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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Réflexion pour la mise en place d’un impôt « anti-évasion » en France

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      Réflexion pour la mise en place d’un impôt « anti-évasion » en France

      La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux.
      Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com

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      I. Problème identifié : l’absence de lutte contre l’optimisation fiscale légale, mais abusive

      Le terme optimisation fiscale peut parfois prêter à confusion. Il existe en effet deux types d’optimisation fiscale. L’une, illégale, consiste à contourner les règles des impôts en allant à l’encontre de la loi. Son coût pour les finances publiques françaises pourrait atteindre 100 milliards d’euros selon le syndicat Solidaires finances publiques[3]. L’autre, légale, consiste à jouer avec les règles fiscales en vigueur, tant en France qu’à l’étranger, afin de payer le moins d’impôt possible. Celle-ci est par nature difficile à chiffrer, puisque la frontière entre ce qui relève de l’optimisation ou non est subjective. Et ce notamment concernant les départs de contribuables à l’étranger. Comment définir si un départ à l’étranger s’est fait dans le but de payer moins d’impôt ou non ? Cela peut parfois relever d’une mosaïque de raisons, parmi lesquelles figure en bonne position le fait de pouvoir payer moins d’impôt.

      Il est donc aujourd’hui difficile pour l’administration fiscale française de récupérer les recettes qui lui échappent du fait de cette optimisation fiscale légale à l’étranger. Or, celle-ci est rendue d’autant plus facile pour les contribuables français qu’elle peut se faire au sein même de l’Union européenne, chaque pays ayant ses règles fiscales propres, alors même que la circulation des capitaux et des personnes y est libre.

      Les négociations en cours au niveau de l’OCDE et du G20, notamment concernant le projet « BEPS » ne concernent que l’impôt sur les sociétés et trainent depuis 2012, faute de pouvoir atteindre un consensus politique international. Notre conviction est donc qu’il ne faut donc pas attendre ce type d’accords internationaux pour agir. En créant un outil qui peut être mis en place de manière unilatérale par la France, nous pouvons espérer pouvoir agir vite pour endiguer ce phénomène. En outre, les autres États auraient tout intérêt à imiter la France et petit à petit, nous pouvons donc atteindre un consensus international par l’exemple. Plus aucun État n’aurait alors intérêt à pratiquer le dumping fiscal. L’harmonisation fiscale par le haut s’effectuerait donc de fait.

      L’objectif est ambitieux. Cependant, ce papier ne prétend pas proposer une solution clef en main pour régler ce fléau. Il propose un outil. Mais celui-ci devra faire l’objet d’une large concertation, notamment avec l’administration fiscale, afin de le perfectionner avant que l’on envisage sa mise en place. L’objectif ici est donc de lancer la réflexion et le débat autour de ce qui pourrait être un moyen simple et rapide de mettre fin à l’optimisation fiscale à l’étranger certes légale, mais abusive moralement tant elle diminue l’impôt payé par les contribuables les plus aisés.


      II. Analyse et constat pour la France

      a) Nos principaux outils nationaux de lutte contre l’optimisation fiscale abusive sont des dispositifs anti-abus « ciblés » qui, trop nombreux et juridiquement fragiles, rendent l’impôt illisible

      En l’état du droit actuel, notre constat est que l’État français reste insuffisamment outillé pour lutter contre l’optimisation fiscale légale mais abusive.

      Premièrement, à grands traits, son principal outil consiste en des modalités particulières de l’impôt, à savoir des dispositifs anti-abus « ciblés ». Et précisément, la complexité actuelle de certains impôts (tels l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu ou encore la TVA) s’explique notamment par les strates successives de lois fiscales accumulées, chaque fois intervenues pour combler des incertitudes juridiques ou contrer l’inventivité des juristes fiscalistes, mais bien souvent après que ces failles aient été exploitées.

      Ces mécanismes particuliers de l’impôt, qui à chaque fois ont tenté de contrer ou de limiter des abus, sont bien souvent juridiquement fragiles et peuvent ainsi contrevenir aux normes de rang constitutionnel (égalité devant l’impôt, égalité devant les charges publiques, etc.) ou plus souvent au droit de l’Union européenne (en particulier les « libertés » de circulation des capitaux et d’établissement).

      Bien qu’utiles et nécessaires, ces dispositifs anti-abus particuliers constituent toutefois une mosaïque juridique rendant les impôts très peu lisibles pour les contribuables, ce d’autant plus que celle-ci est par nature évolutive et juridiquement fragile.

       

      b) Les dispositifs « généraux » existants restent incomplets et n’ont pas pour ambition de limiter drastiquement l’optimisation fiscale

      Deuxième principal outil existant, les dispositifs anti-abus « généraux » visent surtout à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale illégales et non contre l’optimisation fiscale légale. Le plus important est celui de « l’abus de droit » fiscal (articles L. 64 et suivants du livre des procédures fiscales – LPF) qui a été mis en place dès 1941, puis progressivement étayé, et qui permet à l’administration d’écarter les actifs fictifs, recherchant une application littérale des textes détournant leur lettre et esprit, si ceux-ci ont pour seul but d’éluder ou de diminuer l’impôt normalement dû. Si ce mécanisme a été récemment renforcé (lois de finances pour 2019) par la création d’un « mini abus de droit » (article 64 A du LPF) pour les abus ayant pour but « principal » (et non « exclusif » comme l’abus de droit initial du L. 64 LPF) d’éluder ou de diminuer l’impôt dû, ces dispositifs seuls restent insuffisants et posent deux difficultés principales.

