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Vive la décentralisation… mais pas pour nous !

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      Vive la décentralisation… mais pas pour nous !Le mythe de la décentralisation dans l’écosystème des cryptoactifs

      La situation dans le monde des cryptoactifs est aujourd’hui paradoxale et malsaine autour de la question de la décentralisation. L’attrait du grand public pour la décentralisation des réseaux de cryptoactifs contraste fortement avec la centralisation des principaux acteurs de cet écosystème, qui mobilisent les ressources et la parole.

      En effet, il y a, d’une part, de vrais systèmes décentralisés fonctionnant grâce à des « chaînes de pages » (« blockchain ») gérées par des réseaux de validateurs indépendants. C’est la surveillance croisée que chaque validateur exerce sur les autres qui assure une sécurité incontestable du registre des comptes du réseau, empêchant toute création frauduleuse de jetons et toute manipulation sur les comptes (réseaux Bitcoin, Ethereum, Solana, etc).

      Il y a, d’autre part, un ensemble d’acteurs centralisés (plateformes d’échange, émetteurs de stablecoins, de NFT, entreprises de minages, etc.) qui sont des « tiers de confiance ». Ils sont mal contrôlés ou pas du tout, et donc davantage susceptibles de défaillir que les banques, bourses et autres acteurs classiques du monde de la finance auxquels on doit assimiler ces acteurs centralisés de l’écosystème des cryptoactifs.

      Le client intéressé par la spéculation sur les cryptoactifs croit souvent à tort qu’en s’adressant à ces acteurs centralisés ils bénéficient des mêmes avantages que ceux que donnent les réseaux décentralisés. Or, c’est faux puisque ces acteurs ne sont pas surveillés par un ensemble de validateurs indépendants et obligés de se coordonner comme c’est le cas avec les blockchains. Il en résulte des accidents nombreux mais inévitables dont la chute de FTX à l’automne 2022 n’est qu’un exemple parmi des dizaines[1]. Les victimes sont ceux qui croyaient bénéficier de la sécurité d’un réseau décentralisé et qui se trouvent spoliés par un tiers de confiance… qui ne la méritait pas. Il serait important que le public comprenne bien la différence entre centralisé — un seul acteur peut décider de tout —  et décentralisé — une multitude d’acteurs se coordonnent et se surveillent pour gérer sans faille des jetons sur lesquels on parie, ce qui rend possible de leur attribuer un cours.

      Les blockchains ont créé la possibilité d’actifs numériques décentralisés très bien sécurisés — c’est formidable ! — mais tout ce qui tourne autour n’est pas, comme par miracle, sécurisé, et si certains essaient de le faire croire, ils doivent être remis à leur place.

      Le plus malsain de cette situation est que la parole sur cet écosystème composé de deux types totalement différents d’acteurs n’est tenue pratiquement que par ceux qui sont du côté centralisé. Cela est dû en partie à ce que les réseaux de validateurs des dispositifs décentralisés n’ont pas pour fonction ni forcément les moyens de parler. Il est difficile pour eux d’exprimer d’une seule voix leurs analyses et de formuler les réserves qui s’imposent face aux acteurs centralisés. Cela est dû aussi à ce que ceux-ci ont tout intérêt à ce que cette situation perdure car elle leur permet de défendre leurs entreprises, petites et parfois énormes, en brouillant les pistes.

      L’ADAN (Association pour le développement des Actifs Numériques) par exemple est constituée de membres qui sont tous des entreprises centralisées : Coinhouse, Ledger, Consensys, iExce, Blockchain Partner, etc. L’ADAN parle au nom de l’écosystème des cryptoactifs, prétend travailler à promouvoir son développement, agit auprès du monde politique, mène un travail pédagogique pour « faciliter la compréhension des opportunités liées aux actifs numériques »[2], etc. mais en réalité défend la partie faible de l’écosystème. Cette défense est souvent agressive et certains membres du conseil d’administration de l’ADAN, dont Alexandre Stachtchenko, se sont fait la spécialité de promouvoir dans les médias toutes les thèses de l’ADAN qui vont bien sûr dans le sens des intérêts de ses membres… centralisés. Sans surprise, l’ADAN n’évoque jamais ce que le fait qu’elle ne représente que la moitié fragile et risquée de ce qui s’est construit autour de l’idée de décentralisation par les blockchains. En clair, ce qu’on entend le plus souvent, est une information biaisée. Elle oublie de dire l’essentiel et de plus, prétendant que c’est nécessaire, demande le moins de réglementation possible et freine toutes celles qui pourraient se mettre en place pour traiter les acteurs centralisés comme ils doivent l’être, en s’inspirant des règlements du monde bancaire et financier.

