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Pour une couverture totale de l’activité partielle

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      Pour une couverture totale de l’activité partielle

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      L’activité partielle constitue un des dispositifs les plus anciens de la politique publique de l’emploi. Il consiste à verser une partie de leur salaire à des employés qui cessent le travail, tout en maintenant leur lien contractuel avec l’employeur. Il apparaît formellement avec le décret du 19 avril 1918, qui institue des caisses publiques départementales de secours « contre le chômage résultant de la crise du ravitaillement, des matières premières et du charbon pour les industries » – un chômage conjoncturel partiel, administré par des offices paritaires départementaux et municipaux. La plupart des caisses syndicales, parfois abondées par subvention publique, prévoient alors aussi ce type d’aide. Une série de décrets, circulaires et ordonnances cimentent le dispositif entre 1931 et 1958. Un accord national interprofessionnel de 1968 entérine le caractère national et homogène du dispositif, sans requérir d’accords de branche.

      Ce dispositif à caractère préventif répond aux intérêts de plusieurs groupes sociaux. Du côté des salariés, il évite leur paupérisation, leur déqualification et la perte de statut social qu’engendre le chômage total. Il écarte le risque de licenciement, en échange d’une réduction provisoire de salaire. Du côté des employeurs, il limite les coûts de réembauche, la perte de potentiel productif avec les salariés les mieux formés et la dilapidation des frais de formation consentis. Une autre motivation, du côté de l’administration publique et des décideurs politiques, concerne l’information sur le marché de l’emploi. Un outil d’activité partielle attractif pour les employeurs leur apparaît nécessaire pour mesurer le temps d’emploi réel en entreprise et, ainsi, constituer des statistiques fiables de l’activité, sa variation et sa répartition entre branches. Ce souci est illustré par les anciens participants au Front populaire, concepteurs de la loi des 40 heures, marqués par leur difficulté à analyser, alors, le temps d’emploi par secteur et taille d’entreprise (Mendès-France, 1966). En somme, l’activité partielle est censée réunir un ensemble d’objectifs apparemment contradictoires : « en même temps conserver un potentiel de main-d’œuvre productif, garantir la pérennité du lien salarial et de Ia protection sociale pour les salariés et diminuer significativement les conflits » (Lallement, Lefèvre, 1997, p. 26).

      Toutefois, cet équilibre entre groupes sociaux se disloque dans la crise du Covid-19, où les usages de l’activité partielle apparaissent particulièrement ambigus et problématiques. Cette situation appelle une réforme de l’activité partielle, pour l’adapter aux enjeux contemporains et aux défis à venir. Cette note présente les limites du dispositif en termes de couverture (1), d’indemnisation (2) et de contrôle des abus (3) avant d’en proposer plusieurs pistes de réformes (4).

       

      1. Un dispositif qui couvre mal les travailleurs précarisés

       

      L’une des limites les plus saillantes du dispositif est la couverture incomplète qu’il fournit. Un ensemble de salariés sont en effet laissés en dehors du dispositif : indépendants, salariés en contrats courts (intérimaires, CDD, saisonniers), chômeurs en fin de droits et démissionnaires.

       

      Un dispositif qui exclut structurellement les travailleurs indépendants

       

      Le dispositif d’activité partielle ne concerne, par définition, que les salariés, laissant de côté les indépendants. Certains ont pu affronter le confinement sereinement, soit parce qu’ils ont pu poursuivre leur activité, soit parce qu’ils disposaient d’une épargne de précaution conséquente, fréquente chez les indépendants (Lamarche et Romani, 2015). Mais un autre segment de ce groupe social s’est trouvé, lui, privé d’activité sans disposer de réserves financières conséquentes. Au premier rang de ceux-ci, on trouve une population dont le statut d’indépendant est contestable, qui exerce le plus souvent sous le statut d’auto-entrepreneurs : chauffeurs de plateformes, ouvriers du BTP, livreurs, etc., dont l’activité est fortement – voire totalement – dépendante d’un donneur d’ordre.

       

      Une prise en charge éphémère des précaires en contrats courts

       

      Pour les salariés en contrats courts, le dispositif s’applique théoriquement. En pratique, de nombreux employeurs ne les ont pas inclus dans leur demande et ont rompu le contrat de manière anticipée, le plus souvent en appliquant – de manière abusive – la clause de force majeure. De ce point de vue, le refus du gouvernement de contrôler, même provisoirement, les licenciements s’est payé par des destructions massives et immédiates d’emplois. Pour les salariés concernés, cela se traduit par une perte de revenus importante, le taux de remplacement de l’assurance-chômage étant moins élevé que celui de l’activité partielle (71 % en moyenne contre 84 %, et 100 % au niveau du SMIC). Mais même lorsque l’activité partielle a été appliquée à ces salariés, ils n’ont été indemnisés que jusqu’à échéance du contrat. Au-delà, ils basculent vers l’assurance-chômage. Outre la complexité d’une démarche administrative supplémentaire pour les nouveaux chômeurs, ce basculement ne peut s’opérer que sous réserve d’ouverture de droits. Cela exclut notamment les travailleurs précaires de type saisonnier, pour lesquels les allocations-chômage font partie du cycle ordinaire de l’année laborieuse, mais s’étendent démesurément en 2020 faute d’opportunité de réembauche.

       

      Chômeurs et travailleurs de l’économie informelle livrés à eux-mêmes

       

      D’une manière générale, l’ensemble des chômeurs ayant épuisé leurs droits se sont retrouvés privés de toute perspective d’embauche, sans pour autant que l’accès à l’assurance-chômage leur soit réouvert. Problématique a aussi été la situation des travailleurs en inter-contrats, ayant démissionné d’un emploi avant la crise en vue de prendre un nouveau poste dans le courant des mois d’avril ou de mars. Nombre d’entre eux ont vu leur embauche repoussée sine die, quand elle n’a pas été purement et simplement annulée, les laissant sans revenus pendant toute la période du confinement, et probablement au-delà.

      À l’ensemble de ces catégories bien connues des politiques de l’emploi s’ajoute celle des travailleurs de l’économie informelle. S’il n’est pas possible, par définition, d’en donner une évaluation précise, le travail au noir représente un volume d’activité considérable : on peut estimer à 1,9 million le nombre de salariés concernés (Gubian, Hagneré, Mahieu, 2019), dont plus de la moitié ne vivent que du travail informel. Plusieurs travaux scientifiques ont montré que ce dernier tenait une place importante dans l’économie locale de territoires touchés par le chômage de masse, que ce soit dans les territoires urbains comme ruraux (Coquard, 2019). Pour ces travailleurs, le confinement général a signifié la quasi-fin de leur activité, sans aucune forme de compensation financière. Certains seront tentés de questionner la moralité de l’indemnisation d’un travail non-déclaré, dont les revenus ne contribuent pas à la solidarité collective. Mais le droit du travail considère que l’employeur est le principal responsable du travail illégal, et ne poursuit que peu ou pas le salarié. Or, dans le cadre du confinement, ce sont les travailleurs de l’économie informelle qui ont été les seuls punis, par la privation quasi-totale de revenus, étant exclus de tout dispositif national de solidarité.

       

      2. Un dispositif inadapté à la crise sanitaire

       

      L’activité partielle laisse donc largement de côté les travailleurs précaires (indépendants comme salariés), les chômeurs et les travailleurs non-déclarés. Mais même pour les salariés couverts, ce dispositif se traduit par un revenu de remplacement sensiblement diminué par rapport au revenu habituel.