      Ces dispositifs n’ont pas pour but d’aider à une guerre généralisée contre les abus de droits fiscaux, mais s’apparentent plutôt à des frappes chirurgicales qui impliquent une charge de travail et d’analyse importante pour l’administration, la charge de la preuve reposant sur elle. Surtout, ils ne visent pas la majorité de l’optimisation fiscale qui profite d’importantes différences de fiscalité entre deux États, deux systèmes juridiques distincts.

      En outre, signalons la limite d’un autre dispositif « général » inabouti, le mécanisme des « listes noires » de paradis fiscaux (liste des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales de l’Union européenne et de la France). Celles-ci ne concernent qu’un nombre limité d’États (respectivement 12 et 13 en 2021) car l’inscription sur cette liste n’est pas automatique, mais résulte d’une décision politique – aucun pays de l’Union européenne n’y est en particulier inclus. Cette inscription résulte surtout d’un processus anti-démocratique, puisque c’est le groupe « code de conduite », l’un des groupes les plus opaques des institutions européennes qui est en charge de l’établissement de cette liste. Ceci au point que le Parlement européen a d’ailleurs indiqué publiquement « s’interroge[r] sur la capacité d’un tel groupe informel à mener à bien cette mission et sur l’opportunité de la lui avoir confiée » dans une résolution adoptée très largement le 21 janvier 2021[4]. Par ailleurs, l’inscription sur cette liste n’implique pas forcément l’application d’un régime drastique généralisé (par exemple pour l’Union européenne des mesures défensives peuvent être décidées par le Conseil des ministres ; pour la France cela n’a de conséquence que pour quelques impôts tel l’impôt sur les sociétés). 

       

      III. Proposition de solution : un « impôt anti-évasion » en France

      a) Descriptif succinct de cet « impôt anti-évasion »

      Cette proposition provient de réflexions autour des dispositifs anti-abus « ciblés » de certains impôts existants déjà dans le droit actuel, notamment ceux détaillés dans les articles 209 B et 283 A du code général des impôts qu’il s’agit ici de généraliser et d’élargir à tous les impôts.

      Le but est de limiter l’optimisation fiscale par un mécanisme simplifié et quasi automatisé, sans intervention politique, afin d’éviter les écueils des « listes noires » de paradis fiscaux. Ce mécanisme repose sur un principe simple : « l’optimisation fiscale à l’étranger ne peut excéder la moitié de l’impôt qui aurait pu être acquitté en France ». Dès qu’une opération fiscale implique une personne physique ou morale française ou s’effectue entre la France et un autre État, si la différence entre les impôts directs nationaux effectivement payés dans l’État étranger est excessivement faible par rapport à ce qui aurait été dû en France (parce que son taux est très faible ou que dans ses modalités – crédit d’impôt par exemple – il est démesurément favorable) le contribuable doit verser le solde compensatoire au Trésor public. Ce dispositif aurait pour but à court terme de limiter dans une marge acceptable cette optimisation fiscale, puis à terme et progressivement de mettre fin à toute optimisation fiscale hors de France.

      Concrètement, il s’agit de créer dans la loi française un impôt spécifique (proposition de rédaction en annexe 1) avec pour objet de lutter de manière transversale contre l’optimisation fiscale hors de France. Cet impôt d’encadrement de l’optimisation fiscale serait équivalent à une « clause de sauvegarde » générale qui concernerait tous les impôts directs nationaux[5] dus en France et leurs équivalents à l’étranger.

      Les assujettis à cet impôt seraient toutes les personnes physique ou morale domiciliées en France, ou de nationalité française, ainsi que toute personne physique ou morale domiciliée hors de France exerçant des opérations commerciales ou financières avec elle.

      Enfin, l’assiette juridique et formelle de cet impôt serait la différence d’impôt effectivement acquitté à l’étranger par rapport à la France pour ces impôts considérés. Toutefois, dans la pratique de calcul, celle-ci consisterait en toutes les opérations juridiques, économiques (en particulier financières) ou commerciales, qui constitueraient une assiette taxable en France au titre des impôts directs nationaux, et donc pourraient y donner lieu à une imposition.

      b) Bénéfices et effets attendus

      Les bénéfices attendus seraient multiples. Premièrement, cela donnerait à l’administration fiscale un mécanisme défensif permanent et pérenne de lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales. Cela leur permettrait d’atteindre des montages fiscaux ne pouvant être dénoncés au titre de l’abus de droit, comme par exemple le départ de contribuables français à l’étranger dans le but de diminuer drastiquement leur impôt sur le revenu. Cela pourrait concerner par exemple des cas ayant été récemment médiatisés :

      – les personnalités françaises (Mulliez, Arnault, Depardieu) ayant bénéficié des nombreux régimes fiscaux belges favorables (droits de succession plus avantageux qu’en France, exonération des plus-values sur actions)[6] ;
      – le régime fiscal portugais de « résident non habituel » qui constitue une optimisation de l’impôt sur le revenu (taux fixe de 20 %). Son utilisation a été dénoncée par la presse, par exemple pour l’actrice Isabelle Adjani en 2016[7].

      De la sorte, les contribuables français seraient découragés de déménager leurs opérations dans des pays à fiscalité très favorable, ce qui augmenterait mécaniquement les recettes fiscales françaises. En outre, en cas d’évasion fiscale effective importante, ce nouvel impôt permettrait de toute façon de récupérer ces recettes fiscales.

