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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Jean-Michel Servet

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    Jean-Michel Servet

    Biographie

    Jean-Michel Servet est un économiste français, auteur de nombreux d’ouvrages, parmi lesquels L’économie comportementale en question, (Charles Léopold Mayer, 2018). Il travaille sur les domaines de la monnaie, de la microfinance, de l’histoire de la pensée économique, et de l’économie sociale et solidaire.

    Notes publiées

    Vive la décentralisation… mais pas pour nous ! Le mythe de la décentralisation dans l’écosystème des cryptoactifs

    La situation dans le monde des cryptoactifs est aujourd’hui paradoxale et malsaine autour de la question de la décentralisation. L’attrait du grand public pour la décentralisation des réseaux de cryptoactifs contraste fortement avec la centralisation des principaux acteurs de cet écosystème, qui mobilisent les ressources et la parole. En effet, il y a, d’une part, de vrais systèmes décentralisés fonctionnant grâce à des « chaînes de pages » (« blockchain ») gérées par des réseaux de validateurs indépendants. C’est la surveillance croisée que chaque validateur exerce sur les autres qui assure une sécurité incontestable du registre des comptes du réseau, empêchant toute création frauduleuse de jetons et toute manipulation sur les comptes (réseaux Bitcoin, Ethereum, Solana, etc). Il y a, d’autre part, un ensemble d’acteurs centralisés (plateformes d’échange, émetteurs de stablecoins, de NFT, entreprises de minages, etc.) qui sont des « tiers de confiance ». Ils sont mal contrôlés ou pas du tout, et donc davantage susceptibles de défaillir que les banques, bourses et autres acteurs classiques du monde de la finance auxquels on doit assimiler ces acteurs centralisés de l’écosystème des cryptoactifs. Le client intéressé par la spéculation sur les cryptoactifs croit souvent à tort qu’en s’adressant à ces acteurs centralisés ils bénéficient des mêmes avantages que ceux que donnent les réseaux décentralisés. Or, c’est faux puisque ces acteurs ne sont pas surveillés par un ensemble de validateurs indépendants et obligés de se coordonner comme c’est le cas avec les blockchains. Il en résulte des accidents nombreux mais inévitables dont la chute de FTX à l’automne 2022 n’est qu’un exemple parmi des dizaines[1]. Les victimes sont ceux qui croyaient bénéficier de la sécurité d’un réseau décentralisé et qui se trouvent spoliés par un tiers de confiance… qui ne la méritait pas. Il serait important que le public comprenne bien la différence entre centralisé — un seul acteur peut décider de tout —  et décentralisé — une multitude d’acteurs se coordonnent et se surveillent pour gérer sans faille des jetons sur lesquels on parie, ce qui rend possible de leur attribuer un cours. Les blockchains ont créé la possibilité d’actifs numériques décentralisés très bien sécurisés — c’est formidable ! — mais tout ce qui tourne autour n’est pas, comme par miracle, sécurisé, et si certains essaient de le faire croire, ils doivent être remis à leur place. Le plus malsain de cette situation est que la parole sur cet écosystème composé de deux types totalement différents d’acteurs n’est tenue pratiquement que par ceux qui sont du côté centralisé. Cela est dû en partie à ce que les réseaux de validateurs des dispositifs décentralisés n’ont pas pour fonction ni forcément les moyens de parler. Il est difficile pour eux d’exprimer d’une seule voix leurs analyses et de formuler les réserves qui s’imposent face aux