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Henriot est-il en train de ressusciter ? Les mots de l’extrême-droite

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      Henriot est-il en train de ressusciter ? Les mots de l’extrême-droite

      En mai 1944, Philippe Henriot, la principale voix de la collaboration avec les nazis à Radio-Paris, s’en prenait une nouvelle fois à Pierre Dac, grand humoriste qui œuvrait à Londres aux côtés de De Gaulle et prêtait sa voix à la résistance, dans l’émission de la BBC « Les Français parlent aux Français ». Le discours de Henriot, profondément ancré dans l’idéologie des ligues d’extrême-droite, connaît quelques échos étranges aujourd’hui. Comme nous le verrons, l’on rêve que la réponse à ces échos soit de la même trempe que celle que donna Dac lui-même en son temps.

      Pierre Dac étant d’origine juive, Henriot rappelle dans son interpellation de ce dernier que son nom de naissance est André Isaac et qu’il est le fils de Salomon et de Berthe Kahn. Il ajoute « Qu’est-ce qu’Isaac, fils de Salomon, peut bien connaître de la France ? La France, qu’est-ce que ça peut bien signifier pour lui ? » Nous croirions entendre M. Zemmour : « Au bout de trois générations, je trouve ça triste qu’un enfant s’appelle Mohammed. »

      Henriot continue à propos de Pierre Dac : « Il est incapable de travailler à la grandeur d’un pays qui n’était pour lui qu’un séjour passager, une provisoire terre promise à exploiter ». Les Français d’origine juive, peu importe d’ailleurs qu’ils soient présents sur le sol national depuis plusieurs générations, ne pouvaient être là qu’à titre transitoire pour exploiter la France et priver ainsi les Français de leurs bons droits. Là encore, un écho curieux émane du dernier livre de M. Zemmour quand il dénonce « les agences Western union, qui transfèrent le produit des allocations sociales françaises ou des divers trafics vers les familles restées au bled »[1].

      Henriot dévoile ensuite la vraie mission de l’humoriste Dac : « Il entreprit alors de jouer son rôle dans la démoralisation de ces goïms pour lesquels les siens ont toujours eu tant de mépris ». Même dessein caché des musulmans pour M. Zemmour : « L’universalisme islamique qui tire profit très habilement de notre religion des droits de l’homme pour protéger son action de colonisation et d’occupation de portions du territoire français ».

      Pour accomplir cette subversion, il fallait à Pierre Dac des qualités que lui prête généreusement Henriot : « une sorte d’esprit desséchant et ricaneur, une perpétuelle aspersion d’ironie sur tout ce qu’on avait l’habitude de respecter, une sottise corrosive à force d’être poussée à l’extrême lui firent une clientèle ». On croirait presque lire la description de l’acteur Omar Sy par M. Zemmour, qui prête également à l’acteur le soin de détruire l’esprit français par une nouvelle idéologie de l’anti-racisme et du militantisme confessionnel : « Son corps musclé et félin, son sourire béat, son regard vide, son goût pour la tchatche acquis au cours de sa jeunesse à Trappes, son anti-racisme arrogant, son militantisme confessionnel, son exil à Los Angeles avec les trois premiers sous gagnés grâce au cinéma français tout en faisait l’incarnation de “l’homme nouveau” que le film [Intouchables] glorifiait. »

      Jeté en pâture par l’Etat collaborationniste de Vichy et ses porte-paroles à la vindicte populaire, Dac répondit dès le lendemain à Henriot[2]. Dac lui demande d’abord avec humour de s’expliquer sur sa relation à l’Allemagne : « C’est entendu, monsieur Henriot, en vertu de votre théorie raciale et national-socialiste, je ne suis pas français. À défaut de croix gammée et de francisque, j’ai corrompu l’esprit de la France avec L’Os à moelle. Je me suis, par la suite, vendu aux Anglais, aux Américains et aux Soviets. Et pendant que j’y étais, et par-dessus le marché, je me suis également vendu aux Chinois. C’est absolument d’accord. Il n’empêche que tout ça ne résout pas la question : la question des Allemands ».

      Il enchaîne sur ses origines alsaciennes et le lourd tribut qu’a payé sa famille à la France depuis plusieurs générations : « Un dernier détail : puisque vous avez si complaisamment cité les prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous signaler que vous en avez oublié un, celui de mon frère. Je vais vous dire où vous pourrez le trouver ; si, d’aventure, vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux ; tournez à gauche dans l’allée et, à la 6e rangée, arrêtez-vous devant la 8e ou la 10e tombe. C’est là que reposent les restes de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C’était mon frère. Sur la simple pierre, sous ses nom, prénom et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription : « Mort pour la France, à l’âge de 28 ans ». Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. » Combien de familles musulmanes ou simplement originaires de l’autre rive de la Méditerranée pourraient aujourd’hui dire la même chose ? Il y en eut des centaines de milliers, à qui l’État français n’a longtemps pas cru devoir verser la même solde qu’aux anciens combattants de métropole.

