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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Économie

Faire atterrir le grand déménagement du monde : la mobilité autrement

Pour l’historien des pandémies Patrice Bourdelais, le doublement du trafic aérien entre 2006 et 2018, avec 4,3 milliards de passagers par an, est « l’une des variables essentielles de tous les modèles épidémiologiques »[1]. Le « grand déménagement du monde », en plus d’avoir pour corollaire une explosion des émissions de gaz à effet de serre, est donc un facteur de vulnérabilité inédit. Le rythme des échanges, d’hommes comme de matières, prend de court nos défenses immunitaires et nos systèmes de santé. Transporter moins et mieux : telle est l’une des grandes orientations que devrait prendre « le monde d’après ». Il convient dès lors de dégager des pistes de politique publique réalistes visant à la transition qualitative du secteur du transport, afin de diminuer au maximum son impact environnemental, tout en favorisant l’emploi et la résilience économique de nos acteurs nationaux. Dans cette note, nous verrons quelles voies de sortie de crise sont à privilégier, au sein des secteurs spécifiques que sont les transports maritime, ferroviaire, aérien, et automobile. Ces pistes ne sont évidemment pas exhaustives et doivent être articulées avec le reste des propositions de l’Institut Rousseau. Elles doivent s’inscrire dans un mouvement de relocalisation rapide d’un ensemble de productions stratégiques, inscrit dans un effort de circularisation de l’économie. En effet, sans une baisse globale du volume de marchandises transportées, il est impossible de tenir nos objectifs climatiques. Il s’agit donc d’une condition préalable, dans le cadre d’un monde fini et d’une planète étuve. Encore une fois, et c’est la ligne conductrice de cet ensemble de propositions, il faut faire plus qualitatif et moins quantitatif. C’est d’ailleurs ce que souhaite très largement la population française, puisque 89 % de nos concitoyens souhaitent une relocalisation de l’industrie, « même si cela augmente les prix », et 87 % souhaitent un renforcement de la politique écologique[2].   I) Un secteur des transports en pleine expansion, qui est responsable d’une grande partie des émissions   Le taux d’ouverture économique, c’est-à-dire le rapport de l’activité extérieure (importations et exportations) par rapport au PIB, a triplé depuis les années 60 pour atteindre 34 % en 2007, tant en volume qu’en valeur. Il s’est replié avec la crise de 2008 puis s’est redressé pour atteindre 32 % en 2016. Derrière ces chiffres se cache une réalité physique : les capacités mondiales de transport explosent. Le nombre de navires, d’avions et autres véhicules atteint des sommets, facilitant d’autant le transit des pathogènes. Que ce soit par voie maritime, aérienne ou terrestre (sauf ferroviaire), le pétrole assure 95 % des besoins du transport de marchandises dans le monde. Dans le secteur de l’agriculture, de la sidérurgie et de l’industrie, le pétrole n’assure en revanche que de 20 % des besoins énergétiques. La consommation pétrolière du secteur du transport de marchandises a pratiquement doublé depuis 1973. En France, sur la totalité du volume des produits pétroliers importés, qui grève d’ailleurs notre balance commerciale à hauteur de 35 milliards d’euros[3], plus de la moitié se destine au secteur du transport. Conséquence logique : les transports représentent un quart des émissions mondiales de CO2 en 2016, d’après chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Les trois quarts des émissions liées au transport sont dues aux camions, bus et voitures. La route a ainsi généré 5,85 gigatonnes de CO2 en 2016, selon l’AIE. Une hausse de 77 % depuis 1990. Avec 0,91 gigatonne par an, l’avion arrive deuxième ; il est globalement responsable de 2,8 % des émissions de CO2 dans le monde[4]. En France, le secteur du transport est le plus émetteur avec 30 % des émissions de CO2, loin devant le bâtiment résidentiel et tertiaire (20 %)[5]. Ce chiffre est par ailleurs en hausse de 12 % entre 1990 et 2016, là où nos propres objectifs sont de diminuer de 31 % les émissions du secteur à l’horizon 2033[6]. Selon la Cour des comptes européenne, il sera nécessaire d’investir chaque année, entre 2021 et 2030, 1 115 milliards d’euros pour atteindre les objectifs de l’Union européenne en matière de climat. Cette somme se divise ainsi : 736 milliards d’euros dans le secteur des transports, 282 milliards dans le secteur résidentiel et dans le secteur des services, 78 milliards dans les réseaux et la production énergétique et 19 milliards d’euros dans l’industrie. On voit que le transport est de loin le secteur le plus gourmand en capital. L’effort est de fait particulièrement intense en termes d’adaptation des infrastructures publiques, d’aménagement du territoire et d’acquisition de matériel. Un ensemble d’activités qui doivent être au coeur d’une politique de relance après la crise si la puissance publique se donne les moyens d’un plan de relance ambitieux et articulé à nos impératifs climatiques. Une précédente note de l’Institut Rousseau propose d’ailleurs un ensemble d’outils simples et efficaces pour financer cette reconstruction écologique[7], laissant le décideur public seul face à sa volonté. II) Le transport maritime : redimensionner la flotte mondiale tout en la rendant neutre en carbone   Le secteur maritime est de loin le vecteur le plus déterminant dans l’essor de la mondialisation. Chaque année, le volume de marchandises transporté avoisine les 10 milliards de tonnes, soit une moyenne de 1,3 tonne pour chaque être humain. C’est cinq fois plus qu’il y a cinquante ans. Aujourd’hui, près de 50 000 navires de commerce sillonnent les eaux du monde. Le caractère pléthorique de la flotte de commerce actuelle est aussi son talon d’Achille. La crise de 2008 a plongé l’industrie du transport maritime dans un profond désarroi. Il y a aujourd’hui trop de navires pour trop peu de marchandises à transporter, surtout depuis que la Chine s’est recentrée sur son marché intérieur (elle représente à elle seule 40 % des importations mondiales par voie maritime). Cette surcapacité, conjuguée à la baisse des tarifs de fret et à la pression de la concurrence, a débouché sur des guerres de prix acharnées. Dans ces conditions, de nombreuses compagnies maritimes ne parviennent plus ni à couvrir leurs frais d’exploitation ni à rembourser leurs emprunts. Il est fort probable qu’avec la crise que nous traversons et la potentielle course à la relocalisation qui s’en suivra, beaucoup d’armateurs devront stopper leur activité ou amorcer un

Par Gilbert P.

