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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

L’économie circulaire, un élément d’une politique de reconstruction écologique

Sommaire

    L’économie circulaire, un élément d’une politique de reconstruction écologique

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    L’économie circulaire, un élément d’une politique de reconstruction écologique

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    Sommaire

      L’économie circulaire, un élément d’une politique de reconstruction écologiqueLe point de vue des conditions de travail et des risques professionnels

      À la lecture de l’article Comment financer une politique ambitieuse de reconstruction écologique publié par Gaël Giraud, Nicolas Dufrêne et Pierre Gilbert sur le site de l’Institut Rousseau[1], ce ne sont pas tant ses aspects économiques que nous avons retenus (ils ne sont pas dans notre domaine de compétences) que l’utilisation du terme reconstruction. Il y a là en effet un écho aux réflexions que nous avait inspirées la réalisation récente d’un exercice de prospective consacré à l’économie circulaire (EC). Cette EC qui à coup sûr serait un des éléments importants dans la reconstruction écologique appelée de leurs vœux par les auteurs de l’Institut Rousseau.

      Nous nous proposons dans cet article, après un bref aperçu de ce que cette notion d’EC recouvre, de décrire les principaux bouleversements qui résulteraient de ce changement dans les modes et méthodes de production. La prévention des risques professionnels étant notre métier, nous insisterons également sur les évolutions des conditions de travail et leurs conséquences en termes d’accidents et de maladies professionnelles.

      Nous n’aborderons pas ici des considérations économiques comme le coût de la transition : à notre connaissance, les données sont très lacunaires (les auteurs de l’Institut Rousseau estiment entre 70 et 100 milliards d’euros par an les besoins annuels d’investissement supplémentaires pour mener une politique ambitieuse de reconstruction écologique en France). En revanche, il existe quelques chiffres sur les questions d’emploi. Une étude[2] estime à 600 000 le nombre d’emplois déjà liés à cette forme d’économie. Avec un potentiel supplémentaire de 200 000 à 400 000 grâce à des mesures relativement simples visant à diminuer la consommation de matières premières et d’énergie. Au Royaume-Uni, d’autres études aboutissent à 500 000. On voit donc que les conséquences humaines sont loin d’être négligeables.

       

      1. Economie linéaire vs économie circulaire

      Les sociétés vivent principalement selon un schéma économique linéaire résumé ainsi par Rémy Le Moigne[3] : « Notre économie est ainsi basée sur le modèle linéaire qui se résume à « extraire ̶̶̶ fabriquer ̶̶̶ consommer ̶̶̶ jeter », qui consomme des ressources naturelles et de l’énergie pour fabriquer des produits qui deviendront, en fin de compte, des déchets ». En raison de ses conséquences écologiques (en particulier climatiques et environnementales) et de sa forte consommation de ressources naturelles et d’énergie, ce modèle apparaît comme peu soutenable sur le long, voire sur le moyen terme. Certains, dans une logique de protection de l’environnement, proposent de lui substituer progressivement un modèle dit d’économie circulaire, schématisé sur la Figure 1 :

      Figure 1 – Economie circulaire selon le schéma proposé par l’Ademe[4]

      Ce schéma montre clairement que la démarche va bien au-delà du simple recyclage de matière, mais concerne aussi l’organisation du tissu industriel, la conception des biens, les modes de consommation, etc.

       

      1. Une reconstruction de la production

      Dans une logique d’économie circulaire, il devient nécessaire de concevoir autrement pour de multiples raisons :

      • pour réduire autant que faire se peut l’utilisation de matières premières non renouvelables,
        • pour que les biens soient plus durables et puissent être réparés au cours de leur cycle de vie (rupture en particulier avec le concept d’obsolescence programmée),
        • pour que leur fabrication et leur utilisation nécessitent le moins d’énergie possible,
        • pour qu’ils se prêtent à d’autres types de consommation, tels que l’économie de la fonctionnalité qui passe de la fourniture d’un bien à celui d’un service (incitant ainsi le producteur à concevoir des biens plus durables), ou la consommation collaborative (qui voit plusieurs utilisateurs se partager l’utilisation d’un même bien),
        • pour permettre l’utilisation de matières secondaires (issues du recyclage, donc souvent d’un degré de pureté inférieur aux matières premières) ou la réutilisation d’éléments après déconstruction de biens en fin de vie,
      • en contrepartie, les biens doivent être conçus pour que des éléments ou des parties puissent être déconstruits facilement et que si cela n’est pas possible, leurs matières soient facilement recyclables.

