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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Institutions

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    Institutions : 10 propositions pour un programme commun

      « C’est alors qu’au milieu de la tourmente nationale et de la guerre étrangère apparut la République ! Elle était la souveraineté du peuple, l’appel de la liberté, l’espérance de la justice. Elle devait rester cela à travers les péripéties agitées de son histoire. Aujourd’hui, autant que jamais, nous voulons qu’elle le demeure. » (Charles de Gaulle, discours du 4 septembre 1958)   « Ne légiférer qu’en tremblant » (Jean Carbonnier) Introduction « La souveraineté du peuple, l’appel de la liberté, l’espérance de la justice » : c’est en ces termes que le général de Gaulle inaugurait la Vè République dans son discours du 4 septembre 1958. Cette promesse d’une République souveraine, libre et juste, érigée sur les ruines d’un régime à bout de souffle, a-t-elle été tenue ? Le cadre de nos institutions le permet-il vraiment ? Et ne vaudrait-il pas mieux, comme certains le préconisent, faire table rase pour inventer une VIè République ? L’idée n’est pas nouvelle : conçue au plus fort de la guerre d’Algérie, ratifiée par les Français dans un référendum s’apparentant à la sauvegarde in extremis de l’ordre républicain autant qu’au plébiscite de l’homme du 18 juin, la Constitution de 1958 a suscité depuis ses origines des interrogations nombreuses et légitimes. Dominée par la volonté de renforcer le pouvoir exécutif et d’assurer, à tout prix, la stabilité des gouvernements, la République gaullienne est ainsi apparue, dès sa naissance, comme un régime de monarchie présidentielle, faisant du Parlement une simple courroie de l’activité législative tout en privant les citoyens de nombreuses garanties. De ces déséquilibres originels, notre régime conserve incontestablement les traces, qui se sont même doublées au fil du temps de défaillances supplémentaires. La transformation du Président en chef de la majorité avec la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, l’érosion du dialogue présidentiel avec la presse, la persistance de son irresponsabilité politique en temps de crise, la disparition du recours au référendum, la succession presqu’ininterrompue des états d’urgence, sont autant d’exemples de cette dégradation. La hausse constante de l’abstention, notamment aux élections législatives, achève le tableau d’un régime rétréci, trop peu en phase avec ce que les citoyens pourraient en espérer. Faisant un tel constat, faudrait-il faire table rase et refonder de fond en comble nos institutions ? À cette question, la présente note propose une réponse négative. Négative, d’abord, parce que la Vè République est désormais solidement ancrée dans la pratique de la politique nationale. Legs d’une figure unique, le général de Gaulle, mais également d’une crise profonde et multiforme liée aux excès du parlementarisme, elle a même acquis au fil du temps un indéniable crédit politique et moral. Malgré de nombreuses critiques, la Vè République est ainsi louée pour sa stabilité, dans un pays longtemps habitué aux crises de régime. Renouvelant en outre le rapport du peuple au chef de l’État, « rationalisant » certaines dérives des régimes précédents, la Constitution actuelle a permis une cohérence dans l’action du pouvoir exécutif qu’il serait coûteux d’abandonner. Sauf à vouloir « réinventer », dans une nouvelle Constitution, les caractéristiques les plus ancrées du régime actuel – mais qui peut garantir que telle serait l’issue, par nature incertaine, d’une assemblée constituante ? –, toute volonté de faire table rase prendrait le risque de réveiller des maux que la Vè République est parvenue à écarter, et dont le profond rejet par la population s’était justement exprimé entre mai et septembre 1958. Négative, encore, car toute révision de la Constitution suppose que la procédure de l’article 89 soit respectée. Rendant peu vraisemblable – sauf événement majeur – la convocation d’une assemblée constituante, cette procédure, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, impose que tout projet de loi constitutionnelle soit approuvé dans les mêmes termes par les deux assemblées. En d’autres termes, l’avenir de toute révision dépend inévitablement de l’accord du Sénat, et pour cela, de l’assentiment du centre et d’une partie de la droite. Cette exigence d’un large consensus, pour modifier notre loi fondamentale, n’est-elle pas d’ailleurs pleinement justifiée ? Qu’il nous suffise, à cet égard, de relire François Mitterrand : « Les membres de la plus modeste association de pêche ou de pétanque savent qu’on ne modifie pas les statuts d’une société aussi facilement qu’un règlement intérieur. Si la révision des statuts d’un groupement sportif requiert une procédure lente et solennelle, ne convient-il pas de protéger, avec un soin au moins égal, la Constitution d’un pays ? Tel est l’objet de l’article 89 […] »[1]. Une voie alternative pourrait alors consister, au lendemain de l’élection présidentielle, à invoquer l’article 11, qui permet au chef de l’État de soumettre au référendum « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics » sans en passer par le vote des assemblées. Une telle option serait toutefois très incertaine, cet article n’ayant pas vocation à s’appliquer en cas de révision de la Constitution. Certes, c’est par cette procédure que le général de Gaulle soumit ses projets de révision, en 1962 et 1969, au suffrage populaire. Mais le Conseil, présidé par les gaullistes historiques Léon Noël et Gaston Palewski, n’avait encore qu’une légitimité précaire[2]. La situation est aujourd’hui bien différente : depuis sa célèbre décision Hauchemaille du 25 juillet 2000, le Conseil se reconnaît compétent pour contrôler la constitutionnalité du décret de convocation de tout référendum. Dans l’hypothèse où, désormais, le Président de la République ferait usage de l’article 11 pour réviser la Constitution, l’opposition du Conseil constitutionnel serait, sinon certaine, du moins hautement probable. La réussite d’une telle révision serait alors soumise à un fort aléa. Gardant à l’esprit les exigences de l’article 89, la présente note, qui fait écho aux « 50 propositions » de Benjamin Morel[3], entend s’écarter de la perspective d’une VIè République pour esquisser les grandes orientations d’une révision ambitieuse mais s’inscrivant dans la continuité des institutions existantes, et qui pourrait ainsi recueillir un véritable soutien transpartisan. Une telle réforme conserverait les principaux acquis de la Vè République, pouvant se résumer à quatre piliers : le parlementarisme rationalisé ; l’élection du Président de la République au suffrage universel direct ; la double modalité d’expression de la souveraineté, par la représentation et le référendum ; la division verticale du pouvoir entre le Président et

    Par Stoleru D., Expert F.