       

      Un recours segmenté

       

      Un sondage commandé par la fondation Jean Jaurès tend à montrer que le recours à l’activité partielle est fortement corrélé au statut social : si 56 % des ouvriers et 42 % des employés ont été placés en activité partielle, cette proportion tombe à un tiers (32 %) pour les professions intermédiaires et seulement 17 % des cadres. Les catégories sociales les moins bien rémunérées sont donc les plus concernées par la mise en activité partielle. Or, la perte de rémunération n’a pas les mêmes conséquences sur la vie quotidienne d’un ménage selon que le salaire mensuel concerné se situe autour de 1500 euros (le revenu médian) ou autour de 4000 euros (le revenu moyen d’un cadre).

      Autrement dit, non seulement les ouvriers, les employés et professions intermédiaires sont beaucoup plus concernés que les cadres par l’activité partielle, mais la baisse de revenus qu’elle entraîne les frappent beaucoup plus durement. En effet, pour les 8 premiers déciles de revenus, cette baisse est supérieure à la part du revenu consacrée habituellement à l’épargne (INSEE, 2017), et obère donc mécaniquement les revenus de consommation. Face à ces inégalités, le gouvernement couvre l’intégralité de l’indemnisation au niveau du SMIC, sans reste à charge pour les employeurs. Ce dispositif apporte une première prise en compte des inégalités salariales dans le dispositif, mais qui demeure très insuffisante : elle laisse de côté la vaste part des classes populaires dont le salaire horaire se situe au-dessus du SMIC, tout en restant très largement inférieur aux revenus des classes supérieures.

      Parmi les employeurs, certains se retrouvent aussi pris dans des situations de tensions insoutenables, en marge du dispositif. Une illustration en est donnée par les services qui requièrent une maintenance permanente (donc un maintien des consignes salariales), ordinairement financée par une clientèle désormais absente, à l’instar des zoos ou des parcs privés. L’outil de travail disparaîtrait en cas d’activité partielle, mais son entretien est insoutenable.

       

      Le confinement amplifie les inégalités socioprofessionnelles

       

      Le passage en activité partielle se traduit par le versement de 84 % du salaire mensuel normal. Ce chiffre réglementaire cache de vastes disparités en termes de revenu. Il est artificiellement majoré, car il exclut certaines primes liées à l’activité ou à la productivité[1]. Quant aux salariés dont le revenu repose largement sur des commissions ou des pourboires, la compensation devient rapidement dérisoire. À cela s’ajoute une perte de revenus différée, puisque l’indemnité d’activité partielle n’ouvre pas de droits à la retraite.

      Cette baisse de revenus incorporée à l’activité partielle est amplifiée dans le cadre du confinement général. D’ordinaire, la décote est justifiée par la possibilité d’exercer des activités complémentaires ou de substitution – un « travail d’à côté » (Weber, 1989). Privés d’accès à leur établissement, un grand nombre de salariés placés en activité partielle travaillent quelques jours ou quelques heures sur des missions ponctuelles (ou des activités non-déclarées rémunérées en liquide ou en nature), censées compenser la perte salariale, ou même la résorber complètement. À cela s’ajoutent de nouveaux frais à domicile, de chauffage des pièces ou de dépenses d’électricité. L’endogamie sociale parachève le risque d’une perte conjointe de revenus, lorsque les cohabitants du ménage exercent une activité dans le même secteur. Ainsi, 40 % des travailleurs du pays en activité partielle sont éligibles à une triple peine : perte de revenus, impossibilité de gains parallèles, dépenses accrues.

      Cette situation génère aussi d’importants gaspillages, lorsque des contremaîtres ou cadres sont envoyés dans l’établissement par leur employeur, afin de vérifier que les individus en activité partielle ne s’y rendraient pas « clandestinement » pour travailler, soit par désœuvrement à domicile, soit par attachement identitaire à leur travail, soit par désir de sociabilité avec des collègues.

       

      3. Entre abus et fraudes

       

      Le dispositif d’activité partielle est également générateur de nombreuses controverses, qui découlent parfois d’abus ou même de fraudes caractérisées de la part des employeurs. Toutes ambitionnent d’accroître le taux d’exploitation de la force de travail dans la période, pour surmonter les coûts, se préparer aux incertitudes ou profiter du moment pour abonder les trésoreries. On peut en distinguer différentes causes.

       

      Une typologie de l’exploitation

       

      Diverses formes de travail gratuit voient le jour dans la période (Simonet, 2018). En premier lieu, l’articulation entre activité partielle et télétravail s’avère régulièrement problématique. En effet, renvoyés à leur domicile, de nombreux travailleurs méconnaissent leur statut actuel. L’absence du lieu de travail limite l’accès à l’information. Certains continuent ainsi à œuvrer en statut de télétravail, découvrant sur le tard qu’ils ont été placés en activité partielle et, à ce titre, libérés de toute mission. Un jeu sur les deux tableaux apparaît aussi régulièrement, avec des employeurs qui placent les salariés en activité partielle tout en continuant à les faire travailler – pratique considérée comme du travail dissimulé par le code du travail. Le ministère du Travail a même annoncé qu’il vérifiera la conformité des demandes d’activité partielle, suspectant une prévalence élevée de tels cas.

      Les degrés d’activité partielle sont également en cause. La gamme de situations intermédiaires entre le maintien de l’activité normale de l’entreprise et son interruption totale est infinie : les employeurs peuvent placer les salariés dans des situations combinant des heures de travail maintenu (en télétravail ou en présentiel) et des heures chômées. Ainsi, des millions d’individus maintiennent une partie de leur activité salariée et reçoivent une indemnisation pour le reste. Une semaine de 35 heures peut être, par exemple, subdivisée en 15 heures chômées et 20 heures de travail maintenu. Or, rien n’implique que les objectifs de l’employeur soient revus à la baisse. Les résultats mensuels exigés demeurent stables pour beaucoup de salariés, contraints d’intensifier leurs heures de travail payées ou de déborder sur le temps de travail censé être chômé.

       

      Un désarmement des salariés

       

      La cause première de ces nouvelles formes d’exploitation est la méconnaissance du dispositif par les salariés, et le peu d’informations dont ils sont directement destinataires. En dehors de l’industrie, peu de secteurs y avaient eu jusqu’ici recours. Aussi les travailleurs étaient-ils peu familiarisés avec les règles qui l’encadrent. Dans la décennie écoulée, les salariés du commerce, des transports ou de l’hôtellerie-restauration ont été, à leur pic maximum, quelques milliers à expérimenter l’activité partielle (respectivement 6 000 en 2008, 4 000 en 2015 et 4 000 en 2019). Ils sont près de 4 millions aujourd’hui selon la DARES, une proportion sans commune mesure, dont la grande majorité découvre le dispositif.

      De plus, les règles encadrant le dispositif, notamment celles visant à assurer l’égalité de traitement entre salariés, ont été largement supprimées ou assouplies au début du confinement. Une série d’entreprises auparavant exclues du dispositif y sont désormais éligibles : les entreprises étrangères qui exercent une activité en France sans y disposer d’établissement, les entreprises publiques assurées elles-mêmes à l’assurance-chômage, les employés de particuliers à domicile ou diverses entreprises publiques (nationales, sociétés dont les salariés ont un statut national, sociétés d’économies mixtes…). Une série de salariés perdent leur singularité : la mise en activité partielle des délégués syndicaux, salariés mandatés ou membres du Comité social et économique n’est plus tributaire de leur accord écrit, si l’ensemble des salariés de l’entreprise, l’établissement, l’atelier ou le service de rattachement sont touchés ; tandis que les salariés en forfait peuvent connaître l’activité partielle, alors qu’il était subordonné à une fermeture totale de leur entreprise. Enfin, une série de contrôles réglementaires sont levés : le délai ordinaire de 15 jours avant acceptation implicite d’une demande d’activité partielle par l’administration est ramené à 2 jours, ce qui interdit totalement le contrôle des centaines de milliers de demandes déposées.

