Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Think-Tank Ecologique

L’institut Rousseau traite de plusieurs domaines dont un Think-Tank écologique. En France le positionnement du ministère de l’écologie en silo parallèlement aux autres (agriculture, économie etc.) montre son inefficience. Au contraire nous positionnons l’écologie comme centrale avec l’aspect républicain pour la reconstruction en tous domaines.

Faire atterrir le grand déménagement du monde : la mobilité autrement

Pour l’historien des pandémies Patrice Bourdelais, le doublement du trafic aérien entre 2006 et 2018, avec 4,3 milliards de passagers par an, est « l’une des variables essentielles de tous les modèles épidémiologiques »[1]. Le « grand déménagement du monde », en plus d’avoir pour corollaire une explosion des émissions de gaz à effet de serre, est donc un facteur de vulnérabilité inédit. Le rythme des échanges, d’hommes comme de matières, prend de court nos défenses immunitaires et nos systèmes de santé. Transporter moins et mieux : telle est l’une des grandes orientations que devrait prendre « le monde d’après ». Il convient dès lors de dégager des pistes de politique publique réalistes visant à la transition qualitative du secteur du transport, afin de diminuer au maximum son impact environnemental, tout en favorisant l’emploi et la résilience économique de nos acteurs nationaux. Dans cette note, nous verrons quelles voies de sortie de crise sont à privilégier, au sein des secteurs spécifiques que sont les transports maritime, ferroviaire, aérien, et automobile. Ces pistes ne sont évidemment pas exhaustives et doivent être articulées avec le reste des propositions de l’Institut Rousseau. Elles doivent s’inscrire dans un mouvement de relocalisation rapide d’un ensemble de productions stratégiques, inscrit dans un effort de circularisation de l’économie. En effet, sans une baisse globale du volume de marchandises transportées, il est impossible de tenir nos objectifs climatiques. Il s’agit donc d’une condition préalable, dans le cadre d’un monde fini et d’une planète étuve. Encore une fois, et c’est la ligne conductrice de cet ensemble de propositions, il faut faire plus qualitatif et moins quantitatif. C’est d’ailleurs ce que souhaite très largement la population française, puisque 89 % de nos concitoyens souhaitent une relocalisation de l’industrie, « même si cela augmente les prix », et 87 % souhaitent un renforcement de la politique écologique[2].   I) Un secteur des transports en pleine expansion, qui est responsable d’une grande partie des émissions   Le taux d’ouverture économique, c’est-à-dire le rapport de l’activité extérieure (importations et exportations) par rapport au PIB, a triplé depuis les années 60 pour atteindre 34 % en 2007, tant en volume qu’en valeur. Il s’est replié avec la crise de 2008 puis s’est redressé pour atteindre 32 % en 2016. Derrière ces chiffres se cache une réalité physique : les capacités mondiales de transport explosent. Le nombre de navires, d’avions et autres véhicules atteint des sommets, facilitant d’autant le transit des pathogènes. Que ce soit par voie maritime, aérienne ou terrestre (sauf ferroviaire), le pétrole assure 95 % des besoins du transport de marchandises dans le monde. Dans le secteur de l’agriculture, de la sidérurgie et de l’industrie, le pétrole n’assure en revanche que de 20 % des besoins énergétiques. La consommation pétrolière du secteur du transport de marchandises a pratiquement