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Les silences coupables de la France et de l’Europe face à la situation au Proche-Orient

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      Les silences coupables de la France et de l’Europe face à la situation au Proche-Orient

      Le conflit israélo-palestinien est loin d’être terminé. Il n’a jamais été résolu même si tout est fait en France et en Europe pour se voiler la face et détourner les yeux de ce conflit qui nous renvoie à nos propres démons. Depuis l’échec de la dernière tentative de médiation américaine, menée en 2014 par l’ancien secrétaire d’État démocrate John Kerry, les Palestiniens sont pourtant en train de perdre les rares leviers de pression et de solidarité dont ils disposaient encore : le consensus international sur la solution à deux États a été affaibli par les positions de Donald Trump et la solidarité des États arabes, notamment de la part des pétromonarchies du Golfe qui refusaient toute normalisation avec Israël sans résolution préalable du conflit au Proche-Orient, a également pris du plomb dans l’aile depuis la signature d’accords entre Bahreïn, les Émirats-arabes unis et Israël (sans compter une autre monarchie arabe : le Maroc).

      Parallèlement, depuis dix ans, la politique israélienne est marquée par une offensive anti-libérale sans précédent de la droite nationaliste et religieuse, ce qui a conduit à l’aggravation du problème des colonies et à une dégradation des droits civils et politiques des Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Gaza, mais aussi en Israël. La nouvelle explosion de violence que connaît la région depuis plusieurs semaines s’explique ainsi directement par cette politique d’intensité croissante de déplacement forcé des Palestiniens vivant dans certaines parties de la Palestine, à commencer par Jérusalem-Est.

      Pour l’extrême-droite ultrareligieuse et nationaliste qui a pris le pouvoir en Israël, la position de l’ONU, à savoir « l’établissement de deux États vivant côte à côte en paix et en sécurité dans des frontières sûres et reconnues sur la base des lignes de 1967 et ayant l’un et l’autre Jérusalem pour capitale » est en effet inacceptable : Jérusalem doit être la capitale indiscutée de l’État « juif » qu’ils entendent bâtir. Que Jérusalem soit une triple ville sainte (pour les juifs, mais aussi pour les musulmans et les chrétiens) ne leur convient pas davantage que l’établissement éventuel d’un régime international sur les lieux saints de Jérusalem. Le Gouvernement israélien organise donc le déplacement de force de centaines de Palestiniens, en démolissant des logements, en rendant impossible l’accès aux documents de propriété et en prenant d’autres mesures coercitives. Un point est crucial dans cette politique : le déséquilibre flagrant entre les citoyens juifs, qui bénéficient d’un droit de propriété reconnu, et les Palestiniens, qui sont exclus de ce droit.

      Il existe en effet deux lois israéliennes, celle sur la propriété des absents de 1950 et celle portant sur les questions juridiques et administratives de 1970, qui interdisent aux Palestiniens de récupérer leurs propriétés perdues lors de la guerre de 1948, tandis que la loi de 1970 permet aux Juifs israéliens de revendiquer à nouveau les propriétés perdues au cours de la même guerre. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) s’est prononcé à de nombreuses reprises, y compris à nouveau le mois dernier au début des tensions, pour indiquer que ces lois sont appliquées de manière intrinsèquement discriminatoire, uniquement sur la base de la nationalité ou de l’origine du propriétaire. Cela a conduit le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé depuis 1967, Michael Lynk, et le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable, Balakrishnan Rajagopa, à déclarer, dans un communiqué conjoint, que ces lois « violent les principes fondamentaux du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme »[1]. Il est cependant évident que ces appels ne conduiront nulle part : en 2020, selon Amnesty international, plus de 850 habitations et installations d’utilité quotidienne palestiniennes ont été démolies dans la seule Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est, entraînant le déplacement forcé de milliers de personnes.

