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Penser l’après-crise

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      Penser l’après-crise

      « Si vous vous retrouvez dans un bateau qui coule, mieux vaut employer votre énergie à changer d’embarcation plutôt qu’à colmater les trous. » Ces mots du milliardaire Warren Buffett résonnent tout particulièrement ces derniers jours. Avec la pandémie de Coronavirus et la baisse des prix du pétrole, les bourses se sont effondrées lundi 9 mars avant de se stabiliser et de s’effondrer à nouveau le 12 mars, le CAC 40 perdant 12 %, soit un record historique en une séance. Difficile de savoir si c’est bien là la grande crise financière que nous redoutons depuis quelques années : les « esprits animaux » des marchés financiers peuvent paniquer un jour et se reprendre le lendemain, malgré toutes les fragilités qui se sont accumulées dans la sphère financière. La politique monétaire a d’ailleurs joué un rôle central dans la fragilisation du système. Pendant dix ans, les banques centrales ont injecté des masses considérables de liquidités auprès des banques, qui se sont accumulées sur les marchés financiers provoquant des bulles déraisonnables sur la valeur des titres, sans pour autant soutenir le développement de l’économie réelle. Ces bulles sont prêtes à éclater.

      Il est vrai cependant que les banques centrales ont appris à réagir vite pour pallier le risque de crise de liquidités et soutenir les cours de bourse par la même occasion : la FED a baissé de 0,5 points son taux directeur et injecté 1500 milliards de liquidités supplémentaires dans le marché monétaire, la banque d’Angleterre a également baissé de 0,5 points son taux directeur et la BCE, dont le taux est déjà au plus bas, augmente ses achats d’actifs privés de 120 milliards d’euros d’ici la fin 2020 (somme ridiculement faible comparée au bazooka de la Fed). Mais ce n’est pas parce que l’on sait désormais à peu près colmater les trous, en tout cas pour faire face à une crise de liquidités d’une ampleur encore limitée, que le risque sur l’économie réelle n’est pas important. En outre, on connaît désormais les effets secondaires délétères de ce type de politique monétaire sur les inégalités et sur les cours de bourse.

      Le vrai danger immédiat qui nous menace est bien celui de l’effondrement de l’économie réelle, qui renforcera d’ailleurs l’effondrement boursier. On observe déjà la rupture des chaînes de valeur, c’est-à-dire des chaînes de production internationales “éclatées” en étoile à travers le globe, qui fragilise beaucoup d’entreprises et témoigne des limites de l’hyper-mondialisation. La défaillance d’un rouage suffit à mettre en péril tout le système. On observe aussi la diminution de la fréquentation des lieux publics, des achats et du commerce. Et cela alors que la dette des sociétés privées dépasse tous les records historiques et atteint près de 70 000 milliards de dollars. Combien de petites ou moyennes entreprises, qui ne sont pas armées pour supporter un trou de trésorerie prolongé, feront faillite ? Et si ces faillites se multiplient, quel en sera l’impact sur les bilans bancaires ? Nous le savons : en raison des fragilités intrinsèques de conception de notre système monétaire, le risque systémique peut ressurgir à tout moment. Il le fera avec d’autant plus de force que les acteurs du shadow banking représentent désormais une part importante des prêteurs de monnaie et qu’ils entretiennent d’étroites relations avec les banques : si un ou plusieurs grands fonds s’effondrent, la contagion sera difficile à arrêter. On assiste d’ores et déjà à une insuffisance de titres financiers liquides de haute qualité pouvant servir de collatéraux lors des opérations de refinancement.

      Certes, le pire n’est jamais certain, mais il n’est pas raisonnable de passer son temps à danser au bord du gouffre. Cela nous conduit d’ailleurs à faire n’importe quoi : Bpifrance, notre banque publique d’investissement, créée pour combler les failles de marché, a mis immédiatement en place un fonds de 4 milliards d’euros (qui doit en atteindre 10 prochainement), poétiquement baptisé « lac d’argent », pour secourir la valeur des titres boursiers des entreprises du CAC 40, et cela alors même qu’elle n’investit pas plus de 2 milliards d’euros par an dans la transition écologique… Or, s’il y a bien un « lack of money » (un manque d’argent) que doivent combler les banques publiques d’investissement, c’est bien au service de la reconstruction écologique et non des cours de bourse des grandes entreprises !

