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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Notes

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LE NOUVEAU FRONT POPULAIRE : UNE RUPTURE RÉALISTE

Cette note contribue à éclaircir un certain nombre de points du programme économique du Nouveau Front Populaire (NFP). En particulier, elle fournit des éléments quantifiés montrant que les mesures de politique publique préconisées par le NFP sont à la fois pertinentes, réalistes et finançables. Les principales contributions de cette note sont : Une simulation numérique permet de prendre en compte le bouclage macroéconomique du programme et de le comparer à un scénario de référence obtenu par prolongement des tendances récentes. Elle montre que le programme ne provoquera ni explosion du déficit public, ni récession, ni fièvre inflationniste. Au contraire, hormis la balance commerciale (légèrement dégradée, ce qui devrait être compensé par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières prévu par l’UE), toutes les variables de l’économie française (PIB, dette, etc.) seront améliorées par les mesures du NFP. La mise en œuvre de ce programme réduira les inégalités et le chômage, augmentera le pouvoir d’achat des citoyens tout en maintenant une inflation autour de la cible de 2 %. Nous montrons que, non seulement la décarbonation est une chance pour l’économie française mais que l’ensemble du programme du NFP constitue un gisement potentiel d’au moins 495 000 emplois nets en 5 ans (i.e. incluant ceux qui devront être reconvertis ou abandonnés). La justice sociale et l’efficacité écologique ne sont pas les ennemies de l’emploi en France. Au contraire, ce sont ses meilleurs alliés. Nous confirmons que l’enveloppe annuelle de 30 milliards d’euros pour la bifurcation écologique annoncée par le NFP est cohérente et en proposons une version détaillée. Nous proposons des canaux complémentaires et originaux de financement et de recettes, lesquels permettront de diminuer davantage encore le coût net des mesures. Nous considérons par ailleurs qu’il est possible de dégager une marge de manœuvre budgétaire d’environ 20 milliards d’euros par an, en plus de ce qui a été envisagé jusqu’à présent par le NFP, sans nécessairement imposer au-delà de 50 % la tranche des plus hauts revenus .Aujourd’hui, le réalisme économique a changé de camp. I-REMETTRE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE SUR UNE TRAJECTOIRE SAINE Plusieurs commentateurs ont laissé entendre que ce programme déstabiliserait dangereusement l’économie française, en pesant sur les finances publiques, la croissance et l’emploi. Toutefois, tous se contentent d’examiner point par point le coût des mesures proposées, sans les mettre en regard de leurs effets. Un bouclage macro-économique offre la possibilité d’aller plus loin qu’un simple chiffrage, qui ne permet pas de prendre en compte les interactions entre les propositions du NFP et donc la trajectoire qu’il souhaite impulser à la société. Nous fournissons ici une représentation stylisée de cette trajectoire à l’aide d’une simulation macroéconomique, en prenant en compte l’essentiel des interactions entre toutes les variables en jeu : salaires, prix, emploi, investissements publics, dettes privées et publiques, inégalités, pollution etc. Voici la liste des mesures testées : Les investissements publics et la création de nouveaux emplois publics ; Le passage à la semaine de 32 h ; L’amorce d’une bifurcation écologique selon les lignes directrices indiquées infra (cf. section 3) ; La réforme de l’impôt sur le revenu et sur le patrimoine ; Le retour à l’âge de départ à la retraite à 62 ans ; La revalorisation du SMIC à 1 600 euros/mois ; Le déploiement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Pour tester ces mesures, nous avons utilisé le modèle Eurogreen[1] (construit en vue de simuler des scénarios de transition de l’économie française) actualisé au contexte de 2024[2]. Afin d’isoler l’effet des mesures du programme du NFP sur l’économie française entre 2024 et 2025, nous avons d’abord conçu un scénario de référence à partir des projections de la Banque de France. Il s’agit essentiellement d’un prolongement des tendances observées au cours des dernières années. Le contraste serait encore plus saisissant s’il était possible de simuler l’impact du « programme » du RN, lequel est trop flou pour se prêter au moindre chiffrage. Fig. 1 Simulation des effets macroéconomiques du programme économique du NFP Parcourue de gauche à droite et de haut en bas, la Figure 1 fournit les enseignements suivants. Elle confirme tout d’abord l’effet positif de l’ensemble des mesures considérées sur le revenu national[3]. Elle quantifie l’importante baisse des émissions de gaz à effet de serre à laquelle conduira ce programme (60 millions de tonnes en moins en 2030, ce qui respecte les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) : -40 % d’émissions de GES par rapport à 1990). Elle montre que l’inflation restera très proche de la cible d’inflation annuelle de 2 %. Après un pic de 1 point de PIB supplémentaire par rapport au scénario de référence, le déficit public descendra à +3 % du PIB en 2030, au lieu de +6 % dans le scénario de référence. Ce pic initial correspond à l’enclenchement d’un cercle vertueux de relance par la dépense publique, dont les fruits sont récoltés sur les années suivantes. Par conséquent, grâce au programme du NFP, le rapport entre dette publique sur PIB sera de 10 points inférieur en 2030 au niveau qu’il atteindrait en prolongement de tendance. Enfin, la balance commerciale est la seule variable macroéconomique affectée négativement par rapport au scénario de référence. Le déficit de la balance commerciale se creuserait en effet de 0,8 % du PIB du fait de la hausse des importations provoquée par l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages, dont le surcroît de consommation est en partie absorbé par les producteurs étrangers. La mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières aligné sur les prix de l’EU ETS[4] et son élargissement à un plus grand nombre de secteurs[5] (dont nous n’avons pas tenu compte dans nos simulations), ou encore d’une taxe kilométrique sur les produits importés, permettrait vraisemblablement de limiter cet effet, en plus de lutter contre le dumping social et environnemental. Quant à la productivité du travail dans l’industrie, elle sera stimulée par le passage à la semaine de 32 heures, comme ce fut déjà le cas lors du passage à 35 heures. L’effet redistributif du programme du NFP est

Par Giraud G., Souffron C., Bordenave M., Kerlero de Rosbo G., Desquinabo N., Dufrêne N., Driouich R., Ramos P., Dicale L., Kleman J.