      Si cela fonctionne en France, cela pourrait encourager les principaux pays développés qui ne font pas de dumping fiscal de développer des instruments défensifs du même type. Si cette solution se répand petit à petit, les pays offrant des possibilités d’optimisation fiscale agressive se verraient découragés de le faire, cette stratégie n’étant plus « payante ».

      c) Principaux obstacles identifiés et surmontés par cette proposition

      Obstacles : Notre proposition :
      Lisibilité et simplicité : pour être comprise par les décideurs publics, les contribuables et les citoyens, une complexification du droit fiscal actuel pourrait être contre-productive. Un « impôt anti-évasion » complétant les autres impôts français, avec un principe simple : « l’optimisation fiscale à l’étranger ne peut excéder la moitié de l’impôt qui aurait pu être acquitté en France ».
      Politique – risque diplomatique – : mettre en place un régime généralisé à l’instar des « listes noires » implique une sensibilité politique avec toutes les conséquences diplomatiques en cas d’inscription d’un État sur cette liste ;

      Politique – inquiétude des contribuables – : un tel régime généralisé impliquerait que de très nombreux contribuables seraient potentiellement concernés (non pas les plus hauts potentiels fiscaux, mais un grand nombre de petits contribuables).

      Une gestion administrative dépolitisée : pas de « name and shame », l’administration devant seulement vérifier si l’optimisation fiscale reste dans les limites autorisées, et le cas échéant redresser. Ce ne sont pas les États étrangers qui sont en cause, mais leurs régimes fiscaux qui sont trop favorables ;

      Possibilité d’un seuil : pour centrer le dispositif sur les contribuables les plus prompts à l’optimisation fiscale, un seuil d’impôt dû (dizaines de milliers d’euros pour les particuliers, centaines de milliers pour les entreprises par exemple).

      Juridique – Conventions bilatérales – : toute réforme d’un impôt concerné par les nombreuses conventions fiscales bilatérales (ayant pour but d’éviter le phénomène de double imposition) auxquelles est partie la France impliquerait que celles-ci soient renégociées ; ceci impliquerait une charge de travail immense pour l’administration ;

      Juridique au regard du droit de l’Union européenne – : risque d’entrave à la liberté de circulation des capitaux et à la liberté d’établissement, avec invalidation du dispositif par la Cour de justice de l’Union européenne.

      Juridique un big bang fiscal – ? : un nouveau dispositif anti-abus généralisé pourrait impliquer de modifier de nombreux articles de loi (code général des impôts, livre des procédures fiscales).

      Cet impôt complémentaire serait :

      – hors du champ des conventions bilatérales : il ne s’agit pas de modifier les modalités de tous les impôts français pouvant faire l’objet d’une optimisation fiscale, mais d’en créer un nouveau, complémentaire, qui concerne un périmètre non traité par les conventions internationales ;

      conforme au droit de l’UE : le périmètre de contribuables proposé en première analyse ne constitue pas une entrave aux libertés de circulation des capitaux et d’établissement, durcissant uniformément le régime quelle que soit la nationalité de la personne physique ou morale considérée. (À tout le moins si un risque de contrariété existe, il pourra interpeller l’absence de dérogations suffisantes justifiées à ces « libertés » au niveau de l’UE).

      aucun changement pour le reste du droit fiscal : aucun besoin d’amender le reste du droit fiscal existant.



      d) Éléments complémentaires et modalités de mise en œuvre

      – La marge de tolérance proposée serait de 50 % au minimum. C’est-à-dire que lorsque l’impôt effectivement acquitté dans un État étranger est inférieur à la moitié de ce qui aurait dû être effectivement acquitté en France, alors le solde entre ce qui a été acquitté et ce qui l’aurait été en France doit être payé au Trésor français.

      Cette marge de tolérance peut aussi être différenciée selon les États en cause. Ainsi, les pays en voie de développement peuvent avoir par nature des taux d’imposition plus faibles que les pays riches. Il peut tout à fait être envisagé qu’automatiquement, si un pays a un PIB / habitant qui fait de lui un pays développé, même s’il est considéré comme en développement par l’ONU (PNUD), alors la marge de « tolérance » ne serait par exemple plus de 50 % mais de 33 1/3 % ou 25 % par exemple.

      Précisément, cette marge de tolérance ne doit pas être absolue, et il faut fixer l’objectif qu’à terme la fiscalité internationale entre pays équivalents soit harmonisée. Par exemple, pendant 10 ans cette marge tolérée serait de 50 % au maximum, puis de 33 1/3 % ou 25 % pour les 10 années suivantes, avant qu’il n’y ait plus de marge tolérée au bout de 30 ans. À l’issue de cette période, cela signifierait que toute différence de fiscalité par rapport aux taux en vigueur en France devrait être reversée au Trésor français par le contribuable. Si la plupart des pays mettaient en place de tels systèmes, alors tout pays pratiquant un dumping fiscal ne serait non seulement plus attractif – le contribuable devant de toute façon payer au total le même montant d’impôt que dans un pays à la fiscalité « normale » – mais cela pourrait même plutôt être vu comme un défaut, cela entrainant une certaine complexité administrative (déclaration dans le pays de résidence et dans le pays d’origine, etc.) pour in fine payer le même montant d’impôt.

      – Seuil d’imposition : pour éviter que ce mécanisme ne repose sur les petits contribuables, un seuil d’imposition pourrait être établi à un impôt théoriquement dû en France supérieur ou égal à des seuils – ici purement indicatifs – de 50 000 euros (personnes physiques) ou 100 000 euros (personne morale) par année fiscale, ce pour cibler sur le haut du spectre des contribuables.

