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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Arnaud Iss

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    Arnaud Iss

    Arnaud Iss

    Conseil d’administrationConseil scientifiqueDirecteur des études internationales et Europe

    Biographie

    Diplômé de Sciences Po, de l’INALCO et de l’ENA, Arnaud Iss est haut-fonctionnaire et magistrat. Il est aussi enseignant à Sciences Po et à l’IRIS sur la civilisation, les questions de sécurité et de défense asiatiques.

    Il est membre du Conseil d’administration et du Conseil scientifique de l’Institut Rousseau

    Notes publiées

    Réflexion pour la mise en place d’un impôt « anti-évasion » en France

    La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com Télécharger la note en pdf Download the English version as a pdf   ____    I. Problème identifié : l’absence de lutte contre l’optimisation fiscale légale, mais abusive Le terme optimisation fiscale peut parfois prêter à confusion. Il existe en effet deux types d’optimisation fiscale. L’une, illégale, consiste à contourner les règles des impôts en allant à l’encontre de la loi. Son coût pour les finances publiques françaises pourrait atteindre 100 milliards d’euros selon le syndicat Solidaires finances publiques[3]. L’autre, légale, consiste à jouer avec les règles fiscales en vigueur, tant en France qu’à l’étranger, afin de payer le moins d’impôt possible. Celle-ci est par nature difficile à chiffrer, puisque la frontière entre ce qui relève de l’optimisation ou non est subjective. Et ce notamment concernant les départs de contribuables à l’étranger. Comment définir si un départ à l’étranger s’est fait dans le but de payer moins d’impôt ou non ? Cela peut parfois relever d’une mosaïque de raisons, parmi lesquelles figure en bonne position le fait de pouvoir payer moins d’impôt. Il est donc aujourd’hui difficile pour l’administration fiscale française de récupérer les recettes qui lui échappent du fait de cette optimisation fiscale légale à l’étranger. Or, celle-ci est rendue d’autant plus facile pour les contribuables français qu’elle peut se faire au sein même de l’Union européenne, chaque pays ayant ses règles fiscales propres, alors même que la circulation des capitaux et des personnes y est libre. Les négociations en cours au niveau de l’OCDE et du G20, notamment concernant le projet « BEPS » ne concernent que l’impôt sur les sociétés et trainent depuis 2012, faute de pouvoir atteindre un consensus politique international. Notre conviction est donc qu’il ne faut donc pas attendre ce type d’accords internationaux pour agir. En créant un outil qui peut être mis en place de manière unilatérale par la France, nous pouvons espérer pouvoir agir vite pour endiguer ce phénomène. En outre, les autres États auraient tout intérêt à imiter la France et petit à petit, nous pouvons donc atteindre un consensus international par l’exemple. Plus aucun État n’aurait alors intérêt à pratiquer le dumping fiscal. L’harmonisation fiscale par le haut s’effectuerait donc de fait. L’objectif est ambitieux. Cependant, ce papier ne prétend pas proposer une solution clef en main pour régler ce fléau. Il propose un outil. Mais celui-ci devra faire l’objet d’une large concertation, notamment avec l’administration fiscale, afin de le perfectionner avant que l’on envisage sa mise en place. L’objectif ici est donc de lancer la réflexion et le débat autour de ce qui pourrait être un moyen simple et rapide de mettre fin à l’optimisation fiscale à