      Qui peut parler de cet écosystème sans y être trop directement impliqué au titre d’acteur centralisé ? Les journalistes quand ils comprennent bien de quoi il s’agit, les chercheurs non-spéculateurs qui étudient les protocoles de fonctionnement des blockchains et savent bien comment fonctionnent les différents systèmes, les politiques s’ils résistent au langage intéressé tenu par les défenseurs de la composante centralisée de l’écosystème (l’actualité récente nous démontre que ce n’est souvent pas le cas).

      Malheureusement ces acteurs susceptibles de dire la vérité de la situation ne font pas toujours le poids face aux milliards de dollars dont les entreprises centralisées de l’écosystème disposent. La façon dont FTX a distribué des sommes considérables à de très nombreux élus américains est symptomatique du côté malsain du monde des cryptoactifs[3]. En France on a vu des personnalités politiques, dont le Pierre Person (député de La République en Marche de 2017 à 2022, qui se présente lui-même comme détenteur de cryptoactifs) se faire les défenseurs acharnés d’une régulation la plus faible possible en expliquant que toute réglementation mettrait la France en retard par rapport au reste du monde[4].

      N’est-il pas étonnant encore d’apprendre que Stéphanie Cabossiorias autrefois Directrice Adjointe des affaires juridiques de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et magistrat à la Cour des comptes, est devenue Directrice juridique de Binance France, quand on sait que Binance est le plus gros acteur centralisé du monde des cryptoactifs, par ailleurs sous le coup de nombreuses sanctions ou enquêtes dans divers pays, et… accueillie en France[5].

      Il est temps maintenant que le monde politique, les observateurs divers et les journalistes prennent du recul et cessent de se faire balader par ce qui n’est qu’une forme de tromperie. Celle de prétendre défendre les systèmes décentralisés quand on n’en est pas un, pour promouvoir son petit ou gros commerce et tirer le maximum de profits d’un univers qu’on rend de plus en plus fragile parce qu’on cherche à en éviter au maximum la réglementation là où elle est indispensable pour éviter la multiplication des escroqueries en tout genre.

      La situation actuelle est malsaine. C’est aux politiques, aux chercheurs indépendants, aux journalistes de le faire savoir haut et fort et d’exercer un regard critique et sans faiblesse sur tout l’écosystème très étrange qui s’est bâti autour de l’idée de « décentralisation ». Cette idée a permis la création d’un univers d’actifs numériques sécurisés qu’il faut défendre en réglementant tous les acteurs qui profitent d’un principe qu’ils n’appliquent pas à eux-mêmes et tirent des profits parfois prodigieux d’un public qui trop souvent ne comprend pas de quoi il s’agit.

      [1] https://crystalblockchain.com/articles/the-10-biggest-crypto-exchange-hacks-in-history/ https://www.investopedia.com/news/largest-cryptocurrency-hacks-so-far year/#:~:text=In%20one%20of%20the%20most,of%202%20million%20BNB%20tokens

      [2] https://www.adan.eu/publication/ladan-publie-son-rapport-annuel-dactivite-pour-2021/

      [3] https://cryptoast.fr/37-pourcents-membres-congres-americain-recu-argent-dirigeants-ftx/

      [4] https://investir.lesechos.fr/marches-indices/bitcoin-cryptomonnaies/le-depute-pierre-person-publie-un-rapport-en-faveur-des-cryptomonnaies-1853779 https://journalducoin.com/actualites/depute-francais-pro-cryptos-pierre-person-surfin-bitcoin-22/

      [5] https://www.mediapart.fr/journal/economie/100622/la-france-cede-aux-sirenes-de-la-cryptomonnaie-et-accueille-le-sulfureux-binance-bras-ouverts

      Publié le 1 mars 2023

      Vive la décentralisation… mais pas pour nous !
      Le mythe de la décentralisation dans l’écosystème des cryptoactifs

      Auteurs

      Jean-Paul Delahaye
      Mathématicien et informaticien, université de Lille, laboratoire CRISTAL