      – Charge de la preuve reposant sur le contribuable (télé-déclarations) : si le contribuable réalise une opération qui aurait pu donner lieu à une imposition en France, mais est imposée dans un autre État, alors il doit calculer l’impôt qui serait dû en France et l’impôt dû dans cet État étranger, et justifier que la différence est inférieure ou égale à la marge de tolérance en vigueur. Si les contribuables ne respectent pas leurs obligations déclaratives et de régularisation, ce sera à l’occasion d’enquêtes fiscales qu’ils pourront faire l’objet de redressements, avec des pénalités pour non déclaration.


      Conclusion

      L’optimisation fiscale agressive représente un véritable fléau. En plus de grever les recettes publiques du fait de l’impôt ainsi éludé, elles poussent les gouvernements à diminuer toujours plus les impôts, au titre de la concurrence fiscale internationale. En outre, elle diminue drastiquement le consentement à l’impôt de la frange majoritaire de la population payant ses impôts en France qui ne voit plus pourquoi elle devrait payer des impôts alors que ceux qui ont plus de moyens qu’eux parviennent à y échapper.

      L’objectif de ce papier est donc de lancer la réflexion autour d’un outil qui pourrait permettre de limiter drastiquement l’optimisation fiscale à l’étranger, légale mais abusive moralement tant elle diminue l’impôt payé des contribuables les plus aisés. De nombreux obstacles juridiques devront être levés, le principal concernant la potentielle contrariété avec le droit européen. En outre, seule la pratique permettra de mettre en place les bornes au regard des normes constitutionnelles et européennes de la définition large que nous proposons de l’assiette taxable. Cependant, au vu du problème posé, il paraît légitime de lancer ce chantier législatif.

       

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      ANNEXE 1 :

      Proposition de rédaction :

      Créer un article 1 AA dans le code général des impôts :

      « Titre Préliminaire : lutte contre l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale abusive

      Article 1 AA

      L’impôt anti-évasion correspond à la différence, pour les seuls impôts directs dont le taux est fixé par la loi à l’échelle nationale, entre l’impôt effectivement acquitté dans un régime fiscal privilégié pour les opérations mentionnées au deuxième alinéa, et au moins la moitié de l’impôt qui aurait été acquitté pour celles-ci dans les conditions de droit commun en France.

      Toute opération juridique, économique en particulier financière ou commerciale, qui pourrait donner lieu à une imposition de toute nature en France, effectuée par toute personne physique ou morale domiciliée en France, ou de nationalité française, ainsi que toute personne physique ou morale domiciliée hors de France exerçant des opérations commerciales ou financières avec elle, n’est admise que si le débiteur effectif ou potentiel apporte la preuve que cette opération a été ou est soumise à une imposition hors de France, et si le montant d’impôt effectivement acquitté hors de France relatif à cette opération n’est pas inférieur à celui d’un régime fiscal privilégié. Si cette preuve n’est apportée, ces opérations sont considérées comme imposables au titre de l’impôt anti-évasion.

      Pour l’application du premier alinéa, ces personnes sont regardées comme étant soumises à un régime fiscal privilégié dans l’État ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si le montant d’impôt effectivement acquitté auxquelles elles sont assujetties pour la ou les opérations en litige est inférieur à au moins 50 % du montant d’impôt ou d’impôts dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France. Le seuil mentionné à l’alinéa précédent est porté à 66 ⅔ % ou 75 % pour les États dont le niveau de développement implique une convergence fiscale avec le niveau de fiscalité française, par une liste fixée au moins annuellement par décret en Conseil d’État.

      Pour l’application du deuxième alinéa, ces personnes doivent transmettre chaque année à l’administration fiscale un récapitulatif de ces opérations, de leur caractère imposable ou non à l’étranger, ainsi que le montant d’impôt acquitté correspondant hors de France, de même que le montant d’impôt auquel elles auraient été soumises si ces opérations avaient été imposées en France. Le défaut de déclaration avant le 31 décembre de l’année suivant la réalisation de ces opérations donne lieu à majoration dans les conditions prévues au 5 de l’article 1728 du code général des impôts.

      Par dérogation au deuxième alinéa, ne sont pas assujettis à l’impôt anti-évasion les personnes physiques et morales dont le montant d’impôt ou d’impôts annuel qui aurait pu être acquitté en France, au titre des opérations sus-évoquées, est inférieur à un montant fixé par arrêté du ministre du budget et qui ne peut être inférieur à 50 000 euros pour les personnes physiques et 100 000 euros pour les personnes morales. »

       

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      Références :

      [1] Conseiller politique en charge des questions économiques au Parlement Européen. Email : boris.bouzol@sciencespo.fr.

      [2] Haut fonctionnaire et magistrat. Email: arnaud.iss@sciencespo.fr.

      [3] https://solidairesfinancespubliques.org/le-syndicat/media/presse/1704-rapport-sur-la-chute-de-la-presence-du-controle-fiscal-et-du-taux-de-couverture-du-tissu-economique-et-fiscal.html

      [4] PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la réforme de la liste des paradis fiscaux de l’Union européenne (europa.eu)

      [5] Les impôts directs locaux et les impôts indirects en seraient exclus.

      [6] https://www.capital.fr/economie-politique/les-maisons-de-nos-exiles-fiscaux-en-belgique-cheres-mais-pas-toujours-sexy-1007649

      [7] https://www.mediapart.fr/journal/economie/310716/isabelle-adjani-sous-le-charme-fiscal-du-portugal

      Publié le 24 mai 2021

      Réflexion pour la mise en place d’un impôt « anti-évasion » en France

      Auteurs

      Arnaud Iss
      Diplômé de Sciences Po, de l’INALCO et de l’ENA, Arnaud Iss est haut-fonctionnaire et magistrat. Il est aussi enseignant à Sciences Po et à l’IRIS sur la civilisation, les questions de sécurité et de défense asiatiques. Il est membre du Conseil d'administration et du Conseil scientifique de l'Institut Rousseau

      Boris Bouzol-Broitman
      Conseiller politique en charge des questions économiques au Parlement Européen.