25 mai 2020

Mettre la politique commerciale au service de l’autonomie stratégique, du climat et de l’emploi

La politique commerciale, que nous avons mise en commun avec le reste des pays européens, permet de fixer des régulations aux échanges avec le reste du monde. Elle pourrait être un levier puissant pour reconstruire notre autonomie stratégique après la crise, créer de l’emploi et exporter des normes environnementales ambitieuses, pourvu qu’on l’utilise à dessein. I. La pandémie de COVID-19 bouleverse le commerce international et pourrait enfin nous pousser à changer notre politique commerciale   1. La pandémie de COVID-19 freine le commerce international et pourrait entraîner une recomposition des chaînes de valeurs mondiales   La pandémie de COVID-19 a considérablement affecté le commerce international qui pourrait reculer de – 32 % en 2020[1], selon les premières projections de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour cause : des industries à l’arrêt, qui enrayent les chaînes de valeurs mondiales passablement fragmentées, des frontières fermées, des transports au ralenti, des pays qui préfèrent stocker leurs marchandises stratégiques (produits alimentaires, équipement médical) plutôt que de les exporter. Les secteurs les plus touchés sont, mis à part le tourisme, ceux qui sont les plus intégrés aux chaînes de valeurs internationales. Pour ces secteurs, les difficultés d’approvisionnement questionnent avec force la pertinence du modèle actuel des chaînes de valeur mondiales, basé sur une fragmentation de la production industrielle impliquant une multitude d’acteurs ultra-spécialisés (les « maillons » de la chaîne) dans plusieurs régions du monde. Un iPhone de la firme Apple est conçu aux États-Unis par des équipes de recherche et développement, ses composants sont produits en Corée et en Europe puis assemblés en Chine. On critique depuis longtemps l’éclatement des chaînes de valeur à travers le globe. Il a un impact nuisible sur l’environnement notamment via la multiplication des transports, provoque des destructions d’emplois au gré des délocalisations[2], construit une hyper-division du travail qui conduit à une perte de sens et de qualité de l’emploi pour des salariés qui ne voient jamais un produit fini, accroît la propagation des chocs économiques dès lors qu’un maillon de la chaîne de valeur fait défaut. La mondialisation économique exacerbée accroît les inégalités sociales. Elle entretient un ressentiment chez les classes moyennes et populaires occidentales fragilisées, exploité par des dirigeants aux discours simplistes et autoritaires[3]. Certains justifiaient encore l’éclatement des chaînes de valeurs à travers le monde par l’optimisation des coûts qui en résultait – bien que le coût des externalités négatives pour l’environnement ou pour l’emploi n’était pas pris en compte – et le bénéfice qu’elle représentait pour le consommateur, ou encore l’émergence économique des pays en développement. Ce n’est plus le cas. Plus la chaîne de valeur est sophistiquée, plus grande est sa vulnérabilité. 94% des 1000 plus grandes entreprises américaines ont vu leur chaîne d’approvisionnement perturbée par le COVID-19 dès le mois de février[4]. Les acteurs économiques intègrent d’ores et déjà à leurs coûts de nombreux nouveaux risques : celui d’une défaillance d’un maillon de la chaîne de valeur, d’une épidémie, de la montée du protectionnisme dans un contexte de recrudescence des tensions commerciales ces dernières années… Dans ce contexte, il n’est pas certain que concevoir un produit aux États-Unis, le faire produire en Corée du Sud puis assembler en Chine avant qu’il soit consommé en Europe soit aussi profitable qu’avant. On peut s’attendre à une régionalisation des chaînes de valeur autour des marchés de consommation finaux (Europe, États-Unis-Canada, Japon-Corée-Chine). Notre politique commerciale doit guider cette recomposition.   2. Elle doit nous permettre (enfin) de repenser notre politique commerciale   En 2008, le refus du protectionnisme est clairement affirmé dès l’aube de la crise. Les pays du G20 s’étaient rapidement entendus pour « rejeter le protectionnisme » et s’abstenir « d’ériger de nouvelles barrières à l’investissement ou au commerce des biens et des services, d’imposer des nouvelles restrictions ou de mettre en œuvre des mesures de stimulation des exportations contraires aux règles de l’OMC »[5]. Ce refus était présenté comme un moyen pour les principales économies de limiter l’impact de la crise et d’accélérer la reprise. Ses défenseurs s’en référaient aux mesures protectionnistes mises en œuvre peu après la crise de 1929 et plus tard pointées comme un facteur aggravant de la grande dépression. Depuis, le consensus économique en Occident a tangué. Les effets néfastes du commerce international sur l’emploi dans les vieilles nations industrielles ont été démontrés par de nombreux économistes, brisant l’apparence d’unanimité en faveur du libre-échange qui semblait régner au sein de la profession. Il y a eu le Brexit et l’élection de Donald Trump. Celle-ci a été le point de départ de fortes tensions commerciales (entre les États-Unis et la Chine, mais aussi entre les États-Unis et l’Europe) qui ont achevé d’annihiler la confiance en un système multilatéral coopératif. La pandémie de COVID-19 arrive dans un contexte radicalement différent de celui de 2008 et offre – malgré tout – une opportunité pour tous ceux qui, depuis de nombreuses années, appellent à freiner le libre-échange, notamment en le soumettant à des normes environnementales et sociales strictes.   II. La refonte de notre politique commerciale européenne se heurte à une culture libre-échangiste et un éclatement des préférences européennes, qui découle notamment de la divergence des intérêts économiques des États membres de l’UE vis-à-vis du reste du monde 1. Une culture libre-échangiste ancrée dans les traités et dans les préférences politiques de nombreux États membres   La politique commerciale européenne, pendant du marché intérieur et de l’union douanière, est formulée conjointement par la Commission européenne (qui négocie avec les États tiers) et les États membres (qui établissent le mandat de négociation donné à la Commission et ratifient les accords commerciaux). Les objectifs qui lui sont fixés par les traités[6] sont tout droit sortis du consensus de Washington, qui accéléra la mondialisation libérale à compter des années 1990. La politique commerciale commune doit contribuer « dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres ». Ces objectifs ont guidé une politique commerciale commune fortement libre-échangiste et très peu

Par Ridel C.

