Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Thomas Piketty, Gaël Giraud : Le capitalisme est-il réformable ?

Dans le cadre d’un partenariat entre la revue Études et l’Institut Rousseau, les économistes Gaël Giraud et Thomas Piketty se sont rencontrés pour débattre de leurs critiques du capitalisme et mieux discerner leurs points d’accord et de désaccord. Dans le contexte actuel de menace de désastre écologique et social, le capitalisme est-il réformable ? Quelles sont leurs propositions respectives ? Deux thèmes principaux ont été abordés : le traitement des inégalités et la critique de la sacralisation de la propriété privée. Revoir l’événement Dernières publications « Économie » Voir tout

Par Institut Rousseau

31 mars 2021

Stop à l’inaction climatique : créons des emplois verts !

Un emploi vert pour tous propose de créer une garantie à l’emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social. Pour donner de la force à cette proposition, signez la pétition sur www.emploivertpourtous.fr ! Découvrez la deuxième émission en direct de la campagne Un emploi vert pour tous et Le Vent se Lève dimanche 22 février à 18h30 ! Nos intervenants : ➜ Alma Dufour est chargée de campagne surproduction aux Amis de la Terre. ➜ Samuel Sauvage est Président de HOP, Halte à l’Obsolescence Programmée. ➜ Chloé Ridel est directrice-adjointe de l’Institut Rousseau, porte parole de la campagne Un emploi vert pour tous, haut fonctionnaire et militante associative. ➜ Alexandre Ouizille est président du think tank Hémisphère gauche, porte-parole de la campagne Un emploi vert pour tous, maître de conférence en économie à Sciences Po depuis 2018 et élu local dans les Hauts-de-France. Revoir l’événement Lire les publications

Par Institut Rousseau

21 février 2021

Comment reconstruire ?

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Garantir des traitements dignes aux animaux pour limiter le risque d’épidémie

Le premier cas humain infecté par le Covid-19 a été détecté sur un marché d’animaux vivants destinés à la consommation à Wuhan en Chine le 17 novembre 2019[1]. Malgré l’imprécision sur la source épidémiologique d’origine du Covid-19, les scientifiques s’accordent sur le fait que l’animal est la source et le transmetteur. Le Covid-19 s’ajoute ainsi à la longue série de pandémies transmises des animaux aux hommes. L’Organisation mondiale pour la santé animale (OIE) souligne que les maladies infectieuses zoonotiques provenant des animaux, telles que la peste, la rage ou la tuberculose[2], représentent 60 % des maladies infectieuses humaines déjà existantes et qu’elles croissent. L’OIE estime que « 75 % des agents pathogènes des maladies infectieuses humaines émergentes, notamment Ebola, le VIH et la grippe aviaire, sont d’origine animale ». En effet, les dernières pandémies sanitaires internationales provenant directement des animaux sont nombreuses : le VIH, la maladie de Creutzfeldt-Jakob, dite maladie de la « vache folle », provenant de l’ESB, les coronavirus, les grippes aviaires (H7N9 et H5N1), la grippe porcine (H1N1) ou encore Ebola. Les pandémies questionnent à chaque fois notre rapport à l’animal, qu’il soit sauvage ou domestique, ainsi que notre modèle agricole et notre système de santé[3]. Cependant, jamais une zoonose n’avait autant désorganisé les sociétés que le Covid-19, conduisant au confinement massif de la population. La crise sanitaire, économique et sociale provoquée par le Covid-19 nous invite à repenser notre système agricole et nos régimes alimentaires pour améliorer la biosécurité. Cette dernière désigne l’ensemble des mesures sanitaires prises pour protéger en amont l’élevage de l’entrée d’éléments pathogènes, de la transmission au sein de l’élevage et de sa propagation à d’autres élevages ou à l’homme. Or, elle ne peut être envisagée seulement dans une perspective de traitement des crises. Elle doit davantage mettre l’accent sur la prévention. L’OIE établit un lien clair entre la santé animale et le bien-être animal et prône la prévention comme la solution « la plus efficace et la plus économique pour protéger l’homme »[4]. Une meilleure prise en compte du bien-être animal dans l’agriculture contribue à améliorer le bien-être et le revenu de l’éleveur, la qualité de l’alimentation et la santé publique, tout en répondant à l’urgence écologique. Il s’agit d’une solution humaniste, écologique et sociale. NB : La note se concentre sur l’élevage en France. La pêche et l’aquaculture ne sont pas traitées, bien que les enjeux sanitaires soient importants. Nous faisons le choix de nous concentrer sur la dissémination d’agents pathogènes de nature accidentelle et d’écarter la question du bioterrorisme. Cette note apporte des solutions pour réduire le risque d’émergence de zoonoses et prévenir la propagation.   