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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

LE NOUVEAU FRONT POPULAIRE : UNE RUPTURE RÉALISTE

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Auteurs
Gaël Giraud

Gaël Giraud

Gaël Giraud est économiste, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École nationale des ponts et chaussées et auteur. Il dirige le programme justice environnementale de Georgetown University. Spécialiste des interactions entre économie et écologie, il occupait les fonctions de chef économiste de l’Agence française de développement (AFD) jusqu’en juillet 2019. Il est président d'honneur de l'Institut Rousseau.

Camille souffron

Camille Souffron

Normalien en scolarité et travaille sur la modélisation macroéconomique, en particulier de la transition écologique. Il est enseignant d’économie à l’ESSEC et à Sorbonne Université, et est également étudiant en droit et théologie.

Matthieu Bordenave

Matthieu Bordenave est ingénieur en mécanique, modélisateur et macroéconomiste. Il réalise actuellement un doctorat en économie écologique, dans lequel il étudie les impacts des risques physiques forestiers sur l'économie et la finance.

Guillaume Kerlero

Guillaume Kerlero de Rosbo

Ingénieur diplômé de l'Agro Paris et des Mines de Paris, Guillaume Kerlero de Rosbo est expert de la transition énergétique et écologique, après 10 ans de conseil en stratégie sur ces questions. Il est également passionné par les enjeux de justice sociale, qui ne peuvent être traitées séparément des enjeux écologiques. Il dirige les études autour des questions écologiques au sein de l'institut.

Nicolas Desquinabo

Nicolas Desquinabo

Nicolas Desquinabo, expert indépendant en évaluation de politiques publiques, ancien directeur du Master Evaluation et suivi des politiques publiques de Sciences-Po Lyon.

Nicolas Dufrêne

Nicolas Dufrêne

Nicolas Dufrêne est haut fonctionnaire à l'Assemblée nationale depuis 2012, économiste et directeur de l'Institut Rousseau depuis mars 2020. Il est co-auteur du livre "Une monnaie écologique" avec Alain Grandjean, paru aux éditions Odile Jacob en 2020 et auteur du livre "La dette au XXIe siècle, comment s'en libérer" (éditions Odile Jacob, 2023). Il est spécialiste des questions institutionnelles, monétaires et des outils de financement public. nicolas.dufrene@institut-rousseau.fr

Riwan Driouich

Riwan Driouich

Diplômé de sciences politiques, d’économie et de gestion, Riwan Driouich est économiste pour 2 Degrees Investing Initiative, un think tank spécialisé dans les thématiques finance & climat. Il contribue à des travaux d’étude et de recherche concernant la prise en compte des risques climatiques par la politique monétaire, la supervision financière et les plans de relance post-Covid. Il est également consultant sur le crime environnemental. Riwan Driouich est adhérent de l’Institut Rousseau et secrétaire général adjoint d’Agir pour le Climat.

Philippe Ramos

Directeur Général et co-fondateur d'INUA PROD.

Laurent Dicale

Laurent Dicale est un ancien directeur départemental de la Banque de France.

Cette note contribue à éclaircir un certain nombre de points du programme économique du Nouveau Front Populaire (NFP). En particulier, elle fournit des éléments quantifiés montrant que les mesures de politique publique préconisées par le NFP sont à la fois pertinentes, réalistes et finançables. Les principales contributions de cette note sont : 

  1. Une simulation numérique permet de prendre en compte le bouclage macroéconomique du programme et de le comparer à un scénario de référence obtenu par prolongement des tendances récentes. Elle montre que le programme ne provoquera ni explosion du déficit public, ni récession, ni fièvre inflationniste. Au contraire, hormis la balance commerciale (légèrement dégradée, ce qui devrait être compensé par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières prévu par l’UE), toutes les variables de l’économie française (PIB, dette, etc.) seront améliorées par les mesures du NFP. 
  2. La mise en œuvre de ce programme réduira les inégalités et le chômage, augmentera le pouvoir d’achat des citoyens tout en maintenant une inflation autour de la cible de 2 %. Nous montrons que, non seulement la décarbonation est une chance pour l’économie française mais que l’ensemble du programme du NFP constitue un gisement potentiel d’au moins 495 000 emplois nets en 5 ans (i.e. incluant ceux qui devront être reconvertis ou abandonnés). La justice sociale et l’efficacité écologique ne sont pas les ennemies de l’emploi en France. Au contraire, ce sont ses meilleurs alliés.
  3. Nous confirmons que l’enveloppe annuelle de 30 milliards d’euros pour la bifurcation écologique annoncée par le NFP est cohérente et en proposons une version détaillée.
  4. Nous proposons des canaux complémentaires et originaux de financement et de recettes, lesquels permettront de diminuer davantage encore le coût net des mesures. Nous considérons par ailleurs qu’il est possible de dégager une marge de manœuvre budgétaire d’environ 20 milliards d’euros par an, en plus de ce qui a été envisagé jusqu’à présent par le NFP, sans nécessairement imposer au-delà de 50 % la tranche des plus hauts revenus .Aujourd’hui, le réalisme économique a changé de camp. 

I-REMETTRE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE SUR UNE TRAJECTOIRE SAINE

Plusieurs commentateurs ont laissé entendre que ce programme déstabiliserait dangereusement l’économie française, en pesant sur les finances publiques, la croissance et l’emploi. Toutefois, tous se contentent d’examiner point par point le coût des mesures proposées, sans les mettre en regard de leurs effets.

  • Un bouclage macro-économique offre la possibilité d’aller plus loin qu’un simple chiffrage, qui ne permet pas de prendre en compte les interactions entre les propositions du NFP et donc la trajectoire qu’il souhaite impulser à la société. Nous fournissons ici une représentation stylisée de cette trajectoire à l’aide d’une simulation macroéconomique, en prenant en compte l’essentiel des interactions entre toutes les variables en jeu : salaires, prix, emploi, investissements publics, dettes privées et publiques, inégalités, pollution etc. Voici la liste des mesures testées :
  • Les investissements publics et la création de nouveaux emplois publics ;
  • Le passage à la semaine de 32 h ;
  • L’amorce d’une bifurcation écologique selon les lignes directrices indiquées infra (cf. section 3) ;
  • La réforme de l’impôt sur le revenu et sur le patrimoine ;
  • Le retour à l’âge de départ à la retraite à 62 ans ;
  • La revalorisation du SMIC à 1 600 euros/mois ;
  • Le déploiement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).

