Vers une sécurité sociale de l’alimentation
Communiqué Institut Rousseau
Pour la première fois depuis la Libération, l’extrême-droite semble en mesure d’obtenir une majorité parlementaire et, ainsi, de gouverner notre République. L’histoire nous apprend pourtant que l’extrême-droite ne dit jamais son nom, pas plus que l’extrême-libéralisme, et que les deux vont souvent de pair. Au cours des trente dernières années, ces forces se sont conjuguées pour nous mener aujourd’hui au bord de l’abîme. Alors que l’idéologie du marché sans contrepartie abattait les protections des individus, des nations et des écosystèmes, préparant l’avènement de l’extrême-droite tout en prétendant la repousser, cette dernière s’appuyait sur le désordre du monde et la colère grandissante pour imposer ses visions rétrogrades et simplistes et accuser ses boucs-émissaires. Ces deux puissances masquées se sont renforcées et soutenues mutuellement, pour le plus grand malheur des peuples qui croient en leurs promesses de prospérité ou d’ordre, alors qu’elles n’apportent que précarité et désordre. Sous couvert de « modernité » ou de « protection », leurs logiciels profonds sont ceux de la violence et du ressentiment. Ces forces ne parlent pas le langage de la République : à rebours de l’idéal d’humanisme et de solidarité, elles opposent les citoyens entre eux, selon leur statut social, leurs origines ou leurs manières d’être. Ce ne sont pas des forces de progrès, de protection, encore moins de rassemblement, ce sont des forces de destruction, d’insécurité et de division. Les fictions sociales sur lesquelles elles reposent nient tant la possibilité d’une alternative au repli identitaire que celle d’une harmonie, c’est-à-dire qu’elles refusent ce qui constitue l’essence même de la liberté humaine. Le résultat de leur action, dans les actes comme sur les esprits, est devant nos yeux : nous vivons un âge des colères, celui où l’équilibre psychologique et la tolérance des peuples menacent de céder devant la disparition des services publics et des solidarités organisées, devant la montée des inégalités, de la pauvreté et la violence sociale qui en découle, comme devant la violence des représentations et la déshumanisation des débats publics. Placés en situation permanente d’insécurité économique, soumis à un ordre de réformes aussi injustes que prétendument incontournables, contraints et punis dans leur expression politique, appelés à se dresser contre les plus faibles plutôt que d’être solidaires à leur égard, de plus en plus de nos concitoyens se préparent ainsi à faire le choix du pire, sans comprendre que cela les conduira vers davantage de difficultés encore. Il n’est plus d’intelligence rationnelle là où la souffrance et la frustration dominent trop longtemps. Pourtant, différentes enquêtes récentes ont montré que plus des trois-quarts des Françaises et des Français s’accordent pour des réformes telles que l’abrogation de la réforme des retraites, l’augmentation du SMIC, le rétablissement de l’ISF, la revalorisation de nos services publics ou encore la mise en place d’une véritable planification écologique capable à la fois de réindustrialiser notre pays et de répondre à la crise climatique. Ni le Rassemblement National –qui hier encore renonçait à abroger la réforme des retraites ou à rétablir l’ISF–, ni les partisans de la poursuite d’une politique néolibérale dont l’application n’a eu d’autres effets que diviser notre Nation, affaiblir notre économie et accélérer la régression écologique ne sont en mesure de répondre à ces aspirations majoritaires. Il appartient ainsi à toutes les forces sociales, républicaines et écologistes de convaincre le peuple, tout le peuple, qu’une autre voie est possible. Que l’on peut apporter des réponses crédibles, ambitieuses et justes à des problèmes bien réels, que la prospérité, la sécurité des individus comme la protection de la nature ne s’opposent pas mais sont indissociables, que l’on peut susciter l’adhésion politique par l’espoir plutôt que par le ressentiment ou la peur, qu’il n’y a pas de fatalité au repli ou à un ordre du monde perverti par une logique capitaliste déshumanisée. L’Institut Rousseau est né de cette conviction il y a plus de quatre ans, et il tiendra son rôle au service de cet idéal dans cette période critique. En écho à la Déclaration de Philadelphie (1944), nous soutenons que la justice sociale est le meilleur garant de la paix. Dans le sillage du Préambule de notre Constitution, nous affirmons que les droits humains de tous, y compris les migrants, ne sont jamais et nulle part négociables. Enfin, dans le prolongement de l’Office International du Travail, ultime témoin du projet de Société des Nations, nous affirmons que chacune, chacun a droit à un travail décent. Forts des travaux que nous avons produits au cours de ces dernières années, et des propositions originales que nous avons souvent fait émerger, nous entendons ainsi contribuer à montrer que sur les grands sujets politiques du moment, des solutions existent, qui n’ont besoin que de volonté politique et de l’engagement des citoyens à les revendiquer pour devenir des réalités. Nos propositions feront ainsi écho à celles qui se construisent dans le champ politique et syndical, en réaction à cette situation politique dangereuse, du Front populaire aux acteurs de la société civile, et seront utiles à toutes celles et tous ceux qui sont engagés pour le renouveau démocratique, la reconstruction écologique et la justice sociale. Notre contribution se matérialisera, à partir du 20 juin, par la publication quotidienne, durant deux semaines, de propositions synthétiques offrant des solutions concrètes et innovantes, dans le domaine des institutions politiques, de la protection sociale, du renouveau économique et de la reconstruction écologique. Rendez-vous à partir du 20 juin ! Institut Rousseau – des idées pour la reconstruction écologique, sociale et républicaine de nos sociétés.
16 juin 2024
L’Union européenne et le sauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : le droit comme rempart à l’indignité
Please click here for an English version (translation provided by the author) / version en anglais (fournie par l’auteur). Résumé exécutif La situation des secours en mer à l’égard des migrants-naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable » de la part de l’Union européenne. Le Forum Humanitaire Européen qui se tenait à Bruxelles les 18 et 19 mars 2024 aurait pu constituer un espace légitime pour inscrire les secours en mer à l’agenda politique de l’UE. Ce sujet a pourtant été totalement occulté. La perspective des élections du nouveau Parlement européen en juin 2024 donne à la question du sauvetage en mer un relief et des enjeux cruciaux, car les futures orientations de l’UE seront bien-sûr influencées par le résultat de cette élection. I – La Méditerranée centrale est la voie la plus dangereuse pour les migrants Les drames récurrents – pas toujours documentés car certains naufrages se font sans témoins – des noyades en Méditerranée sont aujourd’hui l’une des expressions les plus pathétiques de la fuite à tout prix de personnes désespérées, acceptant tous les risques dans leur aspiration à plus de sécurités fondamentales. C’est ainsi en Méditerranée que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est estimé à 28 888 personnes. II – Le secours aux naufragés constitue une obligation légale et morale Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pas à de rudes et parfois manichéennes controverses politiques : c’est la question du devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette question relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat. Ni au regard du Droit de la mer, ni en référence au Droit International Humanitaire. Dès lors, comme l’a également réaffirmé la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), l’acceptance et l’inertie des gouvernements des Etats-membres de l’UE – sous couvert de lutte anti-migration – devant les drames récurrents est intolérable : au plan moral, légal et politique. III – L’UE déploie une stupéfiante stratégie : ne pas aider, et laisser les pays riverains de la Méditerranée entraver ceux qui aident On assiste de fait en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyenne et tunisienne aux comportements obscurs et violents, et -par transfert de mandat- à des ONG de secours. Ces organisations sont pourtant soumises à des stratégies délibérées de harassement et d’empêchement à agir. Sans aucune contribution financière de la part de l’UE aux profits des actions qu’elles déploient. Ce repli dans l’implication de l’Union européenne au service du sauvetage, est d’autant plus inacceptable que l’UE est l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence. IV – Ne pas entériner, aujourd’hui et demain la violence pratiquée sur l’autre rive de la Méditerranée Les violences de toutes sortes pratiquées à l’égard des migrants en Lybie et en Tunisie sont amplement documentées. L’adoption du « pacte Migration et asile » intervient alors que l’UE a formalisé en 2024 des accords de coopération avec deux pays supplémentaires situés sur la rive sud de la Méditerranée qui se voient confiés des rôles cruciaux pour contrôler et endiguer les migrations. L’Egypte et la Mauritanie ont ainsi rejoint la Turquie (2016), la Libye (2017) et la Tunisie (2023) pour organiser une « ligne Maginot » anti migrants vers l’Europe. (…) Des questions et des doutes émergent d’emblée sur les pratiques qui seront adoptées par les deux pays récemment entrés dans le dispositif européen délocalisé. V – Des mesures sont énoncées, qui réaffirment la dimension humanitaire des actions développées par les navires de secours. A – Réaffirmer des principes généraux aujourd’hui occultés B – Mettre en œuvre les mesures correctives que requièrent les dysfonctionnements et défaillances constatées du secours aux naufragés Des modalités opérationnelles et politiques sont proposées dans la note pour rendre concrètes les solutions préconisées. Elles peuvent utilement nourrir le plaidoyer des député(e)s européen(ne)s et des organisations issues de la société civile. Introduction Des voix s’élèvent de toutes parts pour alerter sur les limites financières et politiques auxquelles se heurte désormais l’aide humanitaire internationale dans sa capacité de déploiement. Les fonds gouvernementaux, qui représentent 80 % des ressources annuelles, traduisent des choix directement liés aux priorités politiques des pays donateurs. La situation des secours à l’égard des migrants-naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable ». La perspective des élections du nouveau Parlement européen en juin 2024 dote la question du sauvetage d’un relief et d’enjeux cruciaux. Les futures orientations de l’Union européenne (UE) seront évidemment influencées par le résultat de cette élection. Le Forum Humanitaire Européen qui se tenait à Bruxelles les 18 et 19 mars derniers aurait pu constituer un espace légitime pour inscrire les secours en mer à l’agenda politique de l’Union européenne. Ce sujet a pourtant été totalement occulté. De même, on ne peut que regretter qu’il ne soit fait aucune mention explicite de la question du sauvetage des naufragés dans la toute récente publication de la stratégie humanitaire du gouvernement français pour sa programmation 2023-2027[1]. Il n’est pas trop tard. Deux objectifs du plan peuvent facilement et utilement accueillir un volet en résonance avec les secours en mer, contribuant à combler les carences constatées. L’un des objectifs affirme la nécessaire attention portée aux femmes et aux enfants, populations particulièrement fragiles parmi les migrants, à fortiori parmi ceux qui tentent la traversée (II.4 et II.5). 14 % de l’ensemble des personnes arrivées en Italie en 2016 après avoir traversé la Méditerranée étaient des enfants non accompagnés. Entre 2014 et 2020, au moins 2300 enfants sont morts ou ont disparu au cours de leur voyage migratoire[2]. Les femmes représentent 20 % des arrivées maritimes en Europe, avec une moindre chance de survivre à la traversée que les hommes[3]. Un autre objectif de la stratégie humanitaire affirme que la France défendra l’action humanitaire comme priorité européenne (IV.1.B). I – La Méditerranée est la porte d’entrée