acteurs centralisés. Cela est dû aussi à ce que ceux-ci ont tout intérêt à ce que cette situation perdure car elle leur permet de défendre leurs entreprises, petites et parfois énormes, en brouillant les pistes. L’ADAN (Association pour le développement des Actifs Numériques) par exemple est constituée de membres qui sont tous des entreprises centralisées : Coinhouse, Ledger, Consensys, iExce, Blockchain Partner, etc. L’ADAN parle au nom de l’écosystème des cryptoactifs, prétend travailler à promouvoir son développement, agit auprès du monde politique, mène un travail pédagogique pour « faciliter la compréhension des opportunités liées aux actifs numériques »[2], etc. mais en réalité défend la partie faible de l’écosystème. Cette défense est souvent agressive et certains membres du conseil d’administration de l’ADAN, dont Alexandre Stachtchenko, se sont fait la spécialité de promouvoir dans les médias toutes les thèses de l’ADAN qui vont bien sûr dans le sens des intérêts de ses membres… centralisés. Sans surprise, l’ADAN n’évoque jamais ce que le fait qu’elle ne représente que la moitié fragile et risquée de ce qui s’est construit autour de l’idée de décentralisation par les blockchains. En clair, ce qu’on entend le plus souvent, est une information biaisée. Elle oublie de dire l’essentiel et de plus, prétendant que c’est nécessaire, demande le moins de réglementation possible et freine toutes celles qui pourraient se mettre en place pour traiter les acteurs centralisés comme ils doivent l’être, en s’inspirant des règlements du monde bancaire et financier. Qui peut parler de cet écosystème sans y être trop directement impliqué au titre d’acteur centralisé ? Les journalistes quand ils comprennent bien de quoi il s’agit, les chercheurs non-spéculateurs qui étudient les protocoles de fonctionnement des blockchains et savent bien comment fonctionnent les différents systèmes, les politiques s’ils résistent au langage intéressé tenu par les défenseurs de la composante centralisée de l’écosystème (l’actualité récente nous démontre que ce n’est souvent pas le cas). Malheureusement ces acteurs susceptibles de dire la vérité de la situation ne font pas toujours le poids face aux milliards de dollars dont les entreprises centralisées de l’écosystème disposent. La façon dont FTX a distribué des sommes considérables à de très nombreux élus américains est symptomatique du côté malsain du monde des cryptoactifs[3]. En France on a vu des personnalités politiques, dont le Pierre Person (député de La République en Marche de 2017 à 2022, qui se présente lui-même comme détenteur de cryptoactifs) se faire les défenseurs acharnés d’une régulation la plus faible possible en expliquant que toute réglementation mettrait la France en retard par rapport au reste du monde[4]. N’est-il pas étonnant encore d’apprendre que Stéphanie Cabossiorias autrefois Directrice Adjointe des affaires juridiques de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et magistrat à la Cour des comptes, est devenue Directrice juridique de Binance France, quand on sait que Binance est le plus gros acteur centralisé du monde des cryptoactifs, par ailleurs sous le coup de nombreuses sanctions ou enquêtes dans divers pays, et… accueillie en France[5]. Il est temps maintenant que le monde politique, les observateurs divers et les journalistes prennent du recul et cessent de se faire balader par ce qui n’est qu’une forme de tromperie. Celle de prétendre défendre les systèmes décentralisés quand on n’en est pas un, pour promouvoir son petit ou gros commerce et tirer le maximum de profits