Pour tester ces mesures, nous avons utilisé le modèle Eurogreen[1] (construit en vue de simuler des scénarios de transition de l’économie française) actualisé au contexte de 2024[2]. Afin d’isoler l’effet des mesures du programme du NFP sur l’économie française entre 2024 et 2025, nous avons d’abord conçu un scénario de référence à partir des projections de la Banque de France. Il s’agit essentiellement d’un prolongement des tendances observées au cours des dernières années. Le contraste serait encore plus saisissant s’il était possible de simuler l’impact du « programme » du RN, lequel est trop flou pour se prêter au moindre chiffrage.

grille macrov

Fig. 1 Simulation des effets macroéconomiques du programme économique du NFP 

Parcourue de gauche à droite et de haut en bas, la Figure 1 fournit les enseignements suivants. 

Elle confirme tout d’abord l’effet positif de l’ensemble des mesures considérées sur le revenu national[3]. Elle quantifie l’importante baisse des émissions de gaz à effet de serre à laquelle conduira ce programme (60 millions de tonnes en moins en 2030, ce qui respecte les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) : -40 % d’émissions de GES par rapport à 1990). Elle montre que l’inflation restera très proche de la cible d’inflation annuelle de 2 %. Après un pic de 1 point de PIB supplémentaire par rapport au scénario de référence, le déficit public descendra à +3 % du PIB en 2030, au lieu de +6 % dans le scénario de référence. Ce pic initial correspond à l’enclenchement d’un cercle vertueux de relance par la dépense publique, dont les fruits sont récoltés sur les années suivantes. Par conséquent, grâce au programme du NFP, le rapport entre dette publique sur PIB sera de 10 points inférieur en 2030 au niveau qu’il atteindrait en prolongement de tendance. Enfin, la balance commerciale est la seule variable macroéconomique affectée négativement par rapport au scénario de référence. Le déficit de la balance commerciale se creuserait en effet de 0,8 % du PIB du fait de la hausse des importations provoquée par l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages, dont le surcroît de consommation est en partie absorbé par les producteurs étrangers. La mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières aligné sur les prix de l’EU ETS[4] et son élargissement à un plus grand nombre de secteurs[5] (dont nous n’avons pas tenu compte dans nos simulations), ou encore d’une taxe kilométrique sur les produits importés, permettrait vraisemblablement de limiter cet effet, en plus de lutter contre le dumping social et environnemental. Quant à la productivité du travail dans l’industrie, elle sera stimulée par le passage à la semaine de 32 heures, comme ce fut déjà le cas lors du passage à 35 heures. 

L’effet redistributif du programme du NFP est confirmé par la baisse de l’indice de Gini de près de 3 points à horizon 2025. Quant au taux de chômage, il descendra en dessous de 4 % avant 2030, en premier lieu grâce à la réduction du temps de travail qui permet un partage du volume de l’emploi. 

La dernière capsule de la Fig. 1 permet de visualiser les effets séparés de chacune des mesures de politique publique sur le chômage. Prise isolément, par exemple, la réforme de l’impôt sur les revenus provoquerait une hausse du chômage, mais celle-ci est plus que compensée par l’effet conjugué des nouveaux emplois créés dans la fonction publique et du retour de l’âge du départ à la retraite à 62 ans[6].

II- CRÉER DE NOMBREUX EMPLOIS NON DÉLOCALISABLES ET PORTEURS DE SENS

De nombreuses études démontrent que la décarbonation de l’économie française, loin d’être l’ennemie de l’emploi, constitue, au contraire, un gisement de création d’emplois très important. Nos propres estimations confirment amplement ce constat. 

Dans le secteur privé, les gisements de création d’emploi se trouvent notamment dans le bâtiment et dans l’agriculture. Le bâtiment constitue un enjeu majeur et pour lequel différentes études (Ademe, The Shift Project etc.) estiment que la rénovation va engendrer la création de 100 000 à 250 000 emplois locaux et non délocalisables. Enfin,  le  passage du modèle agricole agro-industriel intensif actuel à une agroécologie sobre en fossiles est également très propice à la création d’emplois.

La Figure 2 récapitule les créations d’emplois que l’on peut déduire de l’étude de l’Institut Rousseau, Road to Net Zero (RtNZ, 2024), ajustée à la période 2024-2029[7]

Emplois créés d’ici 2029
(ETP = équivalent temps plein)
Invest. nécessaires supplémentaires (M€ 2022 par an) Emplois nets créés par M€ investi (ETP/M€) Emplois nets créés
(milliers d’ETP)
Infras ferroviaires et cyclables + 5 000 11-12 + 58
Matériel roulant & vélos + 1 000 9-11 + 10
Rénovation + 12 000 13-14 + 160
Agriculture  +15%[8] + 13
Production et réseaux d’énergie + 2 200 8-9 + 19 
TOTAL    
  • 260

Fig. 2 Créations d’emplois nets grâce à la transition écologique

Nous estimons donc à 260 000 le nombre d’emplois créés dans le secteur privé au cours des 5 prochaines années, grâce aux principaux investissements prévus dans la transition écologique. Sachant que les futures diminutions d’emplois dans le secteur automobile (liées au report modal) ou à la baisse des constructions neuves auront lieu après 2029, ces créations d’emplois sont considérées comme nettes.

Dans le secteur public mis à mal ces dernières années, un rattrapage doit intervenir. Par exemple, dans le périmètre du ministère de la transition écologique où près de 20 000 postes ont été supprimés en l’espace de 15 ans, la création immédiate de près de 2 700 postes apparaît indispensable. 

Les besoins du secteur de la santé sont immenses, en particulier dans l’hôpital public, à bout de souffle. Des créations d’emplois significatives sont nécessaires et pourraient représenter entre 50 000 et 100 000 postes d’infirmiers et d’aide-soignants. Sachant que, compte tenu des difficultés de recrutement dans des métiers difficiles et du temps nécessaire à la formation de ces nouveaux agents, les embauches devront être étalées dans le temps. Nous retenons la fourchette basse de 50 000 postes

Dans le domaine de l’éducation, le NFP ambitionne d’atteindre la moyenne européenne en matière de nombre d’élèves par classe. Cela induirait le recrutement de 160 000 enseignants supplémentaires dans l’Éducation nationale. Cela revient à recruter, en moyenne 2 ou 3 professeurs supplémentaires par établissement en sus des recrutements courants.

Les besoins de la justice sont nombreux. Concernant les magistrats et les greffiers, eu égard aux capacités de formation existantes, il nous semble réaliste de tabler sur la création de 3 750 magistrats et 5 000 greffiers en 5 ans. S’agissant de l’administration pénitentiaire, l’augmentation du nombre de places pour agir contre la surpopulation carcérale nécessiterait le recrutement en cinq ans d’environ 9 000 agents supplémentaires. Au regard des besoins importants dans le domaine de la sécurité, notamment dans la police, des recrutements de l’ordre de 5 000 agents en cinq ans devront être effectués, afin d’améliorer les conditions de travail et limiter le nombre d’heures supplémentaires.

Au total, cela représente la création d’au moins 235 450 postes de fonctionnaires ou assimilés d’ici 2029. Additionnées aux créations d’emplois dans le secteur privé (260 000), nous obtenons une estimation d’environ 495 450 emplois en 5 ans, soit en moyenne, de l’ordre de 99 000 emplois par an[9].