    25 août 2021

    Les régionales et les partis politiques Analyse des rapports de force partisanes pour les régionales dans une perspective des présidentielles en 2022

    La présente note vise à analyser les enjeux des régionales en 2021 ainsi que les alliances et les positionnements des différentes forces politiques s’y présentant avant de présenter des pronostics de résultats. Elle analysera tout aussi bien les têtes de listes que le périmètre des alliances politiques afin de voir ce que les régionales peuvent nous apprendre de la structuration de l’espace politique français. Ce scrutin est nationalisé à la fois du fait du scrutin de liste et de sa proximité avec l’élection présidentielle. Il posera notamment la question de la montée du RN et de la persistance ou non du Front républicain face à celui-ci. Cependant, l’émergence de LREM et le déclin du PS et de LR au niveau national couplé à leur résistance locale entraîne un désalignement des comportements électoraux nationaux et locaux dans le cas de LREM avec une prime aux sortants LR et PS bien implantés. Introduction Le 20 et 27 juin 2021, les élections régionales se tiendront de manière concomitante avec les départementales. Bien que les élections régionales ne prédisent pas les résultats de l’élection présidentielle, elles présentent plusieurs enjeux pour les partis politiques. Les résultats offrent une photographie des forces partisanes à l’entrée de la campagne présidentielle. Dans un contexte où la présidentielle se tient en 2022, soit moins d’un an après les élections régionales, ces élections ont donc une grande importance pour les partis politiques. En effet, dans un système au scrutin majoritaire à deux tours, le but pour une force politique qui cherche à conquérir et à exercer le pouvoir est d’arriver au second tour. La dernière élection apporte une indication plus précieuse que les sondages pour les stratégies d’alliance qui ont pour but d’accéder au second tour. Enfin, les alliances régionales permettront de voir comment les partis politiques se situent par rapport à leurs adversaires, aux concurrents avec qui ils peuvent fusionner et avec quels autres partis ils s’allient. Les enjeux des élections régionales Un rapprochement des élections régionales et de la présidentielle lié à la crise sanitaire de la covid-19 Depuis plus d’un an désormais, la crise de la covid-19 bouscule la vie démocratique française. Les élections n’y échappent pas. Initialement prévues en mars 2021, les élections régionales ont été déplacées à juin 2021. Cette situation unique conduit à un rapprochement des élections régionales de juin 2021 avec l’élection présidentielle qui aura lieu en avril 2022. Or, l’élection présidentielle sous la Vème République demeure l’élection nationale phare de la démocratie française, celle qui mobilise le plus les électeurs, suscite le plus l’engouement de l’opinion et concentre l’attention médiatique et politique. Elle constitue la clé de voûte politique pour les partis qui aspirent à gouverner d’autant qu’elle précède les législatives. À ce titre, la tenue des régionales moins d’un an avant l’élection présidentielle cristallise le paysage politique, mettant en exergue les forces et les faiblesses des organisations politiques. Les résultats des élections régionales pourraient indiquer un changement du rapport de force politique quelques mois avant le scrutin de 2022, sans pour autant être interprétés comme prédictifs de la présidentielle. En effet, l’inertie au niveau local du Parti Socialiste (PS) et des Républicains (LR) ne reflète pas leur étiolement national. Ces scrutins se placent, malgré tout, dans une perspective de « galop d’essai » pour les partis politiques et les candidats têtes de liste. Ils jouent le rôle des sondages d’opinion en amont de la présidentielle, c’est-à-dire de mesurer la popularité d’un parti et de ses candidats et d’effectuer une présélection des candidats à la présidentielle en comparant leur capital politique dans l’opinion. Certains candidats ne s’y trompent pas et voient dans ces élections régionales un tremplin vers la présidentielle. Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez font de leur élection à la tête de leur région respective une condition sine qua non de leur candidature à la présidentielle. Les élections régionales sont ici envisagées comme une première étape d’une candidature à droite, remplaçant une primaire de la droite dont le résultat a été négatif et permettant de trancher entre des candidats. Les enjeux que revêtent les élections régionales s’accentuent du fait que le paysage politique français actuel est encore en pleine recomposition depuis l’élection présidentielle de 2017. Les enjeux nationaux des élections régionales apparaissent d’autant plus saillants pour les organisations et partis politiques qui cherchent à consolider et étendre leur espace politique. Les alliances entre partis au premier tour et surtout au second tour se font, en fonction des contextes partisans et électoraux locaux, et contribuent à dessiner les espaces politiques. Une nationalisation des enjeux du scrutin L’inscription des élections régionales dans la perspective de la présidentielle liée au rapprochement des deux élections dont nous avons parlé, accentue la nationalisation des enjeux des élections régionales pour les partis. La nationalisation de ces élections a toujours été présente au regard du mode de scrutin qui ne favorise pas l’implantation des candidats et la lisibilité des enjeux locaux. Elle était déjà à l’œuvre avec la réduction du nombre de régions à 13 en 2014, regroupant des anciennes régions et créant, ainsi, des vastes territoires plus ou moins homogènes. D’un espace politique relégué derrière le national et les municipalités, les régions ont gagné en prestige et sont devenues des duchés locaux avec des présidents de régions puissants. Cette montée en puissance de l’échelon régional coïncide également avec l’accentuation de la compétition électorale puis l’accès à la présidence par des figures de stature nationale. Les élections régionales voient s’affronter des personnalités de poids comme des anciens candidats à la présidentielle, des anciens ministres ou encore en exercice, ainsi que des chefs ou des cadres de partis. Les présidents de région bénéficient d’un ancrage local tout en ayant des compétences sur un vaste territoire, ce qui leur permet de discuter avec l’exécutif. Le local tutoie le national tant en termes d’attention médiatique que de symbolique. Ce renforcement des régions suscite un engouement de figures partisanes qui aspirent à évoluer sur la scène nationale. Par ailleurs, les thématiques abordées dans la campagne électorale confirment cette dimension

    Par Magat A., Herbet A.