      Dac termine par une prophétie, après avoir parlé de la sépulture de son frère : « Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription qui sera ainsi libellée :

      PHILIPPE HENRIOT
      Mort pour Hitler,
      Fusillé par les Français…

      Bonne nuit, Monsieur Henriot. Et dormez bien, si vous le pouvez encore. »

      Un mois plus tard, le 28 juin 1944, le vœu de Dac se réalisait : Henriot tombait sous les balles d’un groupe de résistants dirigé par Charles Gonard, futur compagnon de la Libération, infiltré au 10 rue de Solferino, siège de la propagande collaborationniste. Ses obsèques nationales sont l’occasion pour le régime de Vichy, et pour Pétain, de célébrer l’un de ses serviteurs les plus zélés. Ce même Pétain dont Éric Zemmour affirmait en 2014 : « Pétain a sauvé les Juifs français ! » Ce même Pétain dont Éric Zemmour nous affirme qu’il aurait contribué autant que De Gaulle, avec une stratégie différente, au maintien de la France à travers la théorie du glaive et du bouclier, théorie qui entre en parfaite contradiction avec le réel, comme l’ont montré depuis de nombreux historiens dont Robert Paxton[3]. Mais M. Zemmour obtient en revanche le soutien des individus de la pensée suprématiste comme Daniel Conversano qui déclare : « On a Zemmour qui assume l’héritage de Pétain, déjeune avec la fille de Ribbentrop [ministre des affaires étrangères du IIIReich, pendu à Nuremberg – ndlr], c’est un vent de liberté. »

      En effet, M. Zemmour a son échelle de mesure du danger qui lui est propre : « Dans les années 30, les auteurs les plus lucides qui dénonçaient le danger allemand, comparaient le nazisme à l’islam (…) et disaient “le nazisme est un peu raide, un peu intolérant, mais de là à le comparer à l’islam”. » Dans les années 2020, nous pourrions dire que le discours de M. Henriot était certes un peu raide, et un peu intolérant, au point de le comparer à celui de M. Zemmour ?

      [1] On retrouve notamment de nombreuses citations de M. Zemmour, à différentes époques, dans l’excellent article de Lucie Delaporte pour Mediapart. Disponible ici : https://www.mediapart.fr/journal/france/180921/zemmour-ses-mots-sa-haine

      [2] La réponse est enregistrée ici en partie. https://vimeo.com/212223542

      [3] Robert Paxton, La France de Vichy, 1972.

      Publié le 5 novembre 2021

      Henriot est-il en train de ressusciter ? Les mots de l’extrême-droite

      Auteurs

      Nicolas Dufrêne
      Nicolas Dufrêne est haut fonctionnaire à l'Assemblée nationale depuis 2012, économiste et directeur de l'Institut Rousseau depuis mars 2020. Il est co-auteur du livre "Une monnaie écologique" avec Alain Grandjean, paru aux éditions Odile Jacob en 2020 et auteur du livre "La dette au XXIe siècle, comment s'en libérer" (éditions Odile Jacob, 2023). Il est spécialiste des questions institutionnelles, monétaires et des outils de financement public. nicolas.dufrene@institut-rousseau.fr

      En mai 1944, Philippe Henriot, la principale voix de la collaboration avec les nazis à Radio-Paris, s’en prenait une nouvelle fois à Pierre Dac, grand humoriste qui œuvrait à Londres aux côtés de De Gaulle et prêtait sa voix à la résistance, dans l’émission de la BBC « Les Français parlent aux Français ». Le discours de Henriot, profondément ancré dans l’idéologie des ligues d’extrême-droite, connaît quelques échos étranges aujourd’hui. Comme nous le verrons, l’on rêve que la réponse à ces échos soit de la même trempe que celle que donna Dac lui-même en son temps.

      Pierre Dac étant d’origine juive, Henriot rappelle dans son interpellation de ce dernier que son nom de naissance est André Isaac et qu’il est le fils de Salomon et de Berthe Kahn. Il ajoute « Qu’est-ce qu’Isaac, fils de Salomon, peut bien connaître de la France ? La France, qu’est-ce que ça peut bien signifier pour lui ? » Nous croirions entendre M. Zemmour : « Au bout de trois générations, je trouve ça triste qu’un enfant s’appelle Mohammed. »

      Henriot continue à propos de Pierre Dac : « Il est incapable de travailler à la grandeur d’un pays qui n’était pour lui qu’un séjour passager, une provisoire terre promise à exploiter ». Les Français d’origine juive, peu importe d’ailleurs qu’ils soient présents sur le sol national depuis plusieurs générations, ne pouvaient être là qu’à titre transitoire pour exploiter la France et priver ainsi les Français de leurs bons droits. Là encore, un écho curieux émane du dernier livre de M. Zemmour quand il dénonce « les agences Western union, qui transfèrent le produit des allocations sociales françaises ou des divers trafics vers les familles restées au bled »[1].

      Henriot dévoile ensuite la vraie mission de l’humoriste Dac : « Il entreprit alors de jouer son rôle dans la démoralisation de ces goïms pour lesquels les siens ont toujours eu tant de mépris ». Même dessein caché des musulmans pour M. Zemmour : « L’universalisme islamique qui tire profit très habilement de notre religion des droits de l’homme pour protéger son action de colonisation et d’occupation de portions du territoire français ».