       

      Une part de l’appareil de production pourra certainement être adaptée à cette nouvelle donne, mais la relocalisation de certaines productions (afin de diminuer l’empreinte carbone due aux transports) nécessitera la création de nouvelles installations. Ces installations devront intégrer dès la conception des mesures de prévention, en particulier pour toutes les opérations de maintenance, de remplacement d’éléments prévus par l’allongement de la durée de vie des outils et la recyclabilité des composants du process.

      Le développement de l’écologie industrielle et territoriale se donnant pour objectif la gestion en commun des flux (les déchets d’une entreprise deviennent la matière première d’une ou plusieurs autres, de préférence à proximité immédiate afin de limiter la dépense énergétique liée aux transports) pourrait aussi remodeler de façon significative le tissu industriel.

       

      1. La recréation et la relocalisation de nouvelles activités

      Une durée de vie accrue des biens de consommation implique le développement d’activités de maintenance pour leur entretien ou leur réparation. Il faut donc que la conception ait intégré ce nouveau paramètre, mais aussi qu’une réflexion ait été menée sur la formation et les conditions de travail des travailleurs impliqués, donc sur la conception des installations dans lesquelles s’effectueront leurs interventions.

      Afin de diminuer la consommation énergétique, des productions devront être relocalisées : il ne sera plus possible d’expédier à l’étranger des déchets pour leur recyclage. Actuellement, la délocalisation de la fabrication de principes actifs pharmaceutiques ou celle du recyclage de métaux ferreux et non ferreux n’est pas seulement due à des questions de coût, mais aussi à des considérations de préservation de l’environnement des pays développés et de la santé et sécurité au travail de leurs travailleurs. Il est plus économique non seulement de faire travailler dans un pays sous-traitant, mais aussi d’exporter la pollution vers le territoire de ce pays sous-traitant et d’ignorer les conditions de travail des employés. Dans une logique d’économie circulaire, les nouvelles installations devront être rentables économiquement, mais également performantes pour l’environnement au sens large.

       

      1. Des besoins accrus en technologies

      Les dernières décennies ont été marquées par une automatisation croissante des activités industrielles, mais aussi des services (à l’exception des services à la personne qui ont assez largement compensé la destruction des emplois industriels dans les pays développés). Aucun indice ne conduit à supposer que cette tendance s’inversera. Elle semble même souhaitable. En reprenant les exemples donnés précédemment de l’industrie du médicament et du recyclage de métaux, on voit bien que, quelles que soient les qualités des dispositifs de traitement de la pollution à la source (aspiration des polluants par exemple), il y aura tout intérêt à éloigner les travailleurs des sources d’émission. Dans cette optique, l’automatisation apparaît comme une solution satisfaisante à condition que la sécurisation des interventions humaines résiduelles soit également anticipées (notamment les interventions d’entretien et de maintenance des équipements).

      L’objectif d’approcher les 100% de recyclage des matériaux est impossible à atteindre, même avec des dispositifs de conception et de déconstruction adaptés. Il sera nécessaire de développer de nouveaux matériaux, en particulier des matériaux composites, plus performants mais aussi qui posent moins de difficultés pour la séparation et la récupération des divers composants à un degré de pureté suffisamment satisfaisant pour permettre une réutilisation ultérieure.

       

      1. Des besoins accrus en traçabilité

      Puisque chaque élément ou chaque matériau constitutif d’un bien a vocation à être réutilisé, il va être nécessaire de développer des systèmes de traçabilité permettant de connaître rapidement et facilement les caractéristiques des produits concernés. Ainsi, si un élément utilisé dans la construction (un pan de béton par exemple) a une durée prévisible de fonctionnement en sûreté de 40 ans (ou de trois utilisations successives), il faudra être en mesure d’accéder à cette information lors de toute réutilisation. De même si une matière secondaire doit être réutilisée pour un usage bien précis, il faudra être en mesure de documenter ses usages précédents pour s’assurer de sa conformité : sa composition a certainement changé, elle a subi des dégradations (y compris pour donner naissance à des produits toxiques) et ses propriétés physiques ont pu évoluer (granulométrie, élasticité, etc.). A travers cette traçabilité, il s’agit de garantir la qualité de la production (se prémunir contre les contrefaçons par exemple) et à travers elle la sécurité des consommateurs, mais aussi des travailleurs qui vont intervenir aux différentes étapes du cycle de vie de chaque produit.

