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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Économie

Le recours à l’Intelligence artificielle pour lutter contre la fraude fiscale

En France, les chiffres relatifs à la fraude fiscale ont de quoi impressionner. Après avoir estimé en janvier 2013, l’évitement illégal de l’impôt entre 60 et 80 milliards d’euros par an, le syndicat national Solidaires finances publiques a estimé en 2017[1], qu’il se situait dans la fourchette haute et qu’il était possible qu’il atteigne jusqu’à 100 milliards d’euros. Cette estimation du premier syndicat représentatif des agents du ministère chargé des impôts joue un grand rôle, car elle est très souvent reprise dans le débat politique et médiatique. Celle-ci, pour la Cour des comptes, se situerait aux alentours de 20 milliards d’euros par an (elle est probablement sous-estimée). En cumulant sur 10 années et prenant la fourchette basse de la Cour des Comptes, le coût de la fraude fiscale serait de 400 milliards d’euros (avec l’hypothèse haute du syndicat Solidaires finances publiques, deux fois plus). Combattre l’évitement illégal de l’impôt nécessite une stratégie globale. Cela passe en premier lieu par la législation fiscale et pénale. Le grand nombre de dispositifs dérogatoires par exemple nourrit le risque de fraude puisque les multiples conditions qui les assortissent ne sont pas toujours respectées. De ce point de vue, une revue de ces dispositifs ayant pour objectif d’en réduire le nombre et le coût s’impose. Cela passe également par la mobilisation de moyens humains (les personnels des services spécialisés en la matière), juridiques (les procédures de contrôle proprement dites par exemple) et techniques. C’est sur ce dernier point que nous revenons ici, tant il est vrai qu’ils ont constitué la priorité des pouvoirs publics, qui ont, hélas, surtout vu dans l’intelligence artificielle le moyen de poursuivre les suppressions d’emplois au sein de l’administration fiscale (voir sur ce sujet notamment la note de l’Institut Rousseau d’avril 2022[2]). I) Big Data et IA à la Direction générale des finances publiques (DGFiP) Plusieurs initiatives ont déjà été mises en place dans les pays européens : lutte contre l’escroquerie à la TVA en Belgique via la modélisation automatique des réseaux, dispositif Connect en Angleterre pour détecter les incohérences dans les déclarations fiscales, système nommé Redditometro en Italie pour comparer montants d’imposition et trains de vie constatés. La France s’inscrit dans ce sillage, et les premières applications de l’IA dans l’administration de la fraude fiscale apparaissent sporadiquement. L’une des difficultés au déploiement de l’IA est liée à la complexité des missions de ces administrations, étant précisé par ailleurs que l’administration fiscale, déjà très « numérisée » , utilise de longue date des applications prévoyant des possibilités de requêtage très utilisées par les personnels dans le cadre de leurs missions. Depuis 2014, Bercy dispose d’une cellule de data mining spécialisée, qui utilise un outil dédié au ciblage de la fraude et valorisation des requêtes (CFVR). Par l’analyse des comportements frauduleux constatés et la modélisation de ces derniers le but est d’identifier des critères caractérisant une personne ayant des comportements à risque de fraude. Le CFVR exploite les informations de 11 bases de données[3]. Précisons-le, initialement, ce traitement automatisé de données a porté sur la détection de la fraude en matière de TVA. En 2017, l’outil a été étendu aux personnes physiques, de façon expérimentale, par voie d’arrêté. Selon un rapport du Sénat déposé en 2020 par les sénateurs Thierry Carcenac et Claude Nougein[4], les techniques d’analyse de données utilisées « sont sans cesse étendues. En plus du data mining et du recours à l’IA, se développe le textmining, soit le traitement de données non structurées [textes ou images]. En parallèle, une expérimentation est menée dans plusieurs départements afin de croiser les déclarations des contribuables, les vues aériennes et les plans cadastraux pour traquer les erreurs, intentionnelles ou non, de déclaration des contribuables. Pour ce faire, la DGFiP s’appuie sur un logiciel développé par la société Accenture. » Les algorithmes permettent de faire du data mining, de l’exploration des données grâce à l’IA. Les algorithmes sont capables de détecter des incohérences dans les fichiers entre revenus, opérations financières ou trains de vie par rapport aux déclarations fiscales des ménages. Le décret publié le 13 février 2020 au Journal officiel, précisant les modalités de l’article 154 de la loi de finance 2020, a donné le coup d’envoi d’une expérimentation sur trois ans ne couvrant que trois types de fraudes : le trafic de marchandises prohibées, l’activité professionnelle non déclarée et la domiciliation fiscale frauduleuse. Le champ des données prospectées par cette IA dans le cyberespace est particulièrement étendu puisqu’il concerne les réseaux sociaux comme Facebook, les messageries comme Instagram ou encore les sites de commerce en ligne tels que LeBonCoin ou eBay. Ce programme doit permettre aux data scientists d’affiner leur méthode de profilage pour les personnes physiques. Il s’agit de renforcer les outils de détection des fraudes fiscales ou douanières particulièrement graves, pour lesquels les moyens d’investigation traditionnels des administrations sont insuffisants : fausse domiciliation fiscale à l’étranger, activité commerciale occulte, activités illicites telles que la contrebande de tabac ou le commerce de stupéfiants. L’affaire de la domiciliation fiscale de Johnny Hallyday illustre la démarche d’exploitation des réseaux sociaux à des fins de lutte contre la fraude pour déterminer la résidence fiscale effective (France ou États-Unis) au regard de la fiscalité applicable à la succession. L’analyse des contenus publiés par le défunt et sa famille (géolocalisation des photos) avait vocation à retracer ses déplacements et quantifier le nombre de jours passés dans chacun des pays, afin d’évaluer si les critères de résidence fiscale étaient démontrés ou non. Consultée en amont sur le projet de loi, compte tenu de l’impact du dispositif sur la vie privée et ses possibles effets sur la liberté d’expression en ligne, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a mentionné expressément des réserves afin de préserver un équilibre entre l’objectif de lutte contre la fraude fiscale et le respect des droits et de la liberté des personnes[5] et a indiqué qu’un pareil test « doit s’accompagner de garanties fortes afin de préserver les droits et libertés des personnes concernées ». Une grande prudence dans l’utilisation des données personnelles est exigée aux administrations publiques. Seules

Par Briot-Hadar J., Drezet V.

