Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

écologie

Profiter de la crise pour réduire durablement nos émissions de CO2

Au plus fort du confinement, la crise du Covid-19 aura généré une baisse ponctuelle de 17 % des émissions mondiales de CO2, nous ramenant temporairement à notre niveau d’émissions de l’année 2006. La réduction sur l’année entière est attendue autour de – 4 % à – 7 % par rapport à 2019, un chiffre absolument inédit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais pas suffisant cependant pour nous placer sur une trajectoire de neutralité carbone à l’horizon de la seconde moitié du siècle, qui nous commande de réduire nos émissions de 7,6 % chaque année. Devons-nous en conclure que la transition bas carbone est de fait irréaliste et non souhaitable, sauf à vouloir le chômage de masse, la restriction de nos libertés et des milliers de morts ? Ce serait faire un redoutable contresens : car s’il est bien deux choses que la crise du Covid-19 doit nous enseigner sur les sujets liés au climat, c’est, d’une part, qu’il n’existe aucune comparaison possible entre la privation de liberté que nous avons subie et la société sobre en carbone qu’il nous faudra bâtir, et, d’autre part, qu’une transition bas carbone réussie nécessitera des transformations profondes de nos systèmes énergétiques et économiques et pas seulement une modification conjoncturelle de nos comportements individuels. La crise du Covid-19 constitue ainsi un moment de bascule : elle doit nous révéler que la neutralité carbone est un impératif physique non négociable, un attracteur autour duquel nos choix collectifs devront désormais graviter. La France a une empreinte carbone importante, une responsabilité historique élevée et les moyens d’agir : elle doit donc être exemplaire aux yeux de l’Europe et du reste du monde. Il est de notre devoir de nous organiser correctement et intelligemment pour faire advenir, en l’espace d’une trentaine d’années, une société française désirable et juste, sobre dans les usages, et libérée de toute forme d’énergie fossile.   I. Le Covid-19 ne réduira que marginalement et temporairement les émissions en France a) Covid-19, confinement : quel impact sur le climat ?   Plusieurs études récentes[1],[2],[3],[4] ont estimé l’impact de la crise du Covid-19 sur les émissions mondiales de CO2. Leurs résultats, cohérents entre eux, ont mis en évidence,: une baisse ponctuelle des émissions mondiales de l’ordre de 17 % au plus fort de la crise (7 avril), nous ramenant alors temporairement à notre niveau d’émissions de 20064, où l’économie tournait alors à plein régime ; une baisse sur les 4 premiers mois de l’année de l’ordre de 7 % par rapport à la même période l’année dernière3; une baisse sur l’ensemble de l’année 2020 prévue entre 4 % et 7 % par rapport à 2019, en fonction de l’évolution de la crise dans les prochains mois4. Au total, les émissions de 2020 risquent donc d’être entre 93 % et 96 % aussi élevées que celles de 2019. Émissions mondiales de CO2 depuis l’an 2000 (gauche) et depuis le début de l’année 2020 (droite). Le creux d’émissions se situe autour du 7 avril (- 17 %). Moyenné sur l’année et selon le scénario choisi, la baisse sera de 4 à 7 %. Source : Le Quéré et al ; Global Carbon Project.   En France, vers la fin du mois de mars, le confinement aura eu pour effet de baisser ponctuellement nos émissions de CO2 domestiques de pas moins de 30 % « en instantané » par rapport au même jour l’année précédente4. Les émissions totales françaises depuis le début de l’année jusqu’au déconfinement ont baissé de 5 %4, et il est probable que la réduction sur l’année entière soit de l’ordre de 5 à 15 %[5].   Émissions de CO2 en France entre le 1er janvier et la fin du mois de mars 2020. Source : Liu et al.   Or, pour limiter le réchauffement à + 1,5°C, c’est 80 % de nos émissions de gaz à effet de serre qui doivent disparaître d’ici à 2050, soit une baisse de 5,2 % chaque année jusqu’en 2050[6]. Le programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) fixe un objectif de – 7,6 %/an sur la période 2020-2030. Les ordres de grandeur étant similaires, il est tentant de résumer que l’effort à faire pour la lutte contre le dérèglement climatique correspond à un « Covid-19 supplémentaire par an ». Il faut bien voir ici que le mot « supplémentaire » fait toute la différence : un simple « Covid-19 tous les ans » ne reviendrait qu’à maintenir le même niveau d’émissions constaté cette année jusqu’en 2050 (une baisse de 7 % la première année, puis une stagnation des émissions, car la même situation ne ferait que se reproduire année après année). Pour tenir le rythme, il faut alors imaginer qu’en 2021, la situation dure deux fois plus longtemps qu’en 2020, six fois plus longtemps en 2025, soit pendant l’année entière (si l’on considère que 2020 connaîtra deux mois de confinement). Et 2050 devrait alors être l’année… des “trente Covid” ! Si la quantification de l’action climat en “nombre de Covid” a ses limites, c’est que cette baisse radicale d’émissions reste conjoncturelle, non souhaitable et non durable.   b) Aucune analogie ne saurait être faite entre l’expérience de confinement et la “sobriété carbone”   « Still a shitty way to cut CO2 emissions », déclarait sur Twitter le Dr Simon Evans, rédacteur en chef du média Carbon Brief[7], pour relativiser les conversations traitant de la baisse d’émissions dues au Covid-19[8]. Et pour cause : outre le drame humain et sanitaire, outre le fait que ces réductions ne sont absolument pas durables (il suffit de déconfiner pour revenir à la normale), la situation de privation que nous avons vécue au cours de ces derniers mois a joui d’un ratio contrainte/efficacité désastreux, loin de l’image de la sobriété des usages que nous devons bâtir. Cette privation de liberté (de mouvement et, dans une moindre mesure, de consommation) n’est une caractéristique ni nécessaire, ni suffisante d’une sobriété carbone digne de ce nom : elle ne lui est pas nécessaire, c’est-à-dire que la sensation de privation n’est pas consubstantielle à une sobriété réussie. Les changements de comportement les plus efficaces en termes de réduction de notre empreinte sont bien plus volontiers liés à un imaginaire