      Les techniques de traçabilité sont variées, mais compte tenu des pas temporels, le recours à des dispositifs impliquant les technologies de l’information et de la communication (TIC) paraît inévitable, même si elles peuvent générer des consommations énergétiques parfois significatives.

       

      1. Une modification significative des besoins de logistique et de transports

      Si, avec le raccourcissement des chaînes de production dû à la relocalisation de certains moyens de production, les transports longue distance devraient être moins nombreux, on pourrait en revanche assister au développement des courses à courte et moyenne distances. En effet, tant pour les réparations que pour les opérations de recyclage et de tri, il y aura la nécessité d’organiser des circuits de messagerie plus ou moins complexes entre les différents acteurs. Tel type de pièces issues d’une opération de déconstruction devra, après tri, être regroupé par exemple dans un entrepôt clairement identifié pour approvisionner les industries ou les artisans qui en auront besoin. Le nombre et la localisation de ces entrepôts seront ajustés pour aboutir au meilleur équilibre disponibilité des pièces / coût des transports. Il s’agit d’un nouvel élément qui confirme la composante technologique forte de l’économie circulaire, mettant en évidence, comme dans l’exemple précédent sur la traçabilité, l’importance des TIC.

      Ces technologies devraient également permettre de mieux organiser la circulation des marchandises : aujourd’hui, malgré des tentatives d’optimisation, certains voyages retours se font à vide ; d’autre part, l’hétérogénéité de certains conditionnements ne permet pas une bonne rentabilisation de l’espace disponible ou de la charge totale pouvant être transportée, même si dans ce domaine également les efforts d’amélioration sont constants. Il faudra y remédier dans une logique d’économie d’énergie.

      Dans cette optique d’optimisation, le développement d’un internet physique, qui consiste à appliquer à la logistique des marchandises les principes développés pour gérer les échanges d’information sur l’Internet, pourrait voir le jour avec une standardisation plus forte des contenants et la constitution de réseau d’entrepôts très automatisés (hubs).

       

      1. Du bon usage de la robotisation

      À l’heure actuelle, le choix entre la robotisation et le travail humain se fait d’abord sur des critères de qualité et de flexibilité de la production : le travailleur est dans la plupart des cas plus adroit que la machine, il fait preuve de plus d’adaptabilité… Si la production peut être réalisée par une succession de tâches unitaires routinières, l’avantage passe souvent du côté de la machine, même si les coûts d’investissement peuvent être significatifs. En revanche, si la production est plus diversifiée dans une logique d’économie circulaire, si les séries sont plus courtes, un certain nombre d’arbitrages peuvent être modifiés. Il n’est cependant pas concevable que ce retour de l’homme puisse se faire dans des conditions de travail délétères pour sa santé ou sa sécurité. Le choix de la « cobotisation » peut alors être opportun. Ce mode d’organisation associe le travailleur et le robot collaboratif (cobot). Ce dernier démultiplie les capacités de l’homme tout en allégeant potentiellement sa charge de travail par la réalisation de tâches physiquement contraignantes ou avec une faible valeur ajoutée. Le cobot accroit l’efficacité du geste humain, fruit de son habileté et de son intelligence.

      La question de la collecte et du tri des déchets va devenir centrale. C’est aujourd’hui un domaine où la présence de l’économie sociale et solidaire (ESS) est forte à travers par exemple des entreprises de réinsertion. Mais les progrès technologiques permettent d’ores et déjà une certaine automatisation du tri des déchets avec un développement de grosses installations significativement automatisées. Avec la croissance prévisible des activités de récupération, réparation, déconstruction, donc de tri, il y a là un gisement d’emplois non négligeable. Beaucoup d’entreprises issues de l’ESS font actuellement un gros effort technologique pour améliorer leurs rendements, la qualité de leurs prestations et les conditions de travail de leurs employés. Pour autant, ces métiers restent encore souvent peu qualifiés et destinés à fournir un emploi transitoire dans le cadre de la reprise d’un parcours professionnel. A ce titre, ils sont aidés financièrement par les collectivités nationale et territoriales.