11 octobre 2024

L’écologie, combat du siècle ? La transformation de la finance n’a pas eu lieu

On peut lire sur une page du site de l’Élysée nommée « L’écologie, combat du siècle » que le gouvernement a pour « ambition […] une transformation en profondeur de la finance privée »[1] dans le sens d’une meilleure prise en compte des enjeux climatiques. De nombreuses initiatives en faveur de la finance durable ont ainsi été lancées au cours du quinquennat. Deux commissions Climat ont été créées au sein des régulateurs bancaires et des marchés financiers, dont l’objectif principal est le suivi des engagements des institutions financières françaises. L’État a également contribué à la promotion de Finance for Tomorrow, un consortium d’institutions financières principalement privées, notamment à travers son soutien au lancement de l’Observatoire de la Finance Durable, dont le rôle est là encore de réaliser le suivi des pratiques et engagements des acteurs financiers. L’action du quinquennat en faveur de la finance durable s’est soldée par la publication du rapport Perrier, du nom du président d’Amundi, rédigé à la demande du ministre de l’Économie afin de présenter des pistes de renforcement de la finance durable. Sur le plan réglementaire, l’action a principalement été menée au niveau européen. On compte notamment le règlement « Disclosure », qui décline les obligations de transparence quant à la prise en compte des enjeux climatiques. Il a été transposé en France par l’article 29 de la loi énergie-climat en 2019. L’État a également facilité l’accès aux offres d’épargne verte à travers la loi Pacte. L’ensemble de ces actions, détaillées par Philippe Zaouati en introduction de cette série[2], est-il en mesure d’engager « une transformation en profondeur de la finance privée » ? Au prisme de notre analyse, il apparait fortement insuffisant. Cette note se propose d’appréhender les mécanismes qui compromettent aujourd’hui la durabilité de la finance, et singulièrement sa capacité à tenir compte du réchauffement climatique et de la transition bas-carbone. À notre sens, la finance durable doit reposer sur deux piliers, conditionnant les leviers permettant de faire des agents financiers des acteurs de la transition. D’une part, la finance doit être en mesure d’identifier les risques associés au réchauffement climatique (risques physiques) et à la transition écologique (risque de transition). On montrera que cela est impossible sans une action franche de l’État, du fait de l’incertitude radicale, dite knightienne, associée à ces risques. Il s’agit en somme de prendre acte du fait que le mécanisme d’évaluation des risques/rendements est défectueux en présence de telles incertitudes, et de supplanter ce mode de coordination par un rôle accru de l’État. D’autre part, elle doit tenir compte de ces risques une fois ceux-ci mis au jour par l’action de l’État. La domination des stratégies d’investissement de court terme, ou spéculatives, sur les marchés financiers l’empêche. Cela est une conséquence de l’excessive liquidité[3] des marchés, résultat de décennies de libéralisation financière. Nous montrerons que les actions visant à rendre la finance durable ne peuvent aboutir si elles ne s’inscrivent pas dans un mouvement plus large de réglementation et de cloisonnement des marchés, qui obligerait les investisseurs de tenir compte des enjeux de long terme. I) Mise en perspective des réformes en faveur de la finance durable privée : un ancrage néo-libéral franc A. L’efficacité limitée d’une approche par l’incitation pour encadrer une « défaillance de marché » Les actions du dernier quinquennat en matière de finance durable sont caractérisées par leur ancrage idéologique profondément néo-libéral. Fidèles à la doctrine selon laquelle la liberté économique et le libre jeu de l’entreprise ne doivent pas être entravés, ou le moins possible, les mesures gouvernementales ont eu pour objectif principal d’inciter les acteurs financiers à s’orienter vers une finance dite « verte ». L’architecture réglementaire actuelle fait principalement appel au bon vouloir des acteurs financiers. L’efficacité de cette approche se heurte toutefois à des limites profondes : l’incapacité d’une finance déréglementée et autorégulée à prendre en compte les enjeux écologiques. Ainsi, les efforts français et européens en matière de finance durable se sont concentrés sur des objectifs de transparence de l’information, formant ainsi l’hypothèse que l’accès à l’information permettrait aux acteurs des marchés financiers d’intégrer spontanément les exigences environnementales dans leurs stratégies d’investissement. L’article 29 de la loi énergie-climat sur le reporting extrafinancier des acteurs de marché est censé garantir la publication systématique des modalités de prise en compte des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) dans les politiques d’investissement et les procédures de gestion des risques, tout en incitant à la prise en compte des risques climatiques. Cependant, ce type d’approches qui met l’accent sur la publication des données relatives au climat se fonde sur l’hypothèse implicite selon laquelle une fois les risques pleinement révélés, les acteurs financiers répondront de manière rationnelle et alignée sur l’intérêt public. Cette conception trouve ses racines dans « l’hypothèse des marchés financiers efficients », appliquée au secteur financier et à sa perception de la politique climatique2. Cette approche ne saurait toutefois être considérée comme un moyen suffisant pour encadrer le comportement des acteurs financiers : en effet, le dérèglement climatique est encore souvent perçu comme une externalité économique, c’est-à-dire que les investisseurs considèrent que les conséquences environnementales néfastes de leurs décisions d’investissement n’affecteront pas directement la rentabilité de leur portefeuille. Les acteurs financiers transfèrent le coût des risques environnementaux de leurs décisions à la société dans son ensemble et sur les générations futures au-delà du court terme qui régit leurs performances. Il s’agit ici d’un cas d’aléa moral, vecteur de déresponsabilisation des investisseurs qui ne supportent pas le coût de leurs actions, qui souligne la limite majeure de l’hypothèse selon laquelle les acteurs financiers ajusteront leur comportement dans le sens d’un alignement avec les objectifs de préservation du climat. Cela est d’autant plus vrai que les enjeux environnementaux tombent dans la catégorie des défaillances de marché[4] à de multiples égards, c’est-à-dire qu’ils relèvent d’une situation dans laquelle le marché concurrentiel ne peut réguler efficacement les activités économiques. La responsabilité fiduciaire des gestionnaires d’actifs illustre bien la manière dont cette défaillance de marché grève les capacités des acteurs financiers à rendre leurs comportements plus vertueux. Le rôle juridiquement défini des gestionnaires d’actifs est d’optimiser le rendement du risque financier des actifs sous gestion,

Par Driouich R., Saviuc A.

13 avril 2023

EDF, la concurrence jusqu’à la lie ?