Par Micheletti P.5 juin 2024
Sortir du paradigme sécuritaire : garantir le droit d’asile en Europe
Résumé exécutif Dans le contexte politique actuel, accentué par la campagne des élections européennes, les migrations en France et en Europe sont traitées majoritairement sous un prisme sécuritaire terriblement réducteur. Or, ces migrations comprennent en particulier un nombre important de migrations « forcées » de personnes venant solliciter une protection internationale en Europe. Alors que la norme devrait être un transit facilité, leur parcours migratoire s’amorce par des situations de détresse humanitaire dans les pays d’origine, auxquelles succèdent les risques dans les zones traversées, des frontières verrouillées ainsi que des politiques d’accueil défaillantes, tant en France que dans l’Union européenne. Face à cette situation et aux structures du débat public actuel, nous souhaitons rappeler que (1) les politiques anti-migratoires actuelles renvoient à un paradigme sécuritaire propre aux pays développés et historiquement récent, qui nie l’impératif de « sécurité humaine » reconnu par les institutions onusiennes et qui doit primer. En particulier, les conséquences de telles politiques, qui insécurisent les parcours migratoires, sont meurtrières, tel qu’illustré par les milliers de morts annuels en Méditerranée, et dramatiques pour les migrants « forcés », en situation de particulière vulnérabilité. À titre d’illustration, nous avons souhaité donner voix à trois témoignages recueillis par la voie associative. Ensuite, et pour sortir du paradigme sécuritaire européen, (2) cette note réaffirme les principes humanistes que nous estimons nécessaires pour guider les politiques publiques, et en particulier appréhender les migrations « forcées » et sécuriser les parcours migratoires. Sur cette base, nous présentons (3) plusieurs propositions qui nous paraissent répondre le plus urgemment à la nécessité de faciliter le transit et l’accueil en France et en Europe des migrants « forcés » nécessitant une protection. Notre proposition phare est à cet effet la création d’un « visa humanitaire » renouvelé et élargi, à l’échelle de l’Union européenne, qui permette de créer une voie sécurisée propre aux demandes de protection internationale, de soins médicaux, et aux autres situations d’urgence. En complément de celle-ci, nous proposons aussi que la Méditerranée soit reconnue comme espace humanitaire, d’améliorer la situation des demandeurs d’asile par l’accès sans délai à la possibilité de travailler, de développer des programmes de réinstallation, et de renforcer les mécanismes de redevabilité pour les États utilisant les fonds dédiés à la politique migratoire de l’Union européenne. L’Union européenne (UE) a adopté le 10 avril 2024 un nouveau Pacte européen sur les migrations et l’asile. Celui-ci prévoit notamment de renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière, en prévoyant un « filtrage » des personnes demandeuses d’asile aux frontières de l’Union européenne. L’actuelle surenchère relative à la question migratoire en France et dans l’Union européenne ignore toutefois la réalité des flux migratoires internationaux, relativement faibles, et la nécessité de pouvoir accueillir en Europe les personnes nécessitant une protection internationale à l’instar de l’asile. En effet, les statistiques internationales nous rappellent l’ampleur limitée des migrations, et en particulier les migrations dites « forcées », qui ne concernent qu’à titre marginal la France et l’Union européenne. En effet, d’après le rapport sur l’état de la migration dans le monde présenté par l’Organisation internationale des migrations (OIM[1]), en 2022, 280 millions de personnes étaient migrantes sur la planète, soit 3,6 % de la population mondiale. En particulier parmi ces mouvements migratoires, une partie seulement concerne les migrations dites « forcées », celles-ci pouvant se produire à l’intérieur d’un même pays, soit des déplacements internes, ou en dehors des frontières nationales. Selon le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR)[2], en 2022, 108 millions de personnes sont déplacées de force dans le monde – dont 40 % d’enfants – « en raison de persécutions, de conflits, de violences, de violations des droits de l’homme ou d’événements troublant gravement l’ordre public »[3]. Ce chiffre a augmenté de 21 % par rapport à 2021. Parmi ces migrations dites forcées, on dénombre 5,4 millions de demandeurs d’asile[4]. Ce même organisme estime également à 5,2 millions le nombre de personnes « ayant besoin d’une protection »[5]. Ainsi dans les faits, près de 10 millions de personnes nécessitent une protection, ce qui ne représente que 0,0133 % de la population mondiale. L’essentiel de ces demandes de protection se tourne vers les États-Unis d’Amérique (730 000), l’Allemagne (217 000), la France (137 000), le Costa Rica (130 000), l’Espagne et le Mexique (118 000 tous deux). Soulignons aussi que se trouvent parmi eux 51 000 enfants non accompagnés. Pour l’ensemble de l’UE, c’est 1,1 million de demandes d’asile[6], soit, si on met ce chiffre en regard de la population totale, 0,13 % de sa population. Ces chiffres restent donc dans des proportions démographiquement modestes. Pourtant les politiques migratoires restrictives mises en place en Europe ont pour effet de stigmatiser les personnes migrantes, occultant les causes qui « mettent en mouvement » celles et ceux qui n’ont d’autre choix que de quitter leurs territoires d’origine. Les États européens ont ainsi de facto délégué aux pays de la rive sud de la Méditerranée la responsabilité de contenir les personnes migrantes forcées à travers un certain nombre de pratiques, dont la plus répandue serait celle des « refoulements illégaux » ou « pushbacks ». Qualifié par les organisations non-gouvernementales (ONG) et autres défenseurs des droits humains de « sale boulot », ces pratiques dérivent en violences et violations systématiques des droits fondamentaux et de la dignité humaine. Les naufrages de bateaux transportant des personnes migrantes forcées aux portes de l’Europe en sont un terrible exemple. Face à cela, la grande famille européenne fait preuve de cécité humanitaire en n’ayant pas pour priorité de mettre fin à ces mises en danger et à ces situations dramatiques pour des milliers de personnes, en particulier en Méditerranée centrale. Un impératif : assurer la sécurité humaine Le Pacte européen adopté fixe le cadre de gestion en matière d’asile et de migrations. Ce pacte a pour ambition de réduire les migrations forcées vers l’Europe par le renforcement des contrôles aux frontières, et ce grâce à la collaboration des pays d’origine et de transit. Cette approche « sécuritaire » considère implicitement toute personne migrante comme une menace à la stabilité de l’Union européenne. Cette logique de l’« Europe forteresse » constitue le cœur des politiques migratoires européennes. Or, cela renvoie à une
Par Dontaine A.31 mai 2024
9 mars 2022
2 % POUR 2°C ! PRÉSENTATION DU RAPPORT
Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050. Revivez la conférence de présentation de notre rapport avec les experts de l’institut et Gaël Giraud.
Découvrez le rapport31 mars 2021
THOMAS PIKETTY, GAËL GIRAUD : LE CAPITALISME EST-IL RÉFORMABLE ?
Dans le cadre d’un partenariat entre la revue Études et l’institut Rousseau, les économistes Gaël Giraud et Thomas Piketty se sont rencontrés pour débattre de leurs critiques du capitalisme et mieux discerner leurs points d’accord et de désaccord. Dans le contexte actuel de menace de désastre écologique et social, le capitalisme est-il réformable ? Quelles sont vos propositions respectives ? Deux thèmes principaux ont été abordés : le traitement des inégalités et la critique de la sacralisation de la propriété privée.
Lire la retranscription14 décembre 2021
GIRAUD, GRANDJEAN, LEFOURNIER, DUFRÊNE : LES ILLUSIONS DE LA FINANCE VERTE
À l’occasion de la parution du livre « L’illusion de la finance verte » coécrit par Alain Grandjean (économiste et membre du Haut Conseil pour le climat) et Julien Lefournier (consultant et spécialiste des marchés financiers), l’Institut Rousseau a organisé une discussion avec les auteurs, Gaël Giraud (auteur de la préface et président d’honneur de l’Institut Rousseau) et Nicolas Dufrêne, directeur de l’Institut Rousseau.
Notre note sur les actifs fossiles30 août 2020
Rousseau, un intellectuel du XXIe siècle
Une série autour de Jean-Jacques Rousseau, proposée par Matthieu Abgrall.
Découvrir la série30/01/2024
Road To Net Zero
Notes
Voir tout (134)Le résultat de la COP16 Biodiversité en Colombie : oui… mais non !
La COP16 à Cali en Colombie avait la charge de passer des mots à l’action. Elle a enregistré quelques avancées significatives mais des engagements importants pris antérieurement n’ont pas été tenus. La Convention des Nations unies sur la diversité biologique (COP16) s’est tenue à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre 2024. Cette COP avait pour but de s’accorder sur la mise en œuvre, d’ici à 2030, des 23 objectifs fixés par l’Accord de Kunming-Montréal (conclu lors de la COP15 en 2022), comme la préservation d’au moins 30 % des terres et des mers d’ici 2030, la réduction des pollutions et du risque lié aux pesticides [pour plus de détails sur le contexte, voir l’encadré en fin d’article]. La Colombie, quatrième pays le plus riche en biodiversité[1] et le plus diversifié en termes d’espèces d’oiseaux, de papillons et d’orchidées, a-t-elle su faire aboutir les négociations et obtenir de réelles avancées ? Malgré quelques progrès notables, des blocages importants demeurent : Représentation des peuples autochtones : la COP16 a conduit à la création d’un groupe permanent au sein de la Convention sur la diversité biologique pour intégrer les peuples autochtones, reconnaissant ainsi leur rôle central en tant que protecteurs de la nature et de la biodiversité. Lancement du « Fonds Cali » pour garantir le partage équitable des bénéfices tirés des ressources génétiques, notamment au profit des pays en développement, afin de compenser les usages industriels de ces ressources. Mais son abondement est volontaire, ce qui ne peut que susciter des craintes sur les montants versés. Un retard général sur l’élaboration des stratégies nationales de préservation de la biodiversité et des efforts pour intensifier la protection des écosystèmes qui restent limités, malgré l’urgence illustrée par les chiffres alarmants concernant la perte de