doublé depuis 1973. En France, sur la totalité du volume des produits pétroliers importés, qui grève d’ailleurs notre balance commerciale à hauteur de 35 milliards d’euros[3], plus de la moitié se destine au secteur du transport. Conséquence logique : les transports représentent un quart des émissions mondiales de CO2 en 2016, d’après chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Les trois quarts des émissions liées au transport sont dues aux camions, bus et voitures. La route a ainsi généré 5,85 gigatonnes de CO2 en 2016, selon l’AIE. Une hausse de 77 % depuis 1990. Avec 0,91 gigatonne par an, l’avion arrive deuxième ; il est globalement responsable de 2,8 % des émissions de CO2 dans le monde[4]. En France, le secteur du transport est le plus émetteur avec 30 % des émissions de CO2, loin devant le bâtiment résidentiel et tertiaire (20 %)[5]. Ce chiffre est par ailleurs en hausse de 12 % entre 1990 et 2016, là où nos propres objectifs sont de diminuer de 31 % les émissions du secteur à l’horizon 2033[6]. Selon la Cour des comptes européenne, il sera nécessaire d’investir chaque année, entre 2021 et 2030, 1 115 milliards d’euros pour atteindre les objectifs de l’Union européenne en matière de climat. Cette somme se divise ainsi : 736 milliards d’euros dans le secteur des transports, 282 milliards dans le secteur résidentiel et dans le secteur des services, 78 milliards dans les réseaux et la production énergétique et 19 milliards d’euros dans l’industrie. On voit que le transport est de loin le secteur le plus gourmand en capital. L’effort est de fait particulièrement intense en termes d’adaptation des infrastructures publiques, d’aménagement du territoire et d’acquisition de matériel. Un ensemble d’activités qui doivent être au coeur d’une politique de relance après la crise si la puissance publique se donne les moyens d’un plan de relance ambitieux et articulé à nos impératifs climatiques. Une précédente note de l’Institut Rousseau propose d’ailleurs un ensemble d’outils simples et efficaces pour financer cette reconstruction écologique[7], laissant le décideur public seul face à sa volonté. II) Le transport maritime : redimensionner la flotte mondiale tout en la rendant neutre en carbone   Le secteur maritime est de loin le vecteur le plus déterminant dans l’essor de la mondialisation. Chaque année, le volume de marchandises transporté avoisine les 10 milliards de tonnes, soit une moyenne de 1,3 tonne pour chaque être humain. C’est cinq fois plus qu’il y a cinquante ans. Aujourd’hui, près de 50 000 navires de commerce sillonnent les eaux du monde. Le caractère pléthorique de la flotte de commerce actuelle est aussi son talon d’Achille. La crise de 2008 a plongé l’industrie du transport maritime dans un profond désarroi. Il y a aujourd’hui trop de navires pour trop peu de marchandises à transporter, surtout depuis que la Chine s’est recentrée sur son marché intérieur (elle représente à elle seule 40 % des importations mondiales par voie maritime). Cette surcapacité, conjuguée à la baisse des tarifs de fret et à la pression de la concurrence, a débouché sur des guerres de prix acharnées. Dans ces conditions, de nombreuses compagnies maritimes ne parviennent plus ni à couvrir leurs frais d’exploitation ni à rembourser leurs emprunts. Il est fort probable qu’avec la crise que nous traversons et la potentielle course à la relocalisation qui s’en suivra, beaucoup d’armateurs devront stopper leur activité ou amorcer un