Quelle que soit l’issue de la crise énergétique traversée par l’Europe, il est à espérer qu’elle aura au moins le mérite d’interroger sur les politiques publiques qui nous ont amenés là. Les auditions à l’Assemblée nationale de la Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France apportent un éclairage saisissant sur le cas particulier de l’électricité. Un enjeu d’autant plus crucial que la décarbonation de nos modes de vie passera nécessairement par l’augmentation de la part de ce vecteur énergétique dans les usages finaux. Durant son audition à l’Assemblée nationale le 13 décembre 2022 en tant qu’ex-PDG d’Électricité de France (EDF), Proglio rappelle que l’entreprise publique se trouvait à l’aube de la libéralisation du secteur de l’électricité en position d’exportatrice nette, disposait des prix les plus compétitifs au niveau européen, offrait un contrat de service public qui faisait référence dans le monde et possédait une longueur d’avance avec son parc de production émettant peu de gaz à effet de serre. Avant d’ajouter laconiquement : « il n’y avait plus qu’à tout détruire. C’est chose faite ». Le contraste est en effet saisissant vis-à-vis de la situation actuelle du groupe qui termine l’année 2022 avec la production électronucléaire la plus basse enregistrée depuis 1988, des pertes historiques de 17,9 milliards d’euros et un endettement record de 64,5 milliards d’euros[1]. Au-delà des accusations croisées entre plusieurs des hauts dirigeants auditionnés et ayant probablement à cœur de se dédouaner de leurs responsabilités dans la crise ambiante, un thème revient en boucle : celui de l’introduction toute particulière de la concurrence dans le domaine électrique français. Généalogie du dogme Mais avant de se pencher sur ce point précis, il est utile de revenir sur les origines d’un mouvement qui brisera dans le monde entier l’organisation du secteur de l’électricité sous la forme d’entreprises verticalement intégrées. La première grande réforme visant à introduire la concurrence dans ce domaine est à l’actif du gouvernement de Pinochet dans le Chili de 1982. Les activités de production, de transport et de distribution d’électricité sont alors séparées préalablement à la privatisation des entreprises locales. Est venue ensuite l’ouverture du marché de l’électricité par le gouvernement de Thatcher dans la Grande-Bretagne en 1989, suivie de près par celle de l’Argentine en 1992, du Japon en 1995, de la Californie en 1998 et de nombreux autres pays par la suite. Le cas des États-Unis est intéressant dans le sens où aujourd’hui encore, environ la moitié des régions de ce pays continue de fonctionner avec le modèle du monopole régulé. Aux dernières nouvelles, celles-ci ont observé une moindre augmentation des tarifs de l’électricité par rapport à celles qui ont décidé de parier sur les supposées vertus de la concurrence[2]. Dans le cas de l’Union européenne, le coup d’envoi a été donné par la directive 96/92/CE du parlement européen et du conseil du 19 décembre 1996. Tous les pays membres sont alors sommés d’ouvrir à la concurrence la production et la fourniture d’électricité tandis que le transport et la distribution restent à part en tant que « monopole naturel »[3]. Pour ces deux derniers segments, on parle plutôt de concurrence pour le marché, c’est-à-dire de mettre en enchère pour des entreprises, privées de préférence, la concession de portions du réseau électrique. Comme dans les cas précédents, il a été mis en avant que la concurrence permettrait d’améliorer l’efficacité de la gestion du réseau électrique et que ces usagers se verraient bénéficier de prix plus compétitifs. C’était l’époque où le modèle de monopoles publics ou privés sous la supervision d’une institution publique de régulation était critiqué pour conduire à des surinvestissements. Rétrospectivement, on peut trouver cet argument particulièrement cocasse quand on sait qu’aujourd’hui on souffre d’un manque d’investissements dans les énergies décarbonées pour assurer la transition écologique. Les réformes ont donc été menées tambour battant en dépit des avertissements des économistes spécialistes de l’énergie (qui n’étaient d’ailleurs pas nécessairement réfractaires aux idées libérales)[4]. En effet, l’électricité n’est pas un bien comme les autres puisqu’à chaque instant l’offre doit être égale à la demande sous peine d’écroulement du réseau. Malgré le fait que facturer des électrons reste quelque chose de plutôt standard, on espérait aussi que la libéralisation permettrait des innovations dans la fourniture d’électricité à même de compenser les nouveaux coûts de marketing et de transaction qu’implique la création de nouveaux segments de marché[5]. Concernant la production d’électricité, l’introduction de la concurrence se traduit par la mise en place d’un marché spot où se confrontent les prix de chaque centrale, celle ayant le coût variable le plus haut définissant le prix rémunéré à toutes les autres. Ce système de fixation du prix au coût marginal de la dernière centrale appelée pour satisfaire la demande trouve son origine théorique dans les apports de Marcel Boiteux, pionnier de l’économie de l’électricité et historique dirigeant d’EDF. Cet économiste avait en effet démontré que sous certaines conditions ce système était le meilleur possible, car il incitait à bien dimensionner le parc de production dans une gestion centralisée. Il s’agissait cependant d’un mécanisme qui s’inscrivait dans le cadre d’un monopole public comme celui d’EDF et non pas dans celui d’un marché avec différents agents décentralisés en concurrence. En effet, pour cela il faudrait que ce dernier puisse soit être omniscient en connaissant parfaitement la demande d’électricité à venir ou parfaitement flexible en rajoutant ou retirant des unités de production selon les variations de la demande. Pour un secteur dont les coûts fixes sont énormes et les cycles de vie peuvent se compter en décennies, cela est évidemment impossible. Le marché ouvert à la concurrence ne satisfait pas non plus la condition de convexité du modèle théorique à cause des coûts de démarrage et d’arrêt des centrales, du fait que certaines d’entre elles ne peuvent descendre en dessous d’une puissance minimum ou bien dans le cas de l’hydraulique parce que l’ouverture des vannes d’un barrage se répercute sur ceux en aval. Il n’est toutefois pas rare de trouver des défenseurs acharnés de cette théorie se retrancher derrière leurs équations différentielles du premier

Par Sergent A.