      Même constat au niveau européen : pour faire face à la crise, la Commission se dit prête à assouplir les règles en matière d’aides d’État aux entreprises en difficulté, à créer un fonds d’investissement « en réponse au coronavirus » (en fait le redéploiement de fonds existants) ou encore à renoncer temporairement à appliquer la législation européenne en matière de seuils de dette ou de déficits. Tout ceci est bienvenu ! Mais pourquoi ne pas le faire pour financer la transition écologique comme certains d’entre nous le réclamons depuis des années ? Faut-il attendre que l’économie mondiale se grippe pour comprendre que le virus de l’idéologie néolibérale et des règles européennes qui en découlent en matière économique nous paralysent depuis bien trop longtemps ?

      Une crise peut aussi être une opportunité. Pour faire une réalité de la formule du poète Hölderlin « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve », l’Institut Rousseau formule le vœu que la réponse à cette crise ne se contente pas de colmater les trous mais bien de changer de navire. Vouloir reprendre le contrôle sur nos destins, c’est aussi ne plus vouloir être condamnés à être si vulnérables dans l’hyper-mondialisation, et à répondre par la précipitation ou l’impuissance. Lorsque la grande crise surviendra et qu’il faudra aider les banques, aidons-les mais renforçons en contrepartie la réglementation financière en augmentant le niveau de fonds propres et en réglementant efficacement les acteurs du shadow banking ! S’il faut élargir la liste des collatéraux admissibles, faisons-le bien sûr, mais au profit de titres représentatifs d’activités écologiques ! S’il faut que les États et les banques centrales se coordonnent pour investir massivement en réponse à une chute de l’activité, alors investissons évidemment, mais faisons-le intelligemment en profitant de la crise et de la réduction de l’activité pour décarboner notre outil de production ! S’il faut que les banques publiques d’investissement interviennent, alors donnons-leur les moyens d’agir pour la reconstruction écologique de nos sociétés et non pas pour soutenir la valeur boursière de Total ou de BNP Paribas. Et si tout cela nous permet de desserrer le corset idéologique dans lequel nous nous débattons stérilement, alors cette crise pourra peut-être nous permettre de comprendre enfin que la saignée du malade, en médecine comme en économie, n’est jamais une solution.

      Publié le 20 mars 2020

      Penser l’après-crise

      Auteurs

      Nicolas Dufrêne
      Nicolas Dufrêne est haut fonctionnaire à l'Assemblée nationale depuis 2012, économiste et directeur de l'Institut Rousseau depuis mars 2020. Il est co-auteur du livre "Une monnaie écologique" avec Alain Grandjean, paru aux éditions Odile Jacob en 2020 et auteur du livre "La dette au XXIe siècle, comment s'en libérer" (éditions Odile Jacob, 2023). Il est spécialiste des questions institutionnelles, monétaires et des outils de financement public. nicolas.dufrene@institut-rousseau.fr

      « Si vous vous retrouvez dans un bateau qui coule, mieux vaut employer votre énergie à changer d’embarcation plutôt qu’à colmater les trous. » Ces mots du milliardaire Warren Buffett résonnent tout particulièrement ces derniers jours. Avec la pandémie de Coronavirus et la baisse des prix du pétrole, les bourses se sont effondrées lundi 9 mars avant de se stabiliser et de s’effondrer à nouveau le 12 mars, le CAC 40 perdant 12 %, soit un record historique en une séance. Difficile de savoir si c’est bien là la grande crise financière que nous redoutons depuis quelques années : les « esprits animaux » des marchés financiers peuvent paniquer un jour et se reprendre le lendemain, malgré toutes les fragilités qui se sont accumulées dans la sphère financière. La politique monétaire a d’ailleurs joué un rôle central dans la fragilisation du système. Pendant dix ans, les banques centrales ont injecté des masses considérables de liquidités auprès des banques, qui se sont accumulées sur les marchés financiers provoquant des bulles déraisonnables sur la valeur des titres, sans pour autant soutenir le développement de l’économie réelle. Ces bulles sont prêtes à éclater.

      Il est vrai cependant que les banques centrales ont appris à réagir vite pour pallier le risque de crise de liquidités et soutenir les cours de bourse par la même occasion : la FED a baissé de 0,5 points son taux directeur et injecté 1500 milliards de liquidités supplémentaires dans le marché monétaire, la banque d’Angleterre a également baissé de 0,5 points son taux directeur et la BCE, dont le taux est déjà au plus bas, augmente ses achats d’actifs privés de 120 milliards d’euros d’ici la fin 2020 (somme ridiculement faible comparée au bazooka de la Fed). Mais ce n’est pas parce que l’on sait désormais à peu près colmater les trous, en tout cas pour faire face à une crise de liquidités d’une ampleur encore limitée, que le risque sur l’économie réelle n’est pas important. En outre, on connaît désormais les effets secondaires délétères de ce type de politique monétaire sur les inégalités et sur les cours de bourse.

