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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Points de vue

Origine des produits : plongée au cœur de la guerre des étiquettes

Dans une note publiée chez Hémisphère Gauche en décembre 2020, Gabriel Arnault, juriste et président de La Gazette du Made in France, soulignait l’importance d’approfondir les règles existantes en matière d’étiquetage pour permettre – enfin – aux consommateurs de faire un choix éclairé. Depuis, force est de constater que les choses ne se sont pas améliorées. Au contraire, l’actualité démontre – s’il le faut – que le droit européen est toujours le principal frein à une évolution durable. Dès le Traité de Rome, la mise en place du marché commun entraîne la suppression des droits de douanes[1]. Les pays européens s’engagent à commercialiser les marchandises sans discriminer en raison de leur provenance. Ainsi, toute législation nationale qui impose un marquage d’origine sur les produits ou leur emballage est interdite. Elle constitue une atteinte au principe de la libre circulation des biens, perpétuellement réaffirmé depuis soixante ans[2]. Il existe, néanmoins, des cas dans lesquels l’indication géographique est obligatoire, lorsque la santé du consommateur l’exige ou qu’il existe un risque de confusion préjudiciable à sa sécurité. La subtilité est importante. Elle est à la racine des législations plus protectrices s’agissant de la viande, des produits de la mer, du miel ou des fruits et légumes. Il ne faut pas, pour autant, s’y tromper : le dispositif d’étiquetage systématique est exceptionnel et toute initiative nationale cherchant à l’étendre plus largement est, par nature, prohibée. Une récente décision du Conseil d’État vient précisément de le rappeler[3]. Dans cette affaire, les juges du Palais-Royal étaient saisis par le groupe français Lactalis qui demandait l’annulation pour excès de pouvoir d’un décret de 2016[4]. Ce dernier contraignait – à titre expérimental – les entreprises de l’agroalimentaire à indiquer l’origine des produits préparés avec plus de 8 % de viande ou 50 % de lait (lait liquide, beurre, crèmes, yaourts, fromages). De plus, lorsque toutes les étapes de production étaient réalisées dans un même pays, les industriels avaient la possibilité d’indiquer un simple « UE » ou « non-UE ». Le texte s’appuyait sur un règlement européen de 2011[5] mais était en décalage par rapport à l’esprit du droit de l’Union. Reconduit deux fois[6], il a souvent été l’objet de controverses. Les plus optimistes espéraient que les demandes de transparence exprimées par les consommateurs allaient être entendues et qu’il était l’amorce d’un mouvement européen d’envergure. Pourtant, rien ne s’est passé comme prévu. En moins d’un an, l’étiquetage des produits alimentaires a fait un bond en arrière et les espoirs d’une réforme d’ampleur ont été anéantis. En octobre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a statué sur la question préjudicielle posée par le Conseil d’État. Selon elle, les mesures d’étiquetage obligatoire sont possibles mais à condition qu’il existe un lien avéré entre certaines propriétés du produit et son origine ou sa provenance[7]. En l’occurrence, la France avait reconnu lors de l’instruction de l’affaire que son souhait était surtout de répondre aux demandes des consommateurs mais qu’il n’y avait pas en soi de propriété du lait qui puisse être reliée à son origine. Par conséquence, rien ne justifie qu’il bénéficie d’une indication d’origine et le Conseil d’État a annulé purement et simplement le décret de 2016, en mettant même à la charge du contribuable les frais de procédure qui avaient été engagés par le leader mondial des produits laitiers[8]. Le monde politique s’en est vivement ému. Invité sur Public Sénat le 12 avril 2021, le ministre de l’agriculture Julien Denormandie, a qualifié de « scandaleuse » l’attitude de l’entreprise Lactalis, accusée d’atteinte au patriotisme. « Il faut faire bouger les lignes au niveau européen » a t-il affirmé, alors même que, précisément, rien n’a changé depuis cinq ans. Certains évoquent la présidence du Conseil de l’Union européenne, que prendra la France en 2022. Mais ces spéculations manquent de réalisme. En attendant, le député de la majorité Grégory Besson-Moreau a déposé une proposition de loi, dite « Egalim II[9] », adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 24 juin 2021. S’agissant de l’étiquetage des produits agricoles, elle entend rendre conforme le droit français au droit européen. Si elle est finalement adoptée, il faudra donc apprécier au cas par cas s’il existe un lien entre les propriétés de telle ou telle marchandise et l’origine. Nul doute qu’au lieu d’imposer la transparence partout, cette formule floue sera source d’incertitude. Les industriels des produits laitiers seront de toute façon à l’abri, tandis que les attentes des Français seront une nouvelle fois déçues. Proposition n°1 : Engager une réflexion d’ensemble sur l’étiquetage des produits en assumant un désaccord avec le droit européen. Imposer par principe l’indication d’origine géographique des produits agricoles (mais aussi des produits industriels et artisanaux), pour valoriser les travailleurs et permettre aux consommateurs qui le souhaitent de soutenir efficacement les producteurs locaux. Proposition n°2 : Soutenir les Appellations d’origine protégée (AOP), qui mettent en avant des spécificités locales comme la noix du Périgord, la fourme d’Ambert, la pomme du Limousin, le beurre de Charente-Poitou, le miel de sapin des Vosges ou le Calvados. Encourager les Indications géographiques protégées industrielles et artisanales (IGPIA) qui valorisent les traditions locales comme la porcelaine de Limoges, la pierre de Bourgogne, le granit de Bretagne, la tapisserie d’Aubusson ou le linge basque. Cette proposition est compatible avec le droit européen car il y a un lien entre les propriétés des produits et leur origine. Elle est complémentaire à la mise en place d’un étiquetage obligatoire pour valoriser des savoir-faire rares et anciens.   Pour approfondir le sujet, lie vers la note intitulée « La schizophrénie de l’étiquetage des produits », publiée le 5 décembre 2020 chez Hémisphère Gauche.   [1] Article 13 et suivants du Traité de Rome, signé le 25 mars 1957. [2] Désormais au Titre II de la Partie III du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). [3] Conseil d’État, 10 mars 2021, n°404651. [4] Décret n°2016-1137 du 19 août 2016. [5] En application du règlement n°1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011. [6] Décrets n°2018-1239 du 24 décembre 2018, jusqu’au 31 mars 2020, et n°2020-363 du 27 mars 2020, jusqu’au

Par Arnault G.