      Pour accomplir cette subversion, il fallait à Pierre Dac des qualités que lui prête généreusement Henriot : « une sorte d’esprit desséchant et ricaneur, une perpétuelle aspersion d’ironie sur tout ce qu’on avait l’habitude de respecter, une sottise corrosive à force d’être poussée à l’extrême lui firent une clientèle ». On croirait presque lire la description de l’acteur Omar Sy par M. Zemmour, qui prête également à l’acteur le soin de détruire l’esprit français par une nouvelle idéologie de l’anti-racisme et du militantisme confessionnel : « Son corps musclé et félin, son sourire béat, son regard vide, son goût pour la tchatche acquis au cours de sa jeunesse à Trappes, son anti-racisme arrogant, son militantisme confessionnel, son exil à Los Angeles avec les trois premiers sous gagnés grâce au cinéma français tout en faisait l’incarnation de “l’homme nouveau” que le film [Intouchables] glorifiait. »

      Jeté en pâture par l’Etat collaborationniste de Vichy et ses porte-paroles à la vindicte populaire, Dac répondit dès le lendemain à Henriot[2]. Dac lui demande d’abord avec humour de s’expliquer sur sa relation à l’Allemagne : « C’est entendu, monsieur Henriot, en vertu de votre théorie raciale et national-socialiste, je ne suis pas français. À défaut de croix gammée et de francisque, j’ai corrompu l’esprit de la France avec L’Os à moelle. Je me suis, par la suite, vendu aux Anglais, aux Américains et aux Soviets. Et pendant que j’y étais, et par-dessus le marché, je me suis également vendu aux Chinois. C’est absolument d’accord. Il n’empêche que tout ça ne résout pas la question : la question des Allemands ».

      Il enchaîne sur ses origines alsaciennes et le lourd tribut qu’a payé sa famille à la France depuis plusieurs générations : « Un dernier détail : puisque vous avez si complaisamment cité les prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous signaler que vous en avez oublié un, celui de mon frère. Je vais vous dire où vous pourrez le trouver ; si, d’aventure, vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux ; tournez à gauche dans l’allée et, à la 6e rangée, arrêtez-vous devant la 8e ou la 10e tombe. C’est là que reposent les restes de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C’était mon frère. Sur la simple pierre, sous ses nom, prénom et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription : « Mort pour la France, à l’âge de 28 ans ». Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. » Combien de familles musulmanes ou simplement originaires de l’autre rive de la Méditerranée pourraient aujourd’hui dire la même chose ? Il y en eut des centaines de milliers, à qui l’État français n’a longtemps pas cru devoir verser la même solde qu’aux anciens combattants de métropole.

      Dac termine par une prophétie, après avoir parlé de la sépulture de son frère : « Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription qui sera ainsi libellée :

      PHILIPPE HENRIOT
      Mort pour Hitler,
      Fusillé par les Français…

      Bonne nuit, Monsieur Henriot. Et dormez bien, si vous le pouvez encore. »

      Un mois plus tard, le 28 juin 1944, le vœu de Dac se réalisait : Henriot tombait sous les balles d’un groupe de résistants dirigé par Charles Gonard, futur compagnon de la Libération, infiltré au 10 rue de Solferino, siège de la propagande collaborationniste. Ses obsèques nationales sont l’occasion pour le régime de Vichy, et pour Pétain, de célébrer l’un de ses serviteurs les plus zélés. Ce même Pétain dont Éric Zemmour affirmait en 2014 : « Pétain a sauvé les Juifs français ! » Ce même Pétain dont Éric Zemmour nous affirme qu’il aurait contribué autant que De Gaulle, avec une stratégie différente, au maintien de la France à travers la théorie du glaive et du bouclier, théorie qui entre en parfaite contradiction avec le réel, comme l’ont montré depuis de nombreux historiens dont Robert Paxton[3]. Mais M. Zemmour obtient en revanche le soutien des individus de la pensée suprématiste comme Daniel Conversano qui déclare : « On a Zemmour qui assume l’héritage de Pétain, déjeune avec la fille de Ribbentrop [ministre des affaires étrangères du IIIReich, pendu à Nuremberg – ndlr], c’est un vent de liberté. »

      En effet, M. Zemmour a son échelle de mesure du danger qui lui est propre : « Dans les années 30, les auteurs les plus lucides qui dénonçaient le danger allemand, comparaient le nazisme à l’islam (…) et disaient “le nazisme est un peu raide, un peu intolérant, mais de là à le comparer à l’islam”. » Dans les années 2020, nous pourrions dire que le discours de M. Henriot était certes un peu raide, et un peu intolérant, au point de le comparer à celui de M. Zemmour ?

      [1] On retrouve notamment de nombreuses citations de M. Zemmour, à différentes époques, dans l’excellent article de Lucie Delaporte pour Mediapart. Disponible ici : https://www.mediapart.fr/journal/france/180921/zemmour-ses-mots-sa-haine

      [2] La réponse est enregistrée ici en partie. https://vimeo.com/212223542

      [3] Robert Paxton, La France de Vichy, 1972.

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