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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Léa Lugassy

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    Léa Lugassy

    Léa Lugassy

    Conseil scientifique

    Biographie

    Léa Lugassy est agroécologue et docteur en écologie. Elle a été chargée de recherche au Museum National d’Histoire Naturelle, à l’INRA, ainsi qu’à la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité. Ses recherches se situent à l’interface entre agriculture, biodiversité et santé.

    Notes publiées

    Betterave et néonicotinoïdes Cas d’école de l’impossibilité d’émergence de l’agroécologie dans un marché agricole mondialisé

    L’Assemblée Nationale a voté le 5 octobre 2020 la réautorisation, jusqu’au 1er juillet 2023, de l’utilisation des néonicotinoïdes en enrobage de semences de betterave sucrière. L’interdiction de ces molécules insecticides, votée en 2016 dans le cadre de la « Loi pour la reconquête de la biodiversité », était entrée en vigueur il y a deux ans. Elle était motivée par la toxicité avérée de ces molécules pour les insectes, dont les pollinisateurs, et pour de nombreux organismes présents dans les sols, comme les vers de terre. Par ailleurs, il a été démontré qu’une partie importante des néonicotinoïdes présents dans l’enrobage des semences était lessivée, migrait dans les sols et était absorbée par la flore sauvage en bord de champs, directement butinée par les pollinisateurs. L’autorisation de dérogations pour la filière betterave, après seulement deux ans d’interdiction, a été poussée par un sentiment d’urgence, la production française étant gravement menacée à très court terme par le virus de la jaunisse de la betterave, transmise par des pucerons. Il convient aujourd’hui d’être très clair : il n’existe à ce jour aucune pratique alternative permettant à la France de se maintenir au second rang mondial de la production de betterave sucrière (39,6 millions de tonnes  en 2019, derrière la Russie), avec les coûts de production actuels (28 €/Tonne pour le rendement moyen en 2019). Le « Plan national de recherche et d’innovation » lancé le 22 septembre dernier par l’Institut Nationale de la Recherche pour l’Agriculture et l’Environnement (INRAE) et l’Institut Technique de la Betterave (ITB) afin de trouver des alternatives aux néonicotinoïdes en production de betterave a mis en lumière une chose : la recherche agronomique française court après les problèmes au lieu de les anticiper et peine à prendre la place qui devrait être la sienne : cheffe de file d’un profond Plan de transformation agroécologique de l’agriculture française, qui est plus que jamais nécessaire. Il faut espérer que le Plan de recherche INRAE/ITB, doté d’un budget de 7 millions d’euros sur 3 ans, aboutira à identifier des alternatives aux néonicotinoïdes. C’est probable, car des alternatives agroécologiques prometteuses existent déjà. Des essais expérimentaux menés en pomme de terre ont déjà permis d’identifier certaines pratiques potentiellement intéressantes comme le paillage ou l’utilisation de couverts inter-rangs qui, en modifiant la couleur du champ, altèreraient la capacité de repérage des plants de betterave par le puceron. Mais, même si l’intérêt de ces pratiques est confirmé, elles ne pourront pas être mises en place par les agriculteurs avec un cours mondial de la betterave en baisse constante (23 €/Tonne en 2019, pulpe comprise), bien souvent inférieurs aux coûts de production (28 €/Tonne). Car les problématiques agronomiques et écologiques liées à la production de betterave ne peuvent pas être découplées des problématiques économiques. Depuis la fin des quotas sucriers en 2017, la production mondiale de sucre s’est envolée, tirée par la course à l’exportation de pays comme l’Inde et la Thaïlande, et le cours mondial s’est effondré : – 40% entre octobre 2017 et mars 2019. Il est donc totalement illusoire de penser que de nouvelles pratiques, non-chimiques voire écologiques, pourront sortir des stations d’essais et se généraliser dans les champs sans prix rémunérateurs. Cette réalité vaut pour l’ensemble des production agricoles : il n’y aura pas de transformation agroécologique à large échelle sans rémunération juste des producteurs, et sans partage équitable de la valeur créée. Dans ce contexte de marché agricole mondialisé, il est permis au passage de déplorer que certains militants de la cause écologiste aient abandonné en chemin l’internationalisme. Est-il vraiment préférable d’interdire immédiatement certaines pratiques polluantes sur notre territoire, de délocaliser les filières industrielles qui s’y rattachent, et de pudiquement fermer les yeux sur les conditions de production des produits importés, ou faut-il accepter de garder la main sur une production, certes polluante pendant encore quelques années, mais sur laquelle notre souveraineté peut et doit s’exercer ? Enfin, il convient également de poser une question centrale en matière de politique écologique : faut-il continuer de légiférer uniquement sur des obligations de moyens (interdire l’utilisation des néonicotinoïdes) sans se préoccuper des résultats ? En l’occurrence, il semble que la biodiversité ne sorte pas gagnante de l’augmentation des pulvérisations foliaires avec plusieurs molécules insecticides consécutive à l’interdiction des néonicotinoïdes. Et l’on mesure donc ici toute l’importance de planifier la transformation écologique de l’agriculture pour que les avancées législatives entraînent de réels effets bénéfiques sur le terrain, pour les agriculteurs et les écosystèmes dans lesquels ils produisent, bien loin des incantations de salon.

