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Pierre Micheletti

Biographie

Le Dr. Pierre Micheletti est membre de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), administrateur de SOS Méditerranée, ancien président d’Action contre la faim et de Médecins du Monde et responsable du diplôme « Santé — Solidarité — Précarité » à la Faculté de médecine de Grenoble (UGA).

Autres fonctions occupées antérieurement :

  • Président d’Action Contre la Faim (2019-2023)
  • Coresponsable du master « Politiques et Pratiques des Organisations Internationales » à l’IEP de Grenoble (2009-2020)
  • Président de la Commission santé et membre du Conseil d’Administration de l’Uniopss (2012-2016)
  • Membre du Conseil National de la santé mentale (2014-2016).
  • Conseiller technique et membre du Directoire de l’hôpital psychiatrique de St Egrève (2009-2014)
  • Vice-président de la Fédération Nationale des Centres de Santé (2010-2012)
  • Directeur de la santé de la ville de Grenoble (2000-2008).

Publications, hors articles scientifiques et presse nationale

Auteur

  • Humanitaire : s’adapter ou renoncer (essai), Marabout, Paris, 2008
  • Les Poissons pleurent aussi (roman), Ed. Lucien Souny, 2016, poche 2020
  • Une mémoire d’Indiens (récit), Ed. Parole, 2018
  • O, O3% pour une transformation du mouvement humanitaire international, (Essai), Ed. Parole 2020
  • Tu es Younis Ibrahim Jama (roman), Ed. Langage Pluriel, 2023.

Directeur/coauteur

  • Afghanistan : Gagner les cœurs et les esprits, PUG, RFI, 2014
  • La santé des populations vulnérables, avec C. Adam, V. Faucherre et G. Pascal, Ellipses, Paris mars 2017.

Contributeur à des ouvrages collectifs

  • L’action humanitaire internationale entre le droit et la pratique, sous la direction d’Abdelwahab Biad, Némésis-Anthémis, Bruxelles 2016
  • La nouvelle géographie du développement, sous la direction d’Arnaud Zaccharie, La Muette – Le bord de l’eau, Bruxelles, 2016
  • Dictionnaire de la guerre et de la paix, sous la direction de Benoît Durieux, Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer et Frédéric Ramel, Presses Universitaires de France, Paris mars 2017
  • Droit et pratique de l’action humanitaire, sous la direction de Sandra Szurek,Toute une vie d’humanitaire, Pascal Grellety-Boisviel, Elytis, 2013.

Préfacier

  • Jours tranquilles à Kaboul, Emmanuel Moy, Riveneuve éditions, 2014
  • Comprendre les organisations humanitaires, François Audet, Presses Universitaires du Québec, Montréal 2016
  • Construire un autre monde, Une réponse par les communs globaux, sous la direction de Yves Achille et Alain Dontaine, Elliot éditions, 2023.

Notes publiées

Le déploiement de la « Fondation humanitaire de Gaza » est une étape supplémentaire dans l’effondrement du système international de secours

