Dix propositions pour reconstruire le modèle français d’intégration
Résumé exécutif
Alors que le débat public s’enferme et s’hystérise sur l’immigration, trois stratégies politiques se sont jusqu’alors exprimées : (1) la dramatisation, c’est-à-dire la vision d’une France submergée et au bord de la guerre civile, historiquement portée par les partis d’extrême-droite ; (2) la négation, qui consiste à réfuter l’existence possible d’un enjeu en la matière afin de ne pas alimenter la mise à l’agenda de ces thématiques par l’extrême droite ; et (3) la réaction, où l’objectif est de couper l’herbe sous le pied de l’extrême droite, en adoptant le même diagnostic mais où les solutions sont supposées être plus raisonnables et s’inscrire dans « l’arc républicain ».
Ces différentes stratégies ont toutes en commun de s’articuler autour d’une vision du monde imposée, celle du « problème de l’immigration ». Or, si les enjeux qui traversent la société française ne doivent pas être niés, ils concernent avant tout l’intégration des étrangers et la cohésion sociale de l’ensemble des citoyens. Les fractures que connaît la société française actuellement ne sont pas causées par un excès d’immigration, mais plutôt par des freins à l’intégration (conditions de vie des populations immigrées, manque de mixité sociale, discriminations, etc.). Par ailleurs, si le modèle d’intégration dit républicain avait pu apporter un cadre et des institutions propices à l’intégration des nouveaux arrivants depuis la fin du XIXe siècle, ce modèle semble s’être érodé en raison des mutations profondes de notre société (désindustrialisation, émiettement du monde du travail, essor de l’individualisme et perte de mixité sociale, etc.).
Face à ce constat, la priorité est de doter le pays d’une réelle politique d’intégration et de cohésion sociale. Cette note propose ainsi dix recommandations structurées en trois axes visant à reconstruire un modèle d’intégration effectif pour prévenir tout approfondissement des fractures et apaiser la société française sur ce sujet :
1. Proposer un nouveau récit politique centré non pas sur l’immigration mais sur les enjeux d’intégration et de cohésion sociale (recommandation n°1).
2. Ériger la mixité sociale, qui s’est fortement érodée depuis des décennies, en priorité absolue pour le pays :
- Appliquer la loi SRU partout, au moyen de sanctions renforcées (recommandation n°2) ;
- Adopter une « loi SRU de l’école » pour que chaque établissement, qu’il soit public ou privé, contribue à la mixité sociale (recommandation n°3) ;
- Répartir les étrangers arrivants sur le territoire de façon équilibrée pour éviter d’aggraver les phénomènes de ségrégation socio-spatiale (recommandation n°4) ;
- Relancer la politique d’éducation populaire (recommandation n°5) ;
- Mettre en place un ministère de plein exercice regroupant les politiques de cohésion sociale, d’intégration et de lutte contre les discriminations pour que ces mesures soient réellement adoptées et appliquées de façon efficace (recommandation n°6).
3. Renforcer le sentiment d’appartenance à la communauté nationale de l’ensemble des composantes de la société :
- Réinstaurer un service national civil ou militaire pour renforcer le sentiment d’appartenance commune (recommandation n°7) ;
- Mettre en place une politique de tolérance zéro contre les discriminations pour garantir l’égalité réelle des citoyens, quelle que soit leur origine (recommandation n°8) ;
- Organiser une convention citoyenne sur l’immigration et l’intégration dans l’objectif de créer les conditions d’un débat apaisé sur le sujet (recommandation n°9) ;
- Mieux étudier l’immigration et l’histoire coloniale de la France afin d’éviter les conflits mémoriels qui peuvent affaiblir la cohésion sociale (recommandation n°10).
Introduction
Si les élections législatives anticipées de l’été 2024 ont été marquées par l’arrivée en tête du Nouveau Front populaire, elles ancrent la progression continue du Rassemblement national et de ses alliés dont le nombre de sièges est passé de 89 à 143. Au cœur des sujets portés par le parti d’extrême droite figure l’immigration, thématique devenue centrale dans le débat public depuis les quarante dernières années.
« S’il y a un sujet où la sympathie, comme la haine qui en est son avers, l’emporte sur la pensée, c’est bien l’immigration » écrit Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) dans Ce grand dérangement paru en 2020[1]. Le débat public actuel présente ainsi un double écueil : (i) le diagnostic sur l’immigration est souvent superficiel ou biaisé en restant focalisé sur la question migratoire au lieu d’aborder plus largement les enjeux d’intégration et de cohésion sociale ; (ii) par conséquent, les solutions adéquates portant sur les politiques de cohésion, de mixité et de mobilité sociales et territoriales sont rarement abordées.
Depuis les années 1980, l’immigration a de façon croissante été considérée comme un « problème » et « l’étranger » comme une menace pour la société française et européenne – en témoignent les vingt-neuf lois sur l’immigration votées par le Parlement depuis 1980. Déjà présente à la fin du XIXe siècle et dans les années 1930[2], l’opinion s’est répandue et ancrée dans le débat public que la France et l’Europe accueillent actuellement des étrangers en trop grand nombre et que ceux qui arrivent ne pourraient pas s’intégrer en raison de différences culturelles trop importantes.
Trois principales postures politiques, qui se sont exprimées lors de l’examen au Parlement de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, existent aujourd’hui sur ce sujet, que l’on peut résumer à grand trait de la manière suivante :
1. La première posture est celle de de la dramatisation : la situation serait critique, le pays submergé par l’immigration et au bord de la guerre civile. Les tenants de cette vision proposent rarement des solutions, si ce n’est des mesures contre-productives et irréalistes sur le plan opérationnel et juridique[3], et qui ont pour point commun d’être imprégnées de xénophobie et de racisme, en porte-à-faux avec les valeurs de la République ;
2. La deuxième est celle de la négation: l’immigration et l’intégration ne soulèveraient pas d’enjeux significatifs pour les politiques publiques et ne devraient pas être abordés dans le débat politique au risque de tomber dans le « piège tendu par l’extrême droite ». Toute discussion sur le sujet présenterait le risque de contribuer à l’inscrire durablement à l’agenda politique, au détriment d’autres enjeux plus prioritaires. Par conséquent, les défenseurs de cette vision élaborent peu de propositions en lien avec cette thématique[4]
3. Enfin, la troisième est celle de la réaction, ou de l’entre-deux: il s’agit de reconnaître qu’il existerait un « problème » avec l’immigration – notamment pour répondre aux craintes perçues ou réelles des citoyens – et d’y apporter des réponses plus modérées, devant s’inscrire dans le « cadre républicain ». La récente loi du 26 janvier 2024 en est un exemple. L’objectif des tenants de cette vision serait de « couper l’herbe sous le pied » aux partis d’extrême-droite, tenants de la première posture, même si cela les conduit à présenter l’immigration essentiellement comme un problème pour le pays.
Toutes ces visions restent centrées sur la question migratoire au lieu d’analyser en profondeur les causes des enjeux qui traversent actuellement la société française. En réaction à un narratif construit depuis les années 1980 par les tenants de la vision extrémiste (première posture), les deux autres ont toujours été en réaction à cette vision (troisième posture) ou dans la négation (deuxième posture). Elles reprennent – en l’atténuant – le diagnostic « alarmiste », refusent ou considèrent comme n’étant pas de première priorité de mener ce travail de diagnostic et de le porter politiquement.
Or, force est de constater qu’en quarante ans, les tenants de la première posture ont progressivement réussi à imposer leur approche. Il est donc plus que jamais important de mener un travail de diagnostic précis sur l’immigration et l’intégration des étrangers ainsi que sur le malaise qui existe en France sur ce sujet afin de concevoir des solutions adaptées. En réalité, le défi semble moins lié à l’immigration – tant dans le nombre de personnes que sa composition – qu’à notre processus d’intégration et à l’accroissement des fractures dans la société française.
Il est donc essentiel de recentrer le débat sur la cohésion sociale et prendre en compte les trajectoires des descendants d’immigrés autant, voire davantage, que celles des étrangers. La France a en effet déjà réussi aux XIXe et XXe siècles – non sans difficultés sur le plan de l’acceptation de ces nouveaux arrivants – à intégrer des populations étrangères, y compris originaires de pays non européens. Certes, l’immigration s’est accentuée depuis les années 1970 et l’origine géographique des personnes arrivées en France a changé, le Maghreb et l’Afrique occupant une part plus importante que l’immigration européenne. Toutefois, la différence réside surtout dans l’affaiblissement des mécanismes collectifs d’intégration que sont le travail, l’école, la mixité résidentielle ou les institutions productrices de mixité sociale. Face à ce constat, plus que de limiter l’immigration à tout prix, il semble fondamental de reconstruire une réelle politique d’intégration.
I. Diagnostic : les fractures que connaît la société française actuellement ne sont pas causées par un excès d’immigration mais par des freins à l’intégration et à la cohésion sociale
1. La société française n’est pas « submergée » par l’immigration ni au bord de la guerre civile
1.1 Immigration : une progression régulière qui s’est accentuée récemment, mais loin d’un « tsunami »
L’immigration est un phénomène ancien en France. Au-delà du fait que l’histoire ancienne, moderne et contemporaine de la France a toujours été marquée et déterminée pour partie par son insertion dans les flux humains et culturels transnationaux[5], dès le XIXe siècle, alors que de nombreux pays européens sont des pays d’émigration (Italie, Espagne, Pologne), et que d’autres ont connu une immigration mais limitée (Royaume-Uni), la France a connu des arrivées importantes d’immigrés. Dès la fin du XIXe siècle, les étrangers représentent 2,5 % de la population vivant en France, laquelle a donc de longue date une tradition d’immigration sur son territoire de populations étrangères – c’est-à-dire qui n’ont pas la nationalité de l’État d’immigration.
