Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Écologie

Le résultat de la COP16 Biodiversité en Colombie : oui… mais non !

La COP16 à Cali en Colombie avait la charge de passer des mots à l’action. Elle a enregistré quelques avancées significatives mais des engagements importants pris antérieurement n’ont pas été tenus.   La Convention des Nations unies sur la diversité biologique (COP16) s’est tenue à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre 2024. Cette COP avait pour but de s’accorder sur la mise en œuvre, d’ici à 2030, des 23 objectifs fixés par l’Accord de Kunming-Montréal (conclu lors de la COP15 en 2022), comme la préservation d’au moins 30 % des terres et des mers d’ici 2030, la réduction des pollutions et du risque lié aux pesticides [pour plus de détails sur le contexte, voir l’encadré en fin d’article]. La Colombie, quatrième pays le plus riche en biodiversité[1] et le plus diversifié en termes d’espèces d’oiseaux, de papillons et d’orchidées, a-t-elle su faire aboutir les négociations et obtenir de réelles avancées ? Malgré quelques progrès notables, des blocages importants demeurent : Représentation des peuples autochtones : la COP16 a conduit à la création d’un groupe permanent au sein de la Convention sur la diversité biologique pour intégrer les peuples autochtones, reconnaissant ainsi leur rôle central en tant que protecteurs de la nature et de la biodiversité. Lancement du « Fonds Cali » pour garantir le partage équitable des bénéfices tirés des ressources génétiques, notamment au profit des pays en développement, afin de compenser les usages industriels de ces ressources. Mais son abondement est volontaire, ce qui ne peut que susciter des craintes sur les montants versés. Un retard général sur l’élaboration des stratégies nationales de préservation de la biodiversité et des efforts pour intensifier la protection des écosystèmes qui restent limités, malgré l’urgence illustrée par les chiffres alarmants concernant la perte de biodiversité. Le mécanisme de pilotage et de suivi de ces stratégies et plans nationaux n’a pas été mis en place, contrairement à ce qui était prévu. L’impasse des négociations sur le financement : les discussions sur la mise en place d’un fonds autonome dédié à la biodiversité, sous gouvernance onusienne, ont échoué. Ce mécanisme, réclamé par les pays en développement pour remplacer l’actuel jugé inadéquat, s’est heurté à l’opposition des pays développés. Des contributions financières en croissance mais représentant seulement 2 % de l’objectif 2030 : huit gouvernements ont annoncé un total de 400 millions de dollars pour le Fonds-cadre mondial pour la biodiversité, une étape très modeste en vue de l’objectif de 200 milliards de dollars d’aide annuelle d’ici 2030. Encadrement des « crédits biodiversité » : une feuille de route en vue de s’assurer que ces mécanismes de marché, conçus pour compenser les pertes écologiques, soient crédibles et servent effectivement la préservation de la nature a été proposée aux débats mais n’a pas pu être discutée faute de quorum. Le débat de fond sur l’utilisation ou non de ces crédits controversés (notamment suite aux scandales dont ont fait objet leurs équivalents carbone[2]) n’est ainsi pas tranché. I. Quelques avancées positives Un accord majeur a été officialisé lors de la COP16 : la création d’un organe permanent pour représenter les peuples autochtones au sein de la Convention sur la diversité biologique. Représentant un peu plus de 6 % de la population mondiale, les peuples autochtones occupent 22 % des terres de la planète abritant plus de 80 % de la biodiversité mondiale. Leur savoir traditionnel est souvent en première ligne pour la protection de la biodiversité et la préservation des écosystèmes contre des intérêts économiques à court-terme. La création de cette structure officielle reconnaît leur rôle comme essentiel et leur permettra de renforcer leur statut dans les futures négociations liées à la nature et au climat. Des avancées ont également été faites en matière de partage avec les populations locales (y compris les peuples autochtones), des bénéfices issus de la « biopiraterie », à savoir l’exploitation économique des ressources naturelles de pays en développement, par le séquençage numérique de l’ADN de plantes, d’animaux ou de microorganisme qui sont spécifiques à ces territoires. Le texte adopté stipule que les industries pharmaceutiques, cosmétiques, agricoles, alimentaires et biotechnologiques qui utilisent ces ressources devront verser 0,1 % de leur revenu ou 1 % de leurs bénéfices dérivés des données génétiques de la nature au nouveau « Fonds Cali ». Malheureusement ces seuils ne sont qu’indicatifs et il n’y a aucune obligation pour ces entreprises d’y contribuer. Ce qui, on ne peut que le craindre, risque de limiter très fortement le montant de ces versements. Enfin, un des textes importants adoptés place la biodiversité au même niveau que la décarbonation et le changement climatique. Cette décision va dans le sens des travaux de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES – l’équivalent du GIEC pour la biodiversité), qui indiquent que le changement climatique est une des causes majeures directes du déclin de la biodiversité. Elle doit permettre de créer des synergies pour solutionner les différentes problématiques de façon globale, sans (trop) les hiérarchiser ou les opposer. Elle devrait aussi permettre une plus grande attention politique et médiatique aux futures COP Biodiversité. II. Un premier échec majeur : celui des financements Les financements en provenance des États des pays riches pour la protection et la restauration de la nature, affichés à hauteur de 20 puis 30 milliards de dollars par an à horizon 2025 et 2030 à Montréal, sont très éloignés de l’objectif. Les engagements à l’alimentation du Fonds mondial pour la biodiversité (GBFF en anglais) se montent à seulement 400 millions de dollars. Les financements du secteur privé sont quant à eux quasiment absents. Il faut rappeler que les financements en provenance de toutes les sources (publiques, privées, philanthropiques, domestiques, innovantes sous la forme de taxes, etc.), et allant des pays du Nord vers ceux du Sud afin qu’ils investissent pour protéger et restaurer la biodiversité, sont estimés devoir être de l’ordre de 200 milliards de dollars par an. On en est très loin. Plus globalement, la prise de conscience par le secteur privé de l’effondrement de la diversité

Par Dicale L.