l’étranger certes légale, mais abusive moralement tant elle diminue l’impôt payé par les contribuables les plus aisés. II. Analyse et constat pour la France a) Nos principaux outils nationaux de lutte contre l’optimisation fiscale abusive sont des dispositifs anti-abus « ciblés » qui, trop nombreux et juridiquement fragiles, rendent l’impôt illisible En l’état du droit actuel, notre constat est que l’État français reste insuffisamment outillé pour lutter contre l’optimisation fiscale légale mais abusive. Premièrement, à grands traits, son principal outil consiste en des modalités particulières de l’impôt, à savoir des dispositifs anti-abus « ciblés ». Et précisément, la complexité actuelle de certains impôts (tels l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu ou encore la TVA) s’explique notamment par les strates successives de lois fiscales accumulées, chaque fois intervenues pour combler des incertitudes juridiques ou contrer l’inventivité des juristes fiscalistes, mais bien souvent après que ces failles aient été exploitées. Ces mécanismes particuliers de l’impôt, qui à chaque fois ont tenté de contrer ou de limiter des abus, sont bien souvent juridiquement fragiles et peuvent ainsi contrevenir aux normes de rang constitutionnel (égalité devant l’impôt, égalité devant les charges publiques, etc.) ou plus souvent au droit de l’Union européenne (en particulier les « libertés » de circulation des capitaux et d’établissement). Bien qu’utiles et nécessaires, ces dispositifs anti-abus particuliers constituent toutefois une mosaïque juridique rendant les impôts très peu lisibles pour les contribuables, ce d’autant plus que celle-ci est par nature évolutive et juridiquement fragile.   b) Les dispositifs « généraux » existants restent incomplets et n’ont pas pour ambition de limiter drastiquement l’optimisation fiscale Deuxième principal outil existant, les dispositifs anti-abus « généraux » visent surtout à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale illégales et non contre l’optimisation fiscale légale. Le plus important est celui de « l’abus de droit » fiscal (articles L. 64 et suivants du livre des procédures fiscales – LPF) qui a été mis en place dès 1941, puis progressivement étayé, et qui permet à l’administration d’écarter les actifs fictifs, recherchant une application littérale des textes détournant leur lettre et esprit, si ceux-ci ont pour seul but d’éluder ou de diminuer l’impôt normalement dû. Si ce mécanisme a été récemment renforcé (lois de finances pour 2019) par la création d’un « mini abus de droit » (article 64 A du LPF) pour les abus ayant pour but « principal » (et non « exclusif » comme l’abus de droit initial du L. 64 LPF) d’éluder ou de diminuer l’impôt dû, ces dispositifs seuls restent insuffisants et posent deux difficultés principales. Ces dispositifs n’ont pas pour but d’aider à une guerre généralisée contre les abus de droits fiscaux, mais s’apparentent plutôt à des frappes chirurgicales qui impliquent une charge de travail et d’analyse importante pour l’administration, la charge de la preuve reposant sur elle. Surtout, ils ne visent pas la majorité de l’optimisation fiscale qui profite d’importantes différences de fiscalité entre deux États, deux systèmes juridiques distincts. En outre, signalons la limite d’un autre dispositif « général » inabouti, le mécanisme des « listes noires » de paradis fiscaux (liste des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales de l’Union européenne et de la France). Celles-ci ne concernent qu’un nombre limité d’États