27 juin 2024

Débat des candidats : le fact-checking Le fact-checking détaillé du débat que nous avons organisé avec les candidats aux européennes

Introduction Cet article rend compte des inexactitudes factuelles et déformations prononcées lors du débat électoral européen du 22 mai 2024, organisé par l’Institut Rousseau, en partenariat avec Alternatives économiques, Vert, le média et l’école des Mines de Paris. Ce débat a fait intervenir : – Jean Marc Germain (PS – Place Publique) – Pascal Canfin (Re) – Marina Mesure (LFI) – Flora Ghebali (Les Écologistes) La cellule de fact-checking, tant en live qu’à l’issue du débat a été co-animée par l’Institut Rousseau et QuotaClimat. Elle était composée de : – Guillaume Kerlero de Rosbo, directeur Transition écologique de l’Institut Rousseau – Jean Sauvignon, responsable baromètre de l’association QuotaClimat – Titouan Rio, bénévole QuotaClimat – Lucien Mathieu, responsable voitures à Transport & Environnement (sujet Transport) – Nicolas Desquinabo, expert en politiques publiques (sujet Logements) – Hervé Guyomard, directeur de recherche à l’INRAE (sujets Agriculture) – Serge Besanger, enseignant-chercheur à l’ESCE (sujets Commerce International) – William Honvo, professeur d’économie et de finances publiques (sujets Financement) – Nicolas Dufrene, directeur de l’Institut Rousseau (sujet Financement) – Philippe Ramos, chargé de plaidoyer à Positive Money Europe (sujets Financement) Le débat dans son intégralité est à retrouver ici : Europe, climat, économie : le débat des candidats (version avec fact-checking). Des bandeaux annonçant les fact-checking détaillés ci-dessous sont intégrés à la vidéo. Sur le sujet des Transports LFI – Marina Mesure L’UE favorise la route et l’aviation. La privatisation du ferroviaire a engendré une augmentation du prix des billets et une disparition des petites lignes. 15’12’’ – Inexact : privatisation et libéralisation sont deux choses différentes. La mise en concurrence imposée par l’UE n’implique pas forcément une privatisation, qui relève de l’autorité publique nationale. Cette mise en concurrence peut dans certains cas faire monter les prix, mais elle peut également les faire baisser. Au Royaume-Uni, les prix ont très fortement augmenté mais suite à une privatisation totale du ferroviaire sans soutien de l’Etat sur le prix des billets. Source : https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/vrai-ou-fake-l-ouverture-du-rail-a-la-concurrence-fait-elle-baisser-le-prix-des-billets-de-trains_5885759.html&sa=D&source=docs&ust=1716487803230386&usg=AOvVaw35z1qZVXvEO5PmGFG7k3go   Propose un pass interrail européen pour les jeunes 16”12 – À préciser (déjà existant) : le pass interrail européen pour les jeunes existe déjà PS – PP – Jean-Marc Germain La libéralisation du fret a engendré baisse des flux et hausse des prix. 18’38’’ – Incomplet : la libéralisation n’est pas seule en cause dans la baisse des flux et la hausse des prix, le manque d’investissement et les gains en compétitivité du secteur routier sont également responsables. Source : https://www.transportenvironment.org/topics/rail&sa=D&source=docs&ust=1716495334742427&usg=AOvVaw0nlNsDEmrnpj5WgXjdVLIC   Renaissance – Pascal Canfin Il n’y a aucune chance que la fiscalité sur le kérosène se réalise car il y a toujours un pays qui sera contre. L’aviation a donc été intégrée dans le marché du CO2 en se servant de la majorité qualifiée pour éviter le droit de véto, une raison de la fin du régime dérogatoire. 25’42’’ – Vrai, à nuancer : en effet, le droit de véto peut bloquer une fiscalité globale. Plusieurs pays peuvent en revanche se mettre d’accord pour les vols les concernant. De plus, les Etats peuvent fixer une éco-contribution sur les billets au départ de leur territoire, comme c’est le cas en France depuis 2019. Dans ce cas, c’est du ressort de la politique nationale. Sources: https://www.i4ce.org/wp-content/uploads/2022/07/I4CE-Etude-EvalClimat360%25C2%25B0BudgetEtat-1.pdf&sa=D&source=docs&ust=1716486511321690&usg=AOvVaw1InvZzI0Dee3Lg4KBbZSXr https://www.ouest-france.fr/economie/transports/avion/leurope-ne-parvient-pas-a-taxer-le-kerosene-des-avions-la-france-quelle-le-fera-seule-9f51aa9a-3149-11ee-895b-b99bc8a96af7&sa=D&source=docs&ust=1716493721638038&usg=AOvVaw3Y6jZo-pwqEvAgdR8biJJC Sur le sujet des Logements Renaissance – Pascal Canfin Personne ne dépensera 40 000€ pour développer un patrimoine qui en vaut 100 000€ 31’46’’ – Faux : Dans le cas (rare) des petites maisons « passoires » à 100 000 euros, il y a justement une forte rationalité économique à engager une rénovation « profonde » de 40 000 euros car : Selon l’étude des notaires sur la valeur verte, les biens passant d’une étiquette F-G à B bénéficient d’une valorisation de 20 à 36% https://www.notaires.fr/fr/actualites/la-valeur-verte-des-logements-en-2022-et-tendances-2023 Dès le premier hiver, les gains sur les factures énergétiques pourront dépasser 1500 euros/an (ex. I4CE pp.22-23) https://www.i4ce.org/wp-content/uploads/2023/10/La-transition-est-elle-accessible-a-tous-les-menages.pdf Le frein principal à ces travaux est qu’ils concernent principalement des ménages modestes sans épargne ni accès au crédit, d’où les aides et avances « Sérénité / Rénovation d’ampleur » puis « Parcours accompagné » mis en place par…Renaissance en France https://www.economie.gouv.fr/particuliers/maprimerenov-parcours-accompagne-tout-savoir-sur-cette-aide https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F35083 Quand Emmanuel Macron est arrivé à l’Élysée, 80% de Ma Prime Rénov profitait aux ménages riches, aujourd’hui c’est 80% pour les ménages précaires, essentiellement grâce aux réformes du gouvernement. 33’09’’ – Faux : en 2023 70% des bénéficiaires de Ma Prime Rénov’ étaient des ménages “modestes”, mais seulement 46% des “très modestes”, correspondant donc aux 80% pour les ménages “précaires” annoncés. Sources : https://www.anah.gouv.fr/sites/default/files/2023-07/20230127_Reporting-MPR-filiere-bilan-2022.pdf https://www.anah.gouv.fr/sites/default/files/2024-01/202401_ChiffresCles2023_WEBA.pdf   Les Écologistes – Flora Ghebali Passer de 0,2% de rénovation annuelle aujourd’hui à 2% pour rénover tous les logements à horizon 2050 et atteindre les objectifs de neutralité carbone. 35’39’’ – Imprécis : le taux de rénovation énergétique annuel au sens large est nettement plus élevé (12,3% des logements), le taux de 0,2% évoqué correspond probablement aux rénovations “profondes”, entraînant plus de 60% de gains énergétiques. Par ailleurs, la cible de 2% pour rénover tous les logements à horizon 2050 est correcte. Sources : https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/97d6a4ca-5847-11ea-8b81-01aa75ed71a1/language-en/format-PDF/source-119528141 On peut créer 110 000 emplois rien qu’avec la rénovation énergétique d’après le Shift Project. 36’ – Vrai : selon le Plan de Transformation de l’Économie Française (PTEF) Source : https://theshiftproject.org/plan-de-transformation-de-leconomie-francaise-focus-sur-le-logement-individuel-et-collectif/   LFI – Marina Mesure 30% c’est la couverture actuelle proposée à un ménage pour la rénovation de son logement. 38’10’’ – Faux : le taux de 30% est loin d’être la moyenne : en France le taux d’aide pour une rénovation d’ampleur va de 30% à 90%, avec un plafond de 40 000€ à 70 000€ selon cas de figures. Dans les autres pays, les taux d’aide sont très variables, mais le plus souvent supérieurs à 30% pour les rénovations “d’ampleur” des ménages modestes, hormis en Allemagne où les taux d’aides à la rénovation énergétique sont pour la plupart inférieurs à 30%. Sources : https://www.anah.gouv.fr/sites/default/files/2024-02/202402_Guide_des_aides_WEBA.pdf https://www.energieheld.de/foerderung/institute-anbieter/beg-aenderungen-2024   À Marseille, les charges de certains HLM ont augmenté de 300%. 38’59’’ – Difficile à vérifier : en effet, une affaire médiatisée en 2023 fait mention de 200% d’augmentation pour certains locataires d’un bailleur spécifique à Marseille. Source :