    Par Delahaye J., Dufrêne N., Krajewski P., Servet J.

    1 mars 2023

    Le bitcoin, mirage monétaire et désastre écologique

      Dans le contexte de la crise de 2008-2009, l’avènement du bitcoin a pu séduire parce que, produit et géré avec un logiciel libre[1], il est supposé donner le pouvoir monétaire à ses utilisateurs grâce à sa gestion par une technologie plutôt que par une puissance centralisée (État et Banque centrale d’une part, banques commerciales de l’autre)[2]. Il serait « un outil crucial de libération individuelle face à un État omniprésent » (Lars 2021). Sa promesse était qu’il deviendrait une monnaie tant aux échelons nationaux qu’international et contrebalancerait, voire dépasserait, le monopole banco-financier des paiements. Chacun pourrait contribuer à partir de son ordinateur personnel à ce système décentralisé et ce système diminuerait même les coûts de transactions pour ses utilisateurs. Surtout, il mobiliserait un esprit à la fois communautaire[3] et pionnier. Le bitcoin aurait (re)fait de la monnaie un bien libre et un commun (Dupré, Ponsot, Servet 2015 ; Servet 2021a). La réalité est loin de ce schéma idyllique qui témoigne d’une confusion entre les intentions et les désirs mis en avant par ses promoteurs, et la réalité de ses usages et de son fonctionnement[4]. Le bitcoin n’est ainsi que très marginalement monnaie[5] au sens d’un instrument de paiement largement partagé au sein d’une communauté de paiement. La volatilité extrême de son cours fait douter qu’il ne puisse d’ailleurs jamais l’être, sauf dans des pays comme aujourd’hui le Liban qui connait un effondrement de son système monétaire et financier (Maucourant Atallah 2021), le Salvador qui a perdu sa souveraineté monétaire au profit du dollar depuis vingt ans (Kharpal 2021b) ou le Nigeria qui subit une hyperinflation[6]. En outre, le bitcoin est essentiellement devenu un instrument spéculatif, nouvel objet de jeu pour les institutions financières comme en témoigne la récente cotation en bourse de Coinbase (Garcia 2021). S’agirait-il alors d’un « placement alternatif » comme ont pu le décrire les autorités chinoises (Kharpal 2021a ; Cagan 2021a) ? On remarque cependant que la Chine a interdit à ses citoyens son usage comme monnaie et depuis peu sa production notamment en raison de ses effets dénoncés comme nuisibles pour l’environnement[7]. Une large partie de l’opinion publique assimile encore l’ensemble des crypto-activités au bitcoin alors qu’elles vont bien au-delà du monétaire et du financier. Si la critique à l’encontre du bitcoin est néfaste à la reconnaissance des potentialités de l’ensemble des cryptoactivités, n’est-ce pas à leurs spécialistes de faire connaître les différences existant, à des degrés divers, entre les différentes activités de cryptage, l’utilité des blockchains[8] et les spécificités de quelques-unes des 9500 autres cryptoactifs qui seraient aujourd’hui émis[9] ? Demain on connaîtra sans doute des monnaies numériques émises et gérées par les banques centrales, ce qui changera largement la donne. La Chine s’affiche aux avant-postes des innovations en cours et surtout futures (Lehman, Rothstein 2021), avec un modèle très différent du fait d’interventions publiques conservant à la monnaie sa qualité souveraine. Ce débat est aussi ouvert aux États-Unis (Hockett 2020) et ailleurs, comme une réponse aux défis monétaires à venir (Servet 2021b). Au-delà des usages monétaires du bitcoin, l’objectif principal de cette note est de démontrer que le bitcoin est un gouffre énergivore, contraire à nos ambitions climatiques. 