    16 juin 2021

    Pour une nouvelle politique carcérale, humaine et efficace

    Pourquoi défendre une réduction du recours à la prison dans l’univers judiciaire ? Probablement parce que l’enfermement touche à la valeur la plus fondamentale et sensible de toutes : la liberté individuelle. Dès lors que l’on considère l’autre comme égal à soi, le fait que la privation de liberté soit l’une des premières réponses de la justice pénale face à la délinquance a quelque chose de révoltant. Cette idée inspira notamment à Albert Camus une phrase restée célèbre : « une société se juge à l’état de ses prisons ».

    Par Klotz P.

    5 mai 2021

    Une politique européenne de crédit pour l’Agenda 2030

    En janvier dernier, l’Institut Rousseau s’associait au réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) et à l’Alliance PocFin (Post-Crisis Finance Research Network) pour lancer un appel à contributions, sous forme de « policy briefs », intitulé « Quelles réformes économiques et financières pour l’Agenda 2030 ? » Trois mois plus tard, nous avons reçu de nombreuses contributions très intéressantes incluant des propositions de réformes comptables, budgétaires, financières, monétaires ou relatives à la gouvernance des entreprises qui permettraient d’atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux. Nous entreprenons désormais la publication de ces contributions, chaque lundi, en attendant l’organisation d’un grand évènement, en juin 2021, qui permettra de mettre en valeur ces travaux et de donner la parole à leurs auteurs. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Pour cette note, nous remercions Mireille Martini, économiste et co-auteur avec Alain Grandjean de « Financer la transition énergétique », pour ses commentaires sur une version précédente de ce texte. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contacts : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com et denis.dupre@univ-grenoble-alpes.fr. Télécharger le Policy Brief en pdf Download the Policy Brief as a pdf 1. La financiarisation et la montée des périls systémiques Il est désormais établi que la financiarisation[1] croissante de l’économie mondiale facilite l’accélération du dérèglement du Système Terre. Comme le montre la figure 1, une simple régression linéaire entre le développement financier mondial (mesuré par le ratio M2/PIB) et les kilotonnes d’émissions de CO2 affiche un coefficient de corrélation de 0,953. De même, une régression linéaire entre la capitalisation boursière mondiale et les émissions de CO2 affiche un coefficient de corrélation de 0.960[2]. Ces données sont à interpréter dans le cadre plus large de l’évolution conjoint des indicateurs socioéconomiques et bio-géophysiques et du dérèglement du Système Terre causé par la Grande Accélération Industrielle (Steffen et.al, 2015). Figure 1. Emissions atmosphériques de CO2 et développement financier mondial, 1960-2019 (p-value 0.000) Données : Banque Mondiale, calcul Lagoarde-Segot & Martinez (2021) En dépit de l’urgence climatique, les politiques monétaires et prudentielles suivies par la plupart des Banques Centrales ces dernières années ont contribué à accroitre, plutôt qu’à inverser, cette dynamique de dérèglement systémique. Ainsi, depuis la crise financière de 2008, les banques centrales ont émis de la monnaie de réserve (que l’on appelle aussi M0 ou « base monétaire ») pour financer les États, les entreprises et les banques dans la zone euro où le financement monétaire des Etats est interdit par le mandat de la BCE. La BCE a ainsi permis à des entreprises et des banques « zombies » de survivre ; rachetant massivement les dettes privées, et sauvant au passage les investisseurs en socialisant leurs pertes. Le soutien à l’économie réelle – par le canal du crédit aux entreprises – a constitué la principale justification invoquée pour ces politiques de « quantitative easing ». Cependant, la monnaie utilisée dans les transactions économiques prend aujourd’hui principalement la forme de dépôts bancaires ; et comme l’indique la Banque d’Angleterre (2014) ainsi que la majorité des spécialistes de la monnaie, ces dépôts bancaires, convertibles sur demande en espèce, sont en grande majorité créés par le canal du crédit bancaire. Les banques n’ont pas besoin de réserves initiales pour accorder des prêts au public, puisque le système monétaire leur permet un accès continu à la monnaie de réserve (via le recours au marché interbancaire ou la facilité de prêt de la Banque Centrale)[3]. Le financement de l’économie réelle repose en réalité sur les anticipations des banques concernant l’état futur de l’économie et la robustesse des collatéraux apportés. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de constater, comme le montre la figure 1, que les milliers de milliards de monnaie de réserve injectée dans le système financier ont alimenté le développement de bulles spéculatives, tant celui des actions que de l’immobilier. Et même si une demande de financement de projets viables permettant une transition compatible en accord avec l’accord de Paris sur le Climat existait, rien ne contraint aujourd’hui les banques à y répondre. Figure 1 Base monétaire Cette dynamique monétaire et financière s’accompagne d’une forte augmentation des inégalités de revenus (ex : mal-logement pour les uns, plus-values immobilières pour les autres) qui a pour toile de fonds une montée de l’endettement privé et une désindustrialisation massive de maints pays européens. Dans ce contexte de montée des périls qui pourrait, dans le pire des cas, entrainer un effondrement de certains pays européens[4], nous appelons à prendre une série de mesures énergiques et adaptées à l’urgence de la situation. Il s’agit de planifier rapidement le financement des transitions énergétique, sanitaire, et agricole, ainsi que l‘accès aux soins et aux médicaments, pour atteindre rapidement une production locale minimale de survie des populations sur ces plans, et permettre la résilience de la société face aux chocs. Les solutions techniques les plus souvent mises en avant pour financer cet « effort de guerre » sont connues. Il faudrait soit réorienter l’épargne, soit flécher une création monétaire spéciale « transitions », soit augmenter les impôts, soit accroitre le déficit des états. L’idéal serait bien entendu un mixte des quatre solutions. Dans cette note nous présentons toutefois une cinquième piste, évoquée en détail par Lagoarde-Segot (2020). Celle-ci consiste en une ambitieuse refondation de la politique de crédit à l’échelon européen, basée sur la réintroduction de mesures ayant déjà fonctionné par le passé dans un contexte similaire, ou étant actuellement en place dans d’autres pays. Avant de détailler les mécanismes proposés, il convient néanmoins de souligner que le succès de toute politique de reconstruction écologique est conditionnel à la mise en place d’une taxonomie robuste entre le secteur « brun » et le secteur « ODD-compatible ». A ce titre, la taxonomie de l’UE pour les activités durables, norme élaborée dans le cadre du » European Green Deal » européenne en lien avec les engagements de l’Agenda 2030 est encore

    Par Lagoarde-Segot T., Dupré D.

