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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Points de vue

« Il y aura un avant et un après » : La rengaine trompeuse de l’après-coronavirus

Emmanuel Macron a donné le « la » dans son allocution télévisée du 12 mars : « Plus rien ne sera comme avant ». C’est entendu, il y aura un avant et un après-coronavirus. Le refrain est entonné par de multiples voix en France ou ailleurs. Un éditorialiste du New York Times va même jusqu’à écrire que les années du XXIe siècle seront suivies désormais de la mention « B.C. » ou « A.C. » : « before » et « after Corona ». Pour beaucoup, l’après-corona a des allures de revanche. Le coronavirus a montré les risques que faisait courir à la société l’austérité imposée à l’hôpital public. Les politiques de réduction du nombre de lits et de gestion à flux tendu des capacités, énoncées durant des années comme des évidences, sont aujourd’hui réinterrogées. Le spectaculaire affaiblissement des stocks stratégiques de masques de l’État au cours des années 2010 est dévoilé. La dépendance de notre approvisionnement en médicaments aux principes actifs fabriqués en Chine est aujourd’hui dénoncée jusque par le ministre de l’Économie. La liste est longue. Au-delà des sujets sanitaires, le coronavirus révèle la fragilité des économies libérales et leur dépendance à l’État, seule institution à même de prendre les décisions de gestion de la crise et d’en amortir les conséquences économiques. De ce constat à la remise en cause de la domination du néo-libéralisme, il n’y a qu’un pas. L’après-coronavirus pencherait-il à gauche ? Hélas, ce chœur entonné plus ou moins à l’unisson suscite une forte impression de « déjà-vu ». Et il n’est pas besoin de remonter loin dans nos mémoires pour en déceler l’origine. Souvenons-nous de la crise des subprimes. L’apoplexie des marchés interbancaires entraînait le renflouement massif des institutions financières par les États et une course sans précédent aux plans de relance. Le gouverneur de la Federal Reserve Ben Bernanke tirait les leçons des années 1930 dont il était un spécialiste distingué : chacun redécouvrait les vertus du keynésianisme en temps de crise. Quelques années plus tard, la crise financière s’était muée en crise des dettes souveraines, la troïka imposait des cures d’austérité aux pays européens en difficulté et les réformes dites structurelles d’inspiration néolibérale avaient partout le vent en poupe. Souvenons-nous des attentats terroristes. Le 11 janvier 2015, la France entière (ou presque) était Charlie, était flic, était juive, était la République. De cette épreuve allait ressortir une communauté nationale unie autour des valeurs républicaines. Quelques années plus tard, les attentats nous ont surtout légué un arsenal de lois sécuritaires considérablement renforcé. L’unité nationale n’est nulle part : les musulmans sont toujours autant discriminés, les juifs inquiétés et la confiance des Français dans les forces de l’ordre n’a jamais été aussi faible. Souvenons-nous des gilets jaunes. Emmanuel Macron, qui a décidément le sens de la formule, déclarait le 10 