1.     Le bitcoin consomme une quantité d’énergie croissante Pour émettre les bitcoins il faut en effet faire tourner des ordinateurs puissants. Ces machines dites de « minage » sont en concurrence les unes avec les autres (Framabot et alii, 2018). Ceux qui échouent à miner un bloc ont investi à perte car ils ne bénéficient pas en tt+1 d’une avance pour l’émission suivante. Cela se fait avec une consommation électrique croissante à laquelle s’additionne celle pour produire voire transporter ce matériel de minage et à laquelle peut s’ajouter encore celle requise pour réfrigérer certains locaux compte tenu de la chaleur dégagée. De très nombreux articles de presse et rapports ont ainsi dénoncé le caractère énergivore[10] du bitcoin. En effet, le fonctionnement du réseau Bitcoin se base sur ce qu’on appelle la preuve de travail (POW) pour attribuer les nouveaux bitcoins créés actuellement toutes les dix minutes. En s’attachant à la question énergétique, on peut y voir une erreur de conception du bitcoin car une autre technique, la preuve d’enjeu (POS) et ses variantes, n’engendre pas une dépense énergétique aussi élevée que celle du bitcoin tout en apportant une sécurité que l’on peut estimer équivalente. D’autres cryptoactifs (ADA de Cardano par exemple, Binance coin, XRP, etc.) sont d’ailleurs fondés sur des protocoles de type POS et pourraient supplanter le bitcoin. Les données diffusées sur l’énergie consommée pour émettre et faire circuler les bitcoins constituent une mise en garde[11]. Ainsi en 2017 Newsweek a intitulé un article : « Bitcoin Mining on Track to Consume All of the World’s Energy by 2020 » [L’extraction de bitcoins en passe de consommer toute l’énergie mondiale d’ici 2020] (Cuthbertson 2017). Or le corps de l’article précisait : « such a projection is purely hypothetical » [une telle projection est purement hypothétique]. Cette précaution argumentaire a été peu relevée par tous ceux qui ont dénoncé ce qui serait selon eux le caractère erroné et donc inutilement alarmiste de l’article. Les affirmations notamment de Noizat (2019) relativisant cette consommation électrique ont été contredites par Delahaye (2019), sans que le premier réponde aux arguments critiques. Une des plus récentes alertes (en mars 2021) est venue du milliardaire Bill Gates dans une interview au New York Times (reprise dans Ponciano 2021). Le milliardaire, Elon Musk, quant à lui, est passé fin mars 2021 de l’appui au bitcoin sur son compte Twitter[12] à, six semaines plus tard, une critique à l’encontre de son « bilan carbone désastreux » (Burgel 2021). Ce qui en une journée a fait chuter son cours de 15 %. Selon le Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index (CBECI), la transaction d’un bitcoin a une empreinte carbone équivalente à celle de 735 121 transferts monétaires par Visa ; ou encore pour ce qui est de la circulation de l’information, à celle de 55 280 heures de consultation de You Tube. Toujours, selon le CBECI, la consommation annuelle du réseau bitcoin serait en train d’atteindre 128 TWh (terawatt-heure) par an[13], soit 0,6 % de la consommation