    3 mai 2021

    Pour un service public de la rénovation

    S’il est bien un secteur qui a été sous les feux des projecteurs de l’année 2020, c’est celui du bâtiment. Crise écologique, sociale, sanitaire… celui-ci est au centre des enjeux de notre époque et pourtant la situation n’est pas nouvelle. Après des décennies de lutte contre le mal-logement, la précarité énergétique dans la sixième économie du monde ne recule pas et concerne toujours 7 millions de personnes[1]. Pire encore, il est certain que les conséquences de la Covid-19 viendront accroître bien plus encore le nombre de ménages concernés. Parallèlement, la lutte contre le changement climatique infuse de plus en plus dans les discours politiques et le poids prépondérant des secteurs résidentiel et tertiaire dans les émissions nationales de gaz à effet de serre est ainsi mis en lumière. Avec près de 8 milliards d’euros qui lui sont consacrés dans le plan de relance, le message du gouvernement veut être clair : la rénovation énergétique des bâtiments doit être une priorité de la transition écologique. Pourtant, face à ces enjeux immenses, nous verrons en quoi la politique menée actuellement par le Gouvernement n’est pas à la hauteur de l’urgence climatique et sociale. En conséquence, il convient de proposer un certain nombre de mesures concrètes pour colmater les brèches des nombreux dispositifs existants, puis d’établir les bases d’une structure véritablement capable de se donner les moyens d’agir sur le temps long en confiance avec les citoyens.   Télécharger la note en pdf 1. Le secteur du bâtiment à la peine face aux enjeux climatique et social 1.1 Le poids majeur du bâtiment dans les émissions nationales de gaz à effet de serre Document de référence en matière de planification écologique, la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) précise secteur par secteur les efforts restant à accomplir pour que la France puisse atteindre la neutralité carbone en 2050[2]. Pour le bâtiment, à l’origine de 19 % des émissions nationales en 2018 (deuxième secteur le plus émissif derrière les transports)[3], l’enjeu est considérable puisque cela signifie qu’en 30 ans, il devra réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) quasiment à 0. Or, ce secteur a déjà dépassé de 11 % le budget carbone[4] qui lui était fixé pour la période 2015-2018. Comme l’illustre le graphe ci-dessous, la marche est donc importante pour infléchir rapidement la trajectoire de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. L’effort est d’autant plus important si l’on prend également en compte les émissions liées à la fabrication des matériaux de construction (celles attribuées à l’industrie dans la SNBC) : le bâtiment est alors responsable d’un tiers des émissions !   Figure 1 : Stratégie Nationale Bas-Carbone (Mars 2020)   Les émissions des bâtiments sont partagées entre celles liées aux segments résidentiel (pour 58 %) et tertiaire (pour 42 %) et proviennent principalement de l’utilisation du gaz et du fioul pour les usages thermiques (60 % de l’énergie utilisée pour le chauffage provient de combustibles fossiles[5]), ainsi que des gaz fluorés utilisés comme fluides frigorigènes[6]. Ainsi, la Stratégie Nationale Bas Carbone stipule qu’une décarbonation complète du secteur à horizon 2050 implique : Des efforts très ambitieux en matière d’efficacité énergétique, avec une forte amélioration de la performance de l’enveloppe et des équipements, ainsi qu’un recours accru à la sobriété ; De réduire drastiquement la consommation énergétique de ce secteur (le bâtiment consommant 45 % de l’énergie nationale) ; De ne recourir qu’à des énergies décarbonées ; De maximiser la production des énergies décarbonées les plus adaptées à la typologie de chaque bâtiment ; D’avoir davantage recours aux produits de construction et équipements les moins carbonés et ayant de bonnes performances énergétique et environnementale, comme dans certains cas ceux issus de l’économie circulaire ou biosourcée, via des objectifs de performance sur l’empreinte carbone des bâtiments sur leur cycle de vie, à la fois pour la rénovation et la construction. En complément de ces mesures d’ordre plutôt technique énoncées dans la SNBC, il s’agit aussi de prendre en compte d’autres paramètres et de réinterroger nos modes de vie. En effet, comme le montre l’équation de Kaya ci-dessous, les émissions de CO2 liées à la consommation d’énergie sont directement dépendantes de l’évolution de facteurs sociologiques. Ainsi, une forte évolution du besoin en surface par personne (liée en partie à une baisse de la taille moyenne des ménages) ainsi que l’augmentation de la démographie peuvent complètement annihiler les efforts accomplis en termes de baisse des facteurs d’émission des énergies et d’efficacité énergétique.   Figure 2 : Équation de Kaya : calcul des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du bâtiment   Afin de pouvoir analyser conjointement l’enjeu climatique et celui de la précarité énergétique, nous allons particulièrement nous intéresser au secteur résidentiel dans la suite de cette note. Il ne faudrait cependant pas oublier que le secteur tertiaire (hôpitaux, EHPAD, écoles, universités, bureaux, commerces…) est tout aussi important, et sa place au cœur de l’actualité durant la crise sanitaire est là pour nous le rappeler. 1.2 Le logement, au cœur de la spirale des précarités La précarité énergétique n’est pas la seule à frapper les plus fragiles qui accumulent les précarités de toutes sortes et qui s’auto-alimentent entre elles, telle une spirale infernale. Pour mieux comprendre ce cercle vicieux, il est essentiel de préciser le concept même de précarité et de bien identifier ses sources. La précarité énergétique est définie par la loi Grenelle II de juillet 2010 comme la difficulté qu’éprouve un ménage dans son logement « à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ». La principale critique qui peut être faite à cette définition est l’absence de prise en compte des difficultés énergétiques liées aux déplacements. La précarité énergétique trouve donc sa source dans trois facteurs essentiels : le manque de revenu, le prix de l’énergie et la mauvaise performance énergétique de l’habitat. Un foyer est en situation de précarité énergétique quand il consacre plus de 8

    Par Rougetet Y., Bentolila S.

