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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Victor Audubert

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    Victor Audubert

    Victor Audubert

    Biographie

    Docteur et enseignant en droit public.

    Notes publiées

    Plus de concurrence, plus de contractuels, plus de précarité Le projet du gouvernement pour l’enseignement supérieur et la recherche

    Après un examen au pas de charge par au moins dix-sept instances, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), un temps suspendue à cause de la crise du Covid 19, était présentée le mercredi 22 juillet en conseil des ministres. La LPPR, loin de régler les nombreux maux qui enfoncent l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) dans la crise, les amplifie d’une manière sans précédent. La crise de l’ESR français peut être résumée simplement : faire plus avec moins, c’est-à-dire accueillir et enseigner à un public toujours plus nombreux tout en faisant de la recherche et publiant avec des moyens de plus en plus limités. Cette logique, initiée avec la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU) de 2009, s’est accentuée sous les mandats de François Hollande et d’Emmanuel Macron. Le processus d’autonomie a permis à l’État de faire des économies sur le dos de l’université publique et a, pour cela, assimilé la fonction du président d’université à celle d’un manager d’entreprise. Bien que la LPPR fasse le constat que l’ESR manque de moyens et ne soit plus assez attractif, elle entérine ce qui est déjà à l’œuvre. Tout d’abord, l’augmentation du budget de l’ESR présentée dans la LPPR apparaît comme un leurre. En effet, si l’on considère toutes les évolutions de budget par secteurs de la recherche[1], il y aurait seulement une augmentation nette de 104 millions d’euros du budget total de l’ESR en France pour 2021, et de 652 millions d’euros pour 2022. Au-delà des années 2021 et 2022, pour lesquelles la loi de programmation engage le gouvernement, rien n’est inscrit dans le marbre et la hausse de 5 milliards d’euros, promise par le Président de la République le 19 mars 2020 est conditionnée à la volonté des gouvernements futurs. Or, comme le rappelle le CESE dans son avis, celui-ci « n’est pas convaincu que les principales mesures en matière de financement et d’emploi scientifique soient de nature à inverser la tendance imposée à la recherche publique dans notre pays, au service public de recherche et d’enseignement supérieur[2] ». La LPPR apparaît donc comme insuffisante pour reconstruire budgétairement l’université publique, comme l’appelait la ministre de l’ESR, Frédérique Vidal. Depuis dix ans, l’ESR est sous-financé, ce qui se traduit avant tout par un déficit de postes de titulaires : – 27% de postes mis au concours pour les chargés de recherche entre 2008 et 2016 au CNRS, – 36% pour les maîtres de conférences entre 2012 et 2018, – 40% pour les professeurs des universités et – 44% pour les ingénieurs de recherche entre 2008 et 2016. .Dans le cadre de la LPPR, 700 emplois équivalent temps plein (ETP) vont être créés pour 2021, et 1350 ETP en 2022. Cependant, cette augmentation est insuffisante et particulièrement au moment où le taux de réussite exceptionnel au baccalauréat 2020 constitue un nouveau défi pour des universités déjà sous-dotées en capacités d’enseignement. Alors qu’il faudrait un plan massif de recrutement de titulaires dans l’ESR, la LPPR donne la priorité à la contractualisation, en remplacement du concours, dans la continuité de la « loi de transformation de la fonction publique » du 6 août 2019. En lieu et place de recruter des maîtres de conférences et des professeurs par voie de concours et de permettre aux doctorants de mener sereinement leurs travaux par l’allocation de bourses spécifiques, l’université s’est tournée vers la contractualisation à marche forcée, qui représente aujourd’hui environ 35% des effectifs. Les enseignements et les missions de recherche qui, auparavant, étaient pourvus à des enseignants-chercheurs titulaires, sont désormais exercés sur la base de CDD. Surtout, le nombre de vacataires ne cesse d’augmenter. Ces derniers sont payés six mois après la fin de leur mission – quand ils sont payés et qu’ils ont un contrat. L’ANCMSP[3] estime à 13000 le nombre de postes de maîtres de conférences occupés par des vacataires, ce qui nuit tant aux conditions de vie des jeunes chercheurs assurant ces fonctions qu’à la qualité des enseignements dispensés aux étudiants. Il faut en revenir à une règle très simple : à poste égal, statut égal. Point. La LPPR accentue également la précarisation des doctorants et jeunes docteurs par la concurrence croissante pour accéder à un poste. En effet, elle prévoit la mise en place de postes de tenure track, ou chaire de professeur junior, sortes de super CDD de six ans, qui peut déboucher sur une titularisation – ou pas. Ces « CDI de projet » représenteraient un quart des créations de postes prévues dans la LPPR. Ce nouveau mode de gestion des carrières renforce encore plus la concurrence de jeunes chercheurs, au point qu’il est surnommé le « modèle du survivant ». Comme cela est observable dans les pays où ce système est déjà largement à l’œuvre, cela conduit à annihiler la cohérence des parcours de recherche et à empêcher une spécialisation pourtant gage d’excellence. Cette mise en concurrence se généralise dans la recherche, avec, aujourd’hui, une surreprésentation des appels à projets de l’ANR, qui vise à faire du financement par mission – et non plus par poste – la norme. Ce mode de financement, fondé sur une approche court-termiste et utilitariste, est contraire à ce qu’est la recherche même : une réflexion sur le temps long. Il risque de dégrader la qualité des travaux, en contraignant des chercheurs engagés dans des démarches scientifiques au long terme à courir de projet en projet pour des raisons financières. À rebours de cette logique de contractualisation qui précarise et affaiblit l’enseignement et la recherche en France, il faut créer massivement des postes de titulaires dans l’ESR, en suivant l’avis du CESE (entre 5000 et 6000 nouveaux postes par an pendant cinq ans pour les enseignants-chercheurs et le personnel administratif), et revaloriser la grille des salaires pour l’ensemble des personnels. De même, il est nécessaire d’encadrer très fortement le statut de vacataire, ainsi que de mensualiser leurs indemnités, comme le prévoit la circulaire n° 2017-078 du 25 avril 2017. Nous pensons également que chaque doctorant et docteur sans poste doit avoir accès