I – La biosécurité dans les élevages comme garante de la santé publique 1. Les enjeux écologiques, économiques, sociaux et sanitaires de l’élevage intensif L’élevage intensif est vivement critiqué par rapport au bien-être animal, à la qualité de la viande, ainsi qu’aux conditions de travail des professionnels et à son modèle économique. En 2018, les Français consommaient en moyenne 87,5 kg de viande par an[5], ce qui les place parmi les plus gros consommateurs de viande au monde[6]. Or, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) recommande de ne pas manger plus de 500 grammes de viande par semaine, soit 26 kg par an, bien en-deçà de la consommation actuelle moyenne. Une consommation excessive de viande est jugée néfaste pour la santé selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) car elle favorise l’obésité, les maladies cardio-vasculaires et certains cancers. Les bénéfices de la viande pour la santé humaine sont également conditionnés par sa qualité, amoindrie lorsque l’animal est malade ou la viande transformée. Or, cette dernière représente 30 % des produits carnés consommés, principalement de la charcuterie industrielle ou des plats préparés[7]. Par ailleurs, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que la consommation mondiale de viande va augmenter de 60 % d’ici 2080, tirée notamment par les pays en développement, ce qui a pour conséquences d’augmenter les prix sur les ressources productives et de pousser les éleveurs vers l’agriculture intensive pour dégager des bénéfices[8]. En France, 80 % des animaux sont dans des élevages intensifs. Ce pourcentage est particulièrement haut pour les porcs (95 %) et les volailles (80 % des poulets de chair et 68 % des poules pondeuses)[9]. Au-delà du problème éthique et sanitaire, la mortalité des animaux dans les élevages représente aussi une perte économique pour les éleveurs. À titre d’exemple, pour l’élevage laitier, le manque à gagner s’élève en moyenne entre 2 000 à 4 000 euros pour 50 vêlages (mise à bas des veaux) par an. Les maladies animales provoquent une perte de production liée à la perte de bêtes ou au coût du traitement des agents pathogènes. Une telle perte de production perturbe les marchés locaux et internationaux puisque les conséquences économiques dépassent le territoire et les éleveurs. Des institutions comme la FAO ou l’OIE mettent en avant le fait qu’un cheptel en bonne santé et les pratiques liées au bien-être animal sont des facteurs de performance économique pour les éleveurs[10]. En outre, l’élevage intensif est aussi décrié du point de vue écologique car il pollue les sols et les eaux, notamment par les eaux usées ou le lisier comme nous pouvons le constater en Bretagne avec la prolifération des algues vertes. L’élevage intensif a également émis, en 2019, 18 % des gaz à effet de serre[11]. De plus, il est très consommateur d’eau[12] et de surfaces agricoles, notamment avec la production de céréales pour nourrir le bétail (40 % des céréales vont au bétail)[13], concurrençant la nourriture à destination directe des êtres humains. L’élevage intensif, par ses conséquences écologiques, économiques et sociales, nuit aux écosystèmes, à la santé des professionnels mais aussi à la santé publique. À ces critiques anciennes s’ajoute celle du risque sanitaire réactivé à chaque pandémie, comme celle que nous connaissons aujourd’hui.   2. Les facteurs de risque et conséquences des zoonoses   Le Covid-19 met en lumière le risque sanitaire de transmission des maladies animales à l’humain par les zoonoses ou les contaminations alimentaires. La contamination des humains par des