    14 avril 2021

    Les élus face au dilemme de l’achat public local

    « Pourquoi le maire n’a-t-il pas confié les travaux de la salle des fêtes à quelqu’un du coin ? » ; « Quitte à imprimer des tracts pour le marché de Noël, autant soutenir l’imprimeur local… » ; « Comment est-ce possible que la fabrication dordognaise de cartes vitales ait été délocalisée en Inde ? ». Régulièrement, les citoyens reprochent aux élus de ne pas dépenser localement l’argent public. Mais quelles sont vraiment les règles applicables ; ont-ils seulement le droit d’exprimer une telle préférence ? Le 27 janvier 1986, la commune de Ventenac-en-Minervois, située dans le département de l’Aube, décide de sélectionner une entreprise pour construire un bâtiment industriel à usage de pelleterie, c’est-à-dire spécialisé dans la préparation de fourrures. Elle indique dans l’avis d’appel d’offre sa préférence pour une entreprise locale, afin de soutenir l’emploi et les finances de la ville. À l’époque, la législation applicable laisse une marge de manœuvre importante aux acheteurs publics et le maire a toutes les raisons de penser qu’il agit dans l’intérêt des habitants de sa commune. Finalement, le marché public est bien attribué à une entreprise implantée à proximité, mais un concurrent évincé saisit le juge administratif, qui sanctionne l’usage du critère de préférence locale[1]. Cette solution jurisprudentielle n’a pas pris une ride depuis et l’incompréhension demeure car l’impact économique de la commande publique n’est plus à démontrer[2] : pourquoi ne pas s’en servir pour soutenir l’emploi et le dynamisme des communes, départements et régions ? L’Institut Rousseau propose un état des lieux et des solutions pour favoriser la commande publique responsable et locale.   1/ Aux origines de l’interdiction de la préférence locale   Pour comprendre les raisons qui poussent le Conseil d’État à sanctionner la commune de Ventenac-en-Minervois en 1994, il faut se rappeler que, dès 1957, le Traité de Rome interdit toute discrimination en raison de la nationalité[3], qu’elle soit ostensible ou dissimulée[4]. Aucune réglementation nationale ne peut donc valablement réserver un pourcentage de marchés publics à des entreprises nationales ou régionales[5]. En 1992, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), rebaptisée depuis le Traité de Lisbonne, en 2009, Cour de justice de l’Union européenne, pose également le principe d’interdiction de toute préférence locale : il est rigoureusement interdit d’attribuer un marché public sur la base d’un critère d’origine ou d’implantation géographique des candidats[6]. Plutôt que d’intervenir directement dans l’économie – en l’occurrence pour soutenir une entreprise au motif qu’elle est implantée localement – l’État s’efface et revendique sa neutralité. Cette solution d’inspiration néolibérale a été reprise dans l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont la France est membre : il est interdit de discriminer en accordant une protection à des fournisseurs, marchandises ou services nationaux[7]. Il existe néanmoins une exception, lorsque l’implantation géographique est nécessaire à la bonne exécution du contrat, par exemple pour intervenir rapidement[8]. Mais, outre le fait que les exemples sont rares, même dans ce cas, le critère géographique ne peut pas préexister à l’attribution du marché, c’est-à-dire qu’un candidat qui s’engage à s’implanter localement devra être considéré au même titre qu’un autre déjà présent sur place[9]. Plusieurs principes – dits fondamentaux – assurent l’effectivité de la non-préférence locale. À travers la publicité du marché et la mise en concurrence des entreprises, les acheteurs publics assurent l’égalité d’accès. Tout au long de la procédure, ils traitent les candidats de la même manière et de façon transparente, ce qui leur permet, in fine, de choisir l’offre la plus avantageuse[10] en fonction des critères déterminés au départ[11]. Il faut dire, enfin, que l’existence d’une sanction pénale dissuade fortement de braver cette interdiction[12]. Il est unanimement admis que la publicité, la mise en concurrence et la transparence des procédures ont amélioré l’efficacité de la commande publique et permis de mieux utiliser les deniers publics. Tout au long des dernières années, il faut saluer le travail de ceux qui ont œuvré pour que ces règles se généralisent dans les pratiques des acheteurs publics. Il n’en demeure pas moins que la non-préférence locale est un choix politique, qui pourrait évoluer sans remettre en cause tout ce mouvement de rationalisation.   2/ L’approvisionnement auprès des entreprises de proximité   En réalité, certaines évolutions ont déjà eu lieu ; des moyens existent dans le corpus de règles applicables pour favoriser, indirectement et subtilement, les entreprises de proximité. Réunie en septembre 2020 pour discuter du « retour en force du made in France dans la commande publique », l’Association pour l’achat dans les services publics (APASP), qui réunit plus de deux mille acheteurs, remarquait qu’il est difficile de déterminer ce qu’est un produit fabriqué en France. Il est vrai que la question mérite d’être posée et que l’étiquetage obligatoire des produits apparaît comme un préalable nécessaire au développement d’un véritable achat public local, au même titre – d’ailleurs – que pour tous les consommateurs[13]. Mais, même si cet étiquetage existait, comment concilier le soutien aux entreprises avec la prohibition de toute préférence locale ? 2.1 – L’introduction de clauses environnementales et sociales Le premier élément de réponse a été introduit par une directive européenne de 2004[14], qui prévoit la possibilité de prescrire des caractéristiques environnementales et sociales dans les spécifications techniques des marchés publics. Concrètement, les acheteurs peuvent exprimer – avant la publicité – une préférence pour la méthode de production ou les caractéristiques environnementales des produits et des services qu’ils cherchent (limitation des émissions de gaz à effet de serre, qualité, fraîcheur, saisonnalité, par exemple). Ils peuvent aussi prendre en compte le nombre d’emplois créés[15] ou faire usage d’un écolabel, à condition que ces critères soient accessibles et disponibles à tous[16]. Pendant l’exécution, ils ont la faculté de favoriser l’emploi de personnes handicapées ou en difficulté, la formation des chômeurs ou des jeunes, et ce même au-delà de ce qui est exigé par la législation nationale[17]. En 2012, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a consacré cette pratique, dans le cadre d’un marché public de thés et cafés issus du commerce équitable[18] et, depuis 2018, le développement durable – dans ses

    Par Arnault G.

