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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Un salon du « made in France », et après ? 

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      Un salon du « made in France », et après ? 

      C’est le nouveau credo politique, scandé partout dans le pays : il faut relocaliser nos usines, il faut réindustrialiser le pays. Il y a presque 10 ans, le sujet avait connu son moment médiatique, servi par la pose en marinière de Montebourg. Mais sinon quelques timides rebonds, c’est la crise sanitaire qui a relancé la hype du made in France, notre incapacité à produire ayant été particulièrement manifeste et humiliante lors des différents épisodes de la Covid-19. Jusqu’à l’Élysée, l’idée fait doucement son chemin : notre prospérité dépend inexorablement de notre puissance industrielle.  

      Le week-end du 11 novembre, le Salon annuel du made in France, Porte de Versailles, mettait à l’honneur les produits fabriqués en France. Certains médias, notamment Marianne et Europe 1, avaient réservé leur espace propre et organisaient un certain nombre de conférences et d’émissions en direct. Dirigeants d’entreprises, de fondations, d’instituts… Une bonne partie du gratin de l’entreprenariat dévoué à la fabrication française y était également bien installée. 

      La visite faite, la moindre tentative de synthèse laissait voir des vides immenses, que le format du salon ne peut pas entièrement expliquer. Le textile éco-conçu, l’alimentation locale, l’artisanat cosmétique ou ménager recyclable étaient surreprésentés. Leur poids écrasant semblait faire la démonstration de l’état de délabrement de notre système productif, en déclin depuis près de 40 ans. Il y avait bien quelques entreprises tricolores centrées sur l’électroménager et la petite machinerie du quotidien, qui développent par ailleurs vertueusement des services après-vente écartant toute potentielle obsolescence programmée. Il y avait bien quelques stands d’entreprises de services en b to b très innovants, moins fréquentés, puisque leur dimension interactive est évidemment aussi moins ludique. Mais où étaient les industries agro-alimentaires, chimiques, électroniques, numériques, celles de la métallurgie, du bois, de la construction, du transport ? En un mot, où étaient les grandes industries structurantes ?

      Si le rétablissement d’une échelle plus humaine sur certaines productions est fondamentale, le renforcement des filières stratégiques et l’internationalisation de nos entreprises restent tout aussi déterminants pour la constitution de grands bassins d’emplois, pour asseoir durablement notre souveraineté et pour renforcer le rayonnement économique et culturel de la France. La renaissance de l’industrie nationale était partout présente dans les esprits, les discussions et les discours. Mais sur les stands, en revanche, elle n’était nulle part. 

      L’existence, à côté de celui du made in France, des salons Global Industry et SIANE, démontre le paradoxe existant entre d’une part la culture étalée du « fabriqué en France », réduite à l’artisanat et au petit commerce, et d’autre part l’ostension de l’éco-système industriel, qui ne fait pas du Made un France un atout . Deux raisons peuvent expliquer ce paradoxe  : les grandes entreprises ne peuvent pas s’afficher sans risque étant donné l’internationalisation de leur chaîne de valeur ; et malheureusement l’industrie souffre d’un imaginaire répulsif qui l’écarte de façon apparente d’un salon grand public à l’affichage patriotique.   

      Les candidats à la présidentielle, eux, sont tous venus au salon du made in France. Il faut dire qu’en cette année pré-présidentielle, il constituait un rendez-vous politique incontournable tant les thématiques de la renaissance industrielle et du faire-local se sont considérablement centralisées au fur et à mesure de la crise sanitaire. La vision générale de l’industrie a changé dans la classe politique. Qu’il s’agisse d’augmenter la commande publique, de réorienter et renforcer les capacités de la Banque publique d’investissement (BPI), d’instaurer un protectionnisme social et écologique, autrefois inaudible, le discours est désormais largement convenu. Mais au-delà de ces intentions, martelées avant, pendant et après cet événement, l’affaire est loin d’être gagnée. Ces propositions souffrent d’un tropisme récurrent : elles se résument à de grands principes macro-économiques, et à un langage, restreint mais à la mode, autour du fameux “État stratège et planificateur” rêvé. Et on ne sait pas non plus pour qui tout cela revêt de véritables convictions ou bien de simples postures qui siéent à l’air du temps. 