Par Gilbert P.

25 mai 2020

Mettre la politique commerciale au service de l’autonomie stratégique, du climat et de l’emploi

La politique commerciale, que nous avons mise en commun avec le reste des pays européens, permet de fixer des régulations aux échanges avec le reste du monde. Elle pourrait être un levier puissant pour reconstruire notre autonomie stratégique après la crise, créer de l’emploi et exporter des normes environnementales ambitieuses, pourvu qu’on l’utilise à dessein. I. La pandémie de COVID-19 bouleverse le commerce international et pourrait enfin nous pousser à changer notre politique commerciale   1. La pandémie de COVID-19 freine le commerce international et pourrait entraîner une recomposition des chaînes de valeurs mondiales   La pandémie de COVID-19 a considérablement affecté le commerce international qui pourrait reculer de – 32 % en 2020[1], selon les premières projections de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour cause : des industries à l’arrêt, qui enrayent les chaînes de valeurs mondiales passablement fragmentées, des frontières fermées, des transports au ralenti, des pays qui préfèrent stocker leurs marchandises stratégiques (produits alimentaires, équipement médical) plutôt que de les exporter. Les secteurs les plus touchés sont, mis à part le tourisme, ceux qui sont les plus intégrés aux chaînes de valeurs internationales. Pour ces secteurs, les difficultés d’approvisionnement questionnent avec force la pertinence du modèle actuel des chaînes de valeur mondiales, basé sur une fragmentation de la production industrielle impliquant une multitude d’acteurs ultra-spécialisés (les « maillons » de la chaîne) dans plusieurs régions du monde. Un iPhone de la firme Apple est conçu aux États-Unis par des équipes de recherche et développement, ses composants sont produits en Corée et en Europe puis assemblés en Chine. On critique depuis longtemps l’éclatement des chaînes de valeur à travers le globe. Il a un impact nuisible sur l’environnement notamment via la multiplication des transports, provoque des destructions d’emplois au gré des délocalisations[2], construit une hyper-division du travail qui conduit à une perte de sens et de qualité de l’emploi pour des salariés qui ne voient jamais un produit fini, accroît la propagation des chocs économiques dès lors qu’un maillon de la chaîne de valeur fait défaut. La mondialisation économique exacerbée accroît les inégalités sociales. Elle entretient un ressentiment chez les classes moyennes et populaires occidentales fragilisées, exploité par des dirigeants aux discours simplistes et autoritaires[3]. Certains justifiaient encore l’éclatement des chaînes de valeurs à travers le monde par l’optimisation des coûts qui en résultait – bien que le coût des externalités négatives pour l’environnement ou pour l’emploi n’était pas pris en compte – et le bénéfice qu’elle représentait pour le consommateur, ou encore l’émergence économique des pays en développement. Ce n’est plus le cas. Plus la chaîne de valeur est sophistiquée, plus grande est sa vulnérabilité. 94% des 1000 plus grandes entreprises américaines ont vu leur chaîne d’approvisionnement perturbée par le COVID-19 dès le mois de février[4]. Les acteurs économiques intègrent d’ores et déjà à leurs coûts de nombreux nouveaux risques : celui d’une défaillance d’un maillon de la chaîne de valeur, d’une épidémie, de la montée du protectionnisme dans un contexte de recrudescence des tensions commerciales ces dernières années… Dans ce contexte, il n’est pas certain que concevoir un produit aux États-Unis, le faire produire en Corée du Sud puis assembler en Chine avant qu’il soit consommé en Europe soit aussi profitable qu’avant. On peut s’attendre à une régionalisation des chaînes de valeur autour des marchés de consommation finaux (Europe, États-Unis-Canada, Japon-Corée-Chine). Notre politique commerciale doit guider cette recomposition.   2. Elle doit nous permettre (enfin) de repenser notre politique commerciale   En 2008, le refus du protectionnisme est clairement affirmé dès l’aube de la crise. Les pays du G20 s’étaient rapidement entendus pour « rejeter le protectionnisme » et s’abstenir « d’ériger de nouvelles barrières à l’investissement ou au commerce des biens et des services, d’imposer des nouvelles restrictions ou de mettre en œuvre des mesures de stimulation des exportations contraires aux règles de l’OMC »[5]. Ce refus était présenté comme un moyen pour les principales économies de limiter l’impact de la crise et d’accélérer la reprise. Ses défenseurs s’en référaient aux mesures protectionnistes mises en œuvre peu après la crise de 1929 et plus tard pointées comme un facteur aggravant de la grande dépression. Depuis, le consensus économique en Occident a tangué. Les effets néfastes du commerce international sur l’emploi dans les vieilles nations industrielles ont été démontrés par de nombreux économistes, brisant l’apparence d’unanimité en faveur du libre-échange qui semblait régner au sein de la profession. Il y a eu le Brexit et l’élection de Donald Trump. Celle-ci a été le point de départ de fortes tensions commerciales (entre les États-Unis et la Chine, mais aussi entre les États-Unis et l’Europe) qui ont achevé d’annihiler la confiance en un système multilatéral coopératif. La pandémie de COVID-19 arrive dans un contexte radicalement différent de celui de 2008 et offre – malgré tout – une opportunité pour tous ceux qui, depuis de nombreuses années, appellent à freiner le libre-échange, notamment en le soumettant à des normes environnementales et sociales strictes.   II. La refonte de notre politique commerciale européenne se heurte à une culture libre-échangiste et un éclatement des préférences européennes, qui découle notamment de la divergence des intérêts économiques des États membres de l’UE vis-à-vis du reste du monde 1. Une culture libre-échangiste ancrée dans les traités et dans les préférences politiques de nombreux États membres   La politique commerciale européenne, pendant du marché intérieur et de l’union douanière, est formulée conjointement par la Commission européenne (qui négocie avec les États tiers) et les États membres (qui établissent le mandat de négociation donné à la Commission et ratifient les accords commerciaux). Les objectifs qui lui sont fixés par les traités[6] sont tout droit sortis du consensus de Washington, qui accéléra la mondialisation libérale à compter des années 1990. La politique commerciale commune doit contribuer « dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres ». Ces objectifs ont guidé une politique commerciale commune fortement libre-échangiste et très peu

Par Ridel C.

22 mai 2020

Vers un « Nouvel ordre écologique international »