    Par Audubert V.

    23 juillet 2020

    Une fonction publique solide, revalorisée et plus diverse pour vivre bien

    À l’instar du juriste Léon Duguit, on peut concevoir l’État comme « une fédération de services publics ayant pour objet d’organiser la société et d’assurer son fonctionnement pour le bien commun[1] ». C’est par la constitution de ces services publics que la République française s’est formée puis consolidée. Les services publics sont consubstantiels à l’identité républicaine de notre pays. Ils constituent l’instrument privilégié pour mettre en œuvre l’objectif historique de la République : l’intérêt général. La fonction publique représente en France environ un emploi sur cinq. Les services publics sont partout dans nos vies, indispensables à notre quotidien. En socialisant les risques, ils permettent l’accès aux besoins de base à des coûts très faibles pour l’immense majorité de la population. En refusant la logique marchande, ils consacrent les principes de solidarité, de continuité, d’égalité, de neutralité devant les biens et services mis en commun. Afin de mettre en marche les services publics, les fonctionnaires disposent d’un statut particulier. Durant le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, les fonctionnaires sont soumis à l’arbitraire de leur hiérarchie. Le recrutement par concours n’est pas systématique, et laisse souvent place à la cooptation et au clientélisme. Il faut attendre la Libération pour que la fonction publique se dote d’un premier statut : liberté syndicale, fonctionnaires classés en trois catégories hiérarchiques (A, B, C,) commissions paritaires dans la gestion des carrières individuelles et l’organisation des services, liberté d’opinion, et systématisation du recrutement par concours. Le droit de grève sera lui consacré par l’arrêt Dehaene du Conseil d’État en 1950. Les grandes lois des années 1980 tendent à unifier le statut des fonctionnaires et à rapprocher leurs droits des salariés du secteur privé. La loi du 13 juillet 1983 consacre notamment la liberté d’opinion (qui n’est pas la liberté d’expression, qui doit s’articuler avec le devoir de réserve), garantit le droit syndical et l’étend en reconnaissant le droit à congé pour formation syndicale. Les lois du 11 janvier 1984 (fonction publique d’État), du 26 janvier 1984 (fonction publique territoriale) et du 9 janvier 1986 (fonction publique hospitalière), unifient le régime juridique des trois fonctions publiques. Les fonctionnaires ne sont pas des travailleurs comme les autres, ils sont soumis à des devoirs impérieux envers l’État et les usagers. En ce sens, le statut des fonctionnaires repose sur plusieurs principes : l’obéissance hiérarchique – mais également le devoir de désobéissance lorsqu’ils doivent répondre à un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ; le devoir du service, c’est-à-dire l’interdiction d’exercer une activité lucrative à temps plein simultanément ; le devoir de réserve ; l’obligation de discrétion ; l’interdiction de posséder des intérêts dans une entreprise soumise au contrôle de son administration, qui seraient de nature à compromettre son indépendance. Le statut du fonctionnaire a pour corollaire la sécurité de l’emploi. Loin d’être un privilège anachronique, cette sécurité vise à protéger les fonctionnaires des pressions hiérarchiques et politiques, mais aussi à