    15 mars 2021

    Une finance aux ordres Comment le pouvoir chinois met le secteur financier au service de ses ambitions

    Alors que Huawei et TikTok ont défrayé la chronique cette année, alors que les ambitions commerciales, technologiques et militaires de la Chine sont devenues des enjeux de premier plan, le secteur financier chinois reste curieusement sous les radars. Sait-on, par exemple, que le système bancaire chinois est depuis 2016 le plus grand du monde par actifs, dépassant celui de la zone euro ? Sait-on que China Development Bank et Export-Import Bank of China détiennent à elles deux plus de créances à l’international que la Banque mondiale ? Au-delà de sa taille et de sa croissance accélérée, c’est le fonctionnement qualitatif du système financier chinois qui gagne à être connu. Car les grandes institutions financières chinoises ont cela de particulier qu’elles sont des entités hybrides, mi-économique mi-politiques, à la fois organes du Parti-État et acteurs de marché. La finance chinoise dans son ensemble est assujettie à des mécanismes de contrôle multiples qui en font avant tout un instrument au service du pouvoir. Alors que ces dernières décennies nous ont habitués, en Europe, à des secteurs financiers plus prompts à imposer leurs priorités aux États que l’inverse, il peut être instructif de décentrer la perspective pour faire voir comment un ordre financier tout autre est en train de monter en puissance en Chine. Introduction Certaines statistiques financières chinoises sont susceptibles de donner le tournis. Gongshang Yinhang 工商银行, plus connue à l’étranger sous le nom d’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), disposait en début d’année de 30 100 milliards de yuans d’actifs (l’équivalent de 3 900 milliards d’euros). Cette somme, égale à plus d’une fois et demi le PIB français, fait d’ICBC la plus grande banque du monde, et de loin (à titre de comparaison, BNP Paribas, plus grande banque française et deuxième plus grande banque d’Europe, ne pèse que 2 400 milliards d’euros). Le bilan d’ICBC, cependant, ne représente que 10 % des actifs bancaires chinois. Le montant total de ces derniers s’élevait en juin 2020 à 309 000 milliards de yuan (39 000 milliards d’euros) – soit 17 fois le PIB français, deux fois le PIB américain… et trois fois le PIB chinois[1]. Autre fait notable, l’actionnaire majoritaire d’ICBC est le gouvernement central. C’est également le cas de la deuxième plus grande banque du pays (China Construction Bank), de la troisième (Agricultural Bank of China), la quatrième (Bank of China), la cinquième (China Development Bank) – et même chose pour les quelques suivantes. La Chine nous présente donc ce qui, vu d’Occident, a tout l’air d’un paradoxe : une expansion financière accélérée, une financiarisation de plus en plus poussée de l’économie, mais dans l’orbite de la puissance publique. En somme, une dynamique historique inverse de celle qui a vu les secteurs financiers de nombreux pays occidentaux – États-Unis, Grande-Bretagne, France notamment – grossir et s’internationaliser depuis un demi-siècle en s’émancipant de plus en plus des contraintes réglementaires imposées par les États. Cette note propose un aperçu des caractéristiques principales du système financier chinois. Il s’agit en particulier de montrer les mécanismes qui entérinent le contrôle politique sur la finance, ainsi que les façons dont le capital financier est mobilisé par le pouvoir comme vecteur essentiel de sa politique de développement et de puissance. Le secteur financier est devenu un outil indispensable au Parti-État pour réaliser ses ambitions dans différents domaines, qu’il s’agisse de la macroéconomie (croissance, emploi), de la politique industrielle et technologique, du développement local ou des relations internationales (investissements à l’étranger, « Nouvelles Routes de la Soie »). Dans tous ces champs d’intervention, le déploiement du capital financier se substitue aux ressources fiscales des administrations, émancipant la politique économique des contraintes budgétaires dont on connaît la pesanteur dans les pays occidentaux. Un tel modèle financier, nous l’évoquerons aussi, n’est pas sans risques et sans travers, entre une addiction croissante à la dette, des opportunités multiples de corruption, et un degré d’arbitraire à la mesure de l’autoritarisme du pays. I. Un paysage financier sous domination étatique I. A. Une omniprésence du capital financier public La finance chinoise est principalement axée sur le secteur bancaire et les activités de prêt. Les marchés de capitaux et la « finance de marché » (actions, obligations, titres divers) y jouent un rôle de complément dans le financement de la vie économique. Ainsi, selon les données de la banque centrale, les prêts en cours en monnaie locale représentent aujourd’hui 60,3 % du « financement agrégé de l’économie réelle », comparé à 9,8 % pour les obligations à destination d’entreprises non-financières[2]. Le système bancaire lui-même est divisé depuis le milieu des années 1990 en plusieurs segments qu’il s’agit de savoir distinguer[3]. Il existe d’abord trois banques de développement publiques dont les activités sont en principe entièrement guidées par les objectifs de la politique nationale : China Development Bank (CDB), Export-Import Bank of China (Exim Bankpour faire court) et Agricultural Development Bank of China (ADBC)[4]. On trouve ensuite quatre banques commerciales étatiques, parfois désignées sous le nom de « Big Four », qui sont aussi les quatre plus grandes banques chinoises par actifs : Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), China Construction Bank (CCB), Agricultural Bank of China (ABC ou AgBank) et Bank of China (BOC) – il faut éviter de confondre cette dernière avec la banque centrale chinoise, qui se dénomme People’s Bank of China ou Banque populaire de Chine en français. À ces quatre banques commerciales, on en ajoute parfois deux autres, tout aussi étatiques, passant donc des « Big Four » aux « Big Six » : Bank of Communications (Bofcom) et Postal Savings Bank of China (PSBC). Ces « Big Six » sont toutes cotées en bourse, à Shanghai, Hong Kong ou New York, alors même que le gouvernement central y garde des participations majoritaires. Le segment suivant est constitué d’une douzaine de banques d’envergure nationale dites « à capitaux mixtes ». Ces banques sont toutes sous contrôle politique également, leurs principaux actionnaires étant des entités publiques. La seule exception est Minsheng Bank, dont les actionnaires sont privés – mais dont les dirigeants seraient nommés par le Parti communiste, selon plusieurs sources concordantes[5]. D’autres segments moins significatifs du système bancaire chinois sont les « banques commerciales urbaines » et les « banques commerciales rurales » (à périmètre

    Par Sperber N.