Pierre Micheletti, président d’honneur d’Action Contre la Faim, ancien président de Médecins du Monde, membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), auteur de « 0,03 % ! Pour une transformation du mouvement humanitaire international », éditions Parole, 2020. La création en début d’année de cette « Fondation » de droit suisse soutenue par les gouvernements Trump et Netanyahou constitue le symptôme d’un modèle humanitaire en crise accentuée, dont la situation à Gaza est un des derniers exemples les plus frappants. À ce titre, la conférence internationale du 17 au 20 juin relative à la situation en Palestine, qui se tiendra à New-York sous l’égide de l’ONU, co-présidée par la France et l’Arabie saoudite, devrait impérativement rappeler les fondamentaux du droit international humanitaire et la non-instrumentalisation des acteurs de l’aide humanitaire. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Trump et le télescopage de cet avènement avec le conflit majeur qui secoue la bande de Gaza, se cumulent des évolutions de différentes natures qui toutes convergent pour détruire le dispositif d’aide internationale d’urgence bâti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le modèle humanitaire qui prévalait jusqu’à fin 2024 mobilisait trois grandes familles d’acteurs, toutes inspirées par les intuitions initiales du Suisse Henry Dunant après qu’il eut assisté, en 1859, à la bataille de Solférino et crée, avec le juriste Moynier, et Dufour, général à la retraite, une structure qui va donner naissance au Comité International de la Croix-Rouge (CICR) puis au mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Le CICR sera le premier instigateur de la construction du droit international humanitaire (DIH) dans sa déclinaison moderne. Deux autres familles composent le tableau des acteurs primordiaux de l’aide humanitaire : les agences des Nations unies impliquées dans la gestion des urgences sur les terrains de crise (HCR, UNICEF, PAM, OIM, OMS, etc. [1]), et les ONG internationales. Toutes ces organisations ont pour dénominateur commun le respect des principes fondamentaux que sont l’humanité, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance. De même, toutes respectent les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels. Ces textes, progressivement élaborés et actualisés depuis la bataille de Solférino, visent à « humaniser » la guerre, et à œuvrer à ce que tout ne soit pas possible, même durant un conflit, en matière de violence armée, en particulier à l’égard des combattants blessés, des prisonniers de guerre, et des populations civiles prises dans la tourmente des combats. Le système en place n’était pas parfait, ni exempt de reproches entendables. L’analyse plus attentive met en lumière quatre points de fragilité, quatre « tentations » que le dispositif révélait[2] : l’occidentalo-centrisme des pays financeurs et les suspicions de « soft power» qu’on leur prêtait à travers les fonds attribués ; les rétractions financières dont le système était capable quand des préoccupations nationales prenaient le pas, comme pendant l’épidémie de Covid 19, sur les besoins de la solidarité internationale dans les pays les plus fragiles ; le néo-libéralisme comme marque de fabrique d’un dispositif où les principaux pays donateurs choisissaient les crises auxquelles ils voulaient engager leurs fonds, laissant le soin aux ONG d’aller collecter auprès des citoyens de leurs pays d’implantation près de 20 % des sommes annuelles mobilisées[3]; la tentation d’une logique sécuritaire qui s’amorçait, amenant les financeurs à vouloir imposer des procédures de filtration des employés et partenaires opérationnels de terrain des ONG pour écarter tout risque de soutien à des personnes et/ou organisations proches de groupes considérés par ces mêmes pays donateurs comme terroristes[4]. Ces même financeurs pouvant en outre solliciter que ces « screening» (criblages) s’appliquent directement aux personnes aidées, ce que les organisations humanitaires avaient jusqu’ici toujours refusé[5][6]. À ceci s’ajoute le fait que les difficultés financières étaient chroniques, avec un déficit de ressources par rapport aux évaluations des besoins réalisées par les Nations unies, de 40 % chaque année depuis une dizaine d’années, pour un niveau global de dépenses de 43 milliards de dollars en 2023[7]. C’est sur cet état des lieux que survint la secousse majeure qui allait frapper un modèle économique déjà fragile, avec le brusque retrait des financements octroyés au système décrit par le nouveau gouvernement des États-Unis, premier financeur mondial de l’aide. Ce retrait eut d’immédiates conséquences sur le sort des 300 millions de personnes en besoin d’assistance humanitaire, faisant par ailleurs peser des dangers existentiels sur l’ensembles des acteurs humanitaires internationaux. Ce séisme advint alors même qu’à Gaza tous les fondamentaux du DIH sont foulés au pied de façon décomplexée, dans une paralysie de toutes les instances sensées être les garantes de son application : plus de 50 000 morts à ce jour, dont une large proportion de femmes et d’enfants ; plus de 400 tués parmi les travailleurs humanitaires[8], faisant de ce conflit le plus mortel des guerres contemporaines pour le personnel des différentes organisations humanitaires ; décisions restées sans effets des avis et condamnations présentés par la Cour pénale internationale et par la Cour internationale de justice. Parmi les organisations de l’ONU, l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) est plus particulièrement la cible d’une stratégie d’éradication par une série de manœuvres financières et politiques, adossées à une campagne de diabolisation, jamais clairement argumentée, pour complicité avec les auteurs des massacres terroristes du 7 octobre en Israël. Peu à peu sont ainsi progressivement réduits à la paralysie tous les acteurs du multilatéralisme de l’aide humanitaire internationale, en particulier à Gaza. C’est dans ce contexte qu’émerge, après les annonces politiques de « Riviera bis », puis celui de déportation massive de l’ensemble de la population gazaouie, une nouvelle proposition, la mise en place d’une « Fondation Humanitaire pour Gaza ». Organisation nébuleuse, créée pour la circonstance, dont les financements, les acteurs, les pratiques opérationnelles et les stratégies de contrôles des personnes aidées s’inscrivent dans un total déni des principes fondateurs de l’action humanitaire. C’est précisément à cause du risque évident de non-respect des principes fondamentaux que Jake Wood – ancien militaire états-unien devenu entrepreneur social -, pressenti pour être le directeur de cette structure, a jeté l’éponge le 25 mai dernier[9]. Son successeur serait Johnnie Moore, un

Par Micheletti P.