      La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux.
      Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com

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      I. Problème identifié : l’absence de lutte contre l’optimisation fiscale légale, mais abusive

      Le terme optimisation fiscale peut parfois prêter à confusion. Il existe en effet deux types d’optimisation fiscale. L’une, illégale, consiste à contourner les règles des impôts en allant à l’encontre de la loi. Son coût pour les finances publiques françaises pourrait atteindre 100 milliards d’euros selon le syndicat Solidaires finances publiques[3]. L’autre, légale, consiste à jouer avec les règles fiscales en vigueur, tant en France qu’à l’étranger, afin de payer le moins d’impôt possible. Celle-ci est par nature difficile à chiffrer, puisque la frontière entre ce qui relève de l’optimisation ou non est subjective. Et ce notamment concernant les départs de contribuables à l’étranger. Comment définir si un départ à l’étranger s’est fait dans le but de payer moins d’impôt ou non ? Cela peut parfois relever d’une mosaïque de raisons, parmi lesquelles figure en bonne position le fait de pouvoir payer moins d’impôt.

      Il est donc aujourd’hui difficile pour l’administration fiscale française de récupérer les recettes qui lui échappent du fait de cette optimisation fiscale légale à l’étranger. Or, celle-ci est rendue d’autant plus facile pour les contribuables français qu’elle peut se faire au sein même de l’Union européenne, chaque pays ayant ses règles fiscales propres, alors même que la circulation des capitaux et des personnes y est libre.

      Les négociations en cours au niveau de l’OCDE et du G20, notamment concernant le projet « BEPS » ne concernent que l’impôt sur les sociétés et trainent depuis 2012, faute de pouvoir atteindre un consensus politique international. Notre conviction est donc qu’il ne faut donc pas attendre ce type d’accords internationaux pour agir. En créant un outil qui peut être mis en place de manière unilatérale par la France, nous pouvons espérer pouvoir agir vite pour endiguer ce phénomène. En outre, les autres États auraient tout intérêt à imiter la France et petit à petit, nous pouvons donc atteindre un consensus international par l’exemple. Plus aucun État n’aurait alors intérêt à pratiquer le dumping fiscal. L’harmonisation fiscale par le haut s’effectuerait donc de fait.

      L’objectif est ambitieux. Cependant, ce papier ne prétend pas proposer une solution clef en main pour régler ce fléau. Il propose un outil. Mais celui-ci devra faire l’objet d’une large concertation, notamment avec l’administration fiscale, afin de le perfectionner avant que l’on envisage sa mise en place. L’objectif ici est donc de lancer la réflexion et le débat autour de ce qui pourrait être un moyen simple et rapide de mettre fin à l’optimisation fiscale à l’étranger certes légale, mais abusive moralement tant elle diminue l’impôt payé par les contribuables les plus aisés.


      II. Analyse et constat pour la France

      a) Nos principaux outils nationaux de lutte contre l’optimisation fiscale abusive sont des dispositifs anti-abus « ciblés » qui, trop nombreux et juridiquement fragiles, rendent l’impôt illisible

      En l’état du droit actuel, notre constat est que l’État français reste insuffisamment outillé pour lutter contre l’optimisation fiscale légale mais abusive.

      Premièrement, à grands traits, son principal outil consiste en des modalités particulières de l’impôt, à savoir des dispositifs anti-abus « ciblés ». Et précisément, la complexité actuelle de certains impôts (tels l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu ou encore la TVA) s’explique notamment par les strates successives de lois fiscales accumulées, chaque fois intervenues pour combler des incertitudes juridiques ou contrer l’inventivité des juristes fiscalistes, mais bien souvent après que ces failles aient été exploitées.

      Ces mécanismes particuliers de l’impôt, qui à chaque fois ont tenté de contrer ou de limiter des abus, sont bien souvent juridiquement fragiles et peuvent ainsi contrevenir aux normes de rang constitutionnel (égalité devant l’impôt, égalité devant les charges publiques, etc.) ou plus souvent au droit de l’Union européenne (en particulier les « libertés » de circulation des capitaux et d’établissement).

      Bien qu’utiles et nécessaires, ces dispositifs anti-abus particuliers constituent toutefois une mosaïque juridique rendant les impôts très peu lisibles pour les contribuables, ce d’autant plus que celle-ci est par nature évolutive et juridiquement fragile.

       

      b) Les dispositifs « généraux » existants restent incomplets et n’ont pas pour ambition de limiter drastiquement l’optimisation fiscale

      Deuxième principal outil existant, les dispositifs anti-abus « généraux » visent surtout à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale illégales et non contre l’optimisation fiscale légale. Le plus important est celui de « l’abus de droit » fiscal (articles L. 64 et suivants du livre des procédures fiscales – LPF) qui a été mis en place dès 1941, puis progressivement étayé, et qui permet à l’administration d’écarter les actifs fictifs, recherchant une application littérale des textes détournant leur lettre et esprit, si ceux-ci ont pour seul but d’éluder ou de diminuer l’impôt normalement dû. Si ce mécanisme a été récemment renforcé (lois de finances pour 2019) par la création d’un « mini abus de droit » (article 64 A du LPF) pour les abus ayant pour but « principal » (et non « exclusif » comme l’abus de droit initial du L. 64 LPF) d’éluder ou de diminuer l’impôt dû, ces dispositifs seuls restent insuffisants et posent deux difficultés principales.

