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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Économie

Dette publique : qui gardera les gardiens ?

Ils n’ont pas rongé leur frein bien longtemps, les gardiens obsessionnels de la dette publique. Et ils ne sont pas prêts à accepter que le bel édifice de la dette patiemment bâti et consolidé depuis près de cinquante ans s’effondre d’un coup à cause d’un virus. Rappelons qu’aujourd’hui, 40 % de notre dette publique correspondent au seul remboursement des intérêts que nous acquittons aux marchés financiers. Si nous avions conservé le circuit du Trésor, légué notamment par François Bloch-Lainé, et qui a permis de reconstruire la France d’après-guerre en une génération, au lieu d’inscrire dans le marbre du Traité de Maastricht (qu’il faudra réviser tôt ou tard) l’assujettissement de la souveraineté d’un État aux caprices irrationnels des « marchés », nous n’aurions pas ou peu d’intérêts à payer sur notre dette. Celle-ci pourrait aujourd’hui s’élever à environ 72 % du PIB, au lieu des 120 % qu’elle va franchir en 2020. Ce ratio n’a, certes, aucun sens économique puisqu’il superpose un stock (la dette) sur un flux (le PIB) mais, depuis des décennies, il sert d’alibi à l’idée fausse que nous dépensons trop et qu’il est temps de vivre à la hauteur de nos (modestes) moyens. L’obligation de se financer sur les marchés présente un double avantage pour les partisans de l’austérité et de la financiarisation de l’économie : elle alimente les profits bancaires (et les dividendes de leurs actionnaires) et fait gonfler la dette elle-même, renforçant l’idée que, décidément, nous sommes impécunieux. À la place du circuit du Trésor, l’État a livré aux banques privées, via l’agence France Trésor, le soin de gérer notre dette publique sur les « marchés ». Résultat : 60 % de notre dette sont détenus par des non-résidents, ce qui met la France à la merci du bon vouloir des fonds de pension et des gérants d’actifs étrangers. En Italie, seuls 30 % de la dette publique sont détenus hors de la péninsule, et 5 % au Japon. Aujourd’hui, la dépense publique contribue à hauteur de 22% du PIB français (et non 56 % comme cela est répété à tort aussi bien par le Président de la République que le gouverneur de la Banque de France, qui, l’un comme l’autre, trahissent leur biais idéologique lorsqu’il s’agit de lire les comptes publics). Elle est stable depuis les années 1980 et il est grand temps que l’État prenne ses responsabilités en finançant la reconstruction sanitaire, écologique et sociale de notre pays. M. William Dab, l’ancien directeur général de la Santé, alerte d’ores et déjà sur notre incapacité industrielle à produire en masse le vaccin contre la COVID lorsque celui-ci sera disponible. Qu’attendons-nous pour financer l’investissement dans ces industries ? Il est vrai que nous sommes déjà à cours, à l’automne 2020, de vaccins… contre la grippe. Et qu’au lieu de sauver des vies, le gouvernement français semble vouloir à tout prix convaincre nos concitoyens que l’urgence est de réduire les services publics. Pour cela, rien de tel qu’une dette publique qui augmente. Le deuxième confinement (qui aurait pu être évité grâce à une meilleure anticipation) va provoquer vraisemblablement une perte additionnelle de revenus d’au moins une cinquantaine de milliards d’euros. Le PIB français devrait donc s’effondrer d’au moins 12 % en 2020, en grande partie du fait de l’incurie des autorités publiques. Rappelons que l’Allemagne va s’en sortir avec – 5,5 %, car ses dirigeants n’ont pas hésité à investir massivement. Le gouvernement ne semble pas s’en soucier, puisqu’il n’a strictement rien fait pendant l’été pour préparer la vague automnale du virus. Au contraire, le 29 août, il profitait de la torpeur estivale pour introduire un décret visant à restreindre les critères de vulnérabilité sanitaire ouvrant droit au chômage partiel[1]. À la bonne heure : la chute supplémentaire de nos revenus continue de gonfler le ratio dette publique/PIB et de justifier l’abandon des plus fragiles au motif qu’ils nous coûtent trop cher. Pour les gardiens de l’austérité budgétaire, toutefois, les derniers mois ont eu l’inconvénient majeur de contraindre les États, dont la France, à révéler qu’ils pouvaient emprunter sans délai des centaines de milliards à taux négatifs pour éviter l’effondrement immédiat. De son côté, la BCE doit continuer à affirmer, elle aussi, qu’il n’existe pas « d’argent magique » tout en créant ex nihilo pas loin de 1 800 milliards d’euros depuis le mois de mars à destination des banques privées. Dissonance entre le discours et la réalité ? C’est bien le moins que l’on puisse dire.Il ne faudrait cependant pas que cela dure trop longtemps : certes, les « chiens de garde », selon les termes de Paul Nizan, ont dû accepter de mettre en sourdine leur discours anti-dette (ou plutôt anti-État comme nous le verrons, car c’est bien l’État qui est visé in fine), mais il faut rapidement faire entendre que tout cela n’était que temporaire, une folie passagère induite par un virus réputé imprévisible (dont le retour, après les deux épisodes précédents de 2003 et 2012, avait été pourtant prévu et annoncé par l’OMS depuis sept ans). Même si le mot n’est jamais prononcé, il faudra donc très vite retourner à des politiques d’austérité. Ce fut d’abord la Cour des Comptes dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques du 30 juin 2020 qui lança la première flèche : « au-delà de ces mesures de court terme, la France va devoir rebâtir une stratégie de finances publiques. Une action en profondeur est nécessaire afin d’ancrer la soutenabilité de la dette publique et de rehausser la qualité des politiques publiques ». Le message est clair : préparer l’austérité à moyen terme, après les mesures du plan de « relance » (qui n’en est pas un, ainsi que l’Institut Rousseau l’a montré dans une note récente[2]), et couper dans les dépenses publiques. On se rappelle ainsi la formule du gouverneur de la Banque de France qui, en juin dernier, après avoir estimé que 120 % constituait la limite absolue de tout endettement raisonnable[3], plaidait en faveur de « dépenses publiques enfin plus sélectives ». Ce fut aussi le message du FMI, puis des agences de notation, avec une étude de Standards and Poor publiée

Par Giraud G., Dufrêne N., Wegner O.