22 mai 2020

Réduire la vulnérabilité de notre économie aux aléas des marchés financiers

Bien que la crise du Coronavirus ne soit pas une crise d’origine financière, elle a révélé des fragilités profondes des marchés financiers et une interdépendance en grande partie non-désirable avec l’économie réelle. Celles-ci trouvent leur source dans la combinaison entre l’exposition élevée des agents financiers, l’interconnexion des marchés globaux, une sous-évaluation du risque, une politique monétaire qui alimente les bulles ou encore l’aléa moral des banques et des entreprises too big to fail. En 2007, les acteurs financiers avaient soudainement réévalué les risques inconsidérés qui avaient été pris sur le marché immobilier américain. Cette fois, le choc de la pandémie de COVID-19 est complètement exogène mais la réaction initiale des marchés a été brutale face à la réalisation que les économies allaient tourner au ralenti pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois et que nombre d’entreprises étaient dans une situation fragile. La chute concomitante des cours du pétrole à la suite des différends entre Russes et Saoudiens n’aide en rien. Fin mars 2020, l’indice Dow Jones avait effacé l’ensemble de ses gains depuis l’élection de Donald Trump. Les faillites d’entreprises se sont multipliées dès le début du mois de mars. La liquidité s’est tarie sur les marchés et pour les entreprises avec des trésoreries fragiles qui allaient restées longtemps fermées, la situation devenait inquiétante. Dans cette crise que nous traversons, la première réaction de la BCE et des États a été de soutenir l’économie et le système financier. Les intentions étaient louables : garantir le fonctionnement du système financier, soutenir les entreprises et les citoyens qui se retrouvaient sans activité ou en activité partielle. Toutefois on peut s’interroger sur la mise en œuvre et les modalités de ces soutiens. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les marchés financiers n’ont pas retrouvé leurs niveaux de début d’année, mais ils ont fortement rebondi. Les plans de soutien des États européens et des États-Unis ainsi que l’action des banques centrales, qui se sont remises à acheter massivement des titres et à offrir de la liquidité sans limite sont les principales raisons de ce rebond. Alors que cette crise est loin d’être terminée, ce n’est pourtant pas l’éventuelle perspective d’une forte reprise économique qui a propulsé les marchés puisque les faillites ne font que débuter et que le chômage continue d’augmenter. L’impact pour les marchés est positif mais on peut s’interroger sur les résultats macroéconomiques des actions entreprises. Cette note se propose donc d’analyser les outils de gestion de crise et les mesures macroprudentielles que nous pouvons mettre en place en plus de celles qui existent déjà, puis de proposer des mesures microprudentielles, notamment sur la composition des bilans bancaires. I. Permettre à la politique monétaire d’agir directement sur l’économie et prévenir les bulles   Il convient de permettre à la politique monétaire d’agir directement sur l’économie réelle. En effet, aujourd’hui la banque centrale compte sur les banques commerciales et les marchés financiers pour « relayer » ses décisions et in fine impacter l’économie réelle. Or depuis quelques années et l’apparition des technologies de registres distribués (distributed ledger) qui sous-tendent notamment les cryptomonnaies comme le Bitcoin, les banques centrales pourraient émettre directement des monnaies digitales, ce qui leur rendrait le contrôle non seulement sur la création monétaire mais aussi sur le système de paiement, aujourd’hui contrôlé par les banques commerciales. Un certain nombre d’études et de travaux plaident pour ces fameuses central bank digital currency (CBDC)[1]. Dans cette hypothèse, la banque centrale assurerait les fonctions d’une banque commerciale traditionnelle et devrait agir dans un environnement où elle serait en concurrence avec celles-ci (il va sans dire qu’une position de monopole n’est pas souhaitable). La banque centrale pourrait directement financer l’économie réelle et orienter le crédit, par exemple en faveur des enjeux climatiques. C’est pourquoi, une telle banque centrale devrait aussi faire l’objet d’un contrôle démocratique renforcé et d’une transparence exemplaire. Proposition n°1 : Permettre à la BCE d’émettre sa propre monnaie digitale pour agir directement sur l’économie et renforcer son contrôle démocratique. La prévention des bulles doit également être un objectif poursuivi par la banque centrale. Depuis une dizaine d’années, les liquidités injectées par les banques centrales dans le système financier mondial n’ont pas permis une reprise aussi forte qu’escomptée, et ce particulièrement en zone euro. Inonder les marchés de cash et offrir des prêts « gratuits » aux banques a certes évité une forte récession et eu, dans une certaine mesure, des effets bénéfiques sur l’investissement et l’emploi, mais elle a surtout contribué à la formation de bulles. La banque centrale américaine, la Fed et la Banque Centrale Européenne (BCE) sont souvent pointées du doigt ces dernières années comme étant à l’origine d’une bulle sur l’ensemble des marchés, financier comme non-financiers. Prenons l’exemple du marché immobilier. Selon un rapport du Secours Catholique, publié en 2018 en partenariat avec l’Institut Veblen et Finance Watch[2], plus de la moitié des crédits bancaires à destination des particuliers et des entreprises sont dirigés vers le secteur immobilier dans les dix-sept économies les plus avancées. De plus, une part conséquente de ces crédits ne commandent pas la construction de bâtiments neufs, ce qui correspondrait à une stimulation de la production, mais sont destinés à l’achat de logements déjà construits. Selon le même rapport, « lorsque la croissance du volume du crédit immobilier est plus importante que la construction de nouveaux logements, elle fait monter les prix de l’ancien et entraîne la formation de bulles ». Pour Jézabel Couppey-Soubeyran, « la stabilité financière nécessite la mise en œuvre de politiques […] macroprudentielles (surveillance du crédit, des prix d’actifs sur les marchés boursiers, immobiliers…) qui impliquent les autorités de surveillance et les banques centrales et les obligent à coordonner leurs efforts […] La seule véritable parade contre le risque systémique résiderait dans une politique macroprudentielle qui surveillerait de près le cycle du crédit et celui des prix d’actifs »[3]. Très concrètement, la banque centrale, dont la fonction inclut également la mise en œuvre de politiques prudentielles, a à sa disposition un instrument de politique monétaire tout désigné : l’encadrement du crédit. Elle peut décider de limiter les

Par Rotelli S., Kuhanathan A.