Nous disposons d’une longue histoire de négociations et de propositions qui ont taché d’imposer une autre forme de gouvernance économique internationale. Le projet de « Nouvel ordre économique international » porté dans les années 1960-1970 par les pays du Sud, avec l’appui de la CNUCED, cherchait par exemple à réguler les flux commerciaux, encadrer les entreprises multinationales, ou encore relocaliser certains secteurs industriels. Ces projets ont aujourd’hui un héritage riche, comme celui de la CNUCED de « Global green new deal », que cette note propose de remettre à l’agenda. On revient d’abord sur la vulnérabilité financière des États avant la crise, en particulier au Sud, et on propose à la fois de dégager des marges de manœuvre financière à court terme, et de rouvrir les négociations quant à un mécanisme international de restructuration des dettes, qui permettrait de réduire la vulnérabilité des États à long terme (la question des droits de tirage spéciaux est abordée dans une autre note). On propose ensuite de s’intéresser à l’histoire de l’assistance technique multilatérale pour financer à court terme une expertise qui accompagnerait les États dans la réponse à la crise sanitaire, notamment par la relocalisation de certaines productions, ainsi que de mettre en place une véritable expertise dans l’appui à la transition écologique. Enfin, on ouvre plus largement les possibilités de réformes, en s’appuyant tout à la fois sur le projet de la CNUCED de « Global green new deal » que sur une réforme des statuts du FMI.   Introduction   À la veille de la pandémie, les acteurs de la société civile et les acteurs multilatéraux qui suivent les questions de gouvernance économique internationale pointaient déjà tout à la fois la vulnérabilité des États, en particulier au Sud, et la nécessité d’initier une réforme de cette gouvernance pour s’engager dans la transition écologique. L’organisation Bretton Woods project profitait ainsi en 2019 des 75 ans de l’acte de naissance du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Internationale de Reconstruction et de Développement (BIRD) – plus simplement la Banque mondiale – pour revenir sur le « rôle des institutions de Bretton Woods dans la crise actuelle du multilatéralisme, qui affaiblissent structurellement la gouvernance démocratique et les droits de l’homme, tout en détruisant l’environnement ». Elle mettait en avant l’émergence de mouvement de contestation de leurs politiques au Sud, en particulier en ce qui concerne l’extraction des ressources [1]. En parallèle, la CNUCED – Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement – publiait son rapport annuel sous le titre « Financing a global green new deal », dans lequel, tout en soulignant la vulnérabilité financière des pays du Sud, elle proposait une feuille de route pour s’engager dans une transition écologique à l’échelle globale [2]. Si la crise actuelle accélère le besoin de reconstruire une gouvernance économique internationale plus démocratique et tournée vers la transition écologique, un certain nombre d’acteurs ont donc déjà largement posé les bases d’un tel projet. En ce sens, l’objectif de cette note n’est pas tant de proposer un ensemble de nouvelles réformes que de montrer dans un premier temps en quoi l’histoire des organisations multilatérales regorge de pistes pour reconstruire une véritable alternative à moyen et long termes. La référence à la conférence de Bretton Woods est bien sûr incontournable. Quelques mois après l’adoption du programme du Conseil National de la Résistance, en 1944, la fondation de la Banque mondiale et du FMI établissait une nouvelle forme de gouvernance internationale, supposée capable d’affronter les crises, et donnait aux États les moyens de se « reconstruire ». Mais Bretton Woods reste marqué par un ordre colonial et donc anti-démocratique, mis en place pour poursuivre un objectif de croissance économique sans aucune préoccupation environnementale. Ce n’est donc non pas tant dans les origines de ce mécanisme qu’il faut puiser, mais dans ses critiques, qui ont structuré depuis les années 1960 la réflexion sur un multilatéralisme plus juste pour les pays du Sud, et qui réencastre l’économie globale dans les projets politiques, sociaux et environnementaux portés par les différents États. Sur ce point, c’est la référence au Nouvel ordre économique international qui s’avère incontournable. Dans les années 1960-1970, ce sont en effet les pays du Sud qui ont cherché à imposer une réforme majeure, en faisant foisonner les projets juridiques et institutionnels pour réguler les flux commerciaux, encadrer les entreprises multinationales, relocaliser certains secteurs industriels ou encore encadrer l’extraction des ressources naturelles par des mécanismes juridiques plus justes. Nous reprenons ainsi cette référence avec l’idée de Nouvel ordre écologique international, car ce projet incarnait un refus de l’ordre néolibéral qui s’installait alors, tout en proposant des formes d’action publique transnationale plus démocratiques, substituant à la logique eurocentrique et post-coloniale du « développement » un projet économique structurellement plus égalitaire pour les pays du Sud. Sans pour autant avoir directement traité la question de la transition écologique, la radicalité de ce projet en termes de réencastrement de la sphère économique dans la sphère sociale en fait un point de départ particulièrement riche pour penser l’alternative écologique à une échelle globale. Si ce projet a été consciencieusement mis en échec par les puissances occidentales, il a néanmoins été porté par une majorité des pays dans le monde, le plus souvent avec l’expertise d’une organisation toujours très active : la CNUCED. Depuis sa création en 1964, l’organisation onusienne a été un véritable laboratoire de construction d’alternatives économiques, au sein duquel les pays du Sud étaient considérés comme bien plus que de simple débiteurs enjoints d’adopter à marche forcée les réformes d’ajustement structurel qui font aujourd’hui la faiblesse de leurs systèmes de santé. Comme l’a montré récemment Quinn Slobodian dans son travail sur l’histoire du néolibéralisme, la CNUCED a même été un temps considérée comme une anti-OMC qui faisait barrage au projet néolibéral [3]. En proposant des pistes de réformes, cette note s’appuie donc largement sur les travaux de la CNUCED, pour participer à sa réhabilitation dans les réformes à venir. Alors que la question des droits de tirages spéciaux est abordée dans une autre note, on essaie

Par Deforge Q.