Par Magat A.

27 juin 2020

Démondialisation, relocalisation et régulation publique : pourquoi et comment

La mondialisation néolibérale est un phénomène qui ne connaît aucun précédent historique. Elle ne se caractérise pas simplement par l’importance du volume des échanges internationaux de marchandises et de capitaux, un indicateur trop limité qui permet à certains analystes d’opérer des rapprochements avec « d’autres mondialisations » qui ont eu lieu à d’autres périodes de l’histoire. Ce qui la caractérise avant tout, c’est une division internationale du travail et une dérégulation publique sans précédent. En d’autres termes, c’est un ordre commercial libre-échangiste qui sert les intérêts d’entreprises multinationales cherchant à bénéficier d’un maximum de libertés d’installation et de circulation. Son caractère inédit réside dans cette capacité des grandes entreprises privées, dans la plupart des secteurs d’activité, à penser leur stratégie et leur organisation à l’échelle de la planète en s’affranchissant de plus en plus ouvertement des régulations nationales. Dans le discours commun (et jusque dans la presse économique), on entend souvent dire que « la France achète à la Chine » ou que « l’Espagne achète à l’Allemagne », donnant ainsi le sentiment que les transactions s’opèrent entre pays.Ces formules entretiennent des illusions. En fait, commande publique mise à part, ce sont des entreprises françaises (ou implantées en France) qui achètent des produits à des entreprises chinoises (ou implantées en Chine) et les distribuent sur le territoire national (ou les transforment pour les réexporter). La dérégulation vise justement à ce que ces transactions s’opèrent avec le moins d’interventions publiques possibles : suppression des « obstacles » tarifaires et non-tarifaires, réduction drastique des contrôles des flux de marchandises et de capitaux… Dans le premier port français, celui du Havre, le nombre de conteneurs ouverts est d’à peine plus d’un pour mille. En 2000, 500 douaniers y travaillaient pour surveiller 1 million de conteneurs par an. En 2019, les effectifs sont tombés à 350 pour 2,9 millions de conteneurs[1]. Il n’entre pas ici dans notre propos de nous attarder sur les conséquences visibles de cet ordre commercial libre-échangiste : délocalisations vers les pays à bas coût de main d’œuvre, désindustrialisation ailleurs, hyperspécialisation qui engendre une concentration dangereuse de productions clés dans un petit nombre de pays, évasion des profits des multinationales vers des paradis fiscaux… Ces questions apparaissent régulièrement dans l’actualité. Il est en revanche plus important d’insister sur l’impuissance auto-organisée des États qui, pour la plupart, ont renoncé aux principauxmoyens dont ils disposaient pour contrôler ou orienter la production, pour prélever et redistribuer les richesses, pour mener des stratégies d’investissements publics. Si quelques gouvernements parmi les plus puissants (Chine, États-Unis, Japon) continuent à protéger leur marché intérieur de façon plus ou moins déguisée, c’est avant tout pour favoriser leurs grandes entreprises nationales dans la concurrence internationale et non pour développer leurs services publics ou contraindre le secteur privé à mieux traiter les salariés. Un bon exemple d’impuissance des pouvoirs publics nous est donné par la politique européenne de lutte contre le changement climatique. Au milieu des années 2000, l’Union a mis en place un marché du carbone, peu contraignant pour les grandes entreprises, mais qui a tout de même suscité des résistances de certaines d’entre elles. Arcelor Mittal, notamment, a exercé un chantage à l’emploi auprès des gouvernements français et belge : soit la nouvelle contrainte de quotas carbone qui devait s’imposer à elle était assouplie, soit la firme allait délocaliser hors de l’Union européenne. Les gouvernements et l’Union finirent par céder et l’absence de « contrainte carbone » fut très officiellement étendue à tous les secteurs exposés à des risques de délocalisation. Or, c’est bien parce que les grandes entreprises peuvent délocaliser (ou choisir librement leurs sous-traitants dans les pays à bas coût de main d’œuvre) qu’aucune politique publique n’est suffisamment efficace pour résoudre la crise environnementale. C’est bien parce que les capitaux circulent librement que les États ne peuvent plus compter que sur leur « attractivité » pour les attirer et disposer d’un minimum de recettes et de ressources budgétaires. Face à ce constat, certains en appellent à une régulation mondiale. Mais compte tenu des rapports de force, impossible d’y compter à court ou moyen terme. Si l’on veut exercer un contrôle démocratique sur la production, il faut donc sortir de cet ordre commercial libre-échangiste, c’est-à-dire relocaliser des activités qui ont quitté le territoire et empêcher que d’autres continuent à partir. Cette relocalisation doit être multisectorielle : il n’est pas question de relocaliser l’alimentation, par exemple, tout en laissant la France continuer à se désindustrialiser. C’est une approche globale de la relocalisation qu’il convient de développer.   I. Relocaliser pour être en mesure de contrôler la production et d’agir sur la distribution des richesses   Il faut lever tout malentendu sur les raisons qui nous amènent à prôner la relocalisation. À quoi cela servirait-il de « produire français » à mode de production constant et dans un ordre économique international globalement inchangé ? Éventuellement à réduire le chômage, ce qui n’est pas rien. Peut-être à réduire des émissions de gaz à effet de serre liées au transport international, à supposer que ce « produire français » concerne un nombre suffisant de secteurs d’activité et serve à alimenter le marché intérieur plutôt qu’à réexporter. Mais ce type de relocalisation resterait dépendant d’une logique mercantiliste et laisserait les choix et modes de production entièrement aux mains des grandes entreprises privées. Elle n’apporterait aucune garantie d’une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail. Elle poursuivrait l’exploitation des pays du Sud pour l’approvisionnement en matières premières, étant entendu que jamais l’industrie extractive ne sera largement relocalisée et qu’il sera difficile de couvrir les campagnes françaises de champs de coton, par exemple, pour produire du textile. Elle laisserait enfin en place l’économie productiviste qui nous mène tout droit vers la catastrophe environnementale. L’enjeu est donc bien de relocaliser pour changer les choix et modes de production, la distribution des richesses et les relations internationales. Il s’agit de remettre du politique (des objectifs sociaux, environnementaux, de coopération internationale…) dans l’économie nationale et dans les échanges commerciaux là où, précisément, le capitalisme a réussi à l’évacuer grâce à la mondialisation néolibérale. Cette clarification est nécessaire car deux visions de la relocalisation et du

Par Bernier A.