L’immigration a suivi un cours non linéaire au cours du XXe siècle, avec des périodes de hausse et de diminution, par exemple dans les années 1930. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France a néanmoins connu une hausse régulière de l’immigration et, par conséquent, une croissance de la part des immigrés dans la population française. En 2022, 10,3 % de la population résidant en France était immigrée, contre 5 % 1946[6], et 7,8 % était étrangère – c’est-à-dire immigrée et ne possédant pas la nationalité française – contre seulement 4,4 % en 1946[7]. Le phénomène s’est accéléré à partir des années 2000, la part d’immigrés dans la population française étant passée entre 2000 et 2022 de 7,3 % à 10,3 %. Cette hausse, en proportion de la population française, s’explique autant par celle de l’immigration que par une croissance démographique française limitée[8]. Ainsi, loin d’un « tsunami » migratoire dont se font écho certains partis politiques, il est plus juste de parler d’une progression régulière du phénomène qui s’est accentuée dans la période récente.
1.2 Au-delà d’une hausse de l’immigration, une évolution progressive vers une immigration extra-européenne
L’immigration en France a également fortement évolué depuis 1850 en ce qui concerne l’origine géographique des pays d’émigration. Alors que l’immigration était historiquement d’origine européenne, elle a progressivement évolué vers des pays de départ non européens[9].
- En 1872, près de 50 % des immigrés qui s’installent en France sont de nationalité belge. Puis, la première moitié du XXe siècle voit d’autres nationalités européennes arriver en France, comme les Espagnols – notamment à la suite de la guerre d’Espagne – les Polonais ou les Italiens. En 1954, 60 % des immigrés proviennent de ces trois pays. La situation change radicalement à partir des années 1960-1970, où des pays non européens deviennent les principaux pays d’émigration vers la France. En 1982, 52 % de l’immigration est extra-européenne, principalement maghrébine : les Algériens représentent 22 % des immigrés en France, les Marocains 17 %, les Tunisiens 13 %. Cette situation perdure aujourd’hui : en 2019, d’après les estimations de l’Insee[10], sur les 272 000 entrées d’immigrés sur le territoire français, 41 % sont issues de pays africains contre seulement 32 % de pays européens[11]. Autre conséquence, la principale religion des pays d’émigration a changé. D’après l’Insee[12], sur la part des immigrés qui disent avoir une religion (78 %), 55 % sont musulmans – soit à peine plus de 40 % des personnes immigrées au total – contre seulement 21 % qui se disent chrétiens.
Outre une hausse régulière de l’immigration vers la France, c’est aussi un changement de nature – quant aux pays d’origine – qui s’est opéré durant la seconde moitié du XXe siècle, bien que l’on soit loin d’une immigration exclusivement africaine et musulmane, tel que martelé par un pan du spectre politique.
1.3 Une population française qui se diversifie mais à un rythme moins marqué que ses voisins européens
La hausse de l’immigration a un impact sur la composition de la population française qui devient plus diverse : en 2021, 21,5 % de la population française est immigrée ou née d’un ou deux parents immigrés, et ce chiffre pourrait être sous-estimé[13]. Ce phénomène n’est cependant pas nouveau, un sondage de 1971 estimait ainsi qu’un tiers de la population vivant en France avait une ascendance étrangère (au moins un grand parent immigré)[14]. L’évolution est également à nuancer, au regard de la situation d’autres pays européens[15]. En 2021, si 12,8 % des Français sont nés à l’étranger[16], c’est le cas de 20 % de la population en Autriche, 19,7 % en Suède, 18 % en Allemagne ou 17,9 % en Belgique.
1.4 Le débat sur l’intégration s’est toujours posé et n’est pas propre à l’immigration récente
Les difficultés d’intégration et les volontés de contrôler l’immigration ne sont pas spécifiques à l’immigration actuelle. La seconde moitié du XIXe siècle voit se constituer les prémices du droit des étrangers en France et montre combien les pouvoirs publics ont cherché à contrôler les nouveaux arrivants – de nationalité européenne – sur le territoire : création du permis de résidence en 1851, adoption du décret pour se signaler dans la commune de résidence en 1888, loi de 1893 relative au séjour pour motif de travail, etc. Outre cet arsenal législatif nouveau, les grandes violences qui ont ciblé les immigrés italiens à la fin du XIXe et en particulier le massacre d’Aigues Mortes en 1893 témoignent aussi d’évènements de rejet violent à l’égard des étrangers européens. Les années 1930 sont quant à elles marquées par une volonté marquée de mettre fin à l’immigration, qui a par exemple abouti à des retours forcés d’immigrés polonais dans leur pays[17]. Ces événements permettent de nuancer l’idée que l’immigration européenne n’aurait jamais engendré de phénomènes de rejets de la part d’une partie de la population non immigrée en France. Sur le plan culturel, la thèse d’une plus grande différence entre les immigrés et la population française actuelle qu’entre les immigrés et les Français d’alors a également été remise en cause par Hervé Le Bras[18], qui considère qu’il y a moins d’écarts entre les citoyens français et les étrangers immigrés d’aujourd’hui qu’au XIXe du fait de la mondialisation culturelle.
1.5 Loin d’une guerre civile, l’intégration « silencieuse » reste une réalité en France
L’intégration socio-économique est réelle. Sur le plan éducatif par exemple, les non‐lecteurs sont aussi nombreux parmi les descendants d’immigrés que parmi les personnes ni immigrées ni descendantes d’immigrés[19]. En termes d’ascension sociale, l’intégration fonctionne également, comme l’illustre la baisse de la part des ouvriers sur une génération entre les immigrés et leurs enfants, de 57 % à 48 %[20]. Les derniers chiffres de l’Insee[21] montrent même que les descendants d’immigrés s’élèvent plus souvent dans l’échelle sociale que les personnes sans ascendance migratoire.
Sur le plan culturel, il n’y a pas non plus « d’enfermement communautaire » et 66 % des descendants d’immigrés vivent avec un conjoint sans ascendance migratoire directe[22], même si les chiffres varient selon les communautés de personnes d’origines culturelles ou géographiques proches. Les mariages mixtes entre des descendants d’immigrés et des personnes ni immigrées ni descendantes d’immigrés représentent 30 % pour la deuxième génération d’origine turque ou des pays du Moyen-Orient, 40 % pour les immigrés maghrébins et jusqu’à 80 % pour les immigrés Portugais[23]. Ces chiffres sont encore plus marqués à la troisième génération : 90 % des petits-enfants d’immigrés de moins de 60 ans n’ont qu’un ou deux grands-parents immigrés et 5 % seulement des descendants d’immigrés ont leur quatre parents immigrés – ce chiffre reste tout de même de 20 % pour les descendants d’immigrés maghrébins.
Au-delà de ces éléments chiffrés, le sentiment d’être intégré est très fort dès la deuxième génération : les descendants d’immigrés sont même plus nombreux à déclarer se sentir chez eux en France que les personnes sans ascendance migratoire (95 % contre 93 %)[24].
Ces chiffres dressent le constat d’une intégration progressive et générale des descendants d’immigrés dans la société française. Le tableau qui en sort est très différent de celui laissant à penser que le communautarisme serait généralisé et que les descendants d’immigrés ne se sentiraient pas Français ou rejetteraient leur citoyenneté. À l’inverse, « l’intégration silencieuse » – pour reprendre les termes du sociologue Stéphane Beaud[25] – est une réalité, bien que, comme nous allons le voir, certains éléments puissent nuancer ce constat général.
2. Les freins à l’intégration et les problèmes de cohésion sociale que connait la France ne doivent toutefois pas être occultés
2.1. La vision partagée par une partie croissante de la population française de l’existence d’un problème lié à l’immigration constitue déjà un défi en soi que les politiques publiques doivent prendre en compte
Bien qu’il soit difficile d’apprécier de manière rigoureuse « ce que pensent les Français », différents signaux rendent compte de la diffusion croissante de l’idée selon laquelle l’immigration constituerait un problème prioritaire de notre époque.
Différents sondages en rendent compte, à l’instar de celui conduit par l’IFOP en juin 2023 qui souligne que 65 % des personnes interrogées considèrent que « notre pays compte déjà beaucoup d’étrangers et accueillir des immigrés supplémentaires n’est pas souhaitable » ; 61 % considèrent « qu’on ne peut pas accueillir plus de migrants car nos valeurs sont trop différentes et cela pose des problèmes de cohabitation et sur le plan économique » et 71 % estiment que « l’immigration économique permet au patronat de tirer les salaires vers le bas »[26]. Il est important de souligner que ces différents sondages ne rendent pas compte du fait que la société française, sur le temps long, serait structurellement plus tolérante à la « diversité » et aux minorités[27], et que la prégnance de l’immigration dans le débat public répond ainsi à une surexposition de cette grille explicative.
Par ailleurs, bien que multifactorielle, la percée du Front National – devenu le Rassemblement national – depuis les années 1980-1990 témoigne de l’audience croissante de cette rhétorique, marqueur identitaire majeur de ce parti et de son discours. Pour rappel, en 1988, le FN, puis le RN, obtiendra 14,5 % des suffrages exprimés au premier tour des élections présidentielles de 1988, 17,8 % au second tour des présidentielles de 2002, 33,9 % au second tour de 2017, 41,5 % au second tour en 2022. De même, les élections législatives anticipées de 2024 rendent compte de l’ancrage croissant du parti qui, bien que n’obtenant pas la majorité absolue, constitue numériquement le premier groupe politique de l’Assemblée nationale. Le récent ouvrage portant sur les électeurs du RN publié par Félicien Faury[28] souligne bien que parmi les facteurs motivant le vote RN, la question identitaire et raciale, et le lien qui est fait avec l’immigration, est structurante : les Français non blancs et/ou musulmans sont perçus comme des menaces et des concurrents, notamment pour l’accès aux services publics.
Si, comme le met en avant l’historien Gérard Noiriel[29], il y avait avant un lien clair entre dépression économique et la mise à l’agenda du « problème de l’immigration », par exemple lors des années 1890 puis 1930 qui étaient marquées par l’essor d’un discours mettant en avant les tensions sur le marché du travail, cela ne semble plus être le cas aujourd’hui. D’autres thèmes alimentent les discours anti-immigration tels que la concurrence pour les droits sociaux (notamment l’accès aux aides ou aux logements sociaux)[30].