Par Dugast C.

1 juin 2020

L’économie circulaire, un élément d’une politique de reconstruction écologique Le point de vue des conditions de travail et des risques professionnels

À la lecture de l’article Comment financer une politique ambitieuse de reconstruction écologique publié par Gaël Giraud, Nicolas Dufrêne et Pierre Gilbert sur le site de l’Institut Rousseau[1], ce ne sont pas tant ses aspects économiques que nous avons retenus (ils ne sont pas dans notre domaine de compétences) que l’utilisation du terme reconstruction. Il y a là en effet un écho aux réflexions que nous avait inspirées la réalisation récente d’un exercice de prospective consacré à l’économie circulaire (EC). Cette EC qui à coup sûr serait un des éléments importants dans la reconstruction écologique appelée de leurs vœux par les auteurs de l’Institut Rousseau. Nous nous proposons dans cet article, après un bref aperçu de ce que cette notion d’EC recouvre, de décrire les principaux bouleversements qui résulteraient de ce changement dans les modes et méthodes de production. La prévention des risques professionnels étant notre métier, nous insisterons également sur les évolutions des conditions de travail et leurs conséquences en termes d’accidents et de maladies professionnelles. Nous n’aborderons pas ici des considérations économiques comme le coût de la transition : à notre connaissance, les données sont très lacunaires (les auteurs de l’Institut Rousseau estiment entre 70 et 100 milliards d’euros par an les besoins annuels d’investissement supplémentaires pour mener une politique ambitieuse de reconstruction écologique en France). En revanche, il existe quelques chiffres sur les questions d’emploi. Une étude[2] estime à 600 000 le nombre d’emplois déjà liés à cette forme d’économie. Avec un potentiel supplémentaire de 200 000 à 400 000 grâce à des mesures relativement simples visant à diminuer la consommation de matières premières et d’énergie. Au Royaume-Uni, d’autres études aboutissent à 500 000. On voit donc que les conséquences humaines sont loin d’être négligeables.   Economie linéaire vs économie circulaire Les sociétés vivent principalement selon un schéma économique linéaire résumé ainsi par Rémy Le Moigne[3] : « Notre économie est ainsi basée sur le modèle linéaire qui se résume à « extraire ̶̶̶ fabriquer ̶̶̶ consommer ̶̶̶ jeter », qui consomme des ressources naturelles et de l’énergie pour fabriquer des produits qui deviendront, en fin de compte, des déchets ». En raison de ses conséquences écologiques (en particulier climatiques et environnementales) et de sa forte consommation de ressources naturelles et d’énergie, ce modèle apparaît comme peu soutenable sur le long, voire sur le moyen terme. Certains, dans une logique de protection de l’environnement, proposent de lui substituer progressivement un modèle dit d’économie circulaire, schématisé sur la Figure 1 : Figure 1 – Economie circulaire selon le schéma proposé par l’Ademe[4] Ce schéma montre clairement que la démarche va bien au-delà du simple recyclage de matière, mais concerne aussi l’organisation du tissu industriel, la conception des biens, les modes de consommation, etc.   