    Par Lugassy L.

    8 octobre 2020

    À la reconquête d’une souveraineté alimentaire paysanne et démocratique

    La crise sanitaire due au Covid-19 a mis en lumière l’importance de l’autonomie, sacrifiée sur l’autel du marché. Nos dirigeants ont appris à leurs (et à nos) dépens qu’il ne suffisait pas de passer commande pour obtenir le produit désiré et qu’être en mesure de produire soi-même peut faire la différence entre subir une crise et la surmonter. À cette règle, l’agriculture ne fait pas exception. En perturbant les rouages de l’économie agricole mondialisée dont nous dépendons pour notre alimentation, la pandémie que nous traversons semble avoir engendré une prise de conscience quant à l’importance de retrouver notre souveraineté alimentaire[1].   Introduction   Depuis le mois de mars, de nombreux pays ont ralenti leurs exportations en raison d’une diminution de la production, de difficultés dans la logistique de transport et de vente ou encore d’une volonté de sécuriser les approvisionnements nationaux. C’est notamment le cas de l’Italie et de l’Espagne, principaux producteurs de fruits et légumes européens, qui ont tous deux été durement touchés par le Covid-19. Les effets de la crise sanitaire (confinement, difficultés logistiques pour la récolte et l’acheminement) ont entraîné des baisses de récolte en Italie. En Espagne, où ils ont fait suite à un hiver trop doux et à des tempêtes de grêle printanières, on estime que la production fruitière a chuté d’environ 35 % à 40 %. Or, la France dépend largement de ces deux pays pour son approvisionnement en fruits et légumes. D’ores et déjà, les prix des fruits et légumes ont augmenté de 10 % en moyenne depuis le début du confinement et, au vu des productions en baisse chez nous comme chez nos voisins, il paraît inévitable qu’il y ait dans les prochaines semaines et les prochains mois des tensions dans l’approvisionnement. Les prix devraient continuer d’augmenter, compliquant l’accès à ces aliments, pourtant essentiels à la santé, pour une partie de la population dont la situation économique s’aggrave. Alors que des voix s’élèvent pour s’émouvoir de cette perte de souveraineté alimentaire, y compris parmi ceux qui en portent directement la responsabilité (politiques libéraux et fleurons de la grande distribution en tête), il paraît important de rappeler les choix politiques qui ont eu raison de cette souveraineté dans les dernières décennies. Car si la relocalisation des productions abandonnées par la politique agricole française est évidemment la voie d’avenir, elle ne pourra avoir lieu sans remettre en question la logique de compétition internationale, de libre-échange et de marché unique.   I. Relocaliser pour reprendre le contrôle de nos modes de production   Au cours des dernières décennies, plusieurs productions pourtant indispensables à notre alimentation ou à celle de nos animaux d’élevage ont été délaissées. C’est en particulier le cas des fruits, des légumes et des protéagineux[2] pour la culture desquels les producteurs français sont jugés non-compétitifs sur le marché international, face notamment aux fruits et légumes d’Europe du Sud et au soja sud- et nord-américain. Ces produits doivent donc aujourd’hui être massivement importés pour répondre à nos besoins. Or la délocalisation de ces productions n’est pas seulement un fardeau pour notre bilan écologique : au