assurer la continuité du service. Ce principe fondamental du service public est cependant remis en cause par le non-remplacement fréquent des fonctionnaires partant à la retraite, et surtout par la contractualisation croissante des agents publics : plus d’un agent public sur cinq est contractuel et un contractuel sur quatre est en contrat court. Sous l’impulsion de la contre-révolution néolibérale et des théories du « nouveau management public », le statut des fonctionnaires n’a eu de cesse de connaître des exceptions, dérogations et limitations en tout genre. Si les prémices se font sentir dès les années 1990, c’est en 2007 et l’instauration de la RGPP que le statut de la fonction publique commence véritablement à s’effriter. Tout au long des quinquennats de Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron, la réduction du nombre de fonctionnaires est devenue l’axe principal des réformes touchant à la fonction publique[2]. Elle s’est accompagnée d’une part accrue du personnel non titulaire, d’une logique d’individualisation des tâches et des revenus chez les fonctionnaires, et d’une délégation toujours plus importante des activités vers le secteur privé. Ces politiques dites de « modernisation » ont pour conséquences une détérioration des conditions de travail des fonctionnaires et un affaiblissement des principes inhérents au service public, qui menacent l’accès à toutes et tous aux services de base. La crise sanitaire du Covid-19 a révélé qu’une fonction publique affaiblie menace directement les citoyens, en particulier dans l’hôpital public. Loin d’être un poids pour les finances publiques, les services publics permettent une prise en charge efficace, réactive et solidaire de la population. Il faut réaffirmer et étendre le statut de fonctionnaire à l’ensemble des agents publics, en encadrant strictement le recours à des personnels contractuels (I). Ce recrutement massif doit être accompagné d’une revalorisation des traitements, avec la hausse de la valeur du point d’indice (II). La fonction publique doit aussi permettre une meilleure représentativité de la société française, l’ouverture de nouveaux droits pour les fonctionnaires, et une meilleure prise en compte des usagers dans le fonctionnement des services publics (III).   1. Réaffirmer et étendre le statut de fonctionnaire   On compte 5,52 millions de personnes travaillant dans la fonction publique française : 2,45 millions de la fonction publique d’État (FPE) ; 1,9 million de la fonction publique territoriale (FPT) ; 1,17 million de la fonction publique hospitalière (FPH). Ces chiffres comprennent les fonctionnaires, c’est-à-dire les personnes titulaires, mais aussi les personnes sous contrat (en CDI ou en CDD), ainsi que les emplois aidés ; ces derniers sont en diminution depuis 2017 en particulier dans la FPT et les communes[3]. Dans l’ensemble de la fonction publique, il y a ainsi 3,84 millions de fonctionnaires (69,5%), 1,02 million de contractuels (18,4%), 309 000 militaires (5,6%) et 358 000 autres types de contrats (6,5%)[4]. Entre fin 2016 et fin 2017, les effectifs de la fonction publique hors contrats aidés ont augmenté de 0,8 %, soit 43 200 agents de plus. L’emploi public progresse dans les trois fonctions : + 0,9 % dans la FPT, + 0,8 % dans la FPE et + 0,7 % dans la FPH. Cependant, cette hausse est surtout le fait des contractuels (+5%) tandis que