Certes, il existe de nombreux obstacles à la mise en œuvre concrète de ces plans de recrutement qui devront probablement relever d’une gestion prévisionnelle des emplois en fonction des contraintes : structuration de filières de formation professionnelle, déploiement large de l’apprentissage, montée en compétences des filières et partenaires sociaux (OPCO, CTI, etc…). Mais le potentiel d’un Big Bang sur le marché du travail est là.

III- ASSURER UNE VRAIE BIFURCATION ÉCOLOGIQUE

Le Nouveau Front Populaire annonce 30 milliards d’euros de dépenses supplémentaires dans la bifurcation écologique. Ces montants sont cohérents et comparables aux résultats de notre étude Road to Net Zero (RtoNZ), qui a chiffré les investissements publics et privés nécessaires à l’atteinte des objectifs climatiques de l’Europe et de la France en mobilisant plus de 150 chercheurs et experts européens. 

Ce chiffrage est réaliste car il s’appuie sur les politiques publiques des pays européens ayant obtenu les meilleurs résultats de terrain. Basés sur une stratégie de transition globale intégrant des mesures de sobriété, ces investissements additionnels sont deux fois moins importants que ceux proposés par la Commission européenne, qui reposent presque uniquement sur l’électrification des usages. Cette stratégie permet une neutralité carbone en 2050 tout en garantissant la souveraineté énergétique de la France à moyen terme et réduisant sa vulnérabilité aux importations de matériaux critiques.

Si l’on adapte les besoins « moyens d’ici 2050 » de l’étude RtoNZ aux années 2024-2029 en considérant une montée en puissance progressive et réaliste, en particulier dans les domaines du bâtiment, de l’agriculture et du ferroviaire[10], on évalue les besoins d’investissements publics supplémentaires moyens d’ici 2029 (similaires à la valeur 2027, métrique mise en avant par le NFP) à environ 23 milliards d’euros par an sur le périmètre strict des enveloppes mentionnées par le NFP (hors gestion de l’eau) et à environ 31 milliards d’euros par an en ajoutant (en italique ci-dessous) la conversion des véhicules et le soutien au développement du vélo et des bornes de recharge. 

  • Rénovation énergétique des logements : + 11 Mds/an
  • Rénovation énergétique des bâtiments publics : + 3 Mds/an
  • Ferroviaire : + 3 Mds/an
  • Puits de carbone (forêt) et biodiversité : + 1,6 Md/an
  • Agroécologie : + 1,5 Md/an
  • Secteurs stratégiques industriels : + 1 Md/an
  • Production d’énergie bas-carbone :  + 2 Mds/an
  • Conversion des véhicules roulant (bus, camions, voitures) : + 2 Mds/an
  • Infrastructures vélo et aide à l’achat d’un vélo électrique : + 3,3 Mds/an
  • Soutien au développement des infrastructures de recharge : + 2,4 Mds/an

Pour les logements, nous proposons une prise en charge modulée selon les revenus, de 50 % en moyenne des coûts de référence du Rapport Sichel (2021) et de l’ADEME[11]. Plusieurs expériences locales ont démontré que ce type de soutien ambitieux, associé à un accompagnement gratuit pour l’ensemble des ménages, est nécessaire pour accélérer le rythme de rénovation performante (en passant de 0,5 % du parc rénové par an à 2 % par an en 2027, avant d’atteindre un rythme de croisière de 3 %/an en 2032) et ainsi permettre que l’ensemble du parc de bâtiments à rénover (i.e. les 70 % les moins isolés, construits avant 2000) le soit d’ici 2050.

Pour également accélérer la rénovation énergétique des bâtiments publics (de l’État et des collectivités), +3 Mds/an sont nécessaires d’ici 2029. Cela correspond à une prise en charge publique de 100 % des coûts de référence des rénovations énergétiques de ces bâtiments (+- 600 euros/m² pour les travaux énergie) à un rythme de 2 % du parc public par an en moyenne d’ici 2029, afin d’atteindre un rythme de 3 % par an à partir de 2030 pour pouvoir rénover d’ici 2050 les 70 % du parc les plus énergivores (le reste ayant été construit récemment ou étant déjà isolé).

S’agissant du ferroviaire, un besoin à court terme d’au moins +2 Mds/an pour le renouvellement et la modernisation du réseau est très largement documenté dans les rapports du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) et de l’Autorité de régulation des transports (ART). Ces investissements permettraient de rattraper le retard français dans ce domaine et d’approcher les niveaux d’investissements des réseaux les mieux entretenus (e.g. Autriche). Afin de permettre une baisse du prix des péages et des billets de longue distance pour l’ensemble des français, le financement public des investissements actuels devrait également augmenter d’environ 1 Md/an, soit un besoin total de + 3 Mds en moyenne sur cette période, centrés sur les lignes actuelles.

Enfin, les retours d’expérience des pays et régions de l’UE ayant obtenu les meilleurs résultats sur l’agriculture biologique (e.g. Toscane ou Portugal) montrent qu’il faut doubler les aides moyennes à l’hectare pour accompagner les conversions à l’agro-écologie, afin de passer progressivement les surfaces en bio de 10 % à 20 % de la surface agricole française. Avec le maintien de mesures agro-environnementales permettant des conversions progressives et une réorientation des aides aux revenus, à moduler selon les emplois créés, le besoin de financement pour cette stratégie est d’environ + 1,5 Md/an d’ici 2029, avec une augmentation à prévoir du budget de la future PAC de 30% pour la France.

IV- INVENTER DE NOUVEAUX CANAUX de FINANCEMENT

IV.1 L’impôt sur les revenus (IR) avec « abc »

Aujourd’hui, le taux maximal d’imposition effectif sur les revenus des personnes physiques (IR) n’est que de 21 % environ et l’impôt a cessé d’être progressif. La proposition du NFP consiste à réformer l’IR de manière à restaurer sa progressivité tout en faisant en sorte que les contribuables dont le revenu mensuel imposable est inférieur à 4 000 euros ne subissent pas d’augmentation de leur imposition.

Pour estimer l’impact de cette réforme, nous avons eu recours à la formule de l’impôt abc, introduite par l’Institut Rousseau en 2021[12]. Elle permet de ramener le débat sur la réforme à trois paramètres (au lieu de 28 pour 14 tranches !). Sa souplesse lui permet de « mimer » le choix des 14 tranches proposées par le NFP qui sera finalement négocié, tout en évitant les effets de seuil. Les trois paramètres-clés sont appelés a, b et c: 

‘a’ est le taux effectif d’imposition maximal ; ‘b’ est le revenu imposable mensuel minimum ; ‘c’ détermine la progressivité du taux d’imposition. Plus ‘c’ est grand, plus l’augmentation du taux d’imposition avec le revenu est lente. 