      L’accroissement des volumes et du travail, le caractère de plus en plus stratégique de la ressource déchets vont modifier les équilibres. Logiquement, l’automatisation de ces activités devrait progresser : il faudra prendre garde aux équilibres pour que cette évolution ne se traduise pas par une détérioration des conditions de travail des moins qualifiés et des moins formé. De nombreuses études[5][6][7], provenant d’horizons très variés, font le lien entre la qualité du travail effectué et la qualité des conditions de travail. Parce qu’elle peut libérer du temps de réflexion, l’automatisation est un excellent outil pour développer la créativité des travailleurs… mais aussi parfois pour l’étouffer dans l’œuf, si elle conduit à une production normée et à un travail écrasé par la prescription. Des gains de productivité et de qualité des prestations ont été obtenus en associant mieux l’ensemble des intervenants aux décisions d’organisation. Ecouter la parole des travailleurs à travers l’expression de leurs collectifs de travail, leur donner les moyens de contribuer aux changements à travers la formation sont autant d’atouts ; l’économie circulaire c’est aussi cultiver les capacités de tous les acteurs.

       

      Conclusions

      L’introduction de l’économie circulaire va modifier profondément la structure industrielle des pays développés. Tout dépendra évidemment du rythme qui sera retenu… ou qui s’imposera. Mais il est légitime d’envisager un bouleversement qui va donc mobiliser des ressources financières importantes. Il s’agit donc vraiment d’une reconstruction au sens propre. Sans être en mesure de nous prononcer sur la justesse des moyens proposés par nos collègues économistes, nous ne pouvons que souscrire à leur postulat du besoin d’une réelle coordination des politiques.

      Produits de sortie de l’exercice de prospective que nous avons réalisé avec différents partenaires sur le sujet de l’économie circulaire, les scénarios à 2040 ont majoritairement été construits dans une optique visant à explorer les changements technologiques et leurs influences sur les conditions de travail : nous invitons les lecteurs intéressés à s’y référer[8]. Certes un An 01[9] est toujours possible (« On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste »), mais il n’est pas apparu comme le plus probable. Les équilibres entre les Gafam et les Etats ont fait l’objet de nombreux débats à l’intérieur du groupe de travail et nous ne les trancherons pas davantage dans cet article que nous n’avons privilégié les uns ou les autres dans nos scénarios.

      Quels que soient les cas de figure, nous insistons sur le fait que la composante humaine est importante dans la détermination de cette nouvelle politique industrielle. Aucune urgence ne justifie que les conditions de travail puissent se détériorer durablement. Et l’expérience partagée de la prévention des risques professionnels montre que de bonnes conditions de travail ne sont possibles que si elles ont été considérées d’emblée comme un des paramètres de l’efficience du système à créer et prises en compte dès la conception/construction. Y revenir ultérieurement s’avère très coûteux et moins efficace. Il faudra cependant faire preuve d’adaptabilité et de créativité : les risques professionnels et le contexte dans lequel ils s’inscriront vont inévitablement changer. Il s’agira donc d’être également innovant pour les prévenir, ce qui est tout à fait possible dans le respect des principes généraux de prévention[10].

       

      Les auteurs remercient Agnès Aublet-Cuvelier et Benoit Courrier pour leurs suggestions et leur relecture

      [1] https://institut-rousseau.fr/comment-financer-une-politique-ambitieuse-de-reconstruction-ecologique/

      [2] A. Deboutière, L. Georgeault – Quel potentiel d’emplois pour une économie circulaire. Institut de l’économie circulaire, 2015.

      [3] Rémy Le Moigne – L’économie circulaire. Stratégie pour un monde durable. Dunod, janvier 2018.

      [4] Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) – Economie circulaire. Disponible à : https://www.ademe.fr/expertises/economie-circulaire

      [5] E. Bourdu, M.M. Péretié, M. Richer – La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité. Refonder les organisations du travail. Anact, Terra Nova, La Fabrique de l’industrie. Les notes de la Fabrique, 2016.

      [6] T. Coutrot – Libérer le travail. Le Seuil, 2018.

      [7] F. Laloux – Reinventing organizations. Vers des communautés de travail inspirées. Diateino, 2015.

      [8] Economie circulaire 2040. Quels impacts en santé et sécurité au travail ? Quelle prévention ? Disponible à :  http://www.inrs.fr/inrs/prospective-quel-travail-demain.html

      [9] L’an 01 est à l’origine une bande dessinée de Gébé parue dans Politique Hebdo puis Charlie Hebdo à la fin des années 1960 et au début des années 1970, dont a été tiré en 1973 un film (Jacques Doillon, Alain Resnais, Jean Rouch). Une partie de la population décide un jour de la suppression sine die de l’économie de marché et du productivisme, avant d’envisager une remise en route progressive destinée à répondre aux besoins essentiels.