transport polluant nécessaire à l’acheminement de ces produits (souvent du Sud de l’Europe pour les fruits et légumes, ducontinent américain pour les protéagineux) s’ajoute le fait que nous n’en maîtrisons ni les conditions sociales ni les conditions environnementales de production. Pourtant, parce que nous, consommateurs français, en sommes les destinataires finaux, leur impact social et environnemental est le nôtre : notre déforestation pour la culture du soja en Amazonie, nos cultures de soja OGM en Amérique du Nord, nos travailleurs étrangers sans-papiers exploités pour les cultures intensives de légumes. C’est là le grand paradoxe de notre économie mondialisée : nous décidons plus ou moins démocratiquement des règles de fonctionnement de notre société et fermons les yeux lorsque ces règles sont bafouées pour remplir nos assiettes. Le cas des plantes génétiquement modifiées est sur ce point emblématique : alors que leur culture est aujourd’hui interdite sur le territoire français et que les citoyens y sont massivement opposés, la France en importe 3,5 millions de tonnes par an afin d’approvisionner les élevages de volailles, porcs, bovins et poissons[3]. C’est notamment pour répondre à ce paradoxe que de nombreuses organisations de paysans, de citoyens et de consommateurs appellent aujourd’hui à reconquérir notre souveraineté – et pas simplement notre autosuffisance – alimentaire[4]. En effet, contrairement à la notion d’autosuffisance qui n’implique qu’un objectif quantitatif de production, celle de souveraineté sous-entend un processus démocratique quant aux modes de production, de transformation et de consommation. Mais pour que le souhait de souveraineté, qui implique de relocaliser ces productions sur notre territoire, ne soit pas qu’un vœu pieux, il est impératif de rappeler les causes de cette perte de souveraineté. Et d’agir dessus.   II. Aux racines de notre perte de souveraineté alimentaire   Nous importons aujourd’hui plus de 50 % des fruits et 35 % des légumes que nous consommons. Nous sommes passés d’une situation d’autosuffisance à une situation de dépendance en à peine 30 ans. On estime avoir perdu la moitié de nos exploitations fruitières ou légumières depuis 30 ans[5]. Si pour le maraîchage, le déclin s’est ralenti ces dernières années (grâce ou à cause de la mécanisation qui a permis de réduire les coûts de main d’œuvre), il s’est au contraire accru pour l’arboriculture : 30 % des exploitations fruitières qui existaient en 2010 avaient disparu six ans plus tard. Cela correspond à une disparition de 3 000 hectares de vergers par an en moyenne. Or d’après les calculs de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), l’abandon de deux hectares fait disparaître un emploi équivalent temps-plein (ETP) dans les vergers, ce qui entraîne la suppression d’un autre ETP dans la filière. Ce sont donc autour de 30 000 ETP qui auraient été supprimés en production fruitière dans les seules 10 dernières années. Partout en France, des coopératives et des ateliers de transformation ont fermé leurs portes. Ces centaines de milliers d’arbres arrachés, ces dizaines de milliers de salariés licenciés, ces milliers de fermes détruites et d’outils de production abandonnés sont le résultat d’une politique agricole

    Par Lugassy L.

    12 juin 2020

    Affranchir l’agriculture des pesticides, enjeu central de la transformation agricole