    Par Iss A., Bouzol-Broitman B.

    24 mai 2021

    Vers un retour des irrédentismes en Europe ?

    Dans le Caucase méridional, l’Europe vient de vivre un rappel brutal à la réalité des contestations frontalières. Au Haut-Karabagh (4 400 km2 environ), de septembre à novembre, ce sont plus de 4 000 personnes qui sont mortes au combat, sans compter les civils, pour le contrôle d’un territoire grand comme un département français, déchiré entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. À l’heure de l’Espace Schengen et du cyberespace, ces guerres de conquête territoriale, ces re-délimitations de frontières nationales pourraient, pour un observateur peu attentif, sembler incongrues, voire anachroniques dans l’espace européen. Plus de 100 et 75 ans après les deux dernières guerres mondiales, déclenchées pour des litiges territoriaux, en Europe, et presque 30 ans après le démantèlement de l’URSS et de la Yougoslavie, la matérialité des frontières, le contrôle souverain de l’espace, se sont à nouveau réaffirmés dans une guerre conventionnelle. Pourtant, sans couverture médiatique, c’est à bas bruit, que les insatisfactions liées au redécoupage historique des frontières nationales ont progressivement gagné en intensité ces dernières années. Au-delà des velléités sécessionnistes et indépendantistes de certaines régions européennes telles l’Écosse, la Flandre, la Catalogne et même l’Italie du Nord (“Padanie”), qui font régulièrement l’actualité, c’est le spectre de l’irrédentisme, aux conséquences plus profondes, qui ressurgit.  L’irrédentisme, désignant initialement dès la fin du XIXe siècle l’idéologie de rattachement des terres irrédentes “non délivrées” à l’Italie nouvellement unifiée, se définit désormais comme toute volonté politique de rattachement à un État national des territoires qui lui seraient historiquement, culturellement et linguistiquement liés. Il est par ailleurs souvent question d’une ou de plusieurs minorités dans un État voisin dont on prétexte défendre les droits pour justifier l’irrédentisme. Contrairement aux indépendantismes où un territoire souhaite se détacher d’un État prédécesseur, l’irrédentisme implique un conflit international, entre deux États dont l’un souhaite s’approprier une ou des zones relevant du territoire souverain de l’autre. L’irrédentisme implique donc mécaniquement un conflit entre deux armées étatiques, deux systèmes et peuples organisés. Pour des portions limitées de territoire, pouvant même être une ville ou une zone inhabitée, ce peut donc être des moyens militaires disproportionnés qui sont engagés, avec les conséquences gravissimes qui en résultent : nombre élevés de victimes civiles et militaires, déstabilisation des États, risque d’embrasement des pays voisins. On pourrait croire que ces velléités appartiennent au romantisme et aux livres d’histoire en Europe. L’importance de cette question n’y est en effet pas nouvelle. On pourrait même dire que l’idée d’une protection des droits des minorités par la communauté internationale en est née ! En effet, la Première Guerre mondiale, mettant aux prises des nationalismes avides d’annexions territoriales, a eu pour suite et résolution temporaire plus de dix traités (parmi lesquels les fameux traités du Trianon pour la Hongrie, et de Sèvres pour la Turquie) contenant des stipulations spécifiques aux minorités de ces pays d’Europe centrale et orientale, ce pour protéger leurs droits et libertés, en particulier les libertés civiles, politiques et