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Face aux pièges de l’écologie « punitive », quelles restrictions les plus efficaces et justes ?

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      Face aux pièges de l’écologie « punitive », quelles restrictions les plus efficaces et justes ?

      Résumé exécutif

       

      Les débats sur l’écologie soulignent régulièrement la question des « restrictions » à imposer ou non aux populations. De manière quasi systématique, les opposants au changement agitent le spectre de l’écologie « punitive » et font passer la moindre contrainte réglementaire comme une grave atteinte à la liberté. Or, en complément d’une réorientation massive des investissements vers les activités durables, il est clair que des outils réglementaires et normatifs doivent être mobilisés. Mais pas n’importe lesquels.

       

      À travers des exemples précis empruntés aux secteurs de la mobilité, du logement et de l’agriculture, cette note met en lumière le caractère inefficace et socialement injuste des mesures actuellement les plus discutées dans le débat public. Ces débats mal posés jouent un rôle central dans le statu quo actuel : repoussoir légitime pour une part importante de la population, ils aggravent le fossé entre l’opinion publique et la nécessité d’agir face aux enjeux écologiques, et permettent aux décideurs publics de justifier leur inaction voire un recul de l’action publique sur ces questions. La taxe carbone sur le carburant sans proposition d’alternatives (point de départ de la crise des gilets jaunes), ou encore les normes pesant sur nos agriculteurs au profit de l’importation de viandes issues d’élevages intensifs non soumises à ces contraintes, en sont de bons exemples.

       

      En miroir, cette note reprend plusieurs propositions développées dans des notes et rapports précédents de l’Institut Rousseau[1] sur les thématiques du transport (partie 1), du logement (partie 2) et de l’agriculture (partie 3) afin de les comparer avec les mesures « restrictives » actuellement les plus débattues et d’en préciser les impacts écologiques et sociaux potentiels (partie 4). La note conclut ensuite sur la question des alternatives (partie 5) et de l’opportunité de restrictions ciblées et non générales (partir 6) :

       

      1. Promouvoir des malus ciblés plutôt que des zones à faibles émissions (ZFE)

      2. Restreindre le logement occasionnel plutôt que le neuf abordable

      3. Limiter les importations issues de l’élevage intensif plutôt que l’élevage extensif local

      4. L’impact écologique de ces mesures : majeur à court terme, complémentaire à long terme

      5. Accepter que les alternatives ne soient jamais parfaites

      6. Passer de restrictions générales inutiles à des contraintes ciblées bénéficiant à la majorité

       

      Le spectre de l’écologie « punitive » s’alimente de perspectives de restrictions trop générales, peu efficaces et régressives. Celles-ci constituent de véritables aubaines politiques pour les divers populismes anti-écologiques. Cette note ambitionne de déconstruire cet épouvantail en démontrant que le problème, ce ne sont pas les normes et restrictions environnementales en elles-mêmes mais la façon dont elles sont conçues et formulées dans le débat public. Et que des restrictions efficaces et justes, seules à pouvoir remporter un soutien populaire, sont possibles.

      Les débats sur l’écologie soulignent régulièrement la question des « restrictions » à imposer ou non aux français et plus globalement aux populations des pays développés. Certains en font la promotion générale, d’autres les craignent et beaucoup utilisent le spectre de l’écologie « punitive » comme argument pour ne rien faire. Or, en complément d’investissements massifs réorientés vers les activités durables (décrits de façon détaillée dans les rapports « 2% pour 2 degrés » et « Road to Net Zero » et la note « Quelles transformations globales pour une transition écologique effective ? » de l’Institut Rousseau), il est clair que des outils réglementaires et fiscaux doivent également être mobilisés. Des restrictions seront nécessaires pour réduire plus vite et plus fort nos empreintes écologiques et dépendances extérieures, mais pas n’importe lesquelles. Pour être opérantes et acceptables, il faut que ces restrictions :

      1. N’aggravent pas les inégalités déjà croissantes, et même les réduisent, en centrant les contraintes sur les ménages et organisations ayant le plus de moyens, et en introduisant des malus sur les comportements non vertueux qui permettent de financer des alternatives à bas coût pour la majorité.
      2. Aient des impacts écologiques importants (en termes de gaz à effet de serre, de polluants sanitaires et/ou de biodiversité), à court et moyen terme, afin de légitimer les efforts demandés.
      3. Complètent les solutions alternatives, en particulier lorsque ces alternatives arrivent à maturité et sont largement accessibles ou lorsque les soutiens aux alternatives écologiques n’ont plus d’effet sur leur adoption par certains publics.

      Loin de ces conditions d’efficacité et de justice sociale, les restrictions actuellement les plus débattues ont des impacts écologiques limités voire négatifs, tout en aggravant les inégalités sociales. Cela est notamment dû au fait que ces restrictions sont présentées de façon très générale (« anti-voitures », « anti-maison », « anti-viande ») et gomment ainsi les indispensables subtilités à prendre en compte pour être à la fois efficaces et justes. Plus précisément, les restrictions générales s’appuient sur trois grandes illusions, largement documentées par les données scientifiques récentes et les évaluations indépendantes :

      • L’illusion des « moyennes », qui stigmatise les impacts d’objets généraux, en particulier « la voiture»[2], « la viande »[3] ou « la maison individuelle »[4], alors que leurs impacts sont loin d’être homogènes. En conséquence, des écarts de 1 à 10 sont gommés et des activités bénéfiques sont jetées avec l’eau du bain. Par exemple, les viandes sont stigmatisées de manière générale, alors que les élevages bovins extensifs ont des impacts écologiques globaux très positifs[5]. De même, des restrictions sont envisagées pour l’ensemble des populations, sans distinguer de sous-populations en fonction de leurs statuts (organisation ou particulier), revenus ou accès aux alternatives.
      • L’illusion des « politiques actuelles » qui auraient déjà essayé mais, malgré de nombreuses incitations, auraient échoué à limiter les pollutions, démontrant par-là que les incitations sont inefficaces et que la seule solution serait de passer à une coercition homogène des masses. À l’inverse de ce postulat, il faut rappeler que les politiques actuelles sont en réalité fortement pro-fossiles[6]. Si les politiques incitaient réellement à des pratiques durables ou que celles-ci étaient déjà largement accessibles, des restrictions pourraient alors être efficaces, à condition d’être ciblées sur des acteurs et pratiques clés, par exemple les entreprises ayant de larges flottes automobiles ou les multi-propriétaires de logements et/ou de locaux tertiaires.
      • L’illusion de la « réglementation magique », qui consiste à penser qu’une interdiction a un effet immédiat et absolu, sans effets de « transfert » des pollutions vers d’autres pays. Or, une interdiction nationale sans réflexion internationale peut rapidement créer des transferts annulant les effets de la mesure, voire générer un bilan négatif et contre-productif. C’est par exemple le cas lorsqu’on impose des normes environnementales à nos agriculteurs tout en permettant l’importation de produits moins chers car ne respectant pas les mêmes normes sanitaires et environnementales. Plus largement, une réglementation n’a d’effet que si le niveau de contrôle et de sanction des fraudes est suffisant.

      Ces débats mal posés jouent un rôle central dans le statu quo actuel : repoussoir pour une part importante de la population, ils permettent aux décideurs publics de justifier leur inaction voire un recul de l’action publique, aggravent le fossé entre la gauche écologiste et une large part des milieux populaires, notamment ruraux, qui se sentent menacés et/ou stigmatisés[7] et empêchent toute alternance politique[8].

      Malgré ces difficultés, des restrictions générales pourraient éventuellement être défendues si des améliorations écologiques importantes étaient à ce prix. Mais ce n’est pas le cas : les données scientifiques et évaluations soulignent que ces illusions sont porteuses de grandes inefficacités et d’impacts régressifs (de la taxe carbone sans mobilité alternative aux réductions de cheptels locaux au profit des viandes intensives importées), alors que des solutions ont déjà prouvé leur efficacité sans besoin d’accroître encore les inégalités.

      La condition est d’inverser la plupart des politiques publiques, actuellement favorables aux fossiles, en proposant des alternatives écologiques moins coûteuses pour la majorité, combinées à des contraintes progressives et centrées sur les enjeux écologiques majeurs et les acteurs ayant les moyens de s’ajuster. Dans ce cadre, les restrictions les plus efficaces et progressives pourraient surtout cibler :

      • Les véhicules lourds, et notamment les SUV (Sport Utility Vehicles). En effet, le développement effréné des véhicules personnels de grande taille est tel qu’il a annulé en 2022 les réductions de gaz à effet de serre liées à la croissance du parc de véhicules électriques[9]. Par ailleurs, les achats de SUV concernent à plus de 90 % des ménages aisés et des entreprises[10].
      • Les logements « occasionnels » dans les zones tendues (ex. locations touristiques, résidences secondaires), dont l’explosion en France et en Europe[11] augmente inutilement les besoins de constructions (qui représentent environ un tiers des émissions de l’industrie française) et entrave l’accès au logement abordable de la grande majorité des ménages des agglomérations et littoraux.
      • Les importations alimentaires des pays plus polluants que la France, dont l’empreinte écologique est croissante et dont la compétitivité économique reste l’excuse centrale de la faiblesse des régulations agricoles et industrielles européennes, au bénéfice des exploitants et industriels les moins vertueux et au détriment de la santé publique.

      Promouvoir des malus ciblés plutôt que des zones à faibles émissions (ZFE)

      Le secteur des transports est le seul secteur dont les émissions ont augmenté depuis les années 1990 (+16 % à l’échelle européenne). La croissance du poids des véhicules en est une des principales raisons, avec un impact négatif à la fois sur la consommation des véhicules et sur leur fabrication[12]. Cette croissance de taille et de poids n’est pas justifiée par un réel besoin et les véhicules plus légers sont pourtant moins coûteux. Des mesures contraignantes sont donc nécessaires et, si elles sont bien ciblées, doivent permettre de rendre plus accessibles des alternatives écologiques pour la majorité de la population. Des propositions en la matière ont déjà été développées dans plusieurs notes dont les points communs sont les suivants :

      Proposition 1A : Pour avoir un réel effet sur les comportements, les malus à l’achat liés aux émissions de CO2 et au poids des véhicules (y compris électriques) doivent être au moins 3 fois plus élevés, comme l’ont souligné les travaux récents de l’Institut Rousseau mais aussi du Réseau action climat (RAC), d’I4CE et de France Stratégie[13]. Par exemple, le malus devrait augmenter d’au moins 50 % le prix des véhicules dépassant de 50 % les émissions et le poids de référence de l’année (ex. 90 g CO2/km et 1100 kg pour 2024), contre des malus actuels plafonnés et n’augmentant le prix que de + 10% pour les SUV qui émettent pourtant + 40 à 50 % de gaz à effet de serre.

      Cette restriction d’ordre fiscal et tarifaire n’implique pas de besoin d’alternative spécifique car aucun besoin de mobilité n’est entravé par des véhicules moins lourds : les SUV sont sous-occupés et les familles nombreuses sont déjà prises en compte dans les malus actuels.

      Les recettes pour les finances publiques issues de ces malus s’élèveraient à au moins 4 milliards d’euros supplémentaires par an, tout en permettant une réduction d’au moins 20 % des émissions du secteur. Le barème deviendra chaque année plus strict, mais sa baisse ultérieure dépendra de l’évolution des stratégies des constructeurs automobiles. Ainsi, les contraintes reposent ici principalement sur les industriels (dont les marges sur les SUV sont particulièrement élevées), ainsi que sur les consommateurs les plus aisés, qui contribueront au financement d’un bonus électrique plus ambitieux et progressif.