biodiversité. Le mécanisme de pilotage et de suivi de ces stratégies et plans nationaux n’a pas été mis en place, contrairement à ce qui était prévu. L’impasse des négociations sur le financement : les discussions sur la mise en place d’un fonds autonome dédié à la biodiversité, sous gouvernance onusienne, ont échoué. Ce mécanisme, réclamé par les pays en développement pour remplacer l’actuel jugé inadéquat, s’est heurté à l’opposition des pays développés. Des contributions financières en croissance mais représentant seulement 2 % de l’objectif 2030 : huit gouvernements ont annoncé un total de 400 millions de dollars pour le Fonds-cadre mondial pour la biodiversité, une étape très modeste en vue de l’objectif de 200 milliards de dollars d’aide annuelle d’ici 2030. Encadrement des « crédits biodiversité » : une feuille de route en vue de s’assurer que ces mécanismes de marché, conçus pour compenser les pertes écologiques, soient crédibles et servent effectivement la préservation de la nature a été proposée aux débats mais n’a pas pu être discutée faute de quorum. Le débat de fond sur l’utilisation ou non de ces crédits controversés (notamment suite aux scandales dont ont fait objet leurs équivalents carbone[2]) n’est ainsi pas tranché. I. Quelques avancées positives Un accord majeur a été officialisé lors de la COP16 : la création d’un organe permanent pour représenter les peuples autochtones au sein de la Convention sur la diversité biologique. Représentant un peu plus de 6 % de la population mondiale, les peuples autochtones occupent 22 % des terres de la planète abritant plus de 80 % de la biodiversité mondiale. Leur savoir traditionnel est souvent en première ligne pour la protection de la biodiversité et la préservation des écosystèmes contre des intérêts économiques à court-terme. La création de cette structure officielle reconnaît leur rôle comme essentiel et leur permettra de renforcer leur statut dans les futures négociations liées à la nature et au climat. Des avancées ont également été faites en matière de partage avec les populations locales (y compris les peuples autochtones), des bénéfices issus de la « biopiraterie », à savoir l’exploitation économique des ressources naturelles de pays en développement, par le séquençage numérique de l’ADN de plantes, d’animaux ou de microorganisme qui sont spécifiques à ces territoires. Le texte adopté stipule que les industries pharmaceutiques, cosmétiques, agricoles, alimentaires et biotechnologiques qui utilisent ces ressources devront verser 0,1 % de leur revenu ou 1 % de leurs bénéfices dérivés des données génétiques de la nature au nouveau « Fonds Cali ». Malheureusement ces seuils ne sont qu’indicatifs et il n’y a aucune obligation pour ces entreprises d’y contribuer. Ce qui, on ne peut que le craindre, risque de limiter très fortement le montant de ces versements. Enfin, un des textes importants adoptés place la biodiversité au même niveau que la décarbonation et le changement climatique. Cette décision va dans le sens des travaux de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES – l’équivalent du GIEC pour la biodiversité), qui indiquent que le changement climatique est une des causes majeures directes du déclin de la biodiversité. Elle doit permettre de créer des synergies pour solutionner les différentes problématiques de façon globale, sans (trop) les hiérarchiser ou les opposer. Elle devrait aussi permettre une plus grande attention politique et médiatique aux futures COP Biodiversité. II. Un premier échec majeur : celui des financements Les financements en provenance des États des pays riches pour la protection et la restauration de la nature, affichés à hauteur de 20 puis 30 milliards de dollars par an à horizon 2025 et 2030 à Montréal, sont très éloignés de l’objectif. Les engagements à l’alimentation du Fonds mondial pour la biodiversité (GBFF en anglais) se montent à seulement 400 millions de dollars. Les financements du secteur privé sont quant à eux quasiment absents. Il faut rappeler que les financements en provenance de toutes les sources (publiques, privées, philanthropiques, domestiques, innovantes sous la forme de taxes, etc.), et allant des pays du Nord vers ceux du Sud afin qu’ils investissent pour protéger et restaurer la biodiversité, sont estimés devoir être de l’ordre de 200 milliards de dollars par an. On en est très loin. Plus globalement, la prise de conscience par le secteur privé de l’effondrement de la diversité
Par Dicale L.19 décembre 2024
Une planification sociale pour répondre à la crise de l’exclusion sociale
La pauvreté progresse, à nouveau, en France. En 2021, 500 000 personnes sont tombées sous le seuil de pauvreté monétaire, fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit 1 158 euros par mois pour une personne seule. Rupture de la continuité de l’accès aux droits pendant la crise du Covid-19, forte hausse du coût de la vie du fait de la crise énergétique, les plus fragiles ont vécu au premier chef la succession de bouleversements économiques et sociaux du dernier quinquennat. Pour n’évoquer que l’exemple inflationniste, on rappellera que la hausse des prix est ressentie avec une intensité deux fois plus importante pour 18 % des ménages[1], parmi les plus précaires, en raison de leur impossibilité à adapter leur régime de consommation, déjà restreint par leur salaire, à la hausse des prix. Ce ressac doit nous interpeller à l’heure même où la richesse nationale n’a jamais été aussi élevée et où sa concentration est toujours plus intense – plus d’un tiers de la richesse nationale étant détenu par 10 % de la population[2]. Le parti pris de cette note réside dans l’idée que la croissance de la pauvreté, en France, répond moins à des enjeux de conjoncture qu’à une structure de société. En effet, en dépit d’une générosité – somme toute assez relative –, le système social français ne parvient pas à endiguer les tendances économiques d’exclusion de l’emploi stable, de mise à la rue et de maintien des personnes dans des situations de dépendances douloureuses à des filets de sécurité sociale dont les mailles s’élargissent. Lutter contre la pauvreté ne devrait pas se limiter à une simple politique de transferts sociaux, évidemment nécessaire, mais bien s’inscrire dans une révision profonde de notre modèle économique, de notre rapport à la richesse – indicateur de la position sociale – et à son absence qui condamnerait les individus pauvres à une situation « d’individualité par défaut »[3]. Perte d’habileté physique, sociale, isolement, multiplication des troubles psychiques, la pauvreté est, en effet, toujours plus qu’une simple absence de richesse pour l’individu. Elle emporte un changement de son rapport au temps en le poussant vers la satisfaction exclusive de ses besoins présents[4]. Elle humilie l’individu « désaffilié »[5] en le soumettant à une tutelle spécifique – sociale voire clinique – tantôt paternaliste, tantôt excluante, toujours imposée. Enfin, elle le touche jusque dans l’accomplissement de ses tâches les plus intimes et se faisant, porte atteinte à sa dignité, donc à son humanité[6]. Lutter efficacement contre la pauvreté suppose donc de prendre conscience du clivage contemporain entre des « vécus dignes » et des « vies indignes »[7], que ne pourra dépasser la politique actuelle de transferts monétaires grimée d’injonctions à l’insertion. C’est bien par une mobilisation générale, partagée par les associations et le secteur privé, coordonnée et impulsée par les institutions, que la lutte contre la pauvreté pourra se mettre au niveau d’exigence imposé par les temps. L’exercice de planification solidaire que nous proposons vise à traduire, en termes organisationnels et politiques, ce sursaut. À cet effet, il propose de renforcer les instruments existants de la lutte contre la pauvreté, d’en clarifier la gouvernance et d’en multiplier les partenaires citoyens, associatifs et du secteur privé. À l’urgence écologique, le président de la République a répondu : planification écologique. Nous sommes, pour ce qui nous concerne, convaincus qu’à l’urgence sociale doit répondre une planification sociale concrète, immédiate, engagée sur une trajectoire minimale de cinq ans avec comme horizon l’éradication de la grande pauvreté d’ici à 2030. I. Constats : si la lutte contre la pauvreté constitue le fondement de la promesse républicaine des « secours publics », son caractère prioritaire n’est, pour autant, pas reconnu comme tel par les pouvoirs publics À l’occasion d’une intervention à la radiotélévision publique, le président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), Pascal Brice, s’inquiétait, en réaction au discours de politique générale du Premier ministre de l’époque, Gabriel Attal, d’une tendance à l’opposition de la classe moyenne de l’entre-deux, vivant péniblement de son travail, et des classes populaires, coûteuses en prestations de solidarité et présumées oisives[8]. S’il est évident que cette polarisation n’est pas récente – l’opposition entre le « bon pauvre » jugé méritant et l’oisif profiteur du système étant aussi ancienne que la création des premiers revenus d’assistance[9] – le risque actuel réside dans un diagnostic erroné des causes de l’exclusion et, de ce fait, dans la formulation de solutions qui contribueraient à aggraver l’intensité du problème. A. La lutte contre la pauvreté souffre d’une perception faussée, limitée à l’analyse de l’évolution des seuils monétaires par les pouvoirs publics Phénomène social protéiforme dont les ressorts et les processus renvoient à des facteurs historiques, économiques, familiaux, de genre et d’origine multiples, l’exclusion sociale[10] se caractérise donc par une myriade de définitions. Le sociologue Julien Damon, dans un article pour la revue Constructif, rassemble les différentes définitions de la pauvreté dans trois catégories : la pauvreté administrative, la pauvreté monétaire, la pauvreté comme représentation[11]. On pourrait ajouter à ces catégories le caractère socialement héréditaire d’un tel phénomène[12], tant il est difficile pour un exclu d’inverser la trajectoire sociale. La pauvreté marque la vie intérieure d’une insécurité mentale, émotionnelle, dont l’intensité varie évidemment selon les dispositions des personnes et leur trajectoire. La pauvreté existe donc au pluriel, ce dont les appareils statistiques peinent, parfois, à rendre compte. 1. La pauvreté monétaire, une mesure indispensable mais insuffisante pour rendre compte de l’ampleur du phénomène En termes quantitatifs, la pauvreté hexagonale est définie comme l’ensemble des personnes dont le niveau de revenu mensuel est inférieur au seuil de 60 % du revenu médian, soit 1158 euros par mois[13]. Ainsi, la pauvreté monétaire conçue suivant cette définition toucherait 9,1 millions de personnes, soit 14,6 % de la population active. Toutefois, son intensité varie selon les territoires ; en Outre-mer, la grande pauvreté – déterminée par une situation de privations associée à un niveau de vie inférieur à 50 % du revenu médian – atteint des seuils cinq à dix fois supérieurs[14] à ceux de la population en métropole[15]. Si le seuil métropolitain du niveau de vie était retenu, celui-ci serait incontestablement encore plus élevé. En outre, certaines configurations
Par Ellie P.4 décembre 2024
Une poignée d’investisseurs contrôle les plus grandes entreprises pétrolières : que faire ?