Par construction, le taux effectif abc ainsi que le taux marginal ne peuvent pas diminuer avec le revenu, ce qui les rend progressifs au sens fort. On le voit, en section 1, dans la version que nous avons simulée pour notre bouclage macro-économique : l’indice de Gini qui mesure les inégalités globales est fortement affecté à la baisse par cette réforme

Nous proposons d’adopter un taux effectif (et marginal) d’imposition maximal de 50% (paramètre ‘a’). Cela permettrait, en cumul avec les autres impôts en vigueur, de ne pas dépasser un taux d’imposition marginal maximal de 66 %. Le revenu imposable minimum que nous proposons est de 1 421 euros (paramètre ‘b’, intégrant la suppression de l’abattement de 10 %). Enfin, le paramètre ‘c’ serait fixé de telle sorte que l’impôt pèse davantage sur les classes les plus favorisées que sur les classes moyennes.

Concrètement, l’impôt sur le revenu resterait inchangé (voire serait légèrement allégé) pour les revenus mensuels inférieurs à 4 000 euros, c’est-à-dire pour 90 % des c12ntribuables français. En effet, environ 50 % d’entre nous ont actuellement un revenu inférieur à 2 000 euros de revenu brut par mois et seuls 10 % des contribuables ont un revenu qui dépasse 4 000 euros par mois. Le gain de recettes fiscales induit par la seule  réforme de l’IR par le NFP telle que nous la comprenons est ainsi d’environ 15 milliards d’euros, au lieu des 5 milliards discutés aujourd’hui dans les médias. Soit un gain de 10 milliards. 

Effet sur le taux final de l'impot sur le revenu

Fig. 3 – Imposition du revenu selon la version abc de la réforme du NFP

IV. 2. Financement par garantie publique

Certains investissements peuvent être couverts par le privé sans grever le budget de l’État grâce à des garanties publiques qui n’affectent pas le déficit public. Inspiré par la création rapide de la  Société de financement de l’économie française (SFEF) en 2008 sous le contrôle de l’Assemblée nationale pour soutenir des banques, ce modèle pourrait en particulier financer les investissements dans les bâtiments publics.

Les entreprises privées du BTP, des banques et des investisseurs privés pourraient alimenter un fonds dédié qui financerait ces investissements par une dette garantie par l’État et remboursée via les économies d’énergie issues de la rénovation thermique, à travers un contrat de performance énergétique et sous contrôle de la direction de l’immobilier de l’État (DIE). Pour 10 milliards d’euros de prêts par an remboursables sur une vingtaine d’années, ce système allégerait d’autant la facture de la rénovation des bâtiments publics et permettrait de rediriger une même enveloppe budgétaire vers d’autres chantiers de la bifurcation écologique. Combinés, ces deux exemples permettent de dégager annuellement 20 milliards de recettes supplémentaires par rapport à ce qui a été annoncé jusqu’à présent par le NFP, sans pour autant procéder à un matraquage fiscal, et sans compter de nombreux outils supplémentaires[13]

L’Institut Rousseau continuera d’explorer ces pistes d’avenir.

Note réalisée sous la coordination de : Gaël Giraud

Auteurs et Autrices : Matthieu Bordenave, David Cano Ortiz, Emilio Carnevali, Giovanna Ciaffi, Simone D’Alessandro, Matteo Deleidi, Nicolas Desquinabo, Laurent Dicale, Tiziano Distefano, Riwan Driouich, Nicolas Dufrêne, Guillaume Kerlero de Rosbo, Judith Kleman, Fabien Lassalle-Humez, François Lefebvre, Malo Letan, Emilie Lory, Amine Messal, Guilherme Morlin, Adam Poupard, Philippe Ramos, Félix Ranson, Rébecca Rogly, Augustin Rogy, Davide Romaniello, Olivier Saut, Karim Sim Ahmed, Lauric Sophie et Camille Souffron.

[1] Simone D’Alessandro, André Cieplinski, Tiziano Distefano and Kristofer Dittmer, Feasible Alternatives to Green Growth. Nature Sustainability, 2020. DOI: https://doi.org/10.1038/s41893-020-0484-y

[2] https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/child-and-young-migrants

[3] Le halo autour de chaque courbe rend compte de l’incertitude qui pèse sur notre simulation.

[4] European Union Emission Trading System.

[5] Comme prévu par le paquet européen Fit for 55.

[6] 🚨Les courbes tracées sont des interpolations d’une année sur l’autre. D’où le fait que l’effet de la politique du NFP semble visuellement se faire sentir dès 2023. 🚨

[7] Rapports Road to Net Zero (2024) et 2% pour 2 degrés (2021) de l’Institut Rousseau.

[8] Au moins 15% à +20% d’emploi (à taille et activité égale) dans les exploitations engagées dans l’agriculture biologique selon l’Etude emploi Agreste 2016 et Bertin & al 2016. Avec +10% de surfaces bio en 2029, les ETP agricoles augmenteront d’au moins 1,5% à partir des 670 000 ETP actuels, soit 12 600 nouveaux ETP. Les autres ratios d’ETP créés par M€ de référence (e.g. 18 ETP/M pour la rénovation selon BPIE 2021 ont été actualisés pour tenir compte de l’inflation depuis 2020).

[9] Ces chiffres sont cohérents avec les estimations récentes, faites par Carnevali, Ciaffi, Deleidi & Romaniello (2024), qui évaluent à 470 000 le nombre d’emplois créés sur 5 ans pour une augmentation de 1 % des dépenses publiques. Une augmentation de 1 % des dépenses publiques entraîne une hausse modérée de l’inflation de 0,24 % la première année, 0,22 % la deuxième année, et 0,19 % la troisième année. Ces estimations ont été obtenues en utilisant une série temporelle de données macroéconomiques françaises de l’OCDE couvrant la période 2021-2023, avec une méthodologie équivalente à celle de l’article de Matteo Deleidi, Francesca Lafrate & Enrico Sergio Levrero (2020).

[10] C’est ce qui explique le besoin d’investissements supplémentaires moins élevés que sur la moyenne 2024-2050.

[11] Actualisés en tenant compte de l’inflation entre 2019 et 2024.

[12] Institut Rousseau (2021). Utiliser l’impôt abc pour une réforme d’ampleur en faveur de la justice fiscale

[13] Un ensemble de mécanismes fiscaux complémentaires sont proposés dans des fiches de l’Institut Rousseau : passage du taux de la Taxe sur les Transactions Financières de 0,2 % à 0,5 % (taux UK) tout en la généralisant aux transactions intra-quotidiennes et dérivés, et en le doublant sur les marchés de gré à gré ; suppression de centaines de niches fiscales dont celles privilégiant les activités fossiles, ou bien création d’un impôt universel sur la nationalité, « anti-évasion », à l’image des Etats-Unis.