10 juin 2025

L’Union européenne et le sauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : le droit comme rempart à l’indignité

Please click here for an English version (translation provided by the author) / version en anglais (fournie par l’auteur). Résumé exécutif La situation des secours en mer à l’égard des migrants-naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable » de la part de l’Union européenne. Le Forum Humanitaire Européen qui se tenait à Bruxelles les 18 et 19 mars 2024 aurait pu constituer un espace légitime pour inscrire les secours en mer à l’agenda politique de l’UE. Ce sujet a pourtant été totalement occulté. La perspective des élections du nouveau Parlement européen en juin 2024 donne à la question du sauvetage en mer un relief et des enjeux cruciaux, car les futures orientations de l’UE seront bien-sûr influencées par le résultat de cette élection. I – La Méditerranée centrale est la voie la plus dangereuse pour les migrants Les drames récurrents – pas toujours documentés car certains naufrages se font sans témoins – des noyades en Méditerranée sont aujourd’hui l’une des expressions les plus pathétiques de la fuite à tout prix de personnes désespérées, acceptant tous les risques dans leur aspiration à plus de sécurités fondamentales. C’est ainsi en Méditerranée que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est estimé à 28 888 personnes. II – Le secours aux naufragés constitue une obligation légale et morale Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pas à de rudes et parfois manichéennes controverses politiques : c’est la question du devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette question relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat. Ni au regard du Droit de la mer, ni en référence au Droit International Humanitaire. Dès lors, comme l’a également réaffirmé la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), l’acceptance et l’inertie des gouvernements des Etats-membres de l’UE – sous couvert de lutte anti-migration – devant les drames récurrents est intolérable : au plan moral, légal et politique. III – L’UE déploie une stupéfiante stratégie : ne pas aider, et laisser les pays riverains de la Méditerranée entraver ceux qui aident On assiste de fait en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyenne et tunisienne aux comportements obscurs et violents, et -par transfert de mandat- à des ONG de secours. Ces organisations sont pourtant soumises à des stratégies délibérées de harassement et d’empêchement à agir. Sans aucune contribution financière de la part de l’UE aux profits des actions qu’elles déploient. Ce repli dans l’implication de l’Union européenne au service du sauvetage, est d’autant plus inacceptable que l’UE est l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence. IV – Ne pas entériner, aujourd’hui et demain la violence pratiquée sur l’autre rive de la Méditerranée Les violences de toutes sortes pratiquées à l’égard des migrants en Lybie et en Tunisie sont amplement documentées. L’adoption du « pacte Migration et asile » intervient alors que l’UE a formalisé en 2024 des accords de coopération avec deux pays supplémentaires situés sur la rive sud de la Méditerranée qui se voient confiés des rôles cruciaux pour contrôler et endiguer les migrations. L’Egypte et la Mauritanie ont ainsi rejoint la Turquie (2016), la Libye (2017) et la Tunisie (2023) pour organiser une « ligne Maginot » anti migrants vers l’Europe. (…) Des questions et des doutes émergent d’emblée sur les pratiques qui seront adoptées par les deux pays récemment entrés dans le dispositif européen délocalisé. V – Des mesures sont énoncées, qui réaffirment la dimension humanitaire des actions développées par les navires de secours. A – Réaffirmer des principes généraux aujourd’hui occultés B – Mettre en œuvre les mesures correctives que requièrent les dysfonctionnements et défaillances constatées du secours aux naufragés Des modalités opérationnelles et politiques sont proposées dans la note pour rendre concrètes les solutions préconisées. Elles peuvent utilement nourrir le plaidoyer des député(e)s européen(ne)s et des organisations issues de la société civile. Introduction Des voix s’élèvent de toutes parts pour alerter sur les limites financières et politiques auxquelles se heurte désormais l’aide humanitaire internationale dans sa capacité de déploiement. Les fonds gouvernementaux, qui représentent 80 % des ressources annuelles, traduisent des choix directement liés aux priorités politiques des pays donateurs. La situation des secours à l’égard des migrants-naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable ». La perspective des élections du nouveau Parlement européen en juin 2024 dote la question du sauvetage d’un relief et d’enjeux cruciaux. Les futures orientations de l’Union européenne (UE) seront évidemment influencées par le résultat de cette élection. Le Forum Humanitaire Européen qui se tenait à Bruxelles les 18 et 19 mars derniers aurait pu constituer un espace légitime pour inscrire les secours en mer à l’agenda politique de l’Union européenne. Ce sujet a pourtant été totalement occulté. De même, on ne peut que regretter qu’il ne soit fait aucune mention explicite de la question du sauvetage des naufragés dans la toute récente publication de la stratégie humanitaire du gouvernement français pour sa programmation 2023-2027[1]. Il n’est pas trop tard. Deux objectifs du plan peuvent facilement et utilement accueillir un volet en résonance avec les secours en mer, contribuant à combler les carences constatées. L’un des objectifs affirme la nécessaire attention portée aux femmes et aux enfants, populations particulièrement fragiles parmi les migrants, à fortiori parmi ceux qui tentent la traversée (II.4 et II.5). 14 % de l’ensemble des personnes arrivées en Italie en 2016 après avoir traversé la Méditerranée étaient des enfants non accompagnés. Entre 2014 et 2020, au moins 2300 enfants sont morts ou ont disparu au cours de leur voyage migratoire[2]. Les femmes représentent 20 % des arrivées maritimes en Europe, avec une moindre chance de survivre à la traversée que les hommes[3]. Un autre objectif de la stratégie humanitaire affirme que la France défendra l’action humanitaire comme priorité européenne (IV.1.B). I – La Méditerranée est la porte d’entrée