22 juillet 2021

La revue monétaire de l’immobilisme

La BCE a créé la surprise, ce jeudi 8 juillet 2021, en annonçant les conclusions de sa revue de politique monétaire, qui n’étaient attendues qu’à l’automne. Hélas, ce fut la seule surprise dont elle fut capable. Un mot d’abord sur la méthode : pourquoi sortir cette revue maintenant, presque en catimini et de manière inattendue, alors qu’il y a encore tant à discuter et que de nombreuses voix, à l’instar de l’Institut Rousseau, appellent la BCE à modifier radicalement sa politique ? Est-ce pour mettre le corps social européen devant le fait accompli et couper court à toutes les discussions qui montent en ce moment autour du rôle de la BCE[1] ? Sauf que les principes posés par cette revue sont là pour durer : on parle d’effets sur une période de dix ans tandis que certaines « actions » prévues dans le cadre de cette revue n’entreront pas en vigueur avant 2024. Quel besoin donc de brusquer les choses de la sorte ? En second lieu, l’annonce du 8 juillet est une occasion manquée. Elle rappelle cruellement à ceux qui croient encore à la neutralité de la politique monétaire que l’indépendance des banques centrales les conduit nécessairement à l’impuissance devant les choix d’envergure dont nous avons urgemment besoin. Or l’impuissance monétaire aujourd’hui signifie l’incapacité, demain, de relever les défis écologiques et sociaux qui sont les nôtres. Passons en revue ces insuffisances. I. L’impératif de lutte contre l’inflation n’est pas vraiment assoupli En matière de cible d’inflation déjà, objectif principal de la politique monétaire assigné au système européen de banques centrales à l’article 127 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. L’idée centrale est la suivante : transformer l’objectif d’inflation « proche mais inférieur à 2 % » en un « objectif symétrique d’inflation de 2 % ». Quel changement cela implique-t-il donc ? Rien, ou presque. Pour le comprendre, revenons au choix fait par la Federal reserveaméricaine, en septembre dernier, de mettre en place une notion de cible flexible d’inflation moyenne. Confrontée à un retour timide de l’inflation, la Fed avait alors acté le fait qu’elle ne relèverait ses taux d’intérêt directeurs que si l’inflation était durablement supérieure à 2 % par an, non seulement pour s’assurer que celle-ci était bien ancrée solidement mais également pour compenser les périodes précédentes où l’inflation est restée trop faible pour stimuler suffisamment les revenus. L’approche de la BCE est bien moins ambitieuse : si elle admet que le niveau de 2 % peut être dépassé temporairement sans susciter de resserrement immédiat de sa politique, la Banque centrale de Francfort conserve bel et bien cette cible d’inflation et ne précise pas combien de temps un dépassement éventuel serait toléré, ni comment elle agira en cas de dynamique inflationniste différentiée entre les pays de la zone. En particulier, aucun rattrapage n’est prévu de la dernière décennie durant laquelle le taux d’inflation a été systématiquement inférieur à 2 %, entraînant une atonie de l’investissement et un accroissement vertigineux des inégalités entre rentiers et salariés. Autrement dit, là où la Fed adopte une cible d’inflation moyenne de long terme avec une volonté de rattrapage de la décennie perdue, Francfort conserve l’objectif de 2 % à court et moyen terme, qui plus est de manière très imprécise. Enfin, la BCE recommande d’inclure les loyers fictifs des propriétaires dans l’indice des prix, ce qu’Eurostat fait déjà, au risque que cela conduise à resserrer la politique monétaire en augmentant artificiellement le niveau d’inflation constaté. Surtout, la revue passe complètement à côté du vrai problème : pourquoi l’augmentation massive du bilan de l’Eurosystème, passé en une décennie de moins de 1500 milliards à plus de 7500 milliards d’euros, n’a-t-elle pas été capable ne fût-ce que de ramener l’inflation à un niveau proche de 2 % ? La BCE multiplie par cinq sa taille de bilan, et donc l’usage de la planche à billets, sans aucun effet sur l’inflation ! Étonnant, n’est-ce pas ? La réalité est que la boulimie de Francfort n’a profité qu’aux banques et aux marchés financiers[2]. Ne serait-il pas temps de s’interroger sur les canaux de transmission de la politique monétaire et de permettre enfin à la banque centrale de financer directement des dépenses d’intérêt général, notamment en faveur de la reconstruction écologique ?[3] II. Les outils de politique monétaire ne sont pas renouvelés Or les annonces du 8 juillet révèlent qu’aucune réflexion innovante n’a abouti sur les outils de politique monétaire : le taux d’intérêt directeur, uniforme et mal adapté à la diversité des situations et des pays entre la Baltique et la Sicile, demeure l’instrument principal de la politique monétaire. Quant aux autres outils, ils sont d’avance menacés d’incohérence : la BCE pourra continuer d’inonder les banques privées de liquidités à court terme, puis, en imposant des taux négatifs à leurs dépôts au guichet de Francfort, tenter vainement d’inciter ces dernières à faire usage de cette manne en faveur de l’économie réelle… tout en continuant de leur prêter des sommes vertigineuses à taux réels négatifs sur le long terme via les TLTRO[4]. De nombreux autres outils de politique monétaire innovants pourraient être mobilisés pour mettre enfin la monnaie au service du bien commun : instaurer des taux d’intérêt différenciés en fonction des besoins des pays ou de l’intensité carbone des actifs collatéraux des banques emprunteuses, annuler le stock de 3.000 milliards d’euros de dettes publiques que détient la BCE en échange d’investissements écologiques et sociaux par les États, ne plus accepter les actifs fossiles en collatéraux lors des refinancements, pratiquer une création monétaire et ciblée, acheter massivement des titres écologiques en coordination avec les Etats ou les banques publiques d’investissement, dédier un programme d’achats à la seule dette publique émise pour financer la transition climatique ce qui lui permettrait de la faciliter sans financer directement des gouvernements. etc. Si certains ont été discutés en coulisse, pas un seul n’est évoqué dans le document final rendu public par Francfort. Le même conservatisme s’affiche quant aux effets de la politique monétaire sur les prix d’actifs financiers, largement gonflés par sa politique mal ciblée. Mais là encore, aucune mesure, aucune annonce pour essayer de trouver une solution à ce piège dans

Par Dufrêne N., Giraud G., Espagne É.

15 juillet 2021

Les silences coupables de la France et de l’Europe face à la situation au Proche-Orient

