiés, les pratiques pédagogiques doivent être stabilisées afin de renforcer l’efficacité et la pertinence de l’éducation civique.

Proposition 3 : créer un dispositif, contraignant ou non, permettant aux agents publics occupant des fonctions d’encadrement de dispenser des enseignements d’EMC dans les classes. Tandis que les professeurs font part de leur dénuement face à la diversité des outils pédagogiques dont ils disposent et la complexité inhérente à leur mise en œuvre, nous proposons qu’une partie de leurs enseignements soit prise en charge par des agents publics exerçant des fonctions d’encadrement dans l’administration. Concrètement, un enseignant qui doit donner 18 heures (à volume horaire constant) d’enseignement d’EMC à une classe de terminale pourrait bénéficier de la disponibilité d’un agent public de l’ordre de 5 heures par an et par classe pour que celui-ci vienne délivrer l’enseignement. Le professeur accompagnerait, sur ces périodes, l’agent public durant son cours. En ce sens, notre proposition conduirait à une hausse du volume horaire des enseignements hebdomadaires totaux d’EMC pour les enseignants d’histoire-géographie, et nécessite de mener parallèlement un élargissement des recrutements dans cette profession afin d’amortir la charge de travail supplémentaire.

Quel serait concrètement l’enseignement d’EMC que délivrerait l’agent public ?

L’intérêt de créer cette logique partenariale nouvelle entre l’Éducation nationale et le reste de l’administration (qui pourrait par ailleurs prendre la forme d’une obligation pour le fonctionnaire, s’inscrivant dans le cadre de son obligation de servir) réside dans le partage d’une expérience étroitement liée aux valeurs de la République et au fonctionnement des institutions.

L’agent public pourrait illustrer, à partir d’expériences éprouvées dans le cadre de ses fonctions, les valeurs de la République en action : ici, un commissaire de police parlant de l’ordre public ; là, un juge parlant des droits de l’homme ; ailleurs, enfin, un sous-préfet parlant de la laïcité.

Cette proposition repose sur la conviction qu’un « haut fonctionnaire » (au sens large) peut libérer deux heures hebdomadaires pour exercer de telles activités et se justifie par la nécessité (1) de pouvoir témoigner, devant les élèves, de situations pratiques d’arbitrages et de décisions publiques mettant en jeu les valeurs de la République ; (2) de fournir une vision panoramique de l’ensemble de la sphère administrative et institutionnelle aux élèves ; et (3) de garantir une égalité entre tous les territoires. Ces éléments ne sont que des exemples parmi la multiplicité des avantages qu’offre l’opportunité, pour un élève, de bénéficier de cours d’EMC dispensés par des agents publics encadrants.

Enfin, une telle proposition pourrait contribuer, de manière plus accessoire, à redynamiser l’attractivité des métiers de la fonction publique, alors que les tensions de recrutement se font de plus en plus fortes dans la fonction publique territoriale, dans l’Éducation nationale, dans la police, ou encore dans la fonction publique hospitalière par exemple.

Qui seraient les fonctionnaires concernés par cette proposition ?

Les fonctionnaires qui pourraient s’inscrire dans la proposition que nous formulons devraient donc, en théorie, occuper des missions d’encadrement au sein de l’administration, ou en être les hauts fonctionnaires.

Par ailleurs, il conviendrait que la catégorie d’agents publics délimitée dans le cadre de notre proposition puisse couvrir l’ensemble du territoire national, afin de ne pas créer de distorsions entre les villes dotées en services publics et les territoires ruraux isolés.

À ce titre, voici plusieurs exemples de corps administratifs et d’emplois fonctionnels qui pourraient dispenser des cours d’EMC de l’école primaire au lycée :

Dans les territoires ruraux Dans les villes moyennes et grandes À Paris et en Île-de-France
– Commissaires de police et commandants de gendarmerie ;

– Sous-préfets d’arrondissements ;

– Dirigeants d’établissements publics (Pôle emploi, universités, musées…) ;

– Directeurs généraux et directeurs des services de mairie et des établissements publics locaux ;

– Agents publics cités-ci contre ;

– Responsables d’administrations déconcentrées (directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités, directions départementales des finances publiques, agences régionales de santé, etc.) ;

– Directeurs d’hôpitaux ;

– Membres du corps préfectoral et sous-préfets ;

– Administrateurs territoriaux ;

– Magistrats ;

– Cadres de la Banque de France ;

– Responsables des organismes de Sécurité sociale ;

– Agents publics cités ci-contre ;

– Membres du Conseil d’État et de la Cour des Comptes ;

– Administrateurs d’État au sein des ministères ;

– Administrateurs du Parlement ;

 

Quelles seraient les modalités de mise en œuvre de cette proposition ?

Deux scénarios semblent à ce stade envisageables pour mettre l’administration au service de l’éducation morale et civique :

3.1. Le scénario incitatif : souple mais vecteur d’inégalités.

Les agents publics précités pourraient disposer d’un crédit horaire annuel à dépenser, selon leur convenance et sans conséquences sur leur rémunération ou leur avancement, pour dispenser des cours d’EMC auprès des élèves. De même, les professeurs dispensant traditionnellement les cours d’EMC pourraient décider librement du volume horaire annuel pour lequel ils auraient besoin de l’appui de l’agent public.