      Nicolas Dufrêne
      Nicolas Dufrêne est haut fonctionnaire à l'Assemblée nationale depuis 2012, économiste et directeur de l'Institut Rousseau depuis mars 2020. Il est co-auteur du livre "Une monnaie écologique" avec Alain Grandjean, paru aux éditions Odile Jacob en 2020 et auteur du livre "La dette au XXIe siècle, comment s'en libérer" (éditions Odile Jacob, 2023). Il est spécialiste des questions institutionnelles, monétaires et des outils de financement public. nicolas.dufrene@institut-rousseau.fr

      Pierre Krajewski

      Jean-Michel Servet
      Jean-Michel Servet est un économiste français, auteur de nombreux d’ouvrages, parmi lesquels L’économie comportementale en question, (Charles Léopold Mayer, 2018). Il travaille sur les domaines de la monnaie, de la microfinance, de l’histoire de la pensée économique, et de l’économie sociale et solidaire.

      La situation dans le monde des cryptoactifs est aujourd’hui paradoxale et malsaine autour de la question de la décentralisation. L’attrait du grand public pour la décentralisation des réseaux de cryptoactifs contraste fortement avec la centralisation des principaux acteurs de cet écosystème, qui mobilisent les ressources et la parole.

      En effet, il y a, d’une part, de vrais systèmes décentralisés fonctionnant grâce à des « chaînes de pages » (« blockchain ») gérées par des réseaux de validateurs indépendants. C’est la surveillance croisée que chaque validateur exerce sur les autres qui assure une sécurité incontestable du registre des comptes du réseau, empêchant toute création frauduleuse de jetons et toute manipulation sur les comptes (réseaux Bitcoin, Ethereum, Solana, etc).

      Il y a, d’autre part, un ensemble d’acteurs centralisés (plateformes d’échange, émetteurs de stablecoins, de NFT, entreprises de minages, etc.) qui sont des « tiers de confiance ». Ils sont mal contrôlés ou pas du tout, et donc davantage susceptibles de défaillir que les banques, bourses et autres acteurs classiques du monde de la finance auxquels on doit assimiler ces acteurs centralisés de l’écosystème des cryptoactifs.

      Le client intéressé par la spéculation sur les cryptoactifs croit souvent à tort qu’en s’adressant à ces acteurs centralisés ils bénéficient des mêmes avantages que ceux que donnent les réseaux décentralisés. Or, c’est faux puisque ces acteurs ne sont pas surveillés par un ensemble de validateurs indépendants et obligés de se coordonner comme c’est le cas avec les blockchains. Il en résulte des accidents nombreux mais inévitables dont la chute de FTX à l’automne 2022 n’est qu’un exemple parmi des dizaines[1]. Les victimes sont ceux qui croyaient bénéficier de la sécurité d’un réseau décentralisé et qui se trouvent spoliés par un tiers de confiance… qui ne la méritait pas. Il serait important que le public comprenne bien la différence entre centralisé — un seul acteur peut décider de tout —  et décentralisé — une multitude d’acteurs se coordonnent et se surveillent pour gérer sans faille des jetons sur lesquels on parie, ce qui rend possible de leur attribuer un cours.

      Les blockchains ont créé la possibilité d’actifs numériques décentralisés très bien sécurisés — c’est formidable ! — mais tout ce qui tourne autour n’est pas, comme par miracle, sécurisé, et si certains essaient de le faire croire, ils doivent être remis à leur place.

      Le plus malsain de cette situation est que la parole sur cet écosystème composé de deux types totalement différents d’acteurs n’est tenue pratiquement que par ceux qui sont du côté centralisé. Cela est dû en partie à ce que les réseaux de validateurs des dispositifs décentralisés n’ont pas pour fonction ni forcément les moyens de parler. Il est difficile pour eux d’exprimer d’une seule voix leurs analyses et de formuler les réserves qui s’imposent face aux acteurs centralisés. Cela est dû aussi à ce que ceux-ci ont tout intérêt à ce que cette situation perdure car elle leur permet de défendre leurs entreprises, petites et parfois énormes, en brouillant les pistes.