religieuses. Ces traités prévoyaient explicitement que la protection des minorités relevait d’une “obligation d’intérêt international”, dont le respect était placé sous la garantie de la Société des Nations, prémisse de la future Organisation des Nations unies (ONU). Les années 1920 et 1930 ont ainsi donné lieu à une activité de pétitions auprès du Conseil de la Société et même de saisine de la Cour permanente de justice (respectivement précurseurs du Conseil de sécurité de l’ONU et de la Cour internationale de Justice), et cela sans succès majeur (à l’exception notable de la résolution du conflit des îles Åland en 1921, archipel à population de culture suédoise sous souveraineté finlandaise). Toutefois, malgré cette première tentative de résolution par le droit en Europe, c’est une nouvelle fois une volonté d’expansion territoriale, l’Allemagne revendiquant un “espace vital”, qui a embrasé la deuxième guerre mondiale.  Par la suite, sous l’Europe post-Yalta, engoncée dans le pardessus de la guerre froide, ces sujets ont été relégués à un rang second, ne ressurgissant qu’avec la dislocation du bloc socialiste (URSS, Yougoslavie) à travers la question des “nationalités” et de leurs droits, et par extension, celui des minorités nationales dans des pays tiers. A ainsi été ravivé, en Europe centrale et orientale, l’intense débat au sujet des “nationalités” qui avait déjà vu s’affronter dans les années 1920 Lénine et Staline (alors commissaire du peuple aux nationalités). On notera que c’est de ces indépendances et découpages territoriaux non concertés que sont issus les principaux derniers “conflits gelés” en Europe (Haut-Karabagh, Transnistrie en Moldavie, Abkhazie et Ossétie du Sud en Géorgie, et dernièrement Donbass Louhansk et Crimée en Ukraine). De cet héritage en Europe issu de deux guerres mondiales et de l’effondrement d’États plurinationaux, les questions irrédentistes restent nombreuses, mais souvent en sourdine. Toutefois nombre d’entre elles paraissent même relever de l’anecdote. Par exemple, il n’existe actuellement pas de mouvement organisé en France pour ré-annexer les îles anglo-normandes dont Jersey et Guernesey (ce que pourrait par ailleurs regretter tout ministre du Budget français), les contentieux relatifs aux autres îles ayant en outre été tranchés par la Cour internationale de justice en 1953. D’autres mouvements irrédentistes sont aujourd’hui moins actifs, tels ceux du Sud-Tyrol, zone avec un PIB/habitant relativement élevé, demandant son rattachement à l’Autriche, ou ceux outre-Rhin remettant en cause la ligne Oder-Neisse (et le rattachement à l’Allemagne de la Poméranie orientale et de la Haute-Silésie, notamment). Le risque de réactivation du conflit nord-irlandais dans le contexte du Brexit est en revanche une préoccupation. Mais surtout, des risques réels et nouveaux se sont toutefois constitués, notamment en Europe centrale et orientale. La politique dite “néo-magyare” ou “de Grande Hongrie » poursuivie par les autorités hongroises depuis les années 2000 en est l’exemple le plus abouti. Celle-ci vise à renforcer les liens entre l’État hongrois et les populations de culture, voire d’identité hongroise, “magyare”, présentes dans des Etats voisins (principalement en Roumanie, Slovaquie, Serbie, Ukraine). L’importance, notamment numérique de ces populations s’explique par le fait que le Traité du Trianon de 1920 avait démantelé l’Empire austro-hongrois en plaçant plus d’un tiers des populations magyares dans des États successeurs où elles