Par Kerlero de Rosbo G., Desquinabo N., Dufrêne N., Ramos P.

27 mai 2024

Comment améliorer le traitement des enjeux écologiques dans les médias ?

Introduction générale Les crises écologiques engendrent déjà de nombreux bouleversements. Le GIEC estime que 3,3 à 3,6 milliards d’individus sont déjà en situation de vulnérabilité. Entre le 1er juin et le 22 août 2022, l’INSEE évalue à 11 000 la surmortalité en France vraisemblablement liée aux vagues de chaleur successives, par rapport à la même période en 2019. Au Pakistan, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), 33 millions de Pakistanais ont été touchés par les inondations dévastatrices de ce même été, provoquant 8 millions de déplacés climatiques, 1500 disparus, 3,5 millions d’hectares de cultures perdus et la destruction de nombreuses infrastructures. Face au coût exorbitant de l’inaction, l’impérieuse nécessité d’agir n’est plus à démontrer. L’ordre mondial se trouve donc fragilisé par des crises s’amplifiant rapidement pour lesquelles notre capacité d’anticipation, et donc de protection, diminue. Face à ces bascules importantes, les médias ne sont pas à la hauteur de l’urgence écologique. Seulement 3,6 % des contenus médiatiques pendant la campagne électorale présidentielle de 2022 portaient sur les questions climatiques.[1] À titre de comparaison, le Covid-19 a occupé jusqu’à 74,9 % du temps d’antenne[2]. De même, dans le secteur audiovisuel, seuls 0,8% des reportages ont été consacrés aux enjeux écologiques depuis 2013[3]. Bien que le traitement médiatique de l’écologie ait triplé depuis les années 1990[4], cette proportion apparaît encore insuffisante au regard des faits et enjeux liés au franchissement des limites planétaires (dérèglement climatique, érosion vertigineuse de la biodiversité, perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, changements d’utilisation des sols, acidification des océans, utilisation mondiale de l’eau, appauvrissement de l’ozone stratosphérique, augmentation des aérosols dans l’atmosphère, introduction d’entités nouvelles dans la biosphère) et à la raréfaction des ressources déjà à l’œuvre. À cela s’ajoute le cadrage médiatique des enjeux écologiques, souvent cantonné à des rubriques dédiées. Si cette organisation en silos est censée faciliter l’accès à l’information thématique, elle contribue néanmoins à isoler l’information et à ne la transmettre qu’à une portion réduite et déjà sensibilisée de la population. Par ailleurs, ce traitement va à l’encontre de la dimension systémique des enjeux écologiques, possédant des ramifications transversales dans diverses rubriques (économie, politique, société, agriculture, santé, etc…). De plus, de nombreux médias français favorisent la fabrique du doute en ne distinguant pas les faits des opinions. Cela a notamment pu alimenter “une polarisation de l’opinion publique, avec des répercussions négatives pour la politique climatique”, expliquent les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il souligne ainsi le rôle majeur des médias : “Les médias peuvent avoir un impact significatif pour faire progresser la conscience climatique et la légitimité des actions engagées. Ils cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique, ils ont un rôle crucial dans la perception qu’en a le public, sa compréhension et sa volonté d’agir”. Les médias, par leur mission d’informer les citoyens sont, à ce titre, des acteurs démocratiques essentiels pour la reconstruction écologique de nos sociétés. Il est impératif que chaque citoyen, quels que soient les médias qu’il consulte, puisse avoir accès à un niveau d’information suffisant et qualitatif sur des enjeux aussi vitaux. Or, l’édition 2022 de l’étude “Fractures Françaises” (Ipsos-Sopra Steria) révèle que si 90 % des Français considèrent que “nous sommes en train de vivre un changement climatique”, 39 % doutent encore de l’origine anthropique de cette crise. Il existe pourtant un consensus scientifique mondial sur cette question. Il y a donc urgence à informer davantage et mieux. En outre, de nombreux médias français publient des contenus éditoriaux contradictoires. En parallèle de la publication d’articles, de reportages et d’émissions traitant des enjeux écologiques, ils publient des contenus relatifs à des modes de vie ou des imaginaires allant à l’encontre des préconisations scientifiques permettant de faire face à l’urgence. Ces contenus éditoriaux sont également insatisfaisants dans la façon dont ils font le lien entre les causes de la crise écologique et ses effets. Au-delà des contenus éditoriaux, les contenus publicitaires faisant la promotion de biens ou de services défavorables à l’environnement, nuancent la portée des messages transmis concernant l’urgence écologique. Cette inadéquation entre contenus éditoriaux et publicitaires, contribue à une dissonance cognitive portant préjudice à la compréhension et la perception des enjeux. Ce traitement déséquilibré des enjeux délégitime les décisions publiques et met à mal l’engagement citoyen. La transformation des médias se justifie doublement, à la fois dans l’intérêt public mais également dans l’intérêt du public. L’intérêt public, général, n’est plus à démontrer tant les conséquences de la crise écologique sont manifestes et tangibles. Or, les médias offrent souvent une analyse des faits partielle, voire erronée, comme nous avons pu le voir ces précédentes années avec le traitement des vagues de chaleur en France. Malgré leurs conséquences sanitaires (mortalité), agricoles et économiques, ces catastrophes sont encore traitées avec une connotation positive dans les médias[5]. L’intérêt du public est bien présent puisque les Français font de l’environnement leur seconde priorité, tout en estimant que les médias et les journalistes n’accordent “pas assez de place” aux questions posées par le changement climatique et l’environnement. Il est donc urgent que le traitement médiatique des enjeux écologiques progresse. Des évolutions sont d’ores-et-déjà perceptibles. En septembre 2022, Radio France a annoncé son « Tournant » écologique engageant à la fois la formation des journalistes, la transformation des contenus éditoriaux et publicitaires et l’amélioration de la performance écologique interne. Le 14 septembre 2022, un collectif de journalistes a publié une Charte “Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique”, composée de 13 engagements. La charte a été signée par plus de 1 500 journalistes et 120 rédactions, attestant du souhait de la profession d’améliorer ses pratiques en matière d’écologie. Retrouvez ici la proposition de loi relative à la responsabilité des médias dans le traitement des enjeux environnementaux et de durabilité Tout en saluant les récents engagements des journalistes en faveur d’un traitement médiatique plus sérieux de la crise écologique, la réponse à cet enjeu ne peut reposer que sur le seul volontariat. La réglementation est l’un des outils les plus adéquats pour garantir aux

