Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

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Think-Tank Economique

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Adrien Sergent
Alexandre Ouizille
André Peters
Anne Saviuc
Ano Kuhanathan
Ano Kuhanathan
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Benjamin Métadier
Boris Bouzol-Broitman
Camille Souffron
César Dugast
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Hémisphère Gauche
Institut Rousseau
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Philippe Moutenet
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Sylvain Pablo Rotelli
Thomas Lagoarde-Segot
Vincent Drezet

L’institut Rousseau traite de plusieurs domaines dont un Think-Tank économique. L’économie est souvent assimilée aux finances publiques et aux aspects financiers du secteur privé.
A l’institut Rousseau nous traitons aussi l’économie des ressources physiques par rapport aux limites planétaires.

La gouvernance des entreprises : changer de paradigme

La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contacts : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com et nicolas.dufrene@gmail.com. Télécharger le brief en pdf Download the English version as a pdf   ____ Introduction   « Deux institutions surdéterminent le sort réservé à l’être humain au travail et à la planète Terre : ce que les économistes appellent le marché du travail et l’entreprise » (1). Si l’on admet que l’entreprise et les marchés sur lesquels elle interagit, ont un impact déterminant sur nos vies et notre futur, alors la composition et la légitimité des organes qui la gouvernent représentent un enjeu de premier plan. On comprend alors que l’évolution de la gouvernance constitue un puissant levier pour enclencher et accélérer la transformation de notre société et pour agir efficacement sur la transition écologique et la réduction des inégalités. Nous verrons, dans une première partie, si les nouvelles dispositions du volet 3 de la loi Pacte, consacré à la gouvernance des entreprises sont à hauteur de cette ambition et si elles marquent une véritable évolution, voire une rupture, en matière de gouvernance des entreprises ou au contraire, si elles relèvent d’une adroite et séduisante stratégie de communication sans réelle volonté de faire bouger les lignes. Nous examinerons dans une seconde partie, les conditions d’un changement de paradigme dans ce domaine, ce qui nous amènera à nous interroger sur la notion de « bien commun » et à nous poser la question centrale de la propriété de l’entreprise, de laquelle découle toute réflexion sur une plus juste et indispensable représentativité des parties prenantes au sein des instances de gouvernance et contribution aux prises de décisions stratégiques. Cinq propositions seront formulées, certaines fondées sur la nécessité d’un schéma institutionnel rénové en profondeur et non sur la recherche, sans doute illusoire et certainement insuffisante, de bonnes pratiques dans un cadre inchangé.   I. La loi Pacte et la place de l’entreprise dans la société : ambiton ou discours ? (2)   Le troisième volet de la loi Pacte promulguée en 2019, intitulé « des entreprises plus justes », inspiré pour l’essentiel des recommandations du rapport Notat/Sénart, affiche comme ambition une place de l’entreprise dans la société repensée. 1.1. Présentation des principales dispositions du volet 3 de la loi Pacte 3 consacré à la gouvernance des entreprises et inspiré du rapport établi par Nicole Notat/Jean-Dominique Sénart   La loi Pacte promulguée en 2019 prend acte des recommandations du rapport établi en 2018 par Nicole Notat et Jean-Dominique Sénart et établit en particulier : un abaissement de douze à huit du nombre d’administrateurs comme seuil à partir duquel deux administrateurs salariés sont nommés, évolution qui, en réalité, ne remet pas en cause la façon dont fonctionnent aujourd’hui les conseils d’administration et de surveillance et dont sont nommés les dirigeants ; la reconnaissance par le Code Civil d’une « raison d’être » de l’entreprise reprise et explicitée dans les statuts. L’article 1883 modifié du Code Civil introduit la qualité de « société à mission », celle-ci désignant un progrès souhaitable, un futur désirable, un objectif « commun » à caractère environnemental, sociétal, culturel. Il précise que : « la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociétaux et environnementaux de son activité ». À noter que le tribunal judiciaire de Nanterre, dont la compétence était contestée par la société Total SE dans une affaire l’opposant à plusieurs parties prenantes, s’est appuyé sur cet article pour se déclarer compétent en la matière (ordonnance de février 2021). Une nouvelle structure de gouvernance est proposée, le conseil de mission, composé de membres représentant les salariés, d’autres parties prenantes comme des ONG, des représentants de collectivités territoriales. Les auteurs du rapport insistent aussi sur la nécessaire revalorisation du rôle des dirigeants, dans l’esprit des travaux du Collège des Bernardins qui considèrent le dirigeant aujourd’hui comme le mandataire des actionnaires (théorie de l’agence) au détriment de « l’efficacité du pouvoir de direction » et de la « dimension créatrice de la fonction managériale » (3).   1.2 « Une forme de droit nouveau en train de se créer » (4) ou la recherche du plus petit dénominateur commun sur le sujet de la gouvernance ? Ces dispositions apportent-elles une vraie novation en matière de représentativité d’autres parties prenantes que les actionnaires au sein des instances de gouvernance de l’entreprise ? Si le concept de mission est incontestablement séduisant, ce qui importe c’est d’apprécier en quoi le conseil de mission constituerait un efficace contrepoids au pouvoir des actionnaires et mesurer la force contraignante de ses avis en cas de « conflits » entre les attentes des actionnaires et les objectifs de la mission dont il assure le suivi. Or que dit le rapport Notat/Sénard à ce sujet ? Quel rôle entend-il faire jouer à ce conseil de mission et quel pouvoir lui confère-t-il ? Selon les auteurs, il a pour vocation de permettre « aux dirigeants de prendre du recul sur leurs décisions », « d’obtenir des avis complémentaires sur la raison d’être de l’entreprise », « de fournir un aiguillon externe en faveur de la Responsabilité sociétal de l’entreprise (RSE) et parfois de trouver des solutions à des situations difficiles ». Enfin, « le conseil d’administration serait informé par les dirigeants des éventuelles conclusions de ce comité ». Ce conseil de mission jouerait un peu le rôle de bonne conscience des dirigeants et du conseil d’administration. Les auteurs du rapport parlent d’ailleurs de « prise de conscience », de « prise de recul de l’entreprise sur les risques et les opportunités provoqués par ses prises de position et son activité en matière sociale et environnementale », autant de formulations dont le caractère flou et non contraignant, souligne la volonté de ne pas remettre en cause le rapport de force existant et très déséquilibré entre les actionnaires et les autres parties prenantes, et donc l’absence de pouvoir réel de ce comité. Il est frappant de constater que les auteurs du rapport évacuent de la réflexion ce qui devrait pourtant en constituer l’élément central en matière de

Par Moutenet P.