🇫🇷 🇬🇧 Par Robert I. Bell, Professeur de management au Brooklyn College, City University of New York Résumé Dans un contexte où les grandes entreprises pétrolières mondiales sont dominées par une petite poignée d’investisseurs institutionnels, une réforme fiscale ambitieuse, mêlant crédit d’impôt et taxation différentielle des rachats d’action, pourrait jouer un rôle essentiel dans la redirection de leurs investissements vers les énergies renouvelables. Les cinq plus grandes entreprises pétrolières mondiales — Exxon, Chevron, TotalEnergies, BP et Shell — sont aujourd’hui contrôlées par un nombre restreint d’investisseurs institutionnels : 25 au total, détenant entre 38 % et 50 % de leurs actions [1]. Bien que ces investisseurs varient, on observe une forte homogénéité parmi eux, avec la présence systématique de grands noms tels que BlackRock, JP Morgan Chase et Vanguard. De ce fait, un petit groupe d’investisseurs domine de manière effective l’industrie pétrolière mondiale, et les dirigeants de ces entreprises œuvrent en priorité pour satisfaire leurs intérêts. Pourquoi cette concentration pose-t-elle problème ? Influence politique excessive Tout d’abord, ces géants pétroliers exercent une influence politique considérable à l’échelle mondiale. Un exemple récent l’illustre bien : en avril 2024, Donald Trump a organisé un dîner avec une vingtaine de dirigeants de l’industrie pétrolière dans son domaine en Floride, leur demandant un milliard de dollars pour financer sa campagne présidentielle [2]. En retour, il a promis de supprimer l’Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden ainsi que d’autres mesures visant à limiter le réchauffement climatique et à réduire la pollution. Trump, quel que soit son niveau d’intelligence, sait où se trouve l’argent et l’influence qu’il peut acheter. Obstacle à la transition vers les énergies renouvelables Cette structure de propriété empêche ensuite les grandes compagnies pétrolières de se reconvertir vers les énergies renouvelables. Bien que certains des 25 investisseurs puissent être des idéologues néolibéraux, la plupart d’entre eux ne poursuivent qu’un seul objectif : maximiser les profits de leurs actionnaires. Les compagnies pétrolières leur offrent une source de profits régulière et importante. Les véhicules, avions, navires et produits pétrochimiques — notamment le plastique — assurent à l’industrie pétrolière des bénéfices presque garantis. Et lorsque ces bénéfices ne suffisent pas, les compagnies rachètent leurs propres actions et versent des dividendes généreux, souvent à titre exceptionnel. Par conséquent, seule une très faible part des bénéfices générés par ces entreprises est réinvestie dans les énergies renouvelables. Personne n’a besoin d’être un idéologue pour que ce système perdure : les cadres supérieurs de ces entreprises préservent leur emploi en travaillant pour les actionnaires (c’est-à-dire les 25) et les actionnaires (c’est-à-dire les 25) travaillent simplement pour leurs investisseurs. En d’autres termes, chacun est responsable devant quelqu’un d’autre et a une bonne raison de ne pas se préoccuper du tableau d’ensemble. Absence de volonté de lutte contre le réchauffement climatique Ces investisseurs ne semblent pas non plus préoccupés par la crise climatique immédiate. Heather Zichal, responsable mondial du développement durable chez JPMorgan Chase & Co, l’un des principaux actionnaires de ces géants, l’a confirmé dans une interview accordée à Bloomberg lors de la semaine du climat en septembre 2024 : « Nous nous concentrons sur ce que nous pouvons contrôler, à savoir maximiser le rendement du capital » [3]. Plutôt que de réorienter leurs investissements vers les énergies renouvelables, ces institutions préfèrent continuer à canaliser les flux de trésorerie des entreprises pétrolières vers leurs portefeuilles d’actions, contribuant ainsi à l’immobilisme de ces structures. Potentiel des Supermajors pour la transition énergétique Cela est d’autant plus regrettable que les supermajors disposent des ressources et des compétences nécessaires pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, notamment grâce à leur expertise dans les technologies offshores, qui pourraient être utilisées pour développer des parcs éoliens flottants. Cependant, des entreprises comme Equinor ont malheureusement utilisé cette expertise pour continuer à exploiter le pétrole en mer, masquant ainsi un greenwashing déguisé [4]. D’autres entreprises, comme Orsted [5], ont choisi une voie plus radicale en se reconvertissant vers les énergies renouvelables, mais ces efforts restent isolés. Il convient d’ailleurs de souligner que si Orsted est détenue majoritairement par le gouvernement danois, Equinor est détenue à 67 % par le gouvernement norvégien. Les recettes du gouvernement norvégien provenant d’Equinor sont ainsi reversées au fonds de pension gouvernemental (Government Pension Fund Global), géré par la Norge Bank. Son site web indique que « ces dépôts représentent moins de la moitié de la valeur du fonds. La majeure partie a été gagnée en investissant dans des actions, des titres à revenu fixe, des biens immobiliers et des infrastructures d’énergie renouvelable » [6] [7]. Cela dit, le fonds, outre les revenus qu’il tire du pétrole et du gaz naturel norvégiens, détient des parts importantes dans Shell, TotalEnergies, Chevron et Exxon [8]. Ainsi, si le pays a su éviter la « malédiction du pétrole » en réinvestissant une partie de ses profits dans des infrastructures durables, une part importante de ses revenus conduit à propager les effets néfastes du réchauffement climatique à l’échelle mondiale. Le gouvernement norvégien ne semble pas pressé de faire évoluer cet état de fait. Que faire ? Le système financier mondial est si inertiel que toute tentative de s’attaquer à la concentration de la propriété des entreprises pétrolières, ou à la question des « 25 » actionnaires, semble presque irréalisable à première vue. Les mouvements de désinvestissement ont tenté d’aborder cette question sous un angle moral, mais sans grand succès. Une approche plus pragmatique, qui considérerait la question sous l’angle financier et fiscal, pourrait-elle être plus efficace ? L’objectif ne devrait en effet peut-être pas être de faire sortir les investisseurs du pétrole, mais de faire sortir les compagnies pétrolières elles-mêmes du pétrole. La taxe sur le rachat d’actions : effet Robin des Bois ou piège fiscal ? La réaction des gilets jaunes à une taxe sur le diesel nous a appris qu’une taxe ciblée sur le carbone, qui peut être facilement présentée comme frappant de manière disproportionnée ceux qui se considèrent comme des pauvres, est une très mauvaise idée sur le plan politique. En revanche, une taxe sur les
Par Bell R.28 novembre 2024
A handful of investors own big oil: what to do about it
🇫🇷 🇬🇧 By Robert I. Bell Professor of Management at Brooklyn College, City University of New York Each of five oil Supermajors- EXXON, Chevron, TotalEnergies, BP, and Shell — is controlled by only 25 institutional investors, holding between 38% and 50% of the stock. They aren’t always the same 25, but there is tremendous overlap, with US firms Blackrock, JP Morgan Chase, and Vanguard always in each ownership cabal.[1] Thus a handful of essentially the same owners effectively control the world’s oil industry. Since the 25, or even a material percentage of them, could easily break top management simply by agreeing among themselves to dump the shares, it is hard to imagine that top management is not focused on them and what they want. What would be a good response to effective control of the oil supermajors by 25 institutional shareholders each? Why is the handful of owners a problem? First, these oil companies exercise enormous political influence, globally. Although this is well documented, a recent event perfectly illustrates it. Donald Trump gathered some two dozen top oil executives for dinner at his Florida estate in April of this year and asked for $1 Billion in Presidential campaign contributions; if elected, he would throw out Biden’s Inflation Reduction Act and other efforts to stop global warming and environmental pollution. Whatever else Trump may or may not know, he does know where the money is, and the political influence it can buy.[2] Second, this ownership structure is, in my opinion, literally preventing the oil majors from transforming into renewable energy companies. Although some of the 25 Fund managers may be right-wing ideologues, most of them probably have more or less only one interest—raking in for “the shareholders,” i.e., their funds, all the money generated by the oil companies not needed to pay their bills or drill more holes to maintain their oil reserves. The oil companies represent a more or less sure source of money; all those cars, trucks, airplanes and ships burning some product extracted from oil, and all those items in the petro-chemical industry, especially plastic, make oil as close to a sure-thing as there is. The oil supermajors guarantee this sure-thing by constant share buybacks to keep up the stock price as best as they can in the face of unstable oil prices, and pay out fat dividends, sometimes special dividends. So very little of the free cash generated by the oil sure-thing goes into renewable energy. Please note, nobody needs to be a crazy ideologue or greedy monster for this to be true; top management simply preserves their jobs by delivering for the shareholders (i.e., the 25) and the shareholders (i.e., the 25) are simply delivering for their investors. In other words, everybody is simply being responsible to somebody else. Third, these financial owners apparently are not focused on saving the world from the immediate crisis of global warming, if we look at the implications of the words of Heather Zichal, Global Head of Sustainability at JPMorgan Chase & Co, one of the 25 controlling shareholders in each of the five Supermajors: “There are a lot of things that we, as a bank, can control, but there are things that we can’t…We’re focused on what we can control—facilitating capital,” she said in a Bloomberg interview during Climate Week in September, 2024 in New York City.[3] As we have seen, her bank, along with another 24 institutional investors, are facilitating their capital into the controlling stake in oil stocks, and the oil companies are then handing essentially all their free cash flow to these owners, instead of using a material part of it to convert out of oil and into renewable energy. Fourth, the oil Supermajors are in a spectacular position to help save the world from global warming by converting to or materially contributing to renewable energy—they have much of the offshore knowledge and even equipment to create huge fleets of floating wind turbines. One, not a Supermajor, but a big company nonetheless, Equinor, has actually started to do that—regrettably in order to produce more offshore oil![4] So this is either a significant green move for an oil company or very high-end greenwash. Another, also not a Supermajor, Danish Oil and Natural Gas, changed its name to Orsted, and is now the world’s biggest developer of offshore wind farms. Perhaps not incidentally, on October 7, 2024, Equinor announced it was buying nearly 10% of Orsted, but would not seek any management changes or board seats and it supported Orsted’s current strategy.[5] Orsted is majority owned by the Danish government. Equinor is 67% owned by the Norwegian government. The Norwegian government’s revenue from Equinor goes into the Government Pension Fund Global, run by Norge Bank. Their website states, “these deposits account for less than half the value of the fund. Most of it has been earned by investing in equities, fixed income, real estate and renewable energy infrastructure.”[6] The fund helps to finance a very successful, egalitarian social welfare state.[7] That said, the Fund, in addition to its revenue from Norwegian oil and natural gas, owns material percentages of Shell, TotalEnergies, Chevron, and Exxon.[8] So, although the fund helps to make Norway perhaps the only country in the world to escape “the curse of oil,” it also helps to inflict the curse of global warming on the rest of us, and themselves. What should be done about this? There is so much inertia in the global financial system that any idea of addressing the concentration of ownership, the issue of the 25 itself, however bad it may be, is likely a fantasy. The divestiture movement has addressed this issue of ownership, but as a moral issue, and regrettably without great success. Can it be more successful if it is made a financial one? Maybe the goal should not be to get the investors out of oil, but to get the oil companies themselves out of oil. The stock buyback tax has a Robin Hood effect, but with problems We know from the gilet jaune response to a tax on diesel, that
Par Bell R.27 novembre 2024