Le conflit israélo-palestinien est loin d’être terminé. Il n’a jamais été résolu même si tout est fait en France et en Europe pour se voiler la face et détourner les yeux de ce conflit qui nous renvoie à nos propres démons. Depuis l’échec de la dernière tentative de médiation américaine, menée en 2014 par l’ancien secrétaire d’État démocrate John Kerry, les Palestiniens sont pourtant en train de perdre les rares leviers de pression et de solidarité dont ils disposaient encore : le consensus international sur la solution à deux États a été affaibli par les positions de Donald Trump et la solidarité des États arabes, notamment de la part des pétromonarchies du Golfe qui refusaient toute normalisation avec Israël sans résolution préalable du conflit au Proche-Orient, a également pris du plomb dans l’aile depuis la signature d’accords entre Bahreïn, les Émirats-arabes unis et Israël (sans compter une autre monarchie arabe : le Maroc). Parallèlement, depuis dix ans, la politique israélienne est marquée par une offensive anti-libérale sans précédent de la droite nationaliste et religieuse, ce qui a conduit à l’aggravation du problème des colonies et à une dégradation des droits civils et politiques des Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Gaza, mais aussi en Israël. La nouvelle explosion de violence que connaît la région depuis plusieurs semaines s’explique ainsi directement par cette politique d’intensité croissante de déplacement forcé des Palestiniens vivant dans certaines parties de la Palestine, à commencer par Jérusalem-Est. Pour l’extrême-droite ultrareligieuse et nationaliste qui a pris le pouvoir en Israël, la position de l’ONU, à savoir « l’établissement de deux États vivant côte à côte en paix et en sécurité dans des frontières sûres et reconnues sur la base des lignes de 1967 et ayant l’un et l’autre Jérusalem pour capitale » est en effet inacceptable : Jérusalem doit être la capitale indiscutée de l’État « juif » qu’ils entendent bâtir. Que Jérusalem soit une triple ville sainte (pour les juifs, mais aussi pour les musulmans et les chrétiens) ne leur convient pas davantage que l’établissement éventuel d’un régime international sur les lieux saints de Jérusalem. Le Gouvernement israélien organise donc le déplacement de force de centaines de Palestiniens, en démolissant des logements, en rendant impossible l’accès aux documents de propriété et en prenant d’autres mesures coercitives. Un point est crucial dans cette politique : le déséquilibre flagrant entre les citoyens juifs, qui bénéficient d’un droit de propriété reconnu, et les Palestiniens, qui sont exclus de ce droit. Il existe en effet deux lois israéliennes, celle sur la propriété des absents de 1950 et celle portant sur les questions juridiques et administratives de 1970, qui interdisent aux Palestiniens de récupérer leurs propriétés perdues lors de la guerre de 1948, tandis que la loi de 1970 permet aux Juifs israéliens de revendiquer à nouveau les propriétés perdues au cours de la même guerre. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) s’est prononcé à de nombreuses reprises, y compris à nouveau le mois dernier au début des tensions, pour indiquer que ces lois sont appliquées de manière intrinsèquement discriminatoire, uniquement sur la base de la nationalité ou de l’origine du propriétaire. Cela a conduit le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé depuis 1967, Michael Lynk, et le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable, Balakrishnan Rajagopa, à déclarer, dans un communiqué conjoint, que ces lois « violent les principes fondamentaux du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme »[1]. Il est cependant évident que ces appels ne conduiront nulle part : en 2020, selon Amnesty international, plus de 850 habitations et installations d’utilité quotidienne palestiniennes ont été démolies dans la seule Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est, entraînant le déplacement forcé de milliers de personnes. Il est temps de regarder la réalité en face : il existe en Israël plus de 65 lois discriminatoires envers la population palestinienne[2]. Dès 2013, Richard Falk, rapporteur spécial de l’ONU, écrivait « la situation des Palestiniens qui vivent à Jérusalem-Est ne serait pas aussi précaire si, malgré le caractère illégal de l’annexion, ils étaient traités dans des conditions d’égalité et avaient accès à une éducation de qualité, aux soins de santé et au logement. Or, ils sont considérés comme des « résidents permanents » et soumis à un processus progressif et bureaucratique de nettoyage ethnique, qui passe par la révocation des permis de résidence, la démolition des logements construits sans permis israélien (souvent presque impossible à obtenir), et l’expulsion de familles palestiniennes, au mépris du droit fondamental à un logement convenable consacré par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels »[3]. En Cisjordanie, au moins 593 postes de contrôle et barrages routiers israéliens restreignent fortement la circulation des Palestiniens et leur possibilité de jouir de leurs droits, notamment à la santé, à l’éducation et au travail. Il faut parfois des heures pour franchir quelques kilomètres. 80 % de la population est tributaire de l’aide humanitaire et 50 % des jeunes sont sans emploi, le taux de chômage le plus élevé au monde. Le droit international affirme pourtant de manière répétée qu’il faut préserver l’unité, la continuité et l’intégrité de tout le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. Toute la politique israélienne poursuivie actuellement s’y oppose. De la même manière, l’ensemble de la communauté internationale a confirmé en maintes occasions que la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza sont un territoire occupé auquel s’applique le droit international humanitaire (DIH). Mais Israël conteste le terme de « territoires occupés » et en profite pour refuser l’application du DIH et notamment de la quatrième Convention de Genève. On est donc en droit de s’interroger. À quoi cela sert-il de fustiger les attaques contre les droits de l’homme de Viktor Orban, de Recep Tayyip Erdogan ou encore contre les Ouïgours en Chine tout en restant muet sur les innombrables violations des droits de l’homme par Israël ? Pourquoi le droit à l’autodétermination des peuples ne s’applique pas en Palestine malgré le vote de plusieurs résolutions allant en ce sens à l’Assemblée générale des Nations-Unies ? Car Israël

Par Dufrêne N.

13 mai 2021

Projet de loi sur l’aide au développement : Bonnes intentions, vieilles recettes et actuelles impasses