    Par Audubert V.

    17 mai 2020

    Crise du covid-19 : la mise en œuvre prochaine d’une « stratégie du choc » ?

    Le concept de « stratégie du choc » a été pensé par Naomi Klein, essayiste canadienne. Dans son ouvrage éponyme, elle établit un parallèle entre la survenue de catastrophes économiques, sociales, écologiques, ou sanitaires et la mise en place de politiques néolibérales. Les populations, alors plongées dans un état de choc, sont tétanisées, et ne sont pas en mesure de s’opposer à ces politiques. Il se peut que nous nous trouvions dans une situation de crise sanitaire grave – la pandémie du covid-19 – créant un état de sidération, de tétanisation des populations qui pourrait permettre aux gouvernements l’implémentation à moyen terme, au lendemain de la crise, de politiques néolibérales d’une radicalité encore jamais vue.   Les politiques néolibérales, du point de vue sanitaire, ont considérablement dégradé le service public de l’hôpital et de la sécurité sociale. La fameuse droite sous laquelle la courbe épidémique doit rester paraît désespérément basse : seulement 7000, tandis que l’Allemagne en compte cinq fois plus, du fait notamment d’une population plus vieillissante qu’en France. Même avec le meilleur confinement du monde, même avec le plus grand civisme des Français, même avec la plus grande responsabilité de chacun, il y aura trop peu de services de réanimation pour prendre en charge les vagues épidémiques actuelles et futures. C’est un fait. La responsabilité ici n’a rien d’individuelle ; elle est politique. Penchons-nous sur la loi « d’état d’urgence sanitaire » promulguée le 23 mars 2020. Sur le plan économique, le gouvernement souhaite contenir les faillites des entreprises, en garantissant des prêts à hauteur de 300 milliards d’euros. Il est évidemment nécessaire de soutenir les TPE et PME, mais quid d’un recrutement massif du personnel soignant et médical dans les hôpitaux publics ? De la mise en place d’une « économie de guerre » tendant vers la réquisition et la nationalisation des entreprises stratégiques dans la lutte contre le covid-19 ?   Pour faire face au manque de main-d’œuvre qui existe dans certains secteurs de l’économie, on privilégie l’augmentation de la durée hebdomadaire du travail à 60 heures dans les transports, la logistique, les télécoms, l’agro-industrie… Bien au-delà des 48 heures autorisées par le droit de l’Union européenne. De même, on trouve dans cette loi l’obligation faite aux travailleurs de prendre jusqu’à six jours de congés payés pendant la durée du confinement si l’employeur l’exige. Certes, on trouve également une facilitation du chômage partiel pour prévenir des licenciements, la prolongation de la trêve hivernale jusqu’au 31 mai, ou la suppression des jours de carence. Mais c’est loin de ce qui avait été annoncé dans un premier temps par le gouvernement – notamment au niveau du chômage partiel – et très loin de ce qui devrait prévaloir dans un contexte de solidarité nationale. Après un temps d’hésitation, une échéance a finalement été fixée à ces mesures : le 31 décembre 2020.   