Ces différents éléments appellent deux remarques : (i) il est nécessaire de ne pas nier la réalité d’une inquiétude d’une partie de la population française vis-à-vis des enjeux migratoires et d’intégration, et de ne pas uniquement l’analyser sous le prisme du racisme et de la xénophobie – sans minorer leur importance – et (ii) il convient de s’interroger sur les conditions permettant de renforcer la cohésion sociale et le sentiment d’une appartenance commune à la société française, ciment de la solidarité nationale et de notre modèle social.
2.2. L’intégration des immigrés en France peut aujourd’hui être freinée par des conditions de vie dégradées et des dynamiques communautaires qui peuvent se faire jour
Les enjeux en matière d’intégration sont double et concernent aussi bien les conditions de vie des immigrés sur le territoire national que les dynamiques communautaires qui peuvent se faire jour.
Les conditions de vie des populations immigrées : un frein à l’intégration
La ségrégation socio-spatiale est aujourd’hui très marquée en France et joue un rôle majeur dans l’érosion du processus d’intégration. Comme le résume l’Insee[31]: « les immigrés sont surreprésentés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) : 23 % d’entre eux y résident, contre 7 % de l’ensemble de la population de 18 à 59 ans ». Cette situation peut s’expliquer d’une part par le choix des nouveaux arrivants de résider dans des territoires où des membres de la diaspora résident déjà et d’autre part par la contrainte, les nouveaux arrivants cherchant des zones où le prix du logement est attractif. Le constat varie toutefois selon les origines géographiques des immigrés. Ainsi, alors que plus de 30 % des immigrés du Maghreb et d’Afrique subsaharienne vivent dans des QPV, ce n’est le cas que de 9 % des immigrés d’Asie du Sud-Est et de 7 à 8 % des immigrés d’origine européenne[32]. Cette différence n’est pas forcément le résultat d’une ségrégation socio-spatiale ciblée sur certains immigrés mais peut aussi s’expliquer l’antériorité de l’arrivée de certains immigrés. Les immigrés européens étant arrivés il y a plus longtemps en moyenne, ils sont plus susceptibles d’avoir constitué une épargne et de ne plus résider au sein d’un QPV[33]. Des travaux ont également mis en avant des logiques raciales dans l’attribution des logements sociaux[34]. Cette situation, est problématique en ce qu’elle ne crée par les conditions d’une sortie durable de la pauvreté, et par ailleurs limite les espaces d’interconnaissance entre les nouveaux arrivants et les citoyens français. Lors des premières années en France, une étude[35] montrait que seuls 10 % des nouveaux arrivants avaient rencontré des Français, les 90 % restant étant en lien avec des personnes de leur communauté ou des étrangers venant d’autres pays.
Outre ces conditions de vie générales, les discriminations, qui sont particulièrement marquées pour les immigrés et leurs descendants, constituent là encore un frein majeur à l’intégration. En 2019-2020[36], 22 % des immigrés et 20 % des descendants d’immigrés estimaient avoir fait l’objet d’un traitement inégalitaire en raison de leur origine[37] contre moins d’une personne sur dix en moyenne toutes origines confondues (8 %). Cette situation a un double impact sur le processus d’intégration. D’une part, il se traduit socio-économiquement, notamment par un accès au travail plus difficile. Une étude du ministère du travail a ainsi montré qu’un candidat au nom français a 50% de chance supplémentaires d’être rappelé par un employeur par rapport à un candidat au nom à consonance maghrébine[38]. D’autre part, ces discriminations peuvent nuire négativement au sentiment de confiance dans les institutions et, ainsi, donner le sentiment d’une citoyenneté de « seconde zone »[39]. C’est par exemple le cas pour le rapport des habitants avec les forces de police : alors que 75 % de la population sans ascendance migratoire a confiance en elle, ce n’est le cas que pour 67 % des personnes issues de l’immigration et même 42 % pour les descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne[40].
Une intégration aussi freinée par des dynamiques communautaires qui peuvent se faire jour
Au-delà des conditions de vie en France, des dynamiques propres aux communautés immigrées peuvent aussi constituer un frein à l’intégration.
L’endogamie, c’est-à-dire le fait pour une personne d’un groupe social de se marier avec un autre membre de ce groupe, est en effet particulièrement marquée au sein de certaines communautés d’immigrés, maghrébine et sahélienne en particulier. En 2019[41], deux enfants d’immigrés sur trois d’origine maghrébine étaient en couple avec un conjoint immigré ou descendant d’immigrés contre seulement 20 % pour les enfants d’immigrés d’origine d’Europe du Sud et 35 % pour les enfants d’immigrés d’origine asiatique. Il est intéressant de noter que ce chiffre tombe à seulement 35 % pour les enfants d’immigrés originaires d’Afrique guinéenne ou centrale. L’endogamie est donc très différenciée selon les pays d’origine et illustre que les dynamiques d’intégration peuvent être variables selon le pays d’origine des parents, la culture ayant sans doute un rôle non négligeable dans ces différences marquées.
Le rapport à la laïcité est un élément plus complexe à prendre en compte. La remise en cause de ce principe consubstantiel à la République, souvent considérée dans certains discours politiques comme une preuve irréfutable de l’intégration difficile des immigrés et de leurs descendants, assimilant par ailleurs de manière non-scientifique immigration et convictions religieuses, mérite d’être objectivée. En effet, il est difficile d’une part de quantifier cette remise en cause croissante — et par ailleurs ancrée dans l’histoire française contemporaine, notamment par la religion catholique — et de prouver son lien direct avec l’immigration. Les personnes à l’origine de ces atteintes peuvent en effet n’avoir aucune ascendance migratoire. Il est donc intéressant d’objectiver les atteintes à la laïcité au-delà de l’instrumentalisation qui peut en être faite par certaines formations politiques. Les chiffres du ministère de l’Éducation nationale mettent en avant une hausse des signalements pour atteinte à la laïcité à l’école au cours des dernières années : 4 700 signalements en 2022-2023 contre 2 000 en 2021-2022[42] et 1 000 sur l’année 2018[43]. Comme toute hausse statistique, elle doit être analysée avec prudence, car elle pourrait tout à fait être le reflet d’une plus grande sensibilité au phénomène, en conséquence de l’importance médiatique conférée à ces thématiques[44]. Toutefois, une période spécifique pourrait illustrer un lien avec le fondamentalisme religieux, en l’occurrence islamiste. Cette hausse a en effet été particulièrement marquée dans le contexte de l’interdiction du port de l’abaya et de l’attentat contre Dominique Bernard autour de la rentrée 2023. Entre septembre et octobre 2023, 2 800 signalements ont été recensés en l’espace de deux mois seulement. Par ailleurs, une enquête de l’IFOP menée en décembre 2021[45] met également en avant le fait que la critique de la religion dans l’espace scolaire est moins acceptée chez les élèves de confession musulmane que chez le reste des jeunes interrogés : alors que la majorité des lycéens interrogés jugent « justifié que les enseignants puissent montrer à leurs élèves (…) des caricatures se moquant des religions afin d’illustrer les formes de liberté d’expression », 81 % des jeunes musulmans s’y opposent. Ces éléments, bien que parcellaires, illustrent combien la question religieuse peut devenir facteur de tension entre une minorité de croyants et une institution comme l’École ayant, comme évoqué plus haut, un rôle majeur dans la cohésion sociale et l’intégration des immigrés et leurs descendants.
Enfin, comme le montrent certaines études de terrain, l’intégration des immigrés et de leurs descendants est aussi freinée par l’impact négatif de certains épisodes de violence[46] sur l’image de l’immigration dans l’espace public. C’est en particulier le cas des attentats islamistes des dernières années où certaines formations d’extrême droite ont mis en avant les caractéristiques physiques ou les noms des auteurs de ces attentats pour « prouver » l’incapacité des immigrés et de leurs descendants dans leur ensemble à s’intégrer[47]. Une fois de plus, il importe d’objectiver les choses. À première vue, une écrasante majorité des terroristes sont de nationalité française, au point que l’ancien coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme Laurent Nunez parlait en 2015 de « terrorisme domestique » : entre 2014 et 2020, sur les 184 personnes impliquées dans des attentats, seuls 22 % d’entre eux étaient de nationalité étrangère. Toutefois, s’agissant des ressortissants français impliqués, une étude de l’IFRI[48] a analysé les trajectoires de 125 prévenus ou accusés de terrorisme et montre que 86 d’entre eux (soit 69 %) ont des parents originaires du Maghreb ou de pays subsahariens. Peu d’études existent sur le sujet et ces chiffres sont trop faibles pour être représentatifs statistiquement, mais ils peuvent illustrer des cas extrêmes d’absence d’intégration et favorisent le lien effectué par certains entre immigration et insécurité. Dans une moindre mesure, les épisodes de violence dans les banlieues françaises, comme ce fut le cas en 2005 et en 2023, ont également été interprétés comme l’échec de l’intégration des descendants d’immigrés. Les médias et responsables politiques ont davantage mis l’accent sur la responsabilité individuelle des familles et l’absence de volonté d’intégration des descendants d’immigrés pour expliquer ces épisodes plus que sur la question policière ou les limites collectives du modèle français d’intégration sur lesquelles nous allons maintenant revenir.
II. Le modèle d’intégration républicain s’est progressivement érodé et les réponses apportées jusqu’ici semblent insuffisantes
Il serait faux de penser que le modèle d’intégration républicain fonctionnait foncièrement mieux avant qu’aujourd’hui. Au début du XXe siècle, la mobilité sociale restait limitée, en particulier pour les descendants d’immigrés, la ségrégation socio-spatiale existait déjà, et l’intégration ne se faisait pas sans conflictualité, comme déjà exposé précédemment.
Néanmoins, la situation actuelle se caractérise par un double phénomène : (i) d’un côté, les défis à relever sont plus importants, à la fois en raison de la hausse des flux migratoires, d’un contexte géopolitique mondial nouveau, mais surtout en raison d’attentes plus fortes de la société à ce sujet et (ii) de l’autre, les instances intégratrices se sont affaiblies, pouvant altérer la capacité d’intégration de la société française.