    Par Servet J.

    19 juillet 2021

    Vive la décentralisation… mais pas pour nous ! Le mythe de la décentralisation dans l’écosystème des cryptoactifs

    La situation dans le monde des cryptoactifs est aujourd’hui paradoxale et malsaine autour de la question de la décentralisation. L’attrait du grand public pour la décentralisation des réseaux de cryptoactifs contraste fortement avec la centralisation des principaux acteurs de cet écosystème, qui mobilisent les ressources et la parole. En effet, il y a, d’une part, de vrais systèmes décentralisés fonctionnant grâce à des « chaînes de pages » (« blockchain ») gérées par des réseaux de validateurs indépendants. C’est la surveillance croisée que chaque validateur exerce sur les autres qui assure une sécurité incontestable du registre des comptes du réseau, empêchant toute création frauduleuse de jetons et toute manipulation sur les comptes (réseaux Bitcoin, Ethereum, Solana, etc). Il y a, d’autre part, un ensemble d’acteurs centralisés (plateformes d’échange, émetteurs de stablecoins, de NFT, entreprises de minages, etc.) qui sont des « tiers de confiance ». Ils sont mal contrôlés ou pas du tout, et donc davantage susceptibles de défaillir que les banques, bourses et autres acteurs classiques du monde de la finance auxquels on doit assimiler ces acteurs centralisés de l’écosystème des cryptoactifs. Le client intéressé par la spéculation sur les cryptoactifs croit souvent à tort qu’en s’adressant à ces acteurs centralisés ils bénéficient des mêmes avantages que ceux que donnent les réseaux décentralisés. Or, c’est faux puisque ces acteurs ne sont pas surveillés par un ensemble de validateurs indépendants et obligés de se coordonner comme c’est le cas avec les blockchains. Il en résulte des accidents nombreux mais inévitables dont la chute de FTX à l’automne 2022 n’est qu’un exemple parmi des dizaines[1]. Les victimes sont ceux qui croyaient bénéficier de la sécurité d’un réseau décentralisé et qui se trouvent spoliés par un tiers de confiance… qui ne la méritait pas. Il serait important que le public comprenne bien la différence entre centralisé — un seul acteur peut décider de tout —  et décentralisé — une multitude d’acteurs se coordonnent et se surveillent pour gérer sans faille des jetons sur lesquels on parie, ce qui rend possible de leur attribuer un cours. Les blockchains ont créé la possibilité d’actifs numériques décentralisés très bien sécurisés — c’est formidable ! — mais tout ce qui tourne autour n’est pas, comme par miracle, sécurisé, et si certains essaient de le faire croire, ils doivent être remis à leur place. Le plus malsain de cette situation est que la parole sur cet écosystème composé de deux types totalement différents d’acteurs n’est tenue pratiquement que par ceux qui sont du côté centralisé. Cela est dû en partie à ce que les réseaux de validateurs des dispositifs décentralisés n’ont pas pour fonction ni forcément les moyens de parler. Il est difficile pour eux d’exprimer d’une seule voix leurs analyses et de formuler les réserves qui s’imposent face aux acteurs centralisés. Cela est dû aussi à ce que ceux-ci ont tout intérêt à ce que cette situation perdure car elle leur permet de défendre leurs entreprises, petites et parfois énormes, en brouillant les pistes. L’ADAN (Association pour le développement des Actifs Numériques) par exemple est constituée de membres qui sont tous des entreprises centralisées : Coinhouse, Ledger, Consensys, iExce, Blockchain Partner, etc. L’ADAN parle au nom de l’écosystème des cryptoactifs, prétend travailler à promouvoir son développement, agit auprès du monde politique, mène un travail pédagogique pour « faciliter la compréhension des opportunités liées aux actifs numériques »[2], etc. mais en réalité défend la partie faible de l’écosystème. Cette défense est souvent agressive et certains membres du conseil d’administration de l’ADAN, dont Alexandre Stachtchenko, se sont fait la spécialité de promouvoir dans les médias toutes les thèses de l’ADAN qui vont bien sûr dans le sens des intérêts de ses membres… centralisés. Sans surprise, l’ADAN n’évoque jamais ce que le fait qu’elle ne représente que la moitié fragile et risquée de ce qui s’est construit autour de l’idée de décentralisation par les blockchains. En clair, ce qu’on entend le plus souvent, est une information biaisée. Elle oublie de dire l’essentiel et de plus, prétendant que c’est nécessaire, demande le moins de réglementation possible et freine toutes celles qui pourraient se mettre en place pour traiter les acteurs centralisés comme ils doivent l’être, en s’inspirant des règlements du monde bancaire et financier. Qui peut parler de cet écosystème sans y être trop directement impliqué au titre d’acteur centralisé ? Les journalistes quand ils comprennent bien de quoi il s’agit, les chercheurs non-spéculateurs qui étudient les protocoles de fonctionnement des blockchains et savent bien comment fonctionnent les différents systèmes, les politiques s’ils résistent au langage intéressé tenu par les défenseurs de la composante centralisée de l’écosystème (l’actualité récente nous démontre que ce n’est souvent pas le cas). Malheureusement ces acteurs susceptibles de dire la vérité de la situation ne font pas toujours le poids face aux milliards de dollars dont les entreprises centralisées de l’écosystème disposent. La façon dont FTX a distribué des sommes considérables à de très nombreux élus américains est symptomatique du côté malsain du monde des cryptoactifs[3]. En France on a vu des personnalités politiques, dont le Pierre Person (député de La République en Marche de 2017 à 2022, qui se présente lui-même comme détenteur de cryptoactifs) se faire les défenseurs acharnés d’une régulation la plus faible possible en expliquant que toute réglementation mettrait la France en retard par rapport au reste du monde[4]. N’est-il pas étonnant encore d’apprendre que Stéphanie Cabossiorias autrefois Directrice Adjointe des affaires juridiques de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et magistrat à la Cour des comptes, est devenue Directrice juridique de Binance France, quand on sait que Binance est le plus gros acteur centralisé du monde des cryptoactifs, par ailleurs sous le coup de nombreuses sanctions ou enquêtes dans divers pays, et… accueillie en France[5]. Il est temps maintenant que le monde politique, les observateurs divers et les journalistes prennent du recul et cessent de se faire balader par ce qui n’est qu’une forme de tromperie. Celle de prétendre défendre les systèmes décentralisés quand on n’en est pas un, pour promouvoir son petit ou gros commerce et tirer le maximum de profits