Toutefois, toute expérimentation, toute expérience, tout vécu crée un précédent. Ce qui était inconcevable, impensable, le devient soudainement en l’espace de quelques jours. Être obligé de rester confiné chez soi, que l’on vive dans un triplex avec vue sur la tour Eiffel, ou entassés à plusieurs dans un 15m2 avec vue sur une barre d’immeuble, cela constitue un précédent. Pouvoir disserter sur son confinement depuis sa maison de campagne en publiant des carnets dans Le Point ou devoir continuer à travailler parce qu’un autoentrepreneur ne touche pas le chômage, cela constitue un précédent. Apprécier le soleil dans son jardin ou voir des drones de la police voler au-dessus de sa cour d’immeuble ordonnant par haut-parleurs aux habitants de rester confinés chez eux, cela constitue un précédent. Être obligé par son employeur de poser des RTT, des congés payés, de travailler 60 heures dans la semaine, de nuit ou le dimanche, le tout sans broncher, cela constitue aussi un précédent. Même si ces mesures prennent fin en même temps que la crise sanitaire, nous aurons fait l’expérience de cette situation ; il se peut que certains se soient habitués à celle-ci. Aujourd’hui, il s’agit de lutter contre une épidémie. Mais demain, lorsque la crise économique qui sévit déjà frappera de plein fouet notre économie et les plus précaires, il se peut que nos gouvernements ressortent les mêmes recettes qu’actuellement, mettant à contribution les plus précaires, les plus fragiles, épargnant les plus hauts revenus et la finance.   De la même manière qu’au lendemain de la crise économique de 2008, les ajustements risquent de s’effectuer par la baisse des salaires et des dépenses publiques. Ce qui implique mécaniquement l’aggravation de l’état de nos services publics et plus généralement de la capacité d’action de l’État en temps de crise.   On commence déjà à percevoir les premiers effets de cette stratégie du choc. Le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé lors de son déplacement à Mulhouse le 25 mars dernier son intention de lancer un « plan massif » pour l’hôpital. La Caisse des dépôts et consignations (CDC) a été chargé d’élaborer ce plan. La première version, que Mediapart a publiée, alimente les craintes d’une accentuation de la privatisation de l’hôpital public, à rebours des déclarations sur la défense de « l’État-providence » faites par le chef de l’État : recours accru au secteur privé et aux startups, restructuration de la dette des hôpitaux via les marchés financiers, généralisation des partenariats public-privés – alors que le coût de ces derniers pour la collectivité publique n’est pas soutenable à long terme, croyance aveugle dans le tout numérique… Surtout, il n’est fait, à aucun moment, mention d’une augmentation des dépenses de fonctionnement, c’est-à-dire une augmentation des capacités d’accueil ou du recrutement de personnel soignant. Privatiser encore plus la santé pour répondre à la crise du coronavirus, il faut le voir pour le croire.   Derrière cette crise sanitaire, c’est la lutte des classes qui se redessine. Les ouvriers à l’usine, les cadres en télétravail. Les riches à la campagne ou à la mer, les pauvres entassés chez eux, à s’occuper de leurs enfants sans aide, puisant dans leur

    Par Audubert V.

    2 avril 2020

    Plus de concurrence, plus de contractuels, plus de précarité Le projet du gouvernement pour l’enseignement supérieur et la recherche