9 mars 2023

Quand la politique d’austérité conduit à dégrader volontairement le contrôle fiscal et l’efficacité de la lutte contre la fraude

Introduction La politique économique d’un pays s’articule autour de quatre leviers : Le levier réglementaire permet d’agir sur ce que les acteurs publics et privés sont autorisés à faire ; Le levier monétaire permet de financer les acteurs publics et privés ; la disponibilité du crédit impacte l’inflation et le chômage ; Le levier budgétaire correspond aux dépenses de l’État, en volume global et en répartition ; Le levier fiscal correspond aux recettes de l’État, en volume et en répartition. Or, pour ce dernier levier, les politiques fiscales des dernières années se sont caractérisées par : Un parti-pris en faveur du patrimoine et de ses revenus, au détriment de ceux issus du travail, notamment : Réforme de l’imposition du patrimoine : transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) : diminution de 71 % des recettes passant en 2017 de 4,2 milliards d’euros à 1,2 milliards d’euros en 2018[1] ; Transformation d’une imposition des revenus mobiliers au barème progressif de l’impôt sur le revenu (IR) à une imposition à un taux proportionnel de 12,8 %, dite « flat tax » ; Diminution progressive du taux normal de l’impôt sur les sociétés (IS) de 33,33 % en 2017 à 25 % en 2022, Une progressivité déclinante (l’effort fiscal demandé à chacun est de moins en moins ajusté en fonction des ressources), Une stabilité en volume dans le temps (contrairement aux idées reçues, le taux de prélèvements obligatoires – à savoir l’ensemble des impôts, cotisations et taxes – n’a évolué que marginalement depuis 25 ans[2]). On peut donc légitimement les interroger sous l’angle de la justice fiscale. Ceci étant dit, cette note va s’intéresser non pas à l’(in)égalité de la charge fiscale entre les citoyens, mais à une autre source d’inégalité : celle qui existe entre les contribuables (citoyens et entreprises) qui respectent leurs obligations fiscales et ceux qui ne les respectent pas. En effet, payer ses impôts, c’est contribuer au financement de l’État, c’est-à-dire à ses missions régaliennes (celles qui sont attachées à la souveraineté de l’État : défense, diplomatie, police, justice, etc.), à ses missions de service public (missions d’intérêt général que le secteur privé ne peut assurer notamment en ce qui concerne la cohérence de la couverture, la continuité du service et l’accessibilité de son prix : éducation, santé, transports, énergie, etc.) et à la nécessaire redistribution des richesses dans un pays où les inégalités augmentent depuis le milieu des années 1990[3] et en particulier les inégalités de revenus primaires[4]. Or, la lutte contre la fraude fiscale est aujourd’hui mise en danger en France par une politique de long terme de contraction des effectifs de la fonction publique. En dégradant les moyens humains de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), les gouvernements successifs sont en passe d’affaiblir significativement la capacité de l’État à recouvrer l’impôt. Car sans contrôle fiscal efficace, la probité fiscale des citoyens s’effondre. L’une des causes méconnues de la crise grecque de 2008 était ainsi l’incapacité du gouvernement grec à recouvrer efficacement l’impôt[5]. I – La dégradation progressive des moyens humains de la DGFiP… Qu’est-ce que la DGFiP ? La DGFiP résulte de la fusion en 2008 de la Direction générale des impôts et de la Direction générale de la comptabilité publique. Elle recouvre quatre métiers : La gestion fiscale : il s’agit de l’activité fiscale courante (renseignement et accueil des contribuables, établissement de l’assiette de l’impôt, envoi des avis d’imposition, recouvrement des créances fiscales, traitement des réclamations, etc.) ; Le contrôle fiscal : il s’agit de l’activité fiscale répressive. Le système fiscal français étant un système déclaratif (l’impôt est établi sur la base des données déclarées par les contribuables), il est nécessaire de vérifier si ces déclarations ont été sincères ; La comptabilité publique d’État : tenue des comptes de l’État, contrôle et paiement de ses dépenses, recouvrement de ses recettes non fiscales ; La comptabilité publique locale : les mêmes missions en faveur des collectivités territoriales. Les proportions des effectifs affectés à chaque métier sont très stables sur la période observée (2010-2020). À l’issue de celle-ci, elles étaient les suivantes[6] : Soit environ 42 % des agents sur la mission gestion fiscale[7], 9 % des agents sur la mission contrôle fiscal externe[8], 19 % des agents sur la mission comptabilité locale, 8 % sur la mission comptabilité d’État et les 22 % restants répartis dans des fonctions transversales. La cécité des politiques libérales La fonction publique française a été stigmatisée, depuis des décennies, comme étant hypertrophiée, inefficace et trop coûteuse pour l’État[9]. Ce discours dogmatique répond à une orthodoxie libérale dans la lecture de l’économie : depuis Thatcher et Reagan, le meilleur État, c’est l’État atrophié, qui se désengage au maximum de ses missions non régaliennes, privatise les services publics et encourage la déréglementation de la sphère économique et financière. Dans cette optique, l’État s’avère incapable d’apprécier la fonction publique comme le secteur économique présentant les plus fortes externalités positives, pour ne plus la percevoir qu’en termes de coûts. Ainsi, quand on calcule le PIB selon la méthode des valeurs ajoutées, l’administration retient le principe de valoriser les biens ou services qu’elle produit aux coûts des facteurs de production (ce qui est assez proche du montant des salaires versés). Le PIB produit par les enseignants est donc égal au salaire que l’État leur verse[10]. L’idée même de production de valeur disparaît. Cette logique, si elle transversale dans toute la fonction publique, est particulièrement prégnante à la DGFiP, ce qui conduit à cette absurdité : comme les agents de la fonction publique représentent un coût, il en faut le moins possible… y compris dans le ministère où leur rôle consiste à sécuriser le recouvrement des impôts, c’est-à-dire la majorité des recettes de l’État. Imaginez une entreprise qui, pour augmenter sa marge, opère des coupes dans son service de recouvrement. Cette stratégie vous paraît-elle viable ? Nous observons que sous l’impulsion de ces politiques, les effectifs de la DGFiP ont baissé en volume (1.1) et le que ministère a perdu en attractivité (1.2). 1 Des effectifs en contraction continue Comme on va le voir ci-après, les effectifs de la

Par Faïve S.