décembre 2018 : « Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies ». Mis à part la dizaine de milliards d’euros dépensée en urgence et le gel de la taxe carbone, quel changement peut-on constater aujourd’hui ? Le pouvoir ne cesse depuis lors d’ouvrir « l’acte II » du quinquennat, censé avoir débuté il y a plus d’un an. Ces précédents ne doivent pas nous désespérer mais doivent nous garder de quelques illusions dans la préparation de l’après-coronavirus. Deux d’entre elles doivent être particulièrement dissipées. – L’illusion de l’unanimité : la crise actuelle le montre jusqu’à la caricature, chacun voit midi à sa porte. Pour les écologistes, le coronavirus prouve l’inanité du consumérisme, pour Jean-Luc Mélenchon, la faillite du libéralisme et pour Marine Le Pen, la nécessité du rétablissement des frontières. La manière dont chacun vit la crise est socialement déterminée : confinement au vert pour les plus fortunés, en logement plus ou moins exigu pour les travailleurs du tertiaire, exposition au virus pour ceux qui doivent continuer à travailler, souvent sans protection adéquate, et qui sont essentiellement des soignants et des ouvriers. – L’illusion de l’affaiblissement de la pensée libérale : c’est une vérité maintes fois éprouvée, lors de chaque crise ou scandale, les tenants du laisser-faire laissent passer l’orage avant de revenir à la charge. Renfloués massivement par les États, les marchés peuvent le lendemain spéculer sur le risque de défaut sur la dette pourtant générée par la nécessité de les secourir. La prochaine séquence se dessine déjà : 2020 verra les dettes publiques se creuser à une vitesse au moins égale à celle de l’après-crise financière, alors que mis à part l’Allemagne, aucun grand pays européen n’est parvenu à résorber les conséquences de celle-ci. Les moyens d’y faire face seront l’enjeu d’affrontements qui dessineront le visage de l’après-coronavirus et dont l’issue n’est pas acquise : nouveaux programmes d’austérité, dont on connaît pourtant le coût social et l’effet récessif ; mutualisation des dettes européennes, à laquelle rien ne montre que les pays du nord de l’Europe soient davantage prêts qu’au cours de la dernière décennie ; financement par la création monétaire, sans que les limites de la capacité des banques centrales à l’expansion de leur bilan ne soient connues ; restructuration des dettes publiques (c’est-à-dire un défaut plus ou moins organisé), qui demeure aujourd’hui un tabou dans le débat politique même si nombre d’économistes la jugent inévitable ; prise en charge d’une partie de la dette des pays fragiles par la Chine, qui sort renforcée de l’épidémie qu’elle a su à ce stade juguler et dont les livraisons de masques à l’Italie montrent qu’elle est prête à pousser son avantage. C’est donc au combat politique et non aux lendemains qui chantent d’un unanimisme de façade qu’il faut se préparer. Ceux qui souhaitent que l’après-coronavirus soit l’occasion de construire des sociétés plus solidaires, plus résilientes et plus respectueuses de la planète doivent bâtir le programme pour y parvenir et la majorité politique et sociale qui le soutiendra.