    Par Delahaye J., Dufrêne N., Krajewski P., Servet J.

    31 octobre 2021

    Le bitcoin, mirage monétaire et désastre écologique

      Dans le contexte de la crise de 2008-2009, l’avènement du bitcoin a pu séduire parce que, produit et géré avec un logiciel libre[1], il est supposé donner le pouvoir monétaire à ses utilisateurs grâce à sa gestion par une technologie plutôt que par une puissance centralisée (État et Banque centrale d’une part, banques commerciales de l’autre)[2]. Il serait « un outil crucial de libération individuelle face à un État omniprésent » (Lars 2021). Sa promesse était qu’il deviendrait une monnaie tant aux échelons nationaux qu’international et contrebalancerait, voire dépasserait, le monopole banco-financier des paiements. Chacun pourrait contribuer à partir de son ordinateur personnel à ce système décentralisé et ce système diminuerait même les coûts de transactions pour ses utilisateurs. Surtout, il mobiliserait un esprit à la fois communautaire[3] et pionnier. Le bitcoin aurait (re)fait de la monnaie un bien libre et un commun (Dupré, Ponsot, Servet 2015 ; Servet 2021a). La réalité est loin de ce schéma idyllique qui témoigne d’une confusion entre les intentions et les désirs mis en avant par ses promoteurs, et la réalité de ses usages et de son fonctionnement[4]. Le bitcoin n’est ainsi que très marginalement monnaie[5] au sens d’un instrument de paiement largement partagé au sein d’une communauté de paiement. La volatilité extrême de son cours fait douter qu’il ne puisse d’ailleurs jamais l’être, sauf dans des pays comme aujourd’hui le Liban qui connait un effondrement de son système monétaire et financier (Maucourant Atallah 2021), le Salvador qui a perdu sa souveraineté monétaire au profit du dollar depuis vingt ans (Kharpal 2021b) ou le Nigeria qui subit une hyperinflation[6]. En outre, le bitcoin est essentiellement devenu un instrument spéculatif, nouvel objet de jeu pour les institutions financières comme en témoigne la récente cotation en bourse de Coinbase (Garcia 2021). S’agirait-il alors d’un « placement alternatif » comme ont pu le décrire les autorités chinoises (Kharpal 2021a ; Cagan 2021a) ? On remarque cependant que la Chine a interdit à ses citoyens son usage comme monnaie et depuis peu sa production notamment en raison de ses effets dénoncés comme nuisibles pour l’environnement[7]. Une large partie de l’opinion publique assimile encore l’ensemble des crypto-activités au bitcoin alors qu’elles vont bien au-delà du monétaire et du financier. Si la critique à l’encontre du bitcoin est néfaste à la reconnaissance des potentialités de l’ensemble des cryptoactivités, n’est-ce pas à leurs spécialistes de faire connaître les différences existant, à des degrés divers, entre les différentes activités de cryptage, l’utilité des blockchains[8] et les spécificités de quelques-unes des 9500 autres cryptoactifs qui seraient aujourd’hui émis[9] ? Demain on connaîtra sans doute des monnaies numériques émises et gérées par les banques centrales, ce qui changera largement la donne. La Chine s’affiche aux avant-postes des innovations en cours et surtout futures (Lehman, Rothstein 2021), avec un modèle très différent du fait d’interventions publiques conservant à la monnaie sa qualité souveraine. Ce débat est aussi ouvert aux États-Unis (Hockett 2020) et ailleurs, comme une réponse aux défis monétaires à venir (Servet 2021b). Au-delà des usages monétaires du bitcoin, l’objectif principal de cette note est de démontrer que le bitcoin est un gouffre énergivore, contraire à nos ambitions climatiques. 