Le projet de loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales a fait l’objet d’un rare consensus : il a été adopté le 2 mars 2021 à l’Assemblée nationale par 502 voix pour, sans aucune voix contre. Il sera débattu au Sénat le 11 mai. La structure de ce projet est conforme à celle de la plupart des programmes précédents sur l’aide publique au développement (APD). Il fixe un horizon (atteindre les fameux 0,7 % du PIB consacrés à l’aide), et trace un chemin (passer à 0,55 % du PIB soit 13,6 milliards d’euros en 2022, année où devra être adoptée une nouvelle programmation). Il réaffirme des objectifs (les Objectifs de développement durable et la mise en œuvre de l’Accord de Paris). Il indique les thématiques à traiter : climat, biodiversité, égalité hommes-femmes, crises/fragilités, droits humains, santé, éducation, sécurité alimentaire, gestion de l’eau, gouvernance, mais aussi croissance économique inclusive et durable et gouvernance démocratique. Il désigne un canal de distribution et des acteurs et outils privilégiés (l’aide bilatérale et en premier lieu les subventions de l’Agence française de développement (AFD), mais aussi les subventions transitant par les ONG, et celles consacrées à l’action extérieure des collectivités locales, les deux dernières devant avoir doublé entre 2017 et 2022. S’y ajoute un « Fonds d’innovation pour le développement » présidé par la « Prix Nobel » d’économie Esther Duflo et destiné à financer des projets innovants et la vérification « scientifique » de leur efficacité par des essais cliniques randomisés). Il fixe des règles de concentration de l’aide selon ses bénéficiaires : 18 pays africains et Haïti devront bénéficier de la moitié du total de l’aide-projet et de deux tiers des subventions de l’AFD ; la zone « Afrique et Méditerranée » devra bénéficier de 75 % des concours de l’État en prêts et subventions et 85 % de ceux de l’AFD. Il préconise enfin une méthode, le partenariat, qui consiste pour l’essentiel à s’aligner sur les priorités des gouvernements des pays aidés et à utiliser leurs circuits de dépense publique. Alors que l’austérité se profile, il est a priori difficile de ne pas saluer un projet de loi qui ferait de l’aide publique au développement la politique publique ayant connu la plus forte augmentation de moyens depuis le début du quinquennat. Mais s’agissant d’une politique déployée par nature loin des yeux des citoyens et des élus et énoncée dans des discours ultra-technocratiques, un examen critique n’est pas superflu. De fait, les contradictions du texte et les impasses où il maintient l’aide au développement s’imposent à nous. En premier lieu, exemple type de gouvernance par les nombres, la cible de 0,7 % du PIB consacré à l’aide publique au développement (APD) n’a plus aucun fondement économique. Elle a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1970 sur la base de travaux qui voyaient dans le sous-développement le résultat d’un manque d’investissements à combler par un apport de ressources extérieures publiques. Or ces travaux sont désormais dépassés et la structure des flux financiers internationaux d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle de l’époque. Cette cible est brandie par les ONG pour ses effets supposément mobilisateurs, mais on peut rappeler le caractère pousse-au-crime de tout objectif de décaissement, qui conduit à être peu regardant sur l’usage des fonds par des régimes souvent corrompus. Le caractère réellement partagé des Objectifs de développement durable et de l’Accord de Paris sur le climat est douteux, nombre de pays africains ayant démontré ces dernières années leur appétence pour les grands projets d’infrastructure, souvent surfacturés, au détriment des projets sociaux et environnementaux. La rebilatéralisation de l’aide française n’est pas à déplorer, au vu notamment de la qualité de l’aide européenne sur le terrain. Notons toutefois qu’elle est en contradiction avec l’objectif de relance du multilatéralisme rappelé dans le projet de loi. La politique annoncée d’accroissement de l’activité de prêts bilatéraux de l’AFD au secteur public (2,11 milliards d’eurosen 2022 contre 1,36 milliard d’euros en 2019) est a priori contradictoire avec les objectifs d’annulation de dette dont Emmanuel Macron s’est fait le héraut à l’international. À rebours du discours globalisant sur l’Afrique émergente, les prêts devraient cibler les États solvables de la zone « Afrique et Méditerranée », dessinée pour les besoins de la cause, et le reste du monde. L’importance des moyens consacrés au « Fonds Duflo » (15 millions d’euros, soit plus de la moitié de la dotation budgétaire de 28 millions d’euros de l’Institut Français, en charge de l’action culturelle extérieure de la France) interpelle, alors que la méthode des essais randomisés a fait l’objet de fortes critiques pour ses biais internes, la faible transposabilité de ses résultats. Il est vrai que l’idée que la pauvreté puisse être combattue par des méthodes supposées scientifiques et non politiques ne peut que séduire la Macronie. La concentration de l’aide sur l’Afrique doit être justifiée, au regard des maigres résultats qu’elle a eu depuis les indépendances. Nombre d’États qui ont été au cœur de notre coopération depuis soixante ans sont en voie d’effondrement, et le couplage d’opérations militaires avec l’aide au développement, au fondement de la politique française au Sahel, ne convainc pas : du plan Soustelle en Algérie à l’action internationale en Afghanistan, l’alliance du sabre et du chéquier s’est montrée inopérante. Cette concentration en Afrique est en outre contradictoire avec la volonté nouvelle de peser dans la zone indo-pacifique face à l’expansionnisme chinois. La liste des thématiques à traiter est tellement vaste qu’on ne peut parler de priorisation de l’aide. Les questions culturelles sont réduites à la portion congrue dans le projet, alors qu’il s’agit de l’un des derniers domaines où subsiste un vrai « désir de France ». Enfin, la recherche de partenariats avec les gouvernements des pays bénéficiaires, éminemment souhaitable a priori, peut relever du marché de dupes si l’on veut améliorer la vie de populations dont certaines kleptocraties amies se soucient fort peu : qui croira à un partenariat pour les pauvres avec messieurs Deby ou Sassou Nguesso ? Avec une fausse naïveté, le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borell avouait tout récemment : « Au Sahel,

Par Vircoulon T., Giovalucchi F.

12 mai 2021

Tout est perdu, fors l’honneur ?

Le 21 avril 2021, soit soixante ans jour pour jour après le « putsch des généraux » à Alger le 21 avril 1961, une vingtaine de généraux à la retraite ont lancé un appel au « retour de l’honneur de nos gouvernants » face aux « dangers mortels » qui menacent une France en « péril ». Même si le putsch n’est jamais évoqué dans la tribune, le choix de la date et de l’événement est lourd de sens : il s’agit à la fois d’un hommage et d’une menace. Car ceux-là même qui écrivent, et qui revendiquent le soutien de près d’un millier d’officiers, déclarent : « sachez que nous sommes disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation » et encore « si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles ». Faut-il comprendre que l’armée active devrait intervenir sur le territoire national, contre ses propres citoyens, pour la « protection de nos valeurs civilisationnelles », dont on suppose que seuls ce quarteron de généraux et ses soutiens détiendraient le droit de les définir ? Comme en 1961, nous osons croire et espérer que ces officiers ne représentent qu’une minorité égarée dans une armée républicaine et légaliste. Les mots du Général de Gaulle n’en raisonnent pas moins étrangement : « Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe d’officiers, partisans, ambitieux et fanatiques. Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir-faire limité et expéditif, mais ils ne voient et ne connaissent la nation et le monde que déformés au travers de leur frénésie ». Soixante années plus tard, force est de constater que certains officiers se projettent encore dans des fac-similés de guerre d’Algérie sous forme de « guerres civiles » fantasmées. Ce genre de séparatisme n’a pas sa place en République. Son instrumentalisation politique, qui n’a pas tardé, est une honte et une infamie mais n’est pas une surprise. L’exécutif a pourtant mis près de cinq jours à répondre, sous pression des médias, et tout en focalisant sa réaction non sur la tribune elle-même mais sur son instrumentalisation politique. Cela appelait pourtant une réponse plus ferme. Car nous ne saurions sous-estimer l’évènement : une telle tribune de hauts gradés (beaucoup ne sont d’ailleurs pas à la retraite mais en « deuxième section », ce qui est tout à fait différent), avec des menaces à peine voilées, n’a pas d’équivalent dans l’histoire récente de notre République. En effet, cette tribune, lancée à l’initiative de Jean-Pierre Fabre-Bernadac, ancien officier de gendarmerie dont le dernier livre, Les damnés de la France, est un bon résumé des obsessions identitaires et réactionnaires de son auteur, fustige ainsi « l’islamisme et les hordes de banlieue », amalgamant ainsi le terrorisme aux populations, françaises dans leur immense majorité, peuplant les cités défavorisées. Le terme de « horde » n’est pas employé au hasard : mot d’origine turco-mongole (orda) servant à désigner le campement nomade il sert donc ici à définir l’adversaire comme l’envahisseur étranger, il renvoie au passé fantasmé des invasions barbares et fait des rédacteurs de la tribune les défenseurs de la « civilisation » contre la barbarie. On ne sera d’ailleurs pas étonné de trouver en tête des signataires le général Piquemal, qui n’avait pas hésité en 2016 à prendre la parole lors d’un rassemblement « contre l’islamisation de l’Europe ». Et cela une semaine à peine après que Philippe de Villiers a lui aussi lancé un appel à l’insurrection, commodément rangé sous l’image de l’effort personnel à accomplir (notre quarteron de généraux en retraite manie-t-il lui aussi le double langage à la même manière de « l’ennemi » qu’il fustige ?). N’ont-ils pas conscience d’insulter une partie des habitants de la Nation qu’ils sont censés protéger et défendre dans son intégrité ? À l’ennemi islamiste, les auteurs ajoutent d’ailleurs ceux qui défendent « un certain antiracisme », ceux qui parlent « d’indigénisme et de théories décoloniales ». On retrouve là une référence à l’islamo-gauchisme, néologisme qui rappelle furieusement le judéo-bolchévisme de jadis. Tout ceci commence à faire beaucoup : quand Robert Ménard, maire de Béziers, débaptise la rue du 19-mars-1962, date du cessez-le-feu en Algérie, pour l’appeler rue du Commandant Denoix-de-Saint-Marc, du nom de l’un des officiers putschistes du 21 avril 1961, que doit-on en penser ? L’Algérie-Française redevient décidément une référence au fur et à mesure qu’une confusion intellectuelle s’installe dans le pays. On la sent de plus en plus présente, insistante, avec la complicité de responsables à courte vue qui préfèrent ignorer ou instrumentaliser plutôt que de condamner sans ambages. Une partie de la classe politique, y compris dans le camp progressiste, semble perdre de vue ce qui constitue les fondements intellectuels de l’humanisme républicain. Et pourtant, sans républicains, une République ne survit pas longtemps. Au lieu de perdre leur « honneur » dans des appels à la forfaiture, les signataires de la tribune devraient lire Lévi-Strauss qui écrivait que « le barbare est celui qui croit à la barbarie ».