17 juin 2020

À la reconquête d’une souveraineté alimentaire paysanne et démocratique

La crise sanitaire due au Covid-19 a mis en lumière l’importance de l’autonomie, sacrifiée sur l’autel du marché. Nos dirigeants ont appris à leurs (et à nos) dépens qu’il ne suffisait pas de passer commande pour obtenir le produit désiré et qu’être en mesure de produire soi-même peut faire la différence entre subir une crise et la surmonter. À cette règle, l’agriculture ne fait pas exception. En perturbant les rouages de l’économie agricole mondialisée dont nous dépendons pour notre alimentation, la pandémie que nous traversons semble avoir engendré une prise de conscience quant à l’importance de retrouver notre souveraineté alimentaire[1].   Introduction   Depuis le mois de mars, de nombreux pays ont ralenti leurs exportations en raison d’une diminution de la production, de difficultés dans la logistique de transport et de vente ou encore d’une volonté de sécuriser les approvisionnements nationaux. C’est notamment le cas de l’Italie et de l’Espagne, principaux producteurs de fruits et légumes européens, qui ont tous deux été durement touchés par le Covid-19. Les effets de la crise sanitaire (confinement, difficultés logistiques pour la récolte et l’acheminement) ont entraîné des baisses de récolte en Italie. En Espagne, où ils ont fait suite à un hiver trop doux et à des tempêtes de grêle printanières, on estime que la production fruitière a chuté d’environ 35 % à 40 %. Or, la France dépend largement de ces deux pays pour son approvisionnement en fruits et légumes. D’ores et déjà, les prix des fruits et légumes ont augmenté de 10 % en moyenne depuis le début du confinement et, au vu des productions en baisse chez nous comme chez nos voisins, il paraît inévitable qu’il y ait dans les prochaines semaines et les prochains mois des tensions dans l’approvisionnement. Les prix devraient continuer d’augmenter, compliquant l’accès à ces aliments, pourtant essentiels à la santé, pour une partie de la population dont la situation économique s’aggrave. Alors que des voix s’élèvent pour s’émouvoir de cette perte de souveraineté alimentaire, y compris parmi ceux qui en portent directement la responsabilité (politiques libéraux et fleurons de la grande distribution en tête), il paraît important de rappeler les choix politiques qui ont eu raison de cette souveraineté dans les dernières décennies. Car si la relocalisation des productions abandonnées par la politique agricole française est évidemment la voie d’avenir, elle ne pourra avoir lieu sans remettre en question la logique de compétition internationale, de libre-échange et de marché unique.   I. Relocaliser pour reprendre le contrôle de nos modes de production   Au cours des dernières décennies, plusieurs productions pourtant indispensables à notre alimentation ou à celle de nos animaux d’élevage ont été délaissées. C’est en particulier le cas des fruits, des légumes et des protéagineux[2] pour la culture desquels les producteurs français sont jugés non-compétitifs sur le marché international, face notamment aux fruits et légumes d’Europe du Sud et au soja sud- et nord-américain. Ces produits doivent donc aujourd’hui être massivement importés pour répondre à nos besoins. Or la délocalisation de ces productions n’est pas seulement un fardeau pour notre bilan écologique : au transport polluant nécessaire à l’acheminement de ces produits (souvent du Sud de l’Europe pour les fruits et légumes, ducontinent américain pour les protéagineux) s’ajoute le fait que nous n’en maîtrisons ni les conditions sociales ni les conditions environnementales de production. Pourtant, parce que nous, consommateurs français, en sommes les destinataires finaux, leur impact social et environnemental est le nôtre : notre déforestation pour la culture du soja en Amazonie, nos cultures de soja OGM en Amérique du Nord, nos travailleurs étrangers sans-papiers exploités pour les cultures intensives de légumes. C’est là le grand paradoxe de notre économie mondialisée : nous décidons plus ou moins démocratiquement des règles de fonctionnement de notre société et fermons les yeux lorsque ces règles sont bafouées pour remplir nos assiettes. Le cas des plantes génétiquement modifiées est sur ce point emblématique : alors que leur culture est aujourd’hui interdite sur le territoire français et que les citoyens y sont massivement opposés, la France en importe 3,5 millions de tonnes par an afin d’approvisionner les élevages de volailles, porcs, bovins et poissons[3]. C’est notamment pour répondre à ce paradoxe que de nombreuses organisations de paysans, de citoyens et de consommateurs appellent aujourd’hui à reconquérir notre souveraineté – et pas simplement notre autosuffisance – alimentaire[4]. En effet, contrairement à la notion d’autosuffisance qui n’implique qu’un objectif quantitatif de production, celle de souveraineté sous-entend un processus démocratique quant aux modes de production, de transformation et de consommation. Mais pour que le souhait de souveraineté, qui implique de relocaliser ces productions sur notre territoire, ne soit pas qu’un vœu pieux, il est impératif de rappeler les causes de cette perte de souveraineté. Et d’agir dessus.   II. Aux racines de notre perte de souveraineté alimentaire   Nous importons aujourd’hui plus de 50 % des fruits et 35 % des légumes que nous consommons. Nous sommes passés d’une situation d’autosuffisance à une situation de dépendance en à peine 30 ans. On estime avoir perdu la moitié de nos exploitations fruitières ou légumières depuis 30 ans[5]. Si pour le maraîchage, le déclin s’est ralenti ces dernières années (grâce ou à cause de la mécanisation qui a permis de réduire les coûts de main d’œuvre), il s’est au contraire accru pour l’arboriculture : 30 % des exploitations fruitières qui existaient en 2010 avaient disparu six ans plus tard. Cela correspond à une disparition de 3 000 hectares de vergers par an en moyenne. Or d’après les calculs de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), l’abandon de deux hectares fait disparaître un emploi équivalent temps-plein (ETP) dans les vergers, ce qui entraîne la suppression d’un autre ETP dans la filière. Ce sont donc autour de 30 000 ETP qui auraient été supprimés en production fruitière dans les seules 10 dernières années. Partout en France, des coopératives et des ateliers de transformation ont fermé leurs portes. Ces centaines de milliers d’arbres arrachés, ces dizaines de milliers de salariés licenciés, ces milliers de fermes détruites et d’outils de production abandonnés sont le résultat d’une politique agricole

Par Lugassy L.