Par Micheletti P.

5 juin 2024

Le déploiement de la « Fondation humanitaire de Gaza » est une étape supplémentaire dans l’effondrement du système international de secours

Pierre Micheletti, président d’honneur d’Action Contre la Faim, ancien président de Médecins du Monde, membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), auteur de « 0,03 % ! Pour une transformation du mouvement humanitaire international », éditions Parole, 2020. La création en début d’année de cette « Fondation » de droit suisse soutenue par les gouvernements Trump et Netanyahou constitue le symptôme d’un modèle humanitaire en crise accentuée, dont la situation à Gaza est un des derniers exemples les plus frappants. À ce titre, la conférence internationale du 17 au 20 juin relative à la situation en Palestine, qui se tiendra à New-York sous l’égide de l’ONU, co-présidée par la France et l’Arabie saoudite, devrait impérativement rappeler les fondamentaux du droit international humanitaire et la non-instrumentalisation des acteurs de l’aide humanitaire. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Trump et le télescopage de cet avènement avec le conflit majeur qui secoue la bande de Gaza, se cumulent des évolutions de différentes natures qui toutes convergent pour détruire le dispositif d’aide internationale d’urgence bâti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le modèle humanitaire qui prévalait jusqu’à fin 2024 mobilisait trois grandes familles d’acteurs, toutes inspirées par les intuitions initiales du Suisse Henry Dunant après qu’il eut assisté, en 1859, à la bataille de Solférino et crée, avec le juriste Moynier, et Dufour, général à la retraite, une structure qui va donner naissance au Comité International de la Croix-Rouge (CICR) puis au mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Le CICR sera le premier instigateur de la construction du droit international humanitaire (DIH) dans sa déclinaison moderne. Deux autres familles composent le tableau des acteurs primordiaux de l’aide humanitaire : les agences des Nations unies impliquées dans la gestion des urgences sur les terrains de crise (HCR, UNICEF, PAM, OIM, OMS, etc. [1]), et les ONG internationales. Toutes ces organisations ont pour dénominateur commun le respect des principes fondamentaux que sont l’humanité, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance. De même, toutes respectent les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels. Ces textes, progressivement élaborés et actualisés depuis la bataille de Solférino, visent à « humaniser » la guerre, et à œuvrer à ce que tout ne soit pas possible, même durant un conflit, en matière de violence armée, en particulier à l’égard des combattants blessés, des prisonniers de guerre, et des populations civiles prises dans la tourmente des combats. Le système en place n’était pas parfait, ni exempt de reproches entendables. L’analyse plus attentive met en lumière quatre points de fragilité, quatre « tentations » que le dispositif révélait[2] : l’occidentalo-centrisme des pays financeurs et les suspicions de « soft power» qu’on leur prêtait à travers les fonds attribués ; les rétractions financières dont le système était capable quand des préoccupations nationales prenaient le pas, comme pendant l’épidémie de Covid 19, sur les besoins de la solidarité internationale dans les pays les plus fragiles ; le néo-libéralisme comme marque de fabrique d’un dispositif où les principaux pays donateurs choisissaient les crises auxquelles ils voulaient engager leurs fonds, laissant