      Il est temps de regarder la réalité en face : il existe en Israël plus de 65 lois discriminatoires envers la population palestinienne[2]. Dès 2013, Richard Falk, rapporteur spécial de l’ONU, écrivait « la situation des Palestiniens qui vivent à Jérusalem-Est ne serait pas aussi précaire si, malgré le caractère illégal de l’annexion, ils étaient traités dans des conditions d’égalité et avaient accès à une éducation de qualité, aux soins de santé et au logement. Or, ils sont considérés comme des « résidents permanents » et soumis à un processus progressif et bureaucratique de nettoyage ethnique, qui passe par la révocation des permis de résidence, la démolition des logements construits sans permis israélien (souvent presque impossible à obtenir), et l’expulsion de familles palestiniennes, au mépris du droit fondamental à un logement convenable consacré par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels »[3]. En Cisjordanie, au moins 593 postes de contrôle et barrages routiers israéliens restreignent fortement la circulation des Palestiniens et leur possibilité de jouir de leurs droits, notamment à la santé, à l’éducation et au travail. Il faut parfois des heures pour franchir quelques kilomètres. 80 % de la population est tributaire de l’aide humanitaire et 50 % des jeunes sont sans emploi, le taux de chômage le plus élevé au monde. Le droit international affirme pourtant de manière répétée qu’il faut préserver l’unité, la continuité et l’intégrité de tout le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. Toute la politique israélienne poursuivie actuellement s’y oppose. De la même manière, l’ensemble de la communauté internationale a confirmé en maintes occasions que la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza sont un territoire occupé auquel s’applique le droit international humanitaire (DIH). Mais Israël conteste le terme de « territoires occupés » et en profite pour refuser l’application du DIH et notamment de la quatrième Convention de Genève.

      On est donc en droit de s’interroger. À quoi cela sert-il de fustiger les attaques contre les droits de l’homme de Viktor Orban, de Recep Tayyip Erdogan ou encore contre les Ouïgours en Chine tout en restant muet sur les innombrables violations des droits de l’homme par Israël ? Pourquoi le droit à l’autodétermination des peuples ne s’applique pas en Palestine malgré le vote de plusieurs résolutions allant en ce sens à l’Assemblée générale des Nations-Unies ?

      Car Israël n’est certainement pas une démocratie comme les autres : quelle démocratie accepterait que les droits civils et politiques d’une partie de ses habitants soient moindres que d’autres en raison de leur origine et de leur confession ? Combien de démocraties libérales se définissent par la religion et lui accordent une place aussi prééminente ? Quelle démocratie ne reconnaît toujours pas les mêmes droits à tous ses citoyens après plus de 54 ans d’occupation durable ? Comme le rappelle Samy Cohen, « alors que toutes les grandes puissances coloniales se sont défaites de leur empire, Israël s’est construit le sien, à contre-courant de l’histoire »[4].

      Il est temps d’affirmer que nous n’avons aucune valeur commune avec l’extrême droite israélienne, ultraconservatrice, théocratique et violente qui s’est emparée du pays et des esprits, instaurant de fait une conception de l’« État juif » aux antipodes même de la conception de la nation de David Ben Gourion pour qui l’Etat devait être apolitique, areligieux et totalement subordonné au pouvoir civil. Ce chemin suivi par Israël, qui ne peut conduire qu’à une aggravation du conflit et des violences, devrait interdire une position de neutralité ou d’équilibre à la diplomatie française. S’il y a des violences inacceptables des deux côtés, la responsabilité d’un État souverain n’est pas la même que celle d’une population aux abois. La France doit rompre avec la « neutralité » bienveillante à l’égard d’Israël, affichée depuis de trop nombreuses années. La priorité de la diplomatie française dans ce conflit et dans ses relations avec Israël devrait être de demander la fin du blocus sur Gaza, le retrait du plateau du Golan, le démantèlement des colonies illégales et l’octroi des mêmes droits civils et politiques, y compris concernant la propriété, aux arabes israéliens et aux juifs.

      [1]https://news.un.org/fr/story/2021/05/1095812#:~:text=La%20loi%20de%201950%20interdit,cours%20de%20la%20m%C3%AAme%20guerre.