    5 décembre 2020

    Une nouvelle République des citoyens 50 propositions pour renouveler nos institutions

    « On fait campagne en vers, mais l’on gouverne en prose », dit l’adage prêté à l’ancien gouverneur de l’État de New York Mario M. Cuomo[1]. De tribunes de campagne en grands-messes devant le Congrès, les poètes de la politique aiment à parler de nouvelle ère démocratique impliquant la transformation de nos institutions. Au pouvoir, et ayant goûté au confort qu’elles procurent à celui qui les contrôle, ils se veulent ensuite des prosateurs réalistes et timides en la matière. Le diagnostic des dysfonctionnements du régime semble pourtant aujourd’hui assez largement partagé. La cinquième République souffre d’une concentration excessive des pouvoirs et de respirations démocratiques trop rares en dehors des élections présidentielles. À quoi bon donc produire une note se répandant une nouvelle fois en études et en revue de littérature sur ce qui fait consensus jusqu’au sein même de la famille gaulliste ? Pourtant, les propositions concrètes de réformes finissent, quand elles existent, immanquablement au fond d’un tiroir[2]. Plus qu’une nouvelle critique du fonctionnement de la Cinquième République, cette note se veut le mode d’emploi d’une réforme opérationnelle et réalisable. Sa visée est donc plus pratique que théorique. Il s’agit certes de repenser l’équilibre de nos institutions, mais de le repenser en prose en impulsant un meilleur équilibre des pouvoirs et une inclusion plus forte du peuple dans les processus de décision.   Table des matières I. Diagnostic des dysfonctionnements de la Cinquième République. II. Faut-il une VIe République ou une Ve République bis ? III. Comment changer les institutions ? IV. Limites de l’analyse Cinq objectifs pour refonder notre République : Objectif 1 : Refaire du Parlement un organe légitime et représentatif Sous-objectif 1a : Rendre l’Assemblée nationale plus représentative grâce à la proportionnelle Des arguments non conclusifs contre la proportionnelle La mise en place de la proportionnelle est aisée. Sous-objectif 1b : Rééquilibrer le collège des grands électeurs sénatoriaux Objectif 2 : Desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé Sous-objectif 2a : Revaloriser l’initiative parlementaire Sous-objectif 2b : Rendre plus effectif le contrôle parlementaire Sous-objectif 2c : Redonner aux parlementaires le temps de leurs missions Sous-objectif 2d : Accorder au Parlement les moyens de remplir son rôle Objectif 3 : Retrouver le sens de l’institution présidentielle Sous-objectif 3a : Repenser l’élection présidentielle Sous-objectif 3b : Repenser la répartition des pouvoirs entre Président de la République et Gouvernement. Objectif 4 : Redonner la parole au Peuple au sein des institutions Sous-objectif 4a : Promouvoir la démocratie délibérative Sous-objectif 4b : Favoriser la démocratie directe Le RIC peut prendre deux formes La principale limite au RIC provient de la mobilisation Objectif 5 : Redonner de la force au contrôle de constitutionnalité Sous-objectif 5a : Réviser le mode de nomination des membres Sous-objectif 5b : Faire du Conseil constitutionnel un gardien plus effectif de la Constitution I. Diagnostic des dysfonctionnements de la Cinquième République   Avant d’approcher le sujet de façon concrète et originale, il est impératif de rappeler brièvement le diagnostic aujourd’hui assez largement partagé du déséquilibre des pouvoirs sous la Cinquième. Le pouvoir disproportionné de l’exécutif repose d’abord sur un vice originel. Michel Debré souhaitait en effet bâtir un régime à l’anglaise, dont le Premier ministre serait le mur porteur. Toutefois, devant l’impossibilité d’imposer à l’Élysée et aux partis, un suffrage majoritaire à un tour, il craignait une forte instabilité parlementaire[3]. Aussi la Constitution a-t-elle été pensée pour dompter un Parlement récalcitrant. Or, le fait majoritaire va transformer les tempêtes parlementaires de jadis en mer d’huile. Sa conjonction avec les dispositifs de rationalisation va alors aboutir à faire du Parlement français le moins puissant de toutes les grandes démocraties occidentales[4]. Le général de Gaulle voulait pour sa part donner un sens bonapartiste au nouveau régime. L’élection au suffrage universel direct du Président, à la suite du référendum du 28 octobre 1962, a transformé les partis en écuries présidentielles. Élu par le peuple, le Président n’est conçu comme responsable que devant lui. Cette responsabilité extra-juridique est au cœur du Gaullisme comme régime de légitimité politique. Ainsi le général de Gaulle ne fait pas de « caprices » en menaçant de démissionner à chaque élection législative ou à chaque référendum… avant de s’exécuter en 1969. Si dans les faits, le pouvoir du chef de l’État est bien supérieur à celui que lui accorde le texte de la Constitution[5], c’est grâce à ce lien direct. S’il est rompu, alors ce qui rend légitime cette primauté s’effondre. Ce mode de mise en jeu de la responsabilité n’est toutefois guère fonctionnel, dès lors que la légitimité charismatique du Général n’est qu’imparfaitement transmissible à ses successeurs[6]. Certes, l’élection au suffrage universel permet de donner l’illusion du sacre populaire d’un sauveur, mais la légitimité qui y est inhérente n’est que de courte durée. Le système va alors progressivement dysfonctionner. Alors que De Gaulle ne pouvait envisager de subir une cohabitation, Valéry Giscard d’Estaing exclut de démissionner à la veille des législatives de 1978. Alors que la responsabilité politique du président était jugée par lui comme engagée en cas de dissolution ou de référendum, Jacques Chirac se maintient en 1997 puis en 2005. Ainsi aboutit-on à un pouvoir présidentiel omnipotent, mais sans responsabilité établie, ni par le droit ni par la pratique. Sa légitimité est entamée et, avec elle, celle de l’ensemble des institutions. Dès lors, référendums et élections sont jugés comme déstabilisateurs. Le quinquennat met fin aux élections législatives en cours de mandat, alors que les référendums se raréfient. Là où de Gaulle usa de l’article 11 de la Constitution pour faire appel au Peuple contre le Parlement, ses successeurs usent systématiquement de la convocation du Congrès pour contourner le Peuple. La Cinquième, pensée comme un régime faisant abondamment appel au Peuple, en vient à se calfeutrer pour se garder de tout vent électoral.

    Par Morel B.