12 juin 2020

Protéger la biodiversité pour préserver notre santé et notre environnement

La crise sanitaire historique que nous vivons actuellement amène à repenser fondamentalement notre rapport aux écosystèmes et à promouvoir une protection plus importante de la biodiversité. Si les circonstances spécifiques d’apparition puis de transmission à l’espèce humaine du SARS-CoV-2 ne sont pas encore déterminées précisément (rôle de la chauve-souris puis de la civette et/ou du pangolin), le fait que l’homme empiète chaque jour davantage sur les zones de vie des animaux sauvages – pour les exploiter en déforestant par exemple – est un facteur de plus en plus important de pandémies. La multiplication des épidémies de zoonoses sont le résultat de la pression voire de l’emprise exercée par l’homme sur les habitats naturels des animaux et plus généralement sur la biodiversité. La relative indifférence des civilisations humaines envers la biodiversité au sens large engendre donc un double risque : l’extinction des espèces animales ou végétales et la propagation de pandémies. L’exemple du virus Nipah (on pourrait citer également le VIH ou Ebola, ce dernier provenant là encore d’une chauve-souris) est de ce point de vue topique. La déforestation (chaque année, 13 millions d’hectares de forêts disparaissent selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), l’altération des habitats forestiers, l’agriculture et l’élevage intensif en Malaisie ont ainsi créé les conditions de la transmission de ce virus (là aussi responsable d’une détresse respiratoire et d’encéphalites et mortel dans 40 % des cas) de la chauve-souris vers l’homme. La destruction de l’habitat naturel de ces mammifères – ou selon les mots du professeur d’écologie à l’University College de Londres Kate Jones, « le changement d’affectation des terres » – a rapproché ces derniers des activités humaines dont l’élevage de porcs, eux-mêmes vecteurs de transmission de pathogènes vers l’homme. Fondamentalement, la crise du SARS-CoV-2 est donc l’expression du rapport catastrophique qu’entretiennent les sociétés humaines avec la biodiversité végétale et animale. La France n’est pas encore, en la matière, un modèle de protection. La pandémie ne doit ainsi pas occulter le constat sans appel dressé par les scientifiques ces dernières années et qu’il faut rappeler brièvement (I) avant de préciser le cadre juridique relatif à la biodiversité (II) et d’évoquer quelques pistes d’amélioration de notre rapport à cette dernière (III).   I. Un effondrement massif de la biodiversité que soulignent de nombreuses études scientifiques   Puisque le temps est à l’écoute des scientifiques, faisons donc de nouveau rapidement le constat déjà maintes fois illustré par les travaux portant sur ces problématiques : plus de 75 % des insectes en Europe ont disparu en 40 ans[1] – et près de deux tiers des arthropodes (en termes de populations, de nombre d’espèces et de biomasse) ont disparu en 10 ans[2] -, tout comme 25 à 30 % des oiseaux (aux États-Unis comme en Europe[3]) et plus globalement 60 % des vertébrés sauvages (mammifères, poissons, oiseaux, reptiles et amphibiens) en un demi-siècle[4]. La modulation dans la répartition des populations de poissons a réduit drastiquement le potentiel de pêche et la question de la pérennité de certains écosystèmes marins est posée[5]. À titre d’exemple, les coraux ne résisteront pas à une hausse de plus de 2°C (75 % de disparition avec une augmentation de +1,5°C, 99 % avec une hausse de +2°C)[6]. Si la préservation des espèces animales est mise en avant dans le débat public, la disparition d’un certain nombre de végétaux est également préoccupante, notamment en raison de la vitesse d’extinction. Le taux d’extinction des plantes est ainsi deux fois plus élevé qu’il ne l’était en 1900[7] – et 500 fois plus rapide que le taux d’extinction spontané des espèces – et il est désormais plausible que la planète perde un huitième des espèces végétales d’ici 2050. Les causes de cette disparition sont les mêmes que pour les animaux et sont d’origine humaine : artificialisation des sols, destruction des zones sauvages, agriculture intensive, prolongement des zones urbaines et réchauffement climatique principalement. La France n’échappe pas à cette extinction planétaire puisqu’on estime par exemple que 15 % de sa flore vasculaire (plantes à fleurs, conifères et fougères) est menacée[8]. Le dernier rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), publié en mai 2019, pointe ainsi le fait qu’un million d’espèces animales et végétales (sur 8 millions estimés) sont éteintes ou en voie d’extinction actuellement, ce qui est sans précédent dans l’histoire de la planète sur une période si courte[9]. Le nombre d’espèces menacées d’extinction, voire éteintes, est de plus appelé à augmenter très rapidement car le nombre d’individus restants par espèce est très faible. De façon schématique, le rythme d’extinction des espèces est de 100 à 1 000 fois supérieur à ce qu’il était avant le début de l’ère industrielle il y a 150 ans. À ce bilan scientifique de la perte de la biodiversité et de l’accélération de l’extinction des espèces s’ajoute un constat dramatique du manque de protection des règles juridiques de cette biodiversité. Si quelques avancées ont vu le jour au cours des dernières années, force est de constater que le droit positif n’est que peu ou pas protecteur du vivant.   II. L’absence de protection réelle du vivant par les règles juridiques   Les menaces sur le vivant ne sont pas correctement appréhendées et intégrées par les acteurs juridiques, qu’ils s’agissent des législateurs, des gouvernements, des institutions de l’Union européenne ou bien (et surtout) des juges. Le cadre juridique textuel de la biodiversité – Constitution, droit de l’Union européenne, lois et actes réglementaires – est peu protecteur car schématiquement, il est largement anthropocentré et ne prend en compte faune et flore que de manière résiduelle. Le principe de précaution, inscrit notamment à l’article 5 de la Charte de l’environnement et également présent dans le droit de l’Union européenne, n’est en rien protecteur car, fondamentalement à géométrie variable, il laisse une trop grande marge d’appréciation aux juges qui l’appliquent. Les textes actuels, et singulièrement les directives (ainsi que les lois et actes réglementaires internes qui les transposent) et règlements de l’Union européenne, ne sont également pas adaptés à l’urgence de préservation car très peu contraignants. On pense ici évidemment au règlement REACH (Enregistrement, évaluation et autorisation des substances