1. Le modèle d’intégration républicaine est en crise
1.1 La France a développé un modèle d’intégration singulier, nécessaire pour la solidarité et la cohésion nationale
Selon Durkheim, l’intégration se définit comme « le processus par lequel une société parvient à s’attacher à ses individus, les constituant en membres solidaires d’une collectivité unifiée »[49]. La notion d’intégration renvoie à celles de lien social et de cohésion sociale, et s’oppose à celle d’anomie, qui se réfère à l’isolement et au dérèglement social. L’intégration implique un double processus : (i), une capacité intégratrice de la société d’accueil et (ii) un désir, une démarche individuelle d’intégration. En France, la mise en place d’un modèle d’intégration est indissociable de l’existence d’un État Providence s’appuyant sur la redistribution et la solidarité au sein des groupes sociaux. Cet État Providence requiert en effet un minimum de sentiment d’appartenance commune pour garantir l’acceptabilité des transferts financiers et en nature qui sont opérés entre les citoyens.
Ce modèle français d’intégration est souvent distingué de l’assimilation et du modèle anglo-saxon multiculturaliste[50]. Il repose sur deux principes : (i) la communauté nationale est elle-même responsable de la bonne intégration des étrangers, là où dans les pays anglo-saxons chacun est responsable de son intégration et (ii) en contrepartie, cette intégration est plus exigeante, car elle est conditionnée à l’acquisition de la nationalité et à l’adhésion aux valeurs de la République et de la démocratie. L’assimilation, elle, relève davantage du registre identitaire et prône la convergence culturelle — qui passe par une suppression des marqueurs culturels d’origine — au-delà du partage de valeurs communes, tandis que le modèle anglo-saxon insiste sur la nécessité que les groupes minoritaires puissent à l’inverse maintenir leur spécificité culturelle et coexistent harmonieusement.
Dans son ouvrage dédié à la politique d’intégration[51], la spécialiste Marie-José Bernardot dégage les cinq grands piliers de ce modèle :
- Le premier est l’acquisition de la nationalité française, de laquelle dépendait initialement l’accès aux droits sociaux. Elle s’appuie sur une conception de la citoyenneté universaliste, et ce depuis la Révolution française. La nationalité française avait ainsi été offerte à des hommes qui par leurs écrits avaient défendu les valeurs des Lumières, à l’instar de Thomas Paine, George Washington et Jérémy Bentham. L’attachement au droit d’asile au nom de la liberté date également de cette période : le décret de la Convention de 1792 affirme que la République « accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté »[52]. Par ailleurs, pays d’immigration, la France se caractérise par le droit du sol, en opposition au droit du sang appliqué en Italie, en Autriche ou encore dans la plupart des pays asiatiques ;
- Le second est la langue française qui a été imposée au début du XIXesiècle face aux langues régionales au prix d’efforts ardents des instituteurs de la IIIe République. Dans la première moitié du XXe siècle, les enseignants considéraient ainsi la langue maternelle des enfants d’immigrés comme un obstacle à l’apprentissage du français et beaucoup de familles, notamment polonaises et italiennes, faisaient le choix délibéré de ne pas transmettre leur langue à leurs enfants ;
- Le troisième est l’école laïque et obligatoire, conçue par Jules Ferry comme devant fabriquer des citoyens français et extraire les enfants de l’influence de leurs familles ;
- Le service militaire obligatoire a également été un levier d’intégration linguistique et culturel. L’armée avait par exemple développé des méthodes d’apprentissage du français pour les besoins de communication entre soldats des territoires de l’Empire colonial et les officiers pendant la colonisation ;
- Enfin, le travail qui, dès les premières vagues migratoires des années 1850, a permis aux immigrés de tisser des liens avec des Français au sein des usines et à travers l’activité des syndicats. Le travail permettait aussi de légitimer la présence des nouveaux venus aux yeux de la société, mais aussi à leurs propres yeux.
Le modèle d’intégration français est donc un modèle ouvert, respectueux des différences culturelles, mais nécessitant un socle commun de valeurs et des institutions, et par conséquent, des politiques publiques volontaristes offrant les conditions de cette intégration.
1.2. Les instances intégratrices se sont progressivement affaiblies
Cet affaiblissement des instances intégratrices renvoie à une perte de cohésion sociale qui concerne l’ensemble des individus, quelles que soient leur classe et leur origine, mais dont les effets sont particulièrement délétères pour les classes populaires et les immigrés. Deux facteurs sont développés ici : la perte des instances de mixité sociale et le rôle de plus en plus faible du travail dans l’intégration.
Une intégration sociale freinée par la sécession des plus aisées et la perte d’instances de mixité sociale
L’individualisme croissant qui caractérise les sociétés occidentales constitue un frein à l’intégration, en limitant les instances de socialisation caractérisées par une forte mixité sociale. Le cas du logement et de la ségrégation spatiale au sein des grandes métropoles est particulièrement emblématique, à l’image de Paris intramuros, où la part des cadres et professions intellectuelles est passée de 24,7 % de la population parisienne en 1982 à 46,4 % en 2013. Cette dynamique s’observe également dans d’autres grandes villes, comme Lyon où la part des cadres est passée de 15 % à 30 % entre 1982 et 2013 ou encore Toulouse où ce chiffre a également doublé de 14,7 % à 30,9 % sur la même période. Or, ne plus vivre en proximité diminue la possibilité de faire l’expérience de la mixité sociale, qu’il s’agisse de l’école, du sport, du monde associatif au sens large et même de l’espace public. Sans fantasmer un passé idéalisé, cet accroissement de la ségrégation favorise le repli sur soi de toutes les classes sociales et obère la capacité des immigrés — dont une plus faible partie appartient à la catégorie des cadres et professions intermédiaires[53] — à rencontrer des personnes issues de milieux sociaux différents. La mixité est rendue d’autant plus difficile que s’ajoutent aux stratégies résidentielles des stratégies d’évitement scolaires. Les classes sociales favorisées ont investi fortement le secteur privé qui, s’il ne représente toujours que 20 % des enfants scolarisés — une part stable sur la période —, a vu la part des enfants de familles favorisées passer de 26 % à 36 % entre 1984 et 2012.
Outre ces mouvements de ségrégation géographiques et scolaires, certaines instances de socialisation à forte mixité sociale ont disparu ou ont vu le nombre de bénéficiaires fortement diminuer. C’est en premier lieu le cas du service militaire qui, sans le fantasmer là encore, permettait à des personnes issues de différents milieux de se fréquenter pendant plusieurs mois. Alors que perdure l’idée d’une exemption généralisée du service dans les catégories aisées, une étude[54] a montré que dans les années 1990, la proportion de garçons issue de catégories favorisées qui faisaient leur service militaire (entre 60 et 66 %) était très proche du taux national (67 %). La fin du service militaire en 1997 a fait disparaître l’externalité positive que représentait ce brassage social. De même, les colonies de vacances, qui ont été dans les années 1960-1970-1980 des lieux de mixité sociale, ont vu leurs effectifs se réduire drastiquement. Alors qu’environ quatre millions de jeunes partaient en colonies de vacances en 1970, ils ne sont plus que 800 000 aujourd’hui. Cette forte diminution s’explique par des contraintes économiques nouvelles, liées au renforcement des normes de sécurité, et par l’émergence de nouvelles offres « thématiques » (astronomie, plongée, tennis, mathématiques etc.), qui renchérissent les coûts des colonies. Au-delà de cette réduction quantitative, l’offre s’est donc également fragmentée et la mixité sociale réduite en leur sein.
Des études sociologiques témoignent de ce phénomène, notamment l’enquête, publiée en 2018, de Stéphane Beaud, La France des Belhoumi, qui retrace l’histoire sur quarante ans d’une famille algérienne en France et met en exergue des difficultés croissantes entre les premiers enfants et les derniers nés au tournant des années 1980, en raison notamment de l’effritement des instances intégratrices et de mixité sociale que pouvaient offrir les banlieues à l’époque (colonies de vacances, sport, etc.).
Une intégration économique freinée par les mutations profondes du monde du travail
Le chômage de masse et la transformation du marché du travail obèrent le processus d’intégration et l’acceptabilité de l’immigration.
Le chômage de masse qui s’est progressivement installé en France depuis les années 1970 a eu un impact sur le processus d’intégration et l’acceptabilité de l’immigration. Le fait de passer plus de temps au chômage pour des personnes immigrées, frappées par un taux de chômage plus élevé que le reste de la population — 14 % en 2020 pour les étrangers primo-arrivants contre 7 % pour la population générale[55] — peut diminuer la stabilité socio-économique, les liens sociaux et ralentir l’apprentissage de la langue française. Il limite aussi la capacité des immigrés et descendants d’immigrés à se déplacer géographiquement, ce qui peut aussi renforcer les effets de la ségrégation socio-spatiale. Du point de vue des citoyens sans ascendance migratoire, le chômage de masse engendre également une crispation sur l’impact économique et sur l’emploi de l’immigration et des immigrés, comme l’illustre le slogan scandé dans les années 80 « 1 million d’immigrés, 1 million de chômeurs » de Jean-Marie Le Pen. Sur l’emploi plus particulièrement, l’impact est difficile à mesurer. Si les études économiques font état d’un lien positif entre immigration et croissance/emploi/salaire de la population locale, des effets différents existent selon le niveau de qualification et certains travaux identifient même un impact légèrement négatif sur les bas salaires[56]. Ces débats peuvent avoir un impact sur l’image des immigrés et de leurs descendants, ce qui peut se répercuter sur les discriminations dont ils peuvent être victimes.
Au-delà du chômage, la transformation du monde professionnel et syndical limite aussi le caractère intégrateur du travail[57]. Le modèle du salariat encore dominant jusqu’aux années 1970 favorisait la proximité culturelle et l’apprentissage de la langue. La prégnance des syndicats et la prise en compte croissante des problématiques propres aux étrangers étaient également des facteurs d’intégration[58]. La création en 1966 par la CFDT du Secrétariat national aux travailleurs immigrés, qui élabore la première plateforme de revendications immigrées en 1973, et la création d’une Commission nationale des travailleurs immigrés en 1971 illustrent l’intégration par le monde professionnel et syndical des problématiques spécifiques aux immigrés[59]. La perte de poids progressive du monde syndical remet en cause les bienfaits qu’ils pouvaient représenter en matière d’intégration dans le milieu professionnel.