3 mai 2020

Droits de Tirage Spéciaux, Covid-19 et environnement : The time is now, the question is how ?

Comme dans bon nombre d’autres domaines, la pandémie de Covid-19 a agi comme un révélateur des fragilités préexistantes du système monétaire et financier international (SMI). Depuis les années 1980, le cycle financier, guidé par les grandes institutions financières internationales, a déterminé les dynamiques économiques du régime de croissance financiarisé [1]. Ce régime se caractérise par une succession de survalorisations d’actifs et d’emballements du crédit créant une croissance sous hormones, survalorisations suivies régulièrement de crises systémiques toujours plus massives, à l’image de celle de 2008. Le cycle financier a ainsi offert aux économies développées une échappatoire facile mais fragile à la menace de « stagnation séculaire » dont elles n’ont par ailleurs pas encore trouvé l’issue, tout en faisant porter une bonne partie des coûts sociaux et écologiques des crises sur les populations les plus faibles du globe. Table des matières I. La triple crise des pays émergents et en développement II. Des filets de sécurité financiers ébranlés, une dépendance problématique au dollar. III. DTS, the time is now IV. The question is how V. Monnaie internationale et limites planétaires   I. La triple crise des pays émergents et en développement À cet égard, la pandémie de Covid-19 intervient à un moment où les indicateurs de volatilité financière (tels que mesurés par le VIX par exemple) étaient revenus à leur plus haut niveau depuis 2009, de sorte que la combinaison de ces fragilités prêtes à imploser et de la pandémie a immédiatement créé un effet de système massif. Le retournement brutal des flux de capitaux, qui avaient afflué ces dernières années dans les pays émergents et dans les pays en développement, à la recherche de rendements, a été particulièrement massif dans les dernières semaines. Totalement étrangers à la crise du Covid-19, les pays émergents ont pourtant vu littéralement fondre, en quelques jours, leur déjà faible autonomie financière, le prix des matières premières dont dépend l’essentiel de leurs ressources fiscales, en même temps qu’ils ont vu surgir pour eux-mêmes la menace de la pandémie [2]. C’est ainsi bien une triple crise en puissance à laquelle sont confrontés les pays émergents et en développement. Les fuites de capitaux d’abord, qui ont atteint une centaine de milliards de dollars depuis le début de la pandémie alors qu’elles s’étaient limitées à l’occasion de la crise de 2008 à une trentaine de milliards de dollars. La chute induite des taux de change des pays émergents et des pays en développement (entre 5 et 25 % de perte par rapport au dollar) surenchérit l’accès aux devises étrangères, et notamment au dollar et à l’euro, que ce soit pour les importations ou le remboursement de crédits dans ces monnaies avec des risques de défauts très fortement accrus. La chute des cours des matières premières ensuite (37% en moyenne à ce jour), et du pétrole en particulier, réduit encore l’espace d’autonomie politique de ces pays pour faire face à la crise. Enfin, la crise sanitaire pourrait générer des dégâts considérables dans des pays qui ont jusqu’à récemment encore suivi les recettes du consensus de Washington, réduisant tout ce qui pouvait ressembler à des dépenses publiques ou des services publics. Face à cette triple crise, les filets de sécurité financiers existants, ce que l’on appelle plus généralement le système monétaire international, s’avèrent bien trop faibles pour endiguer la crise.   II. Des filets de sécurité financiers ébranlés, une dépendance problématique au dollar Pour faire face aux besoins urgents en devises, de nombreux pays (plus de 90 à l’heure où nous écrivons) ont d’ores et déjà demandé de bénéficier de facilités de financement du FMI. Sans conditionnalité pour les pays présentant une situation d’endettement jugée soutenable, ces facilités d’urgence sont limitées en volume (100 milliards de dollars au total). Les programmes plus conséquents de prêts du FMI supposent quant à eux des conditionnalités lourdes de réformes dites structurelles, co-responsables des conditions sanitaires déplorables de nombreux pays aujourd’hui candidats. De nombreux pays émergents sont ainsi traumatisés par leur dernière expérience de tels prêts (Algérie, Argentine…) et pourraient reculer le plus longtemps possible devant cette éventualité. De leur côté, les États-Unis, via leur réserve fédérale (Fed), ont déployé un arsenal de lignes d’échanges de devises (« swap lines ») avec les banques centrales de pays « amis », permettant de fournir directement à ces pays des dollars en échange de leur propre devise. Le Brésil et le Mexique sont les principaux pays émergents concernés. Au-delà de ces swap lines, une facilité « repo » a été également ouverte pour permettre à un plus grand nombre de pays de troquer leurs bons du Trésor américain contre des dollars. Des discussions sont enfin ouvertes sur la possibilité d’une ligne d’échanges de devises entre le FMI et la Fed. Malgré ces avancées, les insuffisances de ce système apparaissent au grand jour : la conditionnalité des prêts liée à des fondamentaux macroéconomiques « solides », qui exclut de nombreux pays en nécessité impérieuse de soutien tels que l’Argentine ou le Soudan ; la limitation des quantités émises par rapport aux enjeux, alors que la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (UNCTAD) [3] évalue les besoins immédiats des pays émergents et des pays en développements à 2500 milliards de dollars ; le choix politique des pays bénéficiaires par la puissance hégémonique, directement dans le cas des interventions de la Fed (l’Inde, la Turquie, la Thaïlande ou l’Afrique du Sud ne font pour l’instant pas partie des pays bénéficiaires de « swap lines »), indirectement via le jeu des quotes-parts au sein du FMI. Plus fondamentalement, la confiance dans la devise clé, le dollar américain, pourrait être ébranlée par la gestion même de la pandémie par les États-Unis, la tendance de l’administration actuelle à prioriser absolument les intérêts américains au détriment systématique du multilatéralisme, et les dépenses intérieures titanesques engagées pour limiter les impacts de la crise [4]. Les tensions géopolitiques générées par ce moment de flottement des responsabilités internationales semblent repousser toute action majeure sur les dettes des pays en développement. Même si le G20 reporte fort heureusement les paiements d’intérêts des dettes pour l’année 2020 (qui

