Un système de couverture santé qui organise dans les faits une inégalité financière d’accès aux soins
Le préambule de la Constitution, partie intégrante du bloc constitutionnel, pose le principe d’une « protection de la santé » garantie pour tous. L’Assurance Maladie confère à l’égalité d’accès aux soins la valeur de « principe fondateur » et considère qu’il s’agit de la « première de ses missions au quotidien ». Enfin le Code de la santé publique rappelle dans son article L1110-1-1 que « l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé » doit être « garanti ». On peut en inférer l’idée que l’accès aux soins est reconnu par notre société comme un droit fondamental. Pourtant l’inégalité d’accès aux soins est une réalité en France. Elle recouvre plusieurs phénomènes dont les effets s’additionnent le plus souvent avec des conséquences importantes en matière de niveau de santé et d’espérance de vie. Celle d’un ouvrier est inférieure de plus de 6 ans à celle d’un cadre. L’évolution de la démographie médicale et l’organisation territoriale de l’offre de soins sont deux facteurs explicatifs assez bien identifiés, dont les médias commencent à s’emparer, contribuant pour une large part à la multiplication des « déserts médicaux » phénomène qui ne se limite pas aux seules zones rurales mais touche aussi les zones péri-urbaines. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le département de la Seine-Saint-Denis compte en moyenne 50 praticiens pour 100000 habitants (unité retenue pour la mesure de la densité médicale) contre 119 pour les Alpes-Maritimes[1]. Le nombre de généralistes en « activité régulière » a baissé de l’ordre de 10 % depuis 2010 (20 % pour les territoires les moins favorisés), évolution qui devrait, à court terme, s’accélérer, de nombreux praticiens arrivant à l’âge de la retraite[2]. Selon l’Assurance Maladie, plus de 6 millions de Français n’auraient pas de médecin traitant. Près de 1 médecin traitant sur 2 refuse de nouveaux patients[3]. Notre système de santé se caractérise par une liberté d’installation pour les professionnels de santé et par le libre choix pour le patient de son médecin avec comme conséquence une inégale répartition de l’offre de soins sur le territoire. 30 % de la population résident aujourd’hui dans une zone sous-dotée contre seulement 8 % en 2012[4]. La suppression du numerus clausus, la création de communautés professionnelles territoriales de santé et le recrutement d’assistants médicaux, mesures reprises par le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, adopté en dernière lecture par le Sénat en juillet 2019 constituent des éléments de réponse positifs mais très partiels au regard de l’ampleur du sujet qui exige une réponse systémique et globale et non au coup par coup. L’inégalité d’accès aux soins relève aussi de déterminants socio-économiques et en particulier financiers dont le périmètre et les effets sont, quant à eux, assez mal appréhendés, souvent sous-estimés voire méconnus. À la différence des facteurs démographiques et territoriaux qui touchent l’ensemble d’une population donnée, les causes de nature financière ciblent les plus démunis. On rétorquera que de nombreux dispositifs visent à la généralisation de la protection maladie. Mais, nous verrons que, dans les faits, ils ne corrigent qu’imparfaitement l’inégalité analysée sous l’angle de l’effort financier en proportion du revenu. Citons la Protection Universelle Maladie (PUMA) qui élargit l’ouverture de droits à tous les résidents réguliers ou stables, la généralisation de la couverture complémentaire santé d’entreprises au bénéfice des salariés du privé, la réforme dite du 100 % santé pour les prothèses dentaires, l’optique et les audioprothèses, enfin la Complémentaire Santé Solidaire (ex-CMU-C et ACS fusionnés en 2019), conditionnée à un plafond de ressources. Ils constituent autant de matériaux d’un édifice d’ensemble qui ne peut être que très protecteur pour tous les Français. Or, le coût cumulé d’une couverture complémentaire et du reste à charge pour les ménages les plus démunis pèse lourdement. Le renoncement aux soins pour des raisons financières concerne, selon l’enquête « Statistiques sur les ressources et conditions de vie » de l’Insee réalisée en 2017, plus de 1,6 million de personnes[5]. Si cette enquête mériterait sans doute d’être actualisée notamment pour tenir compte de l’effet des dernières mesures prises comme le 100 % santé qui vise en particulier des domaines concernés par le renoncement aux soins, ce dernier continue, pour des raisons d’ordre financier, d’être une réalité en France . Le choix a été fait de ne pas traiter l’ensemble des facteurs explicatifs de l’inégalité d’accès aux soins mais de se concentrer sur les seuls déterminants socio-économiques et plus précisément financiers, en particulier ceux liés : au modèle des complémentaires santé qui se distingue fortement de celui de l’assurance maladie obligatoire, modèle porté par des acteurs de marché appartenant de moins en moins à l’économie sociale et solidaire et répondant de plus en plus aux règles du monde de l’assurance, à l’existence d’un taux de reste à charge, en proportion des revenus, plus élevé pour les ménages les plus modestes et en particulier ceux appartenant au premier décile. Structurer un système fondé sur une privatisation progressive de la couverture complémentaire santé, assurant la prise en charge de plus de 37 milliards d’euros de dépenses, et sur un reste à charge de l’ordre de 20 milliards d’euros laissé aux assurés, est un choix de société et non une fatalité, avec pour conséquence une rupture dans l’égalité d’accès aux soins au détriment des ménages les plus modestes. L’évolution du financement et de la structure des recettes de la branche maladie sera aussi abordée dans le sens où elle rend compte d’une transformation dans la nature même des prélèvements sociaux au profit d’une imposition au profil de plus en plus dégressif. La première partie sera essentiellement consacrée à une présentation synthétique des données chiffrées les plus récentes pour une meilleure compréhension des grands types de mécanismes de prise en charge des dépenses de santé, de la place et du rôle des différents acteurs, notamment en termes de contribution à la couverture des dépenses de santé. Ensuite, un regard sera porté sur les évolutions de notre propre système, leurs sous-jacents politiques, en insistant sur les mesures et les tendances les plus récentes. Nous mettrons en évidence la dynamique de privatisation partielle du système de santé, qui s’est renforcée dans
Par Moutenet P.
14 avril 2022