Par Prosperi J., Ramos P., Vernières A., Morel E., Magat A., Dufrêne N.

19 juillet 2023

Proposition de loi relative à la responsabilité des médias dans le traitement des enjeux environnementaux et de durabilité

EXPOSÉ DES MOTIFS Les crises écologiques engendrent déjà de nombreux bouleversements. Le GIEC estime que 3,3 à 3,6 milliards d’individus sont déjà en situation de vulnérabilité. Entre le 1er juin et le 22 août 2022, l’INSEE évalue à 11 000 la surmortalité en France vraisemblablement liée aux vagues de chaleur successives, par rapport à la même période en 2019. Au Pakistan, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), 33 millions de Pakistanais ont été touchés par les inondations dévastatrices de ce même été, provoquant 8 millions de déplacés climatiques, 1500 disparus, 3,5 millions d’hectares de cultures perdus et la destruction de nombreuses infrastructures. Face au coût exorbitant de l’inaction, l’impérieuse nécessité d’agir n’est plus à démontrer. L’ordre mondial se trouve donc fragilisé par des crises s’amplifiant rapidement pour lesquelles notre capacité d’anticipation, et donc de protection, diminue. Face à ces bascules importantes, les médias ne sont pas à la hauteur de l’urgence écologique. Seulement 3,6 % des contenus médiatiques pendant la campagne électorale présidentielle de 2022 portaient sur les questions climatiques.[1] À titre de comparaison, le Covid-19 a occupé jusqu’à 74,9 % du temps d’antenne[2]. De même, dans le secteur audiovisuel, seuls 0,8% des reportages ont été consacrés aux enjeux écologiques depuis 2013[3]. Bien que le traitement médiatique de l’écologie ait triplé depuis les années 1990[4], cette proportion apparaît encore insuffisante au regard des faits et enjeux liés au franchissement des limites planétaires (dérèglement climatique, érosion vertigineuse de la biodiversité, perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, changements d’utilisation des sols, acidification des océans, utilisation mondiale de l’eau, appauvrissement de l’ozone stratosphérique, augmentation des aérosols dans l’atmosphère, introduction d’entités nouvelles dans la biosphère) et à la raréfaction des ressources déjà à l’oeuvre. À cela s’ajoute le cadrage médiatique des enjeux écologiques, souvent cantonné à des rubriques dédiées. Si cette organisation en silos est censée faciliter l’accès à l’information thématique, elle contribue néanmoins à isoler l’information et à ne la transmettre qu’à une portion réduite et déjà sensibilisée de la population. Par ailleurs, ce traitement va à l’encontre de la dimension systémique des enjeux écologiques, possédant des ramifications transversales dans diverses rubriques (économie, politique, société, agriculture, santé, etc…). De plus, de nombreux médias français favorisent la fabrique du doute en ne distinguant pas les faits des opinions. Cela a notamment pu alimenter “une polarisation de l’opinion publique, avec des répercussions négatives pour la politique climatique”, expliquent les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il souligne ainsi le rôle majeur des médias : “Les médias peuvent avoir un impact significatif pour faire progresser la conscience climatique et la légitimité des actions engagées. Ils cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique, ils ont un rôle crucial dans la perception qu’en a le public, sa compréhension et sa volonté d’agir”. Les médias, par leur mission d’informer les citoyens sont, à ce titre, des acteurs démocratiques essentiels pour la reconstruction écologique de nos sociétés. Il est impératif que chaque citoyen, quels que soient les médias qu’il consulte, puisse avoir accès à un niveau d’information suffisant et qualitatif sur des enjeux aussi vitaux. Or, l’édition 2022 de l’étude “Fractures Françaises” (Ipsos-Sopra Steria) révèle que si 90 % des Français considèrent que “nous sommes en train de vivre un changement climatique”, 39% doutent encore de l’origine anthropique de cette crise. Il existe pourtant un consensus scientifique mondial sur cette question. Il y a donc urgence à informer davantage et mieux. En outre, de nombreux médias français publient des contenus éditoriaux contradictoires. En parallèle de la publication d’articles, de reportages et d’émissions traitant des enjeux écologiques, ils publient des contenus relatifs à des modes de vie ou des imaginaires allant à l’encontre des préconisations scientifiques permettant de faire face à l’urgence. Ces contenus éditoriaux sont également insatisfaisants dans la façon dont ils font le lien entre les causes de la crise écologique et ses effets. Au-delà des contenus éditoriaux, les contenus publicitaires faisant la promotion de biens ou de services défavorables à l’environnement, nuancent la portée des messages transmis concernant l’urgence écologique. Cette inadéquation entre contenus éditoriaux et publicitaires, contribue à une dissonance cognitive portant préjudice à la compréhension et la perception des enjeux. Ce traitement déséquilibré des enjeux délégitime les décisions publiques et met à mal l’engagement citoyen. La transformation des médias se justifie doublement, à la fois dans l’intérêt public mais également dans l’intérêt du public. L’intérêt public, général, n’est plus à démontrer tant les conséquences de la crise écologique sont manifestes et tangibles. Or, les médias offrent souvent une analyse des faits partielle, voire erronée, comme nous avons pu le voir ces précédentes années avec le traitement des vagues de chaleur en France. Malgré leurs conséquences sanitaires (mortalité), agricoles et économiques, ces catastrophes sont encore traitées avec une connotation positive dans les médias[5]. L’intérêt du public est bien présent puisque les Français font de l’environnement leur seconde priorité, tout en estimant que les médias et les journalistes n’accordent “pas assez de place” aux questions posées par le changement climatique et l’environnement. Il est donc urgent que le traitement médiatique des enjeux écologiques progresse. Des évolutions sont d’ores-et-déjà perceptibles. En septembre 2022, Radio France a annoncé son « Tournant » écologique engageant à la fois la formation des journalistes, la transformation des contenus éditoriaux et publicitaires et l’amélioration de la performance écologique interne. Le 14 septembre 2022, un collectif de journalistes a publié une Charte “Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique”, composée de 13 engagements. La charte a été signée par plus de 1 500 journalistes et 120 rédactions, attestant du souhait de la profession d’améliorer ses pratiques en matière d’écologie. Tout en saluant les récents engagements des journalistes en faveur d’un traitement médiatique plus sérieux de la crise écologique, la réponse à cet enjeu ne peut reposer que sur le seul volontariat. La réglementation est l’un des outils les plus adéquats pour garantir aux individus le droit à l’information sur l’environnement, un droit à valeur constitutionnelle. Aussi, notre Constitution affirme le caractère inaliénable de la