Par Institut Rousseau

24 mars 2020

Pendant la crise, la guerre sociale continue

Au-delà des tâtonnements et des erreurs inévitables face à une crise hors-norme, la totalité des spécialistes s’accorde sur le fait que la pénurie de matériels de protection (masques et gels hydroalcooliques au premier chef), est une de nos principales difficultés dans la lutte contre le COVID-19. Les protections manquent pour les soignants, en première ligne contre la maladie. Elles manquent a fortiori pour les autres travailleurs exposés, pour une raison ou pour une autre. Gouverner, c’est, paraît-il, choisir. Face à cette pénurie, le gouvernement devait trancher : donner la priorité au maintien de l’activité économique globale, au risque d’exposer les salariés au virus, ou faire le choix de ne restreindre l’activité qu’aux seules entreprises strictement nécessaires. Cette seconde option, le confinement « à la chinoise » pour lequel plaidait nombre de médecins, n’a pas été retenue. Au contraire, toute la communication gouvernementale semble rapidement déserter les questions de santé pour se recentrer sur la nécessaire reprise de l’activité, jusqu’au point où l’on a pu voir la ministre du travail menacer d’exclure un secteur – le BTP – du chômage partiel s’il ne renvoyait pas les ouvriers sur les chantiers. Plus généralement, toutes les entreprises sont sommées de continuer à fonctionner le plus normalement possible, mais sans avoir les moyens de protéger leurs salariés. Les métiers ouvriers, employés et de l’encadrement intermédiaires sont particulièrement exposés, car beaucoup moins éligibles au télétravail. Le soutien massif qui entoure le corps médical ne doit pas conduire à s’illusionner. La crise n’a nullement effacé les antagonismes sociaux de notre pays. À rebours de toute réelle solidarité nationale, le Coronavirus se révèle en effet un formidable accélérateur de la sécession des classes supérieures. Les cadres et professions supérieures se sont repliés en masse chez eux pour télétravailler. Dans nombre d’entreprises, notamment industrielles, il ne reste depuis quelques jours que les ouvriers et les agents de maîtrise, qui reçoivent des consignes des cadres en télétravail, parfois à des centaines de kilomètres. Beaucoup ont en effet pu gagner leur résidence secondaire pour vivre leur confinement de manière plus confortable, même s’il existait un risque qu’ils propagent la maladie dans des régions peu touchées. Sociologiquement, il est frappant que ceux qui, au pouvoir ou dans les entreprises, décident de maintenir une activité en dépit de l’absence de matériels de protection ne seront pas ceux qui risquent d’en payer le prix par leur santé. La crise du COVID-19, loin de rassembler notre nation autour d’un objectif commun, expose d’abord au grand jour nos fractures sociales : ces sont les agriculteurs, les ouvriers des usines agro-alimentaires, les travailleurs de la logistique, les caissières de supermarché, livreurs, éboueurs, et aides à domicile à qui on demande d’aller quotidiennement travailler sans gants, masques, gels ou savons. Une autre politique était pourtant possible. Celle qui aurait, d’abord, consisté à admettre la défaillance de préparation et le danger réel encouru par les salariés privés de matériels de protection. Non pour les renvoyer tous chez eux, car leur activité est malheureusement essentielle à notre survie collective. Mais pour reconnaître ce danger, et offrir un nouveau pacte. Une reconnaissance sociale et matérielle de l’essentialité de ces métiers. Tenir, en somme la promesse présidentielle selon laquelle « nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies ». Le gouvernement a semblé s’engager un temps dans cette voie. Suspension de la réforme de l’assurance-chômage, interdiction provisoire des licenciements, garantie du maintien à 100% de la rémunération pour les travailleurs en chômage partiel. Mais il a rapidement fait marche arrière, sauf sur le premier point. Même la prime promise se révèle un simple recyclage de ce qui avait été concédé aux Gilets Jaunes. Pire encore, avec la loi d’urgence sanitaire, le pouvoir prépare pour les employeurs la possibilité de priver leurs salariés d’un certain nombre de droits sociaux fondamentaux (majoration des heures supplémentaires, repos hebdomadaire et dominical, réduction des congés payés). Dans le même temps, il a multiplié les garanties en direction des entreprises (fonds de soutien, allégements des prélèvements sociaux, prise en charge totale de l’indemnisation de l’activité partielle…). De cette situation, on peut sans doute déjà retenir deux enseignements : le premier est que la force de l’événement, même quand il s’agit d’une pandémie, ne suffit pas à balayer les idéologies. Celle qui prévaut dans les cercles du pouvoir guide toujours son action, à peine ébranlée par la catastrophe que nous vivons. Le deuxième, plus sombre encore, est que la solidarité nationale n’est pas un réflexe naturel en temps de crise. Sans projet politique et civique pour l’animer, sans institutions pour l’adosser, elle peut être vite balayée par les égoïsmes sociaux.  