19 décembre 2024

Négocier la transition écologique : du dialogue social au dialogue écologique

En mai 2022, le discours de huit étudiants d’AgroParisTech lors de leur cérémonie de remise de diplôme invitant leurs camarades de promotion à « déserter » les emplois « destructeurs » a mis une nouvelle fois en lumière la défiance croissante des jeunes diplômés à l’égard des entreprises. Une défiance nouvelle incarnée également par le Manifeste étudiant pour un réveil écologique signé par plus de 30 000 étudiants. Ces interpellations, signaux faibles d’une crise du travail qui traverse notre société, soulèvent une question majeure : comment réellement transformer les entreprises pour préserver les conditions de vie sur terre ? Si le discours des étudiants d’AgroParisTech a rencontré un écho important, c’est parce que la question écologique est indissociable de celle du travail. L’impératif écologique met aujourd’hui en lumière l’impasse d’un modèle de régulation du travail, hérité de la révolution industrielle, qui a évacué du champ de la négociation collective l’objet et la finalité du travail. C’est sur cet effacement de la finalité du travail, du seul ressort de l’employeur, que s’est construite la société salariale à la fin du XIXe siècle, réduisant le progrès social à des termes quantitatifs liés à la rémunération, au temps et aux conditions de travail. Ce modèle de régulation, aveugle à l’empreinte du travail sur notre environnement, nécessite désormais d’être repensé à l’aune de l’impératif écologique. Alors que l’urgence climatique s’est installée au cœur du débat public depuis quelques années, la transition écologique n’est appréhendée qu’à travers le prisme de l’État et de la « planification écologique » incarné par la création en 2022 du Secrétariat général pour la planification écologique (SGPE). La question de la transformation écologique des entreprises apparaît encore délaissée alors qu’elle constitue un levier d’action décisif. Or la transformation de l’appareil productif ne peut se décréter simplement par des lois mais implique de nouer, par la négociation collective, de nouveaux équilibres économiques et sociaux adaptés aux spécificités de chaque secteur d’activité. Face à l’impératif écologique, les relations collectives de travail qui se sont construites autour de l’objectif de sécurité économique et matérielle, doivent désormais intégrer l’enjeu de responsabilité environnementale. Conçu pour prendre en charge la révolution industrielle, le droit du travail peut constituer demain un formidable levier d’action pour réussir la transition écologique. Si une initiative telle que la Convention des entreprises pour le climat[1] témoigne d’un engagement réel des directions d’entreprises, faire de la question écologique un sujet de dialogue social est la seule garantie que ces transformations ne s’effectuent pas au détriment des salariés. À cet égard, une dynamique nouvelle semble à l’œuvre. À l’échelle nationale d’abord, la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 a, pour la première fois, conféré des prérogatives écologiques aux représentants des salariés en entreprises. Par ailleurs, les organisations professionnelles tentent de s’emparer des questions écologiques. Un premier accord de branche sur la transition écologique a ainsi été conclu le 17 octobre 2023[2] dans le secteur pharmaceutique. Signé par les syndicats représentatifs (CFDT, FO, CFTC, UNSA) et le syndicat de l’industrie pharmaceutique (LEEM), cet accord impose des obligations nouvelles en matière écologique aux entreprises du secteur. L’intégration des questions écologiques dans le dialogue social à tous les niveaux apparaît comme une nécessité pour réussir la transformation écologique des entreprises. Pour ce faire, cette note formule des propositions fortes, dans le prolongement de la loi « Climat et résilience », pour faire de l’impératif écologique un sujet de dialogue social à part entière. Père fondateur du dialogue social en entreprise, l’ancien ministre du Travail de François Mitterrand, Jean Auroux, affirmait que « l’entreprise ne peut plus être le lieu du bruit et du silence des hommes ». Face à l’urgence écologique, l’entreprise ne peut désormais plus être le lieu de la destruction du vivant et du silence des hommes. C’est le sens de l’ensemble des propositions qui sont ici formulées pour faire de l’urgence écologique un véritable sujet de dialogue social. 1. L’impératif écologique, grand absent du dialogue social Si la loi « Climat et résilience » a pour la première fois étendu le champ de compétence des comités sociaux et économiques (CSE) aux questions écologiques, force est de constater que ce cadre reste insuffisant pour faire émerger un véritable dialogue social en matière écologique. C’est d’ailleurs ce que souligne une enquête réalisée par Syndex auprès de représentants du personnel en 2023[3] : si 79 % des représentants du personnel ont connaissance des prérogatives environnementales des CSE, 83 % d’entre eux estiment qu’il n’existe peu ou pas de dialogue social sur les questions écologiques dans leur entreprise. Seuls 15 % estiment aujourd’hui qu’il y en a suffisamment. Cette absence de dialogue social sur les questions écologiques tient à la limite des prérogatives des CSE en la matière, et plus largement à l’absence d’espace de discussion comme de moyens spécifiques dédiés aux questions écologiques. Si les représentants du personnel disposent désormais de compétences réelles en matière écologique, ces derniers souffrent d’un manque de temps comme de moyens dédiés pour s’emparer véritablement de ces sujets. a. Le dialogue social, une conquête politique récente Alors que plus de 88 000 accords collectifs en entreprise ont été conclus en 2022, le dialogue social en entreprise est un acquis récent. Jusqu’en 1982 et l’adoption des « lois Auroux », le dialogue social n’avait lieu que lorsque les entreprises étaient confrontées à des conflits sociaux. Aspirant à faire des salariés des « citoyens à part entière dans l’entreprise », le ministre du Travail Jean Auroux engage alors une réforme profonde du droit du travail qui oblige, pour la première fois, les entreprises à négocier chaque année avec les représentants du personnel sur l’évolution des salaires, du temps de travail et des conditions de travail ; sans obligation toutefois de devoir conclure un accord. La loi du 13 novembre 1982 marque ainsi un changement de paradigme : alors que les négociations en entreprise avaient auparavant principalement vocation à mettre fin à des conflits sociaux pouvant prendre la forme de grèves, l’instauration des négociations obligatoires à partir de 1982 contraint soudain les employeurs et les représentants des salariés à dialoguer « à froid » et négocier des accords collectifs. L’absence de dialogue social en matière

Par Bozonnet C., Montjotin P.

18 novembre 2024

Les Golden shares comme outils de planification écologique en alternative aux participations de l’État