    Par Iss A.

    30 novembre 2020

    L’ONU à l’épreuve de l’ascendance chinoise

    Tous les projecteurs étaient sur Xi Jinping ce lundi 18 mai alors que s’ouvrait l’Assemblée mondiale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La République populaire de Chine (RPC) y est sous des feux croisés : demande d’une enquête indépendante sur la gestion de crise du Covid-19, dénonciation d’une complaisance coupable de l’OMS à son égard, et enfin des demandes de réintégration de Taiwan – mise à l’écart de l’OMS à la demande de Pékin depuis 2017 – alors que les autorités de l’île avaient alerté précocement et mieux anticipé la pandémie. Cette âpre bataille diplomatique lève le voile sur l’influence acquise par la RPC au sein du système onusien. Jusqu’ici menés sans susciter de réactions de cette ampleur, les mouvements tactiques chinois, dignes d’un jeu d’échecs, ont été sous-estimés. Alors que les États-Unis s’en désengagent sous l’impulsion de Donald Trump, l’ONU est-elle en train de se siniser ? Mais surtout, l’ONU et ses institutions spécialisées sont-elles en capacité d’incarner un intérêt général mondial, ou encore réduites à subir la confrontation des intérêts des grandes puissances ? Il est fondamental de rappeler que bien avant l’émergence chinoise, ce sont les États-Unis, principale puissance au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, qui ont modelé et dominé le système onusien. Ils y sont incontournables au point que c’est seulement avec leur accord, et leur soutien à la résolution 2758, que la RPC a pu entrer à l’ONU en 1971 en lieu et place de Taïwan ! Depuis 1945, ils n’ont cessé d’être le premier financeur onusien. En 2019, ils contribuaient encore pour 22% de son budget général et 28% de celui des opérations de maintien de la paix (OMP), suivis par la RPC à respectivement 12 et 16%. Contrairement aux idées reçues, les États-Unis sont aussi les principaux utilisateurs du fameux “droit de veto” au Conseil de sécurité : 80 fois depuis 1971, soit presque la moitié (48%) du total depuis cette date, les membres permanents les plus conciliateurs étant la France… et la Chine, avec seulement 14 vetos chacun ! C’est surtout dans la période récente que les États-Unis ont amorcé un désengagement politique et financier de l’ONU. Leur intérêt pour le système onusien, exacerbé par la fin de la Guerre froide, puis douché en 2003 par le refus de l’ONU d’avaliser leur guerre en Irak, est désormais remis en cause par le néo-isolationnisme de Donald Trump. Sous sa présidence, les États-Unis se sont retirés en 2018 du Conseil des droits de l’homme et, pour la deuxième fois, de l’UNESCO. Cette nouvelle donne était annoncée dès son premier discours à l’Assemblée générale en 2017, où il avait évoqué le “fardeau injuste” qui pèserait budgétairement sur les États-Unis. Dont acte, leur contribution a été diminuée de 285 millions de dollars. C’est par ailleurs avec cette même arme budgétaire que Trump a sanctionné unilatéralement l’OMS en avril dernier. Ce retrait états-unien constitue donc un appel d’air pour toute autre puissance souhaitant investir la place vacante. Et c’est précisément à un tel nouveau rôle international au sein de l’ONU qu’aspire désormais la RPC, en rupture avec sa tradition diplomatique. En effet, depuis 1971, malgré son siège au Conseil de sécurité, la RPC restait au second plan, préférant se concentrer sur son développement et la stabilité de sa sous-région. Durant les deux dernières décennies de la Guerre froide, elle n’a ainsi fait usage qu’une fois de son droit de veto (contre l’adhésion du Bangladesh à l’ONU en 1972, en soutien à son allié pakistanais). Ce n’est que depuis les années 1990 qu’elle s’est directement impliquée dans les OMP, fournissant personnels civils et militaires. À noter que si, en conséquence de cet engagement renforcé, la RPC a finalement usé 11 fois du veto depuis les années 2000, elle l’a toujours fait aux côtés de la Russie, n’assumant pas (encore ?) d’agir seule. Les raisons qui poussent la Chine à renforcer sa place dans le dispositif onusien sont multiples. Du fait de son intégration dans l’économie mondialisée, elle a un intérêt direct à la préservation de la sécurité et de la stabilité internationales, en particulier pour ce qui touche aux circuits commerciaux et aux voies maritimes. Elle revendique par ailleurs depuis des décennies un attachement à une doctrine de non-ingérence dans les affaires intérieures des États, au nom du respect du principe de souveraineté. À ce titre elle s’est opposée aux “guerres humanitaires” des années 1990 de même qu’à l’interventionnisme occidental au Moyen-Orient dans la période récente. En se posant en championne de la souveraineté des États au sein de l’ONU, la Chine vise plusieurs objectifs qui sont à la fois économiques et politiques, extérieurs et intérieurs : limiter les conflits internationaux et la déstabilisation des échanges qu’ils entraînent ; s’afficher en sympathie avec les nombreux pays en développement que l’interventionnisme occidental rebute ou menace ; se prémunir elle-même vis-à-vis de toute initiative internationale qui chercherait à remettre en cause son modèle politique ou à critiquer son bilan en matière de droits de l’homme. Concernant sa sous-région, la Chine fait tout son possible à l’ONU pour affirmer et défendre ce qu’elle appelle ses “intérêts centraux” (hexin liyi, 核心利益), au premier rang desquels sa revendication de souveraineté sur l’île de Taïwan (désormais exclue ou marginalisée dans la plupart des organisations internationales) ainsi que sur des périmètres étendus en Mer de Chine méridionale et en Mer de Chine orientale. Au-delà de ces intérêts territoriaux, le système onusien permet aussi à la Chine d’influencer des normes juridiques et réglementaires internationales, de façon à favoriser par exemple la diffusion de certains aspects de son modèle de développement. Le cas de l’Union internationale des télécommunications (UIT) est exemplaire : cette agence spécialisée de l’ONU est dirigée depuis 2014 par un Chinois, Zhao Houlin, et la RPC y assume un rôle croissant dans la formulation de standards ayant trait à des domaines aussi sensibles que les protocoles Internet, la 5G ou la vidéosurveillance. De façon plus indirecte, l’ONU offre à la Chine une arène privilégiée pour cultiver ses relations bilatérales avec les

    Par Iss A., Sperber N.