      Proposition 1B, « alternatives moins coûteuses » : en complément, l’expérience norvégienne et d’autres expériences intermédiaires en Californie et en Chine[14] suggèrent que les bonus devraient être renforcés et progressifs, en couvrant, selon les revenus du foyer, entre 20 et 100 % de la différence de coût d’achat avec les véhicules thermiques équivalents (tant pour le neuf que l’occasion). En complément, ces bonus devraient prendre en compte le poids et la localisation de la production des batteries, afin de ne pas annuler les impacts bénéfiques du moteur électrique[15].

      Impacts écologiques directs du « malus renforcé » :

      En plus de contribuer au financement des alternatives pour la majorité de la population, des malus nettement renforcés sur les véhicules émissifs et lourds auraient des impacts écologiques directs majeurs, dont environ -25% d’énergie consommée en réduisant les poids de 400 kg[16], ainsi qu’une réduction des émissions liées à la fabrication, des pollutions liées aux pneumatiques[17]  et des dépendances liées aux matériaux[18].

      L’impact écologique direct de ce type de « contrainte ciblée » dépasse de très loin celui des zones à faible émission (ZFE) actuellement en cours de déploiement. Ces dernières prévoient l’interdiction, pour les véhicules trop polluants, de circuler dans les centres villes. Par exemple, cela incitera les ménages à passer d’un diesel de 2010 (crit’air 3) à une essence de 2010 (crit’air 2) puis de 2012 (crit’air 1)[19]. L’impact sera certes positif pour les oxydes d’azote, mais négatif pour les particules ainsi que pour les gaz à effet de serre, les essences consommant 28% plus de pétrole que les diesels et émettant 11% de plus de CO2[20].

      De plus, les SUV hybrides, qui consomment davantage que les essences ordinaires en conditions réelles de conduite[21], ou les « tanks électriques », dont le bilan carbone global est supérieur aux petites thermiques, seront autorisés. En effet, seules les émissions théoriques de certains polluants sont prises en compte. Les pollutions liées à la fabrication des véhicules et les émissions réelles ne sont pas considérées, à l’avantage des ménages aisés et des véhicules d’entreprises. À l’inverse, les principaux pénalisés seront les ouvriers[22], dont le lieu de travail est plus souvent non desservi par un transport en commun[23], et plus généralement les ménages modestes qui devront acheter un véhicule récent nettement plus coûteux que leur diesel dévalorisé.

      Si certaines ZFE à l’étranger ont contribué à améliorer la qualité de l’air, le benchmark de l’Ademe[24] souligne que ces effets restent « modérés » (ex. -4 à -14 % pour certains polluants dans les expériences allemandes les mieux évaluées), en raison d’un report vers des véhicules seulement un peu plus récents et au prix d’impacts sociaux clairement négatifs. Pour que les impacts de ce type de mesure deviennent nettement positifs, la condition est donc de rendre accessibles les véhicules électriques au plus grand nombre et/ou d’offrir des alternatives de transport public pour l’ensemble des trajets péri-urbains, ce qui est encore très loin d’être le cas. À ce stade peu utiles et très régressives, ces formes de restrictions sont donc une aubaine politique pour les pro-fossiles, comme on a déjà pu le constater au Royaume-Uni[25].

      Restreindre le logement occasionnel plutôt que le neuf abordable

      Pour les bâtiments, l’explosion des logements « occasionnels » dans les zones tendues est la tendance qui augmente le plus fortement les besoins de constructions, qui représentent déjà plus de 10 % de l’empreinte carbone totale de la France[26]. Alors que 380 000 logements sont construits chaque année en moyenne, seuls les deux tiers (250 000) sont ou restent des résidences principales. Le tiers restant représente des résidences occasionnelles et des logements vacants, dont la part continue d’augmenter[27].

      À l’inverse des fiscalités actuelles, très favorables aux logements occasionnels et à la rétention foncière (voir la partie diagnostic de notre note sur le logement durable et abordable), deux types de restrictions fiscales et réglementaires sont à développer pour limiter les besoins de constructions sans augmenter encore les prix :

      Proposition 2A : Rendre les locations longue durée plus rentables pour les propriétaires que les locations courte durée, en imposant ces dernières au moins deux fois plus et en introduisant un barème de taxe progressif selon les usages et les revenus (par exemple de 40 à 70 % pour la location courte, selon les revenus[28], contre de 20 à 35 % pour les locations pérennes). Par ailleurs, les recettes fiscales de ces mesures viendront pour l’essentiel des ménages aisés multipropriétaires et contribueront à rendre plus abordables les rénovations globales de logement pour la majorité des français ainsi que pour les bailleurs responsables.

      Il faut par ailleurs distinguer les zones tendues des zones non tendues. Dans les zones les plus tendues, il faut aller plus loin qu’une fiscalité différentielle et limiter les locations occasionnelles de manière réglementaire. Cela peut passer, par exemple, par une compensation de tout logement qui n’est pas une  résidence principale (location touristique, résidence secondaire, pied à terre)[29], y compris celles faisant peu ou pas l’objet de locations courtes (ex. pied à terre occasionnel), pour lesquelles l’outil fiscal n’est pas suffisant pour dissuader les ménages les plus aisés.

      Dans les zones détendues, ni les restrictions réglementaires ni certaines sur-taxations ne sont nécessaires. Elles y auraient même des conséquences négatives, car les logements en question y seraient sinon davantage laissés vacants et les inégalités territoriales s’en trouveraient encore aggravées.

      Proposition 2B, « alternatives moins coûteuses » : À l’opposé des logements occasionnels, l’imposition pourrait être nulle pour les locations « sociales » (c’est à dire louées 30 à 40 % en dessous du prix de marché[30]), afin de les rendre au moins aussi rentables que les logements loués au prix moyen local. Par ailleurs, les réhabilitations lourdes de logements vacants doivent devenir moins coûteuses que le neuf, en particulier dans les zones peu tendues, en lien avec les politiques plus générales de rénovation énergétique[31]. Sachant que lorsque les moyens mobilisés sont importants, comme dans le Bas-Rhin[32], le rythme de remobilisation des logements vacants dégradés peut être multiplié de 5 à 10 par rapport à la moyenne nationale.

      Impacts écologiques des restrictions « logements occasionnels »

      Ces restrictions permettraient non seulement de contribuer au financement de logements abordables et durables mais également, combinées à une réduction de la sur-demande de logements dans les métropoles[33], de réduire de moitié les besoins de construction, sans réduire le nombre de résidences principales. Une telle réduction de la construction neuve aurait alors des impacts majeurs sur les émissions de l’industrie, l’artificialisation des sols agricoles et les îlots de chaleur dans les agglomérations, où le rythme pourtant élevé de construction neuve ne parvient pas à répondre aux besoins de logement abordable[34], notamment en raison de cette fuite des résidences principales vers la location de courte durée et les résidences secondaires.

      L’impact écologique et social de cette contrainte ciblée sera nettement plus positif que le très inégal « abandon du rêve » de la maison individuelle. En effet, si les constructions se limitaient à du petit habitat collectif, cela pourrait certes limiter l’artificialisation, mais l’impact carbone au m² serait plus élevé de 20 %[35] à celui des maisons individuelles. De plus, la densification des grandes agglomérations implique des trajets quotidiens jusqu’à deux fois plus longs qu’autour des petites villes[36], ainsi qu’une forte surmortalité[37] liée à la concentration des pollutions de l’air et aux ilots de chaleur[38] qui peuvent augmenter les canicules de 10°C[39].

      Surtout, une forte baisse du neuf sans remobiliser des logements anciens pénaliserait la majorité des familles non propriétaires, dont les dépenses de logement sont déjà passées de 20 à 30 % de leurs revenus entre 2001 et 2017[40], alors que la plupart souhaitent plus de surfaces, un espace extérieur ou moins de bruit direct[41]. En revanche, la quasi-totalité des ménages aisés ne seraient pas concernés par cette restriction, ayant déjà une maison individuelle principale et/ou secondaire[42], mais en seront les grands bénéficiaires dans la mesure où la valeur des maisons explosera si elles deviennent plus rares.

      Limiter les importations issues de l’élevage intensif plutôt que l’élevage extensif local

      Pour l’agriculture, la croissance des importations intensives est la tendance aux impacts les plus lourds et reste l’excuse centrale de la faiblesse des régulations agricoles[43]. C’est pourquoi le respect de normes alimentaires renforcées (ex. interdictions des pesticides et additifs dangereux) devrait s’imposer systématiquement aux produits agricoles importés afin d’éviter de déplacer l’utilisation intensive d’engrais, de pesticides et d’autres produits chimiques dans les pays aux pratiques les plus polluantes.

      Proposition 3A : Systématiser l’utilisation des clauses de sauvegarde[44] et l’étiquetage de l’ensemble des lieux de production agro-industriels, afin d’interdire en France et dans les pays importateurs les produits les plus dangereux et/ou polluants.

      Qu’il s’agisse de pesticides ou d’additifs, l’application de ces clauses de sauvegarde nécessite surtout l’appui de recherches scientifiques constatant des risques pour la santé ou l’environnement qui sont déjà très nombreuses[45]. Pour les produits dont les dangers sanitaires et/ou environnementaux sont principalement liés à des niveaux de consommations à réduire, les clauses de sauvegarde sont à compléter par des taxes sur les produits issus de l’élevage intensif et ultra-transformés. Ces impositions doivent augmenter les prix bien trop réduits à ce jour de ces aliments (voir le rapport « Road 2 Net Zero » de l’Institut Rousseau), dont les provenances précises devraient être systématiquement indiquées de manière claire et obligatoire afin de limiter les fraudes et concurrences déloyales.

      Ces restrictions concerneront pour l’essentiel les grands industriels et distributeurs alimentaires, qui profitent de ces importations intensives pour imposer une concurrence déloyale aux producteurs français. Ces derniers seraient ainsi mieux protégés et pourraient bénéficier de prix plus élevés. En revanche, au regard des risques inflationnistes importants, en particulier pour les jeunes et les familles modestes, les impositions des aliments intensifs et/ou ultra-transformés doivent impérativement financer une réduction ciblée et progressive des tarifs sur les aliments extensifs, régionaux et de qualité :

      Proposition 3B, « alternatives moins coûteuses » : Pour devenir davantage accessibles, les alternatives alimentaires nationales/régionales et non intensives doivent bénéficier d’un chèque progressif alimentation de qualité attribué pour l’achat de produits bio ou extensifs aux prix conventionnés et produits en France ou à proximité.

      Par exemple, un chèque « qualité » allant de 200 à 2000 euros par an selon les revenus et la taille des ménages (voir détails dans la note « Transformations » de l’Institut Rousseau) permettrait de largement compenser les effets inflationnistes d’une augmentation moyenne de 10 % du prix des aliments intensifs et/ou ultra-transformés.

      Impacts écologiques globaux des clauses et taxes « aliments intensifs »

      En plus de contribuer au financement de la réductions des prix des aliments de qualité, ces restrictions auront des impacts écologiques majeurs et multiples : une forte réduction des émissions liées à l’agro-alimentaire, notamment importées (voir estimations dans la partie suivante), un effet d’entraînement sur les pays importateurs et une réduction des dommages sanitaires liés à la dépendance agro-chimique de la France (qui importe massivement des engrais minéraux, des carburants et du soja[46]). De plus, la progression des aliments produits dans des systèmes agro-écologiques n’entraînera pas les pertes de production souvent annoncées, comme l’ont démontré les synthèses de recherches et expérimentations récentes[47].

      L’impact écologique de ces contraintes « avec alternatives » sera très supérieur à une réduction indifférenciée de l’élevage.  En effet, si l’élevage intensif a des impacts écologiques très négatifs[48], l’élevage sur herbe[49] a un bilan carbone limité par la captation du carbone par les prairies[50] et des impacts très positifs pour la biodiversité, tout en valorisant des ressources non consommables par les humains.