      Ce qui est certain, c’est que pour l’heure, ces intentions se traduisent en réalité de façon bien disparate selon les programmes politiques. Quand bien même les discours sont là, que l’adhésion populaire est indiscutable, que la dynamique est positive, beaucoup reste à construire.

      Si l’exaltation du made in France comme force d’entraînement commerciale et de développement territorial hors-métropole est intéressante, elle ne suffira pas à réindustrialiser le pays. D’abord, son développement implique d’ouvrir un dur combat au sein de l’Union européenne sur la traçabilité des produits manufacturés. Ensuite, attendre que l’évolution de la demande seule modifie rapidement et en profondeur l’offre est une chimère. Le temps des petits pas, même organisés, est définitivement révolu. La réindustrialisation comme direction géopolitique commande à la fois une approche patriotique du développement économique mais surtout la mise en place de politiques structurées sur le temps long ainsi que de grands projets industriels de développement.  

      Notre difficulté tient aujourd’hui au fait que beaucoup de celles et ceux qui aspirent à nous représenter apparaissent totalement ignorants des conditions micro-économiques et surtout socio-spatiales à même de pouvoir recréer des tissus industriels résilients et producteurs de valeur. Leur vision de l’économie est étriquée alors qu’un monde est à réinventer. La compétitivité est toujours appréhendée à partir d’une logique de coût ;  et l’intégration d’une unité de production sur un territoire à partir d’une logique d’attractivité fiscale. Le mode de développement par agglomération prédomine sur celui de la constitution d’écosystèmes où les proximités entre les divers acteurs de l’économie (écoles, institutions, entreprises) sont sciemment pensées. On le dit trop peu, mais le recul de l’État-stratège couplé à une décentralisation dogmatique nous ont fait perdre énormément de compétences dans les administrations publiques quant à la compréhension des logiques de développement local spécifiques à chaque territoire, la mesure des effets systémiques et complexes de l’action publique et l’examen des actifs stratégiques. 

      Pourtant, les défis sont immenses et notre assujettissement tant aux chaînes de production et d’approvisionnement asiatiques qu’aux infrastructures numériques américaines nous condamne, en l’état des choses, à nous éteindre. Face à cela, les gouvernements qui se succèdent depuis 15 ans ont montré l’incapacité de leur logiciel à soutenir réellement l’industrie au-delà des discours. Tandis que nous avons besoin de l’État comme fer de lance et organisateur de la renaissance de l’industrie française, le plan France 2030 présenté par Emmanuel Macron, censé fixer l’horizon du pays, est particulièrement maigre en termes d’investissement économique (à peine 30 milliards d’euros sur 5 ans, soit 0,25 % du PIB chaque année) lorsqu’on le compare aux plans d’investissement de certains pays tels que la Corée du Sud, la Chine ou même les États-Unis. La priorité est mise sur les hautes technologies, comme si la crise ne nous avait pas rappelé le caractère fondamental de la maîtrise totale des chaînes de production, y compris de produits à faible valeur économique ajoutée. L’écologie et la compétitivité sont disjoints alors que la première doit permettre de refonder la seconde. Aussi, eu égard à la situation de tension sur certains métiers, à l’aune de nombreuses reconversions de sites et d’emplois ainsi que du développement inévitable de futurs métiers, la formation, cet immense chantier, n’est toujours pas considérée à sa juste et urgente nécessité. La vision stratégique de l’État ne peut pas se résumer aux tweets du président de la République.

      L’élection qui vient doit nous faire choisir le chemin que nous avons à prendre. Encore faudrait-il que ce chemin soit précisément tracé vers l’horizon d’un pays reconstruit socialement et écologiquement. En fin de compte, l’enjeu consiste à ce que le salvateur made in France ne soit plus demain un engagement citoyen et un effort des entreprises mais une véritable logique organique, patriotique et écologique de toute notre économie. 

       

       

      Publié le 26 novembre 2021

      Un salon du « made in France », et après ? 