le soin aux ONG d’aller collecter auprès des citoyens de leurs pays d’implantation près de 20 % des sommes annuelles mobilisées[3]; la tentation d’une logique sécuritaire qui s’amorçait, amenant les financeurs à vouloir imposer des procédures de filtration des employés et partenaires opérationnels de terrain des ONG pour écarter tout risque de soutien à des personnes et/ou organisations proches de groupes considérés par ces mêmes pays donateurs comme terroristes[4]. Ces même financeurs pouvant en outre solliciter que ces « screening» (criblages) s’appliquent directement aux personnes aidées, ce que les organisations humanitaires avaient jusqu’ici toujours refusé[5][6]. À ceci s’ajoute le fait que les difficultés financières étaient chroniques, avec un déficit de ressources par rapport aux évaluations des besoins réalisées par les Nations unies, de 40 % chaque année depuis une dizaine d’années, pour un niveau global de dépenses de 43 milliards de dollars en 2023[7]. C’est sur cet état des lieux que survint la secousse majeure qui allait frapper un modèle économique déjà fragile, avec le brusque retrait des financements octroyés au système décrit par le nouveau gouvernement des États-Unis, premier financeur mondial de l’aide. Ce retrait eut d’immédiates conséquences sur le sort des 300 millions de personnes en besoin d’assistance humanitaire, faisant par ailleurs peser des dangers existentiels sur l’ensembles des acteurs humanitaires internationaux. Ce séisme advint alors même qu’à Gaza tous les fondamentaux du DIH sont foulés au pied de façon décomplexée, dans une paralysie de toutes les instances sensées être les garantes de son application : plus de 50 000 morts à ce jour, dont une large proportion de femmes et d’enfants ; plus de 400 tués parmi les travailleurs humanitaires[8], faisant de ce conflit le plus mortel des guerres contemporaines pour le personnel des différentes organisations humanitaires ; décisions restées sans effets des avis et condamnations présentés par la Cour pénale internationale et par la Cour internationale de justice. Parmi les organisations de l’ONU, l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) est plus particulièrement la cible d’une stratégie d’éradication par une série de manœuvres financières et politiques, adossées à une campagne de diabolisation, jamais clairement argumentée, pour complicité avec les auteurs des massacres terroristes du 7 octobre en Israël. Peu à peu sont ainsi progressivement réduits à la paralysie tous les acteurs du multilatéralisme de l’aide humanitaire internationale, en particulier à Gaza. C’est dans ce contexte qu’émerge, après les annonces politiques de « Riviera bis », puis celui de déportation massive de l’ensemble de la population gazaouie, une nouvelle proposition, la mise en place d’une « Fondation Humanitaire pour Gaza ». Organisation nébuleuse, créée pour la circonstance, dont les financements, les acteurs, les pratiques opérationnelles et les stratégies de contrôles des personnes aidées s’inscrivent dans un total déni des principes fondateurs de l’action humanitaire. C’est précisément à cause du risque évident de non-respect des principes fondamentaux que Jake Wood – ancien militaire états-unien devenu entrepreneur social -, pressenti pour être le directeur de cette structure, a jeté l’éponge le 25 mai dernier[9]. Son successeur serait Johnnie Moore, un

Par Micheletti P.

5 juin 2024

L’Union européenne et le sauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : le droit comme rempart à l’indignité

