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Covid-19 : un coup de projecteur sur l’invisibilisation des maladies professionnelles

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      Covid-19 : un coup de projecteur sur l’invisibilisation des maladies professionnelles

      Auteurs

      Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, l’a affirmé très clairement : « Nos soignants paient un lourd tribut pour sauver des vies. Tous les soignants malades seront reconnus au titre des maladies professionnelles, sans exception ». Il l’a confirmé le 21 avril à l’Assemblée nationale en réponse à une question au gouvernement, tout en indiquant que l’automaticité reconnue aux soignants ne le sera pas aux autres professions qui devront prouver un « lien direct et essentiel entre leur exposition professionnelle et la maladie ». Selon les règles établies par les Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) chargés de traiter les dossiers de ce type, le requérant doit aussi faire la preuve que la maladie résulte de son travail habituel.

      Toutefois la question de l’indemnisation des premiers de corvée (caissières de supermarché, ripeurs, employés des transports en commun, métiers de la sécurité, etc.) sera loin d’être résolue. C’est grâce à leur action, leur engagement, leur courage que la société a réussi à continuer à fonctionner et plusieurs d’entre eux y ont déjà laissé la vie. Que dire des travailleurs des activités non essentielles (certaines usines automobiles, l’aéronautique, etc.) qui ont été contraints de poursuivre leur activité et qui y ont été contaminés ? Quels sont les éléments qui pourraient justifier que leurs maladies ne soient pas reconnues comme professionnelles ? Le fonctionnement des CRRMP jusqu’à présent a été extrêmement restrictif et on imagine très bien l’argument facile selon lequel, dans un contexte de pandémie, la contamination a pu intervenir n’importe où (dans les transports, à domicile, dans la rue…). Et la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie est essentielle, car il ouvre droit à une prise en charge à 100 % des frais de santé et à une indemnisation de la perte de revenu (indemnités journalières en cas d’incapacité temporaire de travail et rentes en cas d’incapacité permanente) plus favorable que pour les autres maladies.

      Au-delà du coronavirus, ce sont les limites et les injustices du système de reconnaissance des maladies professionnelles qui sont mises en évidence. Les cancers professionnels en donnent une bonne illustration.

      Bon an mal an, l’Assurance maladie Risques professionnels reconnaît environ 1800 cas de cancers professionnels. La très grande majorité de ces reconnaissances correspondent à des pathologies liées à l’amiante, cancers du poumon et mésothéliomes, à l’issue souvent fatale. 

      Arrêtons-nous d’abord sur les 1409 cancers liés à l’amiante, reconnus en maladies professionnelles en 2016. Les spécialistes s’accordent généralement pour considérer un déficit de reconnaissance de moitié, lié majoritairement à un déficit de déclarations : les malades et leurs familles, mal informés, occupés à se battre contre une maladie douloureuse, ayant rarement les moyens de reconstituer leurs expositions professionnelles ne s’engagent pas dans des démarches administratives complexes pour lesquelles le soutien d’une association de victimes s’avère souvent indispensable. Voilà autant de soins pris en charge par la branche Maladie de la Sécurité sociale, qui devraient être imputés à la branche Risques professionnels financée par les seuls employeurs. Voilà autant de rentes qui ne sont pas versées aux victimes ou à leurs ayants droit.

      Ce n’est qu’un aspect de la question. Une agence d’État (Santé publique France) a réalisé une étude, publiée en 2016, sur la part de cancers attribuables aux expositions professionnelles à quatre cancérogènes professionnels (amiante, silice, benzène et trichloréthylène) et calculé le nombre de décès correspondants. À partir d’une matrice emploi-expositions (qui évalue les expositions professionnelles en fonction des travaux effectués), l’auteure a évalué les bornes inférieures et supérieures du nombre de cancers dus à certains agents toxiques. Ainsi pour l’amiante déjà cité, en intégrant les cancers du larynx et de l’ovaire non listés dans les tableaux de maladies professionnelles amiante, elle obtient une mortalité comprise entre 2439 et 6184 hommes et 250 et 437 femmes, soient entre 2689 et 6621 personnes.

      Pour la silice, selon la même étude, on devrait aboutir à un nombre de reconnaissances en maladies professionnelles entre 200 et 1186 cas tous les ans. Pourtant il dépasse rarement la dizaine dans le même laps de temps. Pour le benzène, on attendrait entre 82 et 392 cas réparés au titre des maladies professionnelles. Le nombre de reconnaissances n’a jamais dépassé quelques (très peu nombreuses) dizaines. Pour le trichloréthylène, on attendrait une reconnaissance d’entre 141 et 452 cancers du rein annuellement. Il n’existe même pas de tableau de maladie professionnelle relatif au cancer du rein en lien avec une exposition professionnelle au trichloréthylène…

      Cette étude qui démontre déjà la très nette sous-déclaration des cancers professionnels est encore en deçà de la réalité puisqu’elle ne tient pas compte des études les plus récentes qui font le lien entre l’organisation du travail (les horaires décalés et en particulier le travail de nuit) et les cancers du sein ou de la prostate.