Par Espagne É.

3 mai 2020

Comment financer une politique ambitieuse de reconstruction écologique ?

Si l’importance cruciale de la reconstruction écologique de nos sociétés n’est plus à démontrer et fait l’objet d’un large consensus, son ampleur, son financement et les modalités de sa mise en œuvre demeurent très largement discutés, ce qui en fait un objet politique de toute première importance. Une véritable reconstruction écologique suppose en effet des moyens financiers importants, difficiles à mobiliser sans une action déterminée de l’État, des banques centrales et des institutions financières publiques afin de compenser ce que le marché seul ne pourra pas réaliser. Une telle action ne peut que reposer sur une vision différente de la politique monétaire et budgétaire sur les plans théorique et pratique. Cette note propose des solutions concrètes pour parvenir à un financement adéquat de la reconstruction écologique, en distinguant ce qui peut être effectué dans le cadre juridique et financier européen actuel et ce qui pourrait être obtenu en allant au-delà de ce cadre. Elle insiste également sur la différence d’ambition entre le Green deal présenté aujourd’hui au niveau européen et le Green New Deal tel qu’il est souhaité par de nombreux acteurs.   Introduction   La reconstruction écologique de nos sociétés est un impératif pour notre survie et une chance à saisir dans l’histoire du progrès humain. Nous le savons : la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère est aujourd’hui d’environ 415 parties par million (ppm), soit un niveau inédit dans toute l’histoire de l’humanité. La dernière fois qu’un niveau similaire avait été atteint, c’était il y a trois millions d’années, alors que les températures étaient 3 à 4°C plus élevées. Le niveau des océans était alors de 15 mètres plus élevé qu’aujourd’hui, une réalité que nous pourrions de nouveau connaître au XXIIe siècle à trajectoire constante. Cette atteinte à la planète se double d’une atteinte à la vie : la sixième extinction de masse devient une réalité puisque nous avons perdu 60% des effectifs d’animaux sauvages de la planète en moins d’un demi-siècle, soit un rythme cent à mille fois supérieur au taux naturel de disparition des espèces. Éclairés par ce que la science du climat nous permet de comprendre de notre avenir et des conséquences de notre action, nous voici également placés devant l’opportunité de repenser en profondeur notre manière d’habiter la Terre, en décarbonant notre production d’énergie, nos modes de transports et d’habitation, en protégeant la biodiversité et en nous donnant les moyens de bâtir une économie circulaire digne de ce nom. En effet, les périodes de crise, comme les périodes de guerre ou de reconstruction, ont cet avantage qu’elles peuvent nous permettre de dépasser les frilosités idéologiques et l’inertie de l’habitude pour mettre en place de nouveaux modèles de société et retrouver ainsi la voie démocratique du progrès social, qui, sans ce changement de cap, est rendu impossible par la dégradation du milieu duquel nous dépendons pour toute notre économie. Toutefois, la multiplication des discours écologistes contraste de plus en plus avec la faiblesse des propositions, des mesures avancées et des résultats obtenus. En effet, financer un « Green New Deal », c’est-à-dire un vaste programme de reconstruction écologique qui inclut une dimension sociale et permette un véritable découplage entre l’amélioration de la qualité de vie de toutes et de tous et l’utilisation de ressources naturelles non renouvelables, suppose de mobiliser des moyens humains et financiers significatifs. Or, malgré quelques mécanismes d’incitation plus ou moins efficaces, la sphère financière et le secteur privé s’avèrent très largement incapables de financer et d’organiser seuls l’effort de reconstruction écologique et de s’imposer les cadres réglementaires nécessaires. L’objet de cette note est donc d’abord de rappeler le contenu et les enjeux financiers d’un véritable programme de reconstruction écologique, ainsi que les obstacles institutionnels et politiques qui s’opposent à leur réalisation et les limites de ce que peut réaliser le « marché », livré à lui-même, dont on attend tout aujourd’hui. Elle propose ensuite des solutions financières concrètes pour dépasser ces contraintes afin de créer les conditions de mise en œuvre d’un réel programme de reconstruction écologique en France et en Europe.     Table des matières I. Il n’y aura pas de reconstruction écologique sans investissement massif et sans rupture avec les dogmes existants. A. Un plan de reconstruction écologique suppose d’investir des sommes significatives qui constituent une opportunité de renouer avec le progrès. B. Le secteur privé ne pourra pas répondre seul au défi de la reconstruction écologique. C. « Green Deal » vs « Green New Deal » : distinguer deux niveaux d’ambition. II. Passer la première et financer une véritable reconstruction écologique A. Il existe des marges de manœuvre importantes qui ne sont pas exploitées dans le cadre juridique actuel 1) Identifier ce qui est bon pour la reconstruction écologique pour guider les investissements. 2) Utiliser le levier fiscal et celui de la commande publique dans un souci d’efficacité et de justice 3) Utiliser les Banques publiques d’investissement pour investir rapidement. 4) Mobiliser l’épargne des Français. B. Des actions non conventionnelles peuvent être défendues à la frontière de ce qu’autorisent les Traités 1) Remettre en cause la « neutralité » de la politique monétaire pour agir en faveur du climat et de la biodiversité. 2) L’annulation des dettes publiques détenues par la banque centrale en échange d’investissements verts C. Penser hors du cadre et mettre en œuvre une réforme ciblée des traités en matière budgétaire et monétaire au profit de la transition écologique. 1) Réformer la politique budgétaire et les aides d’État pour augmenter la capacité d’investissement dans la reconstruction écologique. 2) Réviser les règles en matière d’aides d’État 3) Utiliser l’arme de la monnaie libre comme pilier de la reconstruction écologique. 4) Une telle politique est-elle soutenable ?. 5) Des externalités économiques positives, facteur de dynamisme et d’innovation. D. Redynamiser l’économie dans son ensemble, résorber le chômage Conclusion.   I. Il n’y aura pas de reconstruction écologique sans investissement massif et sans rupture avec les dogmes existants La présente note fait le choix d’utiliser le terme de « reconstruction écologique » plutôt que de « transition écologique » pour insister sur le caractère matériel généralisé