    28 mai 2020

    Réflexion pour la mise en place d’un impôt « anti-évasion » en France

    La série de Policy Briefs Agenda 2030 mobilise économistes et praticiens pour identifier un agenda de réformes économiques et financières permettant d’atteindre l’Agenda 2030, aux échelons territoriaux, nationaux et supranationaux. Contact : thomas.lagoardesegot@kedgebs.com Télécharger la note en pdf Download the English version as a pdf   ____    I. Problème identifié : l’absence de lutte contre l’optimisation fiscale légale, mais abusive Le terme optimisation fiscale peut parfois prêter à confusion. Il existe en effet deux types d’optimisation fiscale. L’une, illégale, consiste à contourner les règles des impôts en allant à l’encontre de la loi. Son coût pour les finances publiques françaises pourrait atteindre 100 milliards d’euros selon le syndicat Solidaires finances publiques[3]. L’autre, légale, consiste à jouer avec les règles fiscales en vigueur, tant en France qu’à l’étranger, afin de payer le moins d’impôt possible. Celle-ci est par nature difficile à chiffrer, puisque la frontière entre ce qui relève de l’optimisation ou non est subjective. Et ce notamment concernant les départs de contribuables à l’étranger. Comment définir si un départ à l’étranger s’est fait dans le but de payer moins d’impôt ou non ? Cela peut parfois relever d’une mosaïque de raisons, parmi lesquelles figure en bonne position le fait de pouvoir payer moins d’impôt. Il est donc aujourd’hui difficile pour l’administration fiscale française de récupérer les recettes qui lui échappent du fait de cette optimisation fiscale légale à l’étranger. Or, celle-ci est rendue d’autant plus facile pour les contribuables français qu’elle peut se faire au sein même de l’Union européenne, chaque pays ayant ses règles fiscales propres, alors même que la circulation des capitaux et des personnes y est libre. Les négociations en cours au niveau de l’OCDE et du G20, notamment concernant le projet « BEPS » ne concernent que l’impôt sur les sociétés et trainent depuis 2012, faute de pouvoir atteindre un consensus politique international. Notre conviction est donc qu’il ne faut donc pas attendre ce type d’accords internationaux pour agir. En créant un outil qui peut être mis en place de manière unilatérale par la France, nous pouvons espérer pouvoir agir vite pour endiguer ce phénomène. En outre, les autres États auraient tout intérêt à imiter la France et petit à petit, nous pouvons donc atteindre un consensus international par l’exemple. Plus aucun État n’aurait alors intérêt à pratiquer le dumping fiscal. L’harmonisation fiscale par le haut s’effectuerait donc de fait. L’objectif est ambitieux. Cependant, ce papier ne prétend pas proposer une solution clef en main pour régler ce fléau. Il propose un outil. Mais celui-ci devra faire l’objet d’une large concertation, notamment avec l’administration fiscale, afin de le perfectionner avant que l’on envisage sa mise en place. L’objectif ici est donc de lancer la réflexion et le débat autour de ce qui pourrait être un moyen simple et rapide de mettre fin à l’optimisation fiscale à l’étranger certes légale, mais abusive moralement tant elle diminue l’impôt payé par les contribuables les plus aisés. II. Analyse et constat pour la France a) Nos principaux outils nationaux de lutte contre l’optimisation fiscale abusive sont des dispositifs anti-abus « ciblés » qui, trop nombreux et juridiquement fragiles, rendent l’impôt illisible En l’état du droit actuel, notre constat est que l’État français reste insuffisamment outillé pour lutter contre l’optimisation fiscale légale mais abusive. Premièrement, à grands traits, son principal outil consiste en des modalités particulières de l’impôt, à savoir des dispositifs anti-abus « ciblés ». Et précisément, la complexité actuelle de certains impôts (tels l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu ou encore la TVA) s’explique notamment par les strates successives de lois fiscales accumulées, chaque fois intervenues pour combler des incertitudes juridiques ou contrer l’inventivité des juristes fiscalistes, mais bien souvent après que ces failles aient été exploitées. Ces mécanismes particuliers de l’impôt, qui à chaque fois ont tenté de contrer ou de limiter des abus, sont bien souvent juridiquement fragiles et peuvent ainsi contrevenir aux normes de rang constitutionnel (égalité devant l’impôt, égalité devant les charges publiques, etc.) ou plus souvent au droit de l’Union européenne (en particulier les « libertés » de circulation des capitaux et d’établissement). Bien qu’utiles et nécessaires, ces dispositifs anti-abus particuliers constituent toutefois une mosaïque juridique rendant les impôts très peu lisibles pour les contribuables, ce d’autant plus que celle-ci est par nature évolutive et juridiquement fragile.   b) Les dispositifs « généraux » existants restent incomplets et n’ont pas pour ambition de limiter drastiquement l’optimisation fiscale Deuxième principal outil existant, les dispositifs anti-abus « généraux » visent surtout à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale illégales et non contre l’optimisation fiscale légale. Le plus important est celui de « l’abus de droit » fiscal (articles L. 64 et suivants du livre des procédures fiscales – LPF) qui a été mis en place dès 1941, puis progressivement étayé, et qui permet à l’administration d’écarter les actifs fictifs, recherchant une application littérale des textes détournant leur lettre et esprit, si ceux-ci ont pour seul but d’éluder ou de diminuer l’impôt normalement dû. Si ce mécanisme a été récemment renforcé (lois de finances pour 2019) par la création d’un « mini abus de droit » (article 64 A du LPF) pour les abus ayant pour but « principal » (et non « exclusif » comme l’abus de droit initial du L. 64 LPF) d’éluder ou de diminuer l’impôt dû, ces dispositifs seuls restent insuffisants et posent deux difficultés principales. Ces dispositifs n’ont pas pour but d’aider à une guerre généralisée contre les abus de droits fiscaux, mais s’apparentent plutôt à des frappes chirurgicales qui impliquent une charge de travail et d’analyse importante pour l’administration, la charge de la preuve reposant sur elle. Surtout, ils ne visent pas la majorité de l’optimisation fiscale qui profite d’importantes différences de fiscalité entre deux États, deux systèmes juridiques distincts. En outre, signalons la limite d’un autre dispositif « général » inabouti, le mécanisme des « listes noires » de paradis fiscaux (liste des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales de l’Union européenne et de la France). Celles-ci ne concernent qu’un nombre limité d’États