26 novembre 2020

Stop à la neutralité carbone en trompe-l’oeil L’empreinte carbone au service d’une nouvelle stratégie industrielle

Le Haut conseil pour le climat (HCC) a publié le 6 octobre 2020 un rapport intitulé « Maîtriser l’empreinte carbone de la France ». Ce rapport, issu d’une commande parlementaire, a pour objectif de produire une étude sur l’empreinte carbone française et ses déterminants sur la base d’un constat : les émissions liées au commerce international sont une partie importante de la contribution de la France aux émissions de gaz à effet de serre (GES). Ces émissions « importées » sont paradoxalement et largement sous les radars des engagements internationaux et des politiques publiques, puisque le principal outil politique de lutte contre les émissions carbones – la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) – n’en tient pas compte. En se concentrant sur l’indicateur-clef qu’est « l’empreinte carbone », le HCC rappelle ce qui devrait être une évidence : la contribution de la France au réchauffement climatique ne se limite pas aux émissions de gaz à effet de serre produites sur son territoire (6,7 tonnes équivalent CO2 par habitant) mais elle inclut aussi celles produites ailleurs pour la consommation des français : émissions importées (6,4 tonnes équivalent CO2 par habitant en 2018), et liées au transport international (24,4 millions de tonnes équivalent CO2 en 2019 pour la France). Ce rapport du HCC éclaire donc un problème de cadrage coupable dans les politiques publiques : la non prise en compte des émissions de GES liées au commerce international. En mettant en évidence les acteurs qui consomment ces importations (acteurs économiques, entreprises comme ménages) le HCC montre l’existence de leviers d’action, certes indirects, à la disposition des pouvoirs publics. En effet, « la réduction des émissions importées ne repose pour le moment que sur les engagements de réduction des autres pays du monde, pour l’instant insuffisants en regard des objectifs de l’accord de Paris » (p.23). Une politique volontariste est possible sous réserve de la construction d’indicateurs opérationnels notamment en ce qui concerne les grands partenaires commerciaux extra-européens de la France, et de l’intégration de ces émissions dans la SNBC. Toutefois, les recommandations du rapport portant sur l’actualisation d’une stratégie industrielle, laquelle permettrait, en relocalisant, de réduire les émissions importées tout en construisant une industrie nationale et européenne plus durable, sont timides. L’empreinte carbone est pourtant un indicateur au coeur des réflexions sur les ajustements carbone aux frontières et sa réduction un argument fort en faveur d’une reprise en main des chaînes de production.   I. Qu’est ce que l’empreinte carbone ?   L’empreinte carbone est un indicateur national agrégé qui mesure, pour chaque secteur, les émissions produites en amont de la demande finale. L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) la définit comme l’ensemble des « pressions sur le climat de la demande intérieure française, quelle que soit l’origine géographique des produits consommés ». Cela intègre les émissions liées à la production des biens et services consommés en France, en plus des émissions liées à leur usage : l’ensemble des GES émis pendant la fabrication, puis l’assemblage, en Asie par exemple, puis le transport d’un produit jusqu’à la distribution au consommateur final français sont comptabilisés dans l’empreinte carbone de la France. Cet indicateur ne prend pas en compte les émissions liées à la fin de vie des produits (recyclage et traitement), à la différence des « analyses en cycle de vie » (ACV), réalisées à l’échelle de produits particuliers, dans le cadre d’un mode de production donné[1]. Il ne prend pas non plus en compte les émissions liées aux produits fabriqués en France et exportés pour être consommés à l’étranger. Toutefois, le HCC fait le choix de les évoquer dans son rapport pour donner une vision plus complète des émissions liées au commerce international. L’actualité nous rappelle d’ailleurs leur importance : ce lundi 12 octobre, Bruno Le Maire annonçait une série de mesures pour verdir les aides à l’exportation françaises, en excluant toutefois de s’attaquer au soutien à des méga-projets d’exploitation de gaz jusqu’en 2035, à l’image du projet de Total en Arctique, incompatible avec le respect de l’accord de Paris[2]. L’empreinte carbone est donc un indicateur précieux, puisqu’il comptabilise l’ensemble des GES émis au service de la consommation des français. Par opposition, la Stratégie nationale bas carbone utilise aujourd’hui un autre indicateur : les émissions territoriales de la France, c’est-à-dire l’ensemble des émissions réalisées sur le territoire français. Cela comprend la production de biens destinés à l’export, mais laisse de côté les émissions des produits fabriqués à l’étranger pour la consommation française, ainsi que les émissions du transport international. Le choix de l’indicateur est bien entendu crucial pour guider l’action politique : si on ne considère que les émissions domestiques françaises par habitant, elles ont diminué de 30% entre 1995 et 2018, mais l’empreinte carbone, qui prend en compte l’accroissement des émissions importées (+78 % depuis 1995), montre une augmentation de l’émission de CO2 de la France sur la période, qui représente aujourd’hui 11,5 t éqCO2/hab.   II. Réaffirmer la responsabilité climatique de l’État dans les échanges internationaux   L’empreinte carbone se distingue donc des inventaires d’émissions nationales établis dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Ces derniers ne considèrent que la responsabilité d’émission de GES sur le territoire, alors que l’empreinte carbone intègre la responsabilité de consommation[3] des français. Les objectifs de réduction que la France s’est fixée, dans le cadre de la contribution déterminée au niveau national (CDN) à l’accord de Paris soumis par l’Union européenne (UE), ou dans celui de sa SNBC, portent sur ses seules émissions territoriales. La question qui se pose est ici éminemment politique : à qui va la responsabilité des émissions de GES entre le pays producteur et le pays consommateur/importateur dans le marché mondial ? L’empreinte carbone, en posant la question de la « responsabilité des émissions », dénonce la vision véhiculée par les sommets internationaux où se rencontreraient selon la nouvelle terminologie des « pays en voie de décarbonation » (épigone du terme « pays développés ») et de « pays en retard » sur cette transition. La prise en compte du commerce international, point d’achoppement des négociations pour le

Par Gonon M.

25 octobre 2020

Illusions et impasses du budget 2021 et du plan de relance sur la question écologique : nos pistes pour faire autrement