Par Giraud G., Dufrêne N., Gilbert P.

25 février 2020

Affranchir l’agriculture des pesticides, enjeu central de la transformation agricole

Affranchir l’agriculture française des pesticides est un enjeu écologique et sanitaire majeur. Il se heurte au profond verrouillage du système agricole autour du couple espèces dominantes – intrants chimiques, dont les agriculteurs ne peuvent pas sortir seuls. La sortie des pesticides ne se fera qu’à trois conditions : premièrement, que le plan de sortie des pesticides ne consiste pas en un simple remplacement des traitements chimiques par des techniques de bio-contrôle, mais en une profonde transformation des systèmes de culture, seule à même de faire baisser durablement la pression des ravageurs et des mauvaises herbes ; deuxièmement, que ce plan de sortie des pesticides s’accompagne d’un grand plan de diversification agricole, assorti de mesures incitatives et contraignantes pour que l’amont et l’aval agricole s’investissent pleinement en faveur des espèces minoritaires, aujourd’hui largement délaissées ; troisièmement, que des mesures fortes soient prises pour supprimer les distorsions de concurrence avec les pays de l’Union européenne et avec les pays tiers ayant des normes sociales, sanitaires et environnementales moins élevées. Note aux lecteurs : Il va de soi que la transformation agricole est un vaste chantier. Cette note n’a pas vocation à lister l’ensemble des modifications à opérer dans le système agricole au sens large, mais à mettre en lumière quelques aspects fondamentaux et trop souvent absents des débats sur la transformation agricole. D’autres notes auront vocation à développer et compléter ce cadrage initial, notamment sur le sujet majeur de l’enseignement agricole et de l’installation/transmission des exploitations agricoles. Introduction   À la fin des années 1940, l’utilisation de pesticides[1] de synthèse s’est peu à peu imposée dans l’agriculture française comme l’un des piliers de la modernisation agricole, avec celle des engrais chimiques, des variétés « améliorées » et de la mécanisation. Deux générations plus tard, force est de constater que les pesticides et leurs résidus sont partout : dans nos cours d’eau[2], nos aliments[3], nos cheveux et nos urines[4]. Cette situation a un coût humain et environnemental important. Concernant la santé humaine, une expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)[5] a montré que l’exposition professionnelle aux pesticides entraîne une augmentation significative des risques pour plusieurs pathologies comme la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate, et certains cancers hématopoïétiques. Une enquête menée dans le cadre du Plan Ecophyto sur une cohorte d’agriculteurs (Agrican) a également montré que la totalité des 18 activités agricoles étudiées « était associée de façon défavorable à au moins un cancer, certaines de façon assez récurrente comme la culture de légumes en plein champ ou les cultures sous serres »[6]. Malgré cette dangerosité avérée de l’exposition professionnelle aux pesticides, l’ANSES[7] constatait en 2016 que « les données relatives aux expositions aux pesticides des personnes travaillant dans l’agriculture sont lacunaires et aucune organisation en France n’est en charge de les produire »[8]. Par ailleurs, les autorités européennes continuent de délivrer des autorisations de mises sur le marché pour les pesticides à usage agricole, conditionnées