Judith Kleman et Camille Souffron Pour l’Institut Rousseau Octobre 2024 Introduction 2 Actions spécifiques : outils de contrôle et de gouvernance partagée 4 Actions spécifiques : qu’est-ce ? 4 Actions spécifiques et loi PACTE : une extension toujours limitée par les traités européens 6 Une alternative à l’entrée de l’État au capital et à la nationalisation pour la planification écologique 8 Court contre long terme : contrer la primauté de la valeur actionnariale et orienter les choix stratégiques 8 Quelles solutions face à la difficile prise en compte des enjeux environnementaux dans l’entreprise ? 9 Faire des participations de l’État plus qu’un outil passif de recettes : la nécessité de la mise en place d’un réel État-stratège pour mener la transition écologique 10 III. Quels secteurs concernés et quelles évolutions du droit nécessaires ? 12 Aujourd’hui, un ensemble de secteurs stratégiques délimité 12 (Re)définir les secteurs stratégiques et les élargir aux enjeux environnementaux 13 Propositions 14 Résumé général : Nous proposons la réappropriation de l’outil de l’action spécifique (golden share) par l’État, action qui lui donne des prérogatives et droits spécifiques largement supérieurs à ceux des actionnaires ordinaires, sans qu’il soit pour autant actionnaire majoritaire. Nous proposons également le développement de nouveaux mécanismes juridiques et administratifs pour renforcer la souveraineté nationale, développer de réelles stratégies économiques, piloter la nécessaire transition écologique et affronter les crises actuelles. Proposition n°1 : ● Réappropriation par l’État de l’action spécifique dans des entreprises stratégiques (Total, Veolia). ● Élargissement du périmètre de l’Agence des participations de l’État (APE) et des secteurs sensibles du Code monétaire. ● Utilisation de l’action spécifique pour relancer des activités productives innovantes (i.e. mines de lithium, IA). Proposition n°2 : ● Couplage avec une planification économique et écologique ambitieuse. ● Mobilisation de différents services et organismes d’État pour sortir de la gestion passive des participations. Encouragement de la transformation des entreprises vers des missions sociales (affectio societatis). Proposition n°3 : ● Développement de nouveaux droits dans l’action spécifique (inspirés de l’Allemagne et des Pays-Bas) : droit de véto de l’État sur des votes stratégiques, interdiction de développer des activités nuisibles, obligation de réinvestir une partie des profits, plafond des droits de vote pour les gros actionnaires. ● Sélection de droits conférés selon les enjeux de chaque entreprise pour éviter l’opposition de la CJUE. Proposition n°4 : ● Conditionnement des financements et commandes publics à des critères environnementaux, sociaux, et économiques. Proposition n°5 : ● Création d’une autorité de contrôle du devoir de vigilance des entreprises en matière environnementale, sociale, et des droits humains. Inclusion des entreprises étrangères opérant en France dans ce contrôle. Proposition n°6 : ● Adaptation du cadre européen (TFUE) pour développer le périmètre et les droits des actions spécifiques des États membres, bien que la révision des traités soit difficile. ● Utilisation de précédents juridiques pour justifier la réappropriation d’entreprises stratégiques face aux crises écologiques. Sélection précise des droits pour éviter un blocage européen. Introduction Le 19 juin dernier était publié le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe Total Energies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France, avec une liste de recommandations. Parmi ces dernières, un outil juridique d’une grande influence et peu discuté dans le débat public a été remis au goût du jour : l’action spécifique. Le rapport appelle en effet l’État à en acquérir une dans l’énergéticien à la fois pour organiser sa transition écologique et le protéger de l’américanisation massive de son actionnariat. L’action spécifique pourrait être un puissant outil de planification écologique, en plus de la défense des intérêts stratégiques de la France. D’autant que le concept de planification écologique s’est récemment développé dans le débat public et là où on ne l’attendait pas à une échelle remarquable, que ce soit chez des économistes comme Jean Pisani-Ferry évoquant le retour d’une « économie de pénurie »[1], ou bien directement au sein du gouvernement qui en revendique le terme[2].   La planification écologique, déjà évoquée dès 1972 par le président de la Commission européenne Sicco Mansholt dans sa fameuse lettre[3], peut s’avérer prometteuse voire nécessaire[4] dans une conjoncture économique instable et face aux conséquences de l’effondrement écologique, au vu des besoins en termes d’investissement[5] et de coordination des secteurs public et privé. Mais encore faut-il que cette planification soit réalisée par un État-stratège avec une vision cohérente, au-delà des purs effets d’annonce et aspects marketing. Or, dans le rapport d’information sénatorial de 2021 sur les participations annuelles de l’État[6], la sénatrice LR Martine Berthet notait qu’il était de plus en plus difficile de deviner une stratégie de long terme de la part de l’État français, et cela particulièrement au sujet de la dimension actionnariale de l’État. Selon ce rapport, le compte d’affectation spéciale « participations financières de l’État », regroupant recettes et cessions des dites participations, ne serait devenu depuis 2017 qu’un « outil comptable de la politique d’investissement de l’État » plutôt « qu’un levier d’action de l’État stratège ». La Cour des comptes va jusqu’à parler de « perte de substance »[7].   Autrement dit, plutôt que d’investir et de soutenir des secteurs stratégiques pour l’intérêt national, de sauvegarder la souveraineté économique du pays face à des gestionnaires court-termistes et des investisseurs étrangers, la gestion des actions de l’État suivrait désormais une simple logique d’optimisation du budget à court terme. L’État lui-même ferait parfois pression sur les actionnaires privés et les conseils d’administration pour verser et augmenter les dividendes ou bien réaliser des choix stratégiques dans le seul but de maximiser le taux de marge d’EBIT[8], par exemple chez Thalès[9], alors que l’on aurait à l’inverse pu penser que l’État était un garde-fou face aux pressions de la valorisation actionnariale.   Pourtant, l’État se retrouve rattrapé par l’urgence environnementale, dépassant le seul impératif climatique[10]. Une telle transformation impose de préparer les structures économiques et de coordonner un ensemble d’investissements publics (cf. le rapport 2 % de 2°C de l’Institut Rousseau) mais aussi privés. Nombre

Par Kleman J., Souffron C.

4 octobre 2024

Neutralité carbone de l’Europe : l’Institut Rousseau ouvre la voie pour une transition réussie