25 avril 2022

2% pour 2°C ! Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050

Résumé exécutif du rapport 2 % pour 2°C : Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050. La conférence de présentation du rapport peut-être visionnée entièrement sur notre chaîne YouTube. Le rapport complet est disponible en téléchargement. Au cours des dernières années, nous avons fixé des objectifs ambitieux pour le climat. Nous avons multiplié les accords internationaux, les lois et les stratégies nationales. Mais les résultats ne suivent pas : nos émissions baissent trop lentement. Une des causes principales de cet échec est que la reconstruction écologique de nos sociétés se heurte au mur de l’argent. Or, atteindre la neutralité carbone suppose, certains y verront un paradoxe au regard de l’impératif de sobriété, de nombreux investissements. Mais combien, exactement ? On pourrait imaginer que ce chiffrage existe déjà : en effet, comment penser des stratégies nationales bas carbone (SNBC) ou des programmations pluriannuelles pour l’énergie (PPE) sans aborder simultanément la question des moyens budgétaires et financiers nécessaires pour les atteindre ? Or, cela peut paraître surprenant, mais ce « recensement » n’existe tout simplement pas, malgré des tentatives éparses et incomplètes d’organismes publics ou privés de fournir des données. Cela nous conduit inévitablement à une forme de double discours en matière d’environnement : celui qui consiste à promettre beaucoup en matière d’objectifs, tout en mobilisant peu au niveau des financements. C’est à ce problème majeur pour la réussite de la transition bas-carbone et pour le débat démocratique et économique que ce rapport entreprend de s’attaquer. Notre objectif final, la raison d’être de ce rapport, est d’associer aux leviers de décarbonation de l’économie les moyens financiers nécessaires pour les réaliser. Nous chiffrons ces investissements, publics et privés confondus, à 182 milliards d’euros par an, dont 57 milliards d’euros par an en plus des investissements déjà prévus dans un scénario tendanciel, ce qui comprend aussi bien les dépenses « vertes » actuelles que celles dont nous pouvons anticiper la réorientation (par exemple les investissements actuels dans les véhicules thermiques seront transformés en investissements dans des véhicules électriques). Ces investissements supplémentaires représentent 2,3 % du PIB de la France en 2021. C’est ce qui donne le titre de notre rapport : 2 % du PIB d’investissements publics et privés supplémentaires sont nécessaires chaque année pour tenir notre engagement de neutralité carbone et faire notre juste part pour limiter le réchauffement à 2 degrés ! Précisons que ces « investissements » ne sont pas à considérer au sens économique strict du terme : il s’agit en réalité de l’ensemble des dépenses publiques et privées nécessaires pour atteindre les objectifs fixés et peuvent prendre la forme d’investissements durs, mais également de subventions, de crédits d’impôts, d’allégements fiscaux, d’aides à l’installation ou à la reforestation, de l’acquisition de biens par des ménages, etc. Sur ces 57 milliards d’euros supplémentaires, 36 milliards d’euros d’investissements devraient être pris en charge par l’État. 36 milliards d’euros par an d’argent public supplémentaire pour atteindre la neutralité carbone : qu’est-ce que c’est pour le budget de l’État ? C’est à peu près ce que paie chaque année l’État aux banques et autres investisseurs en remboursement des intérêts de sa dette publique (38 milliards d’euros pour 2022, plus de 40 milliards d’euros pendant les années 2010). C’est nettement moins que ce qu’on dépense chaque année pour la défense (50 milliards d’euros) ou que ce que les actionnaires privés ont perçu en dividendes en 2019 (49,2 milliards d’euros). Et c’est un peu moins que le premier plan d’urgence budgétaire mis en place dès le début de la pandémie en mars 2020 (42 milliards d’euros). Pour le climat aussi, il nous faut un plan d’urgence, dès maintenant et pour les années à venir. Quelques points de comparaison du surcoût public de l’ensemble des mesures proposées   Ces investissements publics et privés que nous requérons n’ont donc rien d’insurmontable : ils permettraient bien au contraire d’enclencher une dynamique vertueuse pour l’environnement, l’emploi, la santé et in fine la prospérité de nos concitoyens. Quelques précisions importantes pour bien comprendre le cadre de notre étude. Tout d’abord, cette dernière est centrée sur les investissements publics et privés qui permettront de réduire suffisamment les émissions de gaz à effet de serre de la France pour atteindre une neutralité carbone d’ici trente ans. Par conséquent, notre étude ne prend pas en compte l’ensemble des investissements qui seraient nécessaires à une politique complète de reconstruction écologique (préservation de la biodiversité et lutte contre la sixième extinction de masse que nous connaissons, reconstruction des réseaux d’eau, dépollution chimique des sols et des procédés, etc.), encore que plusieurs investissements étudiés contribuent aussi à agir sur ces fronts. Notre chiffrage constitue donc un plancher pour atteindre la neutralité carbone mais devrait être revu sensiblement à la hausse en intégrant les autres enjeux écologiques. Ce sera l’objet de travaux ultérieurs. En outre, nous avons évalué le coût de l’investissement en capital (le “Capex”) et avons donc laissé de côté les coûts opérationnels (les “Opex”), beaucoup plus difficiles à évaluer et anticiper. Ensuite, il est important de souligner que notre travail n’est pas d’ordre réglementaire mais plutôt budgétaire : nous ne nous préoccupons pas systématiquement des mesures législatives et réglementaires qui devront nécessairement accompagner le déploiement des investissements. Les mesures réglementaires les plus structurantes, ou constituant des prérequis aux investissements, sont cependant décrites. Enfin, si nous avons pleinement conscience de l’importance des enjeux liés au bon déploiement opérationnel d’une telle transition, l’ensemble des conditions nécessaires au bon déroulement de ce plan d’action chiffré n’est pas systématiquement décrit. Pour mettre en œuvre le plan d’investissement que nous proposons, nous recommandons, avec d’autres acteurs importants du débat, l’élaboration d’une loi de programmation pluriannuelle du financement de la reconstruction écologique (LPFRE), comme il en existe en matière de recherche et de défense, qui permettrait d’opérer une jonction étroite entre les objectifs fixés et les moyens de les atteindre. La plus-value et l’originalité de notre rapport est également de proposer une vision de ce que devrait contenir cette loi de programmation pluriannuelle de financement de la reconstruction écologique, secteur par secteur. Cette vision repose sur

Par Institut Rousseau, Giraud G., Dufrêne N., Nicol C., Kerlero de Rosbo G.