      L’accès aux règles de droit maintenues relève également du parcours du combattant. Outre le manque d’informations des salariés et l’absence de consultations des instances représentatives du personnel (IRP) là où elles existent, et malgré les facilités de recours dématérialisé, peu propice aux contestations ou aux rapports de force dans la négociation, l’inspection du travail se retrouve elle-même désarmée (Bonanno, 2020). D’abord, ses agents sont confinés et accomplissent leur activité en télétravail, ce qui bloque largement les capacités de surveillance et d’investigation, en l’absence d’auditions contradictoires ou d’observation. En second lieu, les outils professionnels à disposition n’ont pas été actualisés, de sorte que les lignes téléphoniques ou les courriels officiels ne renvoient pas aux inspecteurs confinés. Finalement, la ministre du Travail elle-même n’hésite pas à sanctionner les inspecteurs qui franchiraient tous ces obstacles pour mener à bien leur tâche de contrôle et, par des cas disciplinaires exemplaires comme celui d’Anthony Smith, tente de les dissuader de contrôler les pratiques patronales dans la période. Au-delà du confinement, l’inspection du travail est totalement paralysée par choix politique : celui de poursuivre la production « coûte que coûte ».

      L’activité partielle engendre également des rapports de domination en entreprise. Des travaux sur l’industrie automobile ont montré qu’elle renforce le rôle des employeurs dans l’organisation du travail et la distribution des postes, qu’elle marginalise certains syndicats critiques voire, même, lorsqu’elle s’inscrit dans une stratégie globale entre plusieurs sites localisés dans des lieux différents, contribue à restructurer la production et l’emploi de façon invisible pour les administrations départementales (Clouet, 2016).

       

      4. Préconisations : élargir, compléter et contrôler le dispositif d’activité partielle

       

      L’activité partielle est un dispositif important de gestion des crises économiques. Si une meilleure préparation sanitaire devrait permettre d’éviter un confinement aussi radical, il ne faut pas écarter l’hypothèse qu’un arrêt partiel ou total de l’économie doive à nouveau être décidé, que ce soit nationalement ou localement, de manière interprofessionnelle ou dans un secteur donné. À titre d’exemple, l’exposition accrue aux canicules estivales risque de mettre à l’arrêt, pendant plusieurs semaines, certains secteurs exposés comme le BTP. Il faut donc que soit pensé un dispositif souple, qui prenne en compte la diversité des situations et des statuts sociaux.

       

      Élargir le socle des bénéficiaires

       

      Une première réforme de l’activité partielle consiste à modifier son périmètre pour qu’elle intègre les salariés en contrats courts, surtout lorsqu’elle est mise en place dans le cadre d’un arrêt global de l’activité (national, local ou sectoriel). Leur licenciement doit être interdit, et leur accès à l’activité partielle étendu jusqu’à sa levée, y compris lorsque le contrat de travail s’arrête avant cette date.

      Proposition n°1 : interdire aux entreprises demandant l’activité partielle de rompre les contrats courts de manière anticipée. En cas d’urgence sanitaire, le bénéfice de l’activité partielle se poursuivra jusqu’à levée du confinement, prorogeant de fait le contrat de travail qui liait le salarié en contrat court à l’entreprise bénéficiaire.

      Au-delà du cas des salariés en contrats courts, l’ensemble des statuts d’activité doivent être pris en compte de manière solidaire. Ainsi, les indépendants doivent être mieux protégés qu’ils ne l’ont été pendant la crise de mars à mai 2020. Cette protection ne peut se faire via le dispositif d’activité partielle, puisque ceux-ci ne sont pas salariés d’une entreprise. Il convient donc d’imaginer des dispositifs spécifiques pour les indépendants et les chômeurs non-indemnisés. Pour les premiers, la solution, également envisagée en Finlande, pourrait être d’autoriser l’inscription des entreprises individuelles à l’assurance-chômage, uniquement pour le cas de l’activité partielle, financée par une cotisation spécifique.

      Proposition n°2 : ouvrir l’accès au dispositif d’activité partielle aux entreprises individuelles, qui resteraient soumises à autorisation de l’assurance-chômage.
      Proposition n°3 : mettre en place une cotisation spécifique pour les indépendants afin de financer ce régime.

      Les chômeurs en fin de droit ont vu leurs indemnités prolongées le temps du confinement. Il a en effet été considéré qu’ils ne pouvaient espérer retrouver un emploi dans le cadre du confinement. Cette mesure de bon sens laisse de côté le cas des travailleurs dont les droits se sont déjà épuisés, tout comme ceux de l’économie informelle. Contrairement aux travailleurs indemnisés, ils ne sont pas systématiquement inscrits à Pôle Emploi. Confier à ce dernier la prise en charge de leur situation aboutirait à laisser plusieurs millions de précaires en dehors de la solidarité nationale. De ce point de vue, la manière la plus simple et opérationnelle de venir en aide à ces travailleurs privés d’emploi consisterait à s’appuyer sur le fichier des bénéficiaires d’allocations pour le logement (APL). En dépit d’une probable sous-estimation (Cour des Comptes, 2020) le taux de non-recours à cette allocation est sensiblement moins élevé que pour le RSA, pour lequel il serait de 36%. Une telle allocation permettrait de protéger les travailleurs les plus précaires dans une période où l’accès à un emploi pérenne est hors de portée.

      Proposition n°4 : mettre en place une allocation spécifique pour les précaires sans ressources en période d’urgence sanitaire, basée sur le fichier des bénéficiaires des APL.

       

      Basculer en régime assurantiel

       

      L’assiette de calcul, qui est aujourd’hui la même que celle des congés payés, sur la base de 35h/semaine, doit être refondue pour tenir compte des éléments complémentaires dans les rémunérations habituelles : primes, intéressement, heures supplémentaires.

      Proposition n°5 : modifier l’assiette de calcul de l’indemnisation en se basant sur le salaire effectivement versé dans l’année n-1.

      Pour corriger les effets délétères d’une baisse de revenu pour les travailleurs aux revenus modestes, il apparaît nécessaire de remettre en cause la décote de 16 % actuellement intégrée au calcul de l’indemnité d’activité partielle. Maintenir les salaires à 100 % compenserait plus sérieusement l’ensemble des frais qu’occasionne la rupture d’activité, le maintien à domicile et les dépenses induites. Sur le modèle des indemnités pour le chômage classique, l’indemnisation d’activité partielle ouvrirait des droits à la retraite : il est anormal que les travailleurs victimes de la conjoncture souffrent d’une double peine, immédiate et différée.

      Proposition n°6 : supprimer la décote dans le calcul de l’indemnisation d’activité partielle.
      Proposition n°7 : inclure l’activité partielle dans le calcul des droits à la retraite.