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Voir tout (10)Intégrer le peuple dans les institutions et la vie politique
Fiche thématique de résistance et de proposition n°10 I. Un peu de contexte : quel est le problème ? La démocratie est appréhendée en France dans sa dimension purement majoritaire et se voit réduite à l’acte formel électoral. Il existe une déconnexion des sphères politique et sociale. Il faut repenser de nouvelles formes de concrétisation démocratique. Il existe une crise de confiance des citoyens envers leurs gouvernants et des gouvernants envers les citoyens. D’un côté, les citoyens demandent à être associés au processus d’élaboration de la loi, de l’autre ils rejettent le système représentatif et désertent les urnes. La participation exceptionnelle lors des élections législatives de 2024 s’inscrit dans une dynamique contestataire, marquant la montée en puissance de l’extrême droite. La crise des gilets jaunes, les manifestations historiques contre la réforme des retraites, la restriction du débat parlementaire par le recours excessif et déraisonnable au 49.3, la dissolution précipitée sont autant de marqueurs attestant la vision démocratique top-down à la française, basée sur un rapport descendant et exclusivement majoritaire. Dans ce contexte, la défiance grandissante des citoyens aboutit à la poussée de l’extrême droite. L’essoufflement démocratique se manifeste par une fracture entre représentants et représentés. Il est urgent de redonner du pouvoir d’agir aux citoyens pour dépasser cette crise de confiance. II. Que propose-t-on ? 1- Instaurer un cadre démocratisant Améliorer la représentativité. Injecter une dose de proportionnelle à l’Assemblée nationale. Repenser l’élection du Président de la République au jugement majoritaire. Poursuivre l’effort de la création d’une chambre du futur en démocratisant le CESE avec l’ajout d’un collège composé de citoyens tirés au sort. Repenser le calendrier électoral. Revenir sur la réforme du quinquennat de 2000 ayant réduit le mandat présidentiel de 7 à 5 ans ou chercher à modifier le calendrier des législatives de façon à découpler l’élection présidentielle et législative. Instaurer un mécanisme de contrôle citoyen. Introduire un mécanisme de type veto dans une phase post-parlementaire. Dans une courte période postérieure à leur adoption et avant leur entrée en vigueur, les lois pourraient, à la demande d’un certain nombre d’électeurs (500 000), faire l’objet d’un référendum portant sur leur entrée en vigueur. Inclure le citoyen directement dans le processus d’élaboration de la loi et des politiques publiques Promouvoir la démocratie délibérative. Démocratiser les conventions citoyennes en permettant leur déclenchement par les citoyens. Militer pour la systématisation du droit d’amendement citoyen et proposer la création d’un « rapporteur citoyen » chargé d’en défendre les amendements ayant atteint un certain seuil (a minima 10 0000 soutiens pour éviter l’éventuelle pression des lobbies). Faciliter l’exercice référendaire. Simplifier le référendum d’initiative partagée à la fois sur ses modalités d’adoption via l’abaissement du seuil de signatures à un million mais aussi sur son mode de déclenchement : que les citoyens puissent être à l’initiative de la proposition, appuyés par des parlementaires et non exclusivement l’inverse. Insuffler la démocratie au niveau local. Intégrer aux plans nationaux un critère de co-construction des projets avec les citoyens. Les collectivités territoriales disposent de nombreux plans nationaux pour les accompagner dans leur action. Il pourrait être question de conditionner leurs subventions à la délibération avec les citoyens. Créer une ressource d’ingénierie locale de la participation citoyenne. Les collectivités qui disposent des moyens les plus faibles ne sont actuellement pas en mesure d’assurer leur transition démocratique. Pour faciliter le renouveau démocratique sur l’ensemble du territoire, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pourrait, en partie, financer des postes d’ingénierie de la participation mutualisés entre plusieurs collectivités à faibles moyens. Ce que dit le programme du Front Populaire à ce sujet : Abolir la monarchie présidentielle dans la pratique des institutions : Instaurer la proportionnelle Revitaliser le parlement Abroger le 49.3 Défendre la décentralisation effective en renforçant la démocratie locale dans l’unité de la République Instaurer le référendum d’initiative citoyenne (RIC) et renforcer le référendum d’initiative partagée en abaissant notamment le seuil de signatures citoyennes pour son déclenchement Passer à une 6e République par la convocation d’une assemblée constituante citoyenne élue III. Que peuvent y gagner les citoyens ? Restaurer la confiance dans les institutions en redonnant du pouvoir d’agir aux citoyens. Assurer une meilleure représentativité des préférences politiques des citoyens. Irriguer la confection de la loi et des politiques publiques d’une dynamique vertueuse : plus le débat est nourri, plus les citoyens sont associés, plus la légitimité de la norme s’en trouve renforcée. IV. Pourquoi l’extrême-droite n’est pas la solution ? Le renouveau démocratique est en marge du programme du Rassemblement National, lequel se borne exclusivement à mentionner le référendum, restreignant la marge de manœuvre du citoyen réduit au choix binaire captif du oui/non. Le référendum en tant que tel ne suffira pas à rétablir le lien de confiance des citoyens envers les institutions. Une mécanique démocratisante s’impose pour accompagner et révéler le plein potentiel de cet outil. V. Pour aller plus loin dans la réflexion Réveiller la démocratie Note de Benjamin Morel : “Une nouvelle République des citoyens” Note de David Stoleru et François Expert : “Institutions : 10 propositions pour un programme commun” Note de Beverley Toudic : “Le coronavirus, des enseignements à tirer pour sortir d’une démocratie déjà confinée” AdhérezFaire un don
Par Toudic B., Coué H.6 juillet 2024
Un plan d’urgence pour l’agriculture française et pour une alimentation saine et abordable
Fiche thématique de résistance et de proposition n°9 I. Un peu de contexte : quel est le problème ? Les exploitants agricoles sont en majorité précaires : 1/3 ont des revenus inférieurs à 12 000 €/an sur la dernière décennie et la majorité n’atteint pas le Smic horaire, même si les écarts sont importants entre les types et tailles d’exploitations (voir la synthèse des revenus agricoles de l’INRAE). Or les aides de la politique agricole commune (PAC) baissent fortement en euros constants par rapport à la période 2014-2020 (elles n’ont pas évolué malgré une inflation de 30% des prix depuis). La PAC baisse également dans le budget de l’Union européenne (UE), de 66% du budget au début des années 1980 à 31% pour la dernière période 2021-2027. Ces aides, essentiellement distribuées en fonction des surfaces cultivées, sont très inégalement réparties : en France, les 20% plus importants bénéficiaires – qui sont les plus gros exploitants – ont perçu plus de 50% de ces aides bé(voir diagnostic PSN pp. 3 et 7). Ce système favorise ainsi une agriculture agro-industrielle intensive employant peu de main-d’œuvre, au détriment des pratiques plus respectueuses de l’environnement. De plus, les agriculteurs français sont exposés à une hausse des importations qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales et/ou sociales, notamment de pays tiers autorisant l’usage d’intrants (pesticides, médicaments, etc.) interdits en Europe, mais aussi de certains pays de l’UE (principalement en raison des préférences « low cost » des industriels et de la restauration collective). Ces trop faibles soutiens publics, cette concurrence déloyale et l’absence de régulation des prix freinent la diffusion des pratiques agro-écologiques. Pourtant, les dernières recherches de l’INRAE montrent que l’agroécologie est plus résiliente face au changement climatique (sécheresses croissantes, pluies intenses, etc.). Elle est aussi plus respectueuse de la biodiversité (qui a chuté de 80% en 30 ans pour les insectes, principalement à cause des pesticides) et de la santé humaine, notamment des agriculteurs. II. Que propose-t-on ? Augmenter l’enveloppe de la PAC de +30% (+3 Mds/an pour la France à partir de 2028) en doublant les aides aux pratiques agro-écologiques pour s’aligner sur les montants d’aides des pays européens ou l’agriculture biologique est la plus développée (e.g. plusieurs régions d’Italie, le Danemark ou le Portugal). Revaloriser les aides aux revenus des agriculteurs (en prenant en compte l’inflation depuis 2020) et les distribuer non plus en fonction de la surface mais de la quantité de main-d’œuvre afin de favoriser les petites et moyennes exploitations ainsi que les modes de production les plus agro-écologiques qui créent davantage d’emplois. Subventionner la nourriture saine pour la rendre plus abordable pour tous, en diffusant progressivement des « chèques alimentation de qualité ». Ces aides doivent être réservées aux aliments bio ou extensifs, aux prix conventionnés, produits en France ou à proximité. Le montant des chèques doit être indexé sur le revenu et la taille des ménages. Systématiser l’utilisation des clauses de sauvegarde et l’étiquetage de l’ensemble des lieux de production agro-industriels, afin d’interdire en France et dans les pays importateurs les produits les plus dangereux et/ou polluants. Réguler les marges des intermédiaires de l’industrie agro-alimentaire (en forte hausse depuis 2022) et de la grande distribution, en s’appuyant sur les prix de référence de l’Observatoire des prix et marges. Ce que dit le programme du Front Populaire à ce sujet : Engager les négociations commerciales en garantissant un prix plancher et rémunérateur aux agriculteurs et en taxant les superprofits des agro-industriels et de la grande distribution (p.4) Proposer une réforme de la PAC (p.5 et p.22) Défendre les zones agricoles, naturelles et les zones humides, doubler et améliorer la protection des aires maritimes protégées (p.17) Pour une agriculture écologique et paysanne (p.18) Annuler l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (CETA) ; renoncer à l’accord du Mercosur et protéger nos agriculteurs de la concurrence déloyale Interdire l’importation de toute production agricole ne respectant pas nos normes sociales et environnementales Lutter contre l’accaparement des terres et permettre à chaque agriculteur qui souhaite s’installer d’accéder à une exploitation pour préserver le modèle agricole familial Soutenir la filière du bio et l’agroécologie, encourager la conversion en bio des exploitations en reprenant leur dette dans une caisse nationale et garantir un débouché aux produits bio dans la restauration collective Rétablir le plan Écophyto, interdire le glyphosate et les néonicotinoïdes avec accompagnement financier des paysans concernés III. Que peuvent y gagner les citoyens ? Une augmentation des revenus de la majorité des agriculteurs, en particulier des éleveurs et des petites et moyennes exploitations. Une forte diffusion des aliments sains et de qualité et la réduction des aliments ultra-transformés, dont les impacts sanitaires sont majeurs (diabète, cancers, etc.) et qui dépassent déjà 40% de l’alimentation des ménages modestes et des jeunes. La revitalisation des territoires ruraux et le développement de centaines de milliers d’emplois agricoles grâce à la plus forte densité en main d’œuvre des pratiques agro-écologiques (+10 à +20% d’emplois à pratique et taille égale, selon Agreste 2016 et Bertin & al 2016). Une plus grande souveraineté alimentaire, en réduisant fortement la dépendance extérieure en matière d’importation d’aliments (en forte hausse), mais également d’engrais et de soja nécessaires aux pratiques intensives (une dépendance croissante soulignée notamment par le Haut Commissariat au Plan en 2021). IV. Pourquoi l’extrême-droite n’est pas la solution ? Le RN ne remet pas en cause la distribution des aides de la PAC en fonction de la surface et soutient donc les plus gros exploitants (notamment céréaliers) au détriment des éleveurs et des petits exploitants. En dehors des « 80% de produits français dans les cantines », les propositions « agriculture » ne sont pas précisées dans les 22 mesures pour 2022 de Marine Le Pen. Aucune proposition pour soutenir les agriculteurs dans la transition écologique et faire face aux changements climatiques (sécheresse, inondations etc.). Aucune proposition pour protéger la santé des agriculteurs et des consommateurs face aux pesticides. Aucune proposition pour faire face à l’effondrement de la biodiversité. V. Pour aller plus loin dans la réflexion Road 2 Net Zero
Par Kerlero de Rosbo G., Desquinabo N.3 juillet 2024
Renforcer l’accès aux services publics pour la justice sociale et la cohésion