      [10] http://www.inrs.fr/demarche/principes-generaux/introduction.html

      Publié le 29 mai 2020

      L’économie circulaire, un élément d’une politique de reconstruction écologique
      Le point de vue des conditions de travail et des risques professionnels

      Auteurs

      Michel Héry
      Responsable de la mission Veille et prospective à l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles).

      Marc Malenfer
      Marc Malenfer est chargé de projet (mission veille et prospective) à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS).

      À la lecture de l’article Comment financer une politique ambitieuse de reconstruction écologique publié par Gaël Giraud, Nicolas Dufrêne et Pierre Gilbert sur le site de l’Institut Rousseau[1], ce ne sont pas tant ses aspects économiques que nous avons retenus (ils ne sont pas dans notre domaine de compétences) que l’utilisation du terme reconstruction. Il y a là en effet un écho aux réflexions que nous avait inspirées la réalisation récente d’un exercice de prospective consacré à l’économie circulaire (EC). Cette EC qui à coup sûr serait un des éléments importants dans la reconstruction écologique appelée de leurs vœux par les auteurs de l’Institut Rousseau.

      Nous nous proposons dans cet article, après un bref aperçu de ce que cette notion d’EC recouvre, de décrire les principaux bouleversements qui résulteraient de ce changement dans les modes et méthodes de production. La prévention des risques professionnels étant notre métier, nous insisterons également sur les évolutions des conditions de travail et leurs conséquences en termes d’accidents et de maladies professionnelles.

      Nous n’aborderons pas ici des considérations économiques comme le coût de la transition : à notre connaissance, les données sont très lacunaires (les auteurs de l’Institut Rousseau estiment entre 70 et 100 milliards d’euros par an les besoins annuels d’investissement supplémentaires pour mener une politique ambitieuse de reconstruction écologique en France). En revanche, il existe quelques chiffres sur les questions d’emploi. Une étude[2] estime à 600 000 le nombre d’emplois déjà liés à cette forme d’économie. Avec un potentiel supplémentaire de 200 000 à 400 000 grâce à des mesures relativement simples visant à diminuer la consommation de matières premières et d’énergie. Au Royaume-Uni, d’autres études aboutissent à 500 000. On voit donc que les conséquences humaines sont loin d’être négligeables.

       

      1. Economie linéaire vs économie circulaire

      Les sociétés vivent principalement selon un schéma économique linéaire résumé ainsi par Rémy Le Moigne[3] : « Notre économie est ainsi basée sur le modèle linéaire qui se résume à « extraire ̶̶̶ fabriquer ̶̶̶ consommer ̶̶̶ jeter », qui consomme des ressources naturelles et de l’énergie pour fabriquer des produits qui deviendront, en fin de compte, des déchets ». En raison de ses conséquences écologiques (en particulier climatiques et environnementales) et de sa forte consommation de ressources naturelles et d’énergie, ce modèle apparaît comme peu soutenable sur le long, voire sur le moyen terme. Certains, dans une logique de protection de l’environnement, proposent de lui substituer progressivement un modèle dit d’économie circulaire, schématisé sur la Figure 1 :

      Figure 1 – Economie circulaire selon le schéma proposé par l’Ademe[4]

      Ce schéma montre clairement que la démarche va bien au-delà du simple recyclage de matière, mais concerne aussi l’organisation du tissu industriel, la conception des biens, les modes de consommation, etc.

       

      1. Une reconstruction de la production

      Dans une logique d’économie circulaire, il devient nécessaire de concevoir autrement pour de multiples raisons :

      • pour réduire autant que faire se peut l’utilisation de matières premières non renouvelables,
        • pour que les biens soient plus durables et puissent être réparés au cours de leur cycle de vie (rupture en particulier avec le concept d’obsolescence programmée),
        • pour que leur fabrication et leur utilisation nécessitent le moins d’énergie possible,
        • pour qu’ils se prêtent à d’autres types de consommation, tels que l’économie de la fonctionnalité qui passe de la fourniture d’un bien à celui d’un service (incitant ainsi le producteur à concevoir des biens plus durables), ou la consommation collaborative (qui voit plusieurs utilisateurs se partager l’utilisation d’un même bien),
        • pour permettre l’utilisation de matières secondaires (issues du recyclage, donc souvent d’un degré de pureté inférieur aux matières premières) ou la réutilisation d’éléments après déconstruction de biens en fin de vie,
      • en contrepartie, les biens doivent être conçus pour que des éléments ou des parties puissent être déconstruits facilement et que si cela n’est pas possible, leurs matières soient facilement recyclables.