    Affranchir l’agriculture française des pesticides est un enjeu écologique et sanitaire majeur. Il se heurte au profond verrouillage du système agricole autour du couple espèces dominantes – intrants chimiques, dont les agriculteurs ne peuvent pas sortir seuls. La sortie des pesticides ne se fera qu’à trois conditions : premièrement, que le plan de sortie des pesticides ne consiste pas en un simple remplacement des traitements chimiques par des techniques de bio-contrôle, mais en une profonde transformation des systèmes de culture, seule à même de faire baisser durablement la pression des ravageurs et des mauvaises herbes ; deuxièmement, que ce plan de sortie des pesticides s’accompagne d’un grand plan de diversification agricole, assorti de mesures incitatives et contraignantes pour que l’amont et l’aval agricole s’investissent pleinement en faveur des espèces minoritaires, aujourd’hui largement délaissées ; troisièmement, que des mesures fortes soient prises pour supprimer les distorsions de concurrence avec les pays de l’Union européenne et avec les pays tiers ayant des normes sociales, sanitaires et environnementales moins élevées. Note aux lecteurs : Il va de soi que la transformation agricole est un vaste chantier. Cette note n’a pas vocation à lister l’ensemble des modifications à opérer dans le système agricole au sens large, mais à mettre en lumière quelques aspects fondamentaux et trop souvent absents des débats sur la transformation agricole. D’autres notes auront vocation à développer et compléter ce cadrage initial, notamment sur le sujet majeur de l’enseignement agricole et de l’installation/transmission des exploitations agricoles.   Introduction   À la fin des années 1940, l’utilisation de pesticides[1] de synthèse s’est peu à peu imposée dans l’agriculture française comme l’un des piliers de la modernisation agricole, avec celle des engrais chimiques, des variétés « améliorées » et de la mécanisation. Deux générations plus tard, force est de constater que les pesticides et leurs résidus sont partout : dans nos cours d’eau[2], nos aliments[3], nos cheveux et nos urines[4]. Cette situation a un coût humain et environnemental important. Concernant la santé humaine, une expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)[5] a montré que l’exposition professionnelle aux pesticides entraîne une augmentation significative des risques pour plusieurs pathologies comme la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate, et certains cancers hématopoïétiques. Une enquête menée dans le cadre du Plan Ecophyto sur une cohorte d’agriculteurs (Agrican) a également montré que la totalité des 18 activités agricoles étudiées « était associée de façon défavorable à au moins un cancer, certaines de façon assez récurrente comme la culture de légumes en plein champ ou les cultures sous serres »[6]. Malgré cette dangerosité avérée de l’exposition professionnelle aux pesticides, l’ANSES[7] constatait en 2016 que « les données relatives aux expositions aux pesticides des personnes travaillant dans l’agriculture sont lacunaires et aucune organisation en France n’est en charge de les produire »[8]. Par ailleurs, les autorités européennes continuent de délivrer des autorisations de mises sur le marché pour les pesticides à usage agricole, conditionnées au fait que les utilisateurs emploient des équipements de protection individuelle. Or, une récente étude[9] a montré que ces conditions « sécuritaires » d’utilisation des pesticides ne sont jamais rencontrées en conditions réelles car elles ne prennent absolument pas en compte les contraintes pratiques rencontrées par les agriculteurs. Concernant les atteintes portées à l’environnement, il est aujourd’hui avéré que les pesticides sont, avec la destruction des milieux naturels, une des principales causes du déclin massif de la biodiversité[10],[11]. Là encore, l’évaluation réglementaire au niveau européen est insuffisamment protectrice et évolue à un rythme très lent en comparaison de la vitesse du déclin de la biodiversité. Alors que les populations d’insectes pollinisateurs chutent de façon massive et rapide, les nouveaux critères d’évaluation de l’EFSA[12] adoptés en 2013 ne sont toujours pas appliqués. Censés prendre en compte la toxicité des molécules évaluées sur les pollinisateurs, ces nouveaux critères ont été bloqués par la Commission européenne, sous l’influence des lobbies de l’industrie chimique. Au vu des connaissances, nous pouvons donc aujourd’hui affirmer que les pesticides entraînent un risque avéré pour la santé des agriculteurs, une contamination généralisée des citoyens dont nous mesurons mal les conséquences ainsi qu’une pollution massive de l’environnement. Face à ce constat, la nécessité de réduire drastiquement l’utilisation des pesticides ne devrait plus être un sujet de débat. Mais les réponses apportées jusqu’ici ne sont pas, de loin, à la hauteur des enjeux. Plusieurs plans visant à réduire l’usage des pesticides se sont succédé en France au cours des dix dernières années, sans succès puisque la consommation de pesticides ne s’est non seulement pas réduite durant cette période mais a même augmenté. Né à la suite du Grenelle de l’environnement de 2008, le plan Ecophyto affichait ainsi comme objectif une diminution de 50 % de la quantité de pesticides utilisés en 10 ans. Ce plan était doté d’un budget annuel de 41 millions d’euros, financé pour un peu plus de la moitié par la redevance pour pollution diffuse due par les distributeurs de produits phytosanitaires. Les deux actions phares de ce plan étaient la mise en place d’un réseau de fermes de démonstration des techniques économes en pesticides (le réseau Dephy) et la diffusion du « Bulletin de santé du végétal » afin d’informer en temps réel sur les risques de bio-agression des cultures. Or, six ans après le début de ce plan, un travail d’évaluation conduit sous l’égide du député de la Meurthe-et-Moselle Dominique Potier a conclu à un échec global[13]. Non seulement la quantité de pesticides utilisée n’a pas été réduite de moitié mais elle a même augmenté de près de 15 000 tonnes sur la période (cf. Figure 1). L’une des raisons de cet échec mise en avant par le rapport, et confortée par des études ultérieures[14], est la quasi-absence de prise en compte du fonctionnement des filières agricoles[15] et des marchés agro-alimentaires dans le plan, alors même qu’ils influencent fortement le choix des cultures, des systèmes de culture et des assolements[16]. Le plan Ecophyto 2, démarré en 2015, maintenait le même objectif que le premier plan, à savoir une diminution de 50 % de la quantité de pesticides utilisés, mais le