    9 novembre 2020

    Démondialisation, relocalisation et régulation publique : pourquoi et comment

    La mondialisation néolibérale est un phénomène qui ne connaît aucun précédent historique. Elle ne se caractérise pas simplement par l’importance du volume des échanges internationaux de marchandises et de capitaux, un indicateur trop limité qui permet à certains analystes d’opérer des rapprochements avec « d’autres mondialisations » qui ont eu lieu à d’autres périodes de l’histoire. Ce qui la caractérise avant tout, c’est une division internationale du travail et une dérégulation publique sans précédent. En d’autres termes, c’est un ordre commercial libre-échangiste qui sert les intérêts d’entreprises multinationales cherchant à bénéficier d’un maximum de libertés d’installation et de circulation. Son caractère inédit réside dans cette capacité des grandes entreprises privées, dans la plupart des secteurs d’activité, à penser leur stratégie et leur organisation à l’échelle de la planète en s’affranchissant de plus en plus ouvertement des régulations nationales. Dans le discours commun (et jusque dans la presse économique), on entend souvent dire que « la France achète à la Chine » ou que « l’Espagne achète à l’Allemagne », donnant ainsi le sentiment que les transactions s’opèrent entre pays.Ces formules entretiennent des illusions. En fait, commande publique mise à part, ce sont des entreprises françaises (ou implantées en France) qui achètent des produits à des entreprises chinoises (ou implantées en Chine) et les distribuent sur le territoire national (ou les transforment pour les réexporter). La dérégulation vise justement à ce que ces transactions s’opèrent avec le moins d’interventions publiques possibles : suppression des « obstacles » tarifaires et non-tarifaires, réduction drastique des contrôles des flux de marchandises et de capitaux… Dans le premier port français, celui du Havre, le nombre de conteneurs ouverts est d’à peine plus d’un pour mille. En 2000, 500 douaniers y travaillaient pour surveiller 1 million de conteneurs par an. En 2019, les effectifs sont tombés à 350 pour 2,9 millions de conteneurs[1]. Il n’entre pas ici dans notre propos de nous attarder sur les conséquences visibles de cet ordre commercial libre-échangiste : délocalisations vers les pays à bas coût de main d’œuvre, désindustrialisation ailleurs, hyperspécialisation qui engendre une concentration dangereuse de productions clés dans un petit nombre de pays, évasion des profits des multinationales vers des paradis fiscaux… Ces questions apparaissent régulièrement dans l’actualité. Il est en revanche plus important d’insister sur l’impuissance auto-organisée des États qui, pour la plupart, ont renoncé aux principauxmoyens dont ils disposaient pour contrôler ou orienter la production, pour prélever et redistribuer les richesses, pour mener des stratégies d’investissements publics. Si quelques gouvernements parmi les plus puissants (Chine, États-Unis, Japon) continuent à protéger leur marché intérieur de façon plus ou moins déguisée, c’est avant tout pour favoriser leurs grandes entreprises nationales dans la concurrence internationale et non pour développer leurs services publics ou contraindre le secteur privé à mieux traiter les salariés. Un bon exemple d’impuissance des pouvoirs publics nous est donné par la politique européenne de lutte contre le changement climatique. Au milieu des années 2000, l’Union a mis en place un marché du carbone, peu contraignant pour les grandes entreprises, mais qui a tout de même suscité des résistances de certaines d’entre elles. Arcelor Mittal, notamment, a exercé un chantage à l’emploi auprès des gouvernements français et belge : soit la nouvelle contrainte de quotas carbone qui devait s’imposer à elle était assouplie, soit la firme allait délocaliser hors de l’Union européenne. Les gouvernements et l’Union finirent par céder et l’absence de « contrainte carbone » fut très officiellement étendue à tous les secteurs exposés à des risques de délocalisation. Or, c’est bien parce que les grandes entreprises peuvent délocaliser (ou choisir librement leurs sous-traitants dans les pays à bas coût de main d’œuvre) qu’aucune politique publique n’est suffisamment efficace pour résoudre la crise environnementale. C’est bien parce que les capitaux circulent librement que les États ne peuvent plus compter que sur leur « attractivité » pour les attirer et disposer d’un minimum de recettes et de ressources budgétaires. Face à ce constat, certains en appellent à une régulation mondiale. Mais compte tenu des rapports de force, impossible d’y compter à court ou moyen terme. Si l’on veut exercer un contrôle démocratique sur la production, il faut donc sortir de cet ordre commercial libre-échangiste, c’est-à-dire relocaliser des activités qui ont quitté le territoire et empêcher que d’autres continuent à partir. Cette relocalisation doit être multisectorielle : il n’est pas question de relocaliser l’alimentation, par exemple, tout en laissant la France continuer à se désindustrialiser. C’est une approche globale de la relocalisation qu’il convient de développer.   I. Relocaliser pour être en mesure de contrôler la production et d’agir sur la distribution des richesses   Il faut lever tout malentendu sur les raisons qui nous amènent à prôner la relocalisation. À quoi cela servirait-il de « produire français » à mode de production constant et dans un ordre économique international globalement inchangé ? Éventuellement à réduire le chômage, ce qui n’est pas rien. Peut-être à réduire des émissions de gaz à effet de serre liées au transport international, à supposer que ce « produire français » concerne un nombre suffisant de secteurs d’activité et serve à alimenter le marché intérieur plutôt qu’à réexporter. Mais ce type de relocalisation resterait dépendant d’une logique mercantiliste et laisserait les choix et modes de production entièrement aux mains des grandes entreprises privées. Elle n’apporterait aucune garantie d’une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail. Elle poursuivrait l’exploitation des pays du Sud pour l’approvisionnement en matières premières, étant entendu que jamais l’industrie extractive ne sera largement relocalisée et qu’il sera difficile de couvrir les campagnes françaises de champs de coton, par exemple, pour produire du textile. Elle laisserait enfin en place l’économie productiviste qui nous mène tout droit vers la catastrophe environnementale. L’enjeu est donc bien de relocaliser pour changer les choix et modes de production, la distribution des richesses et les relations internationales. Il s’agit de remettre du politique (des objectifs sociaux, environnementaux, de coopération internationale…) dans l’économie nationale et dans les échanges commerciaux là où, précisément, le capitalisme a réussi à l’évacuer grâce à la mondialisation néolibérale. Cette clarification est nécessaire car deux visions de la relocalisation et du

    Par Bernier A.

    17 juin 2020

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