       

      Une part de l’appareil de production pourra certainement être adaptée à cette nouvelle donne, mais la relocalisation de certaines productions (afin de diminuer l’empreinte carbone due aux transports) nécessitera la création de nouvelles installations. Ces installations devront intégrer dès la conception des mesures de prévention, en particulier pour toutes les opérations de maintenance, de remplacement d’éléments prévus par l’allongement de la durée de vie des outils et la recyclabilité des composants du process.

      Le développement de l’écologie industrielle et territoriale se donnant pour objectif la gestion en commun des flux (les déchets d’une entreprise deviennent la matière première d’une ou plusieurs autres, de préférence à proximité immédiate afin de limiter la dépense énergétique liée aux transports) pourrait aussi remodeler de façon significative le tissu industriel.

       

      1. La recréation et la relocalisation de nouvelles activités

      Une durée de vie accrue des biens de consommation implique le développement d’activités de maintenance pour leur entretien ou leur réparation. Il faut donc que la conception ait intégré ce nouveau paramètre, mais aussi qu’une réflexion ait été menée sur la formation et les conditions de travail des travailleurs impliqués, donc sur la conception des installations dans lesquelles s’effectueront leurs interventions.

      Afin de diminuer la consommation énergétique, des productions devront être relocalisées : il ne sera plus possible d’expédier à l’étranger des déchets pour leur recyclage. Actuellement, la délocalisation de la fabrication de principes actifs pharmaceutiques ou celle du recyclage de métaux ferreux et non ferreux n’est pas seulement due à des questions de coût, mais aussi à des considérations de préservation de l’environnement des pays développés et de la santé et sécurité au travail de leurs travailleurs. Il est plus économique non seulement de faire travailler dans un pays sous-traitant, mais aussi d’exporter la pollution vers le territoire de ce pays sous-traitant et d’ignorer les conditions de travail des employés. Dans une logique d’économie circulaire, les nouvelles installations devront être rentables économiquement, mais également performantes pour l’environnement au sens large.

       

      1. Des besoins accrus en technologies

      Les dernières décennies ont été marquées par une automatisation croissante des activités industrielles, mais aussi des services (à l’exception des services à la personne qui ont assez largement compensé la destruction des emplois industriels dans les pays développés). Aucun indice ne conduit à supposer que cette tendance s’inversera. Elle semble même souhaitable. En reprenant les exemples donnés précédemment de l’industrie du médicament et du recyclage de métaux, on voit bien que, quelles que soient les qualités des dispositifs de traitement de la pollution à la source (aspiration des polluants par exemple), il y aura tout intérêt à éloigner les travailleurs des sources d’émission. Dans cette optique, l’automatisation apparaît comme une solution satisfaisante à condition que la sécurisation des interventions humaines résiduelles soit également anticipées (notamment les interventions d’entretien et de maintenance des équipements).

      L’objectif d’approcher les 100% de recyclage des matériaux est impossible à atteindre, même avec des dispositifs de conception et de déconstruction adaptés. Il sera nécessaire de développer de nouveaux matériaux, en particulier des matériaux composites, plus performants mais aussi qui posent moins de difficultés pour la séparation et la récupération des divers composants à un degré de pureté suffisamment satisfaisant pour permettre une réutilisation ultérieure.

       

      1. Des besoins accrus en traçabilité

      Puisque chaque élément ou chaque matériau constitutif d’un bien a vocation à être réutilisé, il va être nécessaire de développer des systèmes de traçabilité permettant de connaître rapidement et facilement les caractéristiques des produits concernés. Ainsi, si un élément utilisé dans la construction (un pan de béton par exemple) a une durée prévisible de fonctionnement en sûreté de 40 ans (ou de trois utilisations successives), il faudra être en mesure d’accéder à cette information lors de toute réutilisation. De même si une matière secondaire doit être réutilisée pour un usage bien précis, il faudra être en mesure de documenter ses usages précédents pour s’assurer de sa conformité : sa composition a certainement changé, elle a subi des dégradations (y compris pour donner naissance à des produits toxiques) et ses propriétés physiques ont pu évoluer (granulométrie, élasticité, etc.). A travers cette traçabilité, il s’agit de garantir la qualité de la production (se prémunir contre les contrefaçons par exemple) et à travers elle la sécurité des consommateurs, mais aussi des travailleurs qui vont intervenir aux différentes étapes du cycle de vie de chaque produit.