12 mai 2020

Gérer les grandes infrastructures dans l’intérêt commun en période de crise

Essentielles dans le cadre du développement économique et social des sociétés industrialisées, les grandes infrastructures constituent un patrimoine collectif aujourd’hui invisible aux yeux des populations et dont les services délivrés sont devenus bien acquis. Pourtant, ces structures, points d’intérêt vital pour la nation française, le sont d’autant plus en période de crise car leur défaillance a souvent de tragiques conséquences et l’après-crise ne peut se faire sans elles. Cette dépendance accrue de nos sociétés pousse l’ensemble des acteurs de la chaîne à travailler sans cesse sur leur résilience, notamment en apprenant des différentes crises vécues. L’actuelle crise sanitaire ne déroge pas à la règle en portant son lot d’enseignements, notamment en neutralisant partiellement deux ressources critiques pour les grandes infrastructures que sont la disponibilité de ressources humaines et la pleine fonctionnalité du système d’informations. Ainsi, l’augmentation des investissements et une gestion publique de certaines infrastructures semblent apparaître comme des réponses évidentes et immédiates à l’après-crise. Néanmoins, elles ne dispensent pas les sociétés modernes de l’impératif de réfléchir plus globalement à la durabilité de leur modèle et la capacité des infrastructures à y répondre.   Les grandes infrastructures, notamment celles de réseaux (énergie, transports, téléphonie, eau, etc.), tiennent une place essentielle dans le développement économique de nos sociétés. Elles permettent la circulation des personnes, des marchandises, des capitaux, de l’information et constituent un levier de croissance dans de multiples secteurs. Depuis plusieurs années, la transition énergétique, le déploiement du très haut débit et la modernisation des réseaux de transport sont à ce titre au centre des politiques d’investissements de la plupart des pays européens. Elles ont également un rôle social déterminant, en assurant la fourniture de biens et de services contribuant à la qualité de vie des individus. En cela, elles représentent un patrimoine collectif au service de la vie de la nation et des activités humaines, pouvant être qualifiés de « biens communs ». « La France possède un des meilleurs réseaux d’infrastructures au monde » [1], affirmation corroborée par le rapport du World Economic Forum (WEF) de 2016 qui mesure la compétitivité globale de 144 pays à partir de 12 thématiques, et qui avait classé la France au dixième rang mondial pour la qualité de ses infrastructures et au deuxième rang des pays du G20. Héritière de grandes infrastructures de service public édifiées après-guerre grâce aux investissements massifs de l’État [2], la France a développé une forte capacité dans la conception, la gestion et l’entretien de ses infrastructures, se positionnant dans les « premiers pays exportateurs » en la matière [3]. Les infrastructures présentent aujourd’hui un niveau d’intégration tel, avec un fonctionnement régulier, qu’elles disparaissent aux yeux de la population, transformant le service délivré en bien acquis pour l’usager. Cette invisibilité, parfois opportune, véhicule pourtant de nombreux écueils, parmi lesquels l’absence de sensibilisation de la population aux différents enjeux (sécuritaires, financiers, environnementaux, techniques…) attachés à la gestion de ces équipements. Ces derniers réapparaissent à la défaveur d’événements exceptionnels, parfois tragiques [4], qui mettent en lumière la vulnérabilité voire la dangerosité de certaines infrastructures. Afin de se prémunir contre de nouvelles catastrophes, les pouvoirs publics ont conçu et déployé des politiques de prévention et gestion des risques visant à réduire les impacts : des risques d’origine naturelle (crues, séismes, mouvements de terrain, changement climatique sur le plus long terme) ; de la dépendance à d’autres infrastructures et réseaux ; des éléments intrinsèques à leur conception (matériaux, vieillissement, etc.) ; d’exploitation liée à la gestion de flux. Pourtant, il apparaît que le fonctionnement même des sociétés industrialisées rend les infrastructures de réseaux de plus en plus vulnérables aux différents risques : concurrence internationale accrue, méthodes de flux tendus (du « juste à temps » à la limitation des stocks), forte baisse des financements de l’État menée dans une logique d’économies budgétaires [5], etc. L’impératif de continuité d’activité en toutes circonstances interroge quant aux usages et à la dépendance des sociétés industrialisées aux grandes infrastructures.   Table des matières I – L’impérieuse nécessité d’assurer le fonctionnement des grandes infrastructures en période de crise Les infrastructures de réseaux reconnues comme « Point d’Importance Vitale » (PIV) Des vulnérabilités émergentes à la faveur d’une crise inédite II – Les enseignements à tirer de la crise pour un fonctionnement optimisé des grandes infrastructures de réseaux Une gouvernance publique à conforter économiquement dans la gestion des grandes infrastructures Une sobriété des usages à développer pour garantir la résilience des grandes infrastructures     I – L’impérieuse nécessité d’assurer le fonctionnement des grandes infrastructures en période de crise   Les différents types de risques ou catastrophes mettent en jeu de façon constante la résilience des infrastructures et de leurs réseaux.   1. Les infrastructures de réseaux reconnues comme « Point d’Importance Vitale » (PIV)   La définition de la résilience, donnée lors de la définition du cadre d’action de Sendaï [6], est « la capacité d’un système, d’une communauté ou d’une société exposée aux risques de résister, d’absorber, d’accueillir et de corriger les effets d’un danger, en temps opportun et de manière efficace, notamment par la préservation et la restauration de ses structures essentielles et de ses fonctions de base » [7]. C’est précisément parce que les infrastructures de réseaux sont reconnues comme des « structures essentielles » qui concourent aux « fonctions de base » (production, distribution de biens et services indispensables à l’exercice de l’autorité de l’État, fonctionnement de l’économie, maintien du potentiel de défense ou à la sécurité de la nation) qu’ils sont considérés comme « d’importance vitale » [8]. Le dispositif de sécurité des activités d’importance vitale (SAIV) constitue le cadre permettant d’analyser les risques et d’appliquer les mesures cohérentes avec les décisions des pouvoirs publics. Au sein de ce dispositif sont référencés les opérateurs d’importance vitale (OIV), lesquels détiennent des points d’importance vitale (PIV) tels que des établissements, des ouvrages ou des installations fournissant les services et les biens indispensables à la vie de la nation [9]. La délimitation du PIV permet une mise en œuvre plus efficiente du dispositif de SAIV entre l’opérateur et le préfet de département concernant des composants névralgiques indispensables au bon fonctionnement des infrastructures

Par Liguori L.