Alors que la récente crise agricole a mis en lumière les tensions autour de la rémunération des agriculteurs, avant de se solder par un recul sur les normes environnementales, l’Institut Rousseau s’est interrogé sur la nécessité de trouver le bon équilibre pour concilier enjeux économiques, sociaux et écologiques. Comment décarboner tous les secteurs de l’économie ? Combien d’investissements cela nécessite-t-il, par secteur, par pays, par mesure ? À l’heure de l’austérité budgétaire, comment financer la transformation nécessaire de notre économie ? Pour répondre à cette question, l’Institut Rousseau a réuni plus de 150 chercheurs et experts de toute l’Europe afin d’évaluer les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques de l’Europe, et notamment la neutralité carbone d’ici 2050. Le rapport Road to Net Zero compile l’ensemble de ce travail de recherche et constitue, par son niveau de précision, une première mondiale. L’étude analyse en détail sept grands pays en plus de l’Europe – la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Suède – et chiffre ainsi 37 leviers de décarbonation, tous secteurs confondus, et plus de 70 politiques publiques. « Atteindre nos objectifs climatiques nous coûtera deux fois plus cher si nous ne l’abordons que sous l’angle technologique » En parallèle, la Commission européenne a récemment publié son étude d’impact ‘Europe’s 2040 climate target and path to climate neutrality by 2050 building a sustainable, just and prosperous society’ (« L’objectif climatique de l’Europe à l’horizon 2040 et la voie vers la neutralité carbone d’ici 2050 pour construire une société durable, juste et prospère »). Chacune de ces deux études constate que des investissements supplémentaires substantiels, par rapport à ceux déjà prévus (“les investissements tendanciels”), sont absolument nécessaires. En revanche, la comparaison entre ces deux études met en exergue une différence d’approche notable : le scénario de la Commission européenne préconise une “simple” décarbonation des usages (c’est à dire un pur « switch » technologique ») quand l’Institut Rousseau propose une transition plus globale, intégrant des mesures de réduction des consommations énergétiques. De cette différence d’approche découle un triple constat. La transition écologique globale couplée à des mesures de réduction des consommations énergétiques que propose l’Institut Rousseau est : Deux fois moins coûteuse pour l’ensemble de l’économie par rapport aux scénarios reposant principalement sur l’électrification des secteurs énergivores. Possible, car s’appuyant sur des politiques déjà mises en œuvre dans certains pays ou régions d’Europe. Synonyme d’une bien plus grande souveraineté économique pour les pays de l’UE, en réduisant largement leur dépendance aux importations, de fossiles et de matériaux critiques à court terme, et de “gaz verts” à plus long terme. Une transition globale, économe et ambitieuse A l’inverse des discours sur les « coûts exorbitants » d’une transition écologique globale, la comparaison entre le rapport de l’Institut Rousseau et l’étude de la Commission européenne démontre qu’une transition intégrant des mesures de réduction des consommations énergétiques – par efficacité et sobriété – est in fine nettement moins coûteuse, sur le long terme, qu’une transition centrée sur la seule décarbonation des usages. L’analyse de l’étude d’impact de la Commission UE permet de mettre en évidence les coûts supplémentaires d’une stratégie centrée sur la seule décarbonation. En effet, la Commission européenne prévoit deux fois plus d’investissements supplémentaires d’ici 2050 pour le scénario qu’elle privilégie, soit environ 540 milliards d’euros par an, contre 285 milliards d’euros par an pour le scénario proposé par l’Institut Rousseau[1] (ramené à un périmètre similaire, pour comparaison). Cette différence de coûts, entre transition globale et décarbonation des usages, s’explique principalement par les surcoûts liés à une trop forte augmentation de la production d’électricité et au renouvellement de la totalité des flottes de véhicules sans report modal (là où le scénario de l’Institut Rousseau, grâce à un développement ambitieux du train, des transports en commun et du vélo, permet une baisse de 20 à 25% du nombre de voitures particulières en circulation). Les besoins d’investissements climat selon les études Institut Rousseau vs. Com UE* Sources : Rapport RtNZ (2024) et Impact assessment « path to climate neutrality by 2050 » de la commission UE (2024) en euros 2022 et 2023 sur les 4 principaux secteurs étudiés. Note : Dans l’étude de la Commission européenne, le sur-investissement est même estimé à plus de 640 Mds/an mais les années considérées pour évaluer la « dépense actuelle » sont antérieures à celles du rapport RtNZ (2019-2022), qui correspond à 1040 Mds/an d’investissements dans ces 4 secteurs (vs. 1160 Mds en ajoutant l’agriculture, la R&D et les puits, voir graphique suivant). *L’étude UECom n’intégrant pas les investissements dans les infrastructures ferroviaires et cyclables (environ 100 Mds/an dans RtNZ), nous avons ajouté les investissements prévus sur le seul réseau « Trans-européen », estimés à au moins 65 Mds/an dans l’étude d’impact « réseaux de transports » de 2021 de la Commission (pour l’essentiel ferroviaires).   Certes, d’autres scénarios de « décarbonation seule », produits par des gestionnaires de réseaux électriques européens aboutissent à des besoins d’investissements moins élevés dans la production d’énergie que l’étude de la Commission européenne. Mais ces scénarios préconisent un recours massif aux importations de « gaz verts » (ex. hydrogène produit à partir d’électricité renouvelable ou biométhane). Or, d’une part les surcoûts engendrés par ces importations sont estimés à environ 200 milliards d’euros par an pour l’économie européenne. D’autre part, ces scénarios auront pour conséquence de remplacer les dépendances actuelles de l’Europe en gaz et en pétrole par de nouvelles dépendances aux “gaz verts”. Dans le détail, l’Institut Rousseau préconise d’accroître les investissements de 30%, en particulier dans les domaines de la rénovation énergétique (+ 140 milliards d’euros par an), de la production d’énergie (+ 80 milliards d’euros par an), des infrastructures de transports et de l’agriculture (avec respectivement + 52 et + 47 milliards d’euros par an) : Une transition possible et souhaitable Les politiques publiques nationales et locales étudiées dans le rapport prouvent qu’il est possible de réorienter la stratégie de l’Europe vers une transition globale limitant les investissements supplémentaires grâce à des efforts mieux ciblés. Dans le secteur des transports, l’exemple de l’Autriche et du Danemark ont démontré que