Par Dufrêne N., Varenne D.

27 avril 2021

La suppression de l’ENA, réforme de fond ou simple ravalement de façade ?

Le 8 avril 2021, le Président Emmanuel Macron annonçait la suppression de l’École nationale d’administration (ENA), symbole de la méritocratie et de l’élitisme à la française dont de nombreux pays se sont inspirés, notamment en Afrique francophone et certains pays européens comme la Pologne. Créée en 1945, l’ENA avait pour vocation de former des cadres intermédiaires capables de transmettre et de faire appliquer les ordres venus du sommet de l’État et d’établir des rapports clairs pour les décideurs politiques. Dans un contexte de reconstruction économique après cinq années d’une guerre particulièrement meurtrière et destructrice, il était nécessaire de former des hauts fonctionnaires compétents et de grande qualité. La création d’une école d’administration était justifiée par le fait que les hauts fonctionnaires sortaient majoritairement diplômés de l’École Libre des Sciences Politiques (c’est à dire Sciences-Po) qui s’était discréditée durant l’occupation allemande. Il n’existait pas à cette époque de formation unique des hauts fonctionnaires. Chaque corps ou ministère organisait son propre concours. Le système qui avait prévalu jusqu’en 1945 était fortement critiqué, en ce qu’il était suspecté de corporatisme voire de népotisme. L’ENA a donc été cette école d’application formant des techniciens au nom de l’intérêt général. L’idée d’une école d’administration avait déjà été évoquée en 1936 par Jean Zay mais n’avait pu être mise en œuvre en raison de la Guerre. L’ENA a formé plus de 6 500 hauts fonctionnaires depuis 1945, dont quatre présidents de la République, neuf premiers ministres et quelques dirigeants de sociétés du CAC 40. Le nombre d’élèves par promotion se situe entre 80 et 100 dont plusieurs dizaines d’élèves étrangers, déjà fonctionnaires dans leur pays. Bien qu’elle ait joué un rôle essentiel jusqu’à la fin des années 1970 dans la « fabrication d’une élite administrative », capable d’inspirer les grandes décisions sur le plan économique, cette grande école du service public suscita de vives critiques dès le milieu des années 1960. Le sociologue Pierre Bourdieu évoque « les héritiers de la pensée dominante ». Jean Pierre Chevènement, lui-même diplômé de cette école, pointa également les imperfections de cette institution et la culture de l’entre-soi dans son ouvrage «L’Énarchie ou les mandarins de la société bourgeoise » paru en 1967. D’autres anciens élèves en ont depuis lors dénoncé à la fois le conservatisme, le manque de culture critique, l’obsession du classement ainsi que l’éloignement de ceux qui en sont issus de la réalité du terrain. Face à ce flot de critiques, l’ENA s’est malgré tout réformée et a tenté de se démocratiser, en réformant son concours d’accès ou ses programmes pédagogiques. Mais force est de constater que trop peu de fils d’ouvriers ou d’agriculteurs y sont présents (environ 5 % contre plus de 70 % de fils et filles de cadres et de professeurs majoritairement de la Région Ile de France et diplômés de grandes écoles parisiennes). Est-ce à dire que l’ENA est la seule école à reproduire ce modèle ? Certainement pas. D’autres grandes écoles sont autant concernées : Polytechnique, l’Ecole Normale Supérieure, HEC, l’ESSEC et Sciences-Po Paris malgré la réforme entreprise par Richard Descoing pour favoriser la « discrimination positive ». Face à cet échec dans la démocratisation de l’accès à ces formations d’excellence, la suppression de l’ENA a été évoquée à plusieurs reprises, notamment en 2007 par le candidat à l’élection présidentielle François Bayrou, ou encore par Bruno Le Maire en 2017. Avant eux, Laurent Fabius. Le mouvement des Gilets Jaunes a conduit Emmanuel Macron à franchir le pas en annonçant la suppression de l’ENA le 25 avril 2019, laquelle avait été suspendue dans l’attente d’un rapport confié à Frédéric Thiriez, conseiller d’État, dont les conclusions et les propositions n’avaient guère suscité l’enthousiasme escompté ni même convaincu le plus haut sommet de l’État. Depuis lors, la France a été durement frappée par la pandémie de la covid 19, à l’instar de la majorité des pays du monde. Des millions de français ont pu constater les défaillances des décideurs politiques dans la gestion de la crise sanitaire. De ce triste constat, sont réapparues les critiques contre l’élite politico-administrative, jugée trop technocratique, éloignée du terrain et prisonnière d’une pensée dominante. Nul ne contestera que l’ENA devait être réformée. Pour autant, sa suppression est l’arbre qui cache la forêt. Au lieu de sacrifier l’ENA, c’est plutôt le pluralisme des idées qu’il fallait réintroduire, notamment dans les sciences économiques et les sciences sociales. Le formatage des esprits commence bien avant l’ENA qui n’est qu’une école d’application. Il se poursuivra avec ou sans elle. On peut supprimer cette institution et la rebaptiser « Institut du Service Public », si la même idéologie néolibérale continue d’y être enseignée, une mesure aussi radicale sera au final totalement inutile. La suppression de l’ENA, totalement inattendue dans ce contexte de crise sanitaire, au demeurant décidée par un seul homme, le chef de l’État, dans sa sphère jupitérienne, sans aucune concertation, est un autre révélateur de l’essoufflement de la cinquième République. C’est également une ironie. Il convient de rappeler que le Président de la République a été inspecteur des finances durant 4 ans après sa sortie de l’ENA et qu’il a quitté la haute fonction publique pour être recruté à la Banque Rothschild avant de revenir pour servir l’État. Le même qui dénonce le pantouflage, l’entre-soi et une formation qui n’est plus adaptée à l’évolution de notre société a suivi le parcours complet du pantouflage et de l’intérêt individuel, loin des milliers d’énarques anonymes qui œuvrent dans les ministères ou dans les directions à maintenir le pays. Il est facile de trouver un bouc émissaire, responsable de tous nos maux, pour frapper un grand coup dans l’opinion publique. Cette mesure apparaît non seulement démagogique mais elle a également des relents de populisme, dans le cadre d’une stratégie politicienne visant à retrouver la confiance des français, alors que le divorce d’avec le peuple est largement consommé. La suppression de l’ENA annoncée le 8 avril 2021 ne sera pas le grand soir tant attendu. Bien au contraire ! Elle laissera plus de place aux arrangements privés au sommet de l’État, plus de place à la collusion et aux