10 mai 2020

Pour une couverture totale de l’activité partielle

L’activité partielle constitue un des dispositifs les plus anciens de la politique publique de l’emploi. Il consiste à verser une partie de leur salaire à des employés qui cessent le travail, tout en maintenant leur lien contractuel avec l’employeur. Il apparaît formellement avec le décret du 19 avril 1918, qui institue des caisses publiques départementales de secours « contre le chômage résultant de la crise du ravitaillement, des matières premières et du charbon pour les industries » – un chômage conjoncturel partiel, administré par des offices paritaires départementaux et municipaux. La plupart des caisses syndicales, parfois abondées par subvention publique, prévoient alors aussi ce type d’aide. Une série de décrets, circulaires et ordonnances cimentent le dispositif entre 1931 et 1958. Un accord national interprofessionnel de 1968 entérine le caractère national et homogène du dispositif, sans requérir d’accords de branche. Ce dispositif à caractère préventif répond aux intérêts de plusieurs groupes sociaux. Du côté des salariés, il évite leur paupérisation, leur déqualification et la perte de statut social qu’engendre le chômage total. Il écarte le risque de licenciement, en échange d’une réduction provisoire de salaire. Du côté des employeurs, il limite les coûts de réembauche, la perte de potentiel productif avec les salariés les mieux formés et la dilapidation des frais de formation consentis. Une autre motivation, du côté de l’administration publique et des décideurs politiques, concerne l’information sur le marché de l’emploi. Un outil d’activité partielle attractif pour les employeurs leur apparaît nécessaire pour mesurer le temps d’emploi réel en entreprise et, ainsi, constituer des statistiques fiables de l’activité, sa variation et sa répartition entre branches. Ce souci est illustré par les anciens participants au Front populaire, concepteurs de la loi des 40 heures, marqués par leur difficulté à analyser, alors, le temps d’emploi par secteur et taille d’entreprise (Mendès-France, 1966). En somme, l’activité partielle est censée réunir un ensemble d’objectifs apparemment contradictoires : « en même temps conserver un potentiel de main-d’œuvre productif, garantir la pérennité du lien salarial et de Ia protection sociale pour les salariés et diminuer significativement les conflits » (Lallement, Lefèvre, 1997, p. 26). Toutefois, cet équilibre entre groupes sociaux se disloque dans la crise du Covid-19, où les usages de l’activité partielle apparaissent particulièrement ambigus et problématiques. Cette situation appelle une réforme de l’activité partielle, pour l’adapter aux enjeux contemporains et aux défis à venir. Cette note présente les limites du dispositif en termes de couverture (1), d’indemnisation (2) et de contrôle des abus (3) avant d’en proposer plusieurs pistes de réformes (4).   1. Un dispositif qui couvre mal les travailleurs précarisés L’une des limites les plus saillantes du dispositif est la couverture incomplète qu’il fournit. Un ensemble de salariés sont en effet laissés en dehors du dispositif : indépendants, salariés en contrats courts (intérimaires, CDD, saisonniers), chômeurs en fin de droits et démissionnaires.   Un dispositif qui exclut structurellement les travailleurs indépendants   Le dispositif d’activité partielle ne concerne, par définition, que les salariés, laissant de côté les indépendants. Certains ont pu affronter le confinement sereinement, soit parce qu’ils ont pu poursuivre leur activité, soit parce qu’ils disposaient d’une épargne de précaution conséquente, fréquente chez les indépendants (Lamarche et Romani, 2015). Mais un autre segment de ce groupe social s’est trouvé, lui, privé d’activité sans disposer de réserves financières conséquentes. Au premier rang de ceux-ci, on trouve une population dont le statut d’indépendant est contestable, qui exerce le plus souvent sous le statut d’auto-entrepreneurs : chauffeurs de plateformes, ouvriers du BTP, livreurs, etc., dont l’activité est fortement – voire totalement – dépendante d’un donneur d’ordre.   Une prise en charge éphémère des précaires en contrats courts   Pour les salariés en contrats courts, le dispositif s’applique théoriquement. En pratique, de nombreux employeurs ne les ont pas inclus dans leur demande et ont rompu le contrat de manière anticipée, le plus souvent en appliquant – de manière abusive – la clause de force majeure. De ce point de vue, le refus du gouvernement de contrôler, même provisoirement, les licenciements s’est payé par des destructions massives et immédiates d’emplois. Pour les salariés concernés, cela se traduit par une perte de revenus importante, le taux de remplacement de l’assurance-chômage étant moins élevé que celui de l’activité partielle (71 % en moyenne contre 84 %, et 100 % au niveau du SMIC). Mais même lorsque l’activité partielle a été appliquée à ces salariés, ils n’ont été indemnisés que jusqu’à échéance du contrat. Au-delà, ils basculent vers l’assurance-chômage. Outre la complexité d’une démarche administrative supplémentaire pour les nouveaux chômeurs, ce basculement ne peut s’opérer que sous réserve d’ouverture de droits. Cela exclut notamment les travailleurs précaires de type saisonnier, pour lesquels les allocations-chômage font partie du cycle ordinaire de l’année laborieuse, mais s’étendent démesurément en 2020 faute d’opportunité de réembauche.   Chômeurs et travailleurs de l’économie informelle livrés à eux-mêmes   D’une manière générale, l’ensemble des chômeurs ayant épuisé leurs droits se sont retrouvés privés de toute perspective d’embauche, sans pour autant que l’accès à l’assurance-chômage leur soit réouvert. Problématique a aussi été la situation des travailleurs en inter-contrats, ayant démissionné d’un emploi avant la crise en vue de prendre un nouveau poste dans le courant des mois d’avril ou de mars. Nombre d’entre eux ont vu leur embauche repoussée sine die, quand elle n’a pas été purement et simplement annulée, les laissant sans revenus pendant toute la période du confinement, et probablement au-delà. À l’ensemble de ces catégories bien connues des politiques de l’emploi s’ajoute celle des travailleurs de l’économie informelle. S’il n’est pas possible, par définition, d’en donner une évaluation précise, le travail au noir représente un volume d’activité considérable : on peut estimer à 1,9 million le nombre de salariés concernés (Gubian, Hagneré, Mahieu, 2019), dont plus de la moitié ne vivent que du travail informel. Plusieurs travaux scientifiques ont montré que ce dernier tenait une place importante dans l’économie locale de territoires touchés par le chômage de masse, que ce soit dans les territoires urbains comme ruraux (Coquard, 2019). Pour ces

Par Clouet H.

5 mai 2020

Ce qui doit échapper à la logique de la mondialisation Quelle méthode pour identifier les secteurs stratégiques de l’économie ?

Depuis l’éclatement de la crise sanitaire, l’idée que la France doit s’émanciper de chaînes de valeur mondialisées pour son approvisionnement en biens vitaux fait brusquement consensus. La pénurie criante de masques de protection qui a obéré la réponse française à l’épidémie s’est accompagnée d’autres fragilités dans le domaine des respirateurs ou encore des médicaments. De telles circonstances expliquent pourquoi des politiques ayant fait leur métier de porter des recettes libérales dissertent désormais sur la souveraineté économique, de Dominique Strauss-Kahn [1] à Emmanuel Macron, qui le 12 mars a déclaré : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie » [2]. Dès lors que la nécessité de « reprendre le contrôle » – autre expression présidentielle récente – sur certains biens et services stratégiques est admise, comment procéder ? Quelles sont les activités qui mériteraient ce qualitatif de stratégique ? Comment déterminer, au sein de ces activités, les premières priorités ? Quels moyens mettre en œuvre pour maintenir ces activités sur le territoire, pour les faire croître, pour les sanctuariser vis-à-vis de fluctuations de marché ou d’offres d’achat venues de l’extérieur ?   Table des matières I. La France n’a pas de doctrine cohérente sur la question des secteurs stratégiques II. Vers une doctrine viable : une méthode en deux temps a. Trois grandes catégories de secteurs stratégiques b. Trois types d’interventions à mettre en œuvre     I. La France n’a pas de doctrine cohérente sur la question des secteurs stratégiques Force est de constater qu’il manque à ce jour à la collectivité un cadre de pensée cohérent en la matière. Pire, la méthode de raisonnement même qui permettrait d’établir un tel cadre fait défaut. Derrière certaines expressions invoquées à répétition par les acteurs politiques – l’« État stratège », le « patriotisme économique » – se cache une absence de réflexion globale sur les enjeux qu’elles recouvrent. Les errements du discours officiel au sujet de l’État actionnaire illustrent parfaitement cette indigence – qui est tout autant intellectuelle que pratique. En mars 2018, au moment de communiquer sur le programme de privatisations du gouvernement, Bruno Le Maire explique que « [l]‘État actionnaire doit être présent dans des secteurs stratégiques, où notre souveraineté est en jeu. Pour le reste, ce n’est pas le rôle de l’État que de recueillir régulièrement des dividendes » [3]. Outre l’amalgame entre deux questions distinctes – la participation au capital d’une part, l’appropriation et l’usage de dividendes de l’autre –, le ministre ne daigne pas énumérer les domaines où la souveraineté du pays serait en jeu. Trois mois plus tard, dans une interview aux Échos à l’occasion de la présentation du projet de loi Pacte en Conseil des ministres, il affirme que « [l]’État, pour sa part, doit être un État stratège. Il n’a pas vocation à diriger des entreprises concurrentielles […] Il doit garder la main sur des activités de souveraineté nationale, comme le nucléaire ou la défense ainsi que sur les grands services publics nationaux comme la SNCF » [4]. Au-delà de l’observation que le rail, le nucléaire et l’armement sont de facto des secteurs concurrentiels, ne serait-ce qu’à l’international, cette liste est bien trop courte, et bien trop vague, pour constituer un socle pouvant guider les pratiques de l’État actionnaire. Malheureusement, aucun éclairage probant sur le sujet n’est apporté par les rapports annuels et les autres communications de l’Agence des Participations de l’État (APE), sise à Bercy. Dans la « doctrine de l’actionnariat public » que l’APE met en avant, ne sont mentionnées que « les entreprises stratégiques qui contribuent à la souveraineté de notre pays (défense et nucléaire) » – comme si la souveraineté économique pouvait se limiter à ces deux activités – et les entreprises œuvrant au « service public » et à l’« intérêt général national ou local » [5]. « Stratégique », « souveraineté », « service public », « intérêt général » : autant de termes dont l’institution s’abstient pudiquement de préciser le périmètre. Au reste, la réflexion sur les secteurs stratégiques de l’économie et les manières de les préserver doit dépasser la seule question de l’actionnariat public. Par sa réglementation des entreprises privées, par ses interventions financières, par ses commandes, l’État dispose en principe d’une panoplie de moyens pour promouvoir les activités jugées essentielles. Encore faut-il déterminer quelles sont ces activités, et adapter à chaque fois les instruments déployés à leurs caractéristiques. Pourtant, pas plus que l’APE, les autres organes de la puissance publique n’offrent aujourd’hui un cadre de pensée cohérent face à ce sujet, qu’il s’agisse de la Caisse des Dépôts, de Bpifrance, du Conseil économique, social et environnemental, ou encore de France Stratégie (organisme de réflexion rattaché à Matignon, mais qui porte parfois bien mal son nom). L’absence de cadre cohérent pouvant servir de repère pour orienter des décisions particulières, ainsi que l’absence de méthode intellectuelle pour arriver à un tel cadre, expliquent pourquoi la gestion française des dossiers industriels majeurs de ces dernières années a été avant tout réactive, pour ne pas dire improvisée. Souvent, ce n’est qu’après coup, et déjà pris de court, que l’État a fait mine de découvrir qu’une activité vitale avait échappé à son champ d’intervention : aujourd’hui les masques de protection, hier les données personnelles ou encore les batteries de véhicules électriques. Dans d’autres cas, face à l’urgence de certaines situations, les dirigeants français ont surtout tâtonné. C’est ce qui s’est visiblement passé au moment du rachat d’Alstom Énergie par General Electric. À en croire un témoignage d’Arnaud Montebourg dans Le Monde, une réunion le 21 juin 2014 aurait opposé celui-ci, favorable à une solution alternative impliquant l’allemand Siemens, à Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l’Élysée, qui se serait opposé à un blocage de General Electric au motif qu’« on n’est quand même pas au Venezuela ! » [6]. Si le parti pris idéologique du futur président peut choquer, le plus grave n’est sans doute pas là, mais bien dans le fait qu’un argument si déconnecté de l’enjeu concret ait pu avoir eu droit de cité dans le contexte de la prise de décision. Cette anecdote illustre