      Le vrai danger immédiat qui nous menace est bien celui de l’effondrement de l’économie réelle, qui renforcera d’ailleurs l’effondrement boursier. On observe déjà la rupture des chaînes de valeur, c’est-à-dire des chaînes de production internationales “éclatées” en étoile à travers le globe, qui fragilise beaucoup d’entreprises et témoigne des limites de l’hyper-mondialisation. La défaillance d’un rouage suffit à mettre en péril tout le système. On observe aussi la diminution de la fréquentation des lieux publics, des achats et du commerce. Et cela alors que la dette des sociétés privées dépasse tous les records historiques et atteint près de 70 000 milliards de dollars. Combien de petites ou moyennes entreprises, qui ne sont pas armées pour supporter un trou de trésorerie prolongé, feront faillite ? Et si ces faillites se multiplient, quel en sera l’impact sur les bilans bancaires ? Nous le savons : en raison des fragilités intrinsèques de conception de notre système monétaire, le risque systémique peut ressurgir à tout moment. Il le fera avec d’autant plus de force que les acteurs du shadow banking représentent désormais une part importante des prêteurs de monnaie et qu’ils entretiennent d’étroites relations avec les banques : si un ou plusieurs grands fonds s’effondrent, la contagion sera difficile à arrêter. On assiste d’ores et déjà à une insuffisance de titres financiers liquides de haute qualité pouvant servir de collatéraux lors des opérations de refinancement.

      Certes, le pire n’est jamais certain, mais il n’est pas raisonnable de passer son temps à danser au bord du gouffre. Cela nous conduit d’ailleurs à faire n’importe quoi : Bpifrance, notre banque publique d’investissement, créée pour combler les failles de marché, a mis immédiatement en place un fonds de 4 milliards d’euros (qui doit en atteindre 10 prochainement), poétiquement baptisé « lac d’argent », pour secourir la valeur des titres boursiers des entreprises du CAC 40, et cela alors même qu’elle n’investit pas plus de 2 milliards d’euros par an dans la transition écologique… Or, s’il y a bien un « lack of money » (un manque d’argent) que doivent combler les banques publiques d’investissement, c’est bien au service de la reconstruction écologique et non des cours de bourse des grandes entreprises !

      Même constat au niveau européen : pour faire face à la crise, la Commission se dit prête à assouplir les règles en matière d’aides d’État aux entreprises en difficulté, à créer un fonds d’investissement « en réponse au coronavirus » (en fait le redéploiement de fonds existants) ou encore à renoncer temporairement à appliquer la législation européenne en matière de seuils de dette ou de déficits. Tout ceci est bienvenu ! Mais pourquoi ne pas le faire pour financer la transition écologique comme certains d’entre nous le réclamons depuis des années ? Faut-il attendre que l’économie mondiale se grippe pour comprendre que le virus de l’idéologie néolibérale et des règles européennes qui en découlent en matière économique nous paralysent depuis bien trop longtemps ?

      Une crise peut aussi être une opportunité. Pour faire une réalité de la formule du poète Hölderlin « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve », l’Institut Rousseau formule le vœu que la réponse à cette crise ne se contente pas de colmater les trous mais bien de changer de navire. Vouloir reprendre le contrôle sur nos destins, c’est aussi ne plus vouloir être condamnés à être si vulnérables dans l’hyper-mondialisation, et à répondre par la précipitation ou l’impuissance. Lorsque la grande crise surviendra et qu’il faudra aider les banques, aidons-les mais renforçons en contrepartie la réglementation financière en augmentant le niveau de fonds propres et en réglementant efficacement les acteurs du shadow banking ! S’il faut élargir la liste des collatéraux admissibles, faisons-le bien sûr, mais au profit de titres représentatifs d’activités écologiques ! S’il faut que les États et les banques centrales se coordonnent pour investir massivement en réponse à une chute de l’activité, alors investissons évidemment, mais faisons-le intelligemment en profitant de la crise et de la réduction de l’activité pour décarboner notre outil de production ! S’il faut que les banques publiques d’investissement interviennent, alors donnons-leur les moyens d’agir pour la reconstruction écologique de nos sociétés et non pas pour soutenir la valeur boursière de Total ou de BNP Paribas. Et si tout cela nous permet de desserrer le corset idéologique dans lequel nous nous débattons stérilement, alors cette crise pourra peut-être nous permettre de comprendre enfin que la saignée du malade, en médecine comme en économie, n’est jamais une solution.

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