Par Pallet F.

16 avril 2021

Le cas Danone nous ramène à l’hyper-réalité financière

Danone, leader mondial des produits laitiers frais, a récemment évincé son PDG Emmanuel Faber, quatre ans après sa nomination en tant que PDG, sous fond de dissensions managériales, actionnariales et stratégiques. Ce qui « fascine » les commentateurs sur ce cas, c’est que cette entreprise est la première entreprise du CAC40 à adopter le statut de société à mission, dont l’objectif de création de valeur n’est plus seulement financier mais également environnemental et social. L’histoire retiendra que les tensions au sein de la gouvernance de Danone ont commencé dès lors que Danone a adopté ce statut le 26 juin 2020, soutenu par ses actionnaires qui ont pourtant voté cette résolution à hauteur de 99,4 % des voix. Ce jour-là, Emmanuel Faber affirmait : « vous venez de déboulonner une statue de Milton Friedman… La décision que vous venez de prendre fera jurisprudence ». Huit mois plus tard, la statue de Milton Friedman n’a pas vraiment vacillé. Depuis juin 2020, l’entreprise a dû faire face à des vagues de départ au sein de son comité exécutif en septembre et octobre 2020, puis à une demande de refonte de la gouvernance de la part de Bluebell Capital Partners en novembre 2020 (au moment où le plan stratégique « Local First » était annoncé) suivi par Artisan Partners en février 2021. Ces deux fonds activistes, pourtant minoritaires dans la structure actionnariale du groupe, ont profité d’une croissance faible de l’action Danone en 2020 pour entrer au capital et faire exploser la gouvernance de l’entreprise et son projet d’obtenir le label de bonne gouvernance environnementale et sociale B Corp au passage. Le jour de l’annonce de son éviction, l’action Danone a bondi de 4 % à la bourse de Paris et Bluebell Capital Partners réagissait le soir-même pour se féliciter que toutes ses demandes aient été acceptées, et « qu’une trajectoire de croissance profitable puisse être retrouvée chez Danone, tout en conservant la durabilité comme priorité ». La dernière phrase est particulièrement intéressante à analyser et en dit long sur la volonté réelle des fonds activistes à l’origine de ce départ. Croître de manière infinie d’un point de vue économique et financier est-il compatible avec un projet de soutenabilité, qui par définition, implique des ressources finies ? L’image du greenwashing ressurgit et pose la question également du poids des actionnaires dans les décisions stratégiques. Le mythe de Jensen (c’est par la maximisation de la valeur de l’action que le bien-être collectif est produit à long terme) reste donc bien le paradigme en vigueur. Comment une entreprise qui vote à l’unanimité l’inscription du projet social dans ses statuts peut-elle faire exploser sa gouvernance en plein vol ? Au sein des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), soi-disant cher aux investisseurs, le G de Gouvernance reste donc bien la lettre la plus importante. Rien ne peut se faire sans une gouvernance solide et participative. Toutes les meilleures envies du monde en termes de soutenabilité se délitent si la gouvernance, l’entreprise dans son ensemble ainsi que ses parties prenantes n’adhèrent pas au projet. Vouloir faire de Danone une société à mission est une fantastique idée, mais il s’agit en premier lieu de constituer une gouvernance qui défendra becs et ongles ce projet, prête à subir les vagues dans la tempête, indépendante et solidaire face aux attaques des actionnaires requins. Un projet de cette ampleur ne peut se réaliser si la gouvernance n’intègre pas des administrateurs qui vivent le projet ensemble, impliquant donc l’identification d’investisseurs stimulés par le projet. Le financier doit financer, le gouvernant doit gouverner, et le dirigeant diriger. Avant d’atteindre le sommet, les fondations doivent être bien ancrées dans le sol… Avant de penser la gouvernance, il s’agit également de penser la structure actionnariale et de faire en sorte qu’elle s’imbrique pleinement dans le projet. En regardant de plus près la structure actionnariale de Danone (dernière publication de décembre 2019), on s’aperçoit que les noyaux durs d’actionnaire sont MFS, Blackrock, Amundi ou encore la Norges Bank (entre autres). Tous s’affichent très haut comme des actionnaires profondément engagés dans les enjeux de durabilité, avec une volonté de changer le monde et favoriser la reconstruction écologique et sociale… Mais l’hyper-réalité financière nous rappelle que Blackrock, en 2020, a seulement soutenu trois résolutions de lutte contre le réchauffement climatique sur 36 lors d’AG d’entreprises américaines cotées, a voté contre la résolution d’actionnaires (qui demandait à l’entreprise d’aligner « ses activités avec l’accord de Paris ») soumise à l’Assemblée générale de Total (dont Blackrock est actionnaire à hauteur de 6,3 %), et a financé pour 87 milliards d’investissement dans les énergies fossiles en 2019… Où sont donc les actionnaires soi-disant « durables » dans l’affaire Danone ? Pour rappel, Blackrock, dans sa communication, se définit comme un gérant d’actifs qui veut « faire de l’investissement durable sa norme en manière d’investissement » … Un investisseur durable doit absolument comprendre l’enjeu qui réside dans la dichotomie parfaite entre communication et réalité. Son rôle sera de sortir des scoring ESG classiques, fournis sur la base des communications des entreprises et des reporting intégrés basés sur la matérialité financière et les normes IFRS acculturée « cash flows », pour pratiquer un engagement actionnarial de tous les instants. Si les fonds requins attaquent les entreprises fragilisées pour en tirer tout ce qu’ils peuvent en un temps très court, les actionnaires « durables » doivent donc faire contrepoids et s’engager manu militari. Pour ceci, ils doivent clairement identifier les bonnes entreprises, dont la gouvernance est saine, en prenant le temps de comprendre la vision stratégique, le projet, l’impact sociétal, puis en poussant l’ensemble des parties prenantes dans le même objectif. Danone est la mieux notée de toutes les entreprises du CAC40 d’un point de vue ESG par l’ensemble des agences de notation, pourtant le mal semblait profond, que ce soit au sein de la gouvernance mais également de la structure actionnariale. L’analyse approfondie des stratégies de gouvernance et d’actionnariat permettrait également de comprendre, à titre d’exemple, qu’une société comme Lafarge, ayant la meilleure notation ESG selon Sustainalytics dans son industrie, n’est autre qu’une entreprise poursuivie pour financement du terrorisme et

Par Revelli C.