Par Institut Rousseau

20 mars 2020

Penser l’après-crise

« Si vous vous retrouvez dans un bateau qui coule, mieux vaut employer votre énergie à changer d’embarcation plutôt qu’à colmater les trous. » Ces mots du milliardaire Warren Buffett résonnent tout particulièrement ces derniers jours. Avec la pandémie de Coronavirus et la baisse des prix du pétrole, les bourses se sont effondrées lundi 9 mars avant de se stabiliser et de s’effondrer à nouveau le 12 mars, le CAC 40 perdant 12 %, soit un record historique en une séance. Difficile de savoir si c’est bien là la grande crise financière que nous redoutons depuis quelques années : les « esprits animaux » des marchés financiers peuvent paniquer un jour et se reprendre le lendemain, malgré toutes les fragilités qui se sont accumulées dans la sphère financière. La politique monétaire a d’ailleurs joué un rôle central dans la fragilisation du système. Pendant dix ans, les banques centrales ont injecté des masses considérables de liquidités auprès des banques, qui se sont accumulées sur les marchés financiers provoquant des bulles déraisonnables sur la valeur des titres, sans pour autant soutenir le développement de l’économie réelle. Ces bulles sont prêtes à éclater. Il est vrai cependant que les banques centrales ont appris à réagir vite pour pallier le risque de crise de liquidités et soutenir les cours de bourse par la même occasion : la FED a baissé de 0,5 points son taux directeur et injecté 1500 milliards de liquidités supplémentaires dans le marché monétaire, la banque d’Angleterre a également baissé de 0,5 points son taux directeur et la BCE, dont le taux est déjà au plus bas, augmente ses achats d’actifs privés de 120 milliards d’euros d’ici la fin 2020 (somme ridiculement faible comparée au bazooka de la Fed). Mais ce n’est pas parce que l’on sait désormais à peu près colmater les trous, en tout cas pour faire face à une crise de liquidités d’une ampleur encore limitée, que le risque sur l’économie réelle n’est pas important. En outre, on connaît désormais les effets secondaires délétères de ce type de politique monétaire sur les inégalités et sur les cours de bourse. Le vrai danger immédiat qui nous menace est bien celui de l’effondrement de l’économie réelle, qui renforcera d’ailleurs l’effondrement boursier. On observe déjà la rupture des chaînes de valeur, c’est-à-dire des chaînes de production internationales “éclatées” en étoile à travers le globe, qui fragilise beaucoup d’entreprises et témoigne des limites de l’hyper-mondialisation. La défaillance d’un rouage suffit à mettre en péril tout le système. On observe aussi la diminution de la fréquentation des lieux publics, des achats et du commerce. Et cela alors que la dette des sociétés privées dépasse tous les records historiques et atteint près de 70 000 milliards de dollars. Combien de petites ou moyennes entreprises, qui ne sont pas armées pour supporter un trou de trésorerie prolongé, feront faillite ? Et si ces faillites se multiplient, quel en sera l’impact sur les bilans bancaires ? Nous le savons : en raison des fragilités intrinsèques de conception de notre système monétaire, le risque systémique peut ressurgir à tout moment. Il le fera avec d’autant plus de force que les acteurs du shadow banking représentent désormais une part importante des prêteurs de monnaie et qu’ils entretiennent d’étroites relations avec les banques : si un ou plusieurs grands fonds s’effondrent, la contagion sera difficile à arrêter. On assiste d’ores et déjà à une insuffisance de titres financiers liquides de haute qualité pouvant servir de collatéraux lors des opérations de refinancement. Certes, le pire n’est jamais certain, mais il n’est pas raisonnable de passer son temps à danser au bord du gouffre. Cela nous conduit d’ailleurs à faire n’importe quoi : Bpifrance, notre banque publique d’investissement, créée pour combler les failles de marché, a mis immédiatement en place un fonds de 4 milliards d’euros (qui doit en atteindre 10 prochainement), poétiquement baptisé « lac d’argent », pour secourir la valeur des titres boursiers des entreprises du CAC 40, et cela alors même qu’elle n’investit pas plus de 2 milliards d’euros par an dans la transition écologique… Or, s’il y a bien un « lack of money » (un manque d’argent) que doivent combler les banques publiques d’investissement, c’est bien au service de la reconstruction écologique et non des cours de bourse des grandes entreprises ! Même constat au niveau européen : pour faire face à la crise, la Commission se dit prête à assouplir les règles en matière d’aides d’État aux entreprises en difficulté, à créer un fonds d’investissement « en réponse au coronavirus » (en fait le redéploiement de fonds existants) ou encore à renoncer temporairement à appliquer la législation européenne en matière de seuils de dette ou de déficits. Tout ceci est bienvenu ! Mais pourquoi ne pas le faire pour financer la transition écologique comme certains d’entre nous le réclamons depuis des années ? Faut-il attendre que l’économie mondiale se grippe pour comprendre que le virus de l’idéologie néolibérale et des règles européennes qui en découlent en matière économique nous paralysent depuis bien trop longtemps ? Une crise peut aussi être une opportunité. Pour faire une réalité de la formule du poète Hölderlin « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve », l’Institut Rousseau formule le vœu que la réponse à cette crise ne se contente pas de colmater les trous mais bien de changer de navire. Vouloir reprendre le contrôle sur nos destins, c’est aussi ne plus vouloir être condamnés à être si vulnérables dans l’hyper-mondialisation, et à répondre par la précipitation ou l’impuissance. Lorsque la grande crise surviendra et qu’il faudra aider les banques, aidons-les mais renforçons en contrepartie la réglementation financière en augmentant le niveau de fonds propres et en réglementant efficacement les acteurs du shadow banking ! S’il faut élargir la liste des collatéraux admissibles, faisons-le bien sûr, mais au profit de titres représentatifs d’activités écologiques ! S’il faut que les États et les banques centrales se coordonnent pour investir massivement en réponse à une chute de l’activité,