      L’activité partielle est aujourd’hui contributive (un principe d’utilisateur-payeur) et subventionnée (l’État aide des secteurs économiques). Pour instaurer une redistribution entre branches, préciser le ciblage et améliorer l’accès aux informations susceptibles d’aider la régulation, une solution de péréquation sous contrôle paritaire nous semble préférable. Il s’agirait de confier aux organisations syndicales et patronales l’administration de l’activité partielle et la validation des demandes, avec un droit de veto des administrations publiques territoriales de l’emploi. Les contributions fiscales utilisées par l’État pour abonder le dispositif seraient alors abrogées et le taux de cotisation-chômage sur les salaires bruts serait augmenté d’autant. De cette manière, les représentants du patronat (soucieux d’éviter la concurrence déloyale) et des syndicats (soucieux de préserver l’outil de production) assureraient un contrôle complémentaire à celui des autorités territoriales de l’emploi. Indexée sur l’assurance-chômage, la cotisation afférente serait limitée à 4 plafonds mensuels de la sécurité sociale (13 712 € mensuels de base cotisée) entraînant le plafonnement de l’indemnisation maximum (à 257 € par jour pour ceux qui ont le plus cotisé).

      Proposition n°8 : substituer les cotisations-chômage à l’impôt dans le financement de l’intégralité du dispositif, pour confier le pilotage de l’activité partielle à l’assurance-chômage.

       

      Établir un contrôle paritaire

       

      L’activité partielle ainsi remodelée ne peut faire l’impasse sur une limitation stricte des effets d’aubaine. Ce contrôle doit reposer sur trois acteurs : le Comité social et économique (CSE), les techniciens paritaires de l’Assurance-chômage (désormais en charge) et l’URSSAF. Les CSE, ou, à défaut, les organisations représentatives de branche, effectueraient un contrôle en amont soutenu par les experts de l’Assurance-chômage. Celui-ci serait rendu possible par le rétablissement de l’obligation de négocier la mise en place avec les représentants du personnel, ou, à défaut, les organisations syndicales représentatives de la branche. L’activité partielle basculerait ainsi d’une mesure de soutien économique sur demande des employeurs à une demande de sécurisation sociale sur demande des instances représentatives du personnel ou des organisations syndicales représentatives.

      Ce premier contrôle serait doublé, en aval, par un contrôle des comptes par l’URSSAF, afin de vérifier que les pratiques de l’entreprise durant la période concernée ont bien été en accord avec la demande d’activité partielle. Sous condition d’une validation syndicale, il pourrait être envisagé de supprimer la restriction conjoncturelle à l’activité partielle. En effet, la France impose de justifier des causes conjoncturelles précises pour tout recours à l’activité partielle – contrairement par exemple à la CIG straordinaria italienne, au Kurzarbeit allemand ou au dispositif français désormais supprimé de TRILD (1993-1996, voir Lallement, Lefèvre, 1996). Mais en incluant l’activité partielle dans l’assurance-chômage, nous en faisons une assurance individuelle : si les salariés agréent à retarder des licenciements et préparer des reconversions, il paraît sensé qu’ils puissent utiliser le dispositif à cette fin, sur le modèle des syndicats allemands. L’enjeu central n’est pas le motif du droit de tirage, mais les pratiques abusives des employeurs.

      Proposition n°9 : la demande d’activité partielle est faite par le CSE, éventuellement sur proposition de l’employeur. Dans les entreprises dépourvues de CSE, ou à la demande de la majorité du CSE si elle se juge démunie pour ce choix, il peut être transféré aux organisations représentatives de branche.
      Proposition n°10 : procéder, en aval de la mise en œuvre, à un contrôle systématique du recours à l’activité partielle.

       

      Le chômage partiel n’est pas un modèle économique

       

      Lorsque des entreprises recourent fréquemment à l’activité partielle pour raison conjoncturelle ou par nécessité de moderniser l’outil productif, les choix préalables des propriétaires ou des dirigeants doivent être interrogés. Cela peut être le signe d’un abus ou bien d’un défaut de clairvoyance qui peut coûter cher aux salariés et à la collectivité. Aussi l’activité partielle pourrait-elle s’accompagner, en cas d’abus, d’une redistribution de la propriété de l’entreprise vers le collectif de travailleurs. Cela pourrait aussi être un mécanisme dissuasif vis-à-vis de dirigeants peu scrupuleux qui cherchent à abuser de ce dispositif aux frais de la collectivités. Cela impliquerait la transition des entreprises en difficulté vers un modèle coopératif, pour écarter les responsables des choix antérieurs qui ont placé l’outil de travail en difficulté sur le marché. Un mécanisme simple consisterait à transférer une partie de l’allocation versée vers les fonds propres de l’entreprise, sous forme de parts ou d’actions incessibles attribuées aux salariés (réparties entre eux selon la structure des salaires).

      Proposition n°11 : dans les entreprises de plus de 50 salariés, à chaque nouveau recours à l’activité partielle fondé sur les motifs 1 ou 4 de l’article R5122-1 du Code du travail (« conjoncture économique » et « transformation, restructuration ou modernisation de l’entreprise »), une fraction de la somme versée aux employeurs est convertie en parts ou en actions incessibles allouées aux salariés de l’entreprise dans des limites prédéfinies par la loi.

      L’épidémie de COVID-19 incarne plusieurs fragilités et contradictions de nos sociétés, dans une période qui cumule regains de tensions internationales, crises sanitaires à répétition et dérèglement climatique. Ces périls multiples affectent le système économique et donc l’emploi, privé comme public. Dans ce contexte, la pérennisation du dispositif d’activité partielle joue un rôle protecteur, mais au prix d’une dérégulation marquée du marché de l’emploi. Extrait de la philosophie assurantielle, il n’élargit pas la solidarité à l’ensemble des salariés concernés ni n’améliore suffisamment les conditions d’indemnisation pour atténuer les baisses de revenus. Si une meilleure couverture nous apparaît nécessaire, elle s’accompagne nécessairement d’un contrôle plus étroit du dispositif, en le soumettant à l’accord a priori des représentants des travailleurs et à un contrôle a posteriori par les organismes de sécurité sociale. Lorsque le recours sanctionne un échec des stratégies économiques des employeurs, l’entrée au capital des salariés conditionnera le recours à l’activité partielle et garantira le retour à une gestion plus saine de l’entreprise.

       

       

      Bonanno A. (2020), « Contrôler les entreprises sous pression. La présence hiérarchique à l’inspection du travail en contexte de crise sanitaire », Sciences sociales en temps de crise – dossier du CSO, [en ligne].

      Clouet H. (2016), « Un chômage partiel bien partial », La Revue de l’Ires, vol. 1, n°88, pp. 31‑57.

      Coquard B. (2019), Ceux qui restent, Paris, La Découverte.

      Cour des Comptes (2020), Rapport annuel 2020, pp. 75-90.

      Gubian R., Hagneré C., Mahieu R. (2017), La mesure du travail dissimulé et ses impacts pour les finances publiques, Rapport du CNIS n°145.

      Insee (2017), « Revenu, consommation et épargne par catégorie de ménages en 2011 », Insee Résultats.

      Lallement M. et Lefevre G. (1996), « Le recours des entreprises françaises et allemandes au CP », Premières Synthèses – DARES, n°131.

      Lallement M. et Lefèvre G. (1997), « Le chômage partiel en France et en Allemagne : des logiques institutionnelles aux pratiques d’entreprise », Loisir et Société, vol. 20, n°1, pp. 25‑49.

      Lamarche P. et Romani M. (2015), « Emploi et revenus des indépendants », Insee Références, pp. 75-90.

      Simonet M. (2018), Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, Éditions Textuel.

      Weber F. (1989), Le travail à-côté : étude d’ethnographie ouvrière, Paris, EMESS et INRA.

       

      [1] Le calcul de l’indemnité d’activité partielle est assis sur la même assiette que celui des congés payés. À ce titre, un certain nombre de primes, comme celles d’intéressement, de participation ou le remboursement de frais professionnels en sont exclues.