8 mars 2022

Il est urgent d’agir face au développement du marché des cryptoactifs et de séparer le bon grain de l’ivraie Tribune

Français 🇫🇷 | English 🇬🇧 | Deutsch 🇩🇪 | Italiano 🇮🇹 | Español 🇪🇸 Signée par plus de 170 économistes, informaticiens, experts et personnalités scientifiques, cette tribune a pour objectif d’alerter sur les risques croissants, en matière économique, financière, écologique et sociale, liés au développement anarchique des cryptoactifs. Face à l’inaction des États en cette matière, elle introduit également plusieurs principes de régulation pour maîtriser ces risques et poser les bases d’une utilisation saine et responsable des technologies innovantes sous-jacentes à ces cryptoactifs. Pour toute information supplémentaire au sujet de cette tribune et des travaux qui l’accompagnent, vous pouvez écrire à l’adresse : contact@institut-rousseau.fr. Vous souhaitez apporter votre soutien à notre démarche ? Vous pouvez remplir ce formulaire, vous serez ajouté aux signataires. Initiateurs : Nicolas Dufrêne, haut fonctionnaire, économiste et directeur de l’Institut Rousseau Jean-Michel Servet, professeur à l’Institut des hautes études internationales et du développement (Genève) Jean-Paul Delahaye, professeur à l’Université de Lille, informaticien et mathématicien Ont notamment soutenu la tribune : Gaël Giraud, directeur du programme de justice environnementale à l’Université de Georgetown et président d’honneur de l’Institut Rousseau Gérard Berry, Professeur émérite au Collège de France, médaille d’or du CNRS 2014 Michel Aglietta, professeur émérite université Paris Nanterre et conseiller scientifique au Cepii Jean-Louis Desvignes Président de l’Association des Réservistes du Chiffres et de la Sécurité de l’Information (ARCSI) Jean-Gabriel Ganascia, informaticien et philosophe, membre du comité national pilote d’éthique du numérique Alain Grandjean, économiste, entrepreneur et polytechnicien, membre du Haut Conseil pour le climat Serge Abiteboul, chercheur à l’Inria, Membre de l’Académie des Sciences Alain Supiot, juriste, professeur émérite au Collège de France Stéphane Ducasse, Directeur de recherche inria Rachid Guerraoui, professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), directeur du laboratoire de calcul distribué. Professeur invité sur la chaire annuelle Informatique et sciences numériques du Collège de France. Paul de Grauwe, London School of Economics, John Paulson Chair in European Political Economy Alexandre Rambaud, maître de conférences en comptabilité financière et écologique à AgroParisTech Jacques Dubochet, prof. hon. Université de Lausanne, prix Nobel, chimie 2017 Dominique Plihon, professeur émérite à l’Université Sorbonne Paris Nord François Morin, professeur émérite à l’Université Capitole de Toulouse Pierre Dockès, Professeur émérite de sciences économiques, université Lumière Lyon 2 Didier Roux, Membre de l’Académie des Sciences, Membre de l’Académie des Technologies Découvrir tous les signataires.   La tribune en langue française : Il est urgent d’agir face au développement du marché des cryptoactifs et de séparer le bon grain de l’ivraie Le monde monétaire et financier est actuellement bousculé par l’émergence des cryptoactifs. Avec plus de 2 000 milliards de dollars de capitalisation, ce marché compte désormais plus de 16 000 cryptoactifs et connaît une progression fulgurante depuis quelques années. La capitalisation du seul bitcoin, du fait de l’accroissement de son cours, est aujourd’hui à peu près égale à la masse monétaire du franc suisse. Le phénomène ne doit donc pas être pris à la légère. Par son volume, il questionne aujourd’hui directement l’ordre public financier et l’intérêt général. Or, les autorités n’ont jusqu’à présent pas pris la mesure des risques et des dommages que ce développement pourrait engendrer. Cette inaction s’explique sans doute par la difficulté à saisir la diversité du phénomène. En effet, les milliers de cryptoactifs existants ne sont pas de même nature et n’ont pas le même objet. Certains prétendent constituer des alternatives monétaires globales (Bitcoin) ; d’autres ne servent qu’à faciliter des paiements transfrontaliers (Ripple) ; d’autres encore ne sont que des amusements (Dogecoin). Le développement des actifs numériques permet certes de bousculer certaines pratiques et introduit des innovations utiles comme la possibilité de conclure des « contrats intelligents » grâce à la technologie des chaînes de blocs [blockchain], de se passer d’intermédiaires en matière de transferts de propriétés ou d’accélérer les paiements internationaux. Or, des cryptoactifs bien employés et bien régulés pourraient jouer le même rôle sans le caractère négatif majeur qui entache aujourd’hui, plus qu’il ne sert, leur essor. Car certains cryptoactifs, dont le bitcoin qui en est l’étendard, font courir des risques grandissants à nos sociétés. À cause de l’énergie qu’elles requièrent (près de 131 TWh, soit davantage que la Belgique et la Suisse), les blockchains utilisant un protocole de type « preuve de travail » provoquent un désastre écologique, qui va empirer. La forte volatilité du bitcoin porte atteinte à la stabilité financière car elle est opérée par des acteurs à la capitalisation parfois fragile et sans garde-fous, dans des marchés par ailleurs largement manipulés par quelques grands détenteurs de cryptoactifs. Enfin, la cohésion sociale et monétaire peut être menacée par les prétentions de certains d’encourager le développement de systèmes de paiement parallèles. Certains cryptoactifs font par ailleurs peser une lourde menace sur la sécurité des personnes et des États puisqu’ils facilitent les demandes de rançon, l’évasion fiscale ou le financement d’activités criminelles voire terroristes. Des cryptoactifs comme Monero, Dash ou Zcash ont même été pensés pour qu’il soit absolument impossible de suivre leurs opérations. Répondre à ces craintes légitimes en affirmant que le système bancaire et financier traditionnel n’est lui aussi pas exempt de reproches est hors de propos : ce dernier a évidemment aussi permis l’évasion fiscale et le financement du terrorisme, tout comme le financement d’activités polluantes mais les solutions sont connues : elles passent notamment par l’arraisonnement des chambres internationales de compensation par la justice, le renforcement des administrations fiscales, la réglementation du shadow banking… Alors que des efforts sont faits pour sortir de ces errements, pour les corriger et pour les punir, faut-il laisser apparaître un nouveau Far West financier non réglementé ? Faut-il, en recréant de nouveaux actifs polluants, spéculatifs et inégalitaires, anéantir les maigres efforts entrepris pour faciliter le partage des informations bancaires ? Faut-il également laisser se détourner une part significative de l’épargne d’investissements plus productifs ? La crainte de brider l’innovation ne doit pas freiner le besoin, légitime et urgent, de réglementation. La période dite de « bac à sable », dans laquelle les cryptoactifs pouvaient se développer anarchiquement sans

Par Institut Rousseau

8 février 2022

Les arguments juridiques en faveur d’une conversion des titres de dette publique détenus par la BCE en investissements verts

À l’heure où la COP 26 s’interroge sur le financement des investissements nécessaires pour réussir la reconstruction écologique de nos sociétés, le sujet de la dette, publique comme privée, apparaît au cœur des réflexions économiques et politiques contemporaines. Le traitement de la dette sera certainement un enjeu majeur des prochaines élections présidentielles de 2022 en France.