24 mars 2021

Des mesures mais pas de changement de cap

Notre pays a connu le 29 janvier dernier l’un de ces épisodes de communication dont le gouvernement Macron est friand, avec la tenue d’un Comité interministériel des Villes (CIV) « délocalisé » dans la commune de Grigny. Au-delà des images, quel message, quelles annonces, quelles mesures ? Percutés de plein fouet par les conséquences économiques et sociales de la Covid qui les ont forcés à se substituer à un État défaillant, 200 maires de villes populaires s’insurgent courant novembre, dans un appel trans-partisan face à l’absence de tous moyens les concernant dans le plan de relance de 100 milliards d’euros annoncé en grandes pompes. Rien sur les aides alimentaires mises en place, le coût financier induit par l’explosion des demandes d’aide d’urgence, les recettes amputées, les dépenses en forte augmentation avec l’achat des matériels de protection et la mobilisation des agents ; rien sur les programmes d’accompagnement éducatifs, culturels et sportifs au sortir du premier confinement. En somme, ni les populations en grande précarité (cf les rapports du Secours populaire, d’Oxfam ou plus récemment de la fondation Abbé Pierre), ni les collectivités en première ligne de la réponse sociale, n’émargent à ce plan de relance. À l’inverse des grandes entreprises, qui captent à elles seules 37 milliards d’euros de ce plan, alors que certaines ont poursuivi ou entamé leurs plans sociaux ou continué de verser des dividendes à leurs actionnaires. Les élus locaux sont vent debout et exigent, mesure plus symbolique que comptable, l’attribution d’un pourcent, donc d’un milliard d’euros du plan de relance. Des amendements sont votés en ce sens au Sénat, provenant tant des bancs des groupes LR, communistes, socialistes ou écologistes. Auxquels s’adjoignent ceux des députés du groupe France Insoumise lorsque le débat arrive à l’Assemblée. Las, rien n’y fait. Tous les amendements sont rejetés en bloc. Fin du premier acte… Mais pas de la pièce. Le gouvernement n’a pas voulu reconnaître publiquement le « trou dans la raquette » de son plan de relance mais rapports après rapports, tout converge vers l’exécutif pour attester de l’aggravation majeure de la situation sociale des habitants des quartiers, villes et campagnes populaires. Alors que ce sont ces mêmes catégories de population qui ont porté l’essentiel de l’effort du pays depuis le début de la crise (65 % de travail « présentiel » pour les emplois de bas d’échelle contre à peine 25 % chez les cadres) et qui ont payé le prix sanitaire de cet engagement (À l’exemple de la Seine-Saint-Denis, département en tête des décès dus à l’épidémie). Le risque politique de voir une jonction s’opérer entre ces franges de la population et leurs édiles locaux, toutes tendances confondues, n’est pas pris à la légère. Alors, les négociations s’engagent avec les associations d’élus, tout particulièrement avec ceux de « Villes et Banlieues » qui ont participé à l’aventure Borloo. De ces échanges va naître l’idée d’un CIV dédié et, forte de son statut de « ville la plus pauvre de France » et de l’engagement de son Maire, c’est Grigny qui en sera le décor. Plusieurs réunions de préparation, avec les maires et les services des ministères vont se succéder durant le mois de janvier afin de préciser les contenus et de caler la réponse gouvernementale à hauteur des « légitimes attentes » des quartiers populaires. Les mesures présentées à Grigny ce 29 janvier visent donc essentiellement à couper l’herbe sous le pied d’une contestation en forme de « jacquerie » potentielle. Et bien sûr, contrebalancer les mesures sécuritaires inscrites dans la loi Sécurité globale, ou identitaires de la loi contre les séparatismes. Ce « je vous ai entendu » nuancé d’un « même si nous faisons déjà beaucoup » a donc pour objet de redonner un semblant d’équilibre à la politique gouvernementale en musclant sa « jambe gauche ». Du coup, l’exercice de communication se déploie. Les maires demandent 1 milliard d’euros ? Jean Castex en annonce 1,1. Et plus encore, 3,3 de budget global. Et 2 milliards d’euros supplémentaires pour le NPNRU (nouveau programme de rénovation urbaine. Et 1,4 milliard d’euros pour le logement social. Et 15 millions d’euros pour les hôpitaux. Et 35 millions d’euros pour le sport. Et 6 millions d’euros pour la prévention spécialisée. Et 10 millions d’euros pour la vidéo-protection… Et 60 centres de santé supplémentaires ; 46 cités éducatives en 2021, 200 en 2022 ; 60 cités de l’emploi ; 50 internats d’excellence… Et 200 000 formations supplémentaires ; 10 000 places de crèche ; 6000 nouveaux contrats aidés ; 900 agents administratifs dans les tribunaux ; 300 éducateurs et 300 médiateurs ; 500 conseillers pôle emploi… Des moyens financiers, des embauches, des services publics renforcés pour la sécurité, la justice, le sport. Les arts et la culture sont les grands oubliés de la liste des annonces. Les « malveillants » y verront sans doute une sanction face aux dernières mobilisations. Ou tout simplement un oubli ? Alors, au final ce « plan Castex » est-il une avancée majeure pour les villes et quartiers populaires, comme pourrait le laisser à penser une lecture linéaire des mesures annoncées ? Pour les villes directement concernées ou du moins les plus « visibles dans les radars », ces annonces contiennent des avancées. Grigny par exemple va y gagner, vieille revendication mainte fois portée, 7 millions d’euros des travaux d’urgence indispensables à ce que la copropriété dégradée ne sombre pas. Sur le plan de l’insertion et de l’emploi, un objectif de doublement du nombre de jeunes bénéficiant de la garantie Jeune (497€/mois), des crédits pour renforcer les équipes d’accompagnement. Et puis on sort enfin des suppressions successives des postes « aidés » d’animateurs sportifs, de médiateurs, d’éducateurs, de personnels de soutien scolaire. Ces coupes successives entamées sous le précédent quinquennat, poursuivies depuis, et qui ont justement mis à genoux le volet accompagnement social des collectivités. Enfin, certains concepts comme les cités éducatives et leur extension avec les cités de l’emploi méritent qu’on s’y intéresse. Dès lors qu’ils permettent de mieux coordonner les acteurs sur les territoires, de mobiliser des moyens supplémentaires, et de manière plus efficace. Et pas d’enterrer les zones et réseaux d’Éducation prioritaires, comme le craignent les enseignants. Malgré ces critiques légitimes, ces dispositifs marquent justement ce qui manque cruellement à

Par Troadec P.