Par Kerlero de Rosbo G., Desquinabo N.

28 mai 2024

Débat des candidats : le fact-checking Le fact-checking détaillé du débat que nous avons organisé avec les candidats aux européennes

Introduction Cet article rend compte des inexactitudes factuelles et déformations prononcées lors du débat électoral européen du 22 mai 2024, organisé par l’Institut Rousseau, en partenariat avec Alternatives économiques, Vert, le média et l’école des Mines de Paris. Ce débat a fait intervenir : – Jean Marc Germain (PS – Place Publique) – Pascal Canfin (Re) – Marina Mesure (LFI) – Flora Ghebali (Les Écologistes) La cellule de fact-checking, tant en live qu’à l’issue du débat a été co-animée par l’Institut Rousseau et QuotaClimat. Elle était composée de : – Guillaume Kerlero de Rosbo, directeur Transition écologique de l’Institut Rousseau – Jean Sauvignon, responsable baromètre de l’association QuotaClimat – Titouan Rio, bénévole QuotaClimat – Lucien Mathieu, responsable voitures à Transport & Environnement (sujet Transport) – Nicolas Desquinabo, expert en politiques publiques (sujet Logements) – Hervé Guyomard, directeur de recherche à l’INRAE (sujets Agriculture) – Serge Besanger, enseignant-chercheur à l’ESCE (sujets Commerce International) – William Honvo, professeur d’économie et de finances publiques (sujets Financement) – Nicolas Dufrene, directeur de l’Institut Rousseau (sujet Financement) – Philippe Ramos, chargé de plaidoyer à Positive Money Europe (sujets Financement) Le débat dans son intégralité est à retrouver ici : Europe, climat, économie : le débat des candidats (version avec fact-checking). Des bandeaux annonçant les fact-checking détaillés ci-dessous sont intégrés à la vidéo. Sur le sujet des Transports LFI – Marina Mesure L’UE favorise la route et l’aviation. La privatisation du ferroviaire a engendré une augmentation du prix des billets et une disparition des petites lignes. 15’12’’ – Inexact : privatisation et libéralisation sont deux choses différentes. La mise en concurrence imposée par l’UE n’implique pas forcément une privatisation, qui relève de l’autorité publique nationale. Cette mise en concurrence peut dans certains cas faire monter les prix, mais elle peut également les faire baisser. Au Royaume-Uni, les prix ont très fortement augmenté mais suite à une privatisation totale du ferroviaire sans soutien de l’Etat sur le prix des billets. Source : https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/vrai-ou-fake-l-ouverture-du-rail-a-la-concurrence-fait-elle-baisser-le-prix-des-billets-de-trains_5885759.html&sa=D&source=docs&ust=1716487803230386&usg=AOvVaw35z1qZVXvEO5PmGFG7k3go   Propose un pass interrail européen pour les jeunes 16”12 – À préciser (déjà existant) : le pass interrail européen pour les jeunes existe déjà PS – PP – Jean-Marc Germain La libéralisation du fret a engendré baisse des flux et hausse des prix. 18’38’’ – Incomplet : la libéralisation n’est pas seule en cause dans la baisse des flux et la hausse des prix, le manque d’investissement et les gains en compétitivité du secteur routier sont également responsables. Source : https://www.transportenvironment.org/topics/rail&sa=D&source=docs&ust=1716495334742427&usg=AOvVaw0nlNsDEmrnpj5WgXjdVLIC   Renaissance – Pascal Canfin Il n’y a aucune chance que la fiscalité sur le kérosène se réalise car il y a toujours un pays qui sera contre. L’aviation a donc été intégrée dans le marché du CO2 en se servant de la majorité qualifiée pour éviter le droit de véto, une raison de la fin du régime dérogatoire. 25’42’’ – Vrai, à nuancer : en effet, le droit de véto peut bloquer une fiscalité globale. Plusieurs pays peuvent en revanche se mettre d’accord pour les vols les concernant. De plus, les Etats peuvent fixer une éco-contribution sur les billets au départ de leur territoire, comme c’est le cas en France depuis 2019. Dans ce cas, c’est du ressort de la politique nationale. Sources: https://www.i4ce.org/wp-content/uploads/2022/07/I4CE-Etude-EvalClimat360%25C2%25B0BudgetEtat-1.pdf&sa=D&source=docs&ust=1716486511321690&usg=AOvVaw1InvZzI0Dee3Lg4KBbZSXr https://www.ouest-france.fr/economie/transports/avion/leurope-ne-parvient-pas-a-taxer-le-kerosene-des-avions-la-france-quelle-le-fera-seule-9f51aa9a-3149-11ee-895b-b99bc8a96af7&sa=D&source=docs&ust=1716493721638038&usg=AOvVaw3Y6jZo-pwqEvAgdR8biJJC Sur le sujet des Logements Renaissance – Pascal Canfin Personne ne dépensera 40 000€ pour développer un patrimoine qui en vaut 100 000€ 31’46’’ – Faux : Dans le cas (rare) des petites maisons « passoires » à 100 000 euros, il y a justement une forte rationalité économique à engager une rénovation « profonde » de 40 000 euros car : Selon l’étude des notaires sur la valeur verte, les biens passant d’une étiquette F-G à B bénéficient d’une valorisation de 20 à 36% https://www.notaires.fr/fr/actualites/la-valeur-verte-des-logements-en-2022-et-tendances-2023 Dès le premier hiver, les gains sur les factures énergétiques pourront dépasser 1500 euros/an (ex. I4CE pp.22-23) https://www.i4ce.org/wp-content/uploads/2023/10/La-transition-est-elle-accessible-a-tous-les-menages.pdf Le frein principal à ces travaux est qu’ils concernent principalement des ménages modestes sans épargne ni accès au crédit, d’où les aides et avances « Sérénité / Rénovation d’ampleur » puis « Parcours accompagné » mis en place par…Renaissance en France https://www.economie.gouv.fr/particuliers/maprimerenov-parcours-accompagne-tout-savoir-sur-cette-aide https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F35083 Quand Emmanuel Macron est arrivé à l’Élysée, 80% de Ma Prime Rénov profitait aux ménages riches, aujourd’hui c’est 80% pour les ménages précaires, essentiellement grâce aux réformes du gouvernement. 33’09’’ – Faux : en 2023 70% des bénéficiaires de Ma Prime Rénov’ étaient des ménages “modestes”, mais seulement 46% des “très modestes”, correspondant donc aux 80% pour les ménages “précaires” annoncés. Sources : https://www.anah.gouv.fr/sites/default/files/2023-07/20230127_Reporting-MPR-filiere-bilan-2022.pdf https://www.anah.gouv.fr/sites/default/files/2024-01/202401_ChiffresCles2023_WEBA.pdf   Les Écologistes – Flora Ghebali Passer de 0,2% de rénovation annuelle aujourd’hui à 2% pour rénover tous les logements à horizon 2050 et atteindre les objectifs de neutralité carbone. 35’39’’ – Imprécis : le taux de rénovation énergétique annuel au sens large est nettement plus élevé (12,3% des logements), le taux de 0,2% évoqué correspond probablement aux rénovations “profondes”, entraînant plus de 60% de gains énergétiques. Par ailleurs, la cible de 2% pour rénover tous les logements à horizon 2050 est correcte. Sources : https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/97d6a4ca-5847-11ea-8b81-01aa75ed71a1/language-en/format-PDF/source-119528141 On peut créer 110 000 emplois rien qu’avec la rénovation énergétique d’après le Shift Project. 36’ – Vrai : selon le Plan de Transformation de l’Économie Française (PTEF) Source : https://theshiftproject.org/plan-de-transformation-de-leconomie-francaise-focus-sur-le-logement-individuel-et-collectif/   LFI – Marina Mesure 30% c’est la couverture actuelle proposée à un ménage pour la rénovation de son logement. 38’10’’ – Faux : le taux de 30% est loin d’être la moyenne : en France le taux d’aide pour une rénovation d’ampleur va de 30% à 90%, avec un plafond de 40 000€ à 70 000€ selon cas de figures. Dans les autres pays, les taux d’aide sont très variables, mais le plus souvent supérieurs à 30% pour les rénovations “d’ampleur” des ménages modestes, hormis en Allemagne où les taux d’aides à la rénovation énergétique sont pour la plupart inférieurs à 30%. Sources : https://www.anah.gouv.fr/sites/default/files/2024-02/202402_Guide_des_aides_WEBA.pdf https://www.energieheld.de/foerderung/institute-anbieter/beg-aenderungen-2024   À Marseille, les charges de certains HLM ont augmenté de 300%. 38’59’’ – Difficile à vérifier : en effet, une affaire médiatisée en 2023 fait mention de 200% d’augmentation pour certains locataires d’un bailleur spécifique à Marseille. Source :