Fiche thématique de résistance et de proposition n°8 I. Un peu de contexte : quel est le problème ? L’enjeu de la justice sociale ne se limite pas à la fiscalité. Les services publics constituent l’autre volet, en nature, de la redistribution de la richesse nationale. En effet, 53% de la réduction des inégalités est portée, en France, par ces transferts en nature, notamment en matière de santé et d’éducation[1]. Les services publics sont également un levier historique de la solidarité et de la cohésion sociale et territoriale. Cela se matérialise particulièrement pour les services publics quotidiens et de proximité, dont l’accessibilité à tous est un impératif d’intérêt général (santé, transport, guichets administratifs, justice, etc.). Alors même que les besoins sociaux ont augmenté (croissance démographique, allongement de l’espérance de vie, transition écologique, etc.), les services publics ont été une des premières cibles des politiques de désengagement de l’Etat depuis les années 1980. L’objectif a été d’en contenir les coûts, générant un décrochage vis-à-vis des attentes de la population. En parallèle, l’espace pour l’offre privé de service s’est accru, rendant ces services plus coûteux et mettant à mal leur accessibilité pour tous les publics[2]. Cette « désertification » concerne tout le territoire, selon des modalités différentes : en milieu rural, cela aboutit à un éloignement des lieux de service public (30 % des maternités ont fermé entre 2000 et 2017; le nombre de femmes vivant à plus de 45 minutes d’une maternité a donc été multiplié par quatre[3]/span>) et à la perte d’attractivité de territoires sur lesquels il devient plus compliqué de vivre. En milieu urbain, ce sont des services publics saturés (attente aux bureaux de poste, classes surchargées, etc.). Pour une importante partie de la population, la qualité du service se dégrade. Par exemple, le délai de jugement moyen d’une affaire civile devant le tribunal de grande instance était de 14 mois en 2019 contre 7 mois en 2005[4]. Les réponses actuelles sont largement insuffisantes : (i) les efforts menés ont souvent concerné les problématiques les plus visibles politiquement (lutte contre l’immigration illégale et maintien de l’ordre public notamment) ; (ii) des solutions innovantes comme les maisons ou bus “France services” restent trop rares, méconnues et insuffisamment financées et (iii) le basculement vers l’accès numérique exclut la part la plus fragile de la population (en milieu rural par exemple, 30% de la population n’est pas équipée d’un smartphone (CREDOC[5]). Cette situation a donc plusieurs conséquences néfastes : Un sentiment d’abandon qui touche à la fois les populations rurales et les populations des quartiers populaires, qui a pu se manifester de manière éruptive lors de la crise des Gilets Jaunes[6] ; Le ressentiment d’une certaine partie de la population vis-à-vis « d’autres » qui seraient mieux servis qu’eux ou seraient la cause de la saturation des services publics ; Un échec du service public dans ses missions de base (non recours aux soins, perte d’efficacité de la justice et rupture d’accès aux droits, échec scolaire, isolement des personnes âgées, perte d’attractivité des territoires, etc.) et plus largement dans sa capacité à réduire les inégalités et à produire de la cohésion sociale. Un ressentiment vis-à-vis de l’État, et le sentiment, souvent justifié, de ne pas recevoir la contrepartie des contributions versées, en impôts et cotisations. II. Que propose-t-on ? 1. À court terme, il s’agit surtout de cibler les services les plus en crise, notamment l’hôpital et plus largement l’accès aux soins Recommandation n° 1 : Traiter en priorité la crise du service public de l’hôpital et des soins. La santé est un besoin fondamental des individus qui conditionne les autres. En ce sens, il apparaît prioritaire. La fiche thématique de l’Institut proposant une “Réforme de notre système de soins” met l’accent sur trois recommandations principales : Remailler sur le territoire l’offre de soins de premier recours selon une architecture tripartite dont le centre de gravité est l’hôpital de proximité ; Organiser un plan de sauvetage pour répondre sans délai à la crise, sans pour autant retarder la nécessaire refondation de l’hôpital public (revalorisation des salaires et révision des modalités de financement des hôpitaux) ; Renforcer l’universalité du système de santé en instaurant une “grande sécurité sociale” (faire disparaître ou réduire la part de l’assurance complémentaire). 2. À moyen terme, l’accessibilité du service public doit être une priorité et s’accompagner de mesures innovantes et ambitieuses pour certains secteurs Recommandation n° 2 : Renforcer la planification et le pilotage de l’accessibilité aux services publics dans tous les territoires Pour s’assurer de l’accessibilité aux services publics dans chaque territoire, les schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services publics (SDAASP) avaient été créés en 2015 par la loi NOTRe. Ce document de planification élaboré entre le préfet de département et le Conseil départemental a pour objectif d’élaborer un plan d’action sur 6 ans de renforcement de l’offre de services publics et privés dans les territoires les moins dotés. Cet outil pourrait être davantage investi et priorisé dans l’action publique locale. Son intérêt principal est de regrouper et de coordonner au sein d’un comité de pilotage unique les services de l’État, du conseil départemental et des intercommunalités, tous financeurs et gestionnaires de services publics locaux. Il est néanmoins important que ce comité de pilotage implique plus largement l’ensemble des acteurs impliqués dans les services publics afin d’avoir la vision la plus transversale possible (secteur associatif, La Poste, les représentants des commerces de proximité, etc.). Son objectif doit également être celui de prioriser et mieux séquencer la revitalisation des services publics sur le territoire dans le but d’assurer les bons équilibres territoriaux (éviter la fermeture simultanée de plusieurs services sur un même territoire et bien répartir les nouvelles ouvertures). Recommandation n° 3 : Mieux soutenir le déploiement des “Maisons France services” Il existe aujourd’hui plus de 2800 “Maisons France services” sur le territoire, instaurées en 2015 sous le nom de “Maisons de services au public”. Elles résultent d’une politique de labellisation de structures partenariales, portées dans plus de 50 % des cas par les collectivités territoriales et permettant
Par Chameroy G., Fabre E., DeGoupiers G.2 juillet 2024
Transformer et revaloriser la police pour renouer la confiance avec les citoyens
Fiche thématique de résistance et de proposition n°7 I. Un peu de contexte : quel est le problème ? Ces dernières années ont vu progresser la défiance de la population envers l’institution policière. En particulier, un jeune sur deux n’a plus confiance en sa police. Ce rejet s’explique notamment par le choix politique d’un modèle répressif de sécurité publique par les gouvernements successifs, matérialisé par la militarisation des forces de l’ordre, et par l’imposition d’une doctrine de maintien de l’ordre répressive. Ces politiques, inefficaces quant à leurs effets sur la délinquance, ont en revanche contribué à alimenter les tensions avec les citoyens et ont constitué un terreau fertile à la progression des violences policières, problématique de nature institutionnelle. Le traitement insuffisant de ces violences illégitimes alimente par ailleurs la défiance des citoyens dans l’institution. Dans le même temps, l’application du paradigme néolibéral à la police, via la politique du chiffre et les coupes budgétaires, a profondément déprécié les fonctions policières, suscitant du mal-être chez les forces de l’ordre et une inadéquation des moyens aux besoins de la lutte contre la criminalité. II. Que propose-t-on ? Renouer la confiance avec les citoyens en rétablissant la police de proximité; Renouveler la doctrine de maintien de l’ordre et mieux lutter contre les violences policières; Mieux allouer les personnels et les moyens pour améliorer l’attractivité des fonctions et l’efficacité de l’action. Pour atteindre ces objectifs, nous proposer de mettre en place les mesures suivantes : Renouer la confiance avec les citoyens Rétablir la police de proximité, supprimée en 2003 alors qu’elle était plébiscitée par les élus, pour qu’elle redevienne un “capteur d’information” permettant une meilleure connaissance du terrain et des habitants par les forces de l’ordre ; Les effectifs de cette police de proximité proviendront de nouveaux recrutements, mais également de l’intégration des polices municipales au sein de la police nationale. Cette réforme sera accompagnée de la suppression des brigades anti-criminalité, dont l’action est contre-productive. Mettre en place le récépissé lors des contrôles d’identité, les enquêtes de terrain ayant objectivé l’existence de discriminations à l’égard des personnes racisées à l’occasion de ces contrôles. La mise en place du récépissé, sur le modèle espagnol, s’impose pour garantir les droits des citoyens. Ce que dit le programme du Front Populaire à ce sujet : Rétablir de la police de proximité Mettre en place les récépissés pour les contrôles d’identité 2- Renouveler la doctrine de maintien de l’ordre et mieux lutter contre les violences policières Revoir la doctrine de maintien de l’ordre : une nouvelle doctrine de maintien de l’ordre sera élaborée, s’inspirant de modèles étrangers (projet GODIAC) et de principes oubliés tels que la désescalade ou la mise à distance. Elle reposera sur les piliers suivants : Choisir le maintien à distance avec les manifestants plutôt que la maximisation des interpellations; Imposer, en matière de maintien de l’ordre, un juste niveau d’emploi de la force, notamment par l’interdiction du lanceur de balles de défense, la suspension de l’utilisation des grenades, la dissolution des BRAV-M, et la hausse des effectifs de CRS et d’EGM. Créer une autorité indépendante extérieure chargée de la déontologie policière, ayant vocation à remplacer l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), trop dépendantes à l’égard du pouvoir exécutif ; Améliorer le traitement judiciaire des violences policières, par la pratique plus fréquente du dépaysement et de l’ouverture d’une information judiciaire, permettant une plus grande indépendance à l’égard du pouvoir exécutif. Ce que dit le programme du Front Populaire à ce sujet : Mettre en place un nouveau code de déontologie, supprimer l’IGPN et l’IGGN 3- Mieux affecter les moyens pour améliorer l’attractivité de fonctions et l’efficacité de l’action Améliorer la qualité de la formation et du recrutement en reconstituant une Direction centrale du recrutement et de la formation au sein de la Direction générale de la police nationale, en développant les partenariats avec les instituts de recherche en sciences humaines et sociales, et en renforçant la place de la déontologie et des libertés fondamentales dans la formation initiale et continue ; Améliorer la vie des policiers en augmentant les indemnités et en facilitant l’accès au logement en cas d’affectation en zone sensible ; Favoriser le déploiement du cycle de travail “vacation forte” dans la police, accordant aux agents un week-end sur deux de repos contre une sur six pour le cycle classique; Assurer une répartition optimale des effectifs de forces de l’ordre sur le territoire, par une procédure d’affectation permettant une plus grande transparence et se fondant sur l’étude des indicateurs de délinquance, pour éviter les sous-effectifs ; Rompre définitivement avec la politique du chiffre, en révisant le mode de calcul de l’indemnité de responsabilité et de performance, pour cesser de sacraliser le nombre d’interpellations et faire en sorte qu’il devienne plus intéressant d’enquêter sur le haut du spectre de la délinquance que d’arrêter des petits revendeurs de produits stupéfiants ; Revenir sur la réforme de la police judiciaire de 2023, pour rendre leur autonomie et leur indépendance aux unités de police judiciaire par rapport à la voie publique, et sacraliser les moyens consacrés à la filière investigation. Ce que dit le programme du Front Populaire à ce sujet : Supprimer la réforme Darmanin de la police judiciaire et augmenter les effectifs de police judiciaire III. Que peuvent y gagner les citoyens ? Le Rassemblement national propose d’introduire une présomption de légitime défense en faveur des policiers et des gendarmes : cela rendrait beaucoup plus complexe le travail de la justice, mais surtout entraînerait la multiplication des tirs et des homicides policiers en décomplexant l’usage des armes ; Le RN défend le retour des peines planchers et le recours massif à des courtes peines d’emprisonnement : contraires au principe d’individualisation des peines, celles-ci interdisent aux magistrats d’adapter au mieux la peine à la situation des prévenus. Il a été démontré que ces peines favorisent la récidive en désinsérant les condamnés ; Le RN préconise la fin de l’aménagement des peines : là encore, cette proposition