Par Sperber N.

3 mai 2020

Sortir vite et durablement de la crise économique en utilisant la création monétaire et l’annulation de dettes

Lorsqu’il s’agit de la réponse monétaire et budgétaire à la crise du Coronavirus, on a le choix dans la démesure des chiffres, mais gare aux mirages qui sont nombreux. Aligner des zéros peut s’avérer aussi trompeur que de les perdre. Offrir une garantie sur des prêts bancaires n’est pas la même chose, loin s’en faut, que de subventionner une entreprise ou un ménage directement. Baisser les taux d’intérêts au plus bas n’exonère pas de rembourser le capital emprunté, que ce soit pour un État, un ménage ou une entreprise. Or, la majeure partie de la réponse à la crise, que ce soit au niveau des États ou au niveau de l’Union européenne, a consisté à faciliter encore et toujours plus l’endettement des agents privés et des États. Comme en 2008, on vise à favoriser, à simplifier, à développer le recours à l’endettement. D’abord en donnant des liquidités aux banques pour garantir la continuité de l’offre de crédits, maintenant pour accorder des garanties à ces mêmes prêts bancaires. Mais est-il raisonnable de pousser tous les agents économiques à s’endetter non pour investir mais pour subventionner des pertes ? Il y a un moment où les acteurs économiques, comme les États, ne pourront plus “manger du crédit”, même à taux zéro et même si la BCE leur assure un débouché en les rachetant. Alors que tout est fait pour que les banques n’encourent aucun risque et pour favoriser l’endettement à taux faibles, rien n’est fait pour aider les États à ne pas voir leurs dettes publiques exploser ou pour injecter de l’argent sans dette dans l’économie afin de rétablir la solvabilité des agents économiques, notamment dans un sens favorable à la transition écologique. C’est pour cela qu’il faudrait de la création monétaire ciblée ou une annulation des dettes détenues par la banque centrale (ce qui ne lèserait personne). Une sortie durable de la crise, en particulier celle qui passerait par une reconstruction écologique, ne pourra pas se faire sans réinventer en profondeur notre modèle monétaire et sans briser certains tabous qui l’entourent.   Tables des matières I. Nous nous engageons dans la guerre contre le Covid-19 avec les armes de la précédente crise II. Nous sauver maintenant et dans le futur III. Mettre la création monétaire libre et ciblée et l’annulation de dettes au cœur de l’agenda   I. Nous nous engageons dans la guerre contre le Covid-19 avec les armes de la précédente crise   Les chiffres peuvent vite impressionner, mais ils sont souvent des faux-semblants. Comme l’avait écrit joliment Camille Riquier : « affranchie de toute matière finie, la monnaie révèle la puissance infinie du quantitatif pur » [1]. Quand on évoque par exemple les plus de 30 000 milliards d’euros de baisse du cours des actions en l’espace de deux mois (février et mars), on croit par exemple que tout cet argent est « parti en fumée ». C’est faux : beaucoup d’acteurs ont simplement empoché leurs gains accumulés les dernières années et d’autres valeurs se sont effondrées alors qu’elles ne reposaient sur rien de réel (les fameuses valeurs notionnelles des produits dérivés). Quand le cours en bourse d’une entreprise dévisse, cela la rend vulnérable à une prise de contrôle mais cela ne change rien à sa capacité immédiate de se financer, même si cela peut à terme augmenter le coût du risque car les nouveaux investissements seront perçus comme moins rentables en raison de règles financières et comptables tout à fait contestables. De la même manière, quand la BCE met en place des programmes de rachats d’actifs de près de 1 100 milliards d’euros sur 2020, cela ne veut pas dire que cet argent va financer l’économie réelle. Au contraire, il est versé aux banques, seuls acteurs disposant d’un compte auprès de la banque centrale avec le Trésor (mais on interdit l’accès de ce dernier aux financements de la banque centrale) et donc seuls acteurs habilités à recevoir l’argent de la BCE. Même constat quand la BCE offre 3000 milliards d’euros de liquidités aux banques, prétenduement pour permettre aux entreprises et PME de se refinancer, via le TLTRO (targetted long-term refinancing operations), ou quand la réserve fédérale (FED) met à disposition de ces mêmes banques près de 1 500 milliards de dollars de liquidités supplémentaires (en trois jours seulement), au milieu du mois de mars, pour calmer la crise de liquidités. Tout ceci relève du trompe-l’œil, d’un artifice de façade, car rien ne permet d’affirmer que cet argent sera bien utilisé, ni même qu’il atteindra tout simplement l’économie réelle. Une seule certitude : les dettes publiques vont augmenter très massivement et les politiques monétaires « non-conventionnelles », qui sont déjà devenues conventionnelles depuis 10 ans, vont être maintenues pour les décennies à venir. Le non-conventionnel devient l’ordinaire et nous n’en sortirons pas car nous assistons à l’émergence d’un nouveau paradigme monétaire, dans lequel la monétisation permanente des actifs devient la seule soupape de sécurité du système financier. En effet, avec des dettes publiques à 120 ou 130 % par rapport au PIB (en France, et bien davantage en Italie, en Espagne ou en Grèce), le seul moyen d’assurer des taux faibles et des débouchés à ces dettes publiques sera une prolongation du programme de rachats d’actifs publics et même des actifs privés. La BCE agira ainsi car elle n’aura pas le choix, sauf à provoquer un désastre économique et l’arrêt de mort immédiat de la zone euro. La BCE achetait déjà pour 20 milliards d’euros de titres financiers par mois, auxquels elle a ajouté 120 milliards en plus d’ici la fin de l’année le 12 mars, puis 750 milliards le 18 mars, soit environ 1 100 milliards sur l’année. Ce sera davantage à l’avenir. Mais cela ne suffira malheureusement pas car des questions d’un autre genre vont émerger. L’ampleur de cette réponse ne doit en effet pas nous donner de fausses illusions : nous engageons la guerre contre le COVID 19 et ses conséquences économiques avec les armes de la précédente crise. On ne peut que penser à cette phrase de Paul Valéry dans ses Regards sur le monde actuel : « Ils étaient nourris du passé :