Par Guinard D.

8 juin 2020

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Points de vue

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Trump a-t-il autorisé Israël à attaquer l’Iran pour sauver ses producteurs de pétrole ?

🇫🇷 🇬🇧 Cette note, publiée aujourd’hui par l’Institut Rousseau, nous a été envoyée le 11 juin 2025, c’est à dire quelques jours avant l’attaque israélienne sur l’Iran dans la nuit du 12 au 13 juin, qu’elle venait, d’une certaine manière, prédire. Il est donc intéressant de relire la perspective développée par l’auteur sur les motivations possibles d’un tel conflit à la lumière des événements observés, en particulier l’idée que les producteurs de pétrole américains ont un intérêt direct à une remontée des prix du pétrole sur le marché international. En effet, depuis 2017 les États-Unis sont ainsi devenus le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Mais l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste a un coût marginal plus élevé que celle du pétrole traditionnel exploité par l’Arabie Saoudite ou la Russie, lesquels tentent de faire plonger le prix du pétrole, depuis quelques années, au-dessous du seuil de rentabilité des producteurs américains, dans une stratégie de « last man standing ». Cet élément de la géopolitique de l’énergie a-t-il été un facteur déterminant dans l’attaque israélienne contre l’Iran ? Depuis l’attaque, le prix du pétrole a ainsi nettement augmenté. Retrouvez le texte en version anglaise originale en cliquant ici   Une frappe israélienne contre les infrastructures nucléaires iraniennes pourrait-elle n’avoir presque rien à voir avec la géopolitique du Moyen-Orient, mais tout à voir avec le prix du pétrole de schiste dans l’État américain reculé du Dakota du Nord et les besoins politiques immédiats de Donald Trump ? Une série de faits documentés nous amène à nous poser ces questions. Si l’on se rappelle de la campagne électorale de Trump et de son slogan phare (« Drill-Baby-Drill » [fore bébé, fore !]), on peut s’interroger sur le fait de savoir si les « cow-boys » du pétrole de schiste, qui ont soutenu Trump, pourraient aujourd’hui se sentir trahis ? Ce pétrole, qui a au mieux un avenir incertain dans un contexte de transition écologique, se heurte-t-il à une offre excédentaire absolument certaine ? Pourquoi le goulet d’étranglement que connaît la production de pétrole, d’une évidence aveuglante, devrait être au cœur du débat ? Et enfin, pourquoi la crédibilité chancelante de Trump aux États-Unis pourrait jouer un rôle majeur dans cette problématique économique ? La plupart des analyses relatives à une éventuelle frappe israélienne sur les installations nucléaires iraniennes se focalisent sur l’analyse géopolitique du Moyen-Orient. Dans Le Monde du 23 mai 2025, ou pouvait ainsi lire : « Benyamin Nétanyahou est apparu bien isolé durant la tournée de Donald Trump, du 13 au 16 mai, dans le Golfe. Lors du retour du républicain à la Maison Blanche, le premier ministre israélien s’imaginait en tête de proue d’une reconfiguration régionale – un nouveau Moyen-Orient débarrassé de la menace de l’Iran et de ses affidés – par la force, dans le prolongement de la guerre qu’il mène dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. Il n’a pu qu’acter le fossé grandissant avec le président américain, qui se voit en « faiseur de paix » et en « unificateur » au Moyen-Orient, et fait désormais d’un accord avec l’Iran la clé de voûte de sa vision pour une paix régionale. »[i] Drill-Baby-Drill et les frackers texans Quel que soit le projet de Donald Trump pour le Moyen-Orient, il s’est surtout présenté aux élections avec le slogan « Drill-Baby-Drill », avec pour objectif la « domination énergétique » des États-Unis. Cela implique notamment une augmentation massive de la production de pétrole américain, c’est-à-dire plus de recours à la fracturation hydraulique. En la matière, les meilleurs espaces sont le bassin permien, qui s’étend en grande majorité sous le Texas, et la formation Bakken, sous le Dakota du Nord[ii]. La fracturation hydraulique, sous l’administration Biden, défenseur des énergies renouvelables, avait ironiquement fait des États-Unis, grâce à ces réservoirs, le plus grand producteur de pétrole au monde. Selon les données publiées par le NASDAQ, en 2024, les États-Unis produiront 21,91 millions de barils par jour, soit presque le double de l’Arabie saoudite (11,13 millions de barils par jour).[iii] Pourtant, le nombre de forages a diminué au lieu d’augmenter sous la politique du « Drill-Baby-Drill » de Trump. Pourquoi donc ? En partie en raison de la forte augmentation des coûts de forage. De surcroît, les droits de douane appliqués de manière erratique par Trump ont conduit au renchérissement de l’acier et de l’aluminium importés nécessaires au forage. Aucun producteur pétrolier américain n’est satisfait de cette situation. Le PDG de Chevron, Mike Wirth, a choisi la plus importante tribune de l’industrie pétrolière américaine pour dénoncer les caprices douaniers de Trump : lors de sa prise de parole lors de l’immense conférence annuelle de l’industrie pétrolière à Houston, Wirth a fustigé Trump : « Passer d’un extrême à l’autre n’est pas la bonne politique… Il nous faut vraiment une politique cohérente et durable. »[iv] « Drill Baby Drill » et la stratégie du « dernier survivant » Les forages américains ont également subi la concurrence d’autres acteurs qui savent jouer à « Drill Baby Drill ». Le 3 avril, la coalition de producteurs pétroliers menée par l’Arabie Saoudite et la Russie a pris de court les marchés en annonçant pour le mois de mai une augmentation de production trois fois supérieure aux prévisions. Bloomberg.com cite ainsi Helima Croft, responsable de la stratégie matières premières chez RBC Capital et ancienne analyste de la CIA, qui explique que cette hausse vise « à envoyer un signal d’avertissement au Kazakhstan, à l’Irak, et même à la Russie sur le coût de la surproduction persistante ».[v] Mais la stratégie saoudienne va au-delà des volumes produits. Après deux nouvelles annonces d’augmentations de production, Bloomberg rapportait le 1er juin que « selon des sources proches du dossier, Riyad est motivé par la volonté de reconquérir les parts de marché qu’il a cédées au fil des ans aux foreurs de schiste américains ».[vi] En effet, le monde se détourne des énergies fossiles au profit des renouvelables – plus lentement qu’il ne le faudrait, mais de façon inexorable. La moitié des voitures neuves vendues en Chine sont désormais électriques[vii]. Pour l’Agence internationale de l’énergie l’an dernier, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique mondial « passerait