      Les techniques de traçabilité sont variées, mais compte tenu des pas temporels, le recours à des dispositifs impliquant les technologies de l’information et de la communication (TIC) paraît inévitable, même si elles peuvent générer des consommations énergétiques parfois significatives.

       

      1. Une modification significative des besoins de logistique et de transports

      Si, avec le raccourcissement des chaînes de production dû à la relocalisation de certains moyens de production, les transports longue distance devraient être moins nombreux, on pourrait en revanche assister au développement des courses à courte et moyenne distances. En effet, tant pour les réparations que pour les opérations de recyclage et de tri, il y aura la nécessité d’organiser des circuits de messagerie plus ou moins complexes entre les différents acteurs. Tel type de pièces issues d’une opération de déconstruction devra, après tri, être regroupé par exemple dans un entrepôt clairement identifié pour approvisionner les industries ou les artisans qui en auront besoin. Le nombre et la localisation de ces entrepôts seront ajustés pour aboutir au meilleur équilibre disponibilité des pièces / coût des transports. Il s’agit d’un nouvel élément qui confirme la composante technologique forte de l’économie circulaire, mettant en évidence, comme dans l’exemple précédent sur la traçabilité, l’importance des TIC.

      Ces technologies devraient également permettre de mieux organiser la circulation des marchandises : aujourd’hui, malgré des tentatives d’optimisation, certains voyages retours se font à vide ; d’autre part, l’hétérogénéité de certains conditionnements ne permet pas une bonne rentabilisation de l’espace disponible ou de la charge totale pouvant être transportée, même si dans ce domaine également les efforts d’amélioration sont constants. Il faudra y remédier dans une logique d’économie d’énergie.

      Dans cette optique d’optimisation, le développement d’un internet physique, qui consiste à appliquer à la logistique des marchandises les principes développés pour gérer les échanges d’information sur l’Internet, pourrait voir le jour avec une standardisation plus forte des contenants et la constitution de réseau d’entrepôts très automatisés (hubs).

       

      1. Du bon usage de la robotisation

      À l’heure actuelle, le choix entre la robotisation et le travail humain se fait d’abord sur des critères de qualité et de flexibilité de la production : le travailleur est dans la plupart des cas plus adroit que la machine, il fait preuve de plus d’adaptabilité… Si la production peut être réalisée par une succession de tâches unitaires routinières, l’avantage passe souvent du côté de la machine, même si les coûts d’investissement peuvent être significatifs. En revanche, si la production est plus diversifiée dans une logique d’économie circulaire, si les séries sont plus courtes, un certain nombre d’arbitrages peuvent être modifiés. Il n’est cependant pas concevable que ce retour de l’homme puisse se faire dans des conditions de travail délétères pour sa santé ou sa sécurité. Le choix de la « cobotisation » peut alors être opportun. Ce mode d’organisation associe le travailleur et le robot collaboratif (cobot). Ce dernier démultiplie les capacités de l’homme tout en allégeant potentiellement sa charge de travail par la réalisation de tâches physiquement contraignantes ou avec une faible valeur ajoutée. Le cobot accroit l’efficacité du geste humain, fruit de son habileté et de son intelligence.

      La question de la collecte et du tri des déchets va devenir centrale. C’est aujourd’hui un domaine où la présence de l’économie sociale et solidaire (ESS) est forte à travers par exemple des entreprises de réinsertion. Mais les progrès technologiques permettent d’ores et déjà une certaine automatisation du tri des déchets avec un développement de grosses installations significativement automatisées. Avec la croissance prévisible des activités de récupération, réparation, déconstruction, donc de tri, il y a là un gisement d’emplois non négligeable. Beaucoup d’entreprises issues de l’ESS font actuellement un gros effort technologique pour améliorer leurs rendements, la qualité de leurs prestations et les conditions de travail de leurs employés. Pour autant, ces métiers restent encore souvent peu qualifiés et destinés à fournir un emploi transitoire dans le cadre de la reprise d’un parcours professionnel. A ce titre, ils sont aidés financièrement par les collectivités nationale et territoriales.