Par Dufrêne N.

3 mai 2020

Droits de Tirage Spéciaux, Covid-19 et environnement : The time is now, the question is how ?

Comme dans bon nombre d’autres domaines, la pandémie de Covid-19 a agi comme un révélateur des fragilités préexistantes du système monétaire et financier international (SMI). Depuis les années 1980, le cycle financier, guidé par les grandes institutions financières internationales, a déterminé les dynamiques économiques du régime de croissance financiarisé [1]. Ce régime se caractérise par une succession de survalorisations d’actifs et d’emballements du crédit créant une croissance sous hormones, survalorisations suivies régulièrement de crises systémiques toujours plus massives, à l’image de celle de 2008. Le cycle financier a ainsi offert aux économies développées une échappatoire facile mais fragile à la menace de « stagnation séculaire » dont elles n’ont par ailleurs pas encore trouvé l’issue, tout en faisant porter une bonne partie des coûts sociaux et écologiques des crises sur les populations les plus faibles du globe. Table des matières I. La triple crise des pays émergents et en développement II. Des filets de sécurité financiers ébranlés, une dépendance problématique au dollar. III. DTS, the time is now IV. The question is how V. Monnaie internationale et limites planétaires   I. La triple crise des pays émergents et en développement À cet égard, la pandémie de Covid-19 intervient à un moment où les indicateurs de volatilité financière (tels que mesurés par le VIX par exemple) étaient revenus à leur plus haut niveau depuis 2009, de sorte que la combinaison de ces fragilités prêtes à imploser et de la pandémie a immédiatement créé un effet de système massif. Le retournement brutal des flux de capitaux, qui avaient afflué ces dernières années dans les pays émergents et dans les pays en développement, à la recherche de rendements, a été particulièrement massif dans les dernières semaines. Totalement étrangers à la crise du Covid-19, les pays émergents ont pourtant vu littéralement fondre, en quelques jours, leur déjà faible autonomie financière, le prix des matières premières dont dépend l’essentiel de leurs ressources fiscales, en même temps qu’ils ont vu surgir pour eux-mêmes la menace de la pandémie [2]. C’est ainsi bien une triple crise en puissance à laquelle sont confrontés les pays émergents et en développement. Les fuites de capitaux d’abord, qui ont atteint une centaine de milliards de dollars depuis le début de la pandémie alors qu’elles s’étaient limitées à l’occasion de la crise de 2008 à une trentaine de milliards de dollars. La chute induite des taux de change des pays émergents et des pays en développement (entre 5 et 25 % de perte par rapport au dollar) surenchérit l’accès aux devises étrangères, et notamment au dollar et à l’euro, que ce soit pour les importations ou le remboursement de crédits dans ces monnaies avec des risques de défauts très fortement accrus. La chute des cours des matières premières ensuite (37% en moyenne à ce jour), et du pétrole en particulier, réduit encore l’espace d’autonomie politique de ces pays pour faire face à la crise. Enfin, la crise sanitaire pourrait générer des dégâts considérables dans des pays qui ont jusqu’à récemment encore suivi les recettes du consensus de Washington, réduisant tout ce qui pouvait ressembler à des dépenses publiques ou des services publics. Face à cette triple crise, les filets de sécurité financiers existants, ce que l’on appelle plus généralement le système monétaire international, s’avèrent bien trop faibles pour endiguer la crise.   II. Des filets de sécurité financiers ébranlés, une dépendance problématique au dollar Pour faire face aux besoins urgents en devises, de nombreux pays (plus de 90 à l’heure où nous écrivons) ont d’ores et déjà demandé de bénéficier de facilités de financement du FMI. Sans conditionnalité pour les pays présentant une situation d’endettement jugée soutenable, ces facilités d’urgence sont limitées en volume (100 milliards de dollars au total). Les programmes plus conséquents de prêts du FMI supposent quant à eux des conditionnalités lourdes de réformes dites structurelles, co-responsables des conditions sanitaires déplorables de nombreux pays aujourd’hui candidats. De nombreux pays émergents sont ainsi traumatisés par leur dernière expérience de tels prêts (Algérie, Argentine…) et pourraient reculer le plus longtemps possible devant cette éventualité. De leur côté, les États-Unis, via leur réserve fédérale (Fed), ont déployé un arsenal de lignes d’échanges de devises (« swap lines ») avec les banques centrales de pays « amis », permettant de fournir directement à ces pays des dollars en échange de leur propre devise. Le Brésil et le Mexique sont les principaux pays émergents concernés. Au-delà de ces swap lines, une facilité « repo » a été également ouverte pour permettre à un plus grand nombre de pays de troquer leurs bons du Trésor américain contre des dollars. Des discussions sont enfin ouvertes sur la possibilité d’une ligne d’échanges de devises entre le FMI et la Fed. Malgré ces avancées, les insuffisances de ce système apparaissent au grand jour : la conditionnalité des prêts liée à des fondamentaux macroéconomiques « solides », qui exclut de nombreux pays en nécessité impérieuse de soutien tels que l’Argentine ou le Soudan ; la limitation des quantités émises par rapport aux enjeux, alors que la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (UNCTAD) [3] évalue les besoins immédiats des pays émergents et des pays en développements à 2500 milliards de dollars ; le choix politique des pays bénéficiaires par la puissance hégémonique, directement dans le cas des interventions de la Fed (l’Inde, la Turquie, la Thaïlande ou l’Afrique du Sud ne font pour l’instant pas partie des pays bénéficiaires de « swap lines »), indirectement via le jeu des quotes-parts au sein du FMI. Plus fondamentalement, la confiance dans la devise clé, le dollar américain, pourrait être ébranlée par la gestion même de la pandémie par les États-Unis, la tendance de l’administration actuelle à prioriser absolument les intérêts américains au détriment systématique du multilatéralisme, et les dépenses intérieures titanesques engagées pour limiter les impacts de la crise [4]. Les tensions géopolitiques générées par ce moment de flottement des responsabilités internationales semblent repousser toute action majeure sur les dettes des pays en développement. Même si le G20 reporte fort heureusement les paiements d’intérêts des dettes pour l’année 2020 (qui

Par Espagne É.