      Publié le 5 mai 2020

      Pour une couverture totale de l’activité partielle

      Auteurs

      Hadrien Clouet
      Docteur en sociologie, chercheur postdoctorant au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po et spécialiste de l’assurance-chômage.

      L’activité partielle constitue un des dispositifs les plus anciens de la politique publique de l’emploi. Il consiste à verser une partie de leur salaire à des employés qui cessent le travail, tout en maintenant leur lien contractuel avec l’employeur. Il apparaît formellement avec le décret du 19 avril 1918, qui institue des caisses publiques départementales de secours « contre le chômage résultant de la crise du ravitaillement, des matières premières et du charbon pour les industries » – un chômage conjoncturel partiel, administré par des offices paritaires départementaux et municipaux. La plupart des caisses syndicales, parfois abondées par subvention publique, prévoient alors aussi ce type d’aide. Une série de décrets, circulaires et ordonnances cimentent le dispositif entre 1931 et 1958. Un accord national interprofessionnel de 1968 entérine le caractère national et homogène du dispositif, sans requérir d’accords de branche.

      Ce dispositif à caractère préventif répond aux intérêts de plusieurs groupes sociaux. Du côté des salariés, il évite leur paupérisation, leur déqualification et la perte de statut social qu’engendre le chômage total. Il écarte le risque de licenciement, en échange d’une réduction provisoire de salaire. Du côté des employeurs, il limite les coûts de réembauche, la perte de potentiel productif avec les salariés les mieux formés et la dilapidation des frais de formation consentis. Une autre motivation, du côté de l’administration publique et des décideurs politiques, concerne l’information sur le marché de l’emploi. Un outil d’activité partielle attractif pour les employeurs leur apparaît nécessaire pour mesurer le temps d’emploi réel en entreprise et, ainsi, constituer des statistiques fiables de l’activité, sa variation et sa répartition entre branches. Ce souci est illustré par les anciens participants au Front populaire, concepteurs de la loi des 40 heures, marqués par leur difficulté à analyser, alors, le temps d’emploi par secteur et taille d’entreprise (Mendès-France, 1966). En somme, l’activité partielle est censée réunir un ensemble d’objectifs apparemment contradictoires : « en même temps conserver un potentiel de main-d’œuvre productif, garantir la pérennité du lien salarial et de Ia protection sociale pour les salariés et diminuer significativement les conflits » (Lallement, Lefèvre, 1997, p. 26).

      Toutefois, cet équilibre entre groupes sociaux se disloque dans la crise du Covid-19, où les usages de l’activité partielle apparaissent particulièrement ambigus et problématiques. Cette situation appelle une réforme de l’activité partielle, pour l’adapter aux enjeux contemporains et aux défis à venir. Cette note présente les limites du dispositif en termes de couverture (1), d’indemnisation (2) et de contrôle des abus (3) avant d’en proposer plusieurs pistes de réformes (4).

       

      1. Un dispositif qui couvre mal les travailleurs précarisés

       

      L’une des limites les plus saillantes du dispositif est la couverture incomplète qu’il fournit. Un ensemble de salariés sont en effet laissés en dehors du dispositif : indépendants, salariés en contrats courts (intérimaires, CDD, saisonniers), chômeurs en fin de droits et démissionnaires.

       

      Un dispositif qui exclut structurellement les travailleurs indépendants

       

      Le dispositif d’activité partielle ne concerne, par définition, que les salariés, laissant de côté les indépendants. Certains ont pu affronter le confinement sereinement, soit parce qu’ils ont pu poursuivre leur activité, soit parce qu’ils disposaient d’une épargne de précaution conséquente, fréquente chez les indépendants (Lamarche et Romani, 2015). Mais un autre segment de ce groupe social s’est trouvé, lui, privé d’activité sans disposer de réserves financières conséquentes. Au premier rang de ceux-ci, on trouve une population dont le statut d’indépendant est contestable, qui exerce le plus souvent sous le statut d’auto-entrepreneurs : chauffeurs de plateformes, ouvriers du BTP, livreurs, etc., dont l’activité est fortement – voire totalement – dépendante d’un donneur d’ordre.

       

      Une prise en charge éphémère des précaires en contrats courts

       

      Pour les salariés en contrats courts, le dispositif s’applique théoriquement. En pratique, de nombreux employeurs ne les ont pas inclus dans leur demande et ont rompu le contrat de manière anticipée, le plus souvent en appliquant – de manière abusive – la clause de force majeure. De ce point de vue, le refus du gouvernement de contrôler, même provisoirement, les licenciements s’est payé par des destructions massives et immédiates d’emplois. Pour les salariés concernés, cela se traduit par une perte de revenus importante, le taux de remplacement de l’assurance-chômage étant moins élevé que celui de l’activité partielle (71 % en moyenne contre 84 %, et 100 % au niveau du SMIC). Mais même lorsque l’activité partielle a été appliquée à ces salariés, ils n’ont été indemnisés que jusqu’à échéance du contrat. Au-delà, ils basculent vers l’assurance-chômage. Outre la complexité d’une démarche administrative supplémentaire pour les nouveaux chômeurs, ce basculement ne peut s’opérer que sous réserve d’ouverture de droits. Cela exclut notamment les travailleurs précaires de type saisonnier, pour lesquels les allocations-chômage font partie du cycle ordinaire de l’année laborieuse, mais s’étendent démesurément en 2020 faute d’opportunité de réembauche.

       

      Chômeurs et travailleurs de l’économie informelle livrés à eux-mêmes

       

      D’une manière générale, l’ensemble des chômeurs ayant épuisé leurs droits se sont retrouvés privés de toute perspective d’embauche, sans pour autant que l’accès à l’assurance-chômage leur soit réouvert. Problématique a aussi été la situation des travailleurs en inter-contrats, ayant démissionné d’un emploi avant la crise en vue de prendre un nouveau poste dans le courant des mois d’avril ou de mars. Nombre d’entre eux ont vu leur embauche repoussée sine die, quand elle n’a pas été purement et simplement annulée, les laissant sans revenus pendant toute la période du confinement, et probablement au-delà.

      À l’ensemble de ces catégories bien connues des politiques de l’emploi s’ajoute celle des travailleurs de l’économie informelle. S’il n’est pas possible, par définition, d’en donner une évaluation précise, le travail au noir représente un volume d’activité considérable : on peut estimer à 1,9 million le nombre de salariés concernés (Gubian, Hagneré, Mahieu, 2019), dont plus de la moitié ne vivent que du travail informel. Plusieurs travaux scientifiques ont montré que ce dernier tenait une place importante dans l’économie locale de territoires touchés par le chômage de masse, que ce soit dans les territoires urbains comme ruraux (Coquard, 2019). Pour ces travailleurs, le confinement général a signifié la quasi-fin de leur activité, sans aucune forme de compensation financière. Certains seront tentés de questionner la moralité de l’indemnisation d’un travail non-déclaré, dont les revenus ne contribuent pas à la solidarité collective. Mais le droit du travail considère que l’employeur est le principal responsable du travail illégal, et ne poursuit que peu ou pas le salarié. Or, dans le cadre du confinement, ce sont les travailleurs de l’économie informelle qui ont été les seuls punis, par la privation quasi-totale de revenus, étant exclus de tout dispositif national de solidarité.

       

      2. Un dispositif inadapté à la crise sanitaire

       

      L’activité partielle laisse donc largement de côté les travailleurs précaires (indépendants comme salariés), les chômeurs et les travailleurs non-déclarés. Mais même pour les salariés couverts, ce dispositif se traduit par un revenu de remplacement sensiblement diminué par rapport au revenu habituel.