      Ces dispositifs n’ont pas pour but d’aider à une guerre généralisée contre les abus de droits fiscaux, mais s’apparentent plutôt à des frappes chirurgicales qui impliquent une charge de travail et d’analyse importante pour l’administration, la charge de la preuve reposant sur elle. Surtout, ils ne visent pas la majorité de l’optimisation fiscale qui profite d’importantes différences de fiscalité entre deux États, deux systèmes juridiques distincts.

      En outre, signalons la limite d’un autre dispositif « général » inabouti, le mécanisme des « listes noires » de paradis fiscaux (liste des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales de l’Union européenne et de la France). Celles-ci ne concernent qu’un nombre limité d’États (respectivement 12 et 13 en 2021) car l’inscription sur cette liste n’est pas automatique, mais résulte d’une décision politique – aucun pays de l’Union européenne n’y est en particulier inclus. Cette inscription résulte surtout d’un processus anti-démocratique, puisque c’est le groupe « code de conduite », l’un des groupes les plus opaques des institutions européennes qui est en charge de l’établissement de cette liste. Ceci au point que le Parlement européen a d’ailleurs indiqué publiquement « s’interroge[r] sur la capacité d’un tel groupe informel à mener à bien cette mission et sur l’opportunité de la lui avoir confiée » dans une résolution adoptée très largement le 21 janvier 2021[4]. Par ailleurs, l’inscription sur cette liste n’implique pas forcément l’application d’un régime drastique généralisé (par exemple pour l’Union européenne des mesures défensives peuvent être décidées par le Conseil des ministres ; pour la France cela n’a de conséquence que pour quelques impôts tel l’impôt sur les sociétés). 

       

      III. Proposition de solution : un « impôt anti-évasion » en France

      a) Descriptif succinct de cet « impôt anti-évasion »

      Cette proposition provient de réflexions autour des dispositifs anti-abus « ciblés » de certains impôts existants déjà dans le droit actuel, notamment ceux détaillés dans les articles 209 B et 283 A du code général des impôts qu’il s’agit ici de généraliser et d’élargir à tous les impôts.

      Le but est de limiter l’optimisation fiscale par un mécanisme simplifié et quasi automatisé, sans intervention politique, afin d’éviter les écueils des « listes noires » de paradis fiscaux. Ce mécanisme repose sur un principe simple : « l’optimisation fiscale à l’étranger ne peut excéder la moitié de l’impôt qui aurait pu être acquitté en France ». Dès qu’une opération fiscale implique une personne physique ou morale française ou s’effectue entre la France et un autre État, si la différence entre les impôts directs nationaux effectivement payés dans l’État étranger est excessivement faible par rapport à ce qui aurait été dû en France (parce que son taux est très faible ou que dans ses modalités – crédit d’impôt par exemple – il est démesurément favorable) le contribuable doit verser le solde compensatoire au Trésor public. Ce dispositif aurait pour but à court terme de limiter dans une marge acceptable cette optimisation fiscale, puis à terme et progressivement de mettre fin à toute optimisation fiscale hors de France.

      Concrètement, il s’agit de créer dans la loi française un impôt spécifique (proposition de rédaction en annexe 1) avec pour objet de lutter de manière transversale contre l’optimisation fiscale hors de France. Cet impôt d’encadrement de l’optimisation fiscale serait équivalent à une « clause de sauvegarde » générale qui concernerait tous les impôts directs nationaux[5] dus en France et leurs équivalents à l’étranger.

      Les assujettis à cet impôt seraient toutes les personnes physique ou morale domiciliées en France, ou de nationalité française, ainsi que toute personne physique ou morale domiciliée hors de France exerçant des opérations commerciales ou financières avec elle.

      Enfin, l’assiette juridique et formelle de cet impôt serait la différence d’impôt effectivement acquitté à l’étranger par rapport à la France pour ces impôts considérés. Toutefois, dans la pratique de calcul, celle-ci consisterait en toutes les opérations juridiques, économiques (en particulier financières) ou commerciales, qui constitueraient une assiette taxable en France au titre des impôts directs nationaux, et donc pourraient y donner lieu à une imposition.

      b) Bénéfices et effets attendus

      Les bénéfices attendus seraient multiples. Premièrement, cela donnerait à l’administration fiscale un mécanisme défensif permanent et pérenne de lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales. Cela leur permettrait d’atteindre des montages fiscaux ne pouvant être dénoncés au titre de l’abus de droit, comme par exemple le départ de contribuables français à l’étranger dans le but de diminuer drastiquement leur impôt sur le revenu. Cela pourrait concerner par exemple des cas ayant été récemment médiatisés :

      – les personnalités françaises (Mulliez, Arnault, Depardieu) ayant bénéficié des nombreux régimes fiscaux belges favorables (droits de succession plus avantageux qu’en France, exonération des plus-values sur actions)[6] ;
      – le régime fiscal portugais de « résident non habituel » qui constitue une optimisation de l’impôt sur le revenu (taux fixe de 20 %). Son utilisation a été dénoncée par la presse, par exemple pour l’actrice Isabelle Adjani en 2016[7].

      De la sorte, les contribuables français seraient découragés de déménager leurs opérations dans des pays à fiscalité très favorable, ce qui augmenterait mécaniquement les recettes fiscales françaises. En outre, en cas d’évasion fiscale effective importante, ce nouvel impôt permettrait de toute façon de récupérer ces recettes fiscales.