      En imposant des taxes élevées sur les viandes en général, le risque est surtout d’aboutir à augmenter la part des aliments bas de gamme ultra-transformés (déjà au-dessus de 40 % pour les ménages modestes et les jeunes[51]) qui sont deux fois moins chers[52] et dont les impacts sanitaires sont majeurs (diabète, cancers, maladies cardio-vasculaires) en raison des additifs utilisés, des résidus chimiques de production et des autres transformations[53] industrielles.

      C’est donc le type d’élevage[54] qui conditionne les impacts écologiques et non l’élevage en soi et ce sont surtout les élevages de poulets et de porcs qui sont intensifs et en croissance[55] et non les élevages bovins qui sont souvent injustement stigmatisés alors qu’ils ne couvrent que 2 % des « fermes-usines » en France[56].

      L’impact écologique de ces mesures : majeur à court terme, complémentaire à long terme

      Ainsi, ces trois ensembles de contraintes « progressives » sur la taille des véhicules, les logements occasionnels et les imports issus de l’élevage intensif pourraient réduire d’au moins 17 % l’empreinte carbone totale de la France à court terme (d’ici 10 ans), tout en ayant des impacts sociaux et sanitaires très positifs :

      Impact des trois restrictions stratégiques principales sur l’empreinte carbone de la France

      Sources : MTES Empreinte carbone France 2022 dont par poste de consommation et Insee Produire en France 2023

      Vert foncé : gains potentiels directs des 3 principales « restrictions ciblées » sur +-10 ans

      Vert clair : gains liés aux principales incitations (mobilité électrique, train, rénovation performante et agro-écologie) sur +-25 ans

      Gris : empreinte carbone résiduelle (avant puits de carbone) en 2050 et autres secteurs non traités ici (ex. habillement ou mobilier)

      *Nous avons ajouté aux 140 Mt du poste « alimentation », la part du fret propre au secteur (+-12 Mt selon les poids en tonnes.km), ainsi que les émissions liées aux engrais industriels et à la déforestation importée (voir Iddri, Ten Years For Agroecology, p.61-62 pour les estimations à l’échelle de l’UE)

      **A noter que dans l’étude du MTES, la construction tertiaire (+- 30% des surfaces en 2017) est intégrée dans l’habitat, mais pas les émissions directes liées au chauffage des bâtiments tertiaires

      Les impacts potentiels de ces restrictions ciblées sont à la fois directs et complémentaires des principaux leviers d’action incitatifs envisagés sur les mêmes sujets :

      • Des malus renforcés sur les émissions et le poids des véhicules peuvent réduire à court terme (+- 10 ans) d’au moins un quart les émissions des véhicules thermiques qui seront vendus jusqu’à 2035 (date à laquelle ils seront interdits) ainsi que les émissions liées à la fabrication des véhicules, y compris électriques (soit ~40 MtCO2e au total dont industrie et imports). En parallèle, la conversion « bas-carbone» du parc de véhicules combinée à une forte hausse du ferroviaire pourront réduire la quasi-totalité du reste des émissions, mais à beaucoup plus long terme (25-30 ans), notamment en raison du rythme lent de renouvellement du parc automobile (4 à 6 % par an[57]) et des investissements ferroviaires (10-15 ans pour une nouvelle ligne).
      • Les restrictions sur les logements occasionnels dans les zones tendues combinées au rééquilibrage territorial peuvent réduire à court terme de moitié des émissions liées à la construction (~30 MteCo2 dont imports), tout en évitant les impacts très négatifs de cette chute des constructions sur le pouvoir d’achat et les conditions de logement de la majorité des locataires et accédants. En parallèle, les soutiens aux rénovations énergétiques performantes pourront réduire la quasi-totalité des émissions liées au chauffage et à la climatisation des bâtiments, mais à beaucoup plus long terme (25-30 ans) compte tenu du rythme actuel qui est encore plus de quatre fois inférieur au rythme nécessaire (au moins 2 % du parc par an pour rénover 60 % du parc le plus énergivore en moins de 30 ans).
      • L’imposition aux produits importés de normes identiques aux produits locaux, combinée à la taxation des produits intensifs et à la réduction des tarifs des aliments extensifs pourraient réduire de moitié les aliments et engrais importés, en particulier en provenance des pays aux normes très inférieures (ex. Afrique du nord, Pologne, Espagne et Pays-Bas) et/ou très éloignés géographiquement (Amérique du sud, Nouvelle-Zélande et Chine) qui représentent plus de 40 Mds/an[58]. Compte tenu du poids carbone nettement plus élevé[59] de ces importations, l’empreinte carbone de la France diminuerait d’au moins 20 MteCO2, auxquels s’ajoutent environ 10 MteCO2 liés à la fin de la déforestation importée.

      Un des principaux intérêts de ces trois ensembles de contraintes ciblées est d’avoir un impact significatif à court terme, alors que la transformation des mobilités, des bâtiments et des systèmes agricoles ne peut être que très progressive. Par exemple, même si la fin de la vente des véhicules thermiques était prévue dès 2030, cela ne permettrait de les rendre majoritaires qu’après 2036, sauf à doubler les ventes annuelles de véhicules, ce qui aggraverait fortement les émissions industrielles. Dans l’agriculture, les changements de systèmes sont plus fréquents à l’occasion des changements d’exploitants et la plupart des exploitants ne pourront changer de système sans transformation préalable des modèles économiques industriels et commerciaux à l’aval, en particulier dans les filières longues (produits transformés, alimentation animale, etc.).

      De plus, ces mesures contraignantes démultiplient l’efficacité des leviers plus incitatifs, à la fois en les finançant (en cas de taxe ou malus, dont les recettes peuvent être réaffectées au financement des solutions durables) et en rendant les alternatives écologiques plus abordables et économiquement attractives. En particulier, l’imposition des mêmes normes environnementales aux importations est décisive pour accompagner les agriculteurs et industriels dans leur changement de système. Cette mesure les protège des concurrences déloyales dont les effets négatifs sont doubles : elles freinent la diffusion des aliments durables (via des prix inférieurs et/ou des marges supérieures pour les distributeurs) et aggravent les pollutions à l’échelle mondiale (via des transferts de productions vers les pays et exploitants les plus polluants).

      Accepter que les alternatives ne soient jamais parfaites

      En complément, des restrictions sur l’utilisation des plastiques[60], le fret routier de longue distance et les vols moyen-courriers pourraient être utiles et bénéficier d’alternatives moins coûteuses, à condition là encore de ne pas stigmatiser les utilisations vertueuses du bois (coupé à maturité pour une utilisation combinant matériaux et énergie[61]) et de développer les lignes ferroviaires, y compris à grande vitesse, indispensables pour tripler la part du train dans les voyages et le fret.

      Sur cette dernière question, les oppositions aux projets ferroviaires sont, sauf cas rares, incohérentes[62] et/ou de facto pro-fossiles. En effet, les exemples de la Suisse et de l’Autriche présentés dans le rapport « Road to net Zero » ainsi que les rapports récents sur les besoins d’infrastructures ferroviaires en France[63] ou en Allemagne[64] soulignent que l’augmentation des efforts de renouvellement des réseaux sont indispensables pour éviter la baisse du trafic mais qu’ils doivent s’accompagner d’un fort développement de nouvelles lignes pour arriver à multiplier par 2 à 3 le ferroviaire en France et en Europe.

      Au minimum, les nombreuses lignes déjà proches de la saturation doivent être doublées (notamment autour et entre les grandes agglomérations), des voies propres doivent améliorer la capacité et la fiabilité du fret ferroviaire et de nouvelles lignes doivent relier les villes moins bien desservies et éviter les détours par les métropoles engorgées. Sans ces investissements publics[65], les durées des trajets et les tarifs ferroviaires resteront largement moins adaptés et accessibles que la voiture ou l’avion pour la majorité de la population, en particulier pour la plupart des voyages longs et la majorité des familles aux revenus modestes et moyens.

      Il est vrai que l’exploitation durable du bois et les nouvelles infrastructures ferroviaires peuvent avoir des impacts négatifs sur la biodiversité, mais ceux-ci peuvent être très limités[66] et sont sans aucune mesure avec les pollutions liées à leurs substituts que sont le béton, le gaz, le fioul, les camions et les avions.

      Passer des restrictions générales inutiles à des contraintes ciblées bénéficiant à la majorité

      En conclusion, les débats les plus récurrents sur les restrictions écologiques reposent à la fois sur des fausses moyennes et une méconnaissance des politiques publiques réellement menées. En faisant reposer des restrictions généralement inutiles sur ceux qui possèdent et polluent le moins, le fond régressif et absurde de ces débats est parfois stupéfiant. Heureusement, quelques acteurs politiques, ONG et scientifiques soulignent le besoin de mieux associer les questions écologiques et sociales. Mais la réalité « pro-fossiles » des politiques publiques actuelles reste largement méconnue et sous-estimée, ce qui remet régulièrement sur le devant de la scène les débats « hors sols » sur les restrictions à imposer aux masses, au bénéfice d’une petite minorité d’entreprises et de ménages à la fois responsables et bénéficiaires de l’essentiel des pollutions[67]. Cumulées, ces restrictions trop générales auraient peu d’impact écologique mais permettraient à la quasi-totalité des ménages aisés de bénéficier d’une valorisation de leur patrimoine hors du commun : des appartements dans les centres devenus plus calmes et moins pollués et des maisons devenues une denrée rare, objets de toutes les spéculations[68].

      Le piège des restrictions générales est double : davantage contraindre ceux qui ont le moins d’alternatives et/ou aggraver encore les effets de seuils des aides sociales, qui sont au cœur des divisions au sein des milieux populaires autour des questions de l’assistanat et des inégalités selon les statuts (titulaires vs. précaires, locataire social vs. privé, etc.). C’est pourquoi il est également nécessaire de proposer des alternatives moins coûteuses aux ménages dont les revenus sont moyens et ne pas seulement évoquer les « plus modestes » (ce qui peut être vécu comme stigmatisant). En effet, de nombreux ménages aux revenus proches de la moyenne nationale ont en réalité des dépenses contraintes souvent très élevées, notamment lorsqu’ils doivent utiliser leur voiture et n’ont pas de logement social.

      En outre, la question des contrôles est décisive bien que souvent oubliée, en particulier s’agissant de restrictions. Car sans régulation forte des fraudes, la plupart des améliorations affichées resteront des effets de transferts (vers d’autres pays) ou des effets largement fictifs, uniquement constatés « sur des papiers » toujours plus falsifiés en toute impunité, du dieselgate aux « compensations carbone » des forêts tropicales en passant par les fraudes aux rénovations[69].

      Plus globalement, l’illusion des moyennes s’inscrit également dans la promotion souvent régressive[70] d’une austérité sous couvert de « décroissance ». Car il n’y a aucun intérêt écologique à une décroissance globale des activités, mais à une forte décroissance des activités les plus polluantes et les moins durables. Une société hyper sobre et avec peu de pollutions peut même impliquer une croissance des activités économiques aujourd’hui très insuffisantes, en particulier dans les domaines des soins et de la formation, qui s’ajouteront à la hausse des activités liées au fort développement des rénovations globales et de l’agro-écologie, activités clés pour une forte diminution des empreintes écologiques.