2. Le manque de cohésion sociale peut être exacerbé par un héritage historique et un contexte géopolitique troublé
La mémoire de la colonisation et en particulier de la guerre d’Algérie peut induire un rapport complexe avec la citoyenneté française pour les descendants d’immigrés d’anciennes colonies françaises. Inversement, ces événements historiques dont la mémoire n’est pas apaisée peuvent pousser les Français d’origine non immigrée à avoir une attitude méfiante à l’égard des citoyens (immigrés ou descendants d’immigrés) issus de ces pays. Le rapport Stora remis au président de la République en janvier 2021[60] parle ainsi de « mémoire communautarisée » et de la difficulté à construire un récit commun.
Par ailleurs, le contexte géopolitique et religieux spécifique à l’islam déteint sur l’image des étrangers et des citoyens de confession musulmane et accentue les risques de discrimination.
La mondialisation et la dilution des identités qu’elle entraîne par convergence croissante des modes de vie au niveau mondial peuvent avoir un effet de rigidification des appartenances[61] et de rejet de la modernité. Les dérives autoritaires, la critique croissante des valeurs occidentales et en particulier des droits de l’Homme ou le rigorisme religieux croissant dans certains États « de départ » vers la France et l’Europe — Sénégal, Burkina Faso, Algérie, Tunisie ou Turquie par exemple — contribuent à accentuer les écarts entre pays d’émigration et d’immigration et peuvent rendre l’intégration plus complexe. De plus, comme évoquée plus haut, l’émergence depuis 20-30 ans du terrorisme islamiste et son impact croissant sur le territoire français, notamment avec les attentats de 2015, a durablement marqué les esprits et réduit l’acceptabilité sociale de l’immigration. Enfin, les ingérences étrangères visant à soutenir le développement des communautés musulmanes en Europe[62], notamment à travers le financement des cultes (10 à 20 % des mosquées seraient construites ou entretenues grâce à des financements étrangers, ce qui se rapproche toutefois des autres cultes)[63] et la formation des imams, peuvent également favoriser une méfiance croissante des citoyens français. Les imams envoyés par les États étrangers n’étant pas de nationalité française, ils peuvent méconnaître la société française et maintenir un décalage culturel qui freine l’intégration.
3. La réponse des pouvoirs publics manque d’ambition et d’un objectif clair d’intégration
Si le constat d’un modèle d’intégration en crise est dressé depuis les années 1990[64], la réponse des pouvoirs publics est restée jusqu’ici insuffisante.
3.1 Une politique de lutte contre la pauvreté et d’égalité des chances à destination des populations immigrées et de leurs descendants a été menée, sans que le champ de la mixité sociale soit suffisamment investi
En premier lieu, la politique de la ville, pensée avant tout comme une politique de lutte contre la pauvreté et d’égalité des chances territorialisée, n’a pas permis de répondre pleinement aux enjeux d’intégration. La politique de la ville, instaurée dans les années 1990[65] à la suite des premières émeutes urbaines, a été pensée comme une politique de discrimination positive « républicaine », en ce qu’elle s’appuie sur un zonage territorial et non pas sur l’origine ethnoraciale des publics cibles. Les résultats apportés par cette politique publique demeurent insuffisants comme le souligne la Cour des comptes en 2020[66] : en dépit de moyens conséquents (10 milliards d’euros versés chaque année par l’État, en plus des financements de la rénovation urbaine ainsi que les dépenses des collectivités territoriales), l’attractivité des quartiers prioritaires a peu progressé en dix ans et le sentiment d’insécurité y est encore prégnant. Aussi parce qu’ils concentrent des ménages défavorisés sur le plan socio-économique, la mobilité sociale y demeure faible en raison d’un « effet quartier » qui a été documenté par la recherche[67]. L’efficacité de cette politique publique doit toutefois être évaluée à travers un raisonnement contrefactuel : si cette politique publique n’avait pas été mise en place, la situation aurait très certainement été encore moins favorable. Au-delà des moyens alloués à cette politique, qui sont peut-être encore insuffisants, la philosophie de la politique de la ville ne permet pas de répondre aux enjeux de cohésion et d’intégration dans la mesure où elle ne constitue pas le levier le plus efficace de mixité sociale. D’une part, si le renforcement de l’attractivité de ces quartiers poursuit indirectement cet objectif, la gentrification pourrait conduire à d’autres formes de relégation territoriale[68]. D’autre part, il est fondamental de prendre le sujet dans l’autre sens, en faisant contribuer davantage les quartiers aisés aux objectifs de mixité sociale.
Les rares mesures de politiques de mixité sociale ne sont pas suffisamment ambitieuses ou appliquées. Concernant la mixité résidentielle, la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000 a introduit un objectif minimum de logements sociaux par commune, aujourd’hui de 20 à 25 % des logements. Or 64 % des communes concernées ne respectent pas la loi SRU[69] et préfèrent payer l’amende qui s’applique en cas de non-respect des objectifs de loi. De même, la construction de logements sociaux ne garantit pas qu’ils ciblent les ménages les plus précaires : par exemple, il est courant que les communes aisées évitent de construire des logements (« en PLAI ») attribués aux locataires en situation de grande précarité. S’agissant de la mixité scolaire, la politique des réseaux REP et REP+, bien que pouvant renforcer l’attractivité de certains établissements difficiles, ne permet pas de contrecarrer les stratégies de contournement de la carte scolaire.
3.4 Il n’existe pas de politique ambitieuse et transversale de cohésion sociale et d’intégration
En matière d’organisation administrative, l’État n’est pas organisé pour porter une politique transversale d’intégration et de cohésion sociale.
La politique d’intégration telle qu’elle existe aujourd’hui n’est pas suffisamment ambitieuse. Portée par le ministère de l’Intérieur, le public cible demeure trop étroit : seuls les étrangers primo-arrivants, c’est-à-dire les personnes arrivées depuis moins de cinq ans, sont concernés. Ils ne sont donc pas suivis sur le temps long et aucun dispositif ne prend en compte la question des descendants, par exemple pour favoriser leur réussite scolaire. Ses moyens sont également limités : le programme budgétaire 104, qui porte les actions d’accès à la nationalité et d’intégration des étrangers primo-arrivants, est doté de seulement 500 millions d’euros en 2022. Le portage politique et administratif de ce sujet demeure trop faible. Cette politique est rarement prioritaire pour le ministre de l’Intérieur, comparativement aux autres enjeux du ministère, et lorsqu’un secrétaire d’État a la responsabilité de porter cette politique, il bénéficie souvent d’un poids politique limité et d’une faible visibilité. Côté administratif, la direction à l’intégration et l’accès à la nationalité (DIAN), chargée de cette politique, est souvent marginalisée au sein du ministère de l’Intérieur, car elle est intégrée dans une direction générale qui traite également de la politique des visas, de la règlementation de l’immigration et de la lutte contre l’immigration irrégulière. Ces derniers sujets prennent, hélas, souvent le pas sur la question de l’intégration.
Par ailleurs, s’il existe une direction générale de la cohésion sociale (DGCS), son rattachement au ministère des Solidarités et de la Santé concentre de fait son action sur la lutte contre la précarité, notamment par l’octroi de prestations sociales, sans que l’intégration soit un réel objectif. D’autres leviers concourant à l’intégration sont disséminés dans différents ministères sans qu’un travail interministériel soit particulièrement engagé : la politique de la jeunesse et de l’éducation populaire, portée par la DJEPVA (direction de la Jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative), est au ministère de l’Éducation nationale, et la politique du logement social est au sein du ministère de la Transition écologique et solidaire (à la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages, DHUP). D’autres politiques publiques concourant à la cohésion sociale et à l’intégration ne sont pas portées explicitement dans cet objectif, à l’instar de la politique d’éducation nationale — comme en témoigne le manque de soutien politique au plan Mixité présenté par l’ancien ministre Pap Ndiaye — ou de la politique sportive.
III. La France doit réinventer son modèle d’intégration et se doter d’une véritable politique de cohésion sociale
Recommandation n° 1 : Construire un nouveau récit centré non pas sur l’immigration, mais sur l’intégration et la cohésion sociale
- Objectif : redéfinir les termes du débat, alors qu’il est aujourd’hui dicté par des prises de position de certains partis politiques sur l’immigration
Ce narratif pourrait s’articuler ainsi :
- L’immigration n’est pas un phénomène nouveau et, si elle s’est accentuée ces dernières années, il n’y a pas de tsunami migratoire ;
- L’immigration fait donc partie de notre Histoire et contribue au dynamisme économique de notre pays ;
- L’enjeu auquel nous sommes confrontés n’est donc pas l’immigration en tant que telle, mais l’érosion du modèle français d’intégration et de cohésion sociale entre tous les citoyens ;
- Permettre l’intégration de nos voisines et voisins, celles et ceux avec qui nous vivons, aujourd’hui et demain, et partageons notre société, mais surtout notre quotidien, est un fondement de notre République ;
- Par conséquent, la priorité n’est pas tant de contrôler et réduire les flux migratoires à tout prix que de doter la France d’une réelle politique d’intégration permettant de préserver la cohésion sociale et la solidarité du pays ;
- Pour ce faire, elle doit créer les conditions d’un sentiment d’appartenance à la nation des immigrés et de leurs descendants, qui ont fait le choix de devenir Français, et garantir une mixité et mobilité sociale réelle, de manière à en faire des citoyens effectivement égaux.