7 juin 2021

Repenser le financement des entreprises vertueuses et les politiques prudentielles en intégrant la solvabilité socio-environnementale

La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com Télécharger le brief en pdf Download the pdf version in English   ____   Introduction Face aux contraintes environnementales de plus en plus pressantes[3] et à l’insuffisance de l’effet du pricing du carbone, une transition environnementale va nécessiter des investissements massifs « vertueux » vers les secteurs décarbonés et une réduction des investissements dans les secteurs polluants, mais aussi dans les secteurs sociaux, solidaires et circulaires. Or, les investissements verts sont encore largement insuffisants. En effet, leurs coûts initiaux étant généralement très importants, il est rare que les entreprises aient les fonds propres nécessaires, et ces dernières se tournent donc vers des sources de financement externe (crédit bancaire, marchés de capitaux, marchés boursiers) et se heurtent à une indisponibilité des ressources financières. Le crédit bancaire étant souvent rationné, les entreprises sont donc incitées à chercher des financements sur les marchés de capitaux et boursiers, difficilement trouvables du fait de faibles rendements et liquidité et de hauts risques, auxquelles s’ajoutent les appels de marge des chambres de compensation[4]. En prenant des appels de marge, elles garantissent la transaction si l’une des parties fait défaut, afin d’éviter une faillite à la chaîne. Or la hauteur des appels de marge et les commissions des courtiers peuvent pousser des entreprises à quitter les marchés organisés eux-mêmes pour se financer sur les marchés de gré à gré risqués et dark pools, augmentant le risque systémique. Trois problématiques en découlent : La dégradation de l’environnement et son impact sur la production ; Le risque systémique financier du fait de la dérégulation financière et de la croissance des marchés de gré à gré ; Le risque macro-économique déflationniste : une explosion de la dette privée et une situation économique trop faible pour la soutenir mènent à une spirale déflationniste et à une dépression forcée (scénario « à la japonaise »). Le niveau de dette privée provoque une faillite des ménages et des entreprises en chaîne et donc potentiellement des banques, une explosion du chômage, et bloque tout investissement. Nous en concluons qu’il semble impossible de mener une politique environnementale qui ne soit pas macro-prudentielle, car il ne serait alors pas possible de réunir les incitations et investissements nécessaires à la transition. Et inversement, une politique macro-prudentielle doit nécessairement être environnementale[5], autrement la dégradation de l’environnement mènerait à la dégradation de la production, du capital, de l’emploi, du ratio d’endettement et de la qualité de vie sur terre, et donc à une dépression forcée. Les politiques environnementales et macro-prudentielles sont donc liées[6], et il est vital que cette interdépendance soit comprise par le régulateur avec la réalisation de stress-tests environnementaux. Nous proposons donc une politique macro-prudentielle écosystémique intégrant la régulation socio-environnementale, dont l’objectif serait d’augmenter les capacités de financements, les incitations et l’accès à l’investissement vert tout en réduisant les risques déflationnistes et environnementaux. Elle se décline à la fois sur le financement bancaire, le refinancement des banques commerciales et le financement de marché désintermédié, pour cibler tout type d’entreprise et toute source d’instabilité financière, en s’appuyant sur une redéfinition des principes comptables intégrant la solvabilité socio-environnementale. Politiques de régulation macro-prudentielles écosystémiques L’objectif de ces politiques est d’élaborer un système de réallocation des capacités de financement des entreprises non-vertueuses vers les plus vertueuses avec des garanties publiques, visant à réduire le ratio d’endettement tout en augmentant les investissements verts, avec des politiques monétaires et des formes de partenariat public-privé pour ce faire. Faciliter le financement des entreprises vertueuses verdirait le capital total mais augmenterait son volume, neutralisant en partie l’impact environnemental positif. Il est donc nécessaire d’également limiter l’expansion du financement des entreprises « brunes ». Cela réduirait les opérations risquées et favoriserait des investissements à effet de levier plus faibles et plus connectés à l’économie réelle, diminuant le risque financier systémique. Des régulations prudentielles (Bâle III, Solvabilité II) ont déjà été introduites après la crise de 2007, obligeant les banques à maintenir un certain ratio de liquidité et de solvabilité[7] afin d’éviter une nouvelle crise causée par une expansion incontrôlée du crédit et une crise de liquidité. Toutefois, ces régulations absolument nécessaires viennent directement pénaliser l’investissement vert car plus risqué et peu rentable.[8] L’enjeu est de ne pas pénaliser les investissements vertueux tout en maintenant un même niveau prudentiel écosystémique justement par la diminution du risque environnemental et le transfert des surcapacités de financement, garanties et collatéraux des investissements polluants vers les investissements vertueux. Ainsi, plusieurs solutions existent pour diminuer la contrainte bancaire de crédit :   Une politique des taux Bien que les trois principaux taux directeurs, communs à toute banque, soient déjà faibles, il serait possible de les différencier selon les établissements et les prêts, en : Individualisant le taux de refinancement auprès de la banque centrale (refi) pour chaque établissement et demande de refinancement, avec un taux plus faible pour les banques avec un bilan/une demande « verts », et un taux réellement pénalisant pour les bilans/demandes « bruns ». Réduisant et plafonnant le taux de prêt marginal (le taux de prêt de liquidité aux banques commerciales qui dépassent le volume de création monétaire permise par le refi, prêt toujours accepté) pour les banques à bilan vert, et inversement pour les bilans bruns. Augmentant le taux de rémunération des dépôts à la banque centrale seulement pour les banques qui ont un niveau particulièrement élevé de créances vertes. Cela inciterait les banques à verdir leur bilan pour profiter de cette rémunération aujourd’hui négative donc à perte, et une fois verdis les dépôts réalisés à la banque centrale limiteraient d’autres effets de levier et auraient un rôle prudentiel. Ainsi, individualiser les taux pour chaque demande de refinancement serait particulièrement incitateur pour les banques et renforcerait la transparence d’information pour le régulateur car obligerait les banques à motiver leurs demandes selon le type de prêt et à flécher leur allocation de crédit. Pour

Par Chémali L., Souffron C.