au fait que les utilisateurs emploient des équipements de protection individuelle. Or, une récente étude[9] a montré que ces conditions « sécuritaires » d’utilisation des pesticides ne sont jamais rencontrées en conditions réelles car elles ne prennent absolument pas en compte les contraintes pratiques rencontrées par les agriculteurs. Concernant les atteintes portées à l’environnement, il est aujourd’hui avéré que les pesticides sont, avec la destruction des milieux naturels, une des principales causes du déclin massif de la biodiversité[10],[11]. Là encore, l’évaluation réglementaire au niveau européen est insuffisamment protectrice et évolue à un rythme très lent en comparaison de la vitesse du déclin de la biodiversité. Alors que les populations d’insectes pollinisateurs chutent de façon massive et rapide, les nouveaux critères d’évaluation de l’EFSA[12] adoptés en 2013 ne sont toujours pas appliqués. Censés prendre en compte la toxicité des molécules évaluées sur les pollinisateurs, ces nouveaux critères ont été bloqués par la Commission européenne, sous l’influence des lobbies de l’industrie chimique. Au vu des connaissances, nous pouvons donc aujourd’hui affirmer que les pesticides entraînent un risque avéré pour la santé des agriculteurs, une contamination généralisée des citoyens dont nous mesurons mal les conséquences ainsi qu’une pollution massive de l’environnement. Face à ce constat, la nécessité de réduire drastiquement l’utilisation des pesticides ne devrait plus être un sujet de débat. Mais les réponses apportées jusqu’ici ne sont pas, de loin, à la hauteur des enjeux. Plusieurs plans visant à réduire l’usage des pesticides se sont succédé en France au cours des dix dernières années, sans succès puisque la consommation de pesticides ne s’est non seulement pas réduite durant cette période mais a même augmenté. Né à la suite du Grenelle de l’environnement de 2008, le plan Ecophyto affichait ainsi comme objectif une diminution de 50 % de la quantité de pesticides utilisés en 10 ans. Ce plan était doté d’un budget annuel de 41 millions d’euros, financé pour un peu plus de la moitié par la redevance pour pollution diffuse due par les distributeurs de produits phytosanitaires. Les deux actions phares de ce plan étaient la mise en place d’un réseau de fermes de démonstration des techniques économes en pesticides (le réseau Dephy) et la diffusion du « Bulletin de santé du végétal » afin d’informer en temps réel sur les risques de bio-agression des cultures. Or, six ans après le début de ce plan, un travail d’évaluation conduit sous l’égide du député de la Meurthe-et-Moselle Dominique Potier a conclu à un échec global[13]. Non seulement la quantité de pesticides utilisée n’a pas été réduite de moitié mais elle a même augmenté de près de 15 000 tonnes sur la période (cf. Figure 1). L’une des raisons de cet échec mise en avant par le rapport, et confortée par des études ultérieures[14], est la quasi-absence de prise en compte du fonctionnement des filières agricoles[15] et des marchés agro-alimentaires dans le plan, alors même qu’ils influencent fortement le choix des cultures, des systèmes de culture et des assolements[16]. Le plan Ecophyto 2, démarré en 2015, maintenait le même objectif que le premier plan, à savoir une diminution de 50 % de la quantité de pesticides utilisés, mais le

Par Lugassy L., Aze E.

24 février 2020

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