      Si cela fonctionne en France, cela pourrait encourager les principaux pays développés qui ne font pas de dumping fiscal de développer des instruments défensifs du même type. Si cette solution se répand petit à petit, les pays offrant des possibilités d’optimisation fiscale agressive se verraient découragés de le faire, cette stratégie n’étant plus « payante ».

      c) Principaux obstacles identifiés et surmontés par cette proposition

      Obstacles : Notre proposition :
      Lisibilité et simplicité : pour être comprise par les décideurs publics, les contribuables et les citoyens, une complexification du droit fiscal actuel pourrait être contre-productive. Un « impôt anti-évasion » complétant les autres impôts français, avec un principe simple : « l’optimisation fiscale à l’étranger ne peut excéder la moitié de l’impôt qui aurait pu être acquitté en France ».
      Politique – risque diplomatique – : mettre en place un régime généralisé à l’instar des « listes noires » implique une sensibilité politique avec toutes les conséquences diplomatiques en cas d’inscription d’un État sur cette liste ;

      Politique – inquiétude des contribuables – : un tel régime généralisé impliquerait que de très nombreux contribuables seraient potentiellement concernés (non pas les plus hauts potentiels fiscaux, mais un grand nombre de petits contribuables).

      Une gestion administrative dépolitisée : pas de « name and shame », l’administration devant seulement vérifier si l’optimisation fiscale reste dans les limites autorisées, et le cas échéant redresser. Ce ne sont pas les États étrangers qui sont en cause, mais leurs régimes fiscaux qui sont trop favorables ;

      Possibilité d’un seuil : pour centrer le dispositif sur les contribuables les plus prompts à l’optimisation fiscale, un seuil d’impôt dû (dizaines de milliers d’euros pour les particuliers, centaines de milliers pour les entreprises par exemple).

      Juridique – Conventions bilatérales – : toute réforme d’un impôt concerné par les nombreuses conventions fiscales bilatérales (ayant pour but d’éviter le phénomène de double imposition) auxquelles est partie la France impliquerait que celles-ci soient renégociées ; ceci impliquerait une charge de travail immense pour l’administration ;

      Juridique au regard du droit de l’Union européenne – : risque d’entrave à la liberté de circulation des capitaux et à la liberté d’établissement, avec invalidation du dispositif par la Cour de justice de l’Union européenne.

      Juridique un big bang fiscal – ? : un nouveau dispositif anti-abus généralisé pourrait impliquer de modifier de nombreux articles de loi (code général des impôts, livre des procédures fiscales).

      Cet impôt complémentaire serait :

      – hors du champ des conventions bilatérales : il ne s’agit pas de modifier les modalités de tous les impôts français pouvant faire l’objet d’une optimisation fiscale, mais d’en créer un nouveau, complémentaire, qui concerne un périmètre non traité par les conventions internationales ;

      conforme au droit de l’UE : le périmètre de contribuables proposé en première analyse ne constitue pas une entrave aux libertés de circulation des capitaux et d’établissement, durcissant uniformément le régime quelle que soit la nationalité de la personne physique ou morale considérée. (À tout le moins si un risque de contrariété existe, il pourra interpeller l’absence de dérogations suffisantes justifiées à ces « libertés » au niveau de l’UE).

      aucun changement pour le reste du droit fiscal : aucun besoin d’amender le reste du droit fiscal existant.



      d) Éléments complémentaires et modalités de mise en œuvre

      – La marge de tolérance proposée serait de 50 % au minimum. C’est-à-dire que lorsque l’impôt effectivement acquitté dans un État étranger est inférieur à la moitié de ce qui aurait dû être effectivement acquitté en France, alors le solde entre ce qui a été acquitté et ce qui l’aurait été en France doit être payé au Trésor français.

      Cette marge de tolérance peut aussi être différenciée selon les États en cause. Ainsi, les pays en voie de développement peuvent avoir par nature des taux d’imposition plus faibles que les pays riches. Il peut tout à fait être envisagé qu’automatiquement, si un pays a un PIB / habitant qui fait de lui un pays développé, même s’il est considéré comme en développement par l’ONU (PNUD), alors la marge de « tolérance » ne serait par exemple plus de 50 % mais de 33 1/3 % ou 25 % par exemple.

      Précisément, cette marge de tolérance ne doit pas être absolue, et il faut fixer l’objectif qu’à terme la fiscalité internationale entre pays équivalents soit harmonisée. Par exemple, pendant 10 ans cette marge tolérée serait de 50 % au maximum, puis de 33 1/3 % ou 25 % pour les 10 années suivantes, avant qu’il n’y ait plus de marge tolérée au bout de 30 ans. À l’issue de cette période, cela signifierait que toute différence de fiscalité par rapport aux taux en vigueur en France devrait être reversée au Trésor français par le contribuable. Si la plupart des pays mettaient en place de tels systèmes, alors tout pays pratiquant un dumping fiscal ne serait non seulement plus attractif – le contribuable devant de toute façon payer au total le même montant d’impôt que dans un pays à la fiscalité « normale » – mais cela pourrait même plutôt être vu comme un défaut, cela entrainant une certaine complexité administrative (déclaration dans le pays de résidence et dans le pays d’origine, etc.) pour in fine payer le même montant d’impôt.

      – Seuil d’imposition : pour éviter que ce mécanisme ne repose sur les petits contribuables, un seuil d’imposition pourrait être établi à un impôt théoriquement dû en France supérieur ou égal à des seuils – ici purement indicatifs – de 50 000 euros (personnes physiques) ou 100 000 euros (personne morale) par année fiscale, ce pour cibler sur le haut du spectre des contribuables.