      [2] https://www.hrw.org/report/2021/04/27/threshold-crossed/israeli-authorities-and-crimes-apartheid-and-persecution

      [3] https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session25/Documents/A_HRC_25_67__FRE.DOC

      [4] https://www.iris-france.org/156691-israel-une-democratie-fragile-4-questions-a-samy-cohen/

      Publié le 13 mai 2021

      Les silences coupables de la France et de l’Europe face à la situation au Proche-Orient

      Auteurs

      Nicolas Dufrêne
      Nicolas Dufrêne est haut fonctionnaire à l'Assemblée nationale depuis 2012, économiste et directeur de l'Institut Rousseau depuis mars 2020. Il est co-auteur du livre "Une monnaie écologique" avec Alain Grandjean, paru aux éditions Odile Jacob en 2020 et auteur du livre "La dette au XXIe siècle, comment s'en libérer" (éditions Odile Jacob, 2023). Il est spécialiste des questions institutionnelles, monétaires et des outils de financement public. nicolas.dufrene@institut-rousseau.fr

      Le conflit israélo-palestinien est loin d’être terminé. Il n’a jamais été résolu même si tout est fait en France et en Europe pour se voiler la face et détourner les yeux de ce conflit qui nous renvoie à nos propres démons. Depuis l’échec de la dernière tentative de médiation américaine, menée en 2014 par l’ancien secrétaire d’État démocrate John Kerry, les Palestiniens sont pourtant en train de perdre les rares leviers de pression et de solidarité dont ils disposaient encore : le consensus international sur la solution à deux États a été affaibli par les positions de Donald Trump et la solidarité des États arabes, notamment de la part des pétromonarchies du Golfe qui refusaient toute normalisation avec Israël sans résolution préalable du conflit au Proche-Orient, a également pris du plomb dans l’aile depuis la signature d’accords entre Bahreïn, les Émirats-arabes unis et Israël (sans compter une autre monarchie arabe : le Maroc).

      Parallèlement, depuis dix ans, la politique israélienne est marquée par une offensive anti-libérale sans précédent de la droite nationaliste et religieuse, ce qui a conduit à l’aggravation du problème des colonies et à une dégradation des droits civils et politiques des Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Gaza, mais aussi en Israël. La nouvelle explosion de violence que connaît la région depuis plusieurs semaines s’explique ainsi directement par cette politique d’intensité croissante de déplacement forcé des Palestiniens vivant dans certaines parties de la Palestine, à commencer par Jérusalem-Est.

      Pour l’extrême-droite ultrareligieuse et nationaliste qui a pris le pouvoir en Israël, la position de l’ONU, à savoir « l’établissement de deux États vivant côte à côte en paix et en sécurité dans des frontières sûres et reconnues sur la base des lignes de 1967 et ayant l’un et l’autre Jérusalem pour capitale » est en effet inacceptable : Jérusalem doit être la capitale indiscutée de l’État « juif » qu’ils entendent bâtir. Que Jérusalem soit une triple ville sainte (pour les juifs, mais aussi pour les musulmans et les chrétiens) ne leur convient pas davantage que l’établissement éventuel d’un régime international sur les lieux saints de Jérusalem. Le Gouvernement israélien organise donc le déplacement de force de centaines de Palestiniens, en démolissant des logements, en rendant impossible l’accès aux documents de propriété et en prenant d’autres mesures coercitives. Un point est crucial dans cette politique : le déséquilibre flagrant entre les citoyens juifs, qui bénéficient d’un droit de propriété reconnu, et les Palestiniens, qui sont exclus de ce droit.

      Il existe en effet deux lois israéliennes, celle sur la propriété des absents de 1950 et celle portant sur les questions juridiques et administratives de 1970, qui interdisent aux Palestiniens de récupérer leurs propriétés perdues lors de la guerre de 1948, tandis que la loi de 1970 permet aux Juifs israéliens de revendiquer à nouveau les propriétés perdues au cours de la même guerre. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) s’est prononcé à de nombreuses reprises, y compris à nouveau le mois dernier au début des tensions, pour indiquer que ces lois sont appliquées de manière intrinsèquement discriminatoire, uniquement sur la base de la nationalité ou de l’origine du propriétaire. Cela a conduit le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé depuis 1967, Michael Lynk, et le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable, Balakrishnan Rajagopa, à déclarer, dans un communiqué conjoint, que ces lois « violent les principes fondamentaux du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme »[1]. Il est cependant évident que ces appels ne conduiront nulle part : en 2020, selon Amnesty international, plus de 850 habitations et installations d’utilité quotidienne palestiniennes ont été démolies dans la seule Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est, entraînant le déplacement forcé de milliers de personnes.