       

      Un recours segmenté

       

      Un sondage commandé par la fondation Jean Jaurès tend à montrer que le recours à l’activité partielle est fortement corrélé au statut social : si 56 % des ouvriers et 42 % des employés ont été placés en activité partielle, cette proportion tombe à un tiers (32 %) pour les professions intermédiaires et seulement 17 % des cadres. Les catégories sociales les moins bien rémunérées sont donc les plus concernées par la mise en activité partielle. Or, la perte de rémunération n’a pas les mêmes conséquences sur la vie quotidienne d’un ménage selon que le salaire mensuel concerné se situe autour de 1500 euros (le revenu médian) ou autour de 4000 euros (le revenu moyen d’un cadre).

      Autrement dit, non seulement les ouvriers, les employés et professions intermédiaires sont beaucoup plus concernés que les cadres par l’activité partielle, mais la baisse de revenus qu’elle entraîne les frappent beaucoup plus durement. En effet, pour les 8 premiers déciles de revenus, cette baisse est supérieure à la part du revenu consacrée habituellement à l’épargne (INSEE, 2017), et obère donc mécaniquement les revenus de consommation. Face à ces inégalités, le gouvernement couvre l’intégralité de l’indemnisation au niveau du SMIC, sans reste à charge pour les employeurs. Ce dispositif apporte une première prise en compte des inégalités salariales dans le dispositif, mais qui demeure très insuffisante : elle laisse de côté la vaste part des classes populaires dont le salaire horaire se situe au-dessus du SMIC, tout en restant très largement inférieur aux revenus des classes supérieures.

      Parmi les employeurs, certains se retrouvent aussi pris dans des situations de tensions insoutenables, en marge du dispositif. Une illustration en est donnée par les services qui requièrent une maintenance permanente (donc un maintien des consignes salariales), ordinairement financée par une clientèle désormais absente, à l’instar des zoos ou des parcs privés. L’outil de travail disparaîtrait en cas d’activité partielle, mais son entretien est insoutenable.

       

      Le confinement amplifie les inégalités socioprofessionnelles

       

      Le passage en activité partielle se traduit par le versement de 84 % du salaire mensuel normal. Ce chiffre réglementaire cache de vastes disparités en termes de revenu. Il est artificiellement majoré, car il exclut certaines primes liées à l’activité ou à la productivité[1]. Quant aux salariés dont le revenu repose largement sur des commissions ou des pourboires, la compensation devient rapidement dérisoire. À cela s’ajoute une perte de revenus différée, puisque l’indemnité d’activité partielle n’ouvre pas de droits à la retraite.

      Cette baisse de revenus incorporée à l’activité partielle est amplifiée dans le cadre du confinement général. D’ordinaire, la décote est justifiée par la possibilité d’exercer des activités complémentaires ou de substitution – un « travail d’à côté » (Weber, 1989). Privés d’accès à leur établissement, un grand nombre de salariés placés en activité partielle travaillent quelques jours ou quelques heures sur des missions ponctuelles (ou des activités non-déclarées rémunérées en liquide ou en nature), censées compenser la perte salariale, ou même la résorber complètement. À cela s’ajoutent de nouveaux frais à domicile, de chauffage des pièces ou de dépenses d’électricité. L’endogamie sociale parachève le risque d’une perte conjointe de revenus, lorsque les cohabitants du ménage exercent une activité dans le même secteur. Ainsi, 40 % des travailleurs du pays en activité partielle sont éligibles à une triple peine : perte de revenus, impossibilité de gains parallèles, dépenses accrues.

      Cette situation génère aussi d’importants gaspillages, lorsque des contremaîtres ou cadres sont envoyés dans l’établissement par leur employeur, afin de vérifier que les individus en activité partielle ne s’y rendraient pas « clandestinement » pour travailler, soit par désœuvrement à domicile, soit par attachement identitaire à leur travail, soit par désir de sociabilité avec des collègues.

       

      3. Entre abus et fraudes

       

      Le dispositif d’activité partielle est également générateur de nombreuses controverses, qui découlent parfois d’abus ou même de fraudes caractérisées de la part des employeurs. Toutes ambitionnent d’accroître le taux d’exploitation de la force de travail dans la période, pour surmonter les coûts, se préparer aux incertitudes ou profiter du moment pour abonder les trésoreries. On peut en distinguer différentes causes.

       

      Une typologie de l’exploitation

       

      Diverses formes de travail gratuit voient le jour dans la période (Simonet, 2018). En premier lieu, l’articulation entre activité partielle et télétravail s’avère régulièrement problématique. En effet, renvoyés à leur domicile, de nombreux travailleurs méconnaissent leur statut actuel. L’absence du lieu de travail limite l’accès à l’information. Certains continuent ainsi à œuvrer en statut de télétravail, découvrant sur le tard qu’ils ont été placés en activité partielle et, à ce titre, libérés de toute mission. Un jeu sur les deux tableaux apparaît aussi régulièrement, avec des employeurs qui placent les salariés en activité partielle tout en continuant à les faire travailler – pratique considérée comme du travail dissimulé par le code du travail. Le ministère du Travail a même annoncé qu’il vérifiera la conformité des demandes d’activité partielle, suspectant une prévalence élevée de tels cas.

      Les degrés d’activité partielle sont également en cause. La gamme de situations intermédiaires entre le maintien de l’activité normale de l’entreprise et son interruption totale est infinie : les employeurs peuvent placer les salariés dans des situations combinant des heures de travail maintenu (en télétravail ou en présentiel) et des heures chômées. Ainsi, des millions d’individus maintiennent une partie de leur activité salariée et reçoivent une indemnisation pour le reste. Une semaine de 35 heures peut être, par exemple, subdivisée en 15 heures chômées et 20 heures de travail maintenu. Or, rien n’implique que les objectifs de l’employeur soient revus à la baisse. Les résultats mensuels exigés demeurent stables pour beaucoup de salariés, contraints d’intensifier leurs heures de travail payées ou de déborder sur le temps de travail censé être chômé.

       

      Un désarmement des salariés

       

      La cause première de ces nouvelles formes d’exploitation est la méconnaissance du dispositif par les salariés, et le peu d’informations dont ils sont directement destinataires. En dehors de l’industrie, peu de secteurs y avaient eu jusqu’ici recours. Aussi les travailleurs étaient-ils peu familiarisés avec les règles qui l’encadrent. Dans la décennie écoulée, les salariés du commerce, des transports ou de l’hôtellerie-restauration ont été, à leur pic maximum, quelques milliers à expérimenter l’activité partielle (respectivement 6 000 en 2008, 4 000 en 2015 et 4 000 en 2019). Ils sont près de 4 millions aujourd’hui selon la DARES, une proportion sans commune mesure, dont la grande majorité découvre le dispositif.

      De plus, les règles encadrant le dispositif, notamment celles visant à assurer l’égalité de traitement entre salariés, ont été largement supprimées ou assouplies au début du confinement. Une série d’entreprises auparavant exclues du dispositif y sont désormais éligibles : les entreprises étrangères qui exercent une activité en France sans y disposer d’établissement, les entreprises publiques assurées elles-mêmes à l’assurance-chômage, les employés de particuliers à domicile ou diverses entreprises publiques (nationales, sociétés dont les salariés ont un statut national, sociétés d’économies mixtes…). Une série de salariés perdent leur singularité : la mise en activité partielle des délégués syndicaux, salariés mandatés ou membres du Comité social et économique n’est plus tributaire de leur accord écrit, si l’ensemble des salariés de l’entreprise, l’établissement, l’atelier ou le service de rattachement sont touchés ; tandis que les salariés en forfait peuvent connaître l’activité partielle, alors qu’il était subordonné à une fermeture totale de leur entreprise. Enfin, une série de contrôles réglementaires sont levés : le délai ordinaire de 15 jours avant acceptation implicite d’une demande d’activité partielle par l’administration est ramené à 2 jours, ce qui interdit totalement le contrôle des centaines de milliers de demandes déposées.