1 juin 2021

Réflexion pour la mise en place d’un impôt « anti-évasion » en France

La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com Télécharger la note en pdf Download the English version as a pdf   ____   I. Problème identifié : l’absence de lutte contre l’optimisation fiscale légale, mais abusive Le terme optimisation fiscale peut parfois prêter à confusion. Il existe en effet deux types d’optimisation fiscale. L’une, illégale, consiste à contourner les règles des impôts en allant à l’encontre de la loi. Son coût pour les finances publiques françaises pourrait atteindre 100 milliards d’euros selon le syndicat Solidaires finances publiques[3]. L’autre, légale, consiste à jouer avec les règles fiscales en vigueur, tant en France qu’à l’étranger, afin de payer le moins d’impôt possible. Celle-ci est par nature difficile à chiffrer, puisque la frontière entre ce qui relève de l’optimisation ou non est subjective. Et ce notamment concernant les départs de contribuables à l’étranger. Comment définir si un départ à l’étranger s’est fait dans le but de payer moins d’impôt ou non ? Cela peut parfois relever d’une mosaïque de raisons, parmi lesquelles figure en bonne position le fait de pouvoir payer moins d’impôt. Il est donc aujourd’hui difficile pour l’administration fiscale française de récupérer les recettes qui lui échappent du fait de cette optimisation fiscale légale à l’étranger. Or, celle-ci est rendue d’autant plus facile pour les contribuables français qu’elle peut se faire au sein même de l’Union européenne, chaque pays ayant ses règles fiscales propres, alors même que la circulation des capitaux et des personnes y est libre. Les négociations en cours au niveau de l’OCDE et du G20, notamment concernant le projet « BEPS » ne concernent que l’impôt sur les sociétés et trainent depuis 2012, faute de pouvoir atteindre un consensus politique international. Notre conviction est donc qu’il ne faut donc pas attendre ce type d’accords internationaux pour agir. En créant un outil qui peut être mis en place de manière unilatérale par la France, nous pouvons espérer pouvoir agir vite pour endiguer ce phénomène. En outre, les autres États auraient tout intérêt à imiter la France et petit à petit, nous pouvons donc atteindre un consensus international par l’exemple. Plus aucun État n’aurait alors intérêt à pratiquer le dumping fiscal. L’harmonisation fiscale par le haut s’effectuerait donc de fait. L’objectif est ambitieux. Cependant, ce papier ne prétend pas proposer une solution clef en main pour régler ce fléau. Il propose un outil. Mais celui-ci devra faire l’objet d’une large concertation, notamment avec l’administration fiscale, afin de le perfectionner avant que l’on envisage sa mise en place. L’objectif ici est donc de lancer la réflexion et le débat autour de ce qui pourrait être un moyen simple et rapide de mettre fin à l’optimisation fiscale à l’étranger certes légale, mais abusive moralement tant elle diminue l’impôt payé par les contribuables les plus aisés. II. Analyse et constat pour la France a) Nos principaux outils nationaux de lutte contre l’optimisation fiscale abusive sont des dispositifs anti-abus « ciblés » qui, trop nombreux et juridiquement fragiles, rendent l’impôt illisible En l’état du droit actuel, notre constat est que l’État français reste insuffisamment outillé pour lutter contre l’optimisation fiscale légale mais abusive. Premièrement, à grands traits, son principal outil consiste en des modalités particulières de l’impôt, à savoir des dispositifs anti-abus « ciblés ». Et précisément, la complexité actuelle de certains impôts (tels l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu ou encore la TVA) s’explique notamment par les strates successives de lois fiscales accumulées, chaque fois intervenues pour combler des incertitudes juridiques ou contrer l’inventivité des juristes fiscalistes, mais bien souvent après que ces failles aient été exploitées. Ces mécanismes particuliers de l’impôt, qui à chaque fois ont tenté de contrer ou de limiter des abus, sont bien souvent juridiquement fragiles et peuvent ainsi contrevenir aux normes de rang constitutionnel (égalité devant l’impôt, égalité devant les charges publiques, etc.) ou plus souvent au droit de l’Union européenne (en particulier les « libertés » de circulation des capitaux et d’établissement). Bien qu’utiles et nécessaires, ces dispositifs anti-abus particuliers constituent toutefois une mosaïque juridique rendant les impôts très peu lisibles pour les contribuables, ce d’autant plus que celle-ci est par nature évolutive et juridiquement fragile. b) Les dispositifs « généraux » existants restent incomplets et n’ont pas pour ambition de limiter drastiquement l’optimisation fiscale Deuxième principal outil existant, les dispositifs anti-abus « généraux » visent surtout à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale illégales et non contre l’optimisation fiscale légale. Le plus important est celui de « l’abus de droit » fiscal (articles L. 64 et suivants du livre des procédures fiscales – LPF) qui a été mis en place dès 1941, puis progressivement étayé, et qui permet à l’administration d’écarter les actifs fictifs, recherchant une application littérale des textes détournant leur lettre et esprit, si ceux-ci ont pour seul but d’éluder ou de diminuer l’impôt normalement dû. Si ce mécanisme a été récemment renforcé (lois de finances pour 2019) par la création d’un « mini abus de droit » (article 64 A du LPF) pour les abus ayant pour but « principal » (et non « exclusif » comme l’abus de droit initial du L. 64 LPF) d’éluder ou de diminuer l’impôt dû, ces dispositifs seuls restent insuffisants et posent deux difficultés principales. Ces dispositifs n’ont pas pour but d’aider à une guerre généralisée contre les abus de droits fiscaux, mais s’apparentent plutôt à des frappes chirurgicales qui impliquent une charge de travail et d’analyse importante pour l’administration, la charge de la preuve reposant sur elle. Surtout, ils ne visent pas la majorité de l’optimisation fiscale qui profite d’importantes différences de fiscalité entre deux États, deux systèmes juridiques distincts. En outre, signalons la limite d’un autre dispositif « général » inabouti, le mécanisme des « listes noires » de paradis fiscaux (liste des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales de l’Union européenne et de la France). Celles-ci ne concernent qu’un nombre limité d’États

Par Iss A., Bouzol-Broitman B.