    Après un examen au pas de charge par au moins dix-sept instances, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), un temps suspendue à cause de la crise du Covid 19, était présentée le mercredi 22 juillet en conseil des ministres. La LPPR, loin de régler les nombreux maux qui enfoncent l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) dans la crise, les amplifie d’une manière sans précédent. La crise de l’ESR français peut être résumée simplement : faire plus avec moins, c’est-à-dire accueillir et enseigner à un public toujours plus nombreux tout en faisant de la recherche et publiant avec des moyens de plus en plus limités. Cette logique, initiée avec la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU) de 2009, s’est accentuée sous les mandats de François Hollande et d’Emmanuel Macron. Le processus d’autonomie a permis à l’État de faire des économies sur le dos de l’université publique et a, pour cela, assimilé la fonction du président d’université à celle d’un manager d’entreprise. Bien que la LPPR fasse le constat que l’ESR manque de moyens et ne soit plus assez attractif, elle entérine ce qui est déjà à l’œuvre. Tout d’abord, l’augmentation du budget de l’ESR présentée dans la LPPR apparaît comme un leurre. En effet, si l’on considère toutes les évolutions de budget par secteurs de la recherche[1], il y aurait seulement une augmentation nette de 104 millions d’euros du budget total de l’ESR en France pour 2021, et de 652 millions d’euros pour 2022. Au-delà des années 2021 et 2022, pour lesquelles la loi de programmation engage le gouvernement, rien n’est inscrit dans le marbre et la hausse de 5 milliards d’euros, promise par le Président de la République le 19 mars 2020 est conditionnée à la volonté des gouvernements futurs. Or, comme le rappelle le CESE dans son avis, celui-ci « n’est pas convaincu que les principales mesures en matière de financement et d’emploi scientifique soient de nature à inverser la tendance imposée à la recherche publique dans notre pays, au service public de recherche et d’enseignement supérieur[2] ». La LPPR apparaît donc comme insuffisante pour reconstruire budgétairement l’université publique, comme l’appelait la ministre de l’ESR, Frédérique Vidal. Depuis dix ans, l’ESR est sous-financé, ce qui se traduit avant tout par un déficit de postes de titulaires : – 27% de postes mis au concours pour les chargés de recherche entre 2008 et 2016 au CNRS, – 36% pour les maîtres de conférences entre 2012 et 2018, – 40% pour les professeurs des universités et – 44% pour les ingénieurs de recherche entre 2008 et 2016. .Dans le cadre de la LPPR, 700 emplois équivalent temps plein (ETP) vont être créés pour 2021, et 1350 ETP en 2022. Cependant, cette augmentation est insuffisante et particulièrement au moment où le taux de réussite exceptionnel au baccalauréat 2020 constitue un nouveau défi pour des universités déjà sous-dotées en capacités d’enseignement. Alors qu’il faudrait un plan massif de recrutement de titulaires dans l’ESR, la LPPR donne la priorité à la contractualisation, en remplacement du concours, dans la continuité de la « loi de transformation de la fonction publique » du 6 août 2019. En lieu et place de recruter des maîtres de conférences et des professeurs par voie de concours et de permettre aux doctorants de mener sereinement leurs travaux par l’allocation de bourses spécifiques, l’université s’est tournée vers la contractualisation à marche forcée, qui représente aujourd’hui environ 35% des effectifs. Les enseignements et les missions de recherche qui, auparavant, étaient pourvus à des enseignants-chercheurs titulaires, sont désormais exercés sur la base de CDD. Surtout, le nombre de vacataires ne cesse d’augmenter. Ces derniers sont payés six mois après la fin de leur mission – quand ils sont payés et qu’ils ont un contrat. L’ANCMSP[3] estime à 13000 le nombre de postes de maîtres de conférences occupés par des vacataires, ce qui nuit tant aux conditions de vie des jeunes chercheurs assurant ces fonctions qu’à la qualité des enseignements dispensés aux étudiants. Il faut en revenir à une règle très simple : à poste égal, statut égal. Point. La LPPR accentue également la précarisation des doctorants et jeunes docteurs par la concurrence croissante pour accéder à un poste. En effet, elle prévoit la mise en place de postes de tenure track, ou chaire de professeur junior, sortes de super CDD de six ans, qui peut déboucher sur une titularisation – ou pas. Ces « CDI de projet » représenteraient un quart des créations de postes prévues dans la LPPR. Ce nouveau mode de gestion des carrières renforce encore plus la concurrence de jeunes chercheurs, au point qu’il est surnommé le « modèle du survivant ». Comme cela est observable dans les pays où ce système est déjà largement à l’œuvre, cela conduit à annihiler la cohérence des parcours de recherche et à empêcher une spécialisation pourtant gage d’excellence. Cette mise en concurrence se généralise dans la recherche, avec, aujourd’hui, une surreprésentation des appels à projets de l’ANR, qui vise à faire du financement par mission – et non plus par poste – la norme. Ce mode de financement, fondé sur une approche court-termiste et utilitariste, est contraire à ce qu’est la recherche même : une réflexion sur le temps long. Il risque de dégrader la qualité des travaux, en contraignant des chercheurs engagés dans des démarches scientifiques au long terme à courir de projet en projet pour des raisons financières. À rebours de cette logique de contractualisation qui précarise et affaiblit l’enseignement et la recherche en France, il faut créer massivement des postes de titulaires dans l’ESR, en suivant l’avis du CESE (entre 5000 et 6000 nouveaux postes par an pendant cinq ans pour les enseignants-chercheurs et le personnel administratif), et revaloriser la grille des salaires pour l’ensemble des personnels. De même, il est nécessaire d’encadrer très fortement le statut de vacataire, ainsi que de mensualiser leurs indemnités, comme le prévoit la circulaire n° 2017-078 du 25 avril 2017. Nous pensons également que chaque doctorant et docteur sans poste doit avoir accès