1. Faire d’une politique de cohésion et de mixité sociale une priorité nationale, portée par un ministre de plein exercice
Recommandation n° 2 : renforcer la mixité sociale résidentielle en faisant appliquer la loi SRU
- Objectif : créer les conditions propices à la mobilité sociale et favoriser l’émergence d’un sentiment d’appartenance commun
Concernant la mixité résidentielle, plusieurs réformes pourraient être engagées :
- Recommandation n° 2.1: mieux répartir le logement social sur le territoire national. Pour ce faire, il s’agirait d’assurer l’application de la loi SRU en augmentant sensiblement les amendes pour les collectivités qui ne la respectent pas, par exemple de façon proportionnelle à la durée de non-respect de la loi ou à l’écart par rapport au taux de logements sociaux à atteindre. De même, l’exercice par le préfet du droit de préemption en cas de carence d’une collectivité qui n’atteint pas ses objectifs de logement social[70] pourrait être davantage mobilisé. Par ailleurs, dans les grandes villes (Paris, Lyon, Marseille), une part minimale de logement social par arrondissement pourrait être imposée au niveau législatif afin de favoriser le rééquilibrage territorial ;
- Recommandation n° 2.2 : mieux répartir les nouveaux arrivants dans les logements sociaux pour éviter de maintenir une ségrégation socio-spatiale. Dans un niveau de granularité plus fin, instaurer un taux maximum de personnes de nationalité étrangère et garantir une diversité de nationalités — via les commissions d’attribution des logements sociaux — pour les nouveaux programmes de logement social pourrait être expérimentée.
Recommandation n° 3 : renforcer la mixité sociale scolaire en adoptant une « loi SRU » de l’école
- Objectif : faire de l’école un espace de mixité et d’égalité des chances pour limiter les processus de cloisonnement et de reproduction sociale
Concernant la mixité scolaire, une « loi SRU de l’école » pourrait être préparée :
- Dans la continuité du plan pour la mixité à l’école annoncé par le ministre Pap Ndiaye en mai 2023[71], des objectifs contraignants de mixité sociale pourraient être fixés pour chaque établissement scolaire public et privé sous contrat. Cet objectif pourrait être exprimé soit comme des taux maximum et minimum de boursiers à respecter, en veillant à la bonne répartition des différents échelons de bourse, ou bien un indice de position sociale[72] (IPS) cible ;
- Plusieurs outils pourraient ensuite être mobilisés pour favoriser une convergence sociale des établissements :
- Un mécanisme incitatif de « bonus-malus » serait introduit pour assurer le respect des cibles de mixité : une bonification de la dotation de l’État aux établissements qui respectent leurs objectifs et une minoration dans le cas inverse ;
- L’implantation géographique des établissements scolaires pourrait être revue, en s’appuyant sur l’expérimentation qui a été menée dans la Haute-Garonne[73]. En attendant leur reconstruction dans des zones plus mixtes socialement, deux collèges du QPV du Mirail à Toulouse ont été progressivement fermés et ses élèves répartis dans des collèges alentour moins défavorisés, avec des résultats positifs sur la trajectoire scolaire des élèves concernés, sans dégradation de celles des élèves des lycées d’accueil ;
- Du point de vue de la gouvernance, des comités de concertation pour la mixité sociale, présidés par le recteur ou la rectrice, et comprenant des représentants des établissements scolaires publics et privés sous contrat, des élus locaux et des parents d’élèves pourraient être créés : l’objectif de ces comités serait de décliner sur le plan opérationnel les objectifs de la « loi SRU de l’école » et déployer les actions pertinentes, y compris dans d’autres domaines (politique du logement et de transport). Les retours d’expérience de la Haute-Garonne indiquent que la concertation doit être réelle pour assurer l’adhésion des parties impliquées ;
Pour défendre cette loi politiquement, il pourra être indiqué que les projets de mixité sociale à l’école ont révélé des résultats au total positifs sur la réussite scolaire, mais surtout au-delà : réduction des stéréotypes raciaux et sociaux et amélioration de l’insertion professionnelle notamment[74] et l’expérience de la Haute-Garonne mise en avant.
Recommandation n° 4 : encourager une répartition territoriale équilibrée des étrangers récemment arrivés, dans une logique d’aménagement du territoire
- Objectif: enrayer les mécanismes de ségrégation socio-spatiale des politiques d’accueil en favorisant l’installation des étrangers dans tous les territoires français
Outre la meilleure répartition du logement social, il est nécessaire d’agir directement sur la répartition des étrangers arrivant sur le territoire français. Deux leviers peuvent être mobilisés, au moment de leur arrivée sur le territoire pour les demandeurs d’asile et par des programmes incitatifs à la mobilité pour des étrangers arrivés depuis plus longtemps.
- Recommandation 4.1 : poursuivre la politique de répartition territoriale équilibrée des demandeurs d’asile. Dans la continuité de la loi du 10 septembre 2018 et de la mise en place de « l’orientation régionale », les orientations vers les départements les moins tendus au plan du logement et de l’emploi pourraient être encore accrues. En parallèle, pour éviter de dégrader les conditions d’accueil dans ces territoires, une hausse des moyens liés à l’hébergement sera nécessaire. Outre des conditions d’accueil plus favorables qui favorisent la stabilité socio-économique et l’intégration, cela permettrait de revitaliser ces territoires qui ont parfois perdu des habitants dans les précédentes décennies ;
- Recommandations 4.2 : proposer d’orienter les personnes étrangères sans domicile fixe vers les départements moins tendus, pour favoriser leur hébergement et leur insertion professionnelle par une meilleure coordination entre les centres sociaux communaux et les départements, à l’image des opérations de « desserrement » ;
- Recommandation n° 4.3 : pour l’ensemble des étrangers à leur arrivée, renforcer les programmes incitatifs à la mobilité vers ces mêmes territoires moins tendus. Dans ces dispositifs, comme la Plateforme nationale pour le logement des réfugiés ou le programme Émile, en cas d’installation dans un de ces territoires, la personne étrangère et sa famille bénéficient d’un accompagnement social, d’un accès à un logement voire à un emploi.
Recommandation n° 5 : relancer la politique d’éducation populaire en s’appuyant sur le sport, les colonies de vacances et le secteur associatif
- Objectif: réinvestir le champ extrascolaire (fin de journée, weekend, vacances) afin de favoriser l’égalité des chances et la mobilité sociale des populations les plus défavorisées et des immigrés et de leurs descendants
- Recommandation n° 5.1 : faire du sport et de la culture de véritables leviers au service de la mixité sociale. La mixité sociale doit être un objectif à part entière de ces politiques publiques. Une partie des financements octroyés aux clubs et associations devrait être fléchée vers des actions visant à renforcer la mixité sociale. Des activités interclubs, les subventions des licences des plus défavorisées, des activités culturelles dépassant des frontières géographiques classiques entre associations ou établissements scolaires pourraient être favorisées.
- Recommandation n° 5.2 : relancer les colonies de vacances et renforcer la mixité sociale en leur sein. Outre un plan de financement à long terme pour sécuriser celles qui existent et soutenir les créations de nouveaux établissements, des discussions devraient être menées avec les acteurs privés pour les inciter à intégrer des jeunes de milieux sociaux différents. Des colonies de vacances « apprenantes » accessibles financièrement — dispositif déjà existant — pourraient aussi être davantage déployées (actions de communication, réduction du reste à charge pour les familles les plus défavorisées, etc.) pour renforcer l’égalité des chances et la poursuite des apprentissages durant les vacances, notamment d’été, des jeunes issus de milieux défavorisés.
Recommandation n° 6 : créer un ministère de la Cohésion sociale, de l’Intégration et de la Lutte contre les discriminations
- Objectif: instaurer une politique de l’intégration et de cohésion sociale à part entière qui ne soit pas éclatée entre le ministère de l’Intérieur et les ministères sociaux
Un ministère de la Cohésion sociale, de l’Intégration et de la Lutte contre les discriminations pourrait être mis en place afin d’assurer le portage transversal de cette politique publique. Ce ministère regrouperait la politique d’intégration des étrangers (tutelle de la DIAN), de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA), de la lutte contre les discriminations (actuel ministère délégué chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations) et aurait une co-tutelle avec les ministères sociaux sur la politique d’Insertion sociale (DGCS), avec le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires sur la politique du logement (DHUP) et de la cohésion territoriale (ANCT, ANRU et Anah) et avec le ministère des Sports sur la direction des Sports.
Ce ministère aurait également pour mission de renforcer la connaissance et la production intellectuelle sur les enjeux d’intégration et de cohésion sociale, et pourrait financer des études quantitatives et qualitatives sur ce sujet.
- Renforcer le sentiment d’appartenance à la communauté nationale
Recommandation n° 7 : Réinstaurer un service national, civil ou militaire
- Objectif: renforcer le sentiment d’appartenance à la nation et la mixité sociale
Contrairement au format actuel du Service national universel (SNU), il ciblerait non pas les mineurs, mais les jeunes à la majorité, afin de lever les contraintes juridiques liées au statut de mineur. Il serait généralisé et obligatoire, pour les femmes et les hommes, afin d’en garantir l’universalité et d’éviter que certaines catégories de la population le contournent, et s’appliquerait à une longue période (6 mois au minimum et jusqu’à 12 mois) pour que l’engagement soit long et permette de vivre une vraie expérience de service pour l’intérêt général. Il prendrait la forme d’un service civil ou militaire, à caractère public et national (police, sapeur-pompier, gendarmerie, hôpital, EHPAD, armée, ONF, associations à but non lucratif d’intérêt général etc.).
Ce dispositif offrirait un triple avantage : (i) développer le sentiment d’appartenance à la nation par un engagement de plusieurs mois pour le service public, alors que beaucoup de jeunes — qu’ils soient issus de l’immigration ou non — n’auront jamais d’engagement au service du pays ; (ii) renforcer la mixité sociale, car cet engagement permettrait d’élargir les horizons sociaux des jeunes et (iii) favoriser une meilleure connaissance de l’action des pouvoirs publics afin de faire changer le regard sur le service public, y compris pour des jeunes qui pourraient avoir une mauvaise image de l’État.
Au plan financier, il représenterait un coût significatif, puisque les personnes en service national seraient indemnisées à l’image des volontaires en service civique. Toutefois, la contribution des jeunes représenterait aussi une contribution majeure pour le service public, 800 000 jeunes par an pouvant permettre de redonner du temps aux agents en première ligne des services publics (assistants sociaux, infirmiers, policiers…). Cet apport humain devant être un complément et non s’opérer en remplacement des agents existants, son déploiement devra aller de pair avec un maintien des dotations budgétaires des services d’accueil.