Par Kerlero de Rosbo G., Desquinabo N., Dufrêne N., Ramos P.

27 mai 2024

Face aux pièges de l’écologie « punitive », quelles restrictions les plus efficaces et justes ?

Résumé exécutif   Les débats sur l’écologie soulignent régulièrement la question des « restrictions » à imposer ou non aux populations. De manière quasi systématique, les opposants au changement agitent le spectre de l’écologie « punitive » et font passer la moindre contrainte réglementaire comme une grave atteinte à la liberté. Or, en complément d’une réorientation massive des investissements vers les activités durables, il est clair que des outils réglementaires et normatifs doivent être mobilisés. Mais pas n’importe lesquels.   À travers des exemples précis empruntés aux secteurs de la mobilité, du logement et de l’agriculture, cette note met en lumière le caractère inefficace et socialement injuste des mesures actuellement les plus discutées dans le débat public. Ces débats mal posés jouent un rôle central dans le statu quo actuel : repoussoir légitime pour une part importante de la population, ils aggravent le fossé entre l’opinion publique et la nécessité d’agir face aux enjeux écologiques, et permettent aux décideurs publics de justifier leur inaction voire un recul de l’action publique sur ces questions. La taxe carbone sur le carburant sans proposition d’alternatives (point de départ de la crise des gilets jaunes), ou encore les normes pesant sur nos agriculteurs au profit de l’importation de viandes issues d’élevages intensifs non soumises à ces contraintes, en sont de bons exemples.   En miroir, cette note reprend plusieurs propositions développées dans des notes et rapports précédents de l’Institut Rousseau[1] sur les thématiques du transport (partie 1), du logement (partie 2) et de l’agriculture (partie 3) afin de les comparer avec les mesures « restrictives » actuellement les plus débattues et d’en préciser les impacts écologiques et sociaux potentiels (partie 4). La note conclut ensuite sur la question des alternatives (partie 5) et de l’opportunité de restrictions ciblées et non générales (partir 6) :   1. Promouvoir des malus ciblés plutôt que des zones à faibles émissions (ZFE) 2. Restreindre le logement occasionnel plutôt que le neuf abordable 3. Limiter les importations issues de l’élevage intensif plutôt que l’élevage extensif local 4. L’impact écologique de ces mesures : majeur à court terme, complémentaire à long terme 5. Accepter que les alternatives ne soient jamais parfaites 6. Passer de restrictions générales inutiles à des contraintes ciblées bénéficiant à la majorité   Le spectre de l’écologie « punitive » s’alimente de perspectives de restrictions trop générales, peu efficaces et régressives. Celles-ci constituent de véritables aubaines politiques pour les divers populismes anti-écologiques. Cette note ambitionne de déconstruire cet épouvantail en démontrant que le problème, ce ne sont pas les normes et restrictions environnementales en elles-mêmes mais la façon dont elles sont conçues et formulées dans le débat public. Et que des restrictions efficaces et justes, seules à pouvoir remporter un soutien populaire, sont possibles. Les débats sur l’écologie soulignent régulièrement la question des « restrictions » à imposer ou non aux français et plus globalement aux populations des pays développés. Certains en font la promotion générale, d’autres les craignent et beaucoup utilisent le spectre de l’écologie « punitive » comme argument pour ne rien faire. Or, en complément d’investissements massifs réorientés vers les activités durables (décrits de façon détaillée dans les rapports « 2% pour 2 degrés » et « Road to Net Zero » et la note « Quelles transformations globales pour une transition écologique effective ? » de l’Institut Rousseau), il est clair que des outils réglementaires et fiscaux doivent également être mobilisés. Des restrictions seront nécessaires pour réduire plus vite et plus fort nos empreintes écologiques et dépendances extérieures, mais pas n’importe lesquelles. Pour être opérantes et acceptables, il faut que ces restrictions : N’aggravent pas les inégalités déjà croissantes, et même les réduisent, en centrant les contraintes sur les ménages et organisations ayant le plus de moyens, et en introduisant des malus sur les comportements non vertueux qui permettent de financer des alternatives à bas coût pour la majorité. Aient des impacts écologiques importants (en termes de gaz à effet de serre, de polluants sanitaires et/ou de biodiversité), à court et moyen terme, afin de légitimer les efforts demandés. Complètent les solutions alternatives, en particulier lorsque ces alternatives arrivent à maturité et sont largement accessibles ou lorsque les soutiens aux alternatives écologiques n’ont plus d’effet sur leur adoption par certains publics. Loin de ces conditions d’efficacité et de justice sociale, les restrictions actuellement les plus débattues ont des impacts écologiques limités voire négatifs, tout en aggravant les inégalités sociales. Cela est notamment dû au fait que ces restrictions sont présentées de façon très générale (« anti-voitures », « anti-maison », « anti-viande ») et gomment ainsi les indispensables subtilités à prendre en compte pour être à la fois efficaces et justes. Plus précisément, les restrictions générales s’appuient sur trois grandes illusions, largement documentées par les données scientifiques récentes et les évaluations indépendantes : L’illusion des « moyennes », qui stigmatise les impacts d’objets généraux, en particulier « la voiture»[2], « la viande »[3] ou « la maison individuelle »[4], alors que leurs impacts sont loin d’être homogènes. En conséquence, des écarts de 1 à 10 sont gommés et des activités bénéfiques sont jetées avec l’eau du bain. Par exemple, les viandes sont stigmatisées de manière générale, alors que les élevages bovins extensifs ont des impacts écologiques globaux très positifs[5]. De même, des restrictions sont envisagées pour l’ensemble des populations, sans distinguer de sous-populations en fonction de leurs statuts (organisation ou particulier), revenus ou accès aux alternatives. L’illusion des « politiques actuelles » qui auraient déjà essayé mais, malgré de nombreuses incitations, auraient échoué à limiter les pollutions, démontrant par-là que les incitations sont inefficaces et que la seule solution serait de passer à une coercition homogène des masses. À l’inverse de ce postulat, il faut rappeler que les politiques actuelles sont en réalité fortement pro-fossiles[6]. Si les politiques incitaient réellement à des pratiques durables ou que celles-ci étaient déjà largement accessibles, des restrictions pourraient alors être efficaces, à condition d’être ciblées sur des acteurs et pratiques clés, par exemple les entreprises ayant de larges flottes automobiles ou les multi-propriétaires de logements et/ou de locaux tertiaires. L’illusion de la « réglementation magique », qui consiste à penser qu’une interdiction a un effet immédiat et absolu, sans effets de « transfert »

Par Desquinabo N.

6 mai 2024

Institutionnalisons la sobriété hydrique en France ! Quatrième partie

Ceci est la quatrième et dernière partie de la note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’institutionnalisation de la sobriété hydrique en France. Elle porte sur la construction d’institutions du partage de l’eau. I. La sobriété hydrique dans les services publics d’eau potable et d’assainissement 1. Les enjeux d’une utilisation sobre de l’eau domestique Comment assurer l’institutionnalisation de la sobriété hydrique dans les services d’eau et d’assainissement lorsque les fleuves et les nappes s’assèchent et/ou les inondations n’ont plus de saison ? C’est l’ensemble des services publics qui doivent être repensés pour assurer une adaptation qui met la gestion de l’eau au cœur de sa stratégie. Avant même d’imaginer une intervention dans les comportements des usagers, les acteurs publics doivent lever le voile sur les fragilités des réseaux d’eau et d’assainissement, accentuées par le changement climatique. Peut-on légitimement demander aux usagers de réduire leur consommation lorsque les réseaux sont vieillissants avec des taux de fuites parfois supérieurs à 20 % ? L’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), dans l’un de ses articles, interrogeait ce qu’est un « individu sobre au sein d’infrastructures dispendieuses ? »[1]. Il ne s’agit plus d’envisager des solutions pansements pour faire face aux épisodes de sécheresse et aux inondations. Si les politiques publiques de ces dernières années ont mené à un sous-investissement chronique dans les réseaux et donc à ces fuites – que l’État essaie tant bien que mal de reboucher –, d’autres problèmes s’accumulent, et la France prend l’eau. Figure 21 : Consommation domestique moyenne annuelle d’eau potable par habitant et par département [2] Plusieurs échelles de risques sont à identifier afin de pouvoir proposer une stratégie d’adaptation ayant la sobriété en son cœur. Tout d’abord, à l’échelle des réseaux d’eau et d’assainissement, une baisse des quantités d’eau dans ces réseaux augmentera son temps de séjour, et donc dégradera sa qualité en raison de la baisse de dilution des effluents d’assainissement. Le deuxième niveau de risque est celui du foyer. Parmi les 32 milliards de mètres cubes prélevés chaque année, 5,6 milliards sont potabilisés. En 2020, un foyer français (2,2 personnes selon l’INSEE) consommait en moyenne 119 mètres cubes par an. Si cela représente 150 litres par habitant et par jour en 2020, notons que la consommation d’eau est passée, en France, de 106 litres par jour et par habitant en 1975 à 165 litres par jour et par habitant en 2004, pour se stabiliser dans les années 2010 à ce chiffre[3]. Par ailleurs, il faut prendre en compte les disparités sur le territoire : la consommation domestique d’eau moyenne en Provence-Alpes-Côte d’Azur est jusqu’à trois fois plus élevée que la consommation domestique moyenne dans le Nord, notamment en raison de la présence de piscines. En effet, l’eau à notre robinet est une ressource locale : on prélève et on potabilise au plus près possible du robinet. Trois exemples pour illustrer cela. En Île-de-France, on prélève 840 millions de mètres cubes d’eau chaque année dont la moitié provient de la Seine et de la Marne et l’autre moitié est issue des nappes et sources de la région ou des régions voisines. Dans les territoires de montagne, l’eau potable provient en général des lacs, des sources en altitude ou des nappes de fond de vallée. Pour les territoires littoraux, la majorité des prélèvements pour l’eau domestique provient des nappes phréatiques [4]. 2. Pénurie quantitative, pénurie chimique : les services de l’eau à l’épreuve Les coupures d’eau peuvent survenir à la suite d’épisodes de sécheresse prolongés, ou résulter d’une qualité de la ressource dégradée en raison de la pollution [5]. Dans un cas comme dans l’autre, les usages en eau potable étant prioritaires, les collectivités doivent alors acheminer l’eau par camions-citernes ou bouteilles d’eau. Si elles en sont équipées, l’acheminement peut être assuré par interconnexion en achetant de l’eau aux collectivités voisines. Lors de l’été 2022, 343 communes ont eu recours au citernage, 196 autres ont distribué de l’eau en bouteille et 271 ont bénéficié de l’aide des communes voisines via des interconnexions en raison de la sécheresse[6]. Au-delà du risque même de coupure d’eau, les résultats concernant la qualité de l’eau en France sont insatisfaisants d’après le rapport du Sénat publié en décembre dernier. Les micropolluants forment une famille de plus de 11 000 substances que l’on retrouve dans l’environnement en faible concentration. Ce sont les fameux perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire des substances qui ont des effets sur le système hormonal des populations et des espèces exposées. Une fois répandus dans les sols, il faut plusieurs décennies pour les éliminer. On retrouve d’ailleurs régulièrement des résidus de substances interdites en France dans les masses d’eau souterraines et de surface. C’est le cas de l’atrazine, un herbicide toujours présent dans les nappes malgré son interdiction en 2002 [7]. Cité précédemment, le dernier bulletin national de synthèse de l’état des lieux des bassins considérait qu’en 2019, seuls 43,1 % des eaux de surface étaient en bon état écologique et 44,7 % en bon état chimique. Les projections indiquent un risque que 67 % des masses d’eau de surface ne soient pas en bon état écologique et presque 10 % en bon état chimique en 2027[8]. Concernant les eaux souterraines, il s’agirait de plus de 14 % de ces eaux qui n’atteindraient pas le bon état écologique et plus de 40 % le bon état chimique. 65 % des 38 000 points de captage pour l’alimentation en eau potable étant des forages en eau souterraine, la protection de la ressource et de son environnement naturel est primordiale pour maintenir un coût de potabilisation acceptable sur le petit cycle de l’eau. 3. Rénover l’amont du petit cycle de l’eau : un enjeu de sobriété et un enjeu sanitaire En France, un litre sur cinq est perdu lors de son transport du fait de fuite dans les canalisations. Le réseau d’adduction et de transport de l’eau en France recouvre des distances impressionnantes. Il en existe plusieurs, avec deux prédominants : tout d’abord, le réseau d’eau potable