Par Bell R.

18 juin 2025

Le déploiement de la « Fondation humanitaire de Gaza » est une étape supplémentaire dans l’effondrement du système international de secours

Pierre Micheletti, président d’honneur d’Action Contre la Faim, ancien président de Médecins du Monde, membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), auteur de « 0,03 % ! Pour une transformation du mouvement humanitaire international », éditions Parole, 2020. La création en début d’année de cette « Fondation » de droit suisse soutenue par les gouvernements Trump et Netanyahou constitue le symptôme d’un modèle humanitaire en crise accentuée, dont la situation à Gaza est un des derniers exemples les plus frappants. À ce titre, la conférence internationale du 17 au 20 juin relative à la situation en Palestine, qui se tiendra à New-York sous l’égide de l’ONU, co-présidée par la France et l’Arabie saoudite, devrait impérativement rappeler les fondamentaux du droit international humanitaire et la non-instrumentalisation des acteurs de l’aide humanitaire. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Trump et le télescopage de cet avènement avec le conflit majeur qui secoue la bande de Gaza, se cumulent des évolutions de différentes natures qui toutes convergent pour détruire le dispositif d’aide internationale d’urgence bâti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le modèle humanitaire qui prévalait jusqu’à fin 2024 mobilisait trois grandes familles d’acteurs, toutes inspirées par les intuitions initiales du Suisse Henry Dunant après qu’il eut assisté, en 1859, à la bataille de Solférino et crée, avec le juriste Moynier, et Dufour, général à la retraite, une structure qui va donner naissance au Comité International de la Croix-Rouge (CICR) puis au mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Le CICR sera le premier instigateur de la construction du droit international humanitaire (DIH) dans sa déclinaison moderne. Deux autres familles composent le tableau des acteurs primordiaux de l’aide humanitaire : les agences des Nations unies impliquées dans la gestion des urgences sur les terrains de crise (HCR, UNICEF, PAM, OIM, OMS, etc. [1]), et les ONG internationales. Toutes ces organisations ont pour dénominateur commun le respect des principes fondamentaux que sont l’humanité, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance. De même, toutes respectent les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels. Ces textes, progressivement élaborés et actualisés depuis la bataille de Solférino, visent à « humaniser » la guerre, et à œuvrer à ce que tout ne soit pas possible, même durant un conflit, en matière de violence armée, en particulier à l’égard des combattants blessés, des prisonniers de guerre, et des populations civiles prises dans la tourmente des combats. Le système en place n’était pas parfait, ni exempt de reproches entendables. L’analyse plus attentive met en lumière quatre points de fragilité, quatre « tentations » que le dispositif révélait[2] : l’occidentalo-centrisme des pays financeurs et les suspicions de « soft power» qu’on leur prêtait à travers les fonds attribués ; les rétractions financières dont le système était capable quand des préoccupations nationales prenaient le pas, comme pendant l’épidémie de Covid 19, sur les besoins de la solidarité internationale dans les pays les plus fragiles ; le néo-libéralisme comme marque de fabrique d’un dispositif où les principaux pays donateurs choisissaient les crises auxquelles ils voulaient engager leurs fonds, laissant le soin aux ONG d’aller collecter auprès des citoyens de leurs pays d’implantation près de 20 % des sommes annuelles mobilisées[3]; la tentation d’une logique sécuritaire qui s’amorçait, amenant les financeurs à vouloir imposer des procédures de filtration des employés et partenaires opérationnels de terrain des ONG pour écarter tout risque de soutien à des personnes et/ou organisations proches de groupes considérés par ces mêmes pays donateurs comme terroristes[4]. Ces même financeurs pouvant en outre solliciter que ces « screening» (criblages) s’appliquent directement aux personnes aidées, ce que les organisations humanitaires avaient jusqu’ici toujours refusé[5][6]. À ceci s’ajoute le fait que les difficultés financières étaient chroniques, avec un déficit de ressources par rapport aux