1.     Le bitcoin consomme une quantité d’énergie croissante Pour émettre les bitcoins il faut en effet faire tourner des ordinateurs puissants. Ces machines dites de « minage » sont en concurrence les unes avec les autres (Framabot et alii, 2018). Ceux qui échouent à miner un bloc ont investi à perte car ils ne bénéficient pas en tt+1 d’une avance pour l’émission suivante. Cela se fait avec une consommation électrique croissante à laquelle s’additionne celle pour produire voire transporter ce matériel de minage et à laquelle peut s’ajouter encore celle requise pour réfrigérer certains locaux compte tenu de la chaleur dégagée. De très nombreux articles de presse et rapports ont ainsi dénoncé le caractère énergivore[10] du bitcoin. En effet, le fonctionnement du réseau Bitcoin se base sur ce qu’on appelle la preuve de travail (POW) pour attribuer les nouveaux bitcoins créés actuellement toutes les dix minutes. En s’attachant à la question énergétique, on peut y voir une erreur de conception du bitcoin car une autre technique, la preuve d’enjeu (POS) et ses variantes, n’engendre pas une dépense énergétique aussi élevée que celle du bitcoin tout en apportant une sécurité que l’on peut estimer équivalente. D’autres cryptoactifs (ADA de Cardano par exemple, Binance coin, XRP, etc.) sont d’ailleurs fondés sur des protocoles de type POS et pourraient supplanter le bitcoin. Les données diffusées sur l’énergie consommée pour émettre et faire circuler les bitcoins constituent une mise en garde[11]. Ainsi en 2017 Newsweek a intitulé un article : « Bitcoin Mining on Track to Consume All of the World’s Energy by 2020 » [L’extraction de bitcoins en passe de consommer toute l’énergie mondiale d’ici 2020] (Cuthbertson 2017). Or le corps de l’article précisait : « such a projection is purely hypothetical » [une telle projection est purement hypothétique]. Cette précaution argumentaire a été peu relevée par tous ceux qui ont dénoncé ce qui serait selon eux le caractère erroné et donc inutilement alarmiste de l’article. Les affirmations notamment de Noizat (2019) relativisant cette consommation électrique ont été contredites par Delahaye (2019), sans que le premier réponde aux arguments critiques. Une des plus récentes alertes (en mars 2021) est venue du milliardaire Bill Gates dans une interview au New York Times (reprise dans Ponciano 2021). Le milliardaire, Elon Musk, quant à lui, est passé fin mars 2021 de l’appui au bitcoin sur son compte Twitter[12] à, six semaines plus tard, une critique à l’encontre de son « bilan carbone désastreux » (Burgel 2021). Ce qui en une journée a fait chuter son cours de 15 %. Selon le Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index (CBECI), la transaction d’un bitcoin a une empreinte carbone équivalente à celle de 735 121 transferts monétaires par Visa ; ou encore pour ce qui est de la circulation de l’information, à celle de 55 280 heures de consultation de You Tube. Toujours, selon le CBECI, la consommation annuelle du réseau bitcoin serait en train d’atteindre 128 TWh (terawatt-heure) par an[13], soit 0,6 % de la consommation

    Par Servet J.

    31 octobre 2021

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