Recommandation n° 8 : mettre en place une politique de tolérance zéro contre les discriminations[75] :
- Objectif: mener une politique de tolérance zéro contre les discriminations comme condition d’une intégration réussie
Plusieurs mesures pourraient être mises en œuvre :
- Recommandation 8.1 : avoir une parole publique forte et un portage politique sur le sujet sont un prérequis à toute évolution majeure, pour montrer que ces actions ne sont pas acceptables.
- Recommandation 8.2 : mieux sensibiliser à l’existence et l’impact des discriminationsen mobilisant l’école comme lieu de sensibilisation aux discriminations raciales, en s’appuyant sur des associations spécialisées et des témoignages de personnes victimes de discriminations.
- Recommandation 8.3 : garantir l’exemplarité de l’ensemble des agents du service public en assurant, en amont, que chaque école de formation des fonctionnaires comprenne une formation sur le sujet et, en aval, que les éventuelles discriminations fassent l’objet de jugements rapides et effectifs.
- Recommandation 8.4 : cadrer les contrôles policiers en expérimentant la mise en place d’une attestation de contrôle d’identité pour limiter le nombre de contrôles d’identité de routine et améliorer les rapports police-population[76].
- Recommandation 8.5 : améliorer le traitement judiciaire des discriminations en (i) créant un fonds de financements de recours collectifs (ii) en élargissant les possibilités de l’action de groupe au domaine de l’emploi et (iii) en créant des pôles spécialisés à la lutte contre les discriminations dans les tribunaux judiciaires et un office central auprès de la DNPJ en édictant une nouvelle circulaire de politique pénale centrée sur la lutte contre les discriminations comme priorité de la politique pénale.
Recommandation n° 9 : organiser une convention citoyenne sur l’immigration et l’intégration
- Objectif: créer les conditions d’un débat apaisé sur le sujet de l’immigration, pour éviter que certains en fassent un totem
Cette note porte sur l’intégration des immigrés et de leurs descendants, car, comme expliqués plus haut, les auteurs considèrent que l’enjeu se situe à ce niveau et non sur celui de l’arrivée de nouvelles personnes sur le territoire national. En raison du lien entre intégration et immigration, de l’importance qu’a prise le sujet dans la société française et des crispations qui se font jour, il apparait toutefois fondamental de créer les conditions d’un débat apaisé sur ce sujet.
Le débat pourrait prendre la forme d’une convention citoyenne afin de donner la possibilité à tous les points de vue de s’exprimer au travers de citoyens tirés au sort. Contrairement à un référendum simple ou à un débat parlementaire parfois enfermé dans des contraires de calendrier électoraux et débats partisans, la discussion citoyenne permettrait de :
- Cadrer le débat : (i) en revenant aux faits en matière d’immigration, en rappelant qu’il n’y a pas de submersion migratoire, mais une évolution de long terme ; (ii) en expliquant les différents types d’immigration (économique, familiale, asile…) et le cadre légal existant (européen et international notamment), notamment en matière d’asile ;
- Définir les grandes orientations générales en matière d’intégration et d’immigration et esquisser à destination du Gouvernement et du Parlement des propositions de politiques publiques relatives à l’entrée, au séjour et à l’intégration des immigrés en France. À l’issue de cette convention, les mesures pourraient faire l’objet d’un débat parlementaire si elles sont du ressort législatif ou faire l’objet d’un référendum, afin que les citoyens puissent s’exprimer directement sur les grandes orientations après un débat éclairé sur le sujet.
Recommandation n° 10 : mieux étudier l’immigration et l’histoire coloniale de la France
- Objectif: éviter les conflits mémoriels, qui ont un impact négatif sur la cohésion sociale
Les fractures qui sont font jour au sein de la société française entre immigrés, descendants d’immigrés et Français n’ayant pas de liens avec l’immigration peuvent aussi s’expliquer par des mémoires divergentes. La part prise par l’immigration en provenance de pays anciennement colonisés par la France et les liens parfois difficiles entretenus jusqu’à aujourd’hui entre la France et ces pays, comme l’illustre l’Algérie par exemple, peuvent également générer un rejet des descendants d’immigrés de la part des citoyens français sans ascendance migratoire et, à l’inverse, pour les descendants d’immigrés, induire un rapport parfois conflictuel avec l’histoire de France.
Afin d’apaiser ces mémoires conflictuelles et renforcer la cohésion sociale, l’enseignement de l’histoire de l’immigration et de l’histoire coloniale française devrait être renforcé. L’école doit permettre à chaque jeune citoyen et citoyenne, quelle que soit son origine, de connaître la violence de la colonisation française d’une part — et son lien avec l’immigration récente depuis ces pays vers la France — mais également les mouvements de contestation de la politique coloniale qui ont pu se faire jour en France et l’instrumentalisation qui peut aujourd’hui être faite de la colonisation par certains États, à l’image du régime d’Alger qui entretient une réelle « rente mémorielle » aux dépens du bon fonctionnement de la démocratie algérienne et de ses habitants.
Conclusion
Alors que le débat public s’enferme et s’hystérise sur l’immigration, les enjeux qui traversent la société française concernent en réalité davantage l’intégration des étrangers et la cohésion sociale de l’ensemble des citoyens. Parler de guerre civile alors que le processus d’intégration fonctionne encore relativement bien est au mieux irresponsable et au pire manipulateur. À l’inverse, nier que des difficultés peuvent se faire jour ne permet pas de répondre à des défis concrets auxquels font face les immigrés, leurs descendants et la France dans son ensemble.
Pour y faire face, il importe de doter le pays d’une réelle politique d’intégration et de cohésion sociale. Le modèle social et la solidarité particulièrement marquée au sein de la société française ne pourront se maintenir que si les citoyens y consentent et conservent une volonté de partage et d’entraide, qui ne peut se passer d’un sentiment d’appartenance fort à un tout qui les dépasse.
En ce sens, la mixité sociale, qui s’est fortement érodée depuis des décennies, doit être érigée en priorité absolue pour le pays. Au plan résidentiel, la loi SRU doit être appliquée partout, au moyen de sanctions renforcées et les étrangers arrivants sur le territoire doivent être répartis de façon équilibrée pour éviter d’aggraver les phénomènes de ségrégation socio-spatiale. Au plan scolaire, une « loi SRU de l’école » doit être adoptée pour que chaque établissement, qu’il soit public ou privé, contribue à la mixité sociale. De façon complémentaire, la politique d’éducation populaire doit être relancée. Ces mesures ne seront réellement adoptées et appliquées de façon efficace que si elles sont portées par un ministère de plein exercice, qu’il s’agira de mettre sur pied. S’agissant d’éléments plus immatériels, instaurer un service national et une politique de tolérance zéro aux discriminations est essentiel si l’on souhaite que tout citoyen, qu’il ait ou non une ascendance migratoire, se sente pleinement français.
Outre cette politique publique d’intégration et de cohésion, l’immigration ne doit plus être un tabou. Le refus de débattre ou même d’aborder ce sujet a nourri la méfiance et n’a pas empêché le rejet de s’exprimer de plus en plus largement en France. Il importe au contraire qu’elle fasse l’objet d’un débat éclairé, qui pourrait commencer par une convention citoyenne et la systématisation d’un apprentissage approfondi de ce sujet pour les plus jeunes à l’école.
[1] Leschi, Didier, Ce grand dérangement. : l’immigration en face, Collection Tracts, Gallimard, 2020.
[2] Voir Noiriel, Gérard, Préférence nationale : leçon d’histoire à l’usage des contemporains, Collection Tracts, Gallimard, 2024.
[3] Mettre fin au regroupement familial serait par exemple contraire au droit à la vie privée et familiale (garanti par le préambule de 1946 de notre Constitution et nos engagements internationaux, tel que l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) de même que l’externalisation du traitement des demandes d’asile au Royaume-Uni vont à l’encontre du principe de non-refoulement (art. 33 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et art. 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales).
[4] L’initiative législative étant toutefois bridée par l’impossibilité pour les parlementaires de créer ou d’augmenter des dépenses publiques du fait de l’article 40 de la Constitution.
[5] Voir notamment l’ouvrage collectif dirigé par l’historien Patrick Boucheron, Histoire mondiale de la France, 2017, Editions du Seuil.
[6] Des explications détaillées sont disponibles sur le site de l’Insee. Voir : https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/20_DEM/25_ETR#:~:text=En%202022%2C%20la%20population%20étrangère,en%20France%20de%20nationalité%20étrangère.
[7] Cette proposition est moindre car une part des immigrés a obtenu la nationalité française.
[8] Leschi, Didier, Ce grand dérangement. : l’immigration en face, Collection Tracts, Gallimard, 2020.
[9] Intégration des enfants d’immigrés : échecs criants, succès silencieux, rapport d’Hakim El Karoui, oct 2023, p28-p30.
[10] Il est complexe d’estimer les flux d’immigrés car la délivrance de premiers titres de séjours ou de visa long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) n’est pas une bonne approximation en ce qu’elle exclut l’entrée de ressortissants de pays de l’Espace économique européen (EEE), qui n’en ont pas besoin pour venir s’installer en France, de même que l’immigration illégale. L’Insee construit donc des estimations sur la base du recensement, qui permet d’intégrer les immigrés européens. Même pour les ressortissants de pays tiers (hors EEE), la délivrance de titres de séjour et VLS-TS ne mesure pas l’entrée physique sur le territoire de toute personne étrangère mais seulement les installations durables supérieures à un an, ce qui peut là encore sous-estimer les arrivées réelles, notamment irrégulières. Ces chiffres intègrent par ailleurs mal les demandeurs d’asile en attente de réponse de l’OFPRA ou à l’issue du processus – ils ne sont comptabilisés seulement lorsqu’ils obtiennent le statut de réfugié à l’issue de leur demande ou s’ils obtiennent un titre de séjour pour un autre motif, souvent familial.
[11] Immigrés et descendants d’immigrés en France – Insee Références – Edition 2023. Chiffres disponibles ici : Flux migratoires en France et dans les pays européens − Immigrés et descendants d’immigrés | Insee. La proportion semble être stable en 2021.