      Le rapport « Road to Net Zero » a démontré que les investissements permettant une forte réduction des empreintes écologiques sont loin d’être insurmontables, voire moins coûteux à long terme que les scénarios de décarbonation moins ambitieux. En complément, nous avons vu que des contraintes ciblées sur les acteurs et activités-clés peuvent accélérer la transformation des mobilités, bâtiments et agricultures, tout en les rendant davantage accessibles au plus grand nombre. Il est donc urgent d’arrêter de nourrir inutilement le spectre de l’écologie « punitive » avec des perspectives de restrictions générales peu efficaces et régressives, véritables aubaines politiques pour les divers populismes anti-écologiques.

      [1] Voir notamment les rapports « 2% pour 2 degrés » et « Road 2 Net Zero », ainsi que les notes « Quelles transformations globales pour une transition écologique effective ? » et « Quelle stratégie pour un logement abordable et durable ? »

      [2] Le Mouv, Interdire la voiture dans les villes, décembre 2018

      [3] France Info, Taxer la viande pour sauver le climat, décembre 2017

      [4] Le Parisien, La maison individuelle et Emmanuelle Wargon, octobre 2021

      [5] Voir, par exemple, les conclusions du scénario européen TYFA mené par l’IDDRI et l’AScA

      [6] Le Monde, Transition énergétique : « Les politiques en France ne sont pas seulement insuffisantes, elles sont fortement pro-fossiles », janvier 2023

      [7] J. Cagé & T. Piketty, Une histoire du conflit politique (2023)

      [8] M. Huber, Comment le mouvement pour le climat peut-il gagner ?, LVSL (2023)

      [9] IEA, As their sales continue to rise, SUVs’ global CO2 emissions are nearing 1 billion tonnes (2023)

      [10] AAAData, Marché automobile au 1er semestre 2023 Focus sur la « success story » des SUV (2023)

      [11] Voir APUR 2020 pour les seules locations touristiques

      [12] CEA, Modifications de la législation UE sur les batteries (2020)

      [13] Voir L. Kessler et Q. Perrier Bonus-malus automobile : la nécessaire évaluation I4CE (2021), RAC Aides à l’achat de véhiculesPropositions (2020) et N. Meihan, Comment faire enfin baisser les émissions de CO2 des voitures, France Stratégie (2019) ainsi que la proposition de malus du rapport « 2 % pour 2° ». Intégrer le poids des véhicules permet notamment d’imposer un malus aux « tanks électriques » dont les émissions de CO2 et les besoins de matériaux rares peuvent être très importants au stade de la fabrication, principalement en lien avec la taille des batteries

      [14] Voir Auverlot et al. Panorama des politiques publiques en faveur des véhicules à très faibles émissions France Stratégie (2018)

      [15] N. Meihan Comment faire enfin baisser les émissions de CO2 des voitures  (2020).

      [16] Ministère des ressources du Canada, Les faits : le poids des véhicules a une incidence sur la consommation (2014)

      [17] Ademe, Plus de la moitié des particules des véhicules récents ne proviennent plus de l’échappement (2022)

      [18] AFP, Métaux rares : l’AIE alerte sur les risques d’approvisionnement pour réussir la transition énergétique (2023)

      [19] Des Zones à faible émission (ZFE) doivent interdire les véhicules thermiques « anciens » dans la plupart des agglomérations d’ici 2025 avec des modalités qui restent à définir mais qui concerneront au moins 1/3 du parc et avant tout les ménages modestes, voir Ministère de la transition écologique Les voitures des ménages modestes, moins nombreuses mais plus anciennes (2020)

      [20] https://www.linfodurable.fr/conso/pollution-les-carburants-essence-et-diesel-passes-au-crible-22027

      [21] Les hybrides rechargeables étant plus lourds (notamment en raison de leur batterie), leur consommation est plus élevée  lorsqu’ils passent en mode thermique, voir les tests d’Automobile magazine et de Transport & Environnement (2021)

      [22] W. Bouchardon,  Zones faibles émissions, une écologie punitive et anti-sociale, LVSL,janvier 2023

      [23] Observatoire des territoires, Se déplacer au quotidien (2019)

      [24] Voir Ademe, Benchmark des zones à faible émissions (2022), pp.18-19

      [25] Le Monde, Offensive pro-hydrocarbures au Royaume-Uni, juillet 2023

      [26] Ministère de la transition écologique, L’empreinte carbone de la France de 1995 à 2021 (2022)

      [27]  Rapport du Compte du logement 2020

      [28] Cette proposition rejoint en partie la proposition transpartisane en cours (https://encadronsairbnb.fr/) mais va plus loin, sans quoi la rentabilité des locations courtes en zones tendues restera nettement plus élevée et donc difficile à réguler.

      [29] La compensation des meublés touristiques – par exemple en transformant un bureau en location ordinaire – est déjà prévue dans certaines villes, mais elle n’est appliquée que depuis peu, Voir IPR, les locations saisonnières en Ile de France (2021)

      [30] Cette faible imposition des locations sociales existe déjà dans certains cas (dispositif  “Loc’avantages”), mais elle ne compense généralement pas l’écart avec le loyer de marché, en particulier pour les petites surfaces et les biens rénovés.

      [31] En effet, les logements neufs restent aujourd’hui le plus souvent moins coûteux que l’achat-réhabilitation de maisons anciennes, voir l’Etude de la Dreal Grand Est sur les logements vacants et la Note « sobriété » du Plan Bâtiment Durable

      [32] Voir les résultats de plusieurs expériences locales dans N. Desquinabo Pour un changement d’échelle des rénovations performantes, La Fabrique de la cité (2024) et le cas médiatisé en 2020 de la lutte contre la vacance à Muttersholtz

      [33] Voir détails dans notre note Stratégie pour un logement durable et abordable, Institut Rousseau (2023)

      [34] Par exemple, l’ajout d’environ 1000 logements abordables par an sur la métropole de Montpellier reste très insuffisant pour accueillir 8000 nouveaux habitants chaque année et répondre à un stock de demande dépassant 25 000 ménages éligibles

      [35] Ministère de l’écologie, La réglementation RE 2020 EcoConstruire (2021)

      [36] Insee, Sept salariés sur dix vont travailler en voiture (2019) et Observatoire des territoires, Se déplacer au quotidien (2019)

      [37] https://reporterre.net/Une-mort-sur-cinq-dans-le-monde-serait-due-a-la-pollution-de-l-air-selon-une-etude

      [38] APUR, Ville pavillonnaire Grand Paris, enjeux et perspectives (2023)

      [39] Le Monde, Canicule : « Entre un espace rural et la ville, l’écart de température peut être de plus de 10 °C », juillet 2016

      [40] Voir notamment Insee taux d’effort 2017 et France Stratégie 2023. Cette sur-inflation a entraîné une hausse des inégalités de revenu après dépenses pré-engagées deux fois plus fortes que les inégalités mesurées en niveau de vie.

      [41]  Libération, la qualité des apparts franciliens a baissé depuis 20 ans, 2021 et Qualitel, baromètre de la qualité de l’habitat – les français face au bruit

      [42] Insee, Détention de la résidence principale (2021) et Les conditions de logement en France (2017).

      [43] Ainsi que des régulations industrielles en général, voir Institut Veblen-Dupré et al. Les conditions d’un mécanisme efficace et juste d’ajustement carbone aux frontières (2021)

      [44] Notamment utilisées en 2012 et 2016 pour interdire rapidement les importations utilisant les insecticides Cruiser et diméthoate interdits en France et en 2020 pour le dioxyde de titane. Voir Le Monde, La France interdit l’importation du cerises traitées avec un insecticide contesté, 2016 et d’autres détails sur cette clause dans IGAS-CGEDD-CGAAER « Rapport sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques » (2017), pp.42-45

      [45] Voir notamment l’expertise Inserm de 2021 sur les pesticides et les données scientifiques consolidées sur les antibiotiques (OMS), les excès d’engrais, ou les additifs industriels (au moins 87 identifiés comme dangereux).

      [46] Haut-Commissariat au Plan, La France est-elle une grande puissance agricole et agro-alimentaire (2021)

      [47] Voir notamment Inrae, Pratiques agricoles et rendements des cultures céréalières (2020), Inrae/Cnrs, Production agricole et conservation de la biodiversité (2022)  et l’Expertise scientifique collective sur la diversité végétale – Inrae (2022)

      [48] Science, The rotten apples of Brazil agribusiness (2020)

      [49] Le Monde, Le bilan carbone des ruminants peut être nul voire négatif lorsqu’ils sont élevés en prairie, mars 2022

      [50] K. Klumpp et P. Carrère, Le stockage de carbone des prairies permanentes et temporaires (2015) et I. Scoones, Pastries (2021)

      [51] www.futura-sciences.com/sante/actualites/nutrition-aliments-ultra-transformes-ils-composent-31-assiette-francais-87388/

      [52] L’alimentation ultra-transformée meilleure marché que l’alimentation saine | sciensano.be

      [53] Inserm, Aliments ultra-transformés et risques cardiovasculaire (2019)

      [54] France info, Arrêter la viande pour sauver la planète ?

      [55] La France Agricole, consommation de viande en hausse pour la deuxième  année consécutive (2023)

      [56] Le Monde, Dans l’élevage 60% des animaux sont concentrés dans 3% des fermes (2023)

      [57] Voir Road to Net Zero (2024), chapitre Transports.

      [58] Voir Agreste, Commerce extérieur (2021) et N.Desquinabo, Politiques agricoles : l’agriculture intensive et les productions importées sont toujours abondamment soutenues, APLC (2022)

      [59] Insee, Produire en France plutôt qu’à l’étranger : quelles conséquences ? (2023)

      [60] OCDE, Perspectives mondiales des plastiques (2022)

      [61] Voir notamment Ademe Forêts et climat (2021) et I4CE Relocaliser la filière bois (2019).

      [62] J-B. Grenier, Face à l’écologie anti-populaire : tout changer ?  LVSL, décembre 2023

      [63] Autorité de régulation des transports, Scénarios de long terme pour le réseau ferroviaire français (2023)

      [64] DB, Integrated Report (2022)

      [65] Pour le fret également, l’efficacité de la complémentarité entre des restrictions – notamment tarifaires – pour les poids lourds et des alternatives ferroviaires nettement plus importantes, fiables et rapides a été prouvée par les exemples de l’Autriche et de la Suisse, dont les parts modales du ferroviaire sont trois fois plus élevées que celles de la France, voir le rapport Road to Net Zero (chapitre “Railway”) pour l’Autriche et l’étude de la DG Trésor, La politique suisse en matière de transports (2019).

      [66] En France et en Europe, l’agriculture intensive est la source majeure des dommages à la biodiversité selon les dernières études de référence (ex. Rigal & al. Farmland practices are driving bird population decline across Europe, 2023). L’impact global des constructions est significatif mais très loin derrière, avec environ 9% des dommages sur les zones « Natura 2000 » d’Europe en considérant la totalité des constructions (voir le rapport IGF/IGEDD de 2022, annexe 2), soit moins de 0,2% s’agissant des nouvelles lignes ferroviaires qui représentent moins de 2% des espaces artificialisés lors des périodes de chantiers et contribuent à l’atténuation du changement climatique…qui est devenu la 2nde cause de l’effondrement de la biodiversité eu Europe.

      [67] G. Giraud et C. Nicol, Actifs fossiles, les nouveaux subprimes, Institut Rousseau (2021)

      [68] C. Gaigné, La lutte contre l’artificialisation des soles ne doit pas se traduire par une hausse du prix du logement août 2023

      [69] Voir Society, Chauds les escrocs, août 2023, Que choisir, Rénovation énergétique à 1 euro, une fraude de grande ampleur, novembre 2023 et Mediapart, Rénovation énergétique : l’Etat débordé par la fraude massive, mars 2024

      [70] Matt Huber, Le problème avec la décroissance, LVSL, juillet 2023

      Publié le 6 mai 2024

      Face aux pièges de l’écologie « punitive », quelles restrictions les plus efficaces et justes ?