      L’accès aux règles de droit maintenues relève également du parcours du combattant. Outre le manque d’informations des salariés et l’absence de consultations des instances représentatives du personnel (IRP) là où elles existent, et malgré les facilités de recours dématérialisé, peu propice aux contestations ou aux rapports de force dans la négociation, l’inspection du travail se retrouve elle-même désarmée (Bonanno, 2020). D’abord, ses agents sont confinés et accomplissent leur activité en télétravail, ce qui bloque largement les capacités de surveillance et d’investigation, en l’absence d’auditions contradictoires ou d’observation. En second lieu, les outils professionnels à disposition n’ont pas été actualisés, de sorte que les lignes téléphoniques ou les courriels officiels ne renvoient pas aux inspecteurs confinés. Finalement, la ministre du Travail elle-même n’hésite pas à sanctionner les inspecteurs qui franchiraient tous ces obstacles pour mener à bien leur tâche de contrôle et, par des cas disciplinaires exemplaires comme celui d’Anthony Smith, tente de les dissuader de contrôler les pratiques patronales dans la période. Au-delà du confinement, l’inspection du travail est totalement paralysée par choix politique : celui de poursuivre la production « coûte que coûte ».

      L’activité partielle engendre également des rapports de domination en entreprise. Des travaux sur l’industrie automobile ont montré qu’elle renforce le rôle des employeurs dans l’organisation du travail et la distribution des postes, qu’elle marginalise certains syndicats critiques voire, même, lorsqu’elle s’inscrit dans une stratégie globale entre plusieurs sites localisés dans des lieux différents, contribue à restructurer la production et l’emploi de façon invisible pour les administrations départementales (Clouet, 2016).

       

      4. Préconisations : élargir, compléter et contrôler le dispositif d’activité partielle

       

      L’activité partielle est un dispositif important de gestion des crises économiques. Si une meilleure préparation sanitaire devrait permettre d’éviter un confinement aussi radical, il ne faut pas écarter l’hypothèse qu’un arrêt partiel ou total de l’économie doive à nouveau être décidé, que ce soit nationalement ou localement, de manière interprofessionnelle ou dans un secteur donné. À titre d’exemple, l’exposition accrue aux canicules estivales risque de mettre à l’arrêt, pendant plusieurs semaines, certains secteurs exposés comme le BTP. Il faut donc que soit pensé un dispositif souple, qui prenne en compte la diversité des situations et des statuts sociaux.

       

      Élargir le socle des bénéficiaires

       

      Une première réforme de l’activité partielle consiste à modifier son périmètre pour qu’elle intègre les salariés en contrats courts, surtout lorsqu’elle est mise en place dans le cadre d’un arrêt global de l’activité (national, local ou sectoriel). Leur licenciement doit être interdit, et leur accès à l’activité partielle étendu jusqu’à sa levée, y compris lorsque le contrat de travail s’arrête avant cette date.

      Proposition n°1 : interdire aux entreprises demandant l’activité partielle de rompre les contrats courts de manière anticipée. En cas d’urgence sanitaire, le bénéfice de l’activité partielle se poursuivra jusqu’à levée du confinement, prorogeant de fait le contrat de travail qui liait le salarié en contrat court à l’entreprise bénéficiaire.

      Au-delà du cas des salariés en contrats courts, l’ensemble des statuts d’activité doivent être pris en compte de manière solidaire. Ainsi, les indépendants doivent être mieux protégés qu’ils ne l’ont été pendant la crise de mars à mai 2020. Cette protection ne peut se faire via le dispositif d’activité partielle, puisque ceux-ci ne sont pas salariés d’une entreprise. Il convient donc d’imaginer des dispositifs spécifiques pour les indépendants et les chômeurs non-indemnisés. Pour les premiers, la solution, également envisagée en Finlande, pourrait être d’autoriser l’inscription des entreprises individuelles à l’assurance-chômage, uniquement pour le cas de l’activité partielle, financée par une cotisation spécifique.

      Proposition n°2 : ouvrir l’accès au dispositif d’activité partielle aux entreprises individuelles, qui resteraient soumises à autorisation de l’assurance-chômage.
      Proposition n°3 : mettre en place une cotisation spécifique pour les indépendants afin de financer ce régime.

      Les chômeurs en fin de droit ont vu leurs indemnités prolongées le temps du confinement. Il a en effet été considéré qu’ils ne pouvaient espérer retrouver un emploi dans le cadre du confinement. Cette mesure de bon sens laisse de côté le cas des travailleurs dont les droits se sont déjà épuisés, tout comme ceux de l’économie informelle. Contrairement aux travailleurs indemnisés, ils ne sont pas systématiquement inscrits à Pôle Emploi. Confier à ce dernier la prise en charge de leur situation aboutirait à laisser plusieurs millions de précaires en dehors de la solidarité nationale. De ce point de vue, la manière la plus simple et opérationnelle de venir en aide à ces travailleurs privés d’emploi consisterait à s’appuyer sur le fichier des bénéficiaires d’allocations pour le logement (APL). En dépit d’une probable sous-estimation (Cour des Comptes, 2020) le taux de non-recours à cette allocation est sensiblement moins élevé que pour le RSA, pour lequel il serait de 36%. Une telle allocation permettrait de protéger les travailleurs les plus précaires dans une période où l’accès à un emploi pérenne est hors de portée.

      Proposition n°4 : mettre en place une allocation spécifique pour les précaires sans ressources en période d’urgence sanitaire, basée sur le fichier des bénéficiaires des APL.

       

      Basculer en régime assurantiel

       

      L’assiette de calcul, qui est aujourd’hui la même que celle des congés payés, sur la base de 35h/semaine, doit être refondue pour tenir compte des éléments complémentaires dans les rémunérations habituelles : primes, intéressement, heures supplémentaires.

      Proposition n°5 : modifier l’assiette de calcul de l’indemnisation en se basant sur le salaire effectivement versé dans l’année n-1.

      Pour corriger les effets délétères d’une baisse de revenu pour les travailleurs aux revenus modestes, il apparaît nécessaire de remettre en cause la décote de 16 % actuellement intégrée au calcul de l’indemnité d’activité partielle. Maintenir les salaires à 100 % compenserait plus sérieusement l’ensemble des frais qu’occasionne la rupture d’activité, le maintien à domicile et les dépenses induites. Sur le modèle des indemnités pour le chômage classique, l’indemnisation d’activité partielle ouvrirait des droits à la retraite : il est anormal que les travailleurs victimes de la conjoncture souffrent d’une double peine, immédiate et différée.

      Proposition n°6 : supprimer la décote dans le calcul de l’indemnisation d’activité partielle.
      Proposition n°7 : inclure l’activité partielle dans le calcul des droits à la retraite.

      L’activité partielle est aujourd’hui contributive (un principe d’utilisateur-payeur) et subventionnée (l’État aide des secteurs économiques). Pour instaurer une redistribution entre branches, préciser le ciblage et améliorer l’accès aux informations susceptibles d’aider la régulation, une solution de péréquation sous contrôle paritaire nous semble préférable. Il s’agirait de confier aux organisations syndicales et patronales l’administration de l’activité partielle et la validation des demandes, avec un droit de veto des administrations publiques territoriales de l’emploi. Les contributions fiscales utilisées par l’État pour abonder le dispositif seraient alors abrogées et le taux de cotisation-chômage sur les salaires bruts serait augmenté d’autant. De cette manière, les représentants du patronat (soucieux d’éviter la concurrence déloyale) et des syndicats (soucieux de préserver l’outil de production) assureraient un contrôle complémentaire à celui des autorités territoriales de l’emploi. Indexée sur l’assurance-chômage, la cotisation afférente serait limitée à 4 plafonds mensuels de la sécurité sociale (13 712 € mensuels de base cotisée) entraînant le plafonnement de l’indemnisation maximum (à 257 € par jour pour ceux qui ont le plus cotisé).

      Proposition n°8 : substituer les cotisations-chômage à l’impôt dans le financement de l’intégralité du dispositif, pour confier le pilotage de l’activité partielle à l’assurance-chômage.

       

      Établir un contrôle paritaire

       

      L’activité partielle ainsi remodelée ne peut faire l’impasse sur une limitation stricte des effets d’aubaine. Ce contrôle doit reposer sur trois acteurs : le Comité social et économique (CSE), les techniciens paritaires de l’Assurance-chômage (désormais en charge) et l’URSSAF. Les CSE, ou, à défaut, les organisations représentatives de branche, effectueraient un contrôle en amont soutenu par les experts de l’Assurance-chômage. Celui-ci serait rendu possible par le rétablissement de l’obligation de négocier la mise en place avec les représentants du personnel, ou, à défaut, les organisations syndicales représentatives de la branche. L’activité partielle basculerait ainsi d’une mesure de soutien économique sur demande des employeurs à une demande de sécurisation sociale sur demande des instances représentatives du personnel ou des organisations syndicales représentatives.

      Ce premier contrôle serait doublé, en aval, par un contrôle des comptes par l’URSSAF, afin de vérifier que les pratiques de l’entreprise durant la période concernée ont bien été en accord avec la demande d’activité partielle. Sous condition d’une validation syndicale, il pourrait être envisagé de supprimer la restriction conjoncturelle à l’activité partielle. En effet, la France impose de justifier des causes conjoncturelles précises pour tout recours à l’activité partielle – contrairement par exemple à la CIG straordinaria italienne, au Kurzarbeit allemand ou au dispositif français désormais supprimé de TRILD (1993-1996, voir Lallement, Lefèvre, 1996). Mais en incluant l’activité partielle dans l’assurance-chômage, nous en faisons une assurance individuelle : si les salariés agréent à retarder des licenciements et préparer des reconversions, il paraît sensé qu’ils puissent utiliser le dispositif à cette fin, sur le modèle des syndicats allemands. L’enjeu central n’est pas le motif du droit de tirage, mais les pratiques abusives des employeurs.

      Proposition n°9 : la demande d’activité partielle est faite par le CSE, éventuellement sur proposition de l’employeur. Dans les entreprises dépourvues de CSE, ou à la demande de la majorité du CSE si elle se juge démunie pour ce choix, il peut être transféré aux organisations représentatives de branche.
      Proposition n°10 : procéder, en aval de la mise en œuvre, à un contrôle systématique du recours à l’activité partielle.

       

      Le chômage partiel n’est pas un modèle économique

       

      Lorsque des entreprises recourent fréquemment à l’activité partielle pour raison conjoncturelle ou par nécessité de moderniser l’outil productif, les choix préalables des propriétaires ou des dirigeants doivent être interrogés. Cela peut être le signe d’un abus ou bien d’un défaut de clairvoyance qui peut coûter cher aux salariés et à la collectivité. Aussi l’activité partielle pourrait-elle s’accompagner, en cas d’abus, d’une redistribution de la propriété de l’entreprise vers le collectif de travailleurs. Cela pourrait aussi être un mécanisme dissuasif vis-à-vis de dirigeants peu scrupuleux qui cherchent à abuser de ce dispositif aux frais de la collectivités. Cela impliquerait la transition des entreprises en difficulté vers un modèle coopératif, pour écarter les responsables des choix antérieurs qui ont placé l’outil de travail en difficulté sur le marché. Un mécanisme simple consisterait à transférer une partie de l’allocation versée vers les fonds propres de l’entreprise, sous forme de parts ou d’actions incessibles attribuées aux salariés (réparties entre eux selon la structure des salaires).

      Proposition n°11 : dans les entreprises de plus de 50 salariés, à chaque nouveau recours à l’activité partielle fondé sur les motifs 1 ou 4 de l’article R5122-1 du Code du travail (« conjoncture économique » et « transformation, restructuration ou modernisation de l’entreprise »), une fraction de la somme versée aux employeurs est convertie en parts ou en actions incessibles allouées aux salariés de l’entreprise dans des limites prédéfinies par la loi.

      L’épidémie de COVID-19 incarne plusieurs fragilités et contradictions de nos sociétés, dans une période qui cumule regains de tensions internationales, crises sanitaires à répétition et dérèglement climatique. Ces périls multiples affectent le système économique et donc l’emploi, privé comme public. Dans ce contexte, la pérennisation du dispositif d’activité partielle joue un rôle protecteur, mais au prix d’une dérégulation marquée du marché de l’emploi. Extrait de la philosophie assurantielle, il n’élargit pas la solidarité à l’ensemble des salariés concernés ni n’améliore suffisamment les conditions d’indemnisation pour atténuer les baisses de revenus. Si une meilleure couverture nous apparaît nécessaire, elle s’accompagne nécessairement d’un contrôle plus étroit du dispositif, en le soumettant à l’accord a priori des représentants des travailleurs et à un contrôle a posteriori par les organismes de sécurité sociale. Lorsque le recours sanctionne un échec des stratégies économiques des employeurs, l’entrée au capital des salariés conditionnera le recours à l’activité partielle et garantira le retour à une gestion plus saine de l’entreprise.

       

       

      Bonanno A. (2020), « Contrôler les entreprises sous pression. La présence hiérarchique à l’inspection du travail en contexte de crise sanitaire », Sciences sociales en temps de crise – dossier du CSO, [en ligne].

      Clouet H. (2016), « Un chômage partiel bien partial », La Revue de l’Ires, vol. 1, n°88, pp. 31‑57.

      Coquard B. (2019), Ceux qui restent, Paris, La Découverte.

      Cour des Comptes (2020), Rapport annuel 2020, pp. 75-90.

      Gubian R., Hagneré C., Mahieu R. (2017), La mesure du travail dissimulé et ses impacts pour les finances publiques, Rapport du CNIS n°145.

      Insee (2017), « Revenu, consommation et épargne par catégorie de ménages en 2011 », Insee Résultats.

      Lallement M. et Lefevre G. (1996), « Le recours des entreprises françaises et allemandes au CP », Premières Synthèses – DARES, n°131.

      Lallement M. et Lefèvre G. (1997), « Le chômage partiel en France et en Allemagne : des logiques institutionnelles aux pratiques d’entreprise », Loisir et Société, vol. 20, n°1, pp. 25‑49.

      Lamarche P. et Romani M. (2015), « Emploi et revenus des indépendants », Insee Références, pp. 75-90.

      Simonet M. (2018), Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, Éditions Textuel.

      Weber F. (1989), Le travail à-côté : étude d’ethnographie ouvrière, Paris, EMESS et INRA.

       

      [1] Le calcul de l’indemnité d’activité partielle est assis sur la même assiette que celui des congés payés. À ce titre, un certain nombre de primes, comme celles d’intéressement, de participation ou le remboursement de frais professionnels en sont exclues.

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