      L’accroissement des volumes et du travail, le caractère de plus en plus stratégique de la ressource déchets vont modifier les équilibres. Logiquement, l’automatisation de ces activités devrait progresser : il faudra prendre garde aux équilibres pour que cette évolution ne se traduise pas par une détérioration des conditions de travail des moins qualifiés et des moins formé. De nombreuses études[5][6][7], provenant d’horizons très variés, font le lien entre la qualité du travail effectué et la qualité des conditions de travail. Parce qu’elle peut libérer du temps de réflexion, l’automatisation est un excellent outil pour développer la créativité des travailleurs… mais aussi parfois pour l’étouffer dans l’œuf, si elle conduit à une production normée et à un travail écrasé par la prescription. Des gains de productivité et de qualité des prestations ont été obtenus en associant mieux l’ensemble des intervenants aux décisions d’organisation. Ecouter la parole des travailleurs à travers l’expression de leurs collectifs de travail, leur donner les moyens de contribuer aux changements à travers la formation sont autant d’atouts ; l’économie circulaire c’est aussi cultiver les capacités de tous les acteurs.

       

      Conclusions

      L’introduction de l’économie circulaire va modifier profondément la structure industrielle des pays développés. Tout dépendra évidemment du rythme qui sera retenu… ou qui s’imposera. Mais il est légitime d’envisager un bouleversement qui va donc mobiliser des ressources financières importantes. Il s’agit donc vraiment d’une reconstruction au sens propre. Sans être en mesure de nous prononcer sur la justesse des moyens proposés par nos collègues économistes, nous ne pouvons que souscrire à leur postulat du besoin d’une réelle coordination des politiques.

      Produits de sortie de l’exercice de prospective que nous avons réalisé avec différents partenaires sur le sujet de l’économie circulaire, les scénarios à 2040 ont majoritairement été construits dans une optique visant à explorer les changements technologiques et leurs influences sur les conditions de travail : nous invitons les lecteurs intéressés à s’y référer[8]. Certes un An 01[9] est toujours possible (« On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste »), mais il n’est pas apparu comme le plus probable. Les équilibres entre les Gafam et les Etats ont fait l’objet de nombreux débats à l’intérieur du groupe de travail et nous ne les trancherons pas davantage dans cet article que nous n’avons privilégié les uns ou les autres dans nos scénarios.

      Quels que soient les cas de figure, nous insistons sur le fait que la composante humaine est importante dans la détermination de cette nouvelle politique industrielle. Aucune urgence ne justifie que les conditions de travail puissent se détériorer durablement. Et l’expérience partagée de la prévention des risques professionnels montre que de bonnes conditions de travail ne sont possibles que si elles ont été considérées d’emblée comme un des paramètres de l’efficience du système à créer et prises en compte dès la conception/construction. Y revenir ultérieurement s’avère très coûteux et moins efficace. Il faudra cependant faire preuve d’adaptabilité et de créativité : les risques professionnels et le contexte dans lequel ils s’inscriront vont inévitablement changer. Il s’agira donc d’être également innovant pour les prévenir, ce qui est tout à fait possible dans le respect des principes généraux de prévention[10].

       

      Les auteurs remercient Agnès Aublet-Cuvelier et Benoit Courrier pour leurs suggestions et leur relecture

      [1] https://institut-rousseau.fr/comment-financer-une-politique-ambitieuse-de-reconstruction-ecologique/

      [2] A. Deboutière, L. Georgeault – Quel potentiel d’emplois pour une économie circulaire. Institut de l’économie circulaire, 2015.

      [3] Rémy Le Moigne – L’économie circulaire. Stratégie pour un monde durable. Dunod, janvier 2018.

      [4] Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) – Economie circulaire. Disponible à : https://www.ademe.fr/expertises/economie-circulaire

      [5] E. Bourdu, M.M. Péretié, M. Richer – La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité. Refonder les organisations du travail. Anact, Terra Nova, La Fabrique de l’industrie. Les notes de la Fabrique, 2016.

      [6] T. Coutrot – Libérer le travail. Le Seuil, 2018.

      [7] F. Laloux – Reinventing organizations. Vers des communautés de travail inspirées. Diateino, 2015.

      [8] Economie circulaire 2040. Quels impacts en santé et sécurité au travail ? Quelle prévention ? Disponible à :  http://www.inrs.fr/inrs/prospective-quel-travail-demain.html

      [9] L’an 01 est à l’origine une bande dessinée de Gébé parue dans Politique Hebdo puis Charlie Hebdo à la fin des années 1960 et au début des années 1970, dont a été tiré en 1973 un film (Jacques Doillon, Alain Resnais, Jean Rouch). Une partie de la population décide un jour de la suppression sine die de l’économie de marché et du productivisme, avant d’envisager une remise en route progressive destinée à répondre aux besoins essentiels.

      [10] http://www.inrs.fr/demarche/principes-generaux/introduction.html

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