      – Charge de la preuve reposant sur le contribuable (télé-déclarations) : si le contribuable réalise une opération qui aurait pu donner lieu à une imposition en France, mais est imposée dans un autre État, alors il doit calculer l’impôt qui serait dû en France et l’impôt dû dans cet État étranger, et justifier que la différence est inférieure ou égale à la marge de tolérance en vigueur. Si les contribuables ne respectent pas leurs obligations déclaratives et de régularisation, ce sera à l’occasion d’enquêtes fiscales qu’ils pourront faire l’objet de redressements, avec des pénalités pour non déclaration.


      Conclusion

      L’optimisation fiscale agressive représente un véritable fléau. En plus de grever les recettes publiques du fait de l’impôt ainsi éludé, elles poussent les gouvernements à diminuer toujours plus les impôts, au titre de la concurrence fiscale internationale. En outre, elle diminue drastiquement le consentement à l’impôt de la frange majoritaire de la population payant ses impôts en France qui ne voit plus pourquoi elle devrait payer des impôts alors que ceux qui ont plus de moyens qu’eux parviennent à y échapper.

      L’objectif de ce papier est donc de lancer la réflexion autour d’un outil qui pourrait permettre de limiter drastiquement l’optimisation fiscale à l’étranger, légale mais abusive moralement tant elle diminue l’impôt payé des contribuables les plus aisés. De nombreux obstacles juridiques devront être levés, le principal concernant la potentielle contrariété avec le droit européen. En outre, seule la pratique permettra de mettre en place les bornes au regard des normes constitutionnelles et européennes de la définition large que nous proposons de l’assiette taxable. Cependant, au vu du problème posé, il paraît légitime de lancer ce chantier législatif.

       

      ____ 

       

      ANNEXE 1 :

      Proposition de rédaction :

      Créer un article 1 AA dans le code général des impôts :

      « Titre Préliminaire : lutte contre l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale abusive

      Article 1 AA

      L’impôt anti-évasion correspond à la différence, pour les seuls impôts directs dont le taux est fixé par la loi à l’échelle nationale, entre l’impôt effectivement acquitté dans un régime fiscal privilégié pour les opérations mentionnées au deuxième alinéa, et au moins la moitié de l’impôt qui aurait été acquitté pour celles-ci dans les conditions de droit commun en France.

      Toute opération juridique, économique en particulier financière ou commerciale, qui pourrait donner lieu à une imposition de toute nature en France, effectuée par toute personne physique ou morale domiciliée en France, ou de nationalité française, ainsi que toute personne physique ou morale domiciliée hors de France exerçant des opérations commerciales ou financières avec elle, n’est admise que si le débiteur effectif ou potentiel apporte la preuve que cette opération a été ou est soumise à une imposition hors de France, et si le montant d’impôt effectivement acquitté hors de France relatif à cette opération n’est pas inférieur à celui d’un régime fiscal privilégié. Si cette preuve n’est apportée, ces opérations sont considérées comme imposables au titre de l’impôt anti-évasion.

      Pour l’application du premier alinéa, ces personnes sont regardées comme étant soumises à un régime fiscal privilégié dans l’État ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si le montant d’impôt effectivement acquitté auxquelles elles sont assujetties pour la ou les opérations en litige est inférieur à au moins 50 % du montant d’impôt ou d’impôts dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France. Le seuil mentionné à l’alinéa précédent est porté à 66 ⅔ % ou 75 % pour les États dont le niveau de développement implique une convergence fiscale avec le niveau de fiscalité française, par une liste fixée au moins annuellement par décret en Conseil d’État.

      Pour l’application du deuxième alinéa, ces personnes doivent transmettre chaque année à l’administration fiscale un récapitulatif de ces opérations, de leur caractère imposable ou non à l’étranger, ainsi que le montant d’impôt acquitté correspondant hors de France, de même que le montant d’impôt auquel elles auraient été soumises si ces opérations avaient été imposées en France. Le défaut de déclaration avant le 31 décembre de l’année suivant la réalisation de ces opérations donne lieu à majoration dans les conditions prévues au 5 de l’article 1728 du code général des impôts.

      Par dérogation au deuxième alinéa, ne sont pas assujettis à l’impôt anti-évasion les personnes physiques et morales dont le montant d’impôt ou d’impôts annuel qui aurait pu être acquitté en France, au titre des opérations sus-évoquées, est inférieur à un montant fixé par arrêté du ministre du budget et qui ne peut être inférieur à 50 000 euros pour les personnes physiques et 100 000 euros pour les personnes morales. »

       

      ____ 

       

      Références :

      [1] Conseiller politique en charge des questions économiques au Parlement Européen. Email : boris.bouzol@sciencespo.fr.

      [2] Haut fonctionnaire et magistrat. Email: arnaud.iss@sciencespo.fr.

      [3] https://solidairesfinancespubliques.org/le-syndicat/media/presse/1704-rapport-sur-la-chute-de-la-presence-du-controle-fiscal-et-du-taux-de-couverture-du-tissu-economique-et-fiscal.html

      [4] PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur la réforme de la liste des paradis fiscaux de l’Union européenne (europa.eu)

      [5] Les impôts directs locaux et les impôts indirects en seraient exclus.

      [6] https://www.capital.fr/economie-politique/les-maisons-de-nos-exiles-fiscaux-en-belgique-cheres-mais-pas-toujours-sexy-1007649

      [7] https://www.mediapart.fr/journal/economie/310716/isabelle-adjani-sous-le-charme-fiscal-du-portugal

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