Par Dufrêne N., Giraud G., Felter C.

7 novembre 2021

Vers une privatisation de la Banque de France ?

François Villeroy de Galhau a été nommé gouverneur de la Banque de France en novembre 2015 après une mission d’étude de quelques mois destiné à faire oublier que, jusqu’en avril 2015, il était le numéro 3 de BNP Paribas. Cette nomination avait soulevé des objections de la part de nombreux économistes[1]. Il est désormais en passe d’être reconduit à la tête de la Banque de France par Emmanuel Macron[2]. Sa nomination a pourtant fait l’objet, tant dans le monde financier et économique qu’en interne, de très fortes critiques du fait des conflits d’intérêt qu’elle soulevait ; son expérience, son réseau, sa vision des choses, son état d’esprit risquait de l’amener à défendre les intérêts du secteur bancaire plutôt que ceux de la collectivité. La Banque de France est en effet par plusieurs de ses missions et attributions la « banque des banques » et son gouverneur est le président du Collège de supervision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), organisme chargé du contrôle des banques. Sa reconduction, en 2021, pose les mêmes questions au regard de l’analyse de son action. Quel bilan à l’heure de sa reconduction ? Fin 2020, François Villeroy de Galhau appelait à ramener le taux des Plans d’Épargne Logement – les PEL – ouvert avant 2011, et dont la rémunération s’élève à 4,4 % au minimum, à 1 % seulement[3]. Selon lui, cette rémunération met en danger les banques commerciales, lesquelles, en 2020, ont pourtant réalisé un niveau record de 21 milliards d’euros de bénéfices. Le gouverneur de la Banque de France s’est également opposé à la proposition d’annulation des dettes publiques détenues par la BCE portée par l’Institut Rousseau et par près de 150 économistes à travers l’Europe[4], tout comme il s’est opposé à l’idée de monnaie hélicoptère[5], prônant au contraire le retour à la maîtrise du déficit et de la dette publique en coupant dans les dépenses. Il s’est enfin longtemps opposé à la rupture avec le dogme de la neutralité monétaire qui empêche la banque centrale de jouer un rôle, qui serait pourtant essentiel, dans la lutte contre le changement climatique en déclarant : « Ne nous trompons pas sur la nature de la politique monétaire. Elle doit permettre d’atteindre des objectifs macroéconomiques, plutôt que des objectifs spécifiques liés à tel ou tel secteur »[6] avant de reconnaître partiellement, plusieurs années plus tard, que la politique monétaire pouvait bien jouer un rôle dans ce domaine. Cela n’a toutefois pas empêché la BCE, dans sa revue récente de politique monétaire, de conserver ce dogme absurde de la neutralité monétaire[7]. François Villeroy de Galhau milite également activement pour qu’il n’y ait aucune hausse de la fiscalité. Il pense sans aucun doute à l’ISF qui a été supprimé et qu’il ne faut pas rétablir, au Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU) sur les dividendes – la “flat tax” qui s’est substituée à la taxation selon le barème progressif de l’impôt sur les revenus – qu’il faut maintenir en l’état, aux niveaux de prélèvements sur les stock-options qu’on ne doit pas remonter et à toutes les mesures élargissant les avantages fiscaux fait sur les placements financiers qu’il ne fait pas toucher. De beaux exemples d’idéologie économique conservatrice, toute entière tournée vers la préservation du capitalisme financier. Et si sa reconduction à la tête de la Banque de France visait à parachever une autre œuvre, celle de sa privatisation rampante ? Examinons les faits. La Banque de France comptait fin 2015, 12 269 agents équivalents Temps Plein (ETP)[8]. Fin 2020, ceux-ci ne sont plus que 9 535 (soit -22 %). Cette baisse des effectifs était certes amorcée depuis des années mais elle a été fortement amplifiée sous la gouvernance de François Villeroy de Galhau. Entre 2010 et 2015, la baisse des effectifs avait été de l’ordre de 9 %. Fin 2024, selon les prévisions établies par la Banque de France, le nombre d’emplois devrait être descendu à 8 800. Selon les syndicats unanimes, celui-ci devrait être en fait inférieur à 8700 ; soit une diminution supplémentaire de près de 10 %. François Villeroy de Galhau a donc appliqué, à la tête de la Banque de France, le dogme du moins-d’État et le crédo qu’il faut sans cesse et partout “dégraisser le mammouth” pour réduire les dépenses. Le nombre d’emplois supprimés et celui des missions de services publics dégradées au cours de ces dernières années constituent ainsi sa véritable marque à la tête de la Banque de France (et bien évidemment celle de sa tutelle). François Villeroy de Galhau peut aussi s’enorgueillir que les sommes versées par la Banque de France à son actionnaire unique, l’État, sont en hausse régulière : la contribution de notre Banque Centrale Nationale au budget de l’État (impôts sur les sociétés et dividendes) a été en 2019 de 6 milliards d’euros, soit 2,7 % des recettes nettes du budget général de l’État, alors qu’elle n’était que de 1,6 % en 2015. Mais cette évolution doit beaucoup à la conduite de la politique monétaire non-conventionnelle de la BCE qui conduit l’État à verser plus de dividendes à la Banque de France, que celle-ci lui reverse en partie par la suite. En fait, les évolutions de la Banque de France au cours des dernières années nous renvoient à un triple échec. Le premier échec réside dans une contribution “négative” à l’aménagement du territoire ; le second dans une moindre participation aux services publics que l’État doit rendre à ses administrés ; et le dernier dans le recul de la mission régalienne qui est celle de la Banque de France de l’entretien de la monnaie fiduciaire, à travers ce que l’on pourrait même considérer comme une privatisation de cette activité. 1. Premier échec : une contribution négative à l’aménagement du territoire et un affaiblissement considérable de l’institution Banque de France 1. Une baisse massive des effectifs et une modification de certains statuts. La baisse des effectifs n’est pas également répartie au sein de la Banque de France. Mais “l’effort d’adaptation” accompli – pour reprendre les

Par Dicale L.