24 mai 2021

Sortir de l’impasse climatique par la défaisance carbone

Les dérèglements climatiques constituent une menace existentielle pour les sociétés humaines. Celles-ci sont engagées sur une trajectoire de réchauffement qui pourrait atteindre +4,8°C en 2100 par rapport aux niveaux préindustriels. De tels niveaux de réchauffement à la fin du siècle posent un risque de dégradation sans précédent des conditions de vie sur la planète. Eviter ce scénario catastrophe nécessite une réduction d’ampleur des émissions de gaz à effet de serre (GES), qui placerait l’humanité sur une trajectoire climatiquement soutenable.

Par Driouich R.

17 mai 2021

De la Bulle Internet (1999-2000) à la bulle Internaute (2020-2021) ? Une ouverture vers une autre économie

En janvier dernier, l’Institut Rousseau s’associait au réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) et à l’Alliance PocFin (Post-Crisis Finance Research Network) pour lancer un appel à contributions, sous forme de « policy briefs », intitulé « Quelles réformes économiques et financières pour l’Agenda 2030 ? » Trois mois plus tard, nous avons reçu de nombreuses contributions très intéressantes incluant des propositions de réformes comptables, budgétaires, financières, monétaires ou relatives à la gouvernance des entreprises qui permettraient d’atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux. Nous entreprenons désormais la publication de ces contributions, chaque lundi, en attendant l’organisation d’un grand événement, en juin 2021, qui permettra de mettre en valeur ces travaux et de donner la parole à leurs auteurs. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Pour cette note, nous remercions Thomas Lagoarde-Segot et Roland Pérez pour leur relecture et commentaires. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contacts : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com, david.bourghelle@iae.univ-lille1.fr et jacques.ninet@laposte.net Télécharger le policy brief en pdf Download the policy brief as a pdf Introduction Ce policy brief examine la dynamique des marchés boursiers depuis l’apparition de la pandémie Covid-19 et son possible rôle dans l’émergence d’un « après » radicalement renouvelé. Dans la première partie, rédigée mi-février, nous évaluons la probabilité que des bulles sectorielles se soient formées, principalement mais pas uniquement sur les marchés américains. Dans la seconde nous envisageons les conséquences que pourrait avoir une crise financière majeure sur la remise en cause du modèle de croissance carbonée et fortement inégalitaire qui régit le monde occidental. 1. Bulle or not bulle ? Depuis leur chute impressionnante de février-mars 2020, provoquée par l’irruption de la pandémie, tous les marchés boursiers ont réagi de manière positive mais avec des dynamiques de rebond diverses. Si les places européennes ont tout juste regagné le terrain perdu, certaines bourses asiatiques (Japon, Taiwan, Inde) et les marchés américains sont entrées dans une phase que l’on peut qualifier d’euphorique ou exubérante au point que la question de la formation de bulles peut légitimement se poser. D’autant plus légitimement que le NYSE et le Nasdaq qui viennent de terminer en fanfare leur douzième année de hausse depuis le trou consécutif à la crise des subprimes et qui ne semblent pas vouloir en rester là, sont les marchés directeurs de la planète. Source : https://www.reuters.com/markets/us Bien qu’il n’existe aucune définition d’une bulle financière –et que la théorie financière moderne et ce qu’il est convenu d’appeler la doctrine Greenspan se refusent à en dresser le constat avant son éclatement- on peut se risquer à en dessiner quelques aspects caractéristiques. Une bulle d’actif apparaît le plus souvent comme la phase terminale d’une longue séquence haussière, phase pendant laquelle les cours de bourse s’affranchissent nettement de leurs relations habituelles avec les données économiques, micro et macro, selon une métrique bien connue (ratios de capitalisation boursière sur profits, chiffre d’affaires ou actif net, d’une part et capitalisation boursière/PIB d’autre part). C’est aussi une période pendant laquelle les rendements attendus des actifs sont de plus en plus déterminés par la plus-value escomptée à la revente et de moins en moins par les revenus courants, loyers, dividendes et coupons, dont le taux de rendement diminue à mesure que les prix s’élèvent. 1.1 Une Survalorisation des cours boursiers aux plans micro et macro-économique ? Le tableau ci-dessous dresse le constat peu discutable de forte valorisation des cours boursiers actuels. Les achats à crédits restent en ligne avec la progression des cours, loin de leur record de 2008. Ils n’en n’ont pas moins explosé en 2020 (+42% soit 235 Md USD). Source : calcul des auteurs Ainsi, par exemple, peut-on observer l’accroissement significatif, et sans commune mesure avec les épisodes de 2000/2001 et 2007/2008, de la capitalisation boursière de l’indice Wilshire 5 000[1] rapportée au PIB US (+ de 3 écart-types au-dessus de sa moyenne de long terme). https://www.longtermtrends.net/market-cap-to-gdp-the-buffett-indicator/ Enfin, les traditionnels indicateurs de valorisation à base de Price Earning Ratio (P.E.R) , de rendement ou de dividendes indiquent également des niveaux de valorisation se rapprochant dangereusement des niveaux atteints à la veille de l’éclatement de la bulle internet. Ainsi, le Shiller P/E Ratio (ou CAPE pour cyclically adjusted price to earnings), calculé sur la base de la moyenne mobile sur dix ans des bénéfices nets par action (BPA) ajustés de l’inflation se situe à environ 35, bien au-delà de sa moyenne historique de 16,7 fois et de son niveau de 32,6 observé en septembre1929. Dans ces conditions, les rendements en bénéfices et en dividendes atteignent des niveaux très proches de leurs niveaux bas historiques. https://www.multpl.com/ 1.2 Les éléments récurrents présidant à la formation des bulles Il est généralement objecté à cette analyse que les conditions monétaires qui prévalent (taux zéro ; quantitative easing) rendent les comparaisons avec les moyennes /médianes historiques non significatives. Et, surtout, que les montants gigantesques apportées par la puissance publique à l’ensemble des Agents non-financiers à travers les plans de relance successifs expliquent à la fois la résilience surprenante de l’économie américaine (par effet retour de la richesse créée par la hausse du prix des actifs) et l’engouement des (nouveaux) épargnants pour les placements à risque dans une optique de recovery générale. Face à ces arguments avancés à chaque fois que l’on prétend que ‘‘this time is different’’ une brève revue des conditions de notre époque s’impose pour vérifier leur adéquation aux six caractéristiques communes à tous les cycles bull/krach de l’histoire, tels qu’identifiés par Minsky et décrits par Kindelberger (1978)[2]. -le changement d’état : l’achèvement de la globalisation et de la numérisation de l’économie ; le monopole des GAFAM -le progrès technique à portée universelle : l’IA, les biotechnologies, la voiture propre -la complaisance générale : elle aurait été plutôt remplacée par une dichotomie entre exubérance financière et scepticisme généralisé (le niveau de la volatilité implicite des options restant plus élevé

Par Ninet J., Bourghelle D.