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, comprenant le plan de relance, a été présenté le 28 septembre dernier. Malgré de grands effets d’annonce, dont les fameux 32 milliards supplémentaires « pour l’écologie », une analyse plus détaillée révèle que le compte n’y est pas et que ce budget est largement insuffisant pour amorcer une restructuration en profondeur de notre économie à la hauteur de nos engagements climatiques (seuls 6,6 milliards d’euros de crédits en faveur de l’écologie seront réellement décaissés en 2021). Si des progrès sont à souligner, tels que, entre autres, le plan hydrogène ou le renforcement du plan vélo, des incohérences subsistent puisque les activités polluantes demeurent largement subventionnées en parallèle des dépenses supplémentaires, quoique très insuffisantes, pour le verdissement de l’appareil de production et la maîtrise de nos dépenses d’énergie. En outre, sur le plan de la fiscalité et de la transposition des propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), on constate peu d’avancées et quelques reculs. Il faut, toutefois, saluer le fait qu’il s’agit du premier budget qui procède à une classification systématique des dépenses de l’État en fonction de leur impact sur l’environnement comme cela était prévu par l’article 179 de la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020[1]. Le résultat laisse cependant songeur : sur un volume de dépenses totales des ministères représentant près de 378 milliards d’euros, seuls 53 milliards d’euros de dépenses sont identifiés comme ayant un impact sur l’environnement, dont 42,8 milliards d’euros ont été évalués comme favorables à l’environnement contre 10 milliards d’euros jugés défavorables. On découvre avec étonnement que toutes les aides au secteur numérique, y compris le soutien à la 5G, ou encore la baisse de 20 milliards d’euros des impôts de production n’ont aucun effet environnemental, mais que les 118 millions d’euros d’aides à la presse sont en revanche considérés comme défavorables à l’environnement. Bercy reconnaît également que les dépenses immobilières ou de fonctionnement (notamment les carburants) ne sont pour l’instant pas intégrées à l’exercice d’évaluation, ce qui devrait être corrigé par la suite. Le premier constat est donc celui-ci : si le travail d’évaluation du budget vert est éminemment louable, celui-ci demeure largement perfectible. Néanmoins, les critiques principales que l’on peut adresser à ce budget « vert » portent sur le volume et sur le contenu des dépenses. I. Un volume de dépenses en trompe-l’œil et loin des enjeux Concernant le plan de relance, il convient ainsi de signaler que les 100 milliards d’euros annoncés (sur deux ans) se sont transformés in fine en 22 milliards d’euros de crédits de paiement pour 2021, dont seulement 6,6 milliards pour la transition écologique, auquel il convient d’ajouter 10 milliards d’euros en dépenses fiscales pour la baisse des impôts de production. Pour atteindre les 100 milliards sur deux ans, le plan de relance inclut en réalité des dépenses déjà votées en lois de finances rectificatives pour 2020 (par exemple la dotation de soutien à l’investissement local de 5 milliards d’euros) et renvoie le reste à 2022 ou au-delà. Cela a une conséquence directe : le soutien public à l’économie va nettement se restreindre en 2021 par rapport à 2020, alors même que la crise est loin d’être terminée. Avec un volume total de dépenses prévues de 378,7 milliards d’euros pour 2021, le budget se situera nettement en dessous des 394,7 milliards d’euros de dépenses prévues par la troisième loi de finances rectificatives pour 2020 votée en juillet 2020. Cela signifie que l’extinction progressive des mesures instaurées en 2020 en faveur du soutien d’ensemble à l’économie (et notamment l’activité partielle, le fonds de solidarité pour les TPE ou les avances remboursables pour PME et ETI), ne sera qu’à moitié compensée, en 2021, par des dépenses supplémentaires issues du plan de relance. Quand on prévoit une récession pour 2020 d’environ 10 % du PIB, soit plus de 250 milliards d’euros de pertes de revenus, on peut s’interroger sur ce recul global des dépenses publiques, qui est certainement précipité et motivé par l’objectif de revenir rapidement sous la barre des 3 % de déficit. On peut aussi se demander pourquoi le Gouvernement tient tant à faire reculer le déficit public de 10 à 6 % du PIB entre 2020 et 2021 alors que l’État emprunte à – 0,2 % sur 10 ans et à seulement 0,4 % sur 30 ans ? Nous commençons en effet à peine à apercevoir les dégâts souterrains sur l’économie qui seront provoqués par la montée du chômage et la multiplication des défaillances d’entreprises. Tout se passe donc comme si le Gouvernement prévoyait une reprise en V (avec un chiffre exagérément optimiste de 8 % de croissance en 2021 qui a été épinglé par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis sur le budget) alors que la reprise sera certainement en K avec un plongeon initial de l’ensemble de l’économie, puis une reprise rapide de certaines branches d’activités (numérique, énergie, luxe) quand la descente aux enfers va se poursuivre pour d’autres secteurs. Il est ainsi à craindre que le retrait trop rapide des mesures de soutien à l’économie, et l’absence de mesures de soutien à la consommation (pas de baisse de la TVA, pas de hausse du SMIC, pas de dégel du point d’indice de la fonction publique) n’handicapent sérieusement la reprise. En outre, même en ce qui concerne les mesures structurelles, il faut rappeler que, avant même la crise du Covid-19, France Stratégie, I4CE, l’Agence de la transition écologique (ex-ADEME) ou encore la Cour des comptes européenne avançaient un besoin de financements supplémentaires pour la transition d’un ordre de grandeur compris entre 15 et 40 milliards d’euros par an, par rapport à ce qui est investi actuellement (environ 40 milliards). Transition agroécologique et plan de circularisation de l’économie compris, c’est sans doute quelques 75 à 100 milliards d’euros supplémentaires que la puissance publique devrait investir chaque année. Or, comme souligné, sur les 22 milliards de crédits de paiement du plan de relance, seuls 6,6 milliards viendront alimenter des dépenses favorables à l’écologie. Le premier

Par Dufrêne N., Gilbert P.