    Par Iss A., Bouzol-Broitman B.

    22 juin 2021

    Vers un retour des irrédentismes en Europe ?

    Dans le Caucase méridional, l’Europe vient de vivre un rappel brutal à la réalité des contestations frontalières. Au Haut-Karabagh (4 400 km2 environ), de septembre à novembre, ce sont plus de 4 000 personnes qui sont mortes au combat, sans compter les civils, pour le contrôle d’un territoire grand comme un département français, déchiré entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. À l’heure de l’Espace Schengen et du cyberespace, ces guerres de conquête territoriale, ces re-délimitations de frontières nationales pourraient, pour un observateur peu attentif, sembler incongrues, voire anachroniques dans l’espace européen. Plus de 100 et 75 ans après les deux dernières guerres mondiales, déclenchées pour des litiges territoriaux, en Europe, et presque 30 ans après le démantèlement de l’URSS et de la Yougoslavie, la matérialité des frontières, le contrôle souverain de l’espace, se sont à nouveau réaffirmés dans une guerre conventionnelle. Pourtant, sans couverture médiatique, c’est à bas bruit, que les insatisfactions liées au redécoupage historique des frontières nationales ont progressivement gagné en intensité ces dernières années. Au-delà des velléités sécessionnistes et indépendantistes de certaines régions européennes telles l’Écosse, la Flandre, la Catalogne et même l’Italie du Nord (“Padanie”), qui font régulièrement l’actualité, c’est le spectre de l’irrédentisme, aux conséquences plus profondes, qui ressurgit.  L’irrédentisme, désignant initialement dès la fin du XIXe siècle l’idéologie de rattachement des terres irrédentes “non délivrées” à l’Italie nouvellement unifiée, se définit désormais comme toute volonté politique de rattachement à un État national des territoires qui lui seraient historiquement, culturellement et linguistiquement liés. Il est par ailleurs souvent question d’une ou de plusieurs minorités dans un État voisin dont on prétexte défendre les droits pour justifier l’irrédentisme. Contrairement aux indépendantismes où un territoire souhaite se détacher d’un État prédécesseur, l’irrédentisme implique un conflit international, entre deux États dont l’un souhaite s’approprier une ou des zones relevant du territoire souverain de l’autre. L’irrédentisme implique donc mécaniquement un conflit entre deux armées étatiques, deux systèmes et peuples organisés. Pour des portions limitées de territoire, pouvant même être une ville ou une zone inhabitée, ce peut donc être des moyens militaires disproportionnés qui sont engagés, avec les conséquences gravissimes qui en résultent : nombre élevés de victimes civiles et militaires, déstabilisation des États, risque d’embrasement des pays voisins. On pourrait croire que ces velléités appartiennent au romantisme et aux livres d’histoire en Europe. L’importance de cette question n’y est en effet pas nouvelle. On pourrait même dire que l’idée d’une protection des droits des minorités par la communauté internationale en est née ! En effet, la Première Guerre mondiale, mettant aux prises des nationalismes avides d’annexions territoriales, a eu pour suite et résolution temporaire plus de dix traités (parmi lesquels les fameux traités du Trianon pour la Hongrie, et de Sèvres pour la Turquie) contenant des stipulations spécifiques aux minorités de ces pays d’Europe centrale et orientale, ce pour protéger leurs droits et libertés, en particulier les libertés civiles, politiques et religieuses. Ces traités prévoyaient explicitement