    Par Lugassy L., Aze E.

    24 février 2020

    Betterave et néonicotinoïdes Cas d’école de l’impossibilité d’émergence de l’agroécologie dans un marché agricole mondialisé

    L’Assemblée Nationale a voté le 5 octobre 2020 la réautorisation, jusqu’au 1er juillet 2023, de l’utilisation des néonicotinoïdes en enrobage de semences de betterave sucrière. L’interdiction de ces molécules insecticides, votée en 2016 dans le cadre de la « Loi pour la reconquête de la biodiversité », était entrée en vigueur il y a deux ans. Elle était motivée par la toxicité avérée de ces molécules pour les insectes, dont les pollinisateurs, et pour de nombreux organismes présents dans les sols, comme les vers de terre. Par ailleurs, il a été démontré qu’une partie importante des néonicotinoïdes présents dans l’enrobage des semences était lessivée, migrait dans les sols et était absorbée par la flore sauvage en bord de champs, directement butinée par les pollinisateurs. L’autorisation de dérogations pour la filière betterave, après seulement deux ans d’interdiction, a été poussée par un sentiment d’urgence, la production française étant gravement menacée à très court terme par le virus de la jaunisse de la betterave, transmise par des pucerons. Il convient aujourd’hui d’être très clair : il n’existe à ce jour aucune pratique alternative permettant à la France de se maintenir au second rang mondial de la production de betterave sucrière (39,6 millions de tonnes  en 2019, derrière la Russie), avec les coûts de production actuels (28 €/Tonne pour le rendement moyen en 2019). Le « Plan national de recherche et d’innovation » lancé le 22 septembre dernier par l’Institut Nationale de la Recherche pour l’Agriculture et l’Environnement (INRAE) et l’Institut Technique de la Betterave (ITB) afin de trouver des alternatives aux néonicotinoïdes en production de betterave a mis en lumière une chose : la recherche agronomique française court après les problèmes au lieu de les anticiper et peine à prendre la place qui devrait être la sienne : cheffe de file d’un profond Plan de transformation agroécologique de l’agriculture française, qui est plus que jamais nécessaire. Il faut espérer que le Plan de recherche INRAE/ITB, doté d’un budget de 7 millions d’euros sur 3 ans, aboutira à identifier des alternatives aux néonicotinoïdes. C’est probable, car des alternatives agroécologiques prometteuses existent déjà. Des essais expérimentaux menés en pomme de terre ont déjà permis d’identifier certaines pratiques potentiellement intéressantes comme le paillage ou l’utilisation de couverts inter-rangs qui, en modifiant la couleur du champ, altèreraient la capacité de repérage des plants de betterave par le puceron. Mais, même si l’intérêt de ces pratiques est confirmé, elles ne pourront pas être mises en place par les agriculteurs avec un cours mondial de la betterave en baisse constante (23 €/Tonne en 2019, pulpe comprise), bien souvent inférieurs aux coûts de production (28 €/Tonne). Car les problématiques agronomiques et écologiques liées à la production de betterave ne peuvent pas être découplées des problématiques économiques. Depuis la fin des quotas sucriers en 2017, la production mondiale de sucre s’est envolée, tirée par la course à l’exportation de pays comme l’Inde et la Thaïlande, et le cours mondial s’est effondré : – 40% entre octobre 2017 et mars 2019. Il est donc totalement illusoire de penser que de nouvelles pratiques, non-chimiques voire écologiques, pourront sortir des stations d’essais et se généraliser dans les champs sans prix rémunérateurs. Cette réalité vaut pour l’ensemble des production agricoles : il n’y aura pas de transformation agroécologique à large échelle sans rémunération juste des producteurs, et sans partage équitable de la valeur créée. Dans ce contexte de marché agricole mondialisé, il est permis au passage de déplorer que certains militants de la cause écologiste aient abandonné en chemin l’internationalisme. Est-il vraiment préférable d’interdire immédiatement certaines pratiques polluantes sur notre territoire, de délocaliser les filières industrielles qui s’y rattachent, et de pudiquement fermer les yeux sur les conditions de production des produits importés, ou faut-il accepter de garder la main sur une production, certes polluante pendant encore quelques années, mais sur laquelle notre souveraineté peut et doit s’exercer ? Enfin, il convient également de poser une question centrale en matière de politique écologique : faut-il continuer de légiférer uniquement sur des obligations de moyens (interdire l’utilisation des néonicotinoïdes) sans se préoccuper des résultats ? En l’occurrence, il semble que la biodiversité ne sorte pas gagnante de l’augmentation des pulvérisations foliaires avec plusieurs molécules insecticides consécutive à l’interdiction des néonicotinoïdes. Et l’on mesure donc ici toute l’importance de planifier la transformation écologique de l’agriculture pour que les avancées législatives entraînent de réels effets bénéfiques sur le terrain, pour les agriculteurs et les écosystèmes dans lesquels ils produisent, bien loin des incantations de salon.