Par Prosperi J., Ramos P., Vernières A., Morel E., Magat A., Dufrêne N.

19 juillet 2023

Intégration des enjeux climatiques dans la politique monétaire de la Banque centrale européenne : après ces premiers pas, la route reste encore longue La BCE reconnait son rôle en matière de risque climatique : il était temps !

« La Banque centrale européenne prend de nouvelles mesures visant à intégrer le changement climatique à ses opérations de politique monétaire ». Tel est le titre du communiqué que la BCE vient de publier[1]. Les dispositions suivantes seront mises en œuvre : La BCE intégrera désormais des critères relatifs à la performance climatique des entreprises dans le cadre de son programme d’achat d’obligations d’entreprises (« Corporate Sector Purchase Program », CSPP). La BCE limite la part des titres liés à des entreprises polluantes admise comme garantie des emprunts des banques auprès des banques centrales des États européens, sous la forme d’une décote automatique de la valeur des titres les plus vulnérables aux risques climatiques[2]. La BCE contrôlera le respect par les entreprises de l’obligation de publier leurs informations climatiques (directive dite « Corporate Sustainability Reporting », CSRD), sous peine de les exclure de ses mécanismes de garantie de crédit. La BCE renforcera ses efforts d’évaluation et de gestion des risques climatiques, notamment par la mise en place d’un ensemble de normes communes pour intégrer les risques liés au climat dans les notations produites par les systèmes d’évaluation du crédit par les banques centrales nationales. L’Institut Rousseau se réjouit de constater que la BCE sort de son positionnement attentiste en matière de risque climatique. Pour la première fois, celle-ci reconnait explicitement la nécessité de prendre en compte le changement climatique dans ses opérations de politique monétaire, à rebours du ferme attachement au principe de neutralité des marchés qu’elle brandissait jusqu’alors pour justifier son manque de volontarisme à l’égard des enjeux climatiques. La BCE et ses dirigeants reconnaissent finalement le rôle primordial et moteur qu’ils doivent jouer dans l’indispensable transition que doit mener le système financier, au-delà des déclarations de principe. Ceci en particulier dans la juste appréciation des risques que constituent les actifs échoués, ces prêts mis en place à destination des filières dépendantes du charbon, du pétrole et gaz, et qui pâtiront de la transition écologique à venir (voir la note de l’Institut Rousseau qui traite du risque que représentent particulièrement les actifs fossiles : « Actifs fossiles, les nouveaux subprimes »[3]). Si les actions associées ne sont pas suffisamment ambitieuses, les déclarations de la BCE ne constitueront que les perles d’un très beau collier La BCE admet finalement la validité des arguments des économistes qui appelaient intégrer les risques climatiques au cadre de politique monétaire européen – comme l’Institut Rousseau l’a fait dans nombre de ses travaux. Les raisons énoncées par la BCE pour justifier ce changement, toutes pertinentes et justifiées, ne constituent toutefois à ce stade que les perles d’un très beau collier. Ainsi, la BCE reconnait que l’inclusion de critères liés aux risques climatiques permettra de « réduire le risque financier lié au changement climatique dans le bilan de l’Eurosystème ». Elle se dit prête à « soutenir la transition écologique de l’économie » pour permettre un « alignement sur les objectifs de l’Accord de Paris et les objectifs de neutralité climatique de l’UE » (voir à ce sujet le rapport de l’Institut Rousseau sur les investissements nécessaires pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050[4]). La BCE cite également la nécessité d’« intégrer les questions liées au changement climatique au cadre de politique monétaire de l’Eurosystème » et enfin d’« inciter les entreprises et les établissements financiers à faire preuve de davantage de transparence en ce qui concerne leurs émissions de carbone, et à les réduire » (voir à ce sujet la note de l’Institut Rousseau appelant à une réforme de la règlementation financière en matière de climat[5]). On pourrait croire, à la lecture de ce communiqué, qu’au-delà des grandes déclarations de principe, la BCE et ses dirigeants prennent enfin conscience du rôle moteur et primordial qui doit être le leur dans la réorientation des flux financiers vers des produits soutenables du point de vue écologique, et dans la meilleure appréciation des risques que constituent les actifs « échoués » mentionnés plus haut. Les premiers pas effectués par la BCE démontrent effectivement un revirement de doctrine bienvenu, qui était attendu depuis que la revue stratégique de politique monétaire[6] en juillet dernier avait posé les prémisses d’une modification du cadre d’intervention, sans pour autant que la BCE accepte de renoncer à la doctrine de la « neutralité de marché ». Cette notion désigne le principe selon lequel la BCE s’efforçait jusqu’à présent d’investir dans des actifs financiers qui représentent fidèlement la masse de titres financiers en circulation, afin de ne pas créer de distorsion sur les marchés. Cela l’a empêchée jusqu’ici d’imposer des critères écologiques dans ses stratégies d’investissement. Le communiqué du 4 juillet 2022 représente donc un tournant majeur, en ce que la BCE reconnait pour la première fois explicitement la nécessité de prendre en compte le changement climatique dans ses opérations de politique monétaire, à rebours, peut-on espérer, du ferme attachement au principe de neutralité de marché dont elle fait encore preuve. Cette modification traduit un changement profond dans la manière d’envisager les risques climatiques et environnementaux, et reflète un consensus concernant la légitimité de l’action de la BCE dans le cadre de son mandat actuel pour lutter contre les dérèglements climatiques et favoriser la transition. Toutefois, cette première avancée notable ne doit pas éclipser le fait que ces annonces demeurent pour l’heure largement insuffisantes au vu de l’ampleur considérable des changements à mener, et de l’urgence de la tâche. Le périmètre et les délais de mise en œuvre des mesures annoncées : limites majeures de l’initiative de la BCE Concernant les programmes d’achat, il faudra savoir ce que la BCE entend par « des émetteurs présentant de bons résultats climatiques » vers lesquelles elle veut orienter ses réinvestissements. La définition donnée, à savoir les entreprises ayant « une bonne performance climatique (qui) sera caractérisée par de faibles émissions de gaz à effet de serre, des objectifs ambitieux de réduction des émissions de carbone et des déclarations satisfaisantes en matière de climat », est très large et particulièrement floue. Elle devra notamment être précisée afin d’exclure les entreprises dont les plans d’alignement sont trop peu crédibles et relèvent avant tout d’une démarche de « greenwashing ». L’une des limites principales de la mesure

Par Dicale L., Saviuc A., Dufrêne N.