18 octobre 2020

Faire atterrir le grand déménagement du monde : vers une mobilité post-carbone

Introduction Pour l’historien des pandémies Patrice Bourdelais, le doublement du trafic aérien entre 2006 et 2018, avec 4,3 milliards de passagers par an, est « l’une des variables essentielles de tous les modèles épidémiologiques »[1]. Le « grand déménagement du monde », en plus d’avoir pour corollaire une explosion des émissions de gaz à effet de serre, est donc un facteur de vulnérabilité inédit. Le rythme des échanges, d’hommes comme de matières, prend de court nos défenses immunitaires et nos systèmes de santé. Transporter moins et mieux : telle est une des grandes orientations que devrait prendre « le monde d’après ». Il convient dès lors de dégager des pistes de politique publique réalistes visant à la transition qualitative du secteur du transport, afin de diminuer au maximum son impact environnemental, tout en favorisant l’emploi et la résilience économique de nos acteurs nationaux. Les transports représentent un quart des émissions mondiales de CO2 en 2016, d’après les chiffres de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE). Les trois quarts des émissions liées au transport sont dues aux camions, bus et voitures. La route a ainsi généré 5,85 gigatonnes de CO2 en 2016, selon l’AIE. Une hausse de 77 % depuis 1990. Avec 0,91 gigatonne par an, l’avion arrive deuxième. Le transport aérien est donc globalement responsable de 2,8 % des émissions de CO2 dans le monde[2]. En France, le secteur du transport est le plus polluant avec 30 % des émissions de CO2[3], loin devant le bâtiment résidentiel et tertiaire (20%)[4]. Ce chiffre est par ailleurs en hausse de 12 % entre 1990 et 2016, là où nos propres objectifs, énoncés dans la dernière SNBC (Stratégie Nationale Bas Carbone) sont de diminuer de 31 % les émissions du secteur à l’horizon 2033[5]. L’empreinte carbone des Français s’élève 11,2 tonnes de CO2 par habitant[6]. Cette empreinte comprend les émissions directes produites sur le territoire national – moins le CO2 généré pour les produits d’exportations – plus les émissions importées, c’est-à-dire le CO2 émis indirectement par nos importations (fabrication, fret, etc.). Si l’on considérait seulement les émissions directes du territoire français, nous n’en serions qu’à 6,6 tonnes de CO2 par habitant, sans compter les émissions de GES des secteurs des transports maritimes et aériens internationaux. Autrement dit, plus de 40% de nos émissions sont importées. D’ailleurs, si nos émissions nationales ont légèrement diminué depuis les années 1990, notre empreinte carbone globale a augmenté[7]. Au niveau européen, les émissions importées représentent un peu moins de 20 % de l’empreinte carbone totale du continent, selon les calculs d’Eurostat. Mais cette part augmente d’année en année. C’est là la conséquence climatique directe de l’élan de mondialisation inhérent au néolibéralisme thermo-industriel. Le taux d’ouverture économique, c’est-à-dire le rapport de l’activité extérieure (importations et exportations) par rapport au PIB, a triplé depuis les années 60 pour atteindre 34 % en 2007, tant en volume qu’en valeur. Il s’est replié avec la crise de 2008 puis s’est redressé pour atteindre 32% en 2016. Derrière ces chiffres se cache une réalité physique : les capacités de transport mondial explosent. Le nombre de navires, d’avions et autres véhicules atteint des sommets, facilitant d’autant le transit des pathogènes. Selon le cabinet Carbone 4, que ce soit par voie maritime, aérienne ou terrestre, le pétrole assure 95 % des besoins du transport de marchandises dans le monde. La consommation pétrolière du secteur du transport de marchandises a pratiquement doublé depuis 1973, et le transport en général est responsable des deux tiers de la consommation mondiale de brut[8]. En France, sur la totalité du volume des produits pétroliers importés, qui grèvent d’ailleurs notre balance commerciale à hauteur de 35 milliards d’euros[9], plus de la moitié se destine au domaine du transport. Selon la Cour des comptes européenne, il sera nécessaire d’investir chaque année, entre 2021 et 2030, 1115 milliards d’euros pour atteindre les objectifs de l’Union européenne en matière de climat. Cette somme se divise ainsi : 736 milliards d’euros dans le secteur des transports, 282 milliards dans le secteur résidentiel et dans le secteur des services, 78 milliards dans les réseaux et la production énergétique, et 19 milliards d’euros dans l’industrie. Le secteur du transport est donc de loin le plus gourmand en capital. L’effort est de fait particulièrement intense en termes d’adaptation des infrastructures publiques, d’aménagement du territoire et d’acquisition de matériel. Un ensemble d’activités qui peuvent structurer un regain de dynamisme global pour notre économie et nos emplois, si la puissance publique se donne les moyens d’un plan de relance ambitieux et articulé à nos impératifs climatiques[10]. Dans cette note sur les mobilités, nous cherchons à définir les pistes de sortie de crise à privilégier, au sein des secteurs spécifiques que sont le transport maritime et fluvial, ferroviaire, aérien, automobile et des mobilités dites « douces » comme le vélo. Ces pistes doivent aussi être articulées avec le reste des propositions de l’Institut Rousseau, particulièrement avec un mouvement de relocalisation rapide d’un ensemble de productions stratégiques, inscrit dans un effort de circularisation de l’économie. Pourquoi ? Parce que sans une baisse globale du volume de marchandises transportées, il sera difficile de tenir nos objectifs climatiques. C’est d’ailleurs ce que souhaite très largement la population française, puisque 89% de nos concitoyens souhaitent une relocalisation de l’industrie, « même si cela augmente les prix », et 87% souhaitent un renforcement de la politique écologique.[11] Table des matières I) Transport maritime : redimensionner la flotte mondiale et atténuer son impact A) Un secteur en crise B) Un impact environnemental et sanitaire à réguler C) Organiser la conversion bas carbone de la flotte mondiale II) Ferroviaire : une montée en puissance rapide du rail A) Le rail abandonné au profit du camion B) Systématiser le fret ferroviaire C) Reconstruire un réseau dense et lancer une nouvelle génération de trains III) Automobile : vers une route post-pétrole A) Sortir de l’imaginaire SUV B) Lancer aujourd’hui la conception et la construction des voitures de demain C) Pousser le véhicule hydrogène D) Une infrastructure routière à adapter IV) Aérien : faire atterrir le kérosène pour mieux redécoller A) Rendre les alternatives à l’avion faciles et systématiques

Par Gilbert P.

27 juillet 2020

Démondialisation, relocalisation et régulation publique : pourquoi et comment

La mondialisation néolibérale est un phénomène qui ne connaît aucun précédent historique. Elle ne se caractérise pas simplement par l’importance du volume des échanges internationaux de marchandises et de capitaux, un indicateur trop limité qui permet à certains analystes d’opérer des rapprochements avec « d’autres mondialisations » qui ont eu lieu à d’autres périodes de l’histoire. Ce qui la caractérise avant tout, c’est une division internationale du travail et une dérégulation publique sans précédent. En d’autres termes, c’est un ordre commercial libre-échangiste qui sert les intérêts d’entreprises multinationales cherchant à bénéficier d’un maximum de libertés d’installation et de circulation. Son caractère inédit réside dans cette capacité des grandes entreprises privées, dans la plupart des secteurs d’activité, à penser leur stratégie et leur organisation à l’échelle de la planète en s’affranchissant de plus en plus ouvertement des régulations nationales. Dans le discours commun (et jusque dans la presse économique), on entend souvent dire que « la France achète à la Chine » ou que « l’Espagne achète à l’Allemagne », donnant ainsi le sentiment que les transactions s’opèrent entre pays.Ces formules entretiennent des illusions. En fait, commande publique mise à part, ce sont des entreprises françaises (ou implantées en France) qui achètent des produits à des entreprises chinoises (ou implantées en Chine) et les distribuent sur le territoire national (ou les transforment pour les réexporter). La dérégulation vise justement à ce que ces transactions s’opèrent avec le moins d’interventions publiques possibles : suppression des « obstacles » tarifaires et non-tarifaires, réduction drastique des contrôles des flux de marchandises et de capitaux… Dans le premier port français, celui du Havre, le nombre de conteneurs ouverts est d’à peine plus d’un pour mille. En 2000, 500 douaniers y travaillaient pour surveiller 1 million de conteneurs par an. En 2019, les effectifs sont tombés à 350 pour 2,9 millions de conteneurs[1]. Il n’entre pas ici dans notre propos de nous attarder sur les conséquences visibles de cet ordre commercial libre-échangiste : délocalisations vers les pays à bas coût de main d’œuvre, désindustrialisation ailleurs, hyperspécialisation qui engendre une concentration dangereuse de productions clés dans un petit nombre de pays, évasion des profits des multinationales vers des paradis fiscaux… Ces questions apparaissent régulièrement dans l’actualité. Il est en revanche plus important d’insister sur l’impuissance auto-organisée des États qui, pour la plupart, ont renoncé aux principauxmoyens dont ils disposaient pour contrôler ou orienter la production, pour prélever et redistribuer les richesses, pour mener des stratégies d’investissements publics. Si quelques gouvernements parmi les plus puissants (Chine, États-Unis, Japon) continuent à protéger leur marché intérieur de façon plus ou moins déguisée, c’est avant tout pour favoriser leurs grandes entreprises nationales dans la concurrence internationale et non pour développer leurs services publics ou contraindre le secteur privé à mieux traiter les salariés. Un bon exemple d’impuissance des pouvoirs publics nous est donné par la politique européenne de lutte contre le changement climatique. Au milieu des années 2000, l’Union a mis en place un marché du carbone, peu contraignant pour les grandes entreprises, mais qui a tout de même suscité des résistances de certaines d’entre elles. Arcelor Mittal, notamment, a exercé un chantage à l’emploi auprès des gouvernements français et belge : soit la nouvelle contrainte de quotas carbone qui devait s’imposer à elle était assouplie, soit la firme allait délocaliser hors de l’Union européenne. Les gouvernements et l’Union finirent par céder et l’absence de « contrainte carbone » fut très officiellement étendue à tous les secteurs exposés à des risques de délocalisation. Or, c’est bien parce que les grandes entreprises peuvent délocaliser (ou choisir librement leurs sous-traitants dans les pays à bas coût de main d’œuvre) qu’aucune politique publique n’est suffisamment efficace pour résoudre la crise environnementale. C’est bien parce que les capitaux circulent librement que les États ne peuvent plus compter que sur leur « attractivité » pour les attirer et disposer d’un minimum de recettes et de ressources budgétaires. Face à ce constat, certains en appellent à une régulation mondiale. Mais compte tenu des rapports de force, impossible d’y compter à court ou moyen terme. Si l’on veut exercer un contrôle démocratique sur la production, il faut donc sortir de cet ordre commercial libre-échangiste, c’est-à-dire relocaliser des activités qui ont quitté le territoire et empêcher que d’autres continuent à partir. Cette relocalisation doit être multisectorielle : il n’est pas question de relocaliser l’alimentation, par exemple, tout en laissant la France continuer à se désindustrialiser. C’est une approche globale de la relocalisation qu’il convient de développer.   I. Relocaliser pour être en mesure de contrôler la production et d’agir sur la distribution des richesses   Il faut lever tout malentendu sur les raisons qui nous amènent à prôner la relocalisation. À quoi cela servirait-il de « produire français » à mode de production constant et dans un ordre économique international globalement inchangé ? Éventuellement à réduire le chômage, ce qui n’est pas rien. Peut-être à réduire des émissions de gaz à effet de serre liées au transport international, à supposer que ce « produire français » concerne un nombre suffisant de secteurs d’activité et serve à alimenter le marché intérieur plutôt qu’à réexporter. Mais ce type de relocalisation resterait dépendant d’une logique mercantiliste et laisserait les choix et modes de production entièrement aux mains des grandes entreprises privées. Elle n’apporterait aucune garantie d’une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail. Elle poursuivrait l’exploitation des pays du Sud pour l’approvisionnement en matières premières, étant entendu que jamais l’industrie extractive ne sera largement relocalisée et qu’il sera difficile de couvrir les campagnes françaises de champs de coton, par exemple, pour produire du textile. Elle laisserait enfin en place l’économie productiviste qui nous mène tout droit vers la catastrophe environnementale. L’enjeu est donc bien de relocaliser pour changer les choix et modes de production, la distribution des richesses et les relations internationales. Il s’agit de remettre du politique (des objectifs sociaux, environnementaux, de coopération internationale…) dans l’économie nationale et dans les échanges commerciaux là où, précisément, le capitalisme a réussi à l’évacuer grâce à la mondialisation néolibérale. Cette clarification est nécessaire car deux visions de la relocalisation et du