    Par Lugassy L.

    22 juin 2021

    À la reconquête d’une souveraineté alimentaire paysanne et démocratique

    La crise sanitaire due au Covid-19 a mis en lumière l’importance de l’autonomie, sacrifiée sur l’autel du marché. Nos dirigeants ont appris à leurs (et à nos) dépens qu’il ne suffisait pas de passer commande pour obtenir le produit désiré et qu’être en mesure de produire soi-même peut faire la différence entre subir une crise et la surmonter. À cette règle, l’agriculture ne fait pas exception. En perturbant les rouages de l’économie agricole mondialisée dont nous dépendons pour notre alimentation, la pandémie que nous traversons semble avoir engendré une prise de conscience quant à l’importance de retrouver notre souveraineté alimentaire[1].   Introduction   Depuis le mois de mars, de nombreux pays ont ralenti leurs exportations en raison d’une diminution de la production, de difficultés dans la logistique de transport et de vente ou encore d’une volonté de sécuriser les approvisionnements nationaux. C’est notamment le cas de l’Italie et de l’Espagne, principaux producteurs de fruits et légumes européens, qui ont tous deux été durement touchés par le Covid-19. Les effets de la crise sanitaire (confinement, difficultés logistiques pour la récolte et l’acheminement) ont entraîné des baisses de récolte en Italie. En Espagne, où ils ont fait suite à un hiver trop doux et à des tempêtes de grêle printanières, on estime que la production fruitière a chuté d’environ 35 % à 40 %. Or, la France dépend largement de ces deux pays pour son approvisionnement en fruits et légumes. D’ores et déjà, les prix des fruits et légumes ont augmenté de 10 % en moyenne depuis le début du confinement et, au vu des productions en baisse chez nous comme chez nos voisins, il paraît inévitable qu’il y ait dans les prochaines semaines et les prochains mois des tensions dans l’approvisionnement. Les prix devraient continuer d’augmenter, compliquant l’accès à ces aliments, pourtant essentiels à la santé, pour une partie de la population dont la situation économique s’aggrave. Alors que des voix s’élèvent pour s’émouvoir de cette perte de souveraineté alimentaire, y compris parmi ceux qui en portent directement la responsabilité (politiques libéraux et fleurons de la grande distribution en tête), il paraît important de rappeler les choix politiques qui ont eu raison de cette souveraineté dans les dernières décennies. Car si la relocalisation des productions abandonnées par la politique agricole française est évidemment la voie d’avenir, elle ne pourra avoir lieu sans remettre en question la logique de compétition internationale, de libre-échange et de marché unique.   I. Relocaliser pour reprendre le contrôle de nos modes de production   Au cours des dernières décennies, plusieurs productions pourtant indispensables à notre alimentation ou à celle de nos animaux d’élevage ont été délaissées. C’est en particulier le cas des fruits, des légumes et des protéagineux[2] pour la culture desquels les producteurs français sont jugés non-compétitifs sur le marché international, face notamment aux fruits et légumes d’Europe du Sud et au soja sud- et nord-américain. Ces produits doivent donc aujourd’hui être massivement importés pour répondre à nos besoins. Or la délocalisation de ces productions n’est pas seulement un fardeau pour notre bilan écologique : au