10 mai 2021

Une politique européenne de crédit pour l’Agenda 2030

En janvier dernier, l’Institut Rousseau s’associait au réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) et à l’Alliance PocFin (Post-Crisis Finance Research Network) pour lancer un appel à contributions, sous forme de « policy briefs », intitulé « Quelles réformes économiques et financières pour l’Agenda 2030 ? » Trois mois plus tard, nous avons reçu de nombreuses contributions très intéressantes incluant des propositions de réformes comptables, budgétaires, financières, monétaires ou relatives à la gouvernance des entreprises qui permettraient d’atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux. Nous entreprenons désormais la publication de ces contributions, chaque lundi, en attendant l’organisation d’un grand évènement, en juin 2021, qui permettra de mettre en valeur ces travaux et de donner la parole à leurs auteurs. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Pour cette note, nous remercions Mireille Martini, économiste et co-auteur avec Alain Grandjean de « Financer la transition énergétique », pour ses commentaires sur une version précédente de ce texte. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contacts : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com et denis.dupre@univ-grenoble-alpes.fr. Télécharger le Policy Brief en pdf Download the Policy Brief as a pdf 1. La financiarisation et la montée des périls systémiques Il est désormais établi que la financiarisation[1] croissante de l’économie mondiale facilite l’accélération du dérèglement du Système Terre. Comme le montre la figure 1, une simple régression linéaire entre le développement financier mondial (mesuré par le ratio M2/PIB) et les kilotonnes d’émissions de CO2 affiche un coefficient de corrélation de 0,953. De même, une régression linéaire entre la capitalisation boursière mondiale et les émissions de CO2 affiche un coefficient de corrélation de 0.960[2]. Ces données sont à interpréter dans le cadre plus large de l’évolution conjoint des indicateurs socioéconomiques et bio-géophysiques et du dérèglement du Système Terre causé par la Grande Accélération Industrielle (Steffen et.al, 2015). Figure 1. Emissions atmosphériques de CO2 et développement financier mondial, 1960-2019 (p-value 0.000) Données : Banque Mondiale, calcul Lagoarde-Segot & Martinez (2021) En dépit de l’urgence climatique, les politiques monétaires et prudentielles suivies par la plupart des Banques Centrales ces dernières années ont contribué à accroitre, plutôt qu’à inverser, cette dynamique de dérèglement systémique. Ainsi, depuis la crise financière de 2008, les banques centrales ont émis de la monnaie de réserve (que l’on appelle aussi M0 ou « base monétaire ») pour financer les États, les entreprises et les banques dans la zone euro où le financement monétaire des Etats est interdit par le mandat de la BCE. La BCE a ainsi permis à des entreprises et des banques « zombies » de survivre ; rachetant massivement les dettes privées, et sauvant au passage les investisseurs en socialisant leurs pertes. Le soutien à l’économie réelle – par le canal du crédit aux entreprises – a constitué la principale justification invoquée pour ces politiques de « quantitative easing ». Cependant, la monnaie utilisée dans les transactions économiques prend aujourd’hui principalement la forme de dépôts bancaires ; et comme l’indique la Banque d’Angleterre (2014) ainsi que la majorité des spécialistes de la monnaie, ces dépôts bancaires, convertibles sur demande en espèce, sont en grande majorité créés par le canal du crédit bancaire. Les banques n’ont pas besoin de réserves initiales pour accorder des prêts au public, puisque le système monétaire leur permet un accès continu à la monnaie de réserve (via le recours au marché interbancaire ou la facilité de prêt de la Banque Centrale)[3]. Le financement de l’économie réelle repose en réalité sur les anticipations des banques concernant l’état futur de l’économie et la robustesse des collatéraux apportés. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de constater, comme le montre la figure 1, que les milliers de milliards de monnaie de réserve injectée dans le système financier ont alimenté le développement de bulles spéculatives, tant celui des actions que de l’immobilier. Et même si une demande de financement de projets viables permettant une transition compatible en accord avec l’accord de Paris sur le Climat existait, rien ne contraint aujourd’hui les banques à y répondre. Figure 1 Base monétaire Cette dynamique monétaire et financière s’accompagne d’une forte augmentation des inégalités de revenus (ex : mal-logement pour les uns, plus-values immobilières pour les autres) qui a pour toile de fonds une montée de l’endettement privé et une désindustrialisation massive de maints pays européens. Dans ce contexte de montée des périls qui pourrait, dans le pire des cas, entrainer un effondrement de certains pays européens[4], nous appelons à prendre une série de mesures énergiques et adaptées à l’urgence de la situation. Il s’agit de planifier rapidement le financement des transitions énergétique, sanitaire, et agricole, ainsi que l‘accès aux soins et aux médicaments, pour atteindre rapidement une production locale minimale de survie des populations sur ces plans, et permettre la résilience de la société face aux chocs. Les solutions techniques les plus souvent mises en avant pour financer cet « effort de guerre » sont connues. Il faudrait soit réorienter l’épargne, soit flécher une création monétaire spéciale « transitions », soit augmenter les impôts, soit accroitre le déficit des états. L’idéal serait bien entendu un mixte des quatre solutions. Dans cette note nous présentons toutefois une cinquième piste, évoquée en détail par Lagoarde-Segot (2020). Celle-ci consiste en une ambitieuse refondation de la politique de crédit à l’échelon européen, basée sur la réintroduction de mesures ayant déjà fonctionné par le passé dans un contexte similaire, ou étant actuellement en place dans d’autres pays. Avant de détailler les mécanismes proposés, il convient néanmoins de souligner que le succès de toute politique de reconstruction écologique est conditionnel à la mise en place d’une taxonomie robuste entre le secteur « brun » et le secteur « ODD-compatible ». A ce titre, la taxonomie de l’UE pour les activités durables, norme élaborée dans le cadre du ” European Green Deal ” européenne en lien avec les engagements de l’Agenda 2030 est encore

Par Lagoarde-Segot T., Dupré D.