      L’ADAN (Association pour le développement des Actifs Numériques) par exemple est constituée de membres qui sont tous des entreprises centralisées : Coinhouse, Ledger, Consensys, iExce, Blockchain Partner, etc. L’ADAN parle au nom de l’écosystème des cryptoactifs, prétend travailler à promouvoir son développement, agit auprès du monde politique, mène un travail pédagogique pour « faciliter la compréhension des opportunités liées aux actifs numériques »[2], etc. mais en réalité défend la partie faible de l’écosystème. Cette défense est souvent agressive et certains membres du conseil d’administration de l’ADAN, dont Alexandre Stachtchenko, se sont fait la spécialité de promouvoir dans les médias toutes les thèses de l’ADAN qui vont bien sûr dans le sens des intérêts de ses membres… centralisés. Sans surprise, l’ADAN n’évoque jamais ce que le fait qu’elle ne représente que la moitié fragile et risquée de ce qui s’est construit autour de l’idée de décentralisation par les blockchains. En clair, ce qu’on entend le plus souvent, est une information biaisée. Elle oublie de dire l’essentiel et de plus, prétendant que c’est nécessaire, demande le moins de réglementation possible et freine toutes celles qui pourraient se mettre en place pour traiter les acteurs centralisés comme ils doivent l’être, en s’inspirant des règlements du monde bancaire et financier.

      Qui peut parler de cet écosystème sans y être trop directement impliqué au titre d’acteur centralisé ? Les journalistes quand ils comprennent bien de quoi il s’agit, les chercheurs non-spéculateurs qui étudient les protocoles de fonctionnement des blockchains et savent bien comment fonctionnent les différents systèmes, les politiques s’ils résistent au langage intéressé tenu par les défenseurs de la composante centralisée de l’écosystème (l’actualité récente nous démontre que ce n’est souvent pas le cas).

      Malheureusement ces acteurs susceptibles de dire la vérité de la situation ne font pas toujours le poids face aux milliards de dollars dont les entreprises centralisées de l’écosystème disposent. La façon dont FTX a distribué des sommes considérables à de très nombreux élus américains est symptomatique du côté malsain du monde des cryptoactifs[3]. En France on a vu des personnalités politiques, dont le Pierre Person (député de La République en Marche de 2017 à 2022, qui se présente lui-même comme détenteur de cryptoactifs) se faire les défenseurs acharnés d’une régulation la plus faible possible en expliquant que toute réglementation mettrait la France en retard par rapport au reste du monde[4].

      N’est-il pas étonnant encore d’apprendre que Stéphanie Cabossiorias autrefois Directrice Adjointe des affaires juridiques de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et magistrat à la Cour des comptes, est devenue Directrice juridique de Binance France, quand on sait que Binance est le plus gros acteur centralisé du monde des cryptoactifs, par ailleurs sous le coup de nombreuses sanctions ou enquêtes dans divers pays, et… accueillie en France[5].

      Il est temps maintenant que le monde politique, les observateurs divers et les journalistes prennent du recul et cessent de se faire balader par ce qui n’est qu’une forme de tromperie. Celle de prétendre défendre les systèmes décentralisés quand on n’en est pas un, pour promouvoir son petit ou gros commerce et tirer le maximum de profits d’un univers qu’on rend de plus en plus fragile parce qu’on cherche à en éviter au maximum la réglementation là où elle est indispensable pour éviter la multiplication des escroqueries en tout genre.

      La situation actuelle est malsaine. C’est aux politiques, aux chercheurs indépendants, aux journalistes de le faire savoir haut et fort et d’exercer un regard critique et sans faiblesse sur tout l’écosystème très étrange qui s’est bâti autour de l’idée de « décentralisation ». Cette idée a permis la création d’un univers d’actifs numériques sécurisés qu’il faut défendre en réglementant tous les acteurs qui profitent d’un principe qu’ils n’appliquent pas à eux-mêmes et tirent des profits parfois prodigieux d’un public qui trop souvent ne comprend pas de quoi il s’agit.

      [1] https://crystalblockchain.com/articles/the-10-biggest-crypto-exchange-hacks-in-history/ https://www.investopedia.com/news/largest-cryptocurrency-hacks-so-far year/#:~:text=In%20one%20of%20the%20most,of%202%20million%20BNB%20tokens

      [2] https://www.adan.eu/publication/ladan-publie-son-rapport-annuel-dactivite-pour-2021/

      [3] https://cryptoast.fr/37-pourcents-membres-congres-americain-recu-argent-dirigeants-ftx/

      [4] https://investir.lesechos.fr/marches-indices/bitcoin-cryptomonnaies/le-depute-pierre-person-publie-un-rapport-en-faveur-des-cryptomonnaies-1853779 https://journalducoin.com/actualites/depute-francais-pro-cryptos-pierre-person-surfin-bitcoin-22/

      [5] https://www.mediapart.fr/journal/economie/100622/la-france-cede-aux-sirenes-de-la-cryptomonnaie-et-accueille-le-sulfureux-binance-bras-ouverts

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