Par Dufrêne N.

20 mars 2020

Le coronavirus se diffuse sur fond de destruction des écosystèmes

La destruction des écosystèmes favorise la diffusion de virus jusqu’alors inconnus et augmente donc notre vulnérabilité face aux catastrophes sanitaires. La pandémie de Covid-19 doit nous faire comprendre que la lutte pour la préservation de l’environnement est aussi une lutte contre de futures pandémies. Le coronavirus rencontre probablement son patient zéro par l’entremise d’une espèce de chauve-souris, consommée près d’un marché aux animaux de Wuhan, en Chine continentale. D’autres chercheurs évoquent la piste du pangolin, petit mammifère cuirassé menacé de disparition, car chassé et revendu à prix d’or pour sa peau et sa viande. Quoi qu’il en soit, pour le Coronavirus comme pour Ebola il y a quelques années, le pathogène nous provient directement de la faune sauvage. Depuis 1945, des centaines de bactéries et de virus sont apparus ou réapparus dans des régions où ils n’avaient jamais été observés. SRAS, grippe aviaire, Ebola, Zika, VIH, coronavirus, etc., 60 % de ces pathogènes sont d’origine animale, et deux tiers de ces derniers proviennent d’animaux sauvages. Si les interactions entre les hommes et les microbes issus du milieu sauvage ont toujours existé, comment expliquer cette augmentation récente de la fréquence d’apparition des épidémies ? Comme l’explique Sonia Shah (Le Monde diplomatique, Contre les pandémies, l’écologie, mars 2020), la destruction méthodique de l’environnement par l’extractivisme forcené a provoqué un phénomène d’atomisation, d’archipélisation du monde sauvage. Les animaux n’ont d’autre choix que de déborder sur les milieux humains, car les humains s’installent partout. Conséquence logique : les chances pour qu’un virus, inoffensif pour son animal porteur, entre en contact avec un organisme humain augmentent. Une étude sur Ebola menée en 2017 a montré que les apparitions du virus, porté initialement par des chauves-souris, sont plus fréquentes dans les zones d’Afrique équatoriale ayant subi des déforestations récentes. En rasant leurs forêts, les chauves-souris sont poussées à aller se percher sur les arbres des jardins. Il suffit qu’un humain croque dans un fruit déjà mordu par une chauve-souris, et donc couvert de salive, ou se fasse mordre en tentant de la chasser, pour que le virus pénètre son organisme. Globalement, la destruction des habitats, qui représente la première cause de la sixième extinction de masse, dérégule la biodiversité. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), sur les 82 954 espèces étudiées aujourd’hui, 23 928 sont menacées. Parmi elles, on compte : 13 % des oiseaux, 26 % des mammifères et 42 % des amphibiens. La disparition de la biomasse d’insectes est encore plus phénoménale puisqu’elle est 8 fois plus rapide que celle des autres espèces animales. En Europe occidentale, nous en aurions perdu 75 % en 30 ans. Or cette biodiversité de proies et de prédateurs empêche les porteurs de virus comme les moustiques ou les tiques de se multiplier. Selon une étude conduite dans 12 pays, les moustiques sont ainsi deux fois moins nombreux dans les zones boisées intactes que dans les zones déboisées (The Scientist, Deforestation tied to changes in disease dynamics, 29 janvier 2019). En