    Par Audubert V.

    22 juin 2021

    Une fonction publique solide, revalorisée et plus diverse pour vivre bien

    À l’instar du juriste Léon Duguit, on peut concevoir l’État comme « une fédération de services publics ayant pour objet d’organiser la société et d’assurer son fonctionnement pour le bien commun[1] ». C’est par la constitution de ces services publics que la République française s’est formée puis consolidée. Les services publics sont consubstantiels à l’identité républicaine de notre pays. Ils constituent l’instrument privilégié pour mettre en œuvre l’objectif historique de la République : l’intérêt général. La fonction publique représente en France environ un emploi sur cinq. Les services publics sont partout dans nos vies, indispensables à notre quotidien. En socialisant les risques, ils permettent l’accès aux besoins de base à des coûts très faibles pour l’immense majorité de la population. En refusant la logique marchande, ils consacrent les principes de solidarité, de continuité, d’égalité, de neutralité devant les biens et services mis en commun. Afin de mettre en marche les services publics, les fonctionnaires disposent d’un statut particulier. Durant le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, les fonctionnaires sont soumis à l’arbitraire de leur hiérarchie. Le recrutement par concours n’est pas systématique, et laisse souvent place à la cooptation et au clientélisme. Il faut attendre la Libération pour que la fonction publique se dote d’un premier statut : liberté syndicale, fonctionnaires classés en trois catégories hiérarchiques (A, B, C,) commissions paritaires dans la gestion des carrières individuelles et l’organisation des services, liberté d’opinion, et systématisation du recrutement par concours. Le droit de grève sera lui consacré par l’arrêt Dehaene du Conseil d’État en 1950. Les grandes lois des années 1980 tendent à unifier le statut des fonctionnaires et à rapprocher leurs droits des salariés du secteur privé. La loi du 13 juillet 1983 consacre notamment la liberté d’opinion (qui n’est pas la liberté d’expression, qui doit s’articuler avec le devoir de réserve), garantit le droit syndical et l’étend en reconnaissant le droit à congé pour formation syndicale. Les lois du 11 janvier 1984 (fonction publique d’État), du 26 janvier 1984 (fonction publique territoriale) et du 9 janvier 1986 (fonction publique hospitalière), unifient le régime juridique des trois fonctions publiques. Les fonctionnaires ne sont pas des travailleurs comme les autres, ils sont soumis à des devoirs impérieux envers l’État et les usagers. En ce sens, le statut des fonctionnaires repose sur plusieurs principes : l’obéissance hiérarchique – mais également le devoir de désobéissance lorsqu’ils doivent répondre à un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ; le devoir du service, c’est-à-dire l’interdiction d’exercer une activité lucrative à temps plein simultanément ; le devoir de réserve ; l’obligation de discrétion ; l’interdiction de posséder des intérêts dans une entreprise soumise au contrôle de son administration, qui seraient de nature à compromettre son indépendance. Le statut du fonctionnaire a pour corollaire la sécurité de l’emploi. Loin d’être un privilège anachronique, cette sécurité vise à protéger les fonctionnaires des pressions hiérarchiques et politiques, mais aussi à assurer la continuité du service. Ce principe