Publié le 27 juin 2024

LE NOUVEAU FRONT POPULAIRE : UNE RUPTURE RÉALISTE

Auteurs

Gaël Giraud
Gaël Giraud est économiste, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École nationale des ponts et chaussées et auteur. Il dirige le programme justice environnementale de Georgetown University. Spécialiste des interactions entre économie et écologie, il occupait les fonctions de chef économiste de l’Agence française de développement (AFD) jusqu’en juillet 2019. Il est président d'honneur de l'Institut Rousseau.

Camille Souffron
Normalien en scolarité et travaille sur la modélisation macroéconomique, en particulier de la transition écologique. Il est enseignant d’économie à l’ESSEC et à Sorbonne Université, et est également étudiant en droit et théologie.

Matthieu Bordenave

Matthieu Bordenave est ingénieur en mécanique, modélisateur et macroéconomiste. Il réalise actuellement un doctorat en économie écologique, dans lequel il étudie les impacts des risques physiques forestiers sur l'économie et la finance.

Guillaume Kerlero de Rosbo
Ingénieur diplômé de l'Agro Paris et des Mines de Paris, Guillaume Kerlero de Rosbo est expert de la transition énergétique et écologique, après 10 ans de conseil en stratégie sur ces questions. Il est également passionné par les enjeux de justice sociale, qui ne peuvent être traitées séparément des enjeux écologiques. Il dirige les études autour des questions écologiques au sein de l'institut.

Nicolas Desquinabo
Nicolas Desquinabo, expert indépendant en évaluation de politiques publiques, ancien directeur du Master Evaluation et suivi des politiques publiques de Sciences-Po Lyon.

Nicolas Dufrêne
Nicolas Dufrêne est haut fonctionnaire à l'Assemblée nationale depuis 2012, économiste et directeur de l'Institut Rousseau depuis mars 2020. Il est co-auteur du livre "Une monnaie écologique" avec Alain Grandjean, paru aux éditions Odile Jacob en 2020 et auteur du livre "La dette au XXIe siècle, comment s'en libérer" (éditions Odile Jacob, 2023). Il est spécialiste des questions institutionnelles, monétaires et des outils de financement public. nicolas.dufrene@institut-rousseau.fr

Riwan Driouich
Diplômé de sciences politiques, d’économie et de gestion, Riwan Driouich est économiste pour 2 Degrees Investing Initiative, un think tank spécialisé dans les thématiques finance & climat. Il contribue à des travaux d’étude et de recherche concernant la prise en compte des risques climatiques par la politique monétaire, la supervision financière et les plans de relance post-Covid. Il est également consultant sur le crime environnemental. Riwan Driouich est adhérent de l’Institut Rousseau et secrétaire général adjoint d’Agir pour le Climat.

Philippe Ramos
Directeur Général et co-fondateur d'INUA PROD.

Laurent Dicale
Laurent Dicale est un ancien directeur départemental de la Banque de France.

Cette note contribue à éclaircir un certain nombre de points du programme économique du Nouveau Front Populaire (NFP). En particulier, elle fournit des éléments quantifiés montrant que les mesures de politique publique préconisées par le NFP sont à la fois pertinentes, réalistes et finançables. Les principales contributions de cette note sont : 

  1. Une simulation numérique permet de prendre en compte le bouclage macroéconomique du programme et de le comparer à un scénario de référence obtenu par prolongement des tendances récentes. Elle montre que le programme ne provoquera ni explosion du déficit public, ni récession, ni fièvre inflationniste. Au contraire, hormis la balance commerciale (légèrement dégradée, ce qui devrait être compensé par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières prévu par l’UE), toutes les variables de l’économie française (PIB, dette, etc.) seront améliorées par les mesures du NFP. 
  2. La mise en œuvre de ce programme réduira les inégalités et le chômage, augmentera le pouvoir d’achat des citoyens tout en maintenant une inflation autour de la cible de 2 %. Nous montrons que, non seulement la décarbonation est une chance pour l’économie française mais que l’ensemble du programme du NFP constitue un gisement potentiel d’au moins 495 000 emplois nets en 5 ans (i.e. incluant ceux qui devront être reconvertis ou abandonnés). La justice sociale et l’efficacité écologique ne sont pas les ennemies de l’emploi en France. Au contraire, ce sont ses meilleurs alliés.
  3. Nous confirmons que l’enveloppe annuelle de 30 milliards d’euros pour la bifurcation écologique annoncée par le NFP est cohérente et en proposons une version détaillée.
  4. Nous proposons des canaux complémentaires et originaux de financement et de recettes, lesquels permettront de diminuer davantage encore le coût net des mesures. Nous considérons par ailleurs qu’il est possible de dégager une marge de manœuvre budgétaire d’environ 20 milliards d’euros par an, en plus de ce qui a été envisagé jusqu’à présent par le NFP, sans nécessairement imposer au-delà de 50 % la tranche des plus hauts revenus .Aujourd’hui, le réalisme économique a changé de camp. 

I-REMETTRE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE SUR UNE TRAJECTOIRE SAINE

Plusieurs commentateurs ont laissé entendre que ce programme déstabiliserait dangereusement l’économie française, en pesant sur les finances publiques, la croissance et l’emploi. Toutefois, tous se contentent d’examiner point par point le coût des mesures proposées, sans les mettre en regard de leurs effets.

  • Un bouclage macro-économique offre la possibilité d’aller plus loin qu’un simple chiffrage, qui ne permet pas de prendre en compte les interactions entre les propositions du NFP et donc la trajectoire qu’il souhaite impulser à la société. Nous fournissons ici une représentation stylisée de cette trajectoire à l’aide d’une simulation macroéconomique, en prenant en compte l’essentiel des interactions entre toutes les variables en jeu : salaires, prix, emploi, investissements publics, dettes privées et publiques, inégalités, pollution etc. Voici la liste des mesures testées :
  • Les investissements publics et la création de nouveaux emplois publics ;
  • Le passage à la semaine de 32 h ;
  • L’amorce d’une bifurcation écologique selon les lignes directrices indiquées infra (cf. section 3) ;
  • La réforme de l’impôt sur le revenu et sur le patrimoine ;
  • Le retour à l’âge de départ à la retraite à 62 ans ;
  • La revalorisation du SMIC à 1 600 euros/mois ;
  • Le déploiement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).

Pour tester ces mesures, nous avons utilisé le modèle Eurogreen[1] (construit en vue de simuler des scénarios de transition de l’économie française) actualisé au contexte de 2024[2]. Afin d’isoler l’effet des mesures du programme du NFP sur l’économie française entre 2024 et 2025, nous avons d’abord conçu un scénario de référence à partir des projections de la Banque de France. Il s’agit essentiellement d’un prolongement des tendances observées au cours des dernières années. Le contraste serait encore plus saisissant s’il était possible de simuler l’impact du « programme » du RN, lequel est trop flou pour se prêter au moindre chiffrage.

grille macrov

Fig. 1 Simulation des effets macroéconomiques du programme économique du NFP 

Parcourue de gauche à droite et de haut en bas, la Figure 1 fournit les enseignements suivants. 