      Nous sommes confrontés à un processus d’invisibilisation des effets du travail sur la santé. On proclame la mobilisation générale pour diminuer le nombre d’accidents mortels et on passe complètement sous silence les milliers de morts liés à l’exposition à des agents cancérogènes au poste de travail. Pire, on ne se donne pas les moyens de les reconnaître, et d’indemniser les victimes ou leurs ayants droit. Ni du coup de mettre en place une prévention des risques conséquente, ni de faire payer ceux qui en sont responsables.

      Les pouvoirs publics sont tellement peu dupes de ces charges assurées par la branche Maladie au lieu de la branche Risques professionnels qu’ils ont institué un transfert financier d’un milliard d’euros par an de la deuxième vers la première. On retire de cela l’impression que la mort des premiers de corvée (souvent des ouvriers) est finalement dans la norme et qu’il n’y a pas de raison de s’en offusquer : comme si c’étaient les risques du métier ou plus exactement de la condition ouvrière. De la même façon, le « scandale de l’amiante » n’a acquis sa pleine visibilité qu’au milieu des années 1990 seulement parce que l’opinion publique a pris conscience que la large utilisation de ces fibres était susceptible de contaminer des cadres à la Défense (qui travaillaient dans des immeubles floqués) ou des enfants scolarisés dans des locaux amiantés. Objectivement le risque des cadres et des enfants était bien inférieur à celui des travailleurs de la métallurgie ou du bâtiment. Pourtant ce qui a fait bouger l’opinion publique puis le pouvoir, c’est l’exposition aux polluants des enfants et des cadres.

      Dans l’urgence, il faut simplifier la reconnaissance du caractère professionnel du Covid-19 pour toutes les professions exposées, en reconnaissant en leur faveur une présomption. Au-delà du Covid-19, c’est une remise à plat du système de reconnaissance qui est nécessaire afin d’en rétablir l’équité pour les salariés les plus exposés.

      Il faut également mieux informer les médecins du caractère professionnel de certaines maladies (parfois contre l’Ordre des médecins qui tend parfois à sanctionner des médecins du travail qui font un lien entre la pathologie d’un salarié et ses conditions de travail). Il faut enfin que la Sécurité sociale assume la vocation sociale de sa mission d’assurance. Cela implique de simplifier les démarches, de créer de nouveaux tableaux, de mettre à jour les restrictions d’accès à la réparation contenues dans les tableaux dont certaines, négociées sous la pression du patronat, n’ont aucune justification scientifique. Il faut enfin mieux reconnaître le rôle essentiel que jouent les associations de victimes et le renforcer, y compris en le finançant.

       

      Publié le 29 avril 2020

      Covid-19 : un coup de projecteur sur l’invisibilisation des maladies professionnelles

      Auteurs

      Léon Pevar

      Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, l’a affirmé très clairement : « Nos soignants paient un lourd tribut pour sauver des vies. Tous les soignants malades seront reconnus au titre des maladies professionnelles, sans exception ». Il l’a confirmé le 21 avril à l’Assemblée nationale en réponse à une question au gouvernement, tout en indiquant que l’automaticité reconnue aux soignants ne le sera pas aux autres professions qui devront prouver un « lien direct et essentiel entre leur exposition professionnelle et la maladie ». Selon les règles établies par les Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) chargés de traiter les dossiers de ce type, le requérant doit aussi faire la preuve que la maladie résulte de son travail habituel.

      Toutefois la question de l’indemnisation des premiers de corvée (caissières de supermarché, ripeurs, employés des transports en commun, métiers de la sécurité, etc.) sera loin d’être résolue. C’est grâce à leur action, leur engagement, leur courage que la société a réussi à continuer à fonctionner et plusieurs d’entre eux y ont déjà laissé la vie. Que dire des travailleurs des activités non essentielles (certaines usines automobiles, l’aéronautique, etc.) qui ont été contraints de poursuivre leur activité et qui y ont été contaminés ? Quels sont les éléments qui pourraient justifier que leurs maladies ne soient pas reconnues comme professionnelles ? Le fonctionnement des CRRMP jusqu’à présent a été extrêmement restrictif et on imagine très bien l’argument facile selon lequel, dans un contexte de pandémie, la contamination a pu intervenir n’importe où (dans les transports, à domicile, dans la rue…). Et la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie est essentielle, car il ouvre droit à une prise en charge à 100 % des frais de santé et à une indemnisation de la perte de revenu (indemnités journalières en cas d’incapacité temporaire de travail et rentes en cas d’incapacité permanente) plus favorable que pour les autres maladies.

      Au-delà du coronavirus, ce sont les limites et les injustices du système de reconnaissance des maladies professionnelles qui sont mises en évidence. Les cancers professionnels en donnent une bonne illustration.

      Bon an mal an, l’Assurance maladie Risques professionnels reconnaît environ 1800 cas de cancers professionnels. La très grande majorité de ces reconnaissances correspondent à des pathologies liées à l’amiante, cancers du poumon et mésothéliomes, à l’issue souvent fatale. 