Par Bernier A.

17 juin 2020

Faire évoluer les outils comptables pour « réencastrer » l’activité économique dans son environnement

« La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier ». Ce sont les mots de Sir Robert Watson en mai 2019 à l’occasion de la sortie du rapport annuel de l’IPBES, qu’il préside. Les données sont alarmantes : plus de 500 000 espèces terrestres ont désormais un habitat insuffisant pour leur survie à long terme, 75 % du milieu terrestre et 40 % du milieu marin sont sévèrement altérés à ce jour par les activités humaines, 60 milliards de tonnes de ressources renouvelables et non renouvelables sont extraites chaque année dans le monde, une quantité qui a presque doublé depuis 1980. Aujourd’hui ces informations résonnent particulièrement : si les circonstances spécifiques d’apparition puis de transmission à l’espèce humaine du SARS-Cov-2 ne sont pas encore déterminées précisément, la réduction de l’habitat naturel des espèces par l’homme a été clairement identifiée comme un facteur de pandémies, par le passage de la barrière d’espèce des agents pathogènes qu’il permet. « La santé des écosystèmes dont nous dépendons » est une vision anthropocentrée du problème, mais convaincante : la protection et la restauration des écosystèmes répond aux besoins de conserver les services indispensables qu’ils fournissent aux sociétés humaines. En insistant sur l’érosion de ces services, Sir Robert Waltson entend promouvoir la préservation de la biodiversité non pas au regard de l’éthique mais bien d’un calcul coût-bénéfice pour les sociétés humaines. Cette perspective est défendue par les organisations internationales comme l’ONU et la Banque mondiale à travers les notions de services écosystémiques et de capital naturel. Malgré des définitions parfois variables selon les institutions, nous pourrions définir le capital naturel comme « une métaphore anthropocentrique qui illustre le rôle de la nature dans l’économie et le bien-être des êtres humains, mais ne rend pas compte de la valeur intrinsèque de la nature ».Il désigne « l’ensemble des richesses naturelles qui offrent à la société des ressources renouvelables et non renouvelables, ainsi que des services écosystémiques »[1]. De ce capital naturel dérivent des services indispensables pour les sociétés humaines, appelés services écosystémiques. Ces services sont donc un « objet frontière »[2] qui exprime la diversité des relations entre les communautés humaines et leur environnement naturel, irréductible à un fait strictement social ou écologique. Une des solutions envisagées pour améliorer la prise en compte de la biodiversité et impulser des actions ambitieuses de protection et de restauration est de remédier à l’illusion de la gratuité de ces services, d’abord en les évaluant puis en les incluant dans les systèmes de comptabilité. Ainsi la dépendance de l’activité économique au bon fonctionnement des écosystèmes serait mise en valeur et l’arbitrage entre impératif économique et protection des écosystèmes prendrait un tout autre sens. Il ne s’agit pas de monétiser, encore moins de privatiser, la biodiversité mais de définir la part de la richesse produite qui dépend directement de son existence. Mettre en perspective notre système économique au regard de ce qu’il doit au bon fonctionnement des écosystèmes est une nécessité : nous avons besoin d’un système d’information qui tienne compte des valeurs de subsistance. Il ne s’agit pas seulement de donner une équivalence dans un langage institutionnel pour faciliter la prise en compte de ces problématiques, mais de modifier notre référentiel d’analyse. Si le chantier est ambitieux, il ne doit pas faire oublier que l’évaluation du capital naturel et des services écosystémiques et son incorporation dans des systèmes de comptabilité privée ou nationale ne se substitue pas aux changements de politiques publiques, de cadre juridique (voir la note de Dorian Guinard dans ce dossier) et de systèmes productifs qu’il faut prioritairement mettre en œuvre. Ces évaluations viennent au contraire accompagner ces transformations, en modifiant les analyses prospectives et de gestion des risques ou en permettant le suivi dans le temps des mesures mises en place via l’évolution de la valeur. La valorisation n’agit pas d’elle-même, n’auto-régule pas les usages, elle n’est qu’un outil, mais un outil nécessaire, pour justifier une action ambitieuse de protection et de restauration des écosystèmes.   I. Illustrer la dépendance de l’activité économique à son environnement et remédier à une analyse économique « dématérialisée »   La tension entre la rareté de la ressource et le développement est au fondement de l’analyse économique. Dans l’analyse des classiques, la terre disponible détermine d’abord la richesse, puis les conditions de son accumulation, elle contient l’économie. David Ricardo (1772-1823) théorisait « l’état stationnaire »[3] : l’accumulation du capital s’arrête par le rendement décroissant des terres. Les Physiocrates à la même époque – et notamment François Quesnay – proposaient une vision intégrée, conscients que la première richesse est celle de la nature, source de toute production. La question des ressources naturelles devient plus importante encore à la révolution industrielle. Parmi les analyses les plus connues, William Stanley Jevons (1835-1882) publie en 1865 The Coal question. Il montre le rôle moteur joué par le charbon dans la révolution industrielle. À partir de cette analyse, Jevons avance que l’extraction de quantités croissantes du charbon entraînera un coût de plus en plus important. À terme, la compétitivité des produits britanniques pourrait être affectée. Selon Antonin Pottier[4], il s’agit là de la continuité de l’état stationnaire de Ricardo mais “en version souterraine”. C’est avec les néoclassiques que le processus économique s’émancipe, dans l’analyse, de son environnement direct. L’analyse se dématérialise[5] et se recentre sur deux facteurs de production : le capital et le travail. Les ressources, entendues au sens large comme l’ensemble des ressources naturelles pouvant intervenir directement ou indirectement dans le processus de production, comprenant les ressources hors marché, disparaissent du champ visible de l’économie. L’analyse de l’activité économique au XXe siècle se fait majoritairement « toutes choses égales par ailleurs », sans considération de l’écosystème dans lequel elle s’insère. De fait, les considérations environnementales deviennent des externalités. L’environnement n’est pas considéré comme nécessaire au développement économique, sa protection est externe et, pour des raisons non économiques, nous pourrions dire éthiques, le prix peut être modifié pour éviter, ou dédommager,