transport polluant nécessaire à l’acheminement de ces produits (souvent du Sud de l’Europe pour les fruits et légumes, ducontinent américain pour les protéagineux) s’ajoute le fait que nous n’en maîtrisons ni les conditions sociales ni les conditions environnementales de production. Pourtant, parce que nous, consommateurs français, en sommes les destinataires finaux, leur impact social et environnemental est le nôtre : notre déforestation pour la culture du soja en Amazonie, nos cultures de soja OGM en Amérique du Nord, nos travailleurs étrangers sans-papiers exploités pour les cultures intensives de légumes. C’est là le grand paradoxe de notre économie mondialisée : nous décidons plus ou moins démocratiquement des règles de fonctionnement de notre société et fermons les yeux lorsque ces règles sont bafouées pour remplir nos assiettes. Le cas des plantes génétiquement modifiées est sur ce point emblématique : alors que leur culture est aujourd’hui interdite sur le territoire français et que les citoyens y sont massivement opposés, la France en importe 3,5 millions de tonnes par an afin d’approvisionner les élevages de volailles, porcs, bovins et poissons[3]. C’est notamment pour répondre à ce paradoxe que de nombreuses organisations de paysans, de citoyens et de consommateurs appellent aujourd’hui à reconquérir notre souveraineté – et pas simplement notre autosuffisance – alimentaire[4]. En effet, contrairement à la notion d’autosuffisance qui n’implique qu’un objectif quantitatif de production, celle de souveraineté sous-entend un processus démocratique quant aux modes de production, de transformation et de consommation. Mais pour que le souhait de souveraineté, qui implique de relocaliser ces productions sur notre territoire, ne soit pas qu’un vœu pieux, il est impératif de rappeler les causes de cette perte de souveraineté. Et d’agir dessus.   II. Aux racines de notre perte de souveraineté alimentaire   Nous importons aujourd’hui plus de 50 % des fruits et 35 % des légumes que nous consommons. Nous sommes passés d’une situation d’autosuffisance à une situation de dépendance en à peine 30 ans. On estime avoir perdu la moitié de nos exploitations fruitières ou légumières depuis 30 ans[5]. Si pour le maraîchage, le déclin s’est ralenti ces dernières années (grâce ou à cause de la mécanisation qui a permis de réduire les coûts de main d’œuvre), il s’est au contraire accru pour l’arboriculture : 30 % des exploitations fruitières qui existaient en 2010 avaient disparu six ans plus tard. Cela correspond à une disparition de 3 000 hectares de vergers par an en moyenne. Or d’après les calculs de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), l’abandon de deux hectares fait disparaître un emploi équivalent temps-plein (ETP) dans les vergers, ce qui entraîne la suppression d’un autre ETP dans la filière. Ce sont donc autour de 30 000 ETP qui auraient été supprimés en production fruitière dans les seules 10 dernières années. Partout en France, des coopératives et des ateliers de transformation ont fermé leurs portes. Ces centaines de milliers d’arbres arrachés, ces dizaines de milliers de salariés licenciés, ces milliers de fermes détruites et d’outils de production abandonnés sont le résultat d’une politique agricole

    Par Lugassy L.

    22 juin 2021

    Travaux externes

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