      Auteurs

      Nicolas Vrignaud
      Doctorant en sciences politiques, Nicolas Vrignaud est spécialiste des questions d'attractivité territoriale.

      C’est le nouveau credo politique, scandé partout dans le pays : il faut relocaliser nos usines, il faut réindustrialiser le pays. Il y a presque 10 ans, le sujet avait connu son moment médiatique, servi par la pose en marinière de Montebourg. Mais sinon quelques timides rebonds, c’est la crise sanitaire qui a relancé la hype du made in France, notre incapacité à produire ayant été particulièrement manifeste et humiliante lors des différents épisodes de la Covid-19. Jusqu’à l’Élysée, l’idée fait doucement son chemin : notre prospérité dépend inexorablement de notre puissance industrielle.  

      Le week-end du 11 novembre, le Salon annuel du made in France, Porte de Versailles, mettait à l’honneur les produits fabriqués en France. Certains médias, notamment Marianne et Europe 1, avaient réservé leur espace propre et organisaient un certain nombre de conférences et d’émissions en direct. Dirigeants d’entreprises, de fondations, d’instituts… Une bonne partie du gratin de l’entreprenariat dévoué à la fabrication française y était également bien installée. 

      La visite faite, la moindre tentative de synthèse laissait voir des vides immenses, que le format du salon ne peut pas entièrement expliquer. Le textile éco-conçu, l’alimentation locale, l’artisanat cosmétique ou ménager recyclable étaient surreprésentés. Leur poids écrasant semblait faire la démonstration de l’état de délabrement de notre système productif, en déclin depuis près de 40 ans. Il y avait bien quelques entreprises tricolores centrées sur l’électroménager et la petite machinerie du quotidien, qui développent par ailleurs vertueusement des services après-vente écartant toute potentielle obsolescence programmée. Il y avait bien quelques stands d’entreprises de services en b to b très innovants, moins fréquentés, puisque leur dimension interactive est évidemment aussi moins ludique. Mais où étaient les industries agro-alimentaires, chimiques, électroniques, numériques, celles de la métallurgie, du bois, de la construction, du transport ? En un mot, où étaient les grandes industries structurantes ?

      Si le rétablissement d’une échelle plus humaine sur certaines productions est fondamentale, le renforcement des filières stratégiques et l’internationalisation de nos entreprises restent tout aussi déterminants pour la constitution de grands bassins d’emplois, pour asseoir durablement notre souveraineté et pour renforcer le rayonnement économique et culturel de la France. La renaissance de l’industrie nationale était partout présente dans les esprits, les discussions et les discours. Mais sur les stands, en revanche, elle n’était nulle part. 

      L’existence, à côté de celui du made in France, des salons Global Industry et SIANE, démontre le paradoxe existant entre d’une part la culture étalée du « fabriqué en France », réduite à l’artisanat et au petit commerce, et d’autre part l’ostension de l’éco-système industriel, qui ne fait pas du Made un France un atout . Deux raisons peuvent expliquer ce paradoxe  : les grandes entreprises ne peuvent pas s’afficher sans risque étant donné l’internationalisation de leur chaîne de valeur ; et malheureusement l’industrie souffre d’un imaginaire répulsif qui l’écarte de façon apparente d’un salon grand public à l’affichage patriotique.   

      Les candidats à la présidentielle, eux, sont tous venus au salon du made in France. Il faut dire qu’en cette année pré-présidentielle, il constituait un rendez-vous politique incontournable tant les thématiques de la renaissance industrielle et du faire-local se sont considérablement centralisées au fur et à mesure de la crise sanitaire. La vision générale de l’industrie a changé dans la classe politique. Qu’il s’agisse d’augmenter la commande publique, de réorienter et renforcer les capacités de la Banque publique d’investissement (BPI), d’instaurer un protectionnisme social et écologique, autrefois inaudible, le discours est désormais largement convenu. Mais au-delà de ces intentions, martelées avant, pendant et après cet événement, l’affaire est loin d’être gagnée. Ces propositions souffrent d’un tropisme récurrent : elles se résument à de grands principes macro-économiques, et à un langage, restreint mais à la mode, autour du fameux “État stratège et planificateur” rêvé. Et on ne sait pas non plus pour qui tout cela revêt de véritables convictions ou bien de simples postures qui siéent à l’air du temps. 