que la protection des minorités relevait d’une “obligation d’intérêt international”, dont le respect était placé sous la garantie de la Société des Nations, prémisse de la future Organisation des Nations unies (ONU). Les années 1920 et 1930 ont ainsi donné lieu à une activité de pétitions auprès du Conseil de la Société et même de saisine de la Cour permanente de justice (respectivement précurseurs du Conseil de sécurité de l’ONU et de la Cour internationale de Justice), et cela sans succès majeur (à l’exception notable de la résolution du conflit des îles Åland en 1921, archipel à population de culture suédoise sous souveraineté finlandaise). Toutefois, malgré cette première tentative de résolution par le droit en Europe, c’est une nouvelle fois une volonté d’expansion territoriale, l’Allemagne revendiquant un “espace vital”, qui a embrasé la deuxième guerre mondiale.  Par la suite, sous l’Europe post-Yalta, engoncée dans le pardessus de la guerre froide, ces sujets ont été relégués à un rang second, ne ressurgissant qu’avec la dislocation du bloc socialiste (URSS, Yougoslavie) à travers la question des “nationalités” et de leurs droits, et par extension, celui des minorités nationales dans des pays tiers. A ainsi été ravivé, en Europe centrale et orientale, l’intense débat au sujet des “nationalités” qui avait déjà vu s’affronter dans les années 1920 Lénine et Staline (alors commissaire du peuple aux nationalités). On notera que c’est de ces indépendances et découpages territoriaux non concertés que sont issus les principaux derniers “conflits gelés” en Europe (Haut-Karabagh, Transnistrie en Moldavie, Abkhazie et Ossétie du Sud en Géorgie, et dernièrement Donbass Louhansk et Crimée en Ukraine). De cet héritage en Europe issu de deux guerres mondiales et de l’effondrement d’États plurinationaux, les questions irrédentistes restent nombreuses, mais souvent en sourdine. Toutefois nombre d’entre elles paraissent même relever de l’anecdote. Par exemple, il n’existe actuellement pas de mouvement organisé en France pour ré-annexer les îles anglo-normandes dont Jersey et Guernesey (ce que pourrait par ailleurs regretter tout ministre du Budget français), les contentieux relatifs aux autres îles ayant en outre été tranchés par la Cour internationale de justice en 1953. D’autres mouvements irrédentistes sont aujourd’hui moins actifs, tels ceux du Sud-Tyrol, zone avec un PIB/habitant relativement élevé, demandant son rattachement à l’Autriche, ou ceux outre-Rhin remettant en cause la ligne Oder-Neisse (et le rattachement à l’Allemagne de la Poméranie orientale et de la Haute-Silésie, notamment). Le risque de réactivation du conflit nord-irlandais dans le contexte du Brexit est en revanche une préoccupation. Mais surtout, des risques réels et nouveaux se sont toutefois constitués, notamment en Europe centrale et orientale. La politique dite “néo-magyare” ou “de Grande Hongrie » poursuivie par les autorités hongroises depuis les années 2000 en est l’exemple le plus abouti. Celle-ci vise à renforcer les liens entre l’État hongrois et les populations de culture, voire d’identité hongroise, “magyare”, présentes dans des Etats voisins (principalement en Roumanie, Slovaquie, Serbie, Ukraine). L’importance, notamment numérique de ces populations s’explique par le fait que le Traité du Trianon de 1920 avait démantelé l’Empire austro-hongrois en plaçant plus d’un tiers des populations magyares dans des États successeurs où elles

    Par Iss A.

    22 juin 2021

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