fondamental du service public est cependant remis en cause par le non-remplacement fréquent des fonctionnaires partant à la retraite, et surtout par la contractualisation croissante des agents publics : plus d’un agent public sur cinq est contractuel et un contractuel sur quatre est en contrat court. Sous l’impulsion de la contre-révolution néolibérale et des théories du « nouveau management public », le statut des fonctionnaires n’a eu de cesse de connaître des exceptions, dérogations et limitations en tout genre. Si les prémices se font sentir dès les années 1990, c’est en 2007 et l’instauration de la RGPP que le statut de la fonction publique commence véritablement à s’effriter. Tout au long des quinquennats de Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron, la réduction du nombre de fonctionnaires est devenue l’axe principal des réformes touchant à la fonction publique[2]. Elle s’est accompagnée d’une part accrue du personnel non titulaire, d’une logique d’individualisation des tâches et des revenus chez les fonctionnaires, et d’une délégation toujours plus importante des activités vers le secteur privé. Ces politiques dites de « modernisation » ont pour conséquences une détérioration des conditions de travail des fonctionnaires et un affaiblissement des principes inhérents au service public, qui menacent l’accès à toutes et tous aux services de base. La crise sanitaire du Covid-19 a révélé qu’une fonction publique affaiblie menace directement les citoyens, en particulier dans l’hôpital public. Loin d’être un poids pour les finances publiques, les services publics permettent une prise en charge efficace, réactive et solidaire de la population. Il faut réaffirmer et étendre le statut de fonctionnaire à l’ensemble des agents publics, en encadrant strictement le recours à des personnels contractuels (I). Ce recrutement massif doit être accompagné d’une revalorisation des traitements, avec la hausse de la valeur du point d’indice (II). La fonction publique doit aussi permettre une meilleure représentativité de la société française, l’ouverture de nouveaux droits pour les fonctionnaires, et une meilleure prise en compte des usagers dans le fonctionnement des services publics (III).   1. Réaffirmer et étendre le statut de fonctionnaire   On compte 5,52 millions de personnes travaillant dans la fonction publique française : 2,45 millions de la fonction publique d’État (FPE) ; 1,9 million de la fonction publique territoriale (FPT) ; 1,17 million de la fonction publique hospitalière (FPH). Ces chiffres comprennent les fonctionnaires, c’est-à-dire les personnes titulaires, mais aussi les personnes sous contrat (en CDI ou en CDD), ainsi que les emplois aidés ; ces derniers sont en diminution depuis 2017 en particulier dans la FPT et les communes[3]. Dans l’ensemble de la fonction publique, il y a ainsi 3,84 millions de fonctionnaires (69,5%), 1,02 million de contractuels (18,4%), 309 000 militaires (5,6%) et 358 000 autres types de contrats (6,5%)[4]. Entre fin 2016 et fin 2017, les effectifs de la fonction publique hors contrats aidés ont augmenté de 0,8 %, soit 43 200 agents de plus. L’emploi public progresse dans les trois fonctions : + 0,9 % dans la FPT, + 0,8 % dans la FPE et + 0,7 % dans la FPH. Cependant, cette hausse est surtout le fait des contractuels (+5%) tandis que

    Par Audubert V.

    22 juin 2021

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