Une reconstruction de la production Dans une logique d’économie circulaire, il devient nécessaire de concevoir autrement pour de multiples raisons : pour réduire autant que faire se peut l’utilisation de matières premières non renouvelables, pour que les biens soient plus durables et puissent être réparés au cours de leur cycle de vie (rupture en particulier avec le concept d’obsolescence programmée), pour que leur fabrication et leur utilisation nécessitent le moins d’énergie possible, pour qu’ils se prêtent à d’autres types de consommation, tels que l’économie de la fonctionnalité qui passe de la fourniture d’un bien à celui d’un service (incitant ainsi le producteur à concevoir des biens plus durables), ou la consommation collaborative (qui voit plusieurs utilisateurs se partager l’utilisation d’un même bien), pour permettre l’utilisation de matières secondaires (issues du recyclage, donc souvent d’un degré de pureté inférieur aux matières premières) ou la réutilisation d’éléments après déconstruction de biens en fin de vie, en contrepartie, les biens doivent être conçus pour que des éléments ou des parties puissent être déconstruits facilement et que si cela n’est pas possible, leurs matières soient facilement recyclables.   Une part de l’appareil de production pourra certainement être adaptée à cette nouvelle donne, mais la relocalisation de certaines productions (afin de diminuer l’empreinte carbone due aux transports) nécessitera la création de nouvelles installations. Ces installations devront intégrer dès la conception des mesures de prévention, en particulier pour toutes les opérations de maintenance, de remplacement d’éléments prévus par l’allongement de la durée de vie des outils et la recyclabilité des composants du process. Le développement de l’écologie industrielle et territoriale se donnant pour objectif la gestion en commun des flux (les déchets d’une entreprise deviennent la matière première d’une ou plusieurs autres, de préférence à proximité immédiate afin de limiter la dépense énergétique liée aux transports) pourrait aussi remodeler de façon significative le tissu industriel.   La recréation et la relocalisation de nouvelles activités Une durée de vie accrue des biens de consommation implique le développement d’activités de maintenance pour leur entretien ou leur réparation. Il faut donc que la conception ait intégré ce nouveau paramètre, mais aussi qu’une réflexion ait été menée sur la formation et les conditions de travail des travailleurs impliqués, donc sur la conception des installations dans lesquelles s’effectueront leurs interventions. Afin de diminuer la consommation énergétique, des productions devront être relocalisées : il ne sera plus possible d’expédier à l’étranger des déchets pour leur recyclage. Actuellement, la délocalisation de la fabrication de principes actifs pharmaceutiques ou celle du recyclage de métaux ferreux et non ferreux n’est pas seulement due à des questions de coût, mais aussi à des considérations de préservation de l’environnement des pays développés et de la santé et sécurité au travail de leurs travailleurs. Il est plus économique non seulement de faire travailler dans un pays sous-traitant, mais aussi d’exporter la pollution vers le territoire de ce pays sous-traitant et d’ignorer les conditions de travail des employés. Dans une logique d’économie circulaire, les nouvelles installations devront être rentables économiquement, mais également performantes pour l’environnement au sens large.   Des besoins accrus en technologies Les dernières décennies ont été marquées par une automatisation croissante des activités industrielles, mais aussi des services (à l’exception des services à la personne qui ont assez largement compensé la destruction des emplois industriels dans les pays développés). Aucun indice ne conduit