Par Coué H., Lefebvre F.28 juin 2024
Points de vue
Voir tout (76)L’adaptation n’est pas une question technocratique, c’est celle de l’institutionnalisation de l’entraide
Pour la sortie de son essai graphique « S’adapter au changement climatique Fake or Not ? » paru le 7 novembre aux éditions Tana, Ilian Moundib Ingénieur spécialiste des questions de résilience climatique propose de reformuler complètement l’approche technocratique de l’adaptation. Les terribles inondations de Valence nous ont à nouveau rappelés à la réalité violente d’un extrême météorologique sous changement climatique alors que nous ne sommes encore qu’à +1 °C. Imaginez maintenant son équivalent à +3 °C dans le monde c’est-à-dire +4 °C en France, car le continent européen se réchauffe plus rapidement que le reste du monde. Devant ce tableau, un Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC3) sans financement et sans boussole paru il y a quelques semaines semble déjà hors de propos. Il n’y a pas de « dette écologique », mais plutôt une destruction irréversible des conditions d’habitabilité de notre pays. Nos sécurités sanitaires, alimentaires et hydriques sont déjà en danger. Ainsi, nous n’avons plus le choix que d’organiser le ré-encastrement de nos économies dans les limites planétaires. Pourtant, réduire l’adaptation à un sujet d’experts est une erreur fondamentale. Il faut politiser la notion pour qu’elle puisse faire l’objet de choix démocratiques conscients et éclairés. Il faut reformuler la question de l’adaptation comme celle de la mise en sécurité sociale des besoins vitaux et des communs. L’effondrement en cours va continuer à disloquer les réseaux de transports, d’eau d’électricité, etc. et donc l’accès aux communs dont nous dépendons pour accéder à nos besoins vitaux. En ce sens, le statu quo nous place durablement en insécurité alimentaire, hydrique, sanitaire et sociale. Nous ne pourrons affronter le monde fluctuant sans généraliser concrètement les réflexes de l’entraide. Atténuer le changement climatique c’est permettre l’adaptation Rappelons d’abord l’essentiel, l’atténuation du changement climatique est la condition de notre adaptation. En effet, la dérive climatique n’est pas linéaire, il existe des paliers d’emballement et au-delà de 2 °C, tout devient incertain. Au-dessus d’un certain seuil de réchauffement, la circulation thermohaline[1] s’arrêtera au moins partiellement et avec elle l’efficacité de la plongée du carbone atmosphérique dans l’océan. Les conditions de sécheresse de l’Amazonie deviendront si intenses qu’une partie de la forêt tropicale se changera en savane et tout son carbone retournera à l’atmosphère. Sur le front de l’emballement climatique, nous sommes actuellement face à une incertitude insurmontable. Les scientifiques ne s’accordent pas sur les seuils. Cet emballement a peut-être même déjà commencé avec l’effondrement des puits de carbone constaté en 2023. Ainsi, en réalité, rien ne garantit que nous nous arrêterons magiquement à +4 °C en France. Un troisième plan d’adaptation pour rien ? Début 2024, l’ancien ministre Christophe Béchu désignait l’adaptation comme « un chantier comparable à celui de la Libération : il faut tout reconstruire, tout repenser, faire évoluer nos modèles, nos référentiels, nos règles. […] Il faut l’élever à un degré de priorité égal à celui d’une politique régalienne. » 10 mois de travail plus tard, nous avons devant les yeux 51 mesures qui, individuellement, parcourent de façon cohérente les différents enjeux sans pour autant dessiner, ensemble, les contours d’une véritable planification. Nous ne sommes pas face à « un plan d’adaptation », mais à un catalogue de recommandations parfois pertinentes, mais souvent trop vagues et non opérationnelles. Le PNACC3 fournit un cadre, définit des objectifs et égraine une série de consultations. Dans les grandes lignes, il consiste en une incitation des grands acteurs publics et privés à initier un diagnostic de risque climatique sur leur territoire et le long de leur chaine de valeur. Tout cela est un indispensable, mais nous aurions pu attendre tellement plus. Il faut dépasser un constat déjà fait et refait pour planifier une réelle adaptation à la hauteur des défis à affronter. Ce ne sont pas les 75 millions d’euros supplémentaires accordés au fond Barnier qui permettront à nos territoires littoraux et à nos collectivités d’Outremer d’organiser la relocalisation des activités menacées par l’élévation du niveau de la mer. Si peu de moyens sont prévus pour accélérer l’inclusion de trames vertes, bleues et noires dans nos villes pour mieux résister au trop chaud et au trop d’eau. Le PNACC fait état d’un objectif de renaturation de 1 000 ha d’espaces urbains par an alors que c’est autour de 20 000 ha qui sont artificialisés chaque année. Le déficit est de 19 000 ha par an, soit la superficie de la ville de Dijon. Dans un contexte d’effondrement de nos puits de carbone forestier, les effectifs de l’Office National des Forêts continuent d’être réduits à peau de chagrin en plus des menaces qui pèsent sur les autres opérateurs publics de l’adaptation (ADEME, Météo France, etc.). Pas de retour en arrière non plus sur la diminution de l’enveloppe allouée au dispositif Ma Prime Renov’. Pour organiser une adaptation à la hauteur, il nous faut une planification écologique qui se donne les moyens de prévenir et d’organiser la transformation post-catastrophe. Surmonter l’adaptation technocratique par la réappropriation des Communs Pour s’adapter, il faut d’abord prévenir le risque. Ainsi, l’enjeu est celui de l’accès et du partage des communs. S’adapter c’est conserver un air respirable, une terre hors d’eau, une eau douce disponible et potable, un sol nourricier, des végétaux qui captent du carbone, une qualité de vie et une fraternité. Pour préserver ces 7 communs, il faut organiser 7 planifications. Pour affronter le trio infernal : canicule, sécheresse et inondation, il faudra réinventer notre aménagement du territoire en désartificialisant de toute urgence nos villes, en y incluant des trames vertes, bleues et noires, en restaurant le flux naturel de nos cours d’eau et en régénérant nos écosystèmes fluviaux et côtiers. Il faudra stopper l’artificialisation du périurbain et du littoral pour libérer les sols. Nous devrons institutionnaliser la sobriété hydrique et le partage de l’eau. Nous devrons accomplir la bifurcation agricole en généralisant le paradigme de l’hydrologie régénérative. L’enjeu est de réinventer une sylviculture capable de maintenir nos puits de carbone vivant. Il faudra trouver le moyen de mettre en œuvre une réindustrialisation tournée autour de l’économie circulaire tout en généralisant les réflexes de solidarité dans la population. Organiser l’entraide pour entrer durablement dans le monde fluctuant Comme après le séisme de septembre 2023 qui avait ravagé le
Par Moundib I.14 novembre 2024
Le Pacte pour l’Avenir
Le Pacte pour l’Avenir, vous connaissez ? Avez-vous entendu parler du Sommet de l’Avenir, qui s’est tenu les 22 et 23 septembre derniers au siège de l’ONU, à New York ? Et du « Pacte pour l’Avenir », adopté à l’unanimité par les 193 États membres à la suite de ces discussions impliquant des représentants de gouvernements, de la société civile, des secteurs privé et public, du monde universitaire et d’ONG ? Très probablement non. Faites une recherche sur Qwant ou Google, et vous serez surpris du faible nombre de références autres que celles émanant des institutions de l’ONU. Ce texte particulièrement ambitieux reste ainsi hors des radars médiatiques et du débat citoyen. Cette absence de couverture médiatique interroge, d’autant que les sujets abordés dans le Pacte pour l’Avenir touchent à des questions centrales de notre époque. Le Pacte pour l’Avenir se veut pourtant une feuille de route pour l’action collective des États dans cinq grands domaines : le développement et le financement durables, la paix et la sécurité internationales, l’égalité numérique, la jeunesse et les générations futures, et la gouvernance mondiale. À ces domaines s’ajoutent des sujets cruciaux comme la lutte contre la crise climatique, les droits humains et l’égalité des sexes. Tous sont au cœur de l’actualité et constituent des enjeux de première importance, certains étant même devenus particulièrement urgents. Deux actions parmi une soixantaine. Loin de moi l’idée de lister au fil d’une longue énumération l’ensemble de ces actions ; la présentation en une phrase de chacune d’entre elles dans le rapport[1] est très explicite. Mais je voudrais mettre en exergue deux des objectifs retenus. Tout d’abord, dans le domaine de la « paix et la sécurité », les deux premières de la quinzaine d’actions répertoriées[2] mettent l’accent sur la volonté de « redoubler d’efforts pour construire des sociétés pacifiques, inclusives et justes et pour [s]’attaquer aux causes profondes des conflits » et de « protéger toutes les populations civiles dans les conflits armés ». Cela peut sembler n’être que de pieux vœux à un moment où se déroulent les conflits les plus meurtriers. Mais il s’agit dans cet axe, au-delà d’une réponse aux guerres actuelles, qu’elles soient déclarées, larvées ou potentielles et à un moment où les défis sont multiples, de définir les bases d’un nouvel ordre pacifique mondial fondé sur la justice, l’équité et la coopération. Concernant les ‘développement et financement durables’, le Pacte pour l’Avenir vise la sortie des énergies fossiles et réaffirme les objectifs de l’Accord de Paris. Cet objectif[3] avait un temps été retirée sous la pression des ‘pétro-Etats’ avant d’être réintégrée face notamment à la grogne de la société civile et des ONG appuyées par plusieurs états. Elle appelle ainsi à renforcer les efforts visant à « l’abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques […] de manière à parvenir à un bilan net nul d’ici à 2050 en matière d’émissions de gaz à effet de serre ». L’abandon progressif des énergies fossiles inclut dans l’accord final de la COP 28 de Dubaï en décembre 2023 est ainsi confirmé. Des raisons de douter… Le Pacte pour l’Avenir, bien qu’adopté à l’unanimité, n’a pas de caractère contraignant. Malgré le ton très volontariste adopté : « Action 1 : we will… ; Action 2 : we will… ; … » : « Nous allons… ; nous allons… ; nous allons… », on peut tout à fait craindre qu’il s’agisse davantage d’une liste d’intentions que d’un véritable plan d’action. Et on peut tout autant douter de ces engagements pris sans contraintes juridiques, sans engagements financiers et sans ‘obligations de résultats’, notamment en matière de paix, de justice sociale ou d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Ceci alors même que les conséquences de la timidité, quand ce n’est du manque, des actions entreprises sont bien réelles et qu’elles se traduisent par une quasi-banalisation des conflits y compris les plus meurtriers, des inégalités croissantes tant entre le Nord et le Sud qu’au sein de chaque pays, des écosystèmes de plus en plus fragilisés quand ils ne sont détruits et des millions de personnes qui subissent déjà, aujourd’hui, les effets du dérèglement climatique. On peut aussi légitimement se poser la question de savoir quelle place réelle ce Pacte occupera dans les décisions des mois et années à venir. Approuvé par l’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement, on ne peut qu’espérer qu’il ne soit pas ignoré lors des prochains grands sommets programmés ces prochains mois : COP 29 sur le climat en Azerbaïdjan en novembre ; COP 16 sur la lutte contre la désertification en décembre à Ryad ; Conférence des Nations Unies sur les pays en développement sans littoral au Botswana en décembre. Ou lors de l’évaluation des prochaines ‘Contributions déterminées au niveau national’ qui se trouvent au cœur de l’Accord de Paris et qui doivent être rendus d’ici février 2025. Ce Pacte pourrait aussi être utilement rappelé lors des discussions sur les conflits en cours à l’ONU, devant la Cour Internationale de Justice ou à la Cour Pénale Internationale. Mais on ne peut que constater que nombre d’Etats, s’ils ont validé les engagements du Pacte pour l’Avenir, adoptent devant d’autres instances internationales des positions qui y sont en flagrante contradiction. Trop souvent, les intérêts court-terme, qu’ils soient commerciaux, électoraux, géopolitiques, financiers, diplomatiques… sont autant de prétextes pour renier les principes validés en d’autres lieux. Le Pacte pour l’Avenir a le mérite d’exister. Et il pose, soit explicitement, soit en filigrane, un certain nombre de questions. Quelle efficacité pour une gouvernance mondiale qui ne repose que sur des engagements non contraignants ? Comment faire primer les objectifs de justice, d’équité, de solidarité, de coopération quand chaque Etat, chaque entreprise multinationale, chaque acteur économique, chaque groupe d’intérêts poursuit ses seules priorités et ses seuls objectifs, trop souvent à court terme ? Quelles doivent être les transformations des structures, des systèmes et des modèles économiques dominants aujourd’hui ? Et les évolutions des mécanismes de financement dans le contexte d’une solidarité globale ? Alors, oui ! On ne peut qu’éprouver une certaine perplexité et même un certain scepticisme quant à l’efficacité de ce texte et de ses engagements pris pour l’avenir. Mais, malgré