      Arrêtons-nous d’abord sur les 1409 cancers liés à l’amiante, reconnus en maladies professionnelles en 2016. Les spécialistes s’accordent généralement pour considérer un déficit de reconnaissance de moitié, lié majoritairement à un déficit de déclarations : les malades et leurs familles, mal informés, occupés à se battre contre une maladie douloureuse, ayant rarement les moyens de reconstituer leurs expositions professionnelles ne s’engagent pas dans des démarches administratives complexes pour lesquelles le soutien d’une association de victimes s’avère souvent indispensable. Voilà autant de soins pris en charge par la branche Maladie de la Sécurité sociale, qui devraient être imputés à la branche Risques professionnels financée par les seuls employeurs. Voilà autant de rentes qui ne sont pas versées aux victimes ou à leurs ayants droit.

      Ce n’est qu’un aspect de la question. Une agence d’État (Santé publique France) a réalisé une étude, publiée en 2016, sur la part de cancers attribuables aux expositions professionnelles à quatre cancérogènes professionnels (amiante, silice, benzène et trichloréthylène) et calculé le nombre de décès correspondants. À partir d’une matrice emploi-expositions (qui évalue les expositions professionnelles en fonction des travaux effectués), l’auteure a évalué les bornes inférieures et supérieures du nombre de cancers dus à certains agents toxiques. Ainsi pour l’amiante déjà cité, en intégrant les cancers du larynx et de l’ovaire non listés dans les tableaux de maladies professionnelles amiante, elle obtient une mortalité comprise entre 2439 et 6184 hommes et 250 et 437 femmes, soient entre 2689 et 6621 personnes.

      Pour la silice, selon la même étude, on devrait aboutir à un nombre de reconnaissances en maladies professionnelles entre 200 et 1186 cas tous les ans. Pourtant il dépasse rarement la dizaine dans le même laps de temps. Pour le benzène, on attendrait entre 82 et 392 cas réparés au titre des maladies professionnelles. Le nombre de reconnaissances n’a jamais dépassé quelques (très peu nombreuses) dizaines. Pour le trichloréthylène, on attendrait une reconnaissance d’entre 141 et 452 cancers du rein annuellement. Il n’existe même pas de tableau de maladie professionnelle relatif au cancer du rein en lien avec une exposition professionnelle au trichloréthylène…

      Cette étude qui démontre déjà la très nette sous-déclaration des cancers professionnels est encore en deçà de la réalité puisqu’elle ne tient pas compte des études les plus récentes qui font le lien entre l’organisation du travail (les horaires décalés et en particulier le travail de nuit) et les cancers du sein ou de la prostate.

      Nous sommes confrontés à un processus d’invisibilisation des effets du travail sur la santé. On proclame la mobilisation générale pour diminuer le nombre d’accidents mortels et on passe complètement sous silence les milliers de morts liés à l’exposition à des agents cancérogènes au poste de travail. Pire, on ne se donne pas les moyens de les reconnaître, et d’indemniser les victimes ou leurs ayants droit. Ni du coup de mettre en place une prévention des risques conséquente, ni de faire payer ceux qui en sont responsables.

      Les pouvoirs publics sont tellement peu dupes de ces charges assurées par la branche Maladie au lieu de la branche Risques professionnels qu’ils ont institué un transfert financier d’un milliard d’euros par an de la deuxième vers la première. On retire de cela l’impression que la mort des premiers de corvée (souvent des ouvriers) est finalement dans la norme et qu’il n’y a pas de raison de s’en offusquer : comme si c’étaient les risques du métier ou plus exactement de la condition ouvrière. De la même façon, le « scandale de l’amiante » n’a acquis sa pleine visibilité qu’au milieu des années 1990 seulement parce que l’opinion publique a pris conscience que la large utilisation de ces fibres était susceptible de contaminer des cadres à la Défense (qui travaillaient dans des immeubles floqués) ou des enfants scolarisés dans des locaux amiantés. Objectivement le risque des cadres et des enfants était bien inférieur à celui des travailleurs de la métallurgie ou du bâtiment. Pourtant ce qui a fait bouger l’opinion publique puis le pouvoir, c’est l’exposition aux polluants des enfants et des cadres.

      Dans l’urgence, il faut simplifier la reconnaissance du caractère professionnel du Covid-19 pour toutes les professions exposées, en reconnaissant en leur faveur une présomption. Au-delà du Covid-19, c’est une remise à plat du système de reconnaissance qui est nécessaire afin d’en rétablir l’équité pour les salariés les plus exposés.

      Il faut également mieux informer les médecins du caractère professionnel de certaines maladies (parfois contre l’Ordre des médecins qui tend parfois à sanctionner des médecins du travail qui font un lien entre la pathologie d’un salarié et ses conditions de travail). Il faut enfin que la Sécurité sociale assume la vocation sociale de sa mission d’assurance. Cela implique de simplifier les démarches, de créer de nouveaux tableaux, de mettre à jour les restrictions d’accès à la réparation contenues dans les tableaux dont certaines, négociées sous la pression du patronat, n’ont aucune justification scientifique. Il faut enfin mieux reconnaître le rôle essentiel que jouent les associations de victimes et le renforcer, y compris en le finançant.

       

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