Par Héry M., Malenfer M.

29 mai 2020

Accélérer la réalisation d’une économie véritablement circulaire à grande échelle

La crise du Covid-19 vient de démontrer cruellement notre dépendance aux importations de produits stratégiques (masques, médicaments, kits de tests PCR, etc.) et renforce ce qui était identifié de longue date pour l’ensemble de nos ressources. Bien que cela ne soit qu’une de ses nombreuses vertus, l’économie circulaire a depuis quelques années été identifiée comme un moyen de réduire cette dépendance. En 2014, Janez Potočnik, ex-Commissaire européen pour l’Environnement, écrivait ainsi : « L’Europe est très dépendante des importations pour la plupart de ses ressources et les prix de ces dernières vont continuer à augmenter et devenir de plus en plus volatiles. Il y a donc un intérêt économique manifeste à utiliser plus efficacement les ressources et à réutiliser les matières – au sein d’une économie circulaire. »[1]En 2018, on peut lire dans la Feuille de route pour l’économie circulaire (FREC) française : « L’économie circulaire, c’est aussi la réduction de la dépendance de la France aux importations de matières premières et aux aléas économiques mondiaux ». L’expérience de cette crise sanitaire a également montré que la puissance publique a gardé un pouvoir essentiel, capable qu’elle a été de ralentir – certes indirectement – une machine économique réputée incontrôlable. Un système économique que l’on sait étroitement imbriqué aux systèmes politique, sociologique et technique pour former un hyper-système global complexe, soumis à des changements environnementaux (climat, biodiversité) induits aussi bien que subis. Le constat est désormais connu : ce système n’est pas viable et a atteint voiredépassé certaines limites planétaires[2]. La cause principale en est aussi identifiée : une économie dite linéaire, consistant à extraire, fabriquer, consommer et jeter. L’économie circulaire est pensée dès l’origine comme une alternative au système économique linéaire, un changement systémique volontariste permettant de revenir dans l’enveloppe de ces limites planétaires et de viabiliser notre système global. En Europe et en France ont été lancées depuis une dizaine d’années des politiques visant à sortir de l’économie linéaire, mais nous semblons aujourd’hui « coincés » à un stade précoce de l’économie circulaire. Un stade trop précoce car porteur d’un possible effet pervers : servir de façade à la poursuite du « business as usual » de l’économie linéaire. La crise de 2020 peut-elle être un catalyseur de l’accélération vers plus de circularité véritable ? Nous allons tenter de répondre à cette question en posant, dans un premier temps, les éléments d’une définition complète de l’économie circulaire, indispensable à la préservation du concept fondateur (I), en exposant les étapes théoriques de mise en place de l’économie circulaire (II), en précisant le stade actuel de cette mise en place en Europe et en France (III), en analysant les causes de son ralentissement à un stade encore trop précoce (IV), en identifiant les domaines déterminants d’une accélération souhaitée (V) et l’acteur-clé que constitue l’État (VI) et enfin en examinant la question spécifique de la relocalisation d’activités industrielles (VII). Au fil du texte, nous formulerons des propositions qui nous semblent essentielles pour accélérer la réalisation d’une économie véritablement circulaire à grande échelle. Pour une définition complète de l’économie circulaire   L’économie circulaire est un