[12] Affiliations et pratiques religieuses − Immigrés et descendants d’immigrés | Insee
[13] Immigrés et descendants d’immigrés, INSEE, édition 2023 (Immigrés, étrangers en France et dans l’Union européenne − Immigrés et descendants d’immigrés | Insee). En prenant en compte les sous-déclarations d’immigrés de longue date et les étrangers en situation irrégulière, le chiffre atteint même 25% d’après le rapport de Hakim El Karoui « Intégration des enfants d’immigrés : échecs criants, succès silencieux ».
[14] Noiriel, Le creuset française : Histoire de l’immigration, 1988.
[15] Immigrés et descendants d’immigrés, INSEE, édition 2023 (Immigrés, étrangers en France et dans l’Union européenne − Immigrés et descendants d’immigrés | Insee).
[16] Ce chiffre est plus élevé de 2 points de pourcentage que le taux d’étranger en France car dans les personnes nées à l’étranger, il faut comptabiliser les Français nés à l’étranger, qui n’apparaissent pas dans les étrangers qui vivent en France par définition.
[17] Autour de 130 000 130 000 cf. Janine Ponty, Polonais méconnus. Histoire des travailleurs immigrés en France dans l’entre-deux-guerres, Paris, Pulications de la Sorbonne.
[18] Le Bras, Hervé, L’invention de l’immigré, 2012
[19] INSEE, Immigrés et descendants d’immigrés, 2023 https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793294?sommaire=6793391
[20] Insee, Enquête emploi en continu, 2021.
[21] Enquête emploi en continu, 2024 : 49% des femmes descendantes d’immigrés relèvent d’un groupe social de salarié supérieur à celui de leur père contre 39% pour les personnes sans ascendants migratoires. Ces chiffres sont de 37% et 27% pour les hommes. Ces chiffres s’expliquent en partie du fait que les personnes sans ascendance migratoire ont des parents appartenant à des groupes sociaux plus favorisés, mais témoigne d’un effet de rattrapage notable.
[22] Enquête Trajectoires et Origines de l’INED et l’INSEE (La diversité des origines et la mixité des unions progressent au fil des générations – Insee Première – 1910).
[23] Ibid.
[24] Immigrés et descendants d’immigrés en France – Insee Références – Édition 2023
[25] https://www.liberation.fr/debats/2018/06/29/stephane-beaud-j-ai-voulu-montrer-le-processus-d-integration-silencieuse-d-une-famille-algerienne-or_1662931/
[26] IFOP, Le regard des Français sur l’immigration, juin 2023 : https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-limmigration-3/
[27] Voir par exemple : Tiberj, Vincent, La droitisation française, mythe et réalités, PUF, 2024.
[28] Faury, Félicien, Des électeurs ordinaires : enquête sur la normalisation de l’extrême droite, 2024.
[29] Noiriel, Gérard, op. cit., 2024.
[30] Faury, Félicien, Des électeurs ordinaires : enquête sur la normalisation de l’extrême droite, 2024.
[31] « Immigrés et descendants d’immigrés », Insee, 2023
[32] Ibid.
[33] D’autres thèses soutiennent que l’arrivée de certaines communautés, notamment algériennes, lors du développement des HLM et des villes nouvelles, peuvent aussi expliquer un taux de résidence dans les QPV particulièrement important.
[34] Bourgeois, Marine, Catégorisations et discriminations au guichet du logement social, in Baudot Pierre-Yves et Revillard Anne (dir.), L’État des droits. Politique des droits et pratiques des institutions, Paris, Presses de Sciences
Po, mai 2015
[35] INSEE, Immigrés et descendants d’immigrés en France, 2012, cité par Bernardot, Marie-José, Étrangers, immigrés : repenser l’intégration, Presses de l’EHESP, 2019
[36] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6473349#titre-bloc-9
[37] Ce chiffre atteint même un tiers des personnes originaires d’Afrique hors Maghreb.
[38] Discriminations à l’embauche des personnes d’origine maghrébine, Dares analyses n° 67, ministère du Travail, novembre 2021 : « Dans le détail, quand une personne d’origine française postule, on ne lui répond pas la moitié du temps, elle reçoit un refus dans 17 % des cas et on la rappelle dans un tiers des cas. Quand la personne est d’origine maghrébine (mais avec le même parcours) la non-réponse est plus fréquente (56,6 %), tout comme les refus (dans 20,6 % des cas) et on ne la rappelle que dans 22,8 % des cas. Une personne d’origine française a donc un taux de rappel supérieur de 10,5 points (33,3 % moins 22,8 %), ce qui représente 46 % de chances supplémentaires ».
[39] La dernière enquête de l’INSEE France, Portrait social. Edition 2024 montre que 20% des descendants d’immigrés considèrent ne pas être vus comme français. Bien qu’en baisse par rapport à la génération immigrée (45%), ce chiffre reste très élevé. Ce chiffre se confirme également au plan éducatif : « 15% des descendants d’immigrés du Maghreb déclarent avoir été moins bien traités que les autres élèves dans les décisions d’orientation ».
[40] « Immigrés et descendants d’immigrés en France » – Insee Références – Édition 2023
[41] Enquête TeO, Ined-Insee, 2019-2020.
[42] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/abayas-qamis-les-atteintes-a-la-laicite-a-l-ecole-explosent-20230824
[43]https://www.leparisien.fr/societe/l-ecole-concentre-36-des-signalements-d-atteintes-a-la-laicite-loin-devant-le-lycee-11-10-2018-7916883.php
[44] La hausse des signalements peut aussi s’expliquer par une tendance plus grande à signaler des faits qui, hier, n’étaient pas relevés.
[45]https://www.ifop.com/publication/les-lyceens-le-droit-a-la-critique-des-religions-et-les-formes-de-contestations-de-la-laicite-a-lecole/
[46] Dans La France des Belhoumi, Stéphane Beaud consacre un chapitre entier à cette question et à l’impact fortement négatif des attentats de 2015 sur l’image des descendants d’immigrés maghrébins, sommés de « s’expliquer » et de montrer patte blanche.
[47]Si cette dynamique n’est pas propre à la France, elle peut expliquer pour partie le rejet croissant dont l’immigration fait l’objet au niveau européen et même occidental.
[48] 137 nuances de terrorisme. Les djihadistes de France face à la justice (ifri.org).
[49] Durkheim, Émile, De la division du travail social, 1893
[51] Bernardot, Marie-José, Étrangers, immigrés : repenser l’intégration, Presses de l’EHESP, 2019
[52] L’article 4 de la Constitution du 24 juin 1793 stipule que « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; — Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année — Y vit de son travail — Ou acquiert une propriété — Ou épouse une Française — Ou adopte un enfant — Ou nourrit un vieillard ; — Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité — Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français ».
[53] D’après l’enquête emploi de l’INSEE en 2023 (Catégories socioprofessionnelles des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique | Insee), 35 % de la population immigrés appartient aux catégories des cadres ou professions intermédiaires, contre 49 % pour les personnes sans ascendance migratoire.
[54] Granier, Pierre, Joseph, Olivier, Joutard, Xavier, « Le service militaire et l’insertion professionnelle des jeunes suivant leur niveau d’étude. Les leçons de la suspension de la conscription », Revue économique, 2011/4 (Vol. 62), p. 651-686.
[55] Enquête ELIPA 2 du ministère de l’Intérieur (date ?)
[56] https://www.strategie.gouv.fr/publications/limpact-de-limmigration-marche-travail-finances-publiques-croissance
[57] Savoldelli, Pascal, Ubérisation et après, 2021
[58] Thomas, Adrien. « 1. Les syndicats et l’immigration : (re) définir les frontières de la solidarité ». Les frontières de la solidarité, Presses universitaires de Rennes, 2015, https://doi.org/10.4000/books.pur.72750.
[59] https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2011-3-page-36.htm
[60] https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/278186.pdf
[61] Maalouf, Amin, Les identités meurtrières, 1999
[62] De l’Islam en France à un Islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés. https://www.senat.fr/rap/r15-757/r15-7579.html
[63] https://www.linkedin.com/pulse/les-mosquées-peuvent-elles-bénéficier-dun-financement-yannick-prost/
[64] Voir Wieviorka, Michel, A propos du modèle d’intégration républicaine, Diversité, 1997
[65] Pour rappel, la chronologie : 1991 : loi d’orientation pour la ville ; 1996 : pacte de relance pour la ville — création des ZUS et ZRU — et en 2003, sous le ministre Borloo, création du Plan national de rénovation urbaine — PNRU
[66] Cour des comptes, L’évaluation de l’attractivité des quartiers prioritaires, 2020
[67] https://www.oriv.org/wp-content/uploads/oriv_note_-doc_effets_de_quartier_cas.pdf
[68] Collet, Anaïs, Rester bourgeois, 2015
[69] Fondation Abbé Pierre, SRU 2020-2022 : un bilan décevant, 2024
[70] Régime prévu par le code de la construction et de l’habitation et le code de l’urbanisme, renforcé par la loi ALUR de 2014.
[71] https://www.education.gouv.fr/mobilisation-en-faveur-de-la-mixite-sociale-et-scolaire-dans-l-enseignement-378203
[72] L’IPS est l’indicateur mis en place par l’Éducation nationale depuis 2016 pour appréhender le statut social des élèves à partir des professions et catégories sociales (PCS) de leurs parents
[73] https://www.jean-jaures.org/publication/la-mixite-sociale-dans-les-colleges-pour-favoriser-la-reussite-de-tous-les-eleves-le-plan-reussi-de-la-haute-garonne/
[74] https://www.ipp.eu/publication/segregation-sociale-en-milieu-scolaire-apprehender-ses-causes-et-determiner-ses-effets/
[75] https://inegalites.fr/lutter-contre-les-discriminations
[76] Plusieurs expérimentations ont été menées en Europe et la CNCDH a proposé un dispositif de la sorte dans son avis du 4 mars 2017 (Avis sur la prévention des pratiques de contrôles d’identité abusives et/ou discriminatoires — Légifrance [legifrance.gouv.fr]