      Ce qui est certain, c’est que pour l’heure, ces intentions se traduisent en réalité de façon bien disparate selon les programmes politiques. Quand bien même les discours sont là, que l’adhésion populaire est indiscutable, que la dynamique est positive, beaucoup reste à construire.

      Si l’exaltation du made in France comme force d’entraînement commerciale et de développement territorial hors-métropole est intéressante, elle ne suffira pas à réindustrialiser le pays. D’abord, son développement implique d’ouvrir un dur combat au sein de l’Union européenne sur la traçabilité des produits manufacturés. Ensuite, attendre que l’évolution de la demande seule modifie rapidement et en profondeur l’offre est une chimère. Le temps des petits pas, même organisés, est définitivement révolu. La réindustrialisation comme direction géopolitique commande à la fois une approche patriotique du développement économique mais surtout la mise en place de politiques structurées sur le temps long ainsi que de grands projets industriels de développement.  

      Notre difficulté tient aujourd’hui au fait que beaucoup de celles et ceux qui aspirent à nous représenter apparaissent totalement ignorants des conditions micro-économiques et surtout socio-spatiales à même de pouvoir recréer des tissus industriels résilients et producteurs de valeur. Leur vision de l’économie est étriquée alors qu’un monde est à réinventer. La compétitivité est toujours appréhendée à partir d’une logique de coût ;  et l’intégration d’une unité de production sur un territoire à partir d’une logique d’attractivité fiscale. Le mode de développement par agglomération prédomine sur celui de la constitution d’écosystèmes où les proximités entre les divers acteurs de l’économie (écoles, institutions, entreprises) sont sciemment pensées. On le dit trop peu, mais le recul de l’État-stratège couplé à une décentralisation dogmatique nous ont fait perdre énormément de compétences dans les administrations publiques quant à la compréhension des logiques de développement local spécifiques à chaque territoire, la mesure des effets systémiques et complexes de l’action publique et l’examen des actifs stratégiques. 

      Pourtant, les défis sont immenses et notre assujettissement tant aux chaînes de production et d’approvisionnement asiatiques qu’aux infrastructures numériques américaines nous condamne, en l’état des choses, à nous éteindre. Face à cela, les gouvernements qui se succèdent depuis 15 ans ont montré l’incapacité de leur logiciel à soutenir réellement l’industrie au-delà des discours. Tandis que nous avons besoin de l’État comme fer de lance et organisateur de la renaissance de l’industrie française, le plan France 2030 présenté par Emmanuel Macron, censé fixer l’horizon du pays, est particulièrement maigre en termes d’investissement économique (à peine 30 milliards d’euros sur 5 ans, soit 0,25 % du PIB chaque année) lorsqu’on le compare aux plans d’investissement de certains pays tels que la Corée du Sud, la Chine ou même les États-Unis. La priorité est mise sur les hautes technologies, comme si la crise ne nous avait pas rappelé le caractère fondamental de la maîtrise totale des chaînes de production, y compris de produits à faible valeur économique ajoutée. L’écologie et la compétitivité sont disjoints alors que la première doit permettre de refonder la seconde. Aussi, eu égard à la situation de tension sur certains métiers, à l’aune de nombreuses reconversions de sites et d’emplois ainsi que du développement inévitable de futurs métiers, la formation, cet immense chantier, n’est toujours pas considérée à sa juste et urgente nécessité. La vision stratégique de l’État ne peut pas se résumer aux tweets du président de la République.

      L’élection qui vient doit nous faire choisir le chemin que nous avons à prendre. Encore faudrait-il que ce chemin soit précisément tracé vers l’horizon d’un pays reconstruit socialement et écologiquement. En fin de compte, l’enjeu consiste à ce que le salvateur made in France ne soit plus demain un engagement citoyen et un effort des entreprises mais une véritable logique organique, patriotique et écologique de toute notre économie. 

       

       

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