Pour 500 millions d’euros, soit 6 euros par habitant, une offre de permanence des soins ambulatoires performante est possible
L’engorgement des services des urgences hospitalières dont la presse s’est abondamment faite l’écho au cours de l’été 2022 s’explique par une situation critique des services d’urgence mais aussi par une offre de premier recours déficiente au regard des besoins en santé de la population. Ces constats sont connus et partagés par les différentes missions parlementaires et gouvernementales diligentées ces dernières années. Faute d’une réponse satisfaisante en amont, « les urgences sont devenues le premier recours médical de nombreuses personnes »[1] selon le professeur André Grimaldi. Le cap des 20 millions de passages par an aux urgences a été franchi en 2019 dont « plus de la moitié sont injustifiés et auraient dû logiquement trouver une réponse en médecine de ville »[2]. La saturation des services d’urgence se traduit par des temps d’attente inimaginables il y a encore quelques années, par des heures passées sur des brancards à attendre et, comme nous le verrons plus loin, par des morts, depuis peu recensées, qualifiées d’« inattendues », c’est-à-dire celles relatives à un défaut de prise en charge dans les services d’accueil des urgences. Nous avons fait le choix de ne pas traiter dans cette note des urgences hospitalières qui répondent à une problématique qui leur est propre : manque d’environ 2000 urgentistes, déficit en infirmières et aides-soignantes sous payées en dépit de la revalorisation des salaires décidée dans le cadre du Ségur de la santé, épuisement du personnel et environnement de travail dégradé, insuffisance des lits dans les services et en aval en soins de suite. Nous retiendrons donc comme principal périmètre d’analyse celui de la permanence des soins ambulatoires (PDSA) ou de médecine de ville, appellation donnée à l’organisation de l’offre de soins aux heures de fermeture des cabinets médicaux, à savoir la nuit à compter de 20 heures, les samedis à partir de 12 heures, les dimanches et les jours fériés. Toutefois, l’interaction avec la continuité des soins – il s’agit alors de l’organisation de l’offre de soins pendant la journée aux heures d’ouverture habituelles des cabinets médicaux, centres de soins et maisons de santé –, qu’illustre en particulier le déport de plus de 30% d’activité de la première vers la seconde, nous conduira nécessairement à évoquer partiellement des pistes d’amélioration dépassant le seul cadre de la PDSA. La première partie sera consacrée à un large panorama de la situation, dressé à partir de trois angles de vue distincts mais complémentaires – les urgences hospitalières, la médecine de ville et l’aide médicale d’urgences aux personnes – indispensables pour bien comprendre en particulier les dysfonctionnements de notre système de soins et plus particulièrement de l’offre de soins de premier recours avec les effets de déports d’activité associés selon un mécanisme de vases communicants. Nous dresserons dans la deuxième partie un bilan assez préoccupant de l’organisation existante en matière de PDSA en France, établi à partir des données d’une récente enquête du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM). Nos propositions s’articuleront autour de deux axes principaux de progrès. Le premier, présenté dans la troisième partie, porte sur la généralisation à l’ensemble des départements d’une offre de PDSA efficace avec des sites de garde dédiés dans tous les secteurs et, à compter de minuit, des effecteurs mobiles. Pour cela, nous nous appuierons sur l’exemple de l’organisation mise en place dans le département de la Loire-Atlantique. Le second axe de progrès, développé dans la quatrième partie, prenant acte d’une démographie médicale défavorable durable, considère impératif de s’appuyer sur l’ensemble des structures médicales existantes proposant un exercice collectif de la médecine de ville. L’idée est de les soutenir financièrement dans leur développement pour les aider à atteindre au plus vite une taille critique qui, comme nous le verrons, est le prérequis indispensable à une offre de soins de premier recours satisfaisante. En contrepartie de ce soutien financier, un engagement de participation à la prise en charge des soins non programmés aux heures d’ouverture des cabinets et à la permanence des soins à compter de 20 heures serait contractualisé. D’autres recommandations plus spécifiques sont aussi proposées. I – Un système de santé en crise dans tous les secteurs et qui n’assure plus une correcte prise en charge des soins non programmés Dressons en quelques mots le panorama de la situation en matière de prise en charge des soins non programmés urgents ou non (SNP), que résume le schéma proposé ci-dessus[3]. Les structures de prise en charge n’ayant pas évolué au même rythme que l’augmentation des passages aux urgences, les conditions d’accueil des patients et de travail pour les personnels médicaux se détériorent. Les temps d’attente explosent. Une centaine d’hôpitaux créait début 2018 le « No Bed Challenge » visant à recenser le nombre de patients passant la nuit sur un brancard faute de leur avoir trouvé un lit, quand on sait qu’il s’agit là d’une cause établie de surmortalité. Les chiffres sont éloquents : plus de 120 000 à fin mars 2018, soit trois mois après la création de cet indicateur. Un chiffre jugé « incroyable » par François Braun, l’actuel ministre des Solidarités et de la Santé, à l’époque où il était encore président d’un syndicat d’urgentistes. En réponse à la saturation des services d’urgence, Agnès Buzyn, la ministre de l’époque, propose un pacte de refondation des urgences structuré autour de 12 propositions dont la mesure phare est la création du service d’accès aux soins (SAS), à savoir une plateforme d’appels accessible à tous par téléphone 24h/24 et 7j/7. Le pacte prévoit aussi le renforcement de l’offre de consultations médicales sans rendez-vous en cabinet, maison et centre de santé. Une enveloppe de 750 millions d’euros sur 3 ans est débloquée. En mars 2022, la commission d’enquête du Sénat publie un rapport[4] sur la situation de l’hôpital, dont les constats sont dans la droite ligne du pacte de refondation des urgences : offre de soins de premier recours insuffisante, régions sous-dotées, besoins de lits en aval mal anticipés et enfin, services mal organisés. Ces dernières conclusions laissent entendre que l’hôpital pourrait être mieux organisé et que les solutions à trouver sont de nature organisationnelle plutôt
Par Moutenet P.
10 juin 2023