concept ayant émergé à la toute fin des années 1980[3] comme une alternative, inspirée par le fonctionnement des écosystèmes, à l’économie linéaire extractive et prédatrice. Il n’a cessé d’évoluer depuis et, probablement à cause de sa relative jeunesse, n’est pas encore stabilisé, ni en théorie, ni en pratique, ce qui lui fait courir le risque d’être mal interprété voire détourné[4]. Kirchherr et collaborateurs démontrent en particulier que le concept d’économie circulaire est trop souvent réduit à deux dimensions : le recyclage des déchets et la prospérité économique. L’économie circulaire, dans cette formulation « faible », ne répond plus alors à ses objectifs premiers de soutenabilité et d’équité intergénérationnelle.   Proposition 1 : Adopter collectivement une définition claire, complète et « forte » de l’économie circulaire, associée à la réduction des flux (en particulier à la réduction de la consommation des ressources) dans l’objectif, à terme, d’un retour à l’intérieur des limites planétaires et ne permettant pas une interprétation « faible » légitimant la poursuite d’un modèle qui resterait essentiellement linéaire. Proposition 2 : Inscrire cette définition dans un cadre stratégique national aussi bien qu’européen, avec des objectifs chiffrés explicites mettant l’accent sur la réduction de la consommation des ressources. Nous proposons ci-dessous les éléments que toute définition complète du concept devrait inclure en nous inspirant du travail de Kirchherr et collaborateurs et en y apportant quelques compléments. Les objectifs de l’économie circulaire en termes de soutenabilité : aller vers une économie sobre en ressources naturelles difficilement ou non renouvelables (dans le cadre d’un modèle de soutenabilité dite «faible[5] »), voire totalement dénuée de prélèvements de ressources non renouvelables (dans le cadre d’un modèle de soutenabilité dite « forte »), sobre en énergie, à bas carbone et à faible impact sur les écosystèmes, jusqu’à revenir dans le domaine intérieur des limites planétaires (empreinte écologique ne dépassant pas une planète) ; en assurant la prospérité économique nécessaire au bien-être des citoyens, en particulier en termes de santé, d’emploi et de sécurisation des sources d’approvisionnement; en garantissant la justice sociale[6]; en préservant la qualité de vie des générations futures.   Les principes opérationnels de l’économie circulaire : le cadre hiérarchisé de la gestion des déchets, permettant de boucler les cycles de matière et de réduire la consommation des ressources : par ordre de préférence (1) réduction des déchets et du gaspillage, (2) extension de la durée de vie des produits par réparation et maintenance, réutilisation et réemploi[7], (3) valorisation des matières par recyclage[8], (4) valorisation énergétique[9]. Ce cadre hiérarchique est souvent représenté comme une série de “R” (pour réduire, réparer, réutiliser, recycler, etc.) dont le nombre varie d’une publication à l’autre ; l’approche systémique multi-échelle: mise en œuvre de la circularité à l’échelle (1) des micro-systèmes (échelle des entreprises, des produits, des consommateurs), (2) des méso-systèmes (échelle des villes, des territoires, des plateformes industrielles, des régions), (3) des macro-systèmes (échelle nationale, continentale et globale)[10].   Les acteurs de la mise en œuvre de l’économie circulaire : les pouvoirs publics, par leur rôle normatif et incitatif à l’échelle nationale et de mise en œuvre à l’échelle descollectivités

Par Duquennoi C.

