Quelle stratégie pour un logement abordable et durable ?
Les politiques publiques menées en France ne permettent pas de contenir le coût croissant des logements, dont le poids est passé de 20 à 30 % des revenus de la majorité de la population[1]. Si des territoires subissent une vacance élevée[2], les pénuries dans les zones tendues sont telles[3] que les constructions de logements restent très insuffisantes, alors que leurs impacts écologiques sont déjà importants, notamment en termes de gaz à effet de serre (plus d’un tiers des émissions de l’industrie[4]). Les divers travaux d’évaluation des politiques du logement soulignent que ces résultats médiocres s’expliquent surtout par des soutiens « inversés » : les fiscalités favorisent les rentes immobilières au détriment des logements pérennes abordables. De plus, la métropolisation aggrave les pénuries de logement dans les zones tendues et les problèmes de vacance ailleurs. Pourtant, des politiques cohérentes et efficaces sont possibles et parfois déjà mises en œuvre dans des pays étrangers ou des territoires français. En complément d’une hausse des dépenses en faveur des logements abordables, le succès de ces politiques implique plusieurs transformations globales : Investir dans des résidences principales « abordables » (location ou accession sociale) doit devenir plus rentable que les autres usages (de la location touristique à la rétention foncière en passant par les bureaux), qui doivent être limités dans les zones tendues (par des taxes élevées et/ou une compensation des « non résidences principales »). De la même manière, les réhabilitations lourdes doivent devenir moins coûteuses que le neuf, en particulier dans les zones moins tendues, afin de remobiliser les logements vacants dégradés (en lien avec les politiques de rénovation énergétique et du patrimoine bâti et paysager). En complément, les modalités des aides au logement et des avantages de loyers devraient être modulées selon le « taux d’effort » (la part des dépenses de logement dans le revenu). Cela permettrait de fortement diminuer le poids des dépenses de logement de plusieurs millions de ménages à court terme. De manière transversale, deux autres transformations profondes doivent être engagées par l’État, afin de tarir les principales sources des déséquilibres du logement : Le rééquilibrage de l’offre de formation et des services publics (santé, transports, etc.) vers les villes moyennes et petites permettra à moyen terme de réduire la demande excessive de logements dans les zones déjà tendues, tout en améliorant l’accès aux services publics dans les autres territoires. Un simple rééquilibrage territorial permettrait de résorber plus de la moitié du manque de logement dans les zones tendues. Une plus forte régulation des usages, loyers et qualités des logements impose également un changement d’échelle des contrôles et des sanctions, qui devraient toujours être au moins deux fois supérieures aux gains et dommages occasionnés. Au-delà de leurs effets directs sur l’accessibilité des logements, ces transformations apporteront des bénéfices publics majeurs : une forte diminution des dépenses contraintes de la majorité des Français (avec une réduction parallèle des rentes et des fraudes), une meilleure cohésion sociale et territoriale, ainsi qu’une réduction efficace et juste de l’empreinte écologique des constructions. À l’inverse, une forte réduction de la construction sans augmenter l’offre de logement abordable aurait des impacts sociaux extrêmement régressifs pour la majorité de la population, ainsi que des impacts sanitaires négatifs (liés au mal-logement) et des effets pervers écologiques (l’allongement des trajets domicile-travail). Seuls les plus aisés bénéficieraient alors d’une très forte hausse de leur patrimoine, déjà en forte augmentation depuis 2017. Après un résumé des constats sur l’impasse des politiques « pro-rentes » actuelles, nous montrerons qu’il est possible de diffuser le logement abordable tout en limitant son empreinte écologique, à condition de passer d’une politique centrée sur le nombre total de logement à une politique visant l’augmentation des résidences principales abordables ainsi que la réduction de la sur-demande dans les zones tendues. I – Des résultats très insuffisants, notamment depuis 2017 Au regard des objectifs fixés (produire 500 000 logements par an dont 150 000 logements sociaux, principalement dans les zones tendues), les politiques publiques menées en France n’atteignent que la moitié des objectifs fixés depuis 2010. La construction oscille autour de 350 000 logements construits par an[5], mais cela n’augmente l’offre de résidences principales[6] que d’environ 250 000 (+ 2,5 millions en 10 ans), après déduction des logements devenus vacants ou secondaires, dont la croissance est très forte depuis 2005. Principaux objectifs et résultats des politiques du logement 2010-2020 Principaux objectifs Principaux résultats Écart objectifs vs. résultats finaux Production de logements 500 000 par an + 380 000 logements mis en construction par an dont seulement + 250 000 résidences principales – 50 % Logements sociaux 150 000 par an + 100 000 logements sociaux agréés par an dont seulement + 70 000 « effectifs » – 55 % Sources : Comptes du logement, Parc locatif social et Insee Logement 2021 Les financements de logements sociaux varient eux autour de 100 000 par an (dont 10 000 acquisitions de logements existants dans le parc privé), mais le parc social n’augmente que de 70 000 par an, déduction faite des projets abandonnés, des démolitions et des reventes sur le marché privé non régulé. Plus grave, la construction chute surtout dans les zones ayant le plus de besoins, notamment depuis 2017. Or l’offre neuve ne suivait déjà pas l’augmentation de la population des grandes métropoles avant 2015 (+ 5 à 10 % de logements vs. + 8 à 15 % de ménages en 8 ans), malgré un volume très important de logements construits chaque année dans ces départements[7]. Les zones « tendues » correspondent principalement aux zonages A et B1, qui regroupent la plupart des grandes agglomérations, le littoral sud et quelques autres territoires touristiques (e.g. Haute-Savoie). En conséquence, l’augmentation du prix des logements dépasse +160 % depuis 20 ans alors que le revenu salarial n’a augmenté sur la période que de 40 %[8] (et l’inflation courante de 30 %[9]). Cette augmentation dépasse même 200 % dans certaines grandes agglomérations où les loyers ont presque doublé sur cette période[10]. La hausse a surtout été forte entre 2000 et 2010, puis à nouveau depuis 2017 avec +25 % en moyenne nationale sur 4 ans[11], voire davantage dans les agglomérations et littoraux déjà tendus. La plupart
Par Desquinabo N.
8 novembre 2023