19 février 2021

Derrière la Covid-19, l’état d’urgence écologique

Depuis plusieurs mois, la crise sanitaire liée à la Covid-19 nous contraint dans nos vies à un état d’alerte permanent. Cette crise sanitaire n’est pas sans lien avec le dérèglement écologique et des événements similaires risquent à l’avenir de se multiplier du fait de l’activité humaine[1]: déforestation irrépressible, fonte du permafrost, migration des parasites, accélération des échanges commerciaux et humains etc. Récemment, un rapport[2] du groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), alertait sur les risques de pandémie plus fréquentes et plus meurtrières si une transformation radicale de notre économie n’advient pas rapidement. En cause, la destruction de la biodiversité par l’homme qui ouvre la voie à d’immenses pandémies par des contacts plus fréquents et plus directs : il existerait 1,7 million de virus inconnus chez les mammifères et les oiseaux, et 540.000 à 850.000 d’entre eux « auraient la capacité d’infecter les humains » – selon l’estimation de la revue Science 2018 citée dans le rapport. Ces mêmes spécialistes appellent à des changements profonds pour prévenir les pandémies et ne plus seulement les guérir, en réduisant l’empreinte de l’activité humaine sur la nature. Ces recommandations rejoignent celles de la lutte contre le changement climatique. Or, nous suivons aujourd’hui et toujours l’une des pires trajectoires des scénarios du groupe international d’experts pour le climat (GIEC), celle d’un réchauffement d’une telle ampleur et d’une telle rapidité qu’il met en danger la survie d’une bonne partie de l’humanité. Cependant, tout est fait pour ne pas lier la pandémie au changement climatique, comme si l’urgence de sauver des vies nous empêchait de traiter l’urgence écologique. C’est pourtant elle qui prépare les crises de demain. Il nous faut aujourd’hui apprendre à faire face sur la durée aux risques de pandémies comme aux conséquences, inéluctables, du changement climatique en préparant notre résilience. Si l’on prend le risque de l’immobilisme, les coûts de gestion des catastrophes à venir atteindront des proportions inégalées. Les experts de l’IPBES affirment d’ailleurs qu’investir aujourd’hui pour éviter ces crises coûtera 100 fois moins cher que de les réparer, pointant le coût déjà annoncé de la Covid-19 entre 8.000 à 16.000 milliards de dollars à l’échelle mondiale, soit plus de 19% du PIB mondial. Il est donc essentiel aujourd’hui de lier préservation de la biodiversité et du climat, pandémies et crises économiques. A cet égard, l’IPBES formule plusieurs recommandations au plan international et notamment celle de lancer une concertation intergouvernementale sur la prévention des pandémies afin de mutualiser les connaissances scientifiques sur les risques à venir et les efforts communs d’action et de recherche à mener, tout en fixant des objectifs ambitieux de préservation du vivant et pour pallier les risques pandémiques dans tout nouveau projet de développement et d’aménagement territorial[3]. Il est vrai que cette dimension multilatérale manque jusqu’ici tant les pays ont géré isolément la pandémie. Mais les recommandations de l’IPBES sont nombreuses à pouvoir déjà prendre forme au niveau national et l’organisation recommande notamment d’incorporer le coût et le risque de potentielles pandémies dans chaque futur budget[4], de sorte que l’anticipation de tels coûts à venir oblige à mettre en place les moyens d’éviter ces catastrophes. Pour s’inscrire dans ces recommandations, obliger les entreprises à s’inscrire dans une trajectoire responsable est essentiel. A cet égard, le plan de relance et les futurs budgets sont des leviers utiles, à condition de porter des enjeux de transformation. Or, pour traiter l’urgence, l’argent public du récent plan de relance est aujourd’hui versé sans aucune contrepartie réelle de transformations. Comme le rappelle la note de l’Institut, il eut été nécessaire d’exclure les grandes entreprises qui, sans conditionnalité de l’aide, peuvent se financer seules afin de dégager des crédits pouvant être redéployés ailleurs. Par ailleurs, mettre en place des éco-conditionnalités climat est nécessaire pour que toute aide à une grande entreprise soumise au reporting extra-financier puisse être assortie de véritables éco-conditionnalités. C’est là le seul moyen pour que les entreprises aidées réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre. Concernant les secteurs pourtant fortement émetteurs, peu est fait pour les inscrire dans une trajectoire de transformation contrainte. Le cas le plus emblématique de ces pièges abscons est celui de la croissance de l’aviation dans son état actuel. Dès maintenant, obligeons les investissements vers les mobilités propres et excluons définitivement les fausses solutions telles que les biocarburants de premières générations dont les impacts environnementaux sont désastreux. Multiplions les investissements dans les domaines porteurs tels que le ferroviaire pour reconstruire un réseau dense et lancer une nouvelle génération de trains, fortement porteur d’emplois. De la même manière, dans l’automobile, nous devons opérer dès maintenant un net virage vers les mobilités propres en fixant des objectifs plus ambitieux pour l’industrie automobile[5] et en accompagnant plus fortement les conversions à travers des bouquets d’aides[6] significatives pour éviter les actuels restes à charge désincitatifs pour les ménages les plus modestes. Il n’est pas concevable aujourd’hui de verser autant d’aides aux entreprises sans contreparties sérieuses. Il est primordial d’organiser la résilience de notre pays en mettant en place une véritable politique ambitieuse et volontaire de relocalisation verte de la production en France et en Europe pour l’extraire d’une chaîne de dépendance internationale extrêmement variable. À cet égard, inspirons-nous du Japon qui réorganise ses chaînes d’approvisionnement en incitant ses industriels à relocaliser leur production, en multipliant les recherches sur les matériaux de substitution locaux. Soutenons prioritairement notre tissu de petites et moyennes entreprises à la forte emprise territoriale et non délocalisables. La baisse récemment actée des impôts de productions de 20 milliards d’euros du plan de relance, consistant en une baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sur deux ans, manque d’ailleurs sa cible puisqu’elle profitera avant tout aux grandes entreprises. En effet, plus de la moitié des entreprises ne contribuent qu’à la cotisation minimum. Cette mesure ne rapportera donc que très peu aux PME et rien aux TPE. Il eût été nécessaire d’exclure de cette baisse les très grandes entreprises

Par Jeanson G.

3 décembre 2020

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