Dans ce scénario, le lien entre le professeur dispensant le cours et l’agent public venant l’appuyer serait partenarial : il appartiendrait à l’Éducation nationale et aux administrations concernées de favoriser des procédures d’appariement entre les deux fonctionnaires. Ces procédures pourraient passer par une application numérique, tenant compte notamment des zones éloignées des services publics et plafonnant leur disponibilité pour une classe si la demande est trop forte sur le territoire.

Toutefois, un tel scénario risquerait de renforcer les inégalités scolaires, du fait de la présence disparate des agents publics sur le territoire et de la liberté de choix laissée aux professeurs.

3.2. Le scénario privilégié : une planification efficace pour revaloriser réellement l’EMC mais nécessitant d’importants moyens.

Un deuxième scénario pourrait consister en la création d’une véritable obligation, pour les agents publics concernés, de dispenser un volume horaire donné d’enseignements d’éducation civique aux classes allant du CP à la terminale. Ce volume horaire pourrait être déterminé de sorte à couvrir un quart du temps total des enseignements d’EMC à l’école.

En conséquence, pour chaque agent public, le ministère de l’Éducation nationale affecterait, avec le concours des autres administrations, ce volume horaire obligatoire auprès d’un ou de plusieurs professeurs. Ces derniers s’entendraient ensuite avec les agents publics pour fixer, ensemble, leurs dates d’intervention et le contenu de celles-ci.

Si ce scénario présente l’avantage de garantir une égalité d’enseignement d’EMC entre tous les territoires, il suppose toutefois de mobiliser d’importants moyens humains (pour constituer la base de données des agents publics disponibles et pour les assister, ainsi que les professeurs, dans la formation et la mise en œuvre de leurs obligations) et financiers (pour garantir la mobilité des agents publics vers des territoires dans lesquels la présence de l’État est en recul).

En outre, puisqu’il repose sur la constitution d’un binôme entre un agent public encadrant et un professeur, ce scénario se traduirait par une charge de travail supplémentaire pour chacun des deux fonctionnaires. Deux solutions apparaissent dès lors souhaitable : du côté de l’enseignement public, il conviendrait de mener une campagne de recrutement importante à destination des candidats à l’enseignement, afin de répartir la charge de temps additionnel qu’implique la proposition et de prévenir toute augmentation finale du volume horaire des enseignants ; d’autre part, un dispositif de dérogation pourrait être créé à destination des agents publics exerçant des fonctions d’encadrement dont la charge de travail ne permettrait pas de dispenser, en sus de leurs fonctions administratives, des enseignements d’EMC dans les établissements scolaires.

Résumé des propositions

Proposition 1 : accroître substantiellement le volume horaire consacré à l’enseignement de l’EMC, a minima au sein de l’enseignement secondaire.

Proposition 2 : recentrer l’enseignement de l’EMC sur le fonctionnement des institutions, les valeurs républicaines et les fondamentaux de la culture politique.

Proposition 3 : créer un dispositif, contraignant ou non, permettant aux agents publics occupant des fonctions d’encadrement de dispenser des enseignements d’EMC dans les classes.

[1] Joseph Reinach, Discours et plaidoyers politiques de Gambetta (1881), Paris, Charpentier, 1880-1884 (11 volumes).

[2] Philippe Marchand, « L’instruction civique en France : quelques éléments d’histoire », Spirale n°7, 1992.

[3] Serge Chassagne, « L’instruction civique d’hier à aujourd’hui : l’instruction civique à l’école (1870-1914) », Les Cahiers de l’Animation, n° 38, 1982, p. 44-51.

[4] Pierre Mendès France, La Vérité guidait leurs pas, Paris, Gallimard, 1976.

[5] Octave Gréard, « L’enseignement primaire à Paris de 1867 à 1877 » dans G. Compayré, Cours de pédagogie théorique et pratique, Paris, Delaplane, s.d. 467 p.

[6] Maurice Agulhon, La République de Jules Ferry à François Mitterrand 1880 à nos jours. Paris, Hachette, 1990, 525 p., p. 31-32.

[7] Arrêté du 18 mars 1977 portant sur les horaires applicables au cycle préparatoire des écoles élémentaires.

[8] Circulaire du 8 janvier 1985 « Pour une école de la réussite : préparation de la rentrée 1985 » de Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Éducation nationale.

[9] Programme règlementaire de sixième,1987, p. 249

[10] Décret du 29 mai 1996 publié au BO n° 25 du 20 juin 1996.

[11] Loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

[12] Ipsos, « Second tour : profil des abstentionnistes et sociologie des électorats », 24 avril 2022.

[13] Institut Montaigne, « Une jeunesse plurielle : enquête auprès des 18-24 ans », 3 février 2022.

[14] Rapport d’information de M. Henri Cabanel, fait au nom de la MI Culture citoyenne, « Jeunesse et citoyenneté : une culture à réinventer – 23 recommandations pour redynamiser la culture citoyenne », 7 juin 2022.

[15] Rapport n° 2019-063 de l’IGÉSR sur le suivi de l’enseignement des fondamentaux à l’école primaire, juillet 2019.

[16] Ministère de l’Éducation nationale, « L’Éducation nationale en chiffres 2021 », 2022.

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