Par Dicale L.7 novembre 2024
La séquence des élections législatives de 2024 : une démocratie de crise en crise
La décision précipitée du Président Macron de recourir à des élections législatives – expresses ! – en réponse au désaveu de sa majorité à l’issue des élections européennes a plongé le pays dans une situation inédite. Pour la première fois sous la Ve République, et ce malgré le type de scrutin majoritaire pensé pour enrayer toute instabilité, le paysage politique à l’Assemblée nationale conduit à ce qu’aucun bloc politique (NFP, Ensemble, RN) ne puisse gouverner sans risquer la censure des deux autres. Le président de la République qui se présentait autrefois sous l’étiquette d’« En marche » pourrait bien avoir placé le pouvoir législatif à l’arrêt. Après des années passées sous l’ère Macron, à la conception verticale du pouvoir, le peuple français aspire à davantage de justice sociale, de pouvoir d’achat mais surtout une volonté de changement drastique dans la méthode de gouverner, voire un rejet du système. L’attitude du Président Macron ne fait qu’attiser ce qui a conduit à cette configuration politique : le manque de confiance des citoyens envers des représentants perçus comme impuissants et sourds à leurs revendications. Les Français ne parviennent plus à s’identifier à leurs institutions et la séquence post-législative a démultiplié cette méfiance en défiance. S’il est une majorité dont il faut faire état à l’issue des législatives, celle d’une volonté de rupture dans la façon de gouverner s’impose, dérivant d’un manque de légitimité ressenti par les citoyens. Pourtant, le Premier ministre Michel Barnier est issu des rangs du parti ayant recueilli à peine plus de 5% des suffrages et constitue l’archétype de l’ancien monde politique. Comment expliquer aux Français que le parti le moins fort à l’Assemblée se retrouve au cœur du pouvoir, avec le Premier ministre le plus âgé de toute l’histoire de la Ve République ? S’il est une majorité dont il faut faire état, c’est bien la rupture avec la politique jupitérienne conduite tant sur le fond que sur la forme, depuis 2017. Si le peuple a voté pour son effacement, le président de la République a opéré une résistance par sa lecture extensive de son rôle d’arbitre à travers la combinaison des articles de la Constitution pour s’arroger un rôle de sélectionneur voire de capitaine de la politique gouvernementale. Pourtant, le régime de la Ve République a ceci de particulier. Fondamentalement, la France demeure un régime parlementaire. La tendance semi-présidentielle ne vaut, en pratique, qu’en dehors des périodes de cohabitation. Dans cette dernière configuration, le Président n’est alors plus le chef de la majorité mais bien le chef de l’État. Le Président en période de concordance des majorités, décide de tout, mais n’est responsable politiquement de rien, d’autant plus lors d’un second mandat, celui-ci n’étant pas renouvelable. Pourtant désavoué par son absence de majorité, le Président Macron a souhaité peser de tout son poids dans le choix du Premier ministre, anticipant lui-même le jeu des coalitions, sans même laisser une chance à celle arrivée en tête, le NFP, de constituer un gouvernement. S’il est une majorité dont il faut faire état, indéniablement, celle du Front Républicain se place largement en tête. Et pourtant, c’est le RN, arrivé en troisième position qui dispose d’une place de choix. Et pour cause : le gouvernement choisi opère un virage à droite toutes, aux valeurs de repli, à la merci d’un RN sur lequel repose toute la stabilité gouvernementale. La nomination de Bruno Retailleau, incarnation du symbole de la droite dure au ministère de l’Intérieur en constitue une illustration, tout comme l’appel du Premier ministre à Marine Le Pen après la déclaration du ministre de l’Économie affichant son caractère Le-Peno incompatible. Au-delà l’ensemble du gouvernement reflète des choix audacieux et très conservateurs : Laurent Saint Martin, macroniste de la première heure, pourtant battu lors des élections législatives de 2022, se voit nommé au poste de ministre des Comptes publics ; Annie Genevard soutenant l’élevage intensif et les méthodes de chasse « dures » au ministère de l’Agriculture ; Olga Givernet, adepte du nucléaire en tant que ministre déléguée chargée de l’Énergie ; sans compter les nombreuses reconductions du gouvernement démissionnaire. Certains de ses membres ont voté contre la loi pour le mariage pour tous, contre l’inscription de l’IVG dans la Constitution, ou encore contre l’ouverture de la PMA. Aujourd’hui, ni le président de la République, ni le gouvernement ne paraissent assez solides pour susciter la confiance des Français. Le Premier ministre de ce gouvernement minoritaire, s’il est tenu de prononcer un discours de politique générale, n’est pas assujetti à une obligation s’agissant du vote de confiance. En outre, aucune dissolution ne pourra être prononcée avant un an après cet épisode électoral. Reste donc l’incertitude du jeu de la motion de censure, brouillé par un RN devant qui le nouveau gouvernement courbe l’échine, faisant obstruction au Front républicain. Or, la Ve République se fonde sur le peuple, conçu comme étant la source du pouvoir. Et n’en déplaise au ministre de l’Intérieur, l’État de droit est sacré en tant que véritable corollaire de la sécurité juridique des citoyens, détenteurs de droits politiques actifs mais également de droits et libertés qui leur sont garanties, non soumis à l’effervescence de l’immédiateté, notamment aux fluctuations de majorités faibles et éphémères. Les crises conjoncturelles puisent leur source de crises plus profondes : elles ne sont que la version émergée de l’iceberg. La crise politique que nous traversons à l’issue des élections législatives de 2024 dérive d’une crise institutionnelle plus profondément ancrée. Le manque de confiance des citoyens envers leurs institutions ne relève plus de l’exception : il en est devenu le principe. Cette double méfiance à la fois des citoyens envers leurs représentants mais également des représentants envers le peuple souverain est devenu structurelle sous la Ve République. Alors que faire pour parvenir à ressusciter le sentiment d’adhésion et d’appartenance des français au contrat social ? L’un des chantiers consiste à moderniser les institutions et remettre le citoyen au cœur du pouvoir. L’Institut Rousseau a déjà œuvré en ce sens ! De façon synthétique, la fiche thématique sur « Intégrer le peuple dans les
Par Toudic B.1 octobre 2024
Communiqué Institut Rousseau
Pour la première fois depuis la Libération, l’extrême-droite semble en mesure d’obtenir une majorité parlementaire et, ainsi, de gouverner notre République. L’histoire nous apprend pourtant que l’extrême-droite ne dit jamais son nom, pas plus que l’extrême-libéralisme, et que les deux vont souvent de pair. Au cours des trente dernières années, ces forces se sont conjuguées pour nous mener aujourd’hui au bord de l’abîme. Alors que l’idéologie du marché sans contrepartie abattait les protections des individus, des nations et des écosystèmes, préparant l’avènement de l’extrême-droite tout en prétendant la repousser, cette dernière s’appuyait sur le désordre du monde et la colère grandissante pour imposer ses visions rétrogrades et simplistes et accuser ses boucs-émissaires. Ces deux puissances masquées se sont renforcées et soutenues mutuellement, pour le plus grand malheur des peuples qui croient en leurs promesses de prospérité ou d’ordre, alors qu’elles n’apportent que précarité et désordre. Sous couvert de « modernité » ou de « protection », leurs logiciels profonds sont ceux de la violence et du ressentiment. Ces forces ne parlent pas le langage de la République : à rebours de l’idéal d’humanisme et de solidarité, elles opposent les citoyens entre eux, selon leur statut social, leurs origines ou leurs manières d’être. Ce ne sont pas des forces de progrès, de protection, encore moins de rassemblement, ce sont des forces de destruction, d’insécurité et de division. Les fictions sociales sur lesquelles elles reposent nient tant la possibilité d’une alternative au repli identitaire que celle d’une harmonie, c’est-à-dire qu’elles refusent ce qui constitue l’essence même de la liberté humaine. Le résultat de leur action, dans les actes comme sur les esprits, est devant nos yeux : nous vivons un âge des colères, celui où l’équilibre psychologique et la tolérance des peuples menacent de céder devant la disparition des services publics et des solidarités organisées, devant la montée des inégalités, de la pauvreté et la violence sociale qui en découle, comme devant la violence des représentations et la déshumanisation des débats publics. Placés en situation permanente d’insécurité économique, soumis à un ordre de réformes aussi injustes que prétendument incontournables, contraints et punis dans leur expression politique, appelés à se dresser contre les plus faibles plutôt que d’être solidaires à leur égard, de plus en plus de nos concitoyens se préparent ainsi à faire le choix du pire, sans comprendre que cela les conduira vers davantage de difficultés encore. Il n’est plus d’intelligence rationnelle là où la souffrance et la frustration dominent trop longtemps. Pourtant, différentes enquêtes récentes ont montré que plus des trois-quarts des Françaises et des Français s’accordent pour des réformes telles que l’abrogation de la réforme des retraites, l’augmentation du SMIC, le rétablissement de l’ISF, la revalorisation de nos services publics ou encore la mise en place d’une véritable planification écologique capable à la fois de réindustrialiser notre pays et de répondre à la crise climatique. Ni le Rassemblement National –qui hier encore renonçait à abroger la réforme des retraites ou à rétablir l’ISF–, ni les partisans de la poursuite d’une politique néolibérale dont l’application n’a eu d’autres effets que diviser notre Nation, affaiblir notre économie et accélérer la régression écologique ne sont en mesure de répondre à ces aspirations majoritaires. Il appartient ainsi à toutes les forces sociales, républicaines et écologistes de convaincre le peuple, tout le peuple, qu’une autre voie est possible. Que l’on peut apporter des réponses crédibles, ambitieuses et justes à des problèmes bien réels, que la prospérité, la sécurité des individus comme la protection de la nature ne s’opposent pas mais sont indissociables, que l’on peut susciter l’adhésion politique par l’espoir plutôt que par le ressentiment ou la peur, qu’il n’y a pas de fatalité au repli ou à un ordre du monde perverti par une logique capitaliste déshumanisée. L’Institut Rousseau est né de cette conviction il y a plus de quatre ans, et il tiendra son rôle au service de cet idéal dans cette période critique. En écho à la Déclaration de Philadelphie (1944), nous soutenons que la justice sociale est le meilleur garant de la paix. Dans le sillage du Préambule de notre Constitution, nous affirmons que les droits humains de tous, y compris les migrants, ne sont jamais et nulle part négociables. Enfin, dans le prolongement de l’Office International du Travail, ultime témoin du projet de Société des Nations, nous affirmons que chacune, chacun a droit à un travail décent. Forts des travaux que nous avons produits au cours de ces dernières années, et des propositions originales que nous avons souvent fait émerger, nous entendons ainsi contribuer à montrer que sur les grands sujets politiques du moment, des solutions existent, qui n’ont besoin que de volonté politique et de l’engagement des citoyens à les revendiquer pour devenir des réalités. Nos propositions feront ainsi écho à celles qui se construisent dans le champ politique et syndical, en réaction à cette situation politique dangereuse, du Front populaire aux acteurs de la société civile, et seront utiles à toutes celles et tous ceux qui sont engagés pour le renouveau démocratique, la reconstruction écologique et la justice sociale. Notre contribution se matérialisera, à partir du 20 juin, par la publication quotidienne, durant deux semaines, de propositions synthétiques offrant des solutions concrètes et innovantes, dans le domaine des institutions politiques, de la protection sociale, du renouveau économique et de la reconstruction écologique. Rendez-vous à partir du 20 juin ! Institut Rousseau – des idées pour la reconstruction écologique, sociale et républicaine de nos sociétés.
16 juin 2024