Elle confirme tout d’abord l’effet positif de l’ensemble des mesures considérées sur le revenu national[3]. Elle quantifie l’importante baisse des émissions de gaz à effet de serre à laquelle conduira ce programme (60 millions de tonnes en moins en 2030, ce qui respecte les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) : -40 % d’émissions de GES par rapport à 1990). Elle montre que l’inflation restera très proche de la cible d’inflation annuelle de 2 %. Après un pic de 1 point de PIB supplémentaire par rapport au scénario de référence, le déficit public descendra à +3 % du PIB en 2030, au lieu de +6 % dans le scénario de référence. Ce pic initial correspond à l’enclenchement d’un cercle vertueux de relance par la dépense publique, dont les fruits sont récoltés sur les années suivantes. Par conséquent, grâce au programme du NFP, le rapport entre dette publique sur PIB sera de 10 points inférieur en 2030 au niveau qu’il atteindrait en prolongement de tendance. Enfin, la balance commerciale est la seule variable macroéconomique affectée négativement par rapport au scénario de référence. Le déficit de la balance commerciale se creuserait en effet de 0,8 % du PIB du fait de la hausse des importations provoquée par l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages, dont le surcroît de consommation est en partie absorbé par les producteurs étrangers. La mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières aligné sur les prix de l’EU ETS[4] et son élargissement à un plus grand nombre de secteurs[5] (dont nous n’avons pas tenu compte dans nos simulations), ou encore d’une taxe kilométrique sur les produits importés, permettrait vraisemblablement de limiter cet effet, en plus de lutter contre le dumping social et environnemental. Quant à la productivité du travail dans l’industrie, elle sera stimulée par le passage à la semaine de 32 heures, comme ce fut déjà le cas lors du passage à 35 heures. 

L’effet redistributif du programme du NFP est confirmé par la baisse de l’indice de Gini de près de 3 points à horizon 2025. Quant au taux de chômage, il descendra en dessous de 4 % avant 2030, en premier lieu grâce à la réduction du temps de travail qui permet un partage du volume de l’emploi. 

La dernière capsule de la Fig. 1 permet de visualiser les effets séparés de chacune des mesures de politique publique sur le chômage. Prise isolément, par exemple, la réforme de l’impôt sur les revenus provoquerait une hausse du chômage, mais celle-ci est plus que compensée par l’effet conjugué des nouveaux emplois créés dans la fonction publique et du retour de l’âge du départ à la retraite à 62 ans[6].

II- CRÉER DE NOMBREUX EMPLOIS NON DÉLOCALISABLES ET PORTEURS DE SENS

De nombreuses études démontrent que la décarbonation de l’économie française, loin d’être l’ennemie de l’emploi, constitue, au contraire, un gisement de création d’emplois très important. Nos propres estimations confirment amplement ce constat. 

Dans le secteur privé, les gisements de création d’emploi se trouvent notamment dans le bâtiment et dans l’agriculture. Le bâtiment constitue un enjeu majeur et pour lequel différentes études (Ademe, The Shift Project etc.) estiment que la rénovation va engendrer la création de 100 000 à 250 000 emplois locaux et non délocalisables. Enfin,  le  passage du modèle agricole agro-industriel intensif actuel à une agroécologie sobre en fossiles est également très propice à la création d’emplois.

La Figure 2 récapitule les créations d’emplois que l’on peut déduire de l’étude de l’Institut Rousseau, Road to Net Zero (RtNZ, 2024), ajustée à la période 2024-2029[7]

Emplois créés d’ici 2029
(ETP = équivalent temps plein)
Invest. nécessaires supplémentaires (M€ 2022 par an) Emplois nets créés par M€ investi (ETP/M€) Emplois nets créés
(milliers d’ETP)
Infras ferroviaires et cyclables + 5 000 11-12 + 58
Matériel roulant & vélos + 1 000 9-11 + 10
Rénovation + 12 000 13-14 + 160
Agriculture  +15%[8] + 13
Production et réseaux d’énergie + 2 200 8-9 + 19 
TOTAL    
  • 260

Fig. 2 Créations d’emplois nets grâce à la transition écologique

Nous estimons donc à 260 000 le nombre d’emplois créés dans le secteur privé au cours des 5 prochaines années, grâce aux principaux investissements prévus dans la transition écologique. Sachant que les futures diminutions d’emplois dans le secteur automobile (liées au report modal) ou à la baisse des constructions neuves auront lieu après 2029, ces créations d’emplois sont considérées comme nettes.

Dans le secteur public mis à mal ces dernières années, un rattrapage doit intervenir. Par exemple, dans le périmètre du ministère de la transition écologique où près de 20 000 postes ont été supprimés en l’espace de 15 ans, la création immédiate de près de 2 700 postes apparaît indispensable. 

Les besoins du secteur de la santé sont immenses, en particulier dans l’hôpital public, à bout de souffle. Des créations d’emplois significatives sont nécessaires et pourraient représenter entre 50 000 et 100 000 postes d’infirmiers et d’aide-soignants. Sachant que, compte tenu des difficultés de recrutement dans des métiers difficiles et du temps nécessaire à la formation de ces nouveaux agents, les embauches devront être étalées dans le temps. Nous retenons la fourchette basse de 50 000 postes

Dans le domaine de l’éducation, le NFP ambitionne d’atteindre la moyenne européenne en matière de nombre d’élèves par classe. Cela induirait le recrutement de 160 000 enseignants supplémentaires dans l’Éducation nationale. Cela revient à recruter, en moyenne 2 ou 3 professeurs supplémentaires par établissement en sus des recrutements courants.

Les besoins de la justice sont nombreux. Concernant les magistrats et les greffiers, eu égard aux capacités de formation existantes, il nous semble réaliste de tabler sur la création de 3 750 magistrats et 5 000 greffiers en 5 ans. S’agissant de l’administration pénitentiaire, l’augmentation du nombre de places pour agir contre la surpopulation carcérale nécessiterait le recrutement en cinq ans d’environ 9 000 agents supplémentaires. Au regard des besoins importants dans le domaine de la sécurité, notamment dans la police, des recrutements de l’ordre de 5 000 agents en cinq ans devront être effectués, afin d’améliorer les conditions de travail et limiter le nombre d’heures supplémentaires.

Au total, cela représente la création d’au moins 235 450 postes de fonctionnaires ou assimilés d’ici 2029. Additionnées aux créations d’emplois dans le secteur privé (260 000), nous obtenons une estimation d’environ 495 450 emplois en 5 ans, soit en moyenne, de l’ordre de 99 000 emplois par an[9].