      Il est temps de regarder la réalité en face : il existe en Israël plus de 65 lois discriminatoires envers la population palestinienne[2]. Dès 2013, Richard Falk, rapporteur spécial de l’ONU, écrivait « la situation des Palestiniens qui vivent à Jérusalem-Est ne serait pas aussi précaire si, malgré le caractère illégal de l’annexion, ils étaient traités dans des conditions d’égalité et avaient accès à une éducation de qualité, aux soins de santé et au logement. Or, ils sont considérés comme des « résidents permanents » et soumis à un processus progressif et bureaucratique de nettoyage ethnique, qui passe par la révocation des permis de résidence, la démolition des logements construits sans permis israélien (souvent presque impossible à obtenir), et l’expulsion de familles palestiniennes, au mépris du droit fondamental à un logement convenable consacré par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels »[3]. En Cisjordanie, au moins 593 postes de contrôle et barrages routiers israéliens restreignent fortement la circulation des Palestiniens et leur possibilité de jouir de leurs droits, notamment à la santé, à l’éducation et au travail. Il faut parfois des heures pour franchir quelques kilomètres. 80 % de la population est tributaire de l’aide humanitaire et 50 % des jeunes sont sans emploi, le taux de chômage le plus élevé au monde. Le droit international affirme pourtant de manière répétée qu’il faut préserver l’unité, la continuité et l’intégrité de tout le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. Toute la politique israélienne poursuivie actuellement s’y oppose. De la même manière, l’ensemble de la communauté internationale a confirmé en maintes occasions que la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza sont un territoire occupé auquel s’applique le droit international humanitaire (DIH). Mais Israël conteste le terme de « territoires occupés » et en profite pour refuser l’application du DIH et notamment de la quatrième Convention de Genève.

      On est donc en droit de s’interroger. À quoi cela sert-il de fustiger les attaques contre les droits de l’homme de Viktor Orban, de Recep Tayyip Erdogan ou encore contre les Ouïgours en Chine tout en restant muet sur les innombrables violations des droits de l’homme par Israël ? Pourquoi le droit à l’autodétermination des peuples ne s’applique pas en Palestine malgré le vote de plusieurs résolutions allant en ce sens à l’Assemblée générale des Nations-Unies ?

      Car Israël n’est certainement pas une démocratie comme les autres : quelle démocratie accepterait que les droits civils et politiques d’une partie de ses habitants soient moindres que d’autres en raison de leur origine et de leur confession ? Combien de démocraties libérales se définissent par la religion et lui accordent une place aussi prééminente ? Quelle démocratie ne reconnaît toujours pas les mêmes droits à tous ses citoyens après plus de 54 ans d’occupation durable ? Comme le rappelle Samy Cohen, « alors que toutes les grandes puissances coloniales se sont défaites de leur empire, Israël s’est construit le sien, à contre-courant de l’histoire »[4].

      Il est temps d’affirmer que nous n’avons aucune valeur commune avec l’extrême droite israélienne, ultraconservatrice, théocratique et violente qui s’est emparée du pays et des esprits, instaurant de fait une conception de l’« État juif » aux antipodes même de la conception de la nation de David Ben Gourion pour qui l’Etat devait être apolitique, areligieux et totalement subordonné au pouvoir civil. Ce chemin suivi par Israël, qui ne peut conduire qu’à une aggravation du conflit et des violences, devrait interdire une position de neutralité ou d’équilibre à la diplomatie française. S’il y a des violences inacceptables des deux côtés, la responsabilité d’un État souverain n’est pas la même que celle d’une population aux abois. La France doit rompre avec la « neutralité » bienveillante à l’égard d’Israël, affichée depuis de trop nombreuses années. La priorité de la diplomatie française dans ce conflit et dans ses relations avec Israël devrait être de demander la fin du blocus sur Gaza, le retrait du plateau du Golan, le démantèlement des colonies illégales et l’octroi des mêmes droits civils et politiques, y compris concernant la propriété, aux arabes israéliens et aux juifs.

      [1]https://news.un.org/fr/story/2021/05/1095812#:~:text=La%20loi%20de%201950%20interdit,cours%20de%20la%20m%C3%AAme%20guerre.

      [2] https://www.hrw.org/report/2021/04/27/threshold-crossed/israeli-authorities-and-crimes-apartheid-and-persecution

      [3] https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session25/Documents/A_HRC_25_67__FRE.DOC

      [4] https://www.iris-france.org/156691-israel-une-democratie-fragile-4-questions-a-samy-cohen/

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