16 juillet 2022

2% pour 2°C ! Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050

Résumé exécutif du rapport 2 % pour 2°C : Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050. La conférence de présentation du rapport peut-être visionnée entièrement sur notre chaîne YouTube. Le rapport complet est disponible en téléchargement. Au cours des dernières années, nous avons fixé des objectifs ambitieux pour le climat. Nous avons multiplié les accords internationaux, les lois et les stratégies nationales. Mais les résultats ne suivent pas : nos émissions baissent trop lentement. Une des causes principales de cet échec est que la reconstruction écologique de nos sociétés se heurte au mur de l’argent. Or, atteindre la neutralité carbone suppose, certains y verront un paradoxe au regard de l’impératif de sobriété, de nombreux investissements. Mais combien, exactement ? On pourrait imaginer que ce chiffrage existe déjà : en effet, comment penser des stratégies nationales bas carbone (SNBC) ou des programmations pluriannuelles pour l’énergie (PPE) sans aborder simultanément la question des moyens budgétaires et financiers nécessaires pour les atteindre ? Or, cela peut paraître surprenant, mais ce « recensement » n’existe tout simplement pas, malgré des tentatives éparses et incomplètes d’organismes publics ou privés de fournir des données. Cela nous conduit inévitablement à une forme de double discours en matière d’environnement : celui qui consiste à promettre beaucoup en matière d’objectifs, tout en mobilisant peu au niveau des financements. C’est à ce problème majeur pour la réussite de la transition bas-carbone et pour le débat démocratique et économique que ce rapport entreprend de s’attaquer. Notre objectif final, la raison d’être de ce rapport, est d’associer aux leviers de décarbonation de l’économie les moyens financiers nécessaires pour les réaliser. Nous chiffrons ces investissements, publics et privés confondus, à 182 milliards d’euros par an, dont 57 milliards d’euros par an en plus des investissements déjà prévus dans un scénario tendanciel, ce qui comprend aussi bien les dépenses « vertes » actuelles que celles dont nous pouvons anticiper la réorientation (par exemple les investissements actuels dans les véhicules thermiques seront transformés en investissements dans des véhicules électriques). Ces investissements supplémentaires représentent 2,3 % du PIB de la France en 2021. C’est ce qui donne le titre de notre rapport : 2 % du PIB d’investissements publics et privés supplémentaires sont nécessaires chaque année pour tenir notre engagement de neutralité carbone et faire notre juste part pour limiter le réchauffement à 2 degrés ! Précisons que ces « investissements » ne sont pas à considérer au sens économique strict du terme : il s’agit en réalité de l’ensemble des dépenses publiques et privées nécessaires pour atteindre les objectifs fixés et peuvent prendre la forme d’investissements durs, mais également de subventions, de crédits d’impôts, d’allégements fiscaux, d’aides à l’installation ou à la reforestation, de l’acquisition de biens par des ménages, etc. Sur ces 57 milliards d’euros supplémentaires, 36 milliards d’euros d’investissements devraient être pris en charge par l’État. 36 milliards d’euros par an d’argent public supplémentaire pour atteindre la neutralité carbone : qu’est-ce que c’est pour le budget de l’État ? C’est à peu près ce que paie chaque année l’État aux banques et autres investisseurs en remboursement des intérêts de sa dette publique (38 milliards d’euros pour 2022, plus de 40 milliards d’euros pendant les années 2010). C’est nettement moins que ce qu’on dépense chaque année pour la défense (50 milliards d’euros) ou que ce que les actionnaires privés ont perçu en dividendes en 2019 (49,2 milliards d’euros). Et c’est un peu moins que le premier plan d’urgence budgétaire mis en place dès le début de la pandémie en mars 2020 (42 milliards d’euros). Pour le climat aussi, il nous faut un plan d’urgence, dès maintenant et pour les années à venir. Quelques points de comparaison du surcoût public de l’ensemble des mesures proposées   Ces investissements publics et privés que nous requérons n’ont donc rien d’insurmontable : ils permettraient bien au contraire d’enclencher une dynamique vertueuse pour l’environnement, l’emploi, la santé et in fine la prospérité de nos concitoyens. Quelques précisions importantes pour bien comprendre le cadre de notre étude. Tout d’abord, cette dernière est centrée sur les investissements publics et privés qui permettront de réduire suffisamment les émissions de gaz à effet de serre de la France pour atteindre une neutralité carbone d’ici trente ans. Par conséquent, notre étude ne prend pas en compte l’ensemble des investissements qui seraient nécessaires à une politique complète de reconstruction écologique (préservation de la biodiversité et lutte contre la sixième extinction de masse que nous connaissons, reconstruction des réseaux d’eau, dépollution chimique des sols et des procédés, etc.), encore que plusieurs investissements étudiés contribuent aussi à agir sur ces fronts. Notre chiffrage constitue donc un plancher pour atteindre la neutralité carbone mais devrait être revu sensiblement à la hausse en intégrant les autres enjeux écologiques. Ce sera l’objet de travaux ultérieurs. En outre, nous avons évalué le coût de l’investissement en capital (le “Capex”) et avons donc laissé de côté les coûts opérationnels (les “Opex”), beaucoup plus difficiles à évaluer et anticiper. Ensuite, il est important de souligner que notre travail n’est pas d’ordre réglementaire mais plutôt budgétaire : nous ne nous préoccupons pas systématiquement des mesures législatives et réglementaires qui devront nécessairement accompagner le déploiement des investissements. Les mesures réglementaires les plus structurantes, ou constituant des prérequis aux investissements, sont cependant décrites. Enfin, si nous avons pleinement conscience de l’importance des enjeux liés au bon déploiement opérationnel d’une telle transition, l’ensemble des conditions nécessaires au bon déroulement de ce plan d’action chiffré n’est pas systématiquement décrit. Pour mettre en œuvre le plan d’investissement que nous proposons, nous recommandons, avec d’autres acteurs importants du débat, l’élaboration d’une loi de programmation pluriannuelle du financement de la reconstruction écologique (LPFRE), comme il en existe en matière de recherche et de défense, qui permettrait d’opérer une jonction étroite entre les objectifs fixés et les moyens de les atteindre. La plus-value et l’originalité de notre rapport est également de proposer une vision de ce que devrait contenir cette loi de programmation pluriannuelle de financement de la reconstruction écologique, secteur par secteur. Cette vision repose sur

Par Institut Rousseau, Giraud G., Dufrêne N., Nicol C., Kerlero de Rosbo G.