Par Gonon M., Métadier B.

4 juin 2020

Profiter de la crise pour réduire durablement nos émissions de CO2

Au plus fort du confinement, la crise du Covid-19 aura généré une baisse ponctuelle de 17 % des émissions mondiales de CO2, nous ramenant temporairement à notre niveau d’émissions de l’année 2006. La réduction sur l’année entière est attendue autour de – 4 % à – 7 % par rapport à 2019, un chiffre absolument inédit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais pas suffisant cependant pour nous placer sur une trajectoire de neutralité carbone à l’horizon de la seconde moitié du siècle, qui nous commande de réduire nos émissions de 7,6 % chaque année. Devons-nous en conclure que la transition bas carbone est de fait irréaliste et non souhaitable, sauf à vouloir le chômage de masse, la restriction de nos libertés et des milliers de morts ? Ce serait faire un redoutable contresens : car s’il est bien deux choses que la crise du Covid-19 doit nous enseigner sur les sujets liés au climat, c’est, d’une part, qu’il n’existe aucune comparaison possible entre la privation de liberté que nous avons subie et la société sobre en carbone qu’il nous faudra bâtir, et, d’autre part, qu’une transition bas carbone réussie nécessitera des transformations profondes de nos systèmes énergétiques et économiques et pas seulement une modification conjoncturelle de nos comportements individuels. La crise du Covid-19 constitue ainsi un moment de bascule : elle doit nous révéler que la neutralité carbone est un impératif physique non négociable, un attracteur autour duquel nos choix collectifs devront désormais graviter. La France a une empreinte carbone importante, une responsabilité historique élevée et les moyens d’agir : elle doit donc être exemplaire aux yeux de l’Europe et du reste du monde. Il est de notre devoir de nous organiser correctement et intelligemment pour faire advenir, en l’espace d’une trentaine d’années, une société française désirable et juste, sobre dans les usages, et libérée de toute forme d’énergie fossile.   I. Le Covid-19 ne réduira que marginalement et temporairement les émissions en France a) Covid-19, confinement : quel impact sur le climat ?   Plusieurs études récentes[1],[2],[3],[4] ont estimé l’impact de la crise du Covid-19 sur les émissions mondiales de CO2. Leurs résultats, cohérents entre eux, ont mis en évidence,: une baisse ponctuelle des émissions mondiales de l’ordre de 17 % au plus fort de la crise (7 avril), nous ramenant alors temporairement à notre niveau d’émissions de 20064, où l’économie tournait alors à plein régime ; une baisse sur les 4 premiers mois de l’année de l’ordre de 7 % par rapport à la même période l’année dernière3; une baisse sur l’ensemble de l’année 2020 prévue entre 4 % et 7 % par rapport à 2019, en fonction de l’évolution de la crise dans les prochains mois4. Au total, les émissions de 2020 risquent donc d’être entre 93 % et 96 % aussi élevées que celles de 2019. Émissions mondiales de CO2 depuis l’an 2000 (gauche) et depuis le début de l’année 2020 (droite). Le creux d’émissions se situe autour du 7 avril (- 17 %). Moyenné sur l’année et selon le scénario choisi, la baisse sera de 4 à 7 %. Source : Le Quéré et al ; Global Carbon Project.   En France, vers la fin du mois de mars, le confinement aura eu pour effet de baisser ponctuellement nos émissions de CO2 domestiques de pas moins de 30 % « en instantané » par rapport au même jour l’année précédente4. Les émissions totales françaises depuis le début de l’année jusqu’au déconfinement ont baissé de 5 %4, et il est probable que la réduction sur l’année entière soit de l’ordre de 5 à 15 %[5].   Émissions de CO2 en France entre le 1er janvier et la fin du mois de mars 2020. Source : Liu et al.   Or, pour limiter le réchauffement à + 1,5°C, c’est 80 % de nos émissions de gaz à effet de serre qui doivent disparaître d’ici à 2050, soit une baisse de 5,2 % chaque année jusqu’en 2050[6]. Le programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) fixe un objectif de – 7,6 %/an sur la période 2020-2030. Les ordres de grandeur étant similaires, il est tentant de résumer que l’effort à faire pour la lutte contre le dérèglement climatique correspond à un « Covid-19 supplémentaire par an ». Il faut bien voir ici que le mot « supplémentaire » fait toute la différence : un simple « Covid-19 tous les ans » ne reviendrait qu’à maintenir le même niveau d’émissions constaté cette année jusqu’en 2050 (une baisse de 7 % la première année, puis une stagnation des émissions, car la même situation ne ferait que se reproduire année après année). Pour tenir le rythme, il faut alors imaginer qu’en 2021, la situation dure deux fois plus longtemps qu’en 2020, six fois plus longtemps en 2025, soit pendant l’année entière (si l’on considère que 2020 connaîtra deux mois de confinement). Et 2050 devrait alors être l’année… des “trente Covid” ! Si la quantification de l’action climat en “nombre de Covid” a ses limites, c’est que cette baisse radicale d’émissions reste conjoncturelle, non souhaitable et non durable.   b) Aucune analogie ne saurait être faite entre l’expérience de confinement et la “sobriété carbone”   « Still a shitty way to cut CO2 emissions », déclarait sur Twitter le Dr Simon Evans, rédacteur en chef du média Carbon Brief[7], pour relativiser les conversations traitant de la baisse d’émissions dues au Covid-19[8]. Et pour cause : outre le drame humain et sanitaire, outre le fait que ces réductions ne sont absolument pas durables (il suffit de déconfiner pour revenir à la normale), la situation de privation que nous avons vécue au cours de ces derniers mois a joui d’un ratio contrainte/efficacité désastreux, loin de l’image de la sobriété des usages que nous devons bâtir. Cette privation de liberté (de mouvement et, dans une moindre mesure, de consommation) n’est une caractéristique ni nécessaire, ni suffisante d’une sobriété carbone digne de ce nom : elle ne lui est pas nécessaire, c’est-à-dire que la sensation de privation n’est pas consubstantielle à une sobriété réussie. Les changements de comportement les plus efficaces en termes de réduction de notre empreinte sont bien plus volontiers liés à un imaginaire