3 mai 2020

Comment financer une politique ambitieuse de reconstruction écologique ?

Si l’importance cruciale de la reconstruction écologique de nos sociétés n’est plus à démontrer et fait l’objet d’un large consensus, son ampleur, son financement et les modalités de sa mise en œuvre demeurent très largement discutés, ce qui en fait un objet politique de toute première importance. Une véritable reconstruction écologique suppose en effet des moyens financiers importants, difficiles à mobiliser sans une action déterminée de l’État, des banques centrales et des institutions financières publiques afin de compenser ce que le marché seul ne pourra pas réaliser. Une telle action ne peut que reposer sur une vision différente de la politique monétaire et budgétaire sur les plans théorique et pratique. Cette note propose des solutions concrètes pour parvenir à un financement adéquat de la reconstruction écologique, en distinguant ce qui peut être effectué dans le cadre juridique et financier européen actuel et ce qui pourrait être obtenu en allant au-delà de ce cadre. Elle insiste également sur la différence d’ambition entre le Green deal présenté aujourd’hui au niveau européen et le Green New Deal tel qu’il est souhaité par de nombreux acteurs.   Introduction   La reconstruction écologique de nos sociétés est un impératif pour notre survie et une chance à saisir dans l’histoire du progrès humain. Nous le savons : la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère est aujourd’hui d’environ 415 parties par million (ppm), soit un niveau inédit dans toute l’histoire de l’humanité. La dernière fois qu’un niveau similaire avait été atteint, c’était il y a trois millions d’années, alors que les températures étaient 3 à 4°C plus élevées. Le niveau des océans était alors de 15 mètres plus élevé qu’aujourd’hui, une réalité que nous pourrions de nouveau connaître au XXIIe siècle à trajectoire constante. Cette atteinte à la planète se double d’une atteinte à la vie : la sixième extinction de masse devient une réalité puisque nous avons perdu 60% des effectifs d’animaux sauvages de la planète en moins d’un demi-siècle, soit un rythme cent à mille fois supérieur au taux naturel de disparition des espèces. Éclairés par ce que la science du climat nous permet de comprendre de notre avenir et des conséquences de notre action, nous voici également placés devant l’opportunité de repenser en profondeur notre manière d’habiter la Terre, en décarbonant notre production d’énergie, nos modes de transports et d’habitation, en protégeant la biodiversité et en nous donnant les moyens de bâtir une économie circulaire digne de ce nom. En effet, les périodes de crise, comme les périodes de guerre ou de reconstruction, ont cet avantage qu’elles peuvent nous permettre de dépasser les frilosités idéologiques et l’inertie de l’habitude pour mettre en place de nouveaux modèles de société et retrouver ainsi la voie démocratique du progrès social, qui, sans ce changement de cap, est rendu impossible par la dégradation du milieu duquel nous dépendons pour toute notre économie. Toutefois, la multiplication des discours écologistes contraste de plus en plus avec la faiblesse des propositions, des mesures avancées et des résultats obtenus. En effet, financer un « Green New Deal », c’est-à-dire un vaste programme de reconstruction écologique qui inclut une dimension sociale et permette un véritable découplage entre l’amélioration de la qualité de vie de toutes et de tous et l’utilisation de ressources naturelles non renouvelables, suppose de mobiliser des moyens humains et financiers significatifs. Or, malgré quelques mécanismes d’incitation plus ou moins efficaces, la sphère financière et le secteur privé s’avèrent très largement incapables de financer et d’organiser seuls l’effort de reconstruction écologique et de s’imposer les cadres réglementaires nécessaires. L’objet de cette note est donc d’abord de rappeler le contenu et les enjeux financiers d’un véritable programme de reconstruction écologique, ainsi que les obstacles institutionnels et politiques qui s’opposent à leur réalisation et les limites de ce que peut réaliser le « marché », livré à lui-même, dont on attend tout aujourd’hui. Elle propose ensuite des solutions financières concrètes pour dépasser ces contraintes afin de créer les conditions de mise en œuvre d’un réel programme de reconstruction écologique en France et en Europe.     Table des matières I. Il n’y aura pas de reconstruction écologique sans investissement massif et sans rupture avec les dogmes existants. A. Un plan de reconstruction écologique suppose d’investir des sommes significatives qui constituent une opportunité de renouer avec le progrès. B. Le secteur privé ne pourra pas répondre seul au défi de la reconstruction écologique. C. « Green Deal » vs « Green New Deal » : distinguer deux niveaux d’ambition. II. Passer la première et financer une véritable reconstruction écologique A. Il existe des marges de manœuvre importantes qui ne sont pas exploitées dans le cadre juridique actuel 1) Identifier ce qui est bon pour la reconstruction écologique pour guider les investissements. 2) Utiliser le levier fiscal et celui de la commande publique dans un souci d’efficacité et de justice 3) Utiliser les Banques publiques d’investissement pour investir rapidement. 4) Mobiliser l’épargne des Français. B. Des actions non conventionnelles peuvent être défendues à la frontière de ce qu’autorisent les Traités 1) Remettre en cause la « neutralité » de la politique monétaire pour agir en faveur du climat et de la biodiversité. 2) L’annulation des dettes publiques détenues par la banque centrale en échange d’investissements verts C. Penser hors du cadre et mettre en œuvre une réforme ciblée des traités en matière budgétaire et monétaire au profit de la transition écologique. 1) Réformer la politique budgétaire et les aides d’État pour augmenter la capacité d’investissement dans la reconstruction écologique. 2) Réviser les règles en matière d’aides d’État 3) Utiliser l’arme de la monnaie libre comme pilier de la reconstruction écologique. 4) Une telle politique est-elle soutenable ?. 5) Des externalités économiques positives, facteur de dynamisme et d’innovation. D. Redynamiser l’économie dans son ensemble, résorber le chômage Conclusion.   I. Il n’y aura pas de reconstruction écologique sans investissement massif et sans rupture avec les dogmes existants La présente note fait le choix d’utiliser le terme de « reconstruction écologique » plutôt que de « transition écologique » pour insister sur le caractère matériel généralisé

Par Giraud G., Dufrêne N., Gilbert P.

25 février 2020

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