      Auteurs

      Nicolas Desquinabo
      Nicolas Desquinabo, expert indépendant en évaluation de politiques publiques, ancien directeur du Master Evaluation et suivi des politiques publiques de Sciences-Po Lyon.

      Résumé exécutif

       

      Les débats sur l’écologie soulignent régulièrement la question des « restrictions » à imposer ou non aux populations. De manière quasi systématique, les opposants au changement agitent le spectre de l’écologie « punitive » et font passer la moindre contrainte réglementaire comme une grave atteinte à la liberté. Or, en complément d’une réorientation massive des investissements vers les activités durables, il est clair que des outils réglementaires et normatifs doivent être mobilisés. Mais pas n’importe lesquels.

       

      À travers des exemples précis empruntés aux secteurs de la mobilité, du logement et de l’agriculture, cette note met en lumière le caractère inefficace et socialement injuste des mesures actuellement les plus discutées dans le débat public. Ces débats mal posés jouent un rôle central dans le statu quo actuel : repoussoir légitime pour une part importante de la population, ils aggravent le fossé entre l’opinion publique et la nécessité d’agir face aux enjeux écologiques, et permettent aux décideurs publics de justifier leur inaction voire un recul de l’action publique sur ces questions. La taxe carbone sur le carburant sans proposition d’alternatives (point de départ de la crise des gilets jaunes), ou encore les normes pesant sur nos agriculteurs au profit de l’importation de viandes issues d’élevages intensifs non soumises à ces contraintes, en sont de bons exemples.

       

      En miroir, cette note reprend plusieurs propositions développées dans des notes et rapports précédents de l’Institut Rousseau[1] sur les thématiques du transport (partie 1), du logement (partie 2) et de l’agriculture (partie 3) afin de les comparer avec les mesures « restrictives » actuellement les plus débattues et d’en préciser les impacts écologiques et sociaux potentiels (partie 4). La note conclut ensuite sur la question des alternatives (partie 5) et de l’opportunité de restrictions ciblées et non générales (partir 6) :

       

      1. Promouvoir des malus ciblés plutôt que des zones à faibles émissions (ZFE)

      2. Restreindre le logement occasionnel plutôt que le neuf abordable

      3. Limiter les importations issues de l’élevage intensif plutôt que l’élevage extensif local

      4. L’impact écologique de ces mesures : majeur à court terme, complémentaire à long terme

      5. Accepter que les alternatives ne soient jamais parfaites

      6. Passer de restrictions générales inutiles à des contraintes ciblées bénéficiant à la majorité

       

      Le spectre de l’écologie « punitive » s’alimente de perspectives de restrictions trop générales, peu efficaces et régressives. Celles-ci constituent de véritables aubaines politiques pour les divers populismes anti-écologiques. Cette note ambitionne de déconstruire cet épouvantail en démontrant que le problème, ce ne sont pas les normes et restrictions environnementales en elles-mêmes mais la façon dont elles sont conçues et formulées dans le débat public. Et que des restrictions efficaces et justes, seules à pouvoir remporter un soutien populaire, sont possibles.

      Les débats sur l’écologie soulignent régulièrement la question des « restrictions » à imposer ou non aux français et plus globalement aux populations des pays développés. Certains en font la promotion générale, d’autres les craignent et beaucoup utilisent le spectre de l’écologie « punitive » comme argument pour ne rien faire. Or, en complément d’investissements massifs réorientés vers les activités durables (décrits de façon détaillée dans les rapports « 2% pour 2 degrés » et « Road to Net Zero » et la note « Quelles transformations globales pour une transition écologique effective ? » de l’Institut Rousseau), il est clair que des outils réglementaires et fiscaux doivent également être mobilisés. Des restrictions seront nécessaires pour réduire plus vite et plus fort nos empreintes écologiques et dépendances extérieures, mais pas n’importe lesquelles. Pour être opérantes et acceptables, il faut que ces restrictions :

      1. N’aggravent pas les inégalités déjà croissantes, et même les réduisent, en centrant les contraintes sur les ménages et organisations ayant le plus de moyens, et en introduisant des malus sur les comportements non vertueux qui permettent de financer des alternatives à bas coût pour la majorité.
      2. Aient des impacts écologiques importants (en termes de gaz à effet de serre, de polluants sanitaires et/ou de biodiversité), à court et moyen terme, afin de légitimer les efforts demandés.
      3. Complètent les solutions alternatives, en particulier lorsque ces alternatives arrivent à maturité et sont largement accessibles ou lorsque les soutiens aux alternatives écologiques n’ont plus d’effet sur leur adoption par certains publics.

      Loin de ces conditions d’efficacité et de justice sociale, les restrictions actuellement les plus débattues ont des impacts écologiques limités voire négatifs, tout en aggravant les inégalités sociales. Cela est notamment dû au fait que ces restrictions sont présentées de façon très générale (« anti-voitures », « anti-maison », « anti-viande ») et gomment ainsi les indispensables subtilités à prendre en compte pour être à la fois efficaces et justes. Plus précisément, les restrictions générales s’appuient sur trois grandes illusions, largement documentées par les données scientifiques récentes et les évaluations indépendantes :

      • L’illusion des « moyennes », qui stigmatise les impacts d’objets généraux, en particulier « la voiture»[2], « la viande »[3] ou « la maison individuelle »[4], alors que leurs impacts sont loin d’être homogènes. En conséquence, des écarts de 1 à 10 sont gommés et des activités bénéfiques sont jetées avec l’eau du bain. Par exemple, les viandes sont stigmatisées de manière générale, alors que les élevages bovins extensifs ont des impacts écologiques globaux très positifs[5]. De même, des restrictions sont envisagées pour l’ensemble des populations, sans distinguer de sous-populations en fonction de leurs statuts (organisation ou particulier), revenus ou accès aux alternatives.
      • L’illusion des « politiques actuelles » qui auraient déjà essayé mais, malgré de nombreuses incitations, auraient échoué à limiter les pollutions, démontrant par-là que les incitations sont inefficaces et que la seule solution serait de passer à une coercition homogène des masses. À l’inverse de ce postulat, il faut rappeler que les politiques actuelles sont en réalité fortement pro-fossiles[6]. Si les politiques incitaient réellement à des pratiques durables ou que celles-ci étaient déjà largement accessibles, des restrictions pourraient alors être efficaces, à condition d’être ciblées sur des acteurs et pratiques clés, par exemple les entreprises ayant de larges flottes automobiles ou les multi-propriétaires de logements et/ou de locaux tertiaires.
      • L’illusion de la « réglementation magique », qui consiste à penser qu’une interdiction a un effet immédiat et absolu, sans effets de « transfert » des pollutions vers d’autres pays. Or, une interdiction nationale sans réflexion internationale peut rapidement créer des transferts annulant les effets de la mesure, voire générer un bilan négatif et contre-productif. C’est par exemple le cas lorsqu’on impose des normes environnementales à nos agriculteurs tout en permettant l’importation de produits moins chers car ne respectant pas les mêmes normes sanitaires et environnementales. Plus largement, une réglementation n’a d’effet que si le niveau de contrôle et de sanction des fraudes est suffisant.

      Ces débats mal posés jouent un rôle central dans le statu quo actuel : repoussoir pour une part importante de la population, ils permettent aux décideurs publics de justifier leur inaction voire un recul de l’action publique, aggravent le fossé entre la gauche écologiste et une large part des milieux populaires, notamment ruraux, qui se sentent menacés et/ou stigmatisés[7] et empêchent toute alternance politique[8].

      Malgré ces difficultés, des restrictions générales pourraient éventuellement être défendues si des améliorations écologiques importantes étaient à ce prix. Mais ce n’est pas le cas : les données scientifiques et évaluations soulignent que ces illusions sont porteuses de grandes inefficacités et d’impacts régressifs (de la taxe carbone sans mobilité alternative aux réductions de cheptels locaux au profit des viandes intensives importées), alors que des solutions ont déjà prouvé leur efficacité sans besoin d’accroître encore les inégalités.

      La condition est d’inverser la plupart des politiques publiques, actuellement favorables aux fossiles, en proposant des alternatives écologiques moins coûteuses pour la majorité, combinées à des contraintes progressives et centrées sur les enjeux écologiques majeurs et les acteurs ayant les moyens de s’ajuster. Dans ce cadre, les restrictions les plus efficaces et progressives pourraient surtout cibler :

      • Les véhicules lourds, et notamment les SUV (Sport Utility Vehicles). En effet, le développement effréné des véhicules personnels de grande taille est tel qu’il a annulé en 2022 les réductions de gaz à effet de serre liées à la croissance du parc de véhicules électriques[9]. Par ailleurs, les achats de SUV concernent à plus de 90 % des ménages aisés et des entreprises[10].
      • Les logements « occasionnels » dans les zones tendues (ex. locations touristiques, résidences secondaires), dont l’explosion en France et en Europe[11] augmente inutilement les besoins de constructions (qui représentent environ un tiers des émissions de l’industrie française) et entrave l’accès au logement abordable de la grande majorité des ménages des agglomérations et littoraux.
      • Les importations alimentaires des pays plus polluants que la France, dont l’empreinte écologique est croissante et dont la compétitivité économique reste l’excuse centrale de la faiblesse des régulations agricoles et industrielles européennes, au bénéfice des exploitants et industriels les moins vertueux et au détriment de la santé publique.

      Promouvoir des malus ciblés plutôt que des zones à faibles émissions (ZFE)

      Le secteur des transports est le seul secteur dont les émissions ont augmenté depuis les années 1990 (+16 % à l’échelle européenne). La croissance du poids des véhicules en est une des principales raisons, avec un impact négatif à la fois sur la consommation des véhicules et sur leur fabrication[12]. Cette croissance de taille et de poids n’est pas justifiée par un réel besoin et les véhicules plus légers sont pourtant moins coûteux. Des mesures contraignantes sont donc nécessaires et, si elles sont bien ciblées, doivent permettre de rendre plus accessibles des alternatives écologiques pour la majorité de la population. Des propositions en la matière ont déjà été développées dans plusieurs notes dont les points communs sont les suivants :

      Proposition 1A : Pour avoir un réel effet sur les comportements, les malus à l’achat liés aux émissions de CO2 et au poids des véhicules (y compris électriques) doivent être au moins 3 fois plus élevés, comme l’ont souligné les travaux récents de l’Institut Rousseau mais aussi du Réseau action climat (RAC), d’I4CE et de France Stratégie[13]. Par exemple, le malus devrait augmenter d’au moins 50 % le prix des véhicules dépassant de 50 % les émissions et le poids de référence de l’année (ex. 90 g CO2/km et 1100 kg pour 2024), contre des malus actuels plafonnés et n’augmentant le prix que de + 10% pour les SUV qui émettent pourtant + 40 à 50 % de gaz à effet de serre.

      Cette restriction d’ordre fiscal et tarifaire n’implique pas de besoin d’alternative spécifique car aucun besoin de mobilité n’est entravé par des véhicules moins lourds : les SUV sont sous-occupés et les familles nombreuses sont déjà prises en compte dans les malus actuels.

      Les recettes pour les finances publiques issues de ces malus s’élèveraient à au moins 4 milliards d’euros supplémentaires par an, tout en permettant une réduction d’au moins 20 % des émissions du secteur. Le barème deviendra chaque année plus strict, mais sa baisse ultérieure dépendra de l’évolution des stratégies des constructeurs automobiles. Ainsi, les contraintes reposent ici principalement sur les industriels (dont les marges sur les SUV sont particulièrement élevées), ainsi que sur les consommateurs les plus aisés, qui contribueront au financement d’un bonus électrique plus ambitieux et progressif.