18 octobre 2021

Mettre en place un prêt à la rénovation par rechargement hypothécaire

Le parc immobilier résidentiel français est particulièrement mal isolé, entraînant une consommation énergétique élevée, de l’inconfort voire de l’insalubrité pour les résidents. Sur les 29 millions de résidences principales, 7 % seulement ont obtenu les étiquettes A ou B du Diagnostic de performance énergétique (DPE). En outre, une partie non négligeable des systèmes de chauffage fonctionne au gaz naturel ou fioul domestique, énergies de chauffage particulièrement émissives en gaz à effet de serre. Alors qu’il ne faudrait pas dépasser 2 tonnes équivalent carbone pour respecter les différents engagements de la France sur le climat et suivre une trajectoire nationale limitant le réchauffement climatique à 2 degrés, l’empreinte carbone du logement est à elle seule estimée à 2,4 tonnes équivalent carbone par personne[1] dont 59 % sont liés au chauffage. Le parc immobilier résidentiel français est l’un des secteurs les plus émissifs, juste après les transports, et alourdit considérablement la facture énergétique nationale et individuelle. Cela engendre des situations de précarité énergétique dont souffrent 7 millions de personnes en France en 2019, selon l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE). En Europe, ce sont 50 à 125 millions d’habitants qui souffrent des mêmes maux qui se traduisent par un choix cornélien : manger ou se chauffer. À cela, il convient d’ajouter d’autres dommages collatéraux sur la santé, tels que les maladies respiratoires, notamment chez les jeunes enfants, causées par un air vicié dans les logements. Les travaux de rénovation entrepris actuellement sont le plus souvent partiels, par gestes, comme changer les fenêtres, installer un nouveau système de chauffage (chauffage électrique, pompe à chaleur, etc.) ou encore isoler les combles. Or, selon l’Enquête Trémi de 2017, 75 % de ces travaux n’ont pas amélioré les DPE, et selon une autre étude des MinesParisTech, menée par Matthieu Glachant en 2019, pour 1000 € dépensés dans ces travaux isolés, la facture énergétique ne s’est réduite que de 8,4 € par an. L’équilibre en trésorerie, qui consiste à compenser les coûts inhérents à la rénovation par la réduction de la facture énergétique, pourtant essentiel pour inciter les Français à rénover, n’est absolument pas atteignable avec cette rénovation partielle puisqu’elle conduit à des économies insuffisantes par rapport aux charges additionnelles. Nous assistons donc depuis des années à une gabegie financière des fonds privés et publics qui s’accompagne en outre d’un manque d’accompagnement et de vérification. La solution pour éviter tous ces effets négatifs est pourtant sur la table depuis longtemps. Les acteurs de la rénovation, et plus récemment le Haut Conseil pour le Climat (HCC) ou encore la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), s’accordent à dire que seule une rénovation complète et performante du bâti et du système de chauffage réalisée en une seule fois permettra à l’ensemble du parc immobilier résidentiel de récupérer la totalité du gisement d’économies potentielles et ainsi d’obtenir le label Bâtiment basse consommation (BBC) soit les niveaux A et B du DPE. Pour ne donner qu’un ordre de grandeur, la rénovation performante d’une maison de classe F ou G divise par 4 à 8 les factures de chauffage (hors effet rebond et à coût d’énergie stable). Au-delà des avantages individuels en termes d’économie d’énergie, de confort et de santé, la rénovation globale génère des créations d’emploi dans la filière de la rénovation qui sont estimées à 278 000 équivalents temps plein (ETP)[2]. Elle a aussi le mérite d’engendrer des excédents budgétaires additionnels du fait de la réduction du déficit commercial, des avantages collatéraux sur le système de santé et sur les comptes sociaux, excédents qui pourraient être alloués pour financer leur rénovation et notamment favoriser en priorité l’équilibre en trésorerie des ménages les plus modestes. Il est rare d’observer un tel alignement des intérêts ainsi qu’une telle unanimité. Pourtant, malgré les appels répétés à un plan massif de rénovation globale, seul à même de respecter les accords sur le climat et de mettre un terme à la précarité énergétique, les pouvoirs publics tardent à mettre en place une politique volontariste. Pour comprendre pourquoi aucun des gouvernements successifs n’a souhaité mettre en œuvre ce type de rénovation, il est important d’en identifier les raisons profondes, notamment en analysant les conséquences financières et fiscales d’une telle politique.   I. Une politique des petits pas pour ne pas heurter l’électeur-contribuable Le premier facteur du manque de volontarisme des pouvoirs publics tient à des considérations pratiques. La rénovation complète et performante du logement suppose en effet des travaux lourds qui vont de plusieurs jours à plusieurs mois selon les biens, ce qui cause inévitablement d’importants désagréments pour les résidents. La deuxième raison tient au coût financier. Sur le plan individuel, le coût au mètre carré d’une rénovation complète et performante est estimé en moyenne à 450 € TTC pour les maisons individuelles et 270 € TTC pour les logements collectifs[3], ce qui représente un coût moyen de 40 000 € par logement en France. Malgré les aides de l’État, il demeure un reste à charge important pour les propriétaires. Les acteurs de la rénovation, rejoints par le Haut conseil pour le climat et la Convention citoyenne pour le climat, plaident toutefois depuis longtemps pour une obligation à la rénovation globale et performante. Sans elle, rien ne changera fondamentalement, les objectifs climatiques et sociaux demeureront des vœux pieux et la précarité énergétique perdurera. Cependant, pour éviter une levée de boucliers légitime de la part des citoyens, ces mêmes acteurs prônent certaines conditions qui visent à rendre acceptable cette obligation. Tout d’abord, afin de limiter les désagréments, la rénovation doit être concomitante à des faits générateurs, tels que les mutations ou le ravalement de façade pour les copropriétés. On en dénombre 1 046 000 entre février 2020 et février 2021[4] dont la plupart concernent des logements datant d’avant 2000, donc pas ou peu isolés : le gisement annuel est donc suffisant pour enclencher une dynamique et pousser le secteur à s’organiser. Malgré cela, cette obligation a toujours été repoussée par le Gouvernement et l’Assemblée nationale, parfois au nom de la liberté individuelle. Cette invocation est d’autant plus étonnante que la liberté individuelle n’a de sens que dans le

Par Ramos P., Simac D.

13 septembre 2021

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