Certes, il existe de nombreux obstacles à la mise en œuvre concrète de ces plans de recrutement qui devront probablement relever d’une gestion prévisionnelle des emplois en fonction des contraintes : structuration de filières de formation professionnelle, déploiement large de l’apprentissage, montée en compétences des filières et partenaires sociaux (OPCO, CTI, etc…). Mais le potentiel d’un Big Bang sur le marché du travail est là.

III- ASSURER UNE VRAIE BIFURCATION ÉCOLOGIQUE

Le Nouveau Front Populaire annonce 30 milliards d’euros de dépenses supplémentaires dans la bifurcation écologique. Ces montants sont cohérents et comparables aux résultats de notre étude Road to Net Zero (RtoNZ), qui a chiffré les investissements publics et privés nécessaires à l’atteinte des objectifs climatiques de l’Europe et de la France en mobilisant plus de 150 chercheurs et experts européens. 

Ce chiffrage est réaliste car il s’appuie sur les politiques publiques des pays européens ayant obtenu les meilleurs résultats de terrain. Basés sur une stratégie de transition globale intégrant des mesures de sobriété, ces investissements additionnels sont deux fois moins importants que ceux proposés par la Commission européenne, qui reposent presque uniquement sur l’électrification des usages. Cette stratégie permet une neutralité carbone en 2050 tout en garantissant la souveraineté énergétique de la France à moyen terme et réduisant sa vulnérabilité aux importations de matériaux critiques.

Si l’on adapte les besoins « moyens d’ici 2050 » de l’étude RtoNZ aux années 2024-2029 en considérant une montée en puissance progressive et réaliste, en particulier dans les domaines du bâtiment, de l’agriculture et du ferroviaire[10], on évalue les besoins d’investissements publics supplémentaires moyens d’ici 2029 (similaires à la valeur 2027, métrique mise en avant par le NFP) à environ 23 milliards d’euros par an sur le périmètre strict des enveloppes mentionnées par le NFP (hors gestion de l’eau) et à environ 31 milliards d’euros par an en ajoutant (en italique ci-dessous) la conversion des véhicules et le soutien au développement du vélo et des bornes de recharge. 

  • Rénovation énergétique des logements : + 11 Mds/an
  • Rénovation énergétique des bâtiments publics : + 3 Mds/an
  • Ferroviaire : + 3 Mds/an
  • Puits de carbone (forêt) et biodiversité : + 1,6 Md/an
  • Agroécologie : + 1,5 Md/an
  • Secteurs stratégiques industriels : + 1 Md/an
  • Production d’énergie bas-carbone :  + 2 Mds/an
  • Conversion des véhicules roulant (bus, camions, voitures) : + 2 Mds/an
  • Infrastructures vélo et aide à l’achat d’un vélo électrique : + 3,3 Mds/an
  • Soutien au développement des infrastructures de recharge : + 2,4 Mds/an

Pour les logements, nous proposons une prise en charge modulée selon les revenus, de 50 % en moyenne des coûts de référence du Rapport Sichel (2021) et de l’ADEME[11]. Plusieurs expériences locales ont démontré que ce type de soutien ambitieux, associé à un accompagnement gratuit pour l’ensemble des ménages, est nécessaire pour accélérer le rythme de rénovation performante (en passant de 0,5 % du parc rénové par an à 2 % par an en 2027, avant d’atteindre un rythme de croisière de 3 %/an en 2032) et ainsi permettre que l’ensemble du parc de bâtiments à rénover (i.e. les 70 % les moins isolés, construits avant 2000) le soit d’ici 2050.

Pour également accélérer la rénovation énergétique des bâtiments publics (de l’État et des collectivités), +3 Mds/an sont nécessaires d’ici 2029. Cela correspond à une prise en charge publique de 100 % des coûts de référence des rénovations énergétiques de ces bâtiments (+- 600 euros/m² pour les travaux énergie) à un rythme de 2 % du parc public par an en moyenne d’ici 2029, afin d’atteindre un rythme de 3 % par an à partir de 2030 pour pouvoir rénover d’ici 2050 les 70 % du parc les plus énergivores (le reste ayant été construit récemment ou étant déjà isolé).

S’agissant du ferroviaire, un besoin à court terme d’au moins +2 Mds/an pour le renouvellement et la modernisation du réseau est très largement documenté dans les rapports du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) et de l’Autorité de régulation des transports (ART). Ces investissements permettraient de rattraper le retard français dans ce domaine et d’approcher les niveaux d’investissements des réseaux les mieux entretenus (e.g. Autriche). Afin de permettre une baisse du prix des péages et des billets de longue distance pour l’ensemble des français, le financement public des investissements actuels devrait également augmenter d’environ 1 Md/an, soit un besoin total de + 3 Mds en moyenne sur cette période, centrés sur les lignes actuelles.

Enfin, les retours d’expérience des pays et régions de l’UE ayant obtenu les meilleurs résultats sur l’agriculture biologique (e.g. Toscane ou Portugal) montrent qu’il faut doubler les aides moyennes à l’hectare pour accompagner les conversions à l’agro-écologie, afin de passer progressivement les surfaces en bio de 10 % à 20 % de la surface agricole française. Avec le maintien de mesures agro-environnementales permettant des conversions progressives et une réorientation des aides aux revenus, à moduler selon les emplois créés, le besoin de financement pour cette stratégie est d’environ + 1,5 Md/an d’ici 2029, avec une augmentation à prévoir du budget de la future PAC de 30% pour la France.

IV- INVENTER DE NOUVEAUX CANAUX de FINANCEMENT

IV.1 L’impôt sur les revenus (IR) avec « abc »

Aujourd’hui, le taux maximal d’imposition effectif sur les revenus des personnes physiques (IR) n’est que de 21 % environ et l’impôt a cessé d’être progressif. La proposition du NFP consiste à réformer l’IR de manière à restaurer sa progressivité tout en faisant en sorte que les contribuables dont le revenu mensuel imposable est inférieur à 4 000 euros ne subissent pas d’augmentation de leur imposition.

Pour estimer l’impact de cette réforme, nous avons eu recours à la formule de l’impôt abc, introduite par l’Institut Rousseau en 2021[12]. Elle permet de ramener le débat sur la réforme à trois paramètres (au lieu de 28 pour 14 tranches !). Sa souplesse lui permet de « mimer » le choix des 14 tranches proposées par le NFP qui sera finalement négocié, tout en évitant les effets de seuil. Les trois paramètres-clés sont appelés a, b et c: 

‘a’ est le taux effectif d’imposition maximal ; ‘b’ est le revenu imposable mensuel minimum ; ‘c’ détermine la progressivité du taux d’imposition. Plus ‘c’ est grand, plus l’augmentation du taux d’imposition avec le revenu est lente. 