Par Moundib I.

12 mars 2024

Institutionnalisons la sobriété hydrique en France ! Troisième partie

Ceci est la troisième partie de la note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’institutionnalisation de la sobriété hydrique en France. I. Encastrer la production industrielle dans la contrainte hydrique : réinventer le principe du pollueur-payeur 1. L’industrie en première ligne de la contrainte hydrique Chimie, agroalimentaire, production de papier, l’industrie représente près de 10 % des prélèvements dans les milieux naturels. La ressource en eau est au cœur de nombreux processus industriels, que ce soit pour le lavage, l’évacuation des déchets, le refroidissement des usines ou pour le fonctionnement des chaudières. À titre d’exemple, il faut près de 500 litres d’eau pour produire 1 kilogramme de papier[1]. Cependant, à l’instar de la production d’énergie, l’industrie rejette presque l’intégralité de l’eau qu’elle prélève, si bien qu’elle ne représente que 5 % de l’eau consommée en France. Depuis les années 1990, les prélèvements d’eau pour l’industrie ont baissé de près de 25 % en raison, d’abord, de la désindustrialisation, puis de nouveaux procédés plus économes et du recours à des systèmes de circuits fermés dans lesquels la même eau peut être utilisée à plusieurs reprises. Le secteur de l’industrie présente des différences régionales assez marquées. Les prélèvements y sont plus importants dans les régions de l’Est, du Nord, du Sud-Ouest et de la vallée du Rhône[2]. Figure 19 : Prélèvements en eau douce du secteur de l’industrie [3] 2. L’industrie de l’eau en bouteille en temps de pénurie Certaines activités industrielles génèrent une utilisation excessive, non durable et inéquitable de la ressource. C’est notamment le cas des multinationales de l’eau en bouteille qui, parfois, surexploitent les nappes phréatiques. En France, bien que les communes de Volvic et de Vittel soient touchées par des périodes de sécheresse chaque année, Danone et Nestlé continuent d’être autorisés à puiser davantage d’eau, principalement pour l’exportation de bouteilles d’eau à l’étranger. À titre d’exemple, Nestlé surexploite les nappes phréatiques de Vittel, prélevant annuellement 2,5 millions de mètres cubes d’eau, au détriment des résidents et des écosystèmes [4]. Proposition 12 : Restreindre les prélèvements d’eau en vue de la commercialisation de l’eau en bouteille Imposer des restrictions significatives et interdire, lors de périodes de sécheresse, les prélèvements d’eau en vue de la commercialisation de l’eau en bouteille. L’envoi de bouteilles d’eau pour les situations d’urgence ne serait pas affecté par cette mesure. Plus généralement, l’industrie est fortement dépendante de la disponibilité en eau. Souvent critique en période d’étiage, la sécheresse hydrologique rend difficile l’accès à des sources d’eau fiables et en quantité suffisante, mettant ainsi en péril leur productivité et leur compétitivité. De plus, certaines industries dépendent largement de la production électrique, notamment pour alimenter leurs installations et leurs procédés. Les contraintes hydriques peuvent affecter le niveau des cours d’eau, réduisant ainsi la production d’électricité nucléaire ou hydraulique. Par ailleurs, la sécheresse peut endommager les infrastructures de transport, comme les voies navigables ou les canaux, entraînant des perturbations logistiques. Les approvisionnements en matières premières notamment métalliques peuvent être affectés. Tout cela peut entraîner des augmentations de prix ou des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, affectant ainsi les entreprises dépendantes de ces intrants. La relocalisation et la réindustrialisation française doivent être également interrogées au prisme de la demande supplémentaire en eau qu’elle va générer. Il est donc vital d’aborder la question de la réindustrialisation par la double question des besoins (que souhaitons-nous produire ?) et de la vulnérabilité (les besoins industriels sont-ils compatibles avec la ressource disponible localement ?). 3. Industrie et PFAS : les révélateurs de notre cécité sur les émissions de polluants Le 23 février 2023, le journal Le Monde et le Forever Pollution Project publiaient une grande enquête sur la contamination des eaux et des sols européens aux substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), des polluants jusqu’ici assez peu étudiés et quasi indestructibles. Ces produits chimiques sont utilisés pour fabriquer les traitements anti adhésifs, antitaches et imperméabilisants de nos ustensiles, nos textiles et semi-conducteurs du quotidien. Extrêmement persistants, voire indestructibles dans la nature, ces polluants éternels se dénombreraient en milliers voire millions de variétés différentes, sur lesquels les institutions publiques et les chercheurs avaient peu prêté attention jusque-là. D’après les estimations de l’étude, l’Europe compterait plus de 17 000 sites contaminés à des niveaux qui requièrent l’attention des pouvoirs publics et 2 100 points chauds où la concentration serait particulièrement dangereuse pour la santé. La connaissance de ces PFAS est encore très limitée, il est par exemple encore impossible d’estimer le nombre d’usines chimiques qui en produisent en Europe ou aux États-Unis [5]. Mais l’étude est parvenue à définir trois typologies d’activités « présumées contaminantes » avec les sites de stockage et de rejet de mousses anti-incendie, les sites de traitement des déchets et de traitement des eaux usées, et les activités industrielles diverses de production et de traitement de papier et de métaux. Proposition 13 : Mettre en place un plan national de lutte contre les PFAS prolongeant les initiatives européennes sur le sujet Renforcer la réglementation sur les PFAS au niveau européen (règlement REACH), en soutenant la proposition de restriction déposée par cinq pays auprès de l’Echa [6]. Cette proposition vise à interdire la fabrication et l’utilisation de plus de 2000 PFAS, sauf pour des usages essentiels et contrôlés. Financer massivement la recherche sur les sources des PFAS. Mettre en place un plan national de surveillance et de réduction des émissions de PFAS dans l’environnement, en s’appuyant sur le plan d’action ministériel sur les PFAS 2023-2027 [7]. Ce plan prévoit notamment de disposer de normes sur les rejets et les milieux, de porter une interdiction large au niveau européen, de renforcer le contrôle des sites industriels et des stations d’épuration, de développer des solutions de traitement des eaux et des sols contaminés, et d’informer le public sur les risques liés aux PFAS. Renforcer la protection des populations exposées aux PFAS, en établissant des seuils sanitaires pour les différents PFAS dans l’eau potable, les aliments et le sang. Il s’agit également de mettre en place un suivi médical des personnes exposées et des mesures d’indemnisation