3 mai 2021

Comment financer la dette COVID ? Tentative de trouver une « bonne » réponse à une « mauvaise » question du point de vue de la théorie monétaire moderne (TMM)

En janvier dernier, l’Institut Rousseau s’associait au réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) et à l’Alliance PocFin (Post-Crisis Finance Research Network) pour lancer un appel à contributions, sous forme de « policy briefs », intitulé « Quelles réformes économiques et financières pour l’Agenda 2030 ? » Trois mois plus tard, nous avons reçu de nombreuses contributions très intéressantes incluant des propositions de réformes comptables, budgétaires, financières, monétaires ou relatives à la gouvernance des entreprises qui permettraient d’atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux. Nous entreprenons désormais la publication de ces contributions, chaque lundi, en attendant l’organisation d’un grand évènement, en juin 2021, qui permettra de mettre en valeur ces travaux et de donner la parole à leurs auteurs. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contact: thomas.lagoardesegot@kedgebs.com. Télécharger le pdf Download as a pdf ____   L’année 2020 a été marquée par la pandémie Covid 19 et ses conséquences économiques. En Allemagne, le déficit public et le ratio de la dette publique ont augmenté pour atteindre, selon les estimations, respectivement 5 % et 75 % du PIB, en raison de la baisse de l’activité économique. L’évolution actuelle donne également à penser que le PIB ne retrouvera pas dans les années à venir le niveau d’avant la crise de 2019. Afin de ne pas compromettre la reprise économique après la pandémie en revenant à un cours d’austérité rigide, il est maintenant particulièrement important de dire adieu aux idées fausses concernant le financement et la viabilité des déficits publics. L’indicateur de croissance du PIB devrait être remplacé par le taux de chômage, les ODD de l’Agenda 2030 et d’autres indicateurs supplémentaires sur la base de Raworth (2017). C’est la seule façon de poser les jalons d’une politique économique pour le XXIe siècle.   La mauvaise question La “question du financement” vise en fin de compte à déterminer si l’augmentation de la dette publique pourrait devenir un problème à long terme, si les gouvernements ne sont pas en mesure de rembourser la dette à l’avenir ou de la remplacer par une nouvelle dette. Cette réflexion repose essentiellement sur la théorie néoclassique, qui domine encore les manuels d’économie. Selon cette théorie, un État peut se financer en (i) percevant des impôts, (ii) en émettant des obligations d’État ou (iii) en faisant payer ses dépenses par la banque centrale. Cependant, seul le cas (i) assure un financement public durable (à long terme). Le cas (ii) peut conduire à une explosion du ratio de la dette publique si les dépenses sont trop élevées. À mesure que le ratio d’endettement augmente, les investisseurs privés exigeraient des taux d’intérêt toujours plus élevés, qui devraient être couverts par des emprunts supplémentaires. Si l’on craint l’insolvabilité, l’État ne recevra plus d’argent et l’insolvabilité serait inévitable. Le financement par la banque centrale (cas (iii)) conduirait soi-disant à une certaine hyperinflation. Or, nous savons aujourd’hui que le triplement du déficit public américain d’environ un trillion de dollars (2019) à trois trillions de dollars (2020) n’a posé aucun problème. Au deuxième trimestre 2020, le déficit public était de 27,5 %. Le taux d’intérêt sur les obligations du gouvernement américain a baissé, l’inflation est restée faible et même la valeur extérieure du dollar américain a augmenté. De toute évidence, l’augmentation de la dette publique n’a pas entraîné les problèmes redoutés par les manuels scolaires standard. Cette évolution est conforme aux idées de la Théorie monétaire moderne (MMT). Celle-ci considère le déficit public comme une variable purement statistique – c’est à dire une variable qui est le résultat de l’activité économique et qui ne devrait donc pas être une variable cible. L’État ne peut de toute façon pas contrôler directement les recettes fiscales qu’il perçoit. Lors de la pandémie de COVID-19, par exemple, celles-ci se sont avérées beaucoup plus faibles que prévu.   Théorie monétaire moderne La théorie monétaire moderne a été lancée il y a presque exactement 25 ans par l’investisseur américain et concepteur de voitures de course Warren Mosler. Son idée essentielle était qu’une monnaie moderne est un monopole d’État. Aujourd’hui, ce monopole est principalement délégué aux banques centrales (d’État), qui agissent en tant que banque de l’État. Une Banque Centrale paie les factures du gouvernement en créditant les comptes des banques privées auprès de la banque centrale, qui à leur tour créditent les bénéficiaires. Comme les banques centrales agissent en tant que créateurs de monnaie, elles ne peuvent pas du tout “financer” leurs dépenses – de l’argent frais (dépôts et soldes des banques centrales) est toujours créé lorsqu’elles dépensent pour le compte du gouvernement. Cela vaut également pour la République fédérale d’Allemagne au sein de la zone euro : la Bundesbank effectue toutes les dépenses pour le compte du gouvernement fédéral. Ce n’est qu’au niveau des règles politiques qu’un “financement” des dépenses du gouvernement peut être construit. Ainsi, le compte central du gouvernement fédéral (à la Bundesbank), qui est débité lorsque les dépenses publiques ont lieu, doit être équilibré en fin de compte. Ce compte est alimenté par les recettes fiscales et les ventes d’obligations d’État. Toutefois, il ne s’agit pas d'”argent” au sens physique du terme, mais simplement d’une note destinée à compenser les recettes et les dépenses. Si le score n’est pas négatif à la fin de la journée, la Bundesbank peut dépenser au nom du gouvernement fédéral en augmentant le compte de banque centrale d’une banque et en réduisant celui du gouvernement fédéral. D’un point de vue purement technique, cela n’est toutefois pas nécessaire de cette manière – quiconque veut augmenter une inscription au bilan ne doit évidemment pas “économiser” les chiffres qui y sont inscrits à l’avance. L’État (y compris sa banque centrale) crée sa monnaie selon ses propres règles politiques. Comme il ne promet rien de plus que d’accepter la monnaie pour le règlement des dettes fiscales et pour tous les autres paiements à l’État, il s’agit en fin de compte de crédits d’impôt

Par Ehnts D., Paetz M.