      Proposition 1B, « alternatives moins coûteuses » : en complément, l’expérience norvégienne et d’autres expériences intermédiaires en Californie et en Chine[14] suggèrent que les bonus devraient être renforcés et progressifs, en couvrant, selon les revenus du foyer, entre 20 et 100 % de la différence de coût d’achat avec les véhicules thermiques équivalents (tant pour le neuf que l’occasion). En complément, ces bonus devraient prendre en compte le poids et la localisation de la production des batteries, afin de ne pas annuler les impacts bénéfiques du moteur électrique[15].

      Impacts écologiques directs du « malus renforcé » :

      En plus de contribuer au financement des alternatives pour la majorité de la population, des malus nettement renforcés sur les véhicules émissifs et lourds auraient des impacts écologiques directs majeurs, dont environ -25% d’énergie consommée en réduisant les poids de 400 kg[16], ainsi qu’une réduction des émissions liées à la fabrication, des pollutions liées aux pneumatiques[17]  et des dépendances liées aux matériaux[18].

      L’impact écologique direct de ce type de « contrainte ciblée » dépasse de très loin celui des zones à faible émission (ZFE) actuellement en cours de déploiement. Ces dernières prévoient l’interdiction, pour les véhicules trop polluants, de circuler dans les centres villes. Par exemple, cela incitera les ménages à passer d’un diesel de 2010 (crit’air 3) à une essence de 2010 (crit’air 2) puis de 2012 (crit’air 1)[19]. L’impact sera certes positif pour les oxydes d’azote, mais négatif pour les particules ainsi que pour les gaz à effet de serre, les essences consommant 28% plus de pétrole que les diesels et émettant 11% de plus de CO2[20].

      De plus, les SUV hybrides, qui consomment davantage que les essences ordinaires en conditions réelles de conduite[21], ou les « tanks électriques », dont le bilan carbone global est supérieur aux petites thermiques, seront autorisés. En effet, seules les émissions théoriques de certains polluants sont prises en compte. Les pollutions liées à la fabrication des véhicules et les émissions réelles ne sont pas considérées, à l’avantage des ménages aisés et des véhicules d’entreprises. À l’inverse, les principaux pénalisés seront les ouvriers[22], dont le lieu de travail est plus souvent non desservi par un transport en commun[23], et plus généralement les ménages modestes qui devront acheter un véhicule récent nettement plus coûteux que leur diesel dévalorisé.

      Si certaines ZFE à l’étranger ont contribué à améliorer la qualité de l’air, le benchmark de l’Ademe[24] souligne que ces effets restent « modérés » (ex. -4 à -14 % pour certains polluants dans les expériences allemandes les mieux évaluées), en raison d’un report vers des véhicules seulement un peu plus récents et au prix d’impacts sociaux clairement négatifs. Pour que les impacts de ce type de mesure deviennent nettement positifs, la condition est donc de rendre accessibles les véhicules électriques au plus grand nombre et/ou d’offrir des alternatives de transport public pour l’ensemble des trajets péri-urbains, ce qui est encore très loin d’être le cas. À ce stade peu utiles et très régressives, ces formes de restrictions sont donc une aubaine politique pour les pro-fossiles, comme on a déjà pu le constater au Royaume-Uni[25].

      Restreindre le logement occasionnel plutôt que le neuf abordable

      Pour les bâtiments, l’explosion des logements « occasionnels » dans les zones tendues est la tendance qui augmente le plus fortement les besoins de constructions, qui représentent déjà plus de 10 % de l’empreinte carbone totale de la France[26]. Alors que 380 000 logements sont construits chaque année en moyenne, seuls les deux tiers (250 000) sont ou restent des résidences principales. Le tiers restant représente des résidences occasionnelles et des logements vacants, dont la part continue d’augmenter[27].

      À l’inverse des fiscalités actuelles, très favorables aux logements occasionnels et à la rétention foncière (voir la partie diagnostic de notre note sur le logement durable et abordable), deux types de restrictions fiscales et réglementaires sont à développer pour limiter les besoins de constructions sans augmenter encore les prix :

      Proposition 2A : Rendre les locations longue durée plus rentables pour les propriétaires que les locations courte durée, en imposant ces dernières au moins deux fois plus et en introduisant un barème de taxe progressif selon les usages et les revenus (par exemple de 40 à 70 % pour la location courte, selon les revenus[28], contre de 20 à 35 % pour les locations pérennes). Par ailleurs, les recettes fiscales de ces mesures viendront pour l’essentiel des ménages aisés multipropriétaires et contribueront à rendre plus abordables les rénovations globales de logement pour la majorité des français ainsi que pour les bailleurs responsables.

      Il faut par ailleurs distinguer les zones tendues des zones non tendues. Dans les zones les plus tendues, il faut aller plus loin qu’une fiscalité différentielle et limiter les locations occasionnelles de manière réglementaire. Cela peut passer, par exemple, par une compensation de tout logement qui n’est pas une  résidence principale (location touristique, résidence secondaire, pied à terre)[29], y compris celles faisant peu ou pas l’objet de locations courtes (ex. pied à terre occasionnel), pour lesquelles l’outil fiscal n’est pas suffisant pour dissuader les ménages les plus aisés.

      Dans les zones détendues, ni les restrictions réglementaires ni certaines sur-taxations ne sont nécessaires. Elles y auraient même des conséquences négatives, car les logements en question y seraient sinon davantage laissés vacants et les inégalités territoriales s’en trouveraient encore aggravées.

      Proposition 2B, « alternatives moins coûteuses » : À l’opposé des logements occasionnels, l’imposition pourrait être nulle pour les locations « sociales » (c’est à dire louées 30 à 40 % en dessous du prix de marché[30]), afin de les rendre au moins aussi rentables que les logements loués au prix moyen local. Par ailleurs, les réhabilitations lourdes de logements vacants doivent devenir moins coûteuses que le neuf, en particulier dans les zones peu tendues, en lien avec les politiques plus générales de rénovation énergétique[31]. Sachant que lorsque les moyens mobilisés sont importants, comme dans le Bas-Rhin[32], le rythme de remobilisation des logements vacants dégradés peut être multiplié de 5 à 10 par rapport à la moyenne nationale.

      Impacts écologiques des restrictions « logements occasionnels »

      Ces restrictions permettraient non seulement de contribuer au financement de logements abordables et durables mais également, combinées à une réduction de la sur-demande de logements dans les métropoles[33], de réduire de moitié les besoins de construction, sans réduire le nombre de résidences principales. Une telle réduction de la construction neuve aurait alors des impacts majeurs sur les émissions de l’industrie, l’artificialisation des sols agricoles et les îlots de chaleur dans les agglomérations, où le rythme pourtant élevé de construction neuve ne parvient pas à répondre aux besoins de logement abordable[34], notamment en raison de cette fuite des résidences principales vers la location de courte durée et les résidences secondaires.

      L’impact écologique et social de cette contrainte ciblée sera nettement plus positif que le très inégal « abandon du rêve » de la maison individuelle. En effet, si les constructions se limitaient à du petit habitat collectif, cela pourrait certes limiter l’artificialisation, mais l’impact carbone au m² serait plus élevé de 20 %[35] à celui des maisons individuelles. De plus, la densification des grandes agglomérations implique des trajets quotidiens jusqu’à deux fois plus longs qu’autour des petites villes[36], ainsi qu’une forte surmortalité[37] liée à la concentration des pollutions de l’air et aux ilots de chaleur[38] qui peuvent augmenter les canicules de 10°C[39].

      Surtout, une forte baisse du neuf sans remobiliser des logements anciens pénaliserait la majorité des familles non propriétaires, dont les dépenses de logement sont déjà passées de 20 à 30 % de leurs revenus entre 2001 et 2017[40], alors que la plupart souhaitent plus de surfaces, un espace extérieur ou moins de bruit direct[41]. En revanche, la quasi-totalité des ménages aisés ne seraient pas concernés par cette restriction, ayant déjà une maison individuelle principale et/ou secondaire[42], mais en seront les grands bénéficiaires dans la mesure où la valeur des maisons explosera si elles deviennent plus rares.

      Limiter les importations issues de l’élevage intensif plutôt que l’élevage extensif local

      Pour l’agriculture, la croissance des importations intensives est la tendance aux impacts les plus lourds et reste l’excuse centrale de la faiblesse des régulations agricoles[43]. C’est pourquoi le respect de normes alimentaires renforcées (ex. interdictions des pesticides et additifs dangereux) devrait s’imposer systématiquement aux produits agricoles importés afin d’éviter de déplacer l’utilisation intensive d’engrais, de pesticides et d’autres produits chimiques dans les pays aux pratiques les plus polluantes.

      Proposition 3A : Systématiser l’utilisation des clauses de sauvegarde[44] et l’étiquetage de l’ensemble des lieux de production agro-industriels, afin d’interdire en France et dans les pays importateurs les produits les plus dangereux et/ou polluants.

      Qu’il s’agisse de pesticides ou d’additifs, l’application de ces clauses de sauvegarde nécessite surtout l’appui de recherches scientifiques constatant des risques pour la santé ou l’environnement qui sont déjà très nombreuses[45]. Pour les produits dont les dangers sanitaires et/ou environnementaux sont principalement liés à des niveaux de consommations à réduire, les clauses de sauvegarde sont à compléter par des taxes sur les produits issus de l’élevage intensif et ultra-transformés. Ces impositions doivent augmenter les prix bien trop réduits à ce jour de ces aliments (voir le rapport « Road 2 Net Zero » de l’Institut Rousseau), dont les provenances précises devraient être systématiquement indiquées de manière claire et obligatoire afin de limiter les fraudes et concurrences déloyales.

      Ces restrictions concerneront pour l’essentiel les grands industriels et distributeurs alimentaires, qui profitent de ces importations intensives pour imposer une concurrence déloyale aux producteurs français. Ces derniers seraient ainsi mieux protégés et pourraient bénéficier de prix plus élevés. En revanche, au regard des risques inflationnistes importants, en particulier pour les jeunes et les familles modestes, les impositions des aliments intensifs et/ou ultra-transformés doivent impérativement financer une réduction ciblée et progressive des tarifs sur les aliments extensifs, régionaux et de qualité :

      Proposition 3B, « alternatives moins coûteuses » : Pour devenir davantage accessibles, les alternatives alimentaires nationales/régionales et non intensives doivent bénéficier d’un chèque progressif alimentation de qualité attribué pour l’achat de produits bio ou extensifs aux prix conventionnés et produits en France ou à proximité.

      Par exemple, un chèque « qualité » allant de 200 à 2000 euros par an selon les revenus et la taille des ménages (voir détails dans la note « Transformations » de l’Institut Rousseau) permettrait de largement compenser les effets inflationnistes d’une augmentation moyenne de 10 % du prix des aliments intensifs et/ou ultra-transformés.

      Impacts écologiques globaux des clauses et taxes « aliments intensifs »

      En plus de contribuer au financement de la réductions des prix des aliments de qualité, ces restrictions auront des impacts écologiques majeurs et multiples : une forte réduction des émissions liées à l’agro-alimentaire, notamment importées (voir estimations dans la partie suivante), un effet d’entraînement sur les pays importateurs et une réduction des dommages sanitaires liés à la dépendance agro-chimique de la France (qui importe massivement des engrais minéraux, des carburants et du soja[46]). De plus, la progression des aliments produits dans des systèmes agro-écologiques n’entraînera pas les pertes de production souvent annoncées, comme l’ont démontré les synthèses de recherches et expérimentations récentes[47].