8 mars 2022

Les arguments juridiques en faveur d’une conversion des titres de dette publique détenus par la BCE en investissements verts

À l’heure où la COP 26 s’interroge sur le financement des investissements nécessaires pour réussir la reconstruction écologique de nos sociétés, le sujet de la dette, publique comme privée, apparaît au cœur des réflexions économiques et politiques contemporaines. Le traitement de la dette sera certainement un enjeu majeur des prochaines élections présidentielles de 2022 en France.

Par Dufrêne N., Giraud G., Felter C.

7 novembre 2021

Pour un nouveau mode de création monétaire libre et ciblé sous contrôle démocratique

La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com et nicolas.dufrene@gmail.com. Télécharger le brief en pdf ____ Introduction Le temps est venu de mettre en œuvre des réformes majeures en matière de politique monétaire. La crise sanitaire a en effet confirmé une tendance de fond qui se dessinait déjà très clairement depuis la crise financière de 2008 et la mise en place par les banques centrales de politiques monétaires non-conventionnelles : le soutien monétaire des économies est indispensable mais il crée également des perturbations sur le marché des actifs et alimente les inégalités. Ces défauts qui accompagnent l’expansion de la base monétaire sont-ils inévitables ? Nous pensons que ce n’est pas le cas mais, pour les éviter, il faut s’autoriser à repenser et à élargir les modes de création monétaire. Cela suppose de mettre en œuvre un nouveau mode de création monétaire, et donc de politique monétaire, qui permette non seulement d’éviter ces effets indésirables mais également d’utiliser davantage la monnaie comme outil au service de l’économie réelle et du bien commun. Permettant de briser partiellement le cercle vicieux entre la monnaie et la dette, ce mode création monétaire aboutirait à une monnaie « libre » (c’est-à-dire de la monnaie libérée de la contrainte du remboursement, et donc de la destruction) et « ciblé », ce qui signifie que l’on doit trouver les moyens démocratiques de décider de l’allocation de cette création monétaire complémentaire, là où la politique monétaire actuel n’a absolument aucune prise sur l’emploi de la masse monétaire qu’elle crée. Ce nouveau mode de création monétaire n’aurait pas pour vocation de se substituer au système traditionnel de création monétaire par les institutions financières et monétaires (IFM), mais de le compléter. En effet, la création monétaire par le crédit, qui est devenu le mode privilégié de création monétaire depuis le XIXe siècle, constitue indéniablement un progrès historique en ce sens qu’il permet de passer d’une masse monétaire fixée de manière exogène par la quantité de métaux précieux à un mode de création monétaire anticipant les besoins des acteurs économiques (monnaie endogène). Il n’est toutefois pas sans défaut, notamment du point de vue de l’augmentation continue de la dette, ce qui laisse des marges d’amélioration conséquentes. C’est dans ce cadre que doit être pensée cette idée de la monnaie libre (ou permanente), qui suppose de « désencastrer » une partie de la monnaie de la dette[1]. Il s’agit de l’une des propositions centrales de l’ouvrage « Une monnaie écologique »[2], dont l’auteur de ces lignes est l’un des coauteurs, paru juste avant la crise sanitaire. Elle a depuis été défendue dans plusieurs publications[3]. Cette note a pour objectif de passer en revue les arguments économiques et monétaires justifiant d’instaurer un tel mode de création monétaire, puis de définir les grandes lignes de sa mise en œuvre. I. Echapper au cercle vicieux de l’endettement associé à la création monétaire. Notre système de création monétaire repose actuellement sur les agents bancaires et, plus précisément, sur les banques commerciales (les IFM) et sur la banque centrale. Ce sont ces institutions qui sont dotées d’un pouvoir de création monétaire. Celui-ci ne peut s’exercer qu’avec une contrepartie qui peut prendre différentes formes (crédit, actif financier ou immobilier, matières premières, etc.). Autrement dit, pour créer de la monnaie, un agent bancaire doit respecter les règles de la comptabilité en partie double : à chaque augmentation de son passif (ce qui correspond à de la création de monnaie ex nihilo) doit correspondre une augmentation de son actif (sous forme de prêts le plus souvent, mais aussi, de plus en plus, sous forme d’acquisitions d’actifs). Cela suppose une relation avec un agent économique qui n’est pas une IFM (car entre les IFM il n’y a pas de création monétaire mais simplement des transferts de liquidité sauf lorsqu’il s’agit de la banque centrale). Autrement dit, il existe aujourd’hui deux sources de création monétaire principales de la part des institutions financières monétaires : la première est l’octroi de crédits, la seconde est l’acquisition de titres. Cela a une conséquence directe : puisque la création monétaire s’opère essentiellement par le biais du crédit et des acquisitions de titres (essentiellement des obligations qui donnent lieu à remboursement ultérieurs, notamment pour les emprunts publics), il n’est pas étonnant que la dette progresse parallèlement à l’activité et à la masse monétaire. La dette progresse d’ailleurs toujours plus rapidement que le produit intérieur brut (PIB) car une partie de la monnaie émise ne se retrouve pas instantanément dans les circuits économiques (épargne) ou fuit à l’étranger (en cas de déficit de la balance des paiements). Selon le Fonds monétaire international (FMI), l’endettement public et privé mondial a ainsi atteint le montant inédit de 233 000 milliards d’euros et le ratio dette/PIB mondial a progressé à plus de 355 %. Trois années auparavant, l’endettement mondial ne pesait « que » 250 % du PIB mondial. Comme l’écrit joliment Camille Riquier : « affranchie de toute matière finie, la monnaie révèle la puissance infinie du quantitatif pur »[4]. Peut-on continuer ainsi ? Il serait un peu court de dire que la dette, notamment publique, ne représente jamais un problème. Cela en devient un dès lors que les marges de manœuvre réelles ou supposées des acteurs économiques privées ou publiques s’épuisent. Une dette publique très élevée nous rend vulnérables à une remontée des taux d’intérêts et elle sert d’arguments aux États pour ne pas investir, notamment dans la reconstruction écologique de nos sociétés. Plus fondamentalement, une question se pose : existe-t-il une raison indiscutable pour que la monnaie, qui est notre bien commun à tous et dont les formes sont aujourd’hui entièrement dématérialisées, ne puisse être créée qu’en échange d’une contrepartie sous forme d’endettement ? Ne peut-on briser, au moins partiellement, ce lien automatique entre monnaie et dette et libérer en partie la première de la seconde ? C’est à cela que répond le projet de pouvoir créer de la monnaie « libre » (certains disent « permanente »[5]). Ce faisant, l’introduction de monnaie libre dans le circuit économique permettrait

Par Dufrêne N.