26 avril 2021

Traitement comptable d’une annulation de la dette publique détenue par une banque centrale

En janvier dernier, l’Institut Rousseau s’associait au réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) et à l’Alliance PocFin (Post-Crisis Finance Research Network) pour lancer un appel à contributions, sous forme de « policy briefs », intitulé « Quelles réformes économiques et financières pour l’Agenda 2030 ? » Trois mois plus tard, nous avons reçu de nombreuses contributions très intéressantes incluant des propositions de réformes comptables, budgétaires, financières, monétaires ou relatives à la gouvernance des entreprises qui permettraient d’atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux. Nous entreprenons désormais la publication de ces contributions, chaque lundi, en attendant l’organisation d’un grand évènement, en juin 2021, qui permettra de mettre en valeur ces travaux et de donner la parole à leurs auteurs. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Télécharger la note en pdf Download the policy brief as a pdf ____ INTRODUCTION L’appel de nombreux économistes, responsables et citoyens, à annuler tout ou partie des dettes publiques détenues par la banque centrale européenne[2] (voir https://annulation-dette-publique-bce.com/) a engendré de nombreuses objections politiques, idéologiques, juridiques et comptables. Le but de la présente note est d’aborder le traitement comptable d’une telle annulation de dettes. 1. Cadre comptable des banques centrales Le cadre de référence en matière de comptabilité des banques centrales au sein du SEBC est formé par les documents suivants : « Les finances des banques centrales», qui a été publié par la Banque des règlements internationaux[3], « Le protocole N°4 sur les statuts du système européen de banques centrales et de la banque centrale européenne » « L’orientation[4] de la Banque centrale européenne concernant le cadre juridique des procédures comptables et d’information financière dans le Système européen de banques centrales (BCE/2016/34) (2016/2249/UE) ». « Les finances des banques centrales » fournit un cadre conceptuel qui vise à harmoniser les principes et les pratiques des banques centrales à travers le monde. Sans valeur contraignante, il est le résultat des travaux d’un groupe de travail international de banquiers centraux. Dans ses conclusions, ce document souligne les éléments suivants : Le bilan d’une banque centrale ne peut pas être assimilé à celui d’une quelconque banque commerciale. « Les banques centrales ne sont pas des banques commerciales. Elles ne recherchent pas le profit et ne sont pas soumises aux mêmes contraintes financières que les établissements privés»[5]. « Les gains et les pertes de la banque centrale appartiennent à la société dans son ensemble »[6] Une banque centrale peut très bien fonctionner avec des fonds propres négatifs. « Il est loin d’être clair pour tout le monde que les fonds propres comptables d’une banque centrale peuvent être négatifs sans qu’il y ait lieu de s’alarmer »[7]. Les marchés financiers, les responsables politiques et le grand public peuvent avoir des perceptions erronées du bilan d’une banque centrale, c’est pourquoi, malgré le fait qu’elle peut fonctionner avec des fonds propres négatifs, « Il importe que la banque centrale reste financièrement indépendante »[8] C’est pourquoi « Les rétentions et les distributions d’excédents doivent être étroitement liées à un objectif de ressources financières qui soit lui-même réglé en fonction du besoin potentiel de ressources en temps de crise et les gains de réévaluation latents et les revenus tirés d’actifs particulièrement risqués ne doivent pas faire l’objet de distributions car ils ne constituent pas des bénéfices définitifs. »[9] L’objectif d’une banque centrale est de long terme, il est normal que la comptabilité déroge de manière sélective et transparente aux normes d’information financière à court terme parce que « Les banques centrales détiennent de nombreux actifs et passifs dont les variations de valeur ne sont pas pertinentes, même selon les normes internationales d’information financière (IFRS). »[10] « En matière de conventions comptables, il peut être nécessaire de s’écarter de manière sélective mais transparente des normes internationales d’information financière (IFRS). »[11]. En dernière analyse, la solidité, la solvabilité et donc la confiance dans la banque centrale et sa monnaie s’apprécient essentiellement par des éléments extérieurs tels que la confiance dans les institutions, la stabilité politique, la qualité du personnel politique, la politique économique et fiscale, la structure et la taille de l’économie, l’état des finances publiques ou … la puissance militaire. Ce sont des attributs extérieurs à la banque centrale et à la monnaie qui en fondent la confiance. « La solidité financière d’une banque centrale, en tant qu’entité autonome, peut donc renforcer sa crédibilité, particulièrement si elle se trouve affaiblie par son histoire, des dispositions institutionnelles ou le climat politique. À l’inverse, si sa crédibilité n’est pas remise en question, la solidité financière n’améliorera pas sa capacité à mener sa stratégie à bien. Il est donc extrêmement difficile de déterminer le niveau de soutien financier dont une banque centrale a besoin. »[12]. Le protocole n°4, article 26, mais surtout l’orientation de la BCE fournissent les principes et le cadre opérationnel de la comptabilité du SEBC. L’article 3, en particulier, définit les caractéristiques qualitatives de la comptabilité. Nous retiendrons ici les éléments suivants : « 1) réalité économique et transparence : les méthodes comptables et l’information financière reflètent la réalité économique, sont transparentes et sont définies dans le respect de l’intelligibilité, la pertinence, la fiabilité et la comparabilité. Les opérations sont enregistrées et présentées conformément à leur nature et à leur réalité économique, et non pas simplement à leur forme juridique » ; « 2) prudence : la valorisation des actifs et des passifs ainsi que la constatation des résultats sont effectuées avec prudence. Dans le contexte de la présente orientation, cela signifie que les plus-values latentes ne sont pas comptabilisées comme des produits dans le compte de résultat, mais enregistrées directement dans un compte de réévaluation, et que les moins-values latentes sont portées au compte de résultat en fin d’année si elles excèdent les plus-values latentes antérieures comptabilisées dans le compte de réévaluation correspondant »[13]; L’article 4 définit les principes comptables dont on retiendra particulièrement l’élément suivant : « 1) principe de continuité de l’exploitation : les comptes sont élaborés conformément au principe de continuité de l’exploitation » ; L’article 9 définit

Par Peters A.