Par Dugast C.

1 juin 2020

L’économie circulaire, un élément d’une politique de reconstruction écologique Le point de vue des conditions de travail et des risques professionnels

À la lecture de l’article Comment financer une politique ambitieuse de reconstruction écologique publié par Gaël Giraud, Nicolas Dufrêne et Pierre Gilbert sur le site de l’Institut Rousseau[1], ce ne sont pas tant ses aspects économiques que nous avons retenus (ils ne sont pas dans notre domaine de compétences) que l’utilisation du terme reconstruction. Il y a là en effet un écho aux réflexions que nous avait inspirées la réalisation récente d’un exercice de prospective consacré à l’économie circulaire (EC). Cette EC qui à coup sûr serait un des éléments importants dans la reconstruction écologique appelée de leurs vœux par les auteurs de l’Institut Rousseau. Nous nous proposons dans cet article, après un bref aperçu de ce que cette notion d’EC recouvre, de décrire les principaux bouleversements qui résulteraient de ce changement dans les modes et méthodes de production. La prévention des risques professionnels étant notre métier, nous insisterons également sur les évolutions des conditions de travail et leurs conséquences en termes d’accidents et de maladies professionnelles. Nous n’aborderons pas ici des considérations économiques comme le coût de la transition : à notre connaissance, les données sont très lacunaires (les auteurs de l’Institut Rousseau estiment entre 70 et 100 milliards d’euros par an les besoins annuels d’investissement supplémentaires pour mener une politique ambitieuse de reconstruction écologique en France). En revanche, il existe quelques chiffres sur les questions d’emploi. Une étude[2] estime à 600 000 le nombre d’emplois déjà liés à cette forme d’économie. Avec un potentiel supplémentaire de 200 000 à 400 000 grâce à des mesures relativement simples visant à diminuer la consommation de matières premières et d’énergie. Au Royaume-Uni, d’autres études aboutissent à 500 000. On voit donc que les conséquences humaines sont loin d’être négligeables.   Economie linéaire vs économie circulaire Les sociétés vivent principalement selon un schéma économique linéaire résumé ainsi par Rémy Le Moigne[3] : « Notre économie est ainsi basée sur le modèle linéaire qui se résume à « extraire ̶̶̶ fabriquer ̶̶̶ consommer ̶̶̶ jeter », qui consomme des ressources naturelles et de l’énergie pour fabriquer des produits qui deviendront, en fin de compte, des déchets ». En raison de ses conséquences écologiques (en particulier climatiques et environnementales) et de sa forte consommation de ressources naturelles et d’énergie, ce modèle apparaît comme peu soutenable sur le long, voire sur le moyen terme. Certains, dans une logique de protection de l’environnement, proposent de lui substituer progressivement un modèle dit d’économie circulaire, schématisé sur la Figure 1 : Figure 1 – Economie circulaire selon le schéma proposé par l’Ademe[4] Ce schéma montre clairement que la démarche va bien au-delà du simple recyclage de matière, mais concerne aussi l’organisation du tissu industriel, la conception des biens, les modes de consommation, etc.   Une reconstruction de la production Dans une logique d’économie circulaire, il devient nécessaire de concevoir autrement pour de multiples raisons : pour réduire autant que faire se peut l’utilisation de matières premières non renouvelables, pour que les biens soient plus durables et puissent être réparés au cours de leur cycle de vie (rupture en particulier avec le concept d’obsolescence programmée), pour que leur fabrication et leur utilisation nécessitent le moins d’énergie possible, pour qu’ils se prêtent à d’autres types de consommation, tels que l’économie de la fonctionnalité qui passe de la fourniture d’un bien à celui d’un service (incitant ainsi le producteur à concevoir des biens plus durables), ou la consommation collaborative (qui voit plusieurs utilisateurs se partager l’utilisation d’un même bien), pour permettre l’utilisation de matières secondaires (issues du recyclage, donc souvent d’un degré de pureté inférieur aux matières premières) ou la réutilisation d’éléments après déconstruction de biens en fin de vie, en contrepartie, les biens doivent être conçus pour que des éléments ou des parties puissent être déconstruits facilement et que si cela n’est pas possible, leurs matières soient facilement recyclables.   Une part de l’appareil de production pourra certainement être adaptée à cette nouvelle donne, mais la relocalisation de certaines productions (afin de diminuer l’empreinte carbone due aux transports) nécessitera la création de nouvelles installations. Ces installations devront intégrer dès la conception des mesures de prévention, en particulier pour toutes les opérations de maintenance, de remplacement d’éléments prévus par l’allongement de la durée de vie des outils et la recyclabilité des composants du process. Le développement de l’écologie industrielle et territoriale se donnant pour objectif la gestion en commun des flux (les déchets d’une entreprise deviennent la matière première d’une ou plusieurs autres, de préférence à proximité immédiate afin de limiter la dépense énergétique liée aux transports) pourrait aussi remodeler de façon significative le tissu industriel.   La recréation et la relocalisation de nouvelles activités Une durée de vie accrue des biens de consommation implique le développement d’activités de maintenance pour leur entretien ou leur réparation. Il faut donc que la conception ait intégré ce nouveau paramètre, mais aussi qu’une réflexion ait été menée sur la formation et les conditions de travail des travailleurs impliqués, donc sur la conception des installations dans lesquelles s’effectueront leurs interventions. Afin de diminuer la consommation énergétique, des productions devront être relocalisées : il ne sera plus possible d’expédier à l’étranger des déchets pour leur recyclage. Actuellement, la délocalisation de la fabrication de principes actifs pharmaceutiques ou celle du recyclage de métaux ferreux et non ferreux n’est pas seulement due à des questions de coût, mais aussi à des considérations de préservation de l’environnement des pays développés et de la santé et sécurité au travail de leurs travailleurs. Il est plus économique non seulement de faire travailler dans un pays sous-traitant, mais aussi d’exporter la pollution vers le territoire de ce pays sous-traitant et d’ignorer les conditions de travail des employés. Dans une logique d’économie circulaire, les nouvelles installations devront être rentables économiquement, mais également performantes pour l’environnement au sens large.   Des besoins accrus en technologies Les dernières décennies ont été marquées par une automatisation croissante des activités industrielles, mais aussi des services (à l’exception des services à la personne qui ont assez largement compensé la destruction des emplois industriels dans les pays développés). Aucun indice ne conduit

Par Héry M., Malenfer M.