Par Moundib I.

7 mars 2024

Institutionnalisons la sobriété hydrique en France ! Seconde partie

Cette note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’Institutionnalisation de la sobriété hydrique en France sera publiée en quatre parties. Partie 2 : Réhydrater les sols, régénérer le cycle de l’eau Ceci est la deuxième partie de la note proposée par l’Institut Rousseau et le collectif Pour un Réveil Écologique sur l’Institutionnalisation de la sobriété hydrique en France. I. Sécheresse anthropique et santé des sols, une menace grave pour l’agriculture française 1. Irrigation et utilisation de l’eau en agriculture L’organisation des sociétés actuelles s’appuie sur le triptyque eau, énergie et agriculture. En France, cette dernière est le premier poste de consommation d’eau douce avec 58 % du total : elle est destinée aux deux tiers à l’irrigation des cultures. L’irrigation est au centre des usages agricoles de l’eau : en 2020, 6,8 % des surfaces agricoles ont été irriguées, soit plus de 1,8 million d’hectares [1]. L’irrigation des grandes cultures céréalières concentre la moitié des volumes prélevés et parmi elles le maïs est la culture qui occupe, à la fois, le plus de surfaces irriguées, mais aussi celle qui consomme le plus d’eau par hectare avec un besoin centré sur la période estivale [2]. Ainsi, la culture du maïs grain représente 8,5 % des surfaces agricoles, mais occupe entre le tiers des surfaces irriguées, avec un besoin centré sur la saison où se concentrent les épisodes de sécheresse. Trois régions concentrent 70 % de la surface irriguée. En Nouvelle-Aquitaine, dans le Centre-Val de Loire et en Occitanie, les prélèvements majoritairement issus des nappes servent à l’irrigation des cultures de maïs grain et de semences. La Provence-Alpes-Côte d’Azur concentre le reste des besoins pour l’irrigation de céréales, de fruits, de légumes et parfois de vigne. La région tire profit de l’irrigation gravitaire des eaux du Canal de Provence rendue possible par la topographie et surtout les différents aménagements du Rhône. Figure 12 : [Gauche] Prélèvements d’eau douce pour l’agriculture par sous-bassin hydrographique, en 2019 [3] [Droite] Répartition des surfaces irriguées par types de cultures en 2016. Les maïs grain, semence et fourrage concentrent la moitié des surfaces irriguées. La catégorie « Autres » recouvre en particulier l’arboriculture. [4] 2. La France, une grande puissance céréalière La France produit via des modes de culture très gourmands en eau environ 70 millions de tonnes de céréales chaque année. Sur ce total, seulement 5 millions sont destinés à l’alimentation humaine. Cette production céréalière est dirigée pour moitié vers les cheptels français et pour moitié vers l’exportation. En 2022, la France a exporté pour 10 milliards d’euros de céréales, deuxième poste de recette dans la balance commerciale après les vins et spiritueux [5]. À la faveur de prix plus élevés et d’exportations de céréales plus importantes, celle-ci a permis une amélioration nette de la balance commerciale agricole. De fait, malgré un cheptel stable sur son sol, la France participe largement à l’augmentation de la consommation de viande partout dans le monde. Figure 13 : Production de céréales en France [6] En effet, cette prépondérance de la production de céréales dans l’agriculture française suit une tendance mondiale profondément liée à l’augmentation de la demande en céréales : d’après la FAO, en 60 ans, les productions mondiales de maïs et de blé ont été multipliées respectivement par 5,6 et 3,4 [7]. Figure 14 : Production mondiale de céréales totales [8] Sur cette même période, les cheptels bovins, ovins, porcins et caprins ont presque doublé et le nombre de volailles a été multiplié par huit ! La croissance démographique seule n’est pas en mesure d’expliquer cette hausse spectaculaire, la hausse de la consommation de viande par habitant est bien visible en comparant ces deux tendances. Celle-ci a doublé entre 1960 et 2020 passant de 20 kg par personne et par an à 40 kg par personne et par an. Figure 15 : Quantité de viande totale produite au niveau mondiale[9] En France, les chiffres sont un peu différents, la production de viandes représentait 4 millions de tonnes en 1960 pour atteindre un maximum autour de 7 millions de tonnes dans les années 2000 avant de décroître lentement à 6 millions de tonnes aujourd’hui. De fait, en 1960, un Français mangeait en moyenne 50 kg de viandes par an, en 2000 ce chiffre plafonnait à plus de 90 kg et on l’évalue classiquement aujourd’hui autour de 80 kg par personne et par an. Figure 16 : Cheptel France et quantité de viande totale produite [10] 3. Une exposition climatique croissante et des pratiques agricoles sources de vulnérabilité Comme évoqué plus haut, la sécheresse des sols s’accentue significativement et vient remettre en cause la pérennité du paradigme actuel. Le consortium World-Weather-Attribution estime que la sécheresse agricole de 2022 a été rendue cinq à six fois plus probable avec le changement climatique, et la sécheresse hydrologique trois à quatre fois plus probable [11] . Par conséquent, la conjugaison d’une hausse des besoins pour l’irrigation et de l’assèchement des sols provoqués par l’évapotranspiration et la pression croissante sur les masses d’eau va irrémédiablement entraîner la généralisation des conflits d’usages impliquant le monde agricole. Le stress hydrique augmente dans les grandes régions productrices de céréales. Celles-ci observent déjà une diminution des ressources en eau souterraine disponibles aussi bien en été qu’en hiver. De même, le débit des fleuves diminue progressivement mettant en danger les modes d’irrigation qui en dépendent. Les effets déjà constatés sont renforcés par les modes de culture agro-industriels. La biodiversité souterraine est au cœur de la fertilité des sols. Elle y assure des fonctions primordiales comme la décomposition de matière organique et donc la libération de nutriments, ou encore l’infiltration et la rétention de l’eau captée dans les racines des végétaux. On estime par exemple que 1 % de matière organique en plus par hectare, c’est 250 m3 d’eau en plus absorbés par les sols [12] . Cette biodiversité des sols comme celle des champs est en recul du fait du fort recours aux pesticides, au tassement du sol initié par la mécanisation, la perturbation du cycle des nutriments et par l’utilisation excessive

Par Moundib I.

27 février 2024

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