23 juin 2021

Utiliser l’impôt abc pour une réforme d’ampleur en faveur de la justice fiscale

La proposition de réforme globale de la fiscalité de l’Institut Rousseau se fonde sur la note technique décrivant et détaillant le fonctionnement de l’impôt ABC. Cette note a été élaborée par Joseph Enguehard, Gaël Giraud, Éric Levieil et Mathilde Salin. Elle est téléchargeable directement en PDF en cliquant sur le lien suivant : Un outil pour la délibération fiscale : l’impôt abc La présente note complète la note technique de présentation de l’impôt abc qui paraît simultanément. Elle vise à offrir une interprétation politique de ce qu’il pourrait être souhaitable de mettre en œuvre grâce à l’impôt abc. Pour cela, après avoir montré que toute réforme fiscale doit corriger un système de taxation devenu profondément injuste, nous définissons nos paramètres “idéaux” de l’impôt ABC et détaillons nos propositions pour le rendre à la fois plus juste et plus lisible pour les citoyens. Nous replaçons enfin l’ensemble dans une perspective historique afin de montrer en quoi la question de la réforme de l’impôt s’inscrit dans la longue histoire de la souveraineté populaire. En complément de cette note nous proposons un simulateur afin que chaque citoyen puisse proposer la réforme fiscale correspondant le plus, selon lui, à l’intérêt général. Plan. I. L’impôt abc, une réforme pour transformer un système fiscal devenu injuste 1. L’impôt sur le revenu, une taxation devenue injuste 2. L’impôt abc, un moyen de renouer avec la progressivité II. Un impôt plus simple et plus lisible pour tous les citoyens 1. Supprimer les abattements, le PFU et la décote 2. D’autres pistes à explorer pour rendre l’impôt plus juste 3. La question des niches fiscales 4. Lutter contre la fraude et l’optimisation des ultra-riches III. L’impôt abc, un moyen pour le peuple de se réemparer de la question fiscale 1. À l’origine de l’impôt en France, la question du consentement des populations 2. Le moment révolutionnaire et la marche vers plus de justice fiscale 3. Les nouvelles révoltes fiscales et la soif d’une plus juste imposition à l’origine de la nécessité d’une réforme fiscale radicale Glossaire I. L’impôt abc, une réforme pour transformer un système fiscal devenu injuste 1. L’impôt sur le revenu, une taxation devenue injuste En France, l’impôt sur le revenu est historiquement associé à l’idée de progressivité et de justice fiscale. C’est ainsi que Jean Jaurès affirme en 1904 que « l’impôt qui a le plus de chances de porter en effet sur les classes de contribuables aisés auxquelles on l’applique, c’est l’impôt personnel et progressif sur le revenu »[1]. Il reste aujourd’hui l’impôt qui porte la charge symbolique la plus forte auprès des Français. Pourtant, la progressivité, qui doit normalement assurer la justice fiscale de cet impôt et sa fonction redistributrice, n’est aujourd’hui plus guère qu’une vue de l’esprit. Très concrètement, du fait du prélèvement forfaitaire unique (PFU), le taux d’imposition moyen des revenus des plus riches baisse. Par exemple, si le PFU n’avait pas été mis en place, un individu gagnant un million d’euros par an aurait en moyenne acquitté 310 000 euros d’impôt sur le revenu en 2021 (contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR)[2] comprise), mais le PFU a réduit ce montant d’environ un tiers, à 202 000 euros[3]. Considérons maintenant un individu n’ayant que des revenus du capital mobilier : aussi riche qu’il soit, son taux effectif d’imposition au titre de l’impôt sur le revenu et de la CEHR a été plafonné à 16,8 % (12,8 % de PFU plus 4 % de CEHR), soit le taux acquitté par un individu gagnant 4 900 euros par mois si ce dernier n’a que les revenus de son travail. En pourcentage, un milliardaire rentier est donc moins imposé qu’un salarié à 5 000 euros par mois[4]. Le principe même de la progressivité de l’impôt est donc désormais caduc. Ce type de fiscalité illégitime ne fait qu’abîmer encore davantage le consentement de tous face à l’impôt. Outre ce cas particulier, ce constat se confirme lorsque l’on s’intéresse au taux effectif d’imposition d’une personne dont les revenus se décomposent entre revenus du travail, du capital mobilier, etc., selon les proportions moyennes des personnes ayant le même niveau de revenu. Celui-ci ne dépasse pas les 21 %, même si cette personne gagne plusieurs millions d’euros par an et qu’elle est célibataire, qu’elle n’a pas d’enfant et ne bénéficie d’aucune niche fiscale ! En outre, de par la complexité de son mode de calcul, l’impôt est illisible et peut difficilement faire l’objet d’une véritable appropriation démocratique du débat fiscal. Les barèmes par tranches de taux marginal en sont l’illustration parfaite puisque la notion même de taux marginal est souvent confondue avec celle de taux effectif réellement payé. Ainsi, les français peuvent parfois croire que les riches sont imposés sur leurs revenus à 45 %, (le taux marginal de leur impôt en réalité) alors même qu’ils ne le sont au maximum qu’à 21 %. Et ce taux peut même encore être réduit si l’on prend en compte les différentes niches fiscales dont ils pourraient bénéficier… L’impôt abc constitue à ce titre un formidable outil qui nous permet d’imaginer une réforme fiscale de grande ampleur de l’imposition sur les revenus, laquelle poursuivrait le double objectif de rendre l’impôt plus lisible pour l’ensemble des citoyens, ainsi que d’alléger l’imposition des classes moyennes en le finançant par une imposition renforcée des plus aisés, à savoir des 4 % de la population qui touchent les plus hauts revenus. La réforme que nous proposons vise ainsi à alléger l’imposition de tous ceux qui sont rémunérés moins de 6 000 euros par mois, d’accentuer légèrement l’imposition de ceux dont les revenus sont compris entre 6 et 10 000 euros et de les imposer plus fortement au-delà de 10 000 euros. 2. L’impôt abc, un moyen de renouer avec la progressivité L’impôt abc est donné par une formule très simple[5], dans laquelle trois paramètres déterminent le taux effectif d’imposition associé à une assiette fiscale donnée (le « revenu imposable »). Dans le simulateur[6], on prend comme exemple de cette assiette fiscale le revenu d’une personne (soit un impôt abc sur le

Par Bouzol-Broitman B., Dufrêne N., Giraud G., Kuhanathan A., Varenne D.

15 février 2021

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