29 mai 2020

Accélérer la réalisation d’une économie véritablement circulaire à grande échelle

La crise du Covid-19 vient de démontrer cruellement notre dépendance aux importations de produits stratégiques (masques, médicaments, kits de tests PCR, etc.) et renforce ce qui était identifié de longue date pour l’ensemble de nos ressources. Bien que cela ne soit qu’une de ses nombreuses vertus, l’économie circulaire a depuis quelques années été identifiée comme un moyen de réduire cette dépendance. En 2014, Janez Potočnik, ex-Commissaire européen pour l’Environnement, écrivait ainsi : « L’Europe est très dépendante des importations pour la plupart de ses ressources et les prix de ces dernières vont continuer à augmenter et devenir de plus en plus volatiles. Il y a donc un intérêt économique manifeste à utiliser plus efficacement les ressources et à réutiliser les matières – au sein d’une économie circulaire. »[1]En 2018, on peut lire dans la Feuille de route pour l’économie circulaire (FREC) française : « L’économie circulaire, c’est aussi la réduction de la dépendance de la France aux importations de matières premières et aux aléas économiques mondiaux ». L’expérience de cette crise sanitaire a également montré que la puissance publique a gardé un pouvoir essentiel, capable qu’elle a été de ralentir – certes indirectement – une machine économique réputée incontrôlable. Un système économique que l’on sait étroitement imbriqué aux systèmes politique, sociologique et technique pour former un hyper-système global complexe, soumis à des changements environnementaux (climat, biodiversité) induits aussi bien que subis. Le constat est désormais connu : ce système n’est pas viable et a atteint voiredépassé certaines limites planétaires[2]. La cause principale en est aussi identifiée : une économie dite linéaire, consistant à extraire, fabriquer, consommer et jeter. L’économie circulaire est pensée dès l’origine comme une alternative au système économique linéaire, un changement systémique volontariste permettant de revenir dans l’enveloppe de ces limites planétaires et de viabiliser notre système global. En Europe et en France ont été lancées depuis une dizaine d’années des politiques visant à sortir de l’économie linéaire, mais nous semblons aujourd’hui « coincés » à un stade précoce de l’économie circulaire. Un stade trop précoce car porteur d’un possible effet pervers : servir de façade à la poursuite du « business as usual » de l’économie linéaire. La crise de 2020 peut-elle être un catalyseur de l’accélération vers plus de circularité véritable ? Nous allons tenter de répondre à cette question en posant, dans un premier temps, les éléments d’une définition complète de l’économie circulaire, indispensable à la préservation du concept fondateur (I), en exposant les étapes théoriques de mise en place de l’économie circulaire (II), en précisant le stade actuel de cette mise en place en Europe et en France (III), en analysant les causes de son ralentissement à un stade encore trop précoce (IV), en identifiant les domaines déterminants d’une accélération souhaitée (V) et l’acteur-clé que constitue l’État (VI) et enfin en examinant la question spécifique de la relocalisation d’activités industrielles (VII). Au fil du texte, nous formulerons des propositions qui nous semblent essentielles pour accélérer la réalisation d’une économie véritablement circulaire à grande échelle. Pour une définition complète de l’économie circulaire   L’économie circulaire est un concept ayant émergé à la toute fin des années 1980[3] comme une alternative, inspirée par le fonctionnement des écosystèmes, à l’économie linéaire extractive et prédatrice. Il n’a cessé d’évoluer depuis et, probablement à cause de sa relative jeunesse, n’est pas encore stabilisé, ni en théorie, ni en pratique, ce qui lui fait courir le risque d’être mal interprété voire détourné[4]. Kirchherr et collaborateurs démontrent en particulier que le concept d’économie circulaire est trop souvent réduit à deux dimensions : le recyclage des déchets et la prospérité économique. L’économie circulaire, dans cette formulation « faible », ne répond plus alors à ses objectifs premiers de soutenabilité et d’équité intergénérationnelle.   Proposition 1 : Adopter collectivement une définition claire, complète et « forte » de l’économie circulaire, associée à la réduction des flux (en particulier à la réduction de la consommation des ressources) dans l’objectif, à terme, d’un retour à l’intérieur des limites planétaires et ne permettant pas une interprétation « faible » légitimant la poursuite d’un modèle qui resterait essentiellement linéaire. Proposition 2 : Inscrire cette définition dans un cadre stratégique national aussi bien qu’européen, avec des objectifs chiffrés explicites mettant l’accent sur la réduction de la consommation des ressources. Nous proposons ci-dessous les éléments que toute définition complète du concept devrait inclure en nous inspirant du travail de Kirchherr et collaborateurs et en y apportant quelques compléments. Les objectifs de l’économie circulaire en termes de soutenabilité : aller vers une économie sobre en ressources naturelles difficilement ou non renouvelables (dans le cadre d’un modèle de soutenabilité dite «faible[5] »), voire totalement dénuée de prélèvements de ressources non renouvelables (dans le cadre d’un modèle de soutenabilité dite « forte »), sobre en énergie, à bas carbone et à faible impact sur les écosystèmes, jusqu’à revenir dans le domaine intérieur des limites planétaires (empreinte écologique ne dépassant pas une planète) ; en assurant la prospérité économique nécessaire au bien-être des citoyens, en particulier en termes de santé, d’emploi et de sécurisation des sources d’approvisionnement; en garantissant la justice sociale[6]; en préservant la qualité de vie des générations futures.   Les principes opérationnels de l’économie circulaire : le cadre hiérarchisé de la gestion des déchets, permettant de boucler les cycles de matière et de réduire la consommation des ressources : par ordre de préférence (1) réduction des déchets et du gaspillage, (2) extension de la durée de vie des produits par réparation et maintenance, réutilisation et réemploi[7], (3) valorisation des matières par recyclage[8], (4) valorisation énergétique[9]. Ce cadre hiérarchique est souvent représenté comme une série de “R” (pour réduire, réparer, réutiliser, recycler, etc.) dont le nombre varie d’une publication à l’autre ; l’approche systémique multi-échelle: mise en œuvre de la circularité à l’échelle (1) des micro-systèmes (échelle des entreprises, des produits, des consommateurs), (2) des méso-systèmes (échelle des villes, des territoires, des plateformes industrielles, des régions), (3) des macro-systèmes (échelle nationale, continentale et globale)[10].   Les acteurs de la mise en œuvre de l’économie circulaire : les pouvoirs publics, par leur rôle normatif et incitatif à l’échelle nationale et de mise en œuvre à l’échelle descollectivités

Par Duquennoi C.

29 mai 2020

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