Par construction, le taux effectif abc ainsi que le taux marginal ne peuvent pas diminuer avec le revenu, ce qui les rend progressifs au sens fort. On le voit, en section 1, dans la version que nous avons simulée pour notre bouclage macro-économique : l’indice de Gini qui mesure les inégalités globales est fortement affecté à la baisse par cette réforme

Nous proposons d’adopter un taux effectif (et marginal) d’imposition maximal de 50% (paramètre ‘a’). Cela permettrait, en cumul avec les autres impôts en vigueur, de ne pas dépasser un taux d’imposition marginal maximal de 66 %. Le revenu imposable minimum que nous proposons est de 1 421 euros (paramètre ‘b’, intégrant la suppression de l’abattement de 10 %). Enfin, le paramètre ‘c’ serait fixé de telle sorte que l’impôt pèse davantage sur les classes les plus favorisées que sur les classes moyennes.

Concrètement, l’impôt sur le revenu resterait inchangé (voire serait légèrement allégé) pour les revenus mensuels inférieurs à 4 000 euros, c’est-à-dire pour 90 % des c12ntribuables français. En effet, environ 50 % d’entre nous ont actuellement un revenu inférieur à 2 000 euros de revenu brut par mois et seuls 10 % des contribuables ont un revenu qui dépasse 4 000 euros par mois. Le gain de recettes fiscales induit par la seule  réforme de l’IR par le NFP telle que nous la comprenons est ainsi d’environ 15 milliards d’euros, au lieu des 5 milliards discutés aujourd’hui dans les médias. Soit un gain de 10 milliards. 

Effet sur le taux final de l'impot sur le revenu

Fig. 3 – Imposition du revenu selon la version abc de la réforme du NFP

IV. 2. Financement par garantie publique

Certains investissements peuvent être couverts par le privé sans grever le budget de l’État grâce à des garanties publiques qui n’affectent pas le déficit public. Inspiré par la création rapide de la  Société de financement de l’économie française (SFEF) en 2008 sous le contrôle de l’Assemblée nationale pour soutenir des banques, ce modèle pourrait en particulier financer les investissements dans les bâtiments publics.

Les entreprises privées du BTP, des banques et des investisseurs privés pourraient alimenter un fonds dédié qui financerait ces investissements par une dette garantie par l’État et remboursée via les économies d’énergie issues de la rénovation thermique, à travers un contrat de performance énergétique et sous contrôle de la direction de l’immobilier de l’État (DIE). Pour 10 milliards d’euros de prêts par an remboursables sur une vingtaine d’années, ce système allégerait d’autant la facture de la rénovation des bâtiments publics et permettrait de rediriger une même enveloppe budgétaire vers d’autres chantiers de la bifurcation écologique. Combinés, ces deux exemples permettent de dégager annuellement 20 milliards de recettes supplémentaires par rapport à ce qui a été annoncé jusqu’à présent par le NFP, sans pour autant procéder à un matraquage fiscal, et sans compter de nombreux outils supplémentaires[13]

L’Institut Rousseau continuera d’explorer ces pistes d’avenir.

Note réalisée sous la coordination de : Gaël Giraud

Auteurs et Autrices : Matthieu Bordenave, David Cano Ortiz, Emilio Carnevali, Giovanna Ciaffi, Simone D’Alessandro, Matteo Deleidi, Nicolas Desquinabo, Laurent Dicale, Tiziano Distefano, Riwan Driouich, Nicolas Dufrêne, Guillaume Kerlero de Rosbo, Judith Kleman, Fabien Lassalle-Humez, François Lefebvre, Malo Letan, Emilie Lory, Amine Messal, Guilherme Morlin, Adam Poupard, Philippe Ramos, Félix Ranson, Rébecca Rogly, Augustin Rogy, Davide Romaniello, Olivier Saut, Karim Sim Ahmed, Lauric Sophie et Camille Souffron.

[1] Simone D’Alessandro, André Cieplinski, Tiziano Distefano and Kristofer Dittmer, Feasible Alternatives to Green Growth. Nature Sustainability, 2020. DOI: https://doi.org/10.1038/s41893-020-0484-y

[2] https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/child-and-young-migrants

[3] Le halo autour de chaque courbe rend compte de l’incertitude qui pèse sur notre simulation.

[4] European Union Emission Trading System.

[5] Comme prévu par le paquet européen Fit for 55.

[6] 🚨Les courbes tracées sont des interpolations d’une année sur l’autre. D’où le fait que l’effet de la politique du NFP semble visuellement se faire sentir dès 2023. 🚨

[7] Rapports Road to Net Zero (2024) et 2% pour 2 degrés (2021) de l’Institut Rousseau.

[8] Au moins 15% à +20% d’emploi (à taille et activité égale) dans les exploitations engagées dans l’agriculture biologique selon l’Etude emploi Agreste 2016 et Bertin & al 2016. Avec +10% de surfaces bio en 2029, les ETP agricoles augmenteront d’au moins 1,5% à partir des 670 000 ETP actuels, soit 12 600 nouveaux ETP. Les autres ratios d’ETP créés par M€ de référence (e.g. 18 ETP/M pour la rénovation selon BPIE 2021 ont été actualisés pour tenir compte de l’inflation depuis 2020).

[9] Ces chiffres sont cohérents avec les estimations récentes, faites par Carnevali, Ciaffi, Deleidi & Romaniello (2024), qui évaluent à 470 000 le nombre d’emplois créés sur 5 ans pour une augmentation de 1 % des dépenses publiques. Une augmentation de 1 % des dépenses publiques entraîne une hausse modérée de l’inflation de 0,24 % la première année, 0,22 % la deuxième année, et 0,19 % la troisième année. Ces estimations ont été obtenues en utilisant une série temporelle de données macroéconomiques françaises de l’OCDE couvrant la période 2021-2023, avec une méthodologie équivalente à celle de l’article de Matteo Deleidi, Francesca Lafrate & Enrico Sergio Levrero (2020).

[10] C’est ce qui explique le besoin d’investissements supplémentaires moins élevés que sur la moyenne 2024-2050.

[11] Actualisés en tenant compte de l’inflation entre 2019 et 2024.

[12] Institut Rousseau (2021). Utiliser l’impôt abc pour une réforme d’ampleur en faveur de la justice fiscale

[13] Un ensemble de mécanismes fiscaux complémentaires sont proposés dans des fiches de l’Institut Rousseau : passage du taux de la Taxe sur les Transactions Financières de 0,2 % à 0,5 % (taux UK) tout en la généralisant aux transactions intra-quotidiennes et dérivés, et en le doublant sur les marchés de gré à gré ; suppression de centaines de niches fiscales dont celles privilégiant les activités fossiles, ou bien création d’un impôt universel sur la nationalité, « anti-évasion », à l’image des Etats-Unis.

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