      L’impact écologique de ces contraintes « avec alternatives » sera très supérieur à une réduction indifférenciée de l’élevage.  En effet, si l’élevage intensif a des impacts écologiques très négatifs[48], l’élevage sur herbe[49] a un bilan carbone limité par la captation du carbone par les prairies[50] et des impacts très positifs pour la biodiversité, tout en valorisant des ressources non consommables par les humains.

      En imposant des taxes élevées sur les viandes en général, le risque est surtout d’aboutir à augmenter la part des aliments bas de gamme ultra-transformés (déjà au-dessus de 40 % pour les ménages modestes et les jeunes[51]) qui sont deux fois moins chers[52] et dont les impacts sanitaires sont majeurs (diabète, cancers, maladies cardio-vasculaires) en raison des additifs utilisés, des résidus chimiques de production et des autres transformations[53] industrielles.

      C’est donc le type d’élevage[54] qui conditionne les impacts écologiques et non l’élevage en soi et ce sont surtout les élevages de poulets et de porcs qui sont intensifs et en croissance[55] et non les élevages bovins qui sont souvent injustement stigmatisés alors qu’ils ne couvrent que 2 % des « fermes-usines » en France[56].

      L’impact écologique de ces mesures : majeur à court terme, complémentaire à long terme

      Ainsi, ces trois ensembles de contraintes « progressives » sur la taille des véhicules, les logements occasionnels et les imports issus de l’élevage intensif pourraient réduire d’au moins 17 % l’empreinte carbone totale de la France à court terme (d’ici 10 ans), tout en ayant des impacts sociaux et sanitaires très positifs :

      Impact des trois restrictions stratégiques principales sur l’empreinte carbone de la France

      Sources : MTES Empreinte carbone France 2022 dont par poste de consommation et Insee Produire en France 2023

      Vert foncé : gains potentiels directs des 3 principales « restrictions ciblées » sur +-10 ans

      Vert clair : gains liés aux principales incitations (mobilité électrique, train, rénovation performante et agro-écologie) sur +-25 ans

      Gris : empreinte carbone résiduelle (avant puits de carbone) en 2050 et autres secteurs non traités ici (ex. habillement ou mobilier)

      *Nous avons ajouté aux 140 Mt du poste « alimentation », la part du fret propre au secteur (+-12 Mt selon les poids en tonnes.km), ainsi que les émissions liées aux engrais industriels et à la déforestation importée (voir Iddri, Ten Years For Agroecology, p.61-62 pour les estimations à l’échelle de l’UE)

      **A noter que dans l’étude du MTES, la construction tertiaire (+- 30% des surfaces en 2017) est intégrée dans l’habitat, mais pas les émissions directes liées au chauffage des bâtiments tertiaires

      Les impacts potentiels de ces restrictions ciblées sont à la fois directs et complémentaires des principaux leviers d’action incitatifs envisagés sur les mêmes sujets :

      • Des malus renforcés sur les émissions et le poids des véhicules peuvent réduire à court terme (+- 10 ans) d’au moins un quart les émissions des véhicules thermiques qui seront vendus jusqu’à 2035 (date à laquelle ils seront interdits) ainsi que les émissions liées à la fabrication des véhicules, y compris électriques (soit ~40 MtCO2e au total dont industrie et imports). En parallèle, la conversion « bas-carbone» du parc de véhicules combinée à une forte hausse du ferroviaire pourront réduire la quasi-totalité du reste des émissions, mais à beaucoup plus long terme (25-30 ans), notamment en raison du rythme lent de renouvellement du parc automobile (4 à 6 % par an[57]) et des investissements ferroviaires (10-15 ans pour une nouvelle ligne).
      • Les restrictions sur les logements occasionnels dans les zones tendues combinées au rééquilibrage territorial peuvent réduire à court terme de moitié des émissions liées à la construction (~30 MteCo2 dont imports), tout en évitant les impacts très négatifs de cette chute des constructions sur le pouvoir d’achat et les conditions de logement de la majorité des locataires et accédants. En parallèle, les soutiens aux rénovations énergétiques performantes pourront réduire la quasi-totalité des émissions liées au chauffage et à la climatisation des bâtiments, mais à beaucoup plus long terme (25-30 ans) compte tenu du rythme actuel qui est encore plus de quatre fois inférieur au rythme nécessaire (au moins 2 % du parc par an pour rénover 60 % du parc le plus énergivore en moins de 30 ans).
      • L’imposition aux produits importés de normes identiques aux produits locaux, combinée à la taxation des produits intensifs et à la réduction des tarifs des aliments extensifs pourraient réduire de moitié les aliments et engrais importés, en particulier en provenance des pays aux normes très inférieures (ex. Afrique du nord, Pologne, Espagne et Pays-Bas) et/ou très éloignés géographiquement (Amérique du sud, Nouvelle-Zélande et Chine) qui représentent plus de 40 Mds/an[58]. Compte tenu du poids carbone nettement plus élevé[59] de ces importations, l’empreinte carbone de la France diminuerait d’au moins 20 MteCO2, auxquels s’ajoutent environ 10 MteCO2 liés à la fin de la déforestation importée.

      Un des principaux intérêts de ces trois ensembles de contraintes ciblées est d’avoir un impact significatif à court terme, alors que la transformation des mobilités, des bâtiments et des systèmes agricoles ne peut être que très progressive. Par exemple, même si la fin de la vente des véhicules thermiques était prévue dès 2030, cela ne permettrait de les rendre majoritaires qu’après 2036, sauf à doubler les ventes annuelles de véhicules, ce qui aggraverait fortement les émissions industrielles. Dans l’agriculture, les changements de systèmes sont plus fréquents à l’occasion des changements d’exploitants et la plupart des exploitants ne pourront changer de système sans transformation préalable des modèles économiques industriels et commerciaux à l’aval, en particulier dans les filières longues (produits transformés, alimentation animale, etc.).

      De plus, ces mesures contraignantes démultiplient l’efficacité des leviers plus incitatifs, à la fois en les finançant (en cas de taxe ou malus, dont les recettes peuvent être réaffectées au financement des solutions durables) et en rendant les alternatives écologiques plus abordables et économiquement attractives. En particulier, l’imposition des mêmes normes environnementales aux importations est décisive pour accompagner les agriculteurs et industriels dans leur changement de système. Cette mesure les protège des concurrences déloyales dont les effets négatifs sont doubles : elles freinent la diffusion des aliments durables (via des prix inférieurs et/ou des marges supérieures pour les distributeurs) et aggravent les pollutions à l’échelle mondiale (via des transferts de productions vers les pays et exploitants les plus polluants).

      Accepter que les alternatives ne soient jamais parfaites

      En complément, des restrictions sur l’utilisation des plastiques[60], le fret routier de longue distance et les vols moyen-courriers pourraient être utiles et bénéficier d’alternatives moins coûteuses, à condition là encore de ne pas stigmatiser les utilisations vertueuses du bois (coupé à maturité pour une utilisation combinant matériaux et énergie[61]) et de développer les lignes ferroviaires, y compris à grande vitesse, indispensables pour tripler la part du train dans les voyages et le fret.

      Sur cette dernière question, les oppositions aux projets ferroviaires sont, sauf cas rares, incohérentes[62] et/ou de facto pro-fossiles. En effet, les exemples de la Suisse et de l’Autriche présentés dans le rapport « Road to net Zero » ainsi que les rapports récents sur les besoins d’infrastructures ferroviaires en France[63] ou en Allemagne[64] soulignent que l’augmentation des efforts de renouvellement des réseaux sont indispensables pour éviter la baisse du trafic mais qu’ils doivent s’accompagner d’un fort développement de nouvelles lignes pour arriver à multiplier par 2 à 3 le ferroviaire en France et en Europe.

      Au minimum, les nombreuses lignes déjà proches de la saturation doivent être doublées (notamment autour et entre les grandes agglomérations), des voies propres doivent améliorer la capacité et la fiabilité du fret ferroviaire et de nouvelles lignes doivent relier les villes moins bien desservies et éviter les détours par les métropoles engorgées. Sans ces investissements publics[65], les durées des trajets et les tarifs ferroviaires resteront largement moins adaptés et accessibles que la voiture ou l’avion pour la majorité de la population, en particulier pour la plupart des voyages longs et la majorité des familles aux revenus modestes et moyens.

      Il est vrai que l’exploitation durable du bois et les nouvelles infrastructures ferroviaires peuvent avoir des impacts négatifs sur la biodiversité, mais ceux-ci peuvent être très limités[66] et sont sans aucune mesure avec les pollutions liées à leurs substituts que sont le béton, le gaz, le fioul, les camions et les avions.

      Passer des restrictions générales inutiles à des contraintes ciblées bénéficiant à la majorité

      En conclusion, les débats les plus récurrents sur les restrictions écologiques reposent à la fois sur des fausses moyennes et une méconnaissance des politiques publiques réellement menées. En faisant reposer des restrictions généralement inutiles sur ceux qui possèdent et polluent le moins, le fond régressif et absurde de ces débats est parfois stupéfiant. Heureusement, quelques acteurs politiques, ONG et scientifiques soulignent le besoin de mieux associer les questions écologiques et sociales. Mais la réalité « pro-fossiles » des politiques publiques actuelles reste largement méconnue et sous-estimée, ce qui remet régulièrement sur le devant de la scène les débats « hors sols » sur les restrictions à imposer aux masses, au bénéfice d’une petite minorité d’entreprises et de ménages à la fois responsables et bénéficiaires de l’essentiel des pollutions[67]. Cumulées, ces restrictions trop générales auraient peu d’impact écologique mais permettraient à la quasi-totalité des ménages aisés de bénéficier d’une valorisation de leur patrimoine hors du commun : des appartements dans les centres devenus plus calmes et moins pollués et des maisons devenues une denrée rare, objets de toutes les spéculations[68].

      Le piège des restrictions générales est double : davantage contraindre ceux qui ont le moins d’alternatives et/ou aggraver encore les effets de seuils des aides sociales, qui sont au cœur des divisions au sein des milieux populaires autour des questions de l’assistanat et des inégalités selon les statuts (titulaires vs. précaires, locataire social vs. privé, etc.). C’est pourquoi il est également nécessaire de proposer des alternatives moins coûteuses aux ménages dont les revenus sont moyens et ne pas seulement évoquer les « plus modestes » (ce qui peut être vécu comme stigmatisant). En effet, de nombreux ménages aux revenus proches de la moyenne nationale ont en réalité des dépenses contraintes souvent très élevées, notamment lorsqu’ils doivent utiliser leur voiture et n’ont pas de logement social.

      En outre, la question des contrôles est décisive bien que souvent oubliée, en particulier s’agissant de restrictions. Car sans régulation forte des fraudes, la plupart des améliorations affichées resteront des effets de transferts (vers d’autres pays) ou des effets largement fictifs, uniquement constatés « sur des papiers » toujours plus falsifiés en toute impunité, du dieselgate aux « compensations carbone » des forêts tropicales en passant par les fraudes aux rénovations[69].

      Plus globalement, l’illusion des moyennes s’inscrit également dans la promotion souvent régressive[70] d’une austérité sous couvert de « décroissance ». Car il n’y a aucun intérêt écologique à une décroissance globale des activités, mais à une forte décroissance des activités les plus polluantes et les moins durables. Une société hyper sobre et avec peu de pollutions peut même impliquer une croissance des activités économiques aujourd’hui très insuffisantes, en particulier dans les domaines des soins et de la formation, qui s’ajouteront à la hausse des activités liées au fort développement des rénovations globales et de l’agro-écologie, activités clés pour une forte diminution des empreintes écologiques.