somme, si l’on veut limiter le risque de propagation des pathogènes, il faut permettre à la nature de continuer à ériger des barrières biologiques. En termes de politiques publiques, cela passe avant tout par une transition agroécologique d’ampleur, faisant la part belle aux arbres, aux haies et à la guerre aux pesticides, principale cause de la disparition du vivant. Une note récente de l’Institut Rousseau explique d’ailleurs comment diminuer radicalement l’usage des pesticides en moins de 10 ans. De la même manière, la lutte contre la déforestation, nationale ou importée, doit être vigoureuse. Plus de 80 % de la déforestation sert aujourd’hui à étendre les exportations agricoles, notamment de viande. La puissance publique doit donc s’atteler, pour limiter le risque de pandémie, à combattre l’élevage industriel au profit d’un élevage local, intégré dans les cycles agroécologiques. Le changement climatique augmente également les risques sanitaires. En premier lieu, avec l’augmentation de la température, le cycle de l’eau est bouleversé : avec + 1,1°C par rapport à l’ère préindustrielle, l’évaporation de l’eau est 7 % plus élevée que la normale. Il en résulte à la fois davantage de sécheresses et de pluies diluviennes. La combinaison des deux phénomènes entraîne un durcissement des sols et une stagnation plus longue des eaux, qui n’arrivent plus à pénétrer la terre. Des conditions idéales pour le développement du choléra par exemple, dont les bactéries remontent les cours d’eau depuis la mer. La prolifération des moustiques, qui se reproduisent dans l’eau stagnante, s’en trouve également renforcée. À titre d’exemple, les anophèles, une espèce de moustique originaire d’Égypte et principaux porteurs du paludisme, sont en pleine expansion vers nos latitudes, à cause du réchauffement climatique. Par conséquent, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que le changement climatique entraînera 60 000 décès supplémentaires liés au paludisme chaque année entre 2030 et 2050, soit une augmentation de près de 15 % par rapport à aujourd’hui. Le moustique tigre, vecteur de plus de 20 virus dangereux, dont le Zika, le chikungunya, la dengue et fièvre jaune, n’est pas en reste. En 2050, 2,4 milliards d’individus seront à sa portée, dans son aire de répartition. La fonte du permafrost, dans le cercle arctique, pourrait également libérer des glaces de dangereux pathogènes oubliés, comme l’anthrax ou la grippe espagnole – qui avaient fait davantage de morts que la Première Guerre mondiale en 1918-1920, avec plus de 50 millions de victimes. La multiplication des événements extrêmes, comme les ouragans ou les inondations, affaiblit également les communautés humaines en détruisant les infrastructures et en désorganisant les chaînes d’approvisionnement. Les migrations climatiques, si elles sont aussi massives qu’annoncées par l’ONU – entre 250 millions et 1 milliard de réfugiés climatiques en 2050 – peuvent enfin faciliter la propagation de pathogènes. Pour toutes ces raisons, la lutte contre le changement climatique et la prévention des risques sanitaires vont de pair : la guerre contre le coronavirus ne doit pas faire oublier la guerre contre le changement climatique.  

Par Gilbert P.

20 mars 2020

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