évaluations des besoins réalisées par les Nations unies, de 40 % chaque année depuis une dizaine d’années, pour un niveau global de dépenses de 43 milliards de dollars en 2023[7]. C’est sur cet état des lieux que survint la secousse majeure qui allait frapper un modèle économique déjà fragile, avec le brusque retrait des financements octroyés au système décrit par le nouveau gouvernement des États-Unis, premier financeur mondial de l’aide. Ce retrait eut d’immédiates conséquences sur le sort des 300 millions de personnes en besoin d’assistance humanitaire, faisant par ailleurs peser des dangers existentiels sur l’ensembles des acteurs humanitaires internationaux. Ce séisme advint alors même qu’à Gaza tous les fondamentaux du DIH sont foulés au pied de façon décomplexée, dans une paralysie de toutes les instances sensées être les garantes de son application : plus de 50 000 morts à ce jour, dont une large proportion de femmes et d’enfants ; plus de 400 tués parmi les travailleurs humanitaires[8], faisant de ce conflit le plus mortel des guerres contemporaines pour le personnel des différentes organisations humanitaires ; décisions restées sans effets des avis et condamnations présentés par la Cour pénale internationale et par la Cour internationale de justice. Parmi les organisations de l’ONU, l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) est plus particulièrement la cible d’une stratégie d’éradication par une série de manœuvres financières et politiques, adossées à une campagne de diabolisation, jamais clairement argumentée, pour complicité avec les auteurs des massacres terroristes du 7 octobre en Israël. Peu à peu sont ainsi progressivement réduits à la paralysie tous les acteurs du multilatéralisme de l’aide humanitaire internationale, en particulier à Gaza. C’est dans ce contexte qu’émerge, après les annonces politiques de « Riviera bis », puis celui de déportation massive de l’ensemble de la population gazaouie, une nouvelle proposition, la mise en place d’une « Fondation Humanitaire pour Gaza ». Organisation nébuleuse, créée pour la circonstance, dont les financements, les acteurs, les pratiques opérationnelles et les stratégies de contrôles des personnes aidées s’inscrivent dans un total déni des principes fondateurs de l’action humanitaire. C’est précisément à cause du risque évident de non-respect des principes fondamentaux que Jake Wood – ancien militaire états-unien devenu entrepreneur social -, pressenti pour être le directeur de cette structure, a jeté l’éponge le 25 mai dernier[9]. Son successeur serait Johnnie Moore, un

Par Micheletti P.

10 juin 2025

Résister et reconstruire

La résistante Lucie Aubrac affirmait que « le verbe résister se conjugue toujours au présent ». À l’heure où la vague du backlash anti-écologique monte en puissance de manière inédite en France et alors que le dérèglement climatique s’accélère, il est aujourd’hui plus que jamais venu le temps de la résistance écologique, le temps de « résister et reconstruire ». Le renoncement écologique est hélas bien incarné par Emmanuel Macron qui avait promis lors de son grand meeting de l’entre-deux tours à Marseille que son second quinquennat « sera écologique ou ne sera pas ». Cette prédiction semble s’être avérée juste tant l’impasse politique dans laquelle notre pays est plongé depuis la dissolution de l’été 2024 s’accompagne aujourd’hui de régressions sans cesse plus importantes sur le plan écologique. La loi de finances pour 2025, adoptée en février dernier, s’est traduite d’abord par des coupes budgétaires significatives dans les dépenses en faveur de la transition écologique. Ainsi, le budget de « Ma Prime Renov » a été divisée par deux (de 4 milliards à 2,3 milliards d’euros), les aides à l’achat de véhicules électriques divisées par trois (ramenées à 700 millions d’euros), et les aides aux énergies renouvelables ont subi une baisse de 200 millions d’euros. D’autres politiques publiques stratégiques de la transition écologique ont été affaiblies par le budget 2025 comme le « Fonds vert » pour les territoires, la politique de l’eau, les transports et l’agriculture.  Ces coupes budgétaires effectuées sur le dos de la transition écologique comme le renoncement aux mesures de fiscalité écologique ne peuvent que compromettre davantage notre avenir commun. Présenté par François Bayrