Derrière la Covid-19, l’état d’urgence écologique
Depuis plusieurs mois, la crise sanitaire liée à la Covid-19 nous contraint dans nos vies à un état d’alerte permanent. Cette crise sanitaire n’est pas sans lien avec le dérèglement écologique et des événements similaires risquent à l’avenir de se multiplier du fait de l’activité humaine[1]: déforestation irrépressible, fonte du permafrost, migration des parasites, accélération des échanges commerciaux et humains etc. Récemment, un rapport[2] du groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), alertait sur les risques de pandémie plus fréquentes et plus meurtrières si une transformation radicale de notre économie n’advient pas rapidement. En cause, la destruction de la biodiversité par l’homme qui ouvre la voie à d’immenses pandémies par des contacts plus fréquents et plus directs : il existerait 1,7 million de virus inconnus chez les mammifères et les oiseaux, et 540.000 à 850.000 d’entre eux « auraient la capacité d’infecter les humains » – selon l’estimation de la revue Science 2018 citée dans le rapport. Ces mêmes spécialistes appellent à des changements profonds pour prévenir les pandémies et ne plus seulement les guérir, en réduisant l’empreinte de l’activité humaine sur la nature. Ces recommandations rejoignent celles de la lutte contre le changement climatique. Or, nous suivons aujourd’hui et toujours l’une des pires trajectoires des scénarios du groupe international d’experts pour le climat (GIEC), celle d’un réchauffement d’une telle ampleur et d’une telle rapidité qu’il met en danger la survie d’une bonne partie de l’humanité. Cependant, tout est fait pour ne pas lier la pandémie au changement climatique, comme si l’urgence de sauver des vies nous empêchait de traiter l’urgence écologique. C’est pourtant elle qui prépare les crises de demain. Il nous faut aujourd’hui apprendre à faire face sur la durée aux risques de pandémies comme aux conséquences, inéluctables, du changement climatique en préparant notre résilience. Si l’on prend le risque de l’immobilisme, les coûts de gestion des catastrophes à venir atteindront des proportions inégalées. Les experts de l’IPBES affirment d’ailleurs qu’investir aujourd’hui pour éviter ces crises coûtera 100 fois moins cher que de les réparer, pointant le coût déjà annoncé de la Covid-19 entre 8.000 à 16.000 milliards de dollars à l’échelle mondiale, soit plus de 19% du PIB mondial. Il est donc essentiel aujourd’hui de lier préservation de la biodiversité et du climat, pandémies et crises économiques. A cet égard, l’IPBES formule plusieurs recommandations au plan international et notamment celle de lancer une concertation intergouvernementale sur la prévention des pandémies afin de mutualiser les connaissances scientifiques sur les risques à venir et les efforts communs d’action et de recherche à mener, tout en fixant des objectifs ambitieux de préservation du vivant et pour pallier les risques pandémiques dans tout nouveau projet de développement et d’aménagement territorial[3]. Il est vrai que cette dimension multilatérale manque jusqu’ici tant les pays ont géré isolément la pandémie. Mais les recommandations de l’IPBES sont nombreuses à pouvoir déjà prendre forme au niveau national et l’organisation recommande notamment d’incorporer le coût et le risque de potentielles pandémies dans chaque futur budget[4], de sorte que l’anticipation de tels coûts à venir oblige à mettre en place les moyens d’éviter ces catastrophes. Pour s’inscrire dans ces recommandations, obliger les entreprises à s’inscrire dans une trajectoire responsable est essentiel. A cet égard, le plan de relance et les futurs budgets sont des leviers utiles, à condition de porter des enjeux de transformation. Or, pour traiter l’urgence, l’argent public du récent plan de relance est aujourd’hui versé sans aucune contrepartie réelle de transformations. Comme le rappelle la note de l’Institut, il eut été nécessaire d’exclure les grandes entreprises qui, sans conditionnalité de l’aide, peuvent se financer seules afin de dégager des crédits pouvant être redéployés ailleurs. Par ailleurs, mettre en place des éco-conditionnalités climat est nécessaire pour que toute aide à une grande entreprise soumise au reporting extra-financier puisse être assortie de véritables éco-conditionnalités. C’est là le seul moyen pour que les entreprises aidées réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre. Concernant les secteurs pourtant fortement émetteurs, peu est fait pour les inscrire dans une trajectoire de transformation contrainte. Le cas le plus emblématique de ces pièges abscons est celui de la croissance de l’aviation dans son état actuel. Dès maintenant, obligeons les investissements vers les mobilités propres et excluons définitivement les fausses solutions telles que les biocarburants de premières générations dont les impacts environnementaux sont désastreux. Multiplions les investissements dans les domaines porteurs tels que le ferroviaire pour reconstruire un réseau dense et lancer une nouvelle génération de trains, fortement porteur d’emplois. De la même manière, dans l’automobile, nous devons opérer dès maintenant un net virage vers les mobilités propres en fixant des objectifs plus ambitieux pour l’industrie automobile[5] et en accompagnant plus fortement les conversions à travers des bouquets d’aides[6] significatives pour éviter les actuels restes à charge désincitatifs pour les ménages les plus modestes. Il n’est pas concevable aujourd’hui de verser autant d’aides aux entreprises sans contreparties sérieuses. Il est primordial d’organiser la résilience de notre pays en mettant en place une véritable politique ambitieuse et volontaire de relocalisation verte de la production en France et en Europe pour l’extraire d’une chaîne de dépendance internationale extrêmement variable. À cet égard, inspirons-nous du Japon qui réorganise ses chaînes d’approvisionnement en incitant ses industriels à relocaliser leur production, en multipliant les recherches sur les matériaux de substitution locaux. Soutenons prioritairement notre tissu de petites et moyennes entreprises à la forte emprise territoriale et non délocalisables. La baisse récemment actée des impôts de productions de 20 milliards d’euros du plan de relance, consistant en une baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sur deux ans, manque d’ailleurs sa cible puisqu’elle profitera avant tout aux grandes entreprises. En effet, plus de la moitié des entreprises ne contribuent qu’à la cotisation minimum. Cette mesure ne rapportera donc que très peu aux PME et rien aux TPE. Il eût été nécessaire d’exclure de cette baisse les très grandes entreprises
Par Jeanson G.
3 décembre 2020