Please click here for an English version (translation provided by the author) / version en anglais (fournie par l’auteur). Résumé exécutif La situation des secours en mer à l’égard des migrants-naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable » de la part de l’Union européenne. Le Forum Humanitaire Européen qui se tenait à Bruxelles les 18 et 19 mars 2024 aurait pu constituer un espace légitime pour inscrire les secours en mer à l’agenda politique de l’UE. Ce sujet a pourtant été totalement occulté. La perspective des élections du nouveau Parlement européen en juin 2024 donne à la question du sauvetage en mer un relief et des enjeux cruciaux, car les futures orientations de l’UE seront bien-sûr influencées par le résultat de cette élection. I – La Méditerranée centrale est la voie la plus dangereuse pour les migrants Les drames récurrents – pas toujours documentés car certains naufrages se font sans témoins – des noyades en Méditerranée sont aujourd’hui l’une des expressions les plus pathétiques de la fuite à tout prix de personnes désespérées, acceptant tous les risques dans leur aspiration à plus de sécurités fondamentales. C’est ainsi en Méditerranée que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est estimé à 28 888 personnes. II – Le secours aux naufragés constitue une obligation légale et morale Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pas à de rudes et parfois manichéennes controverses politiques : c’est la question du devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette question relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat. Ni au regard du Droit de la mer, ni en référence au Droit International Humanitaire. Dès lors, comme l’a également réaffirmé la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), l’acceptance et l’inertie des gouvernements des Etats-membres de l’UE – sous couvert de lutte anti-migration – devant les drames récurrents est intolérable : au plan moral, légal et politique. III – L’UE déploie une stupéfiante stratégie : ne pas aider, et laisser les pays riverains de la Méditerranée entraver ceux qui aident On assiste de fait en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyenne et tunisienne aux comportements obscurs et violents, et -par transfert de mandat- à des ONG de secours. Ces organisations sont pourtant soumises à des stratégies délibérées de harassement et d’empêchement à agir. Sans aucune contribution financière de la part de l’UE aux profits des actions qu’elles déploient. Ce repli dans l’implication de l’Union européenne au service du sauvetage, est d’autant plus inacceptable que l’UE est l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence. IV – Ne pas entériner, aujourd’hui et demain la violence pratiquée sur l’autre rive de la Méditerranée Les violences de toutes sortes pratiquées à l’égard des migrants en Lybie et en Tunisie sont amplement documentées. L’adoption du « pacte Migration et asile » intervient alors que l’UE a formalisé en 2024 des accords de coopération avec deux pays supplémentaires situés sur la rive sud de la Méditerranée qui se voient confiés des rôles cruciaux pour contrôler et endiguer les migrations. L’Egypte et la Mauritanie ont ainsi rejoint la Turquie (2016), la Libye (2017) et la Tunisie (2023) pour organiser une « ligne Maginot » anti migrants vers l’Europe. (…) Des questions et des doutes émergent d’emblée sur les pratiques qui seront adoptées par les deux pays récemment entrés dans le dispositif européen délocalisé. V – Des mesures sont énoncées, qui réaffirment la dimension humanitaire des actions développées par les navires de secours. A – Réaffirmer des principes généraux aujourd’hui occultés B – Mettre en œuvre les mesures correctives que requièrent les dysfonctionnements et défaillances constatées du secours aux naufragés Des modalités opérationnelles et politiques sont proposées dans la note pour rendre concrètes les solutions préconisées. Elles peuvent utilement nourrir le plaidoyer des député(e)s européen(ne)s et des organisations issues de la société civile. Introduction Des voix s’élèvent de toutes parts pour alerter sur les limites financières et politiques auxquelles se heurte désormais l’aide humanitaire internationale dans sa capacité de déploiement. Les fonds gouvernementaux, qui représentent 80 % des ressources annuelles, traduisent des choix directement liés aux priorités politiques des pays donateurs. La situation des secours à l’égard des migrants-naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable ». La perspective des élections du nouveau Parlement européen en juin 2024 dote la question du sauvetage d’un relief et d’enjeux cruciaux. Les futures orientations de l’Union européenne (UE) seront évidemment influencées par le résultat de cette élection. Le Forum Humanitaire Européen qui se tenait à Bruxelles les 18 et 19 mars derniers aurait pu constituer un espace légitime pour inscrire les secours en mer à l’agenda politique de l’Union européenne. Ce sujet a pourtant été totalement occulté. De même, on ne peut que regretter qu’il ne soit fait aucune mention explicite de la question du sauvetage des naufragés dans la toute récente publication de la stratégie humanitaire du gouvernement français pour sa programmation 2023-2027[1]. Il n’est pas trop tard. Deux objectifs du plan peuvent facilement et utilement accueillir un volet en résonance avec les secours en mer, contribuant à combler les carences constatées. L’un des objectifs affirme la nécessaire attention portée aux femmes et aux enfants, populations particulièrement fragiles parmi les migrants, à fortiori parmi ceux qui tentent la traversée (II.4 et II.5). 14 % de l’ensemble des personnes arrivées en Italie en 2016 après avoir traversé la Méditerranée étaient des enfants non accompagnés. Entre 2014 et 2020, au moins 2300 enfants sont morts ou ont disparu au cours de leur voyage migratoire[2]. Les femmes représentent 20 % des arrivées maritimes en Europe, avec une moindre chance de survivre à la traversée que les hommes[3]. Un autre objectif de la stratégie humanitaire affirme que la France défendra l’action humanitaire comme priorité européenne (IV.1.B). I – La Méditerranée est la porte d’entrée

Par Micheletti P.

5 juin 2024

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