29 mai 2020

Faire atterrir le grand déménagement du monde : la mobilité autrement

Pour l’historien des pandémies Patrice Bourdelais, le doublement du trafic aérien entre 2006 et 2018, avec 4,3 milliards de passagers par an, est « l’une des variables essentielles de tous les modèles épidémiologiques »[1]. Le « grand déménagement du monde », en plus d’avoir pour corollaire une explosion des émissions de gaz à effet de serre, est donc un facteur de vulnérabilité inédit. Le rythme des échanges, d’hommes comme de matières, prend de court nos défenses immunitaires et nos systèmes de santé. Transporter moins et mieux : telle est l’une des grandes orientations que devrait prendre « le monde d’après ». Il convient dès lors de dégager des pistes de politique publique réalistes visant à la transition qualitative du secteur du transport, afin de diminuer au maximum son impact environnemental, tout en favorisant l’emploi et la résilience économique de nos acteurs nationaux. Dans cette note, nous verrons quelles voies de sortie de crise sont à privilégier, au sein des secteurs spécifiques que sont les transports maritime, ferroviaire, aérien, et automobile. Ces pistes ne sont évidemment pas exhaustives et doivent être articulées avec le reste des propositions de l’Institut Rousseau. Elles doivent s’inscrire dans un mouvement de relocalisation rapide d’un ensemble de productions stratégiques, inscrit dans un effort de circularisation de l’économie. En effet, sans une baisse globale du volume de marchandises transportées, il est impossible de tenir nos objectifs climatiques. Il s’agit donc d’une condition préalable, dans le cadre d’un monde fini et d’une planète étuve. Encore une fois, et c’est la ligne conductrice de cet ensemble de propositions, il faut faire plus qualitatif et moins quantitatif. C’est d’ailleurs ce que souhaite très largement la population française, puisque 89 % de nos concitoyens souhaitent une relocalisation de l’industrie, « même si cela augmente les prix », et 87 % souhaitent un renforcement de la politique écologique[2].   I) Un secteur des transports en pleine expansion, qui est responsable d’une grande partie des émissions   Le taux d’ouverture économique, c’est-à-dire le rapport de l’activité extérieure (importations et exportations) par rapport au PIB, a triplé depuis les années 60 pour atteindre 34 % en 2007, tant en volume qu’en valeur. Il s’est replié avec la crise de 2008 puis s’est redressé pour atteindre 32 % en 2016. Derrière ces chiffres se cache une réalité physique : les capacités mondiales de transport explosent. Le nombre de navires, d’avions et autres véhicules atteint des sommets, facilitant d’autant le transit des pathogènes. Que ce soit par voie maritime, aérienne ou terrestre (sauf ferroviaire), le pétrole assure 95 % des besoins du transport de marchandises dans le monde. Dans le secteur de l’agriculture, de la sidérurgie et de l’industrie, le pétrole n’assure en revanche que de 20 % des besoins énergétiques. La consommation pétrolière du secteur du transport de marchandises a pratiquement doublé depuis 1973. En France, sur la totalité du volume des produits pétroliers importés, qui grève d’ailleurs notre balance commerciale à hauteur de 35 milliards d’euros[3], plus de la moitié se destine au secteur du transport. Conséquence logique : les transports représentent un quart des émissions mondiales de CO2 en 2016, d’après chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Les trois quarts des émissions liées au transport sont dues aux camions, bus et voitures. La route a ainsi généré 5,85 gigatonnes de CO2 en 2016, selon l’AIE. Une hausse de 77 % depuis 1990. Avec 0,91 gigatonne par an, l’avion arrive deuxième ; il est globalement responsable de 2,8 % des émissions de CO2 dans le monde[4]. En France, le secteur du transport est le plus émetteur avec 30 % des émissions de CO2, loin devant le bâtiment résidentiel et tertiaire (20 %)[5]. Ce chiffre est par ailleurs en hausse de 12 % entre 1990 et 2016, là où nos propres objectifs sont de diminuer de 31 % les émissions du secteur à l’horizon 2033[6]. Selon la Cour des comptes européenne, il sera nécessaire d’investir chaque année, entre 2021 et 2030, 1 115 milliards d’euros pour atteindre les objectifs de l’Union européenne en matière de climat. Cette somme se divise ainsi : 736 milliards d’euros dans le secteur des transports, 282 milliards dans le secteur résidentiel et dans le secteur des services, 78 milliards dans les réseaux et la production énergétique et 19 milliards d’euros dans l’industrie. On voit que le transport est de loin le secteur le plus gourmand en capital. L’effort est de fait particulièrement intense en termes d’adaptation des infrastructures publiques, d’aménagement du territoire et d’acquisition de matériel. Un ensemble d’activités qui doivent être au coeur d’une politique de relance après la crise si la puissance publique se donne les moyens d’un plan de relance ambitieux et articulé à nos impératifs climatiques. Une précédente note de l’Institut Rousseau propose d’ailleurs un ensemble d’outils simples et efficaces pour financer cette reconstruction écologique[7], laissant le décideur public seul face à sa volonté. II) Le transport maritime : redimensionner la flotte mondiale tout en la rendant neutre en carbone   Le secteur maritime est de loin le vecteur le plus déterminant dans l’essor de la mondialisation. Chaque année, le volume de marchandises transporté avoisine les 10 milliards de tonnes, soit une moyenne de 1,3 tonne pour chaque être humain. C’est cinq fois plus qu’il y a cinquante ans. Aujourd’hui, près de 50 000 navires de commerce sillonnent les eaux du monde. Le caractère pléthorique de la flotte de commerce actuelle est aussi son talon d’Achille. La crise de 2008 a plongé l’industrie du transport maritime dans un profond désarroi. Il y a aujourd’hui trop de navires pour trop peu de marchandises à transporter, surtout depuis que la Chine s’est recentrée sur son marché intérieur (elle représente à elle seule 40 % des importations mondiales par voie maritime). Cette surcapacité, conjuguée à la baisse des tarifs de fret et à la pression de la concurrence, a débouché sur des guerres de prix acharnées. Dans ces conditions, de nombreuses compagnies maritimes ne parviennent plus ni à couvrir leurs frais d’exploitation ni à rembourser leurs emprunts. Il est fort probable qu’avec la crise que nous traversons et la potentielle course à la relocalisation qui s’en suivra, beaucoup d’armateurs devront stopper leur activité ou amorcer un

Par Gilbert P.

25 mai 2020

Comment financer une politique ambitieuse de reconstruction écologique ?

Si l’importance cruciale de la reconstruction écologique de nos sociétés n’est plus à démontrer et fait l’objet d’un large consensus, son ampleur, son financement et les modalités de sa mise en œuvre demeurent très largement discutés, ce qui en fait un objet politique de toute première importance. Une véritable reconstruction écologique suppose en effet des moyens financiers importants, difficiles à mobiliser sans une action déterminée de l’État, des banques centrales et des institutions financières publiques afin de compenser ce que le marché seul ne pourra pas réaliser. Une telle action ne peut que reposer sur une vision différente de la politique monétaire et budgétaire sur les plans théorique et pratique. Cette note propose des solutions concrètes pour parvenir à un financement adéquat de la reconstruction écologique, en distinguant ce qui peut être effectué dans le cadre juridique et financier européen actuel et ce qui pourrait être obtenu en allant au-delà de ce cadre. Elle insiste également sur la différence d’ambition entre le Green deal présenté aujourd’hui au niveau européen et le Green New Deal tel qu’il est souhaité par de nombreux acteurs.   Introduction   La reconstruction écologique de nos sociétés est un impératif pour notre survie et une chance à saisir dans l’histoire du progrès humain. Nous le savons : la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère est aujourd’hui d’environ 415 parties par million (ppm), soit un niveau inédit dans toute l’histoire de l’humanité. La dernière fois qu’un niveau similaire avait été atteint, c’était il y a trois millions d’années, alors que les températures étaient 3 à 4°C plus élevées. Le niveau des océans était alors de 15 mètres plus élevé qu’aujourd’hui, une réalité que nous pourrions de nouveau connaître au XXIIe siècle à trajectoire constante. Cette atteinte à la planète se double d’une atteinte à la vie : la sixième extinction de masse devient une réalité puisque nous avons perdu 60% des effectifs d’animaux sauvages de la planète en moins d’un demi-siècle, soit un rythme cent à mille fois supérieur au taux naturel de disparition des espèces. Éclairés par ce que la science du climat nous permet de comprendre de notre avenir et des conséquences de notre action, nous voici également placés devant l’opportunité de repenser en profondeur notre manière d’habiter la Terre, en décarbonant notre production d’énergie, nos modes de transports et d’habitation, en protégeant la biodiversité et en nous donnant les moyens de bâtir une économie circulaire digne de ce nom. En effet, les périodes de crise, comme les périodes de guerre ou de reconstruction, ont cet avantage qu’elles peuvent nous permettre de dépasser les frilosités idéologiques et l’inertie de l’habitude pour mettre en place de nouveaux modèles de société et retrouver ainsi la voie démocratique du progrès social, qui, sans ce changement de cap, est rendu impossible par la dégradation du milieu duquel nous dépendons pour toute notre économie. Toutefois, la multiplication des discours écologistes contraste de plus en plus avec la faiblesse des propositions, des mesures avancées et des résultats obtenus. En effet, financer un « Green New Deal », c’est-à-dire un vaste programme de reconstruction écologique qui inclut une dimension sociale et permette un véritable découplage entre l’amélioration de la qualité de vie de toutes et de tous et l’utilisation de ressources naturelles non renouvelables, suppose de mobiliser des moyens humains et financiers significatifs. Or, malgré quelques mécanismes d’incitation plus ou moins efficaces, la sphère financière et le secteur privé s’avèrent très largement incapables de financer et d’organiser seuls l’effort de reconstruction écologique et de s’imposer les cadres réglementaires nécessaires. L’objet de cette note est donc d’abord de rappeler le contenu et les enjeux financiers d’un véritable programme de reconstruction écologique, ainsi que les obstacles institutionnels et politiques qui s’opposent à leur réalisation et les limites de ce que peut réaliser le « marché », livré à lui-même, dont on attend tout aujourd’hui. Elle propose ensuite des solutions financières concrètes pour dépasser ces contraintes afin de créer les conditions de mise en œuvre d’un réel programme de reconstruction écologique en France et en Europe.     Table des matières I. Il n’y aura pas de reconstruction écologique sans investissement massif et sans rupture avec les dogmes existants. A. Un plan de reconstruction écologique suppose d’investir des sommes significatives qui constituent une opportunité de renouer avec le progrès. B. Le secteur privé ne pourra pas répondre seul au défi de la reconstruction écologique. C. « Green Deal » vs « Green New Deal » : distinguer deux niveaux d’ambition. II. Passer la première et financer une véritable reconstruction écologique A. Il existe des marges de manœuvre importantes qui ne sont pas exploitées dans le cadre juridique actuel 1) Identifier ce qui est bon pour la reconstruction écologique pour guider les investissements. 2) Utiliser le levier fiscal et celui de la commande publique dans un souci d’efficacité et de justice 3) Utiliser les Banques publiques d’investissement pour investir rapidement. 4) Mobiliser l’épargne des Français. B. Des actions non conventionnelles peuvent être défendues à la frontière de ce qu’autorisent les Traités 1) Remettre en cause la « neutralité » de la politique monétaire pour agir en faveur du climat et de la biodiversité. 2) L’annulation des dettes publiques détenues par la banque centrale en échange d’investissements verts C. Penser hors du cadre et mettre en œuvre une réforme ciblée des traités en matière budgétaire et monétaire au profit de la transition écologique. 1) Réformer la politique budgétaire et les aides d’État pour augmenter la capacité d’investissement dans la reconstruction écologique. 2) Réviser les règles en matière d’aides d’État 3) Utiliser l’arme de la monnaie libre comme pilier de la reconstruction écologique. 4) Une telle politique est-elle soutenable ?. 5) Des externalités économiques positives, facteur de dynamisme et d’innovation. D. Redynamiser l’économie dans son ensemble, résorber le chômage Conclusion.   I. Il n’y aura pas de reconstruction écologique sans investissement massif et sans rupture avec les dogmes existants La présente note fait le choix d’utiliser le terme de « reconstruction écologique » plutôt que de « transition écologique » pour insister sur le caractère matériel généralisé

Par Giraud G., Dufrêne N., Gilbert P.

25 février 2020

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