      Le rapport « Road to Net Zero » a démontré que les investissements permettant une forte réduction des empreintes écologiques sont loin d’être insurmontables, voire moins coûteux à long terme que les scénarios de décarbonation moins ambitieux. En complément, nous avons vu que des contraintes ciblées sur les acteurs et activités-clés peuvent accélérer la transformation des mobilités, bâtiments et agricultures, tout en les rendant davantage accessibles au plus grand nombre. Il est donc urgent d’arrêter de nourrir inutilement le spectre de l’écologie « punitive » avec des perspectives de restrictions générales peu efficaces et régressives, véritables aubaines politiques pour les divers populismes anti-écologiques.

      [1] Voir notamment les rapports « 2% pour 2 degrés » et « Road 2 Net Zero », ainsi que les notes « Quelles transformations globales pour une transition écologique effective ? » et « Quelle stratégie pour un logement abordable et durable ? »

      [2] Le Mouv, Interdire la voiture dans les villes, décembre 2018

      [3] France Info, Taxer la viande pour sauver le climat, décembre 2017

      [4] Le Parisien, La maison individuelle et Emmanuelle Wargon, octobre 2021

      [5] Voir, par exemple, les conclusions du scénario européen TYFA mené par l’IDDRI et l’AScA

      [6] Le Monde, Transition énergétique : « Les politiques en France ne sont pas seulement insuffisantes, elles sont fortement pro-fossiles », janvier 2023

      [7] J. Cagé & T. Piketty, Une histoire du conflit politique (2023)

      [8] M. Huber, Comment le mouvement pour le climat peut-il gagner ?, LVSL (2023)

      [9] IEA, As their sales continue to rise, SUVs’ global CO2 emissions are nearing 1 billion tonnes (2023)

      [10] AAAData, Marché automobile au 1er semestre 2023 Focus sur la « success story » des SUV (2023)

      [11] Voir APUR 2020 pour les seules locations touristiques

      [12] CEA, Modifications de la législation UE sur les batteries (2020)

      [13] Voir L. Kessler et Q. Perrier Bonus-malus automobile : la nécessaire évaluation I4CE (2021), RAC Aides à l’achat de véhiculesPropositions (2020) et N. Meihan, Comment faire enfin baisser les émissions de CO2 des voitures, France Stratégie (2019) ainsi que la proposition de malus du rapport « 2 % pour 2° ». Intégrer le poids des véhicules permet notamment d’imposer un malus aux « tanks électriques » dont les émissions de CO2 et les besoins de matériaux rares peuvent être très importants au stade de la fabrication, principalement en lien avec la taille des batteries

      [14] Voir Auverlot et al. Panorama des politiques publiques en faveur des véhicules à très faibles émissions France Stratégie (2018)

      [15] N. Meihan Comment faire enfin baisser les émissions de CO2 des voitures  (2020).

      [16] Ministère des ressources du Canada, Les faits : le poids des véhicules a une incidence sur la consommation (2014)

      [17] Ademe, Plus de la moitié des particules des véhicules récents ne proviennent plus de l’échappement (2022)

      [18] AFP, Métaux rares : l’AIE alerte sur les risques d’approvisionnement pour réussir la transition énergétique (2023)

      [19] Des Zones à faible émission (ZFE) doivent interdire les véhicules thermiques « anciens » dans la plupart des agglomérations d’ici 2025 avec des modalités qui restent à définir mais qui concerneront au moins 1/3 du parc et avant tout les ménages modestes, voir Ministère de la transition écologique Les voitures des ménages modestes, moins nombreuses mais plus anciennes (2020)

      [20] https://www.linfodurable.fr/conso/pollution-les-carburants-essence-et-diesel-passes-au-crible-22027

      [21] Les hybrides rechargeables étant plus lourds (notamment en raison de leur batterie), leur consommation est plus élevée  lorsqu’ils passent en mode thermique, voir les tests d’Automobile magazine et de Transport & Environnement (2021)

      [22] W. Bouchardon,  Zones faibles émissions, une écologie punitive et anti-sociale, LVSL,janvier 2023

      [23] Observatoire des territoires, Se déplacer au quotidien (2019)

      [24] Voir Ademe, Benchmark des zones à faible émissions (2022), pp.18-19

      [25] Le Monde, Offensive pro-hydrocarbures au Royaume-Uni, juillet 2023

      [26] Ministère de la transition écologique, L’empreinte carbone de la France de 1995 à 2021 (2022)

      [27]  Rapport du Compte du logement 2020

      [28] Cette proposition rejoint en partie la proposition transpartisane en cours (https://encadronsairbnb.fr/) mais va plus loin, sans quoi la rentabilité des locations courtes en zones tendues restera nettement plus élevée et donc difficile à réguler.

      [29] La compensation des meublés touristiques – par exemple en transformant un bureau en location ordinaire – est déjà prévue dans certaines villes, mais elle n’est appliquée que depuis peu, Voir IPR, les locations saisonnières en Ile de France (2021)

      [30] Cette faible imposition des locations sociales existe déjà dans certains cas (dispositif  “Loc’avantages”), mais elle ne compense généralement pas l’écart avec le loyer de marché, en particulier pour les petites surfaces et les biens rénovés.

      [31] En effet, les logements neufs restent aujourd’hui le plus souvent moins coûteux que l’achat-réhabilitation de maisons anciennes, voir l’Etude de la Dreal Grand Est sur les logements vacants et la Note « sobriété » du Plan Bâtiment Durable

      [32] Voir les résultats de plusieurs expériences locales dans N. Desquinabo Pour un changement d’échelle des rénovations performantes, La Fabrique de la cité (2024) et le cas médiatisé en 2020 de la lutte contre la vacance à Muttersholtz

      [33] Voir détails dans notre note Stratégie pour un logement durable et abordable, Institut Rousseau (2023)

      [34] Par exemple, l’ajout d’environ 1000 logements abordables par an sur la métropole de Montpellier reste très insuffisant pour accueillir 8000 nouveaux habitants chaque année et répondre à un stock de demande dépassant 25 000 ménages éligibles

      [35] Ministère de l’écologie, La réglementation RE 2020 EcoConstruire (2021)

      [36] Insee, Sept salariés sur dix vont travailler en voiture (2019) et Observatoire des territoires, Se déplacer au quotidien (2019)

      [37] https://reporterre.net/Une-mort-sur-cinq-dans-le-monde-serait-due-a-la-pollution-de-l-air-selon-une-etude

      [38] APUR, Ville pavillonnaire Grand Paris, enjeux et perspectives (2023)

      [39] Le Monde, Canicule : « Entre un espace rural et la ville, l’écart de température peut être de plus de 10 °C », juillet 2016

      [40] Voir notamment Insee taux d’effort 2017 et France Stratégie 2023. Cette sur-inflation a entraîné une hausse des inégalités de revenu après dépenses pré-engagées deux fois plus fortes que les inégalités mesurées en niveau de vie.

      [41]  Libération, la qualité des apparts franciliens a baissé depuis 20 ans, 2021 et Qualitel, baromètre de la qualité de l’habitat – les français face au bruit

      [42] Insee, Détention de la résidence principale (2021) et Les conditions de logement en France (2017).

      [43] Ainsi que des régulations industrielles en général, voir Institut Veblen-Dupré et al. Les conditions d’un mécanisme efficace et juste d’ajustement carbone aux frontières (2021)

      [44] Notamment utilisées en 2012 et 2016 pour interdire rapidement les importations utilisant les insecticides Cruiser et diméthoate interdits en France et en 2020 pour le dioxyde de titane. Voir Le Monde, La France interdit l’importation du cerises traitées avec un insecticide contesté, 2016 et d’autres détails sur cette clause dans IGAS-CGEDD-CGAAER « Rapport sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques » (2017), pp.42-45

      [45] Voir notamment l’expertise Inserm de 2021 sur les pesticides et les données scientifiques consolidées sur les antibiotiques (OMS), les excès d’engrais, ou les additifs industriels (au moins 87 identifiés comme dangereux).

      [46] Haut-Commissariat au Plan, La France est-elle une grande puissance agricole et agro-alimentaire (2021)

      [47] Voir notamment Inrae, Pratiques agricoles et rendements des cultures céréalières (2020), Inrae/Cnrs, Production agricole et conservation de la biodiversité (2022)  et l’Expertise scientifique collective sur la diversité végétale – Inrae (2022)

      [48] Science, The rotten apples of Brazil agribusiness (2020)

      [49] Le Monde, Le bilan carbone des ruminants peut être nul voire négatif lorsqu’ils sont élevés en prairie, mars 2022

      [50] K. Klumpp et P. Carrère, Le stockage de carbone des prairies permanentes et temporaires (2015) et I. Scoones, Pastries (2021)

      [51] www.futura-sciences.com/sante/actualites/nutrition-aliments-ultra-transformes-ils-composent-31-assiette-francais-87388/

      [52] L’alimentation ultra-transformée meilleure marché que l’alimentation saine | sciensano.be

      [53] Inserm, Aliments ultra-transformés et risques cardiovasculaire (2019)

      [54] France info, Arrêter la viande pour sauver la planète ?

      [55] La France Agricole, consommation de viande en hausse pour la deuxième  année consécutive (2023)

      [56] Le Monde, Dans l’élevage 60% des animaux sont concentrés dans 3% des fermes (2023)

      [57] Voir Road to Net Zero (2024), chapitre Transports.

      [58] Voir Agreste, Commerce extérieur (2021) et N.Desquinabo, Politiques agricoles : l’agriculture intensive et les productions importées sont toujours abondamment soutenues, APLC (2022)

      [59] Insee, Produire en France plutôt qu’à l’étranger : quelles conséquences ? (2023)

      [60] OCDE, Perspectives mondiales des plastiques (2022)

      [61] Voir notamment Ademe Forêts et climat (2021) et I4CE Relocaliser la filière bois (2019).

      [62] J-B. Grenier, Face à l’écologie anti-populaire : tout changer ?  LVSL, décembre 2023

      [63] Autorité de régulation des transports, Scénarios de long terme pour le réseau ferroviaire français (2023)

      [64] DB, Integrated Report (2022)

      [65] Pour le fret également, l’efficacité de la complémentarité entre des restrictions – notamment tarifaires – pour les poids lourds et des alternatives ferroviaires nettement plus importantes, fiables et rapides a été prouvée par les exemples de l’Autriche et de la Suisse, dont les parts modales du ferroviaire sont trois fois plus élevées que celles de la France, voir le rapport Road to Net Zero (chapitre “Railway”) pour l’Autriche et l’étude de la DG Trésor, La politique suisse en matière de transports (2019).

      [66] En France et en Europe, l’agriculture intensive est la source majeure des dommages à la biodiversité selon les dernières études de référence (ex. Rigal & al. Farmland practices are driving bird population decline across Europe, 2023). L’impact global des constructions est significatif mais très loin derrière, avec environ 9% des dommages sur les zones « Natura 2000 » d’Europe en considérant la totalité des constructions (voir le rapport IGF/IGEDD de 2022, annexe 2), soit moins de 0,2% s’agissant des nouvelles lignes ferroviaires qui représentent moins de 2% des espaces artificialisés lors des périodes de chantiers et contribuent à l’atténuation du changement climatique…qui est devenu la 2nde cause de l’effondrement de la biodiversité eu Europe.

      [67] G. Giraud et C. Nicol, Actifs fossiles, les nouveaux subprimes, Institut Rousseau (2021)

      [68] C. Gaigné, La lutte contre l’artificialisation des soles ne doit pas se traduire par une hausse du prix du logement août 2023

      [69] Voir Society, Chauds les escrocs, août 2023, Que choisir, Rénovation énergétique à 1 euro, une fraude de grande ampleur, novembre 2023 et Mediapart, Rénovation énergétique : l’Etat débordé par la fraude massive, mars 2024

      [70] Matt Huber, Le problème avec la décroissance, LVSL, juillet 2023

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