19 avril 2021

L’« actif sans risque écologique » : un nouvel instrument financier pour une reconstruction écologique de la zone euro

En janvier dernier, l’Institut Rousseau s’associait au réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) et à l’Alliance PocFin (Post-Crisis Finance Research Network) pour lancer un appel à contributions, sous forme de « policy briefs », intitulé « Quelles réformes économiques et financières pour l’Agenda 2030 ? » Trois mois plus tard, nous avons reçu de nombreuses contributions très intéressantes incluant des propositions de réformes comptables, budgétaires, financières, monétaires ou relatives à la gouvernance des entreprises qui permettraient d’atteindre nos objectifs environnementaux et sociaux. Nous entreprenons désormais la publication de ces contributions, chaque lundi, en attendant l’organisation d’un grand évènement, en juin 2021, qui permettra de mettre en valeur ces travaux et de donner la parole à leurs auteurs. La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. ____ Télécharger la note en pdf   1. Les besoins de financement pour l’Agenda 2030 La Commission Européenne estime qu’une augmentation annuelle de 260 milliards d’euros en investissement serait requise à l’échelle européenne pour atteindre la cible climat à l’horizon 2030[3]. Il s’agit d’un chiffrage restrictif qui se focalise uniquement sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre, et ne prend pas en compte les investissements requis pour l’adaptation aux effets du dérèglement climatique (comme la montée des eaux ou les périodes de canicule), ni le coût imprévisible des d’autres phénomènes liés (telles que la perte de biodiversité). Comme le montre le graphique 1, ce coût, certes très largement sous-estimé, de la reconstruction écologique et sociale excède néanmoins les encours de monnaie fiduciaire, la valeur des titres de dette à maturité inférieure à 2 ans, la valeur des dépôts à terme inférieur à 3 mois, et la valeur des dépôts à termes dont la maturité est inférieure ou égale à 2 ans dans la zone euro. La comparaison avec les sommes projetées pour le « Green Deal » fait par ailleurs apparaitre un besoin de financement résiduel de 1600 milliards d’euros d’ici 2030. La valeur de ce « green finance gap » est équivalente à 18% de M1, 13% de M2 et 11% de M3 dans la zone euro en 2020. Figure 1 – Le « green finance gap » dans la zone euro Note: Données chiffrées en milliards d’euros. Le premier groupe d’histogrammes représente le coût de l’adaptation climatique à partir des données de la Commission Européenne. Le deuxième et le troisième groupe représentent la valeur des passifs de long terme et des agrégats monétaires de la zone euro en Janvier 2020 (Statistical Data Warehouse de la Banque Centrale Européenne). Le comblement du « green finance gap », certes indispensable, se double d’une autre problématique tout aussi essentielle. En effet, atteindre les objectifs fixés par l’Agenda 2030 implique, non seulement de réaliser les investissements d’un montant adéquat en volume, mais aussi de s’assurer que ces investissements auront l’impact requis en termes bio-géophysiques et sociaux. Ceci implique une modification qualitative des indicateurs de sélection et de suivi de ces investissements, qui devront se découpler de la notion traditionnelle de « retour sur investissement » pour prendre en compte des critères prioritairement extra-financiers. Cette nouvelle contrainte rend obsolète la conception des instruments financiers actuels, qui tendent à coordonner les activités économiques sur la base de signaux exclusivement monétaires. 2. Le mirage des « obligations vertes » Parmi les outils de financement spécifique à la finance durable ou verte, les obligations vertes ou green bonds sont aujourd’hui très médiatisées. Il est vrai que les obligations vertes ont enregistré une forte croissance sur les dernières années (les émissions 2018 et 2019 représentent à elles seules plus de 50% du total cumulé des émissions). Comme le montre la figure 2, les marchés européens, d’Amérique du Nord et d’Asie-Pacifique représentent environ 88% du total des émissions. Au sein de ces zones, les USA, la France et la Chine sont les principaux émetteurs d’obligations vertes (environ 47% des encours cumulés d’émissions), principalement via les entreprises publiques, non financières et financières. La part des souverains dans les émissions 2018 et 2019 est limitée (10 à 12% du total cumulé mais avec une croissance 2018-2019 de 85%). Les secteurs les plus contributifs et identifiés « sous-jacents » sont principalement l’énergie, le transport et les infrastructures (81% des émissions d’obligations vertes 2019). Figure 2 – Croissance 2018-2019 des encours d’émissions d’obligations vertes mondiaux par zone géographique* * La zone Amérique Latine et Caraïbes n’est pas représentée en terme de croissance 2018-2019, n’ayant pas émise de green bonds sur la période 2018 et ses émissions 2019 représentant seulement 0,7% des émissions mondiales. Données extraites et adaptées de Climate Bonds Initiative. Pourtant, deux raisons laissent à penser que le développement du marché obligataire « vert » sera insuffisant pour répondre aux exigences de transformation requises par l’Agenda 2030. Premièrement, selon les données issues de Climate Bonds Initiative, les encours mondiaux d’obligations vertes représentent, malgré leur croissance, environ 780 milliards de dollars US à la fin 2019 – soit une part infime du marché obligataire (environ 0,7%)[4]. Plus fondamentalement, une obligation verte n’engage aucune obligation en terme de résultat bio-géophysique vis-à-vis de ses investisseurs. Si le rendement financier attendu d’une obligation verte est fixé dans son prospectus, son ambition écologique et sociale est beaucoup plus floue. Une obligation verte promet de délivrer un « bénéfice environnemental » dans la « mesure du possible »[5]. Les impacts environnementaux sont certifiés par des « labels » variés, qui ne sont pas contrôlés par une organisation scientifique indépendante, mais émis ou audités/certifiés par les acteurs du marché[6]. Les méthodes d’émission, d’évaluation et de circulation de ces obligations vertes répondent donc à des critères financiers usuels (évalués en termes de rendement monétaire) plutôt que bio-géophysiques et sociaux. Ce n’est pas le moindre paradoxe, alors, qu’elles sont supposées constituer le principal vecteur de financement de la reconstruction écologique ! Opérant dans une véritable « jungle lexicale » de labels divers, et soumis à des injonctions contradictoires, le gestionnaire d’actif perd ainsi progressivement sa capacité à distinguer la réalité (l’évolution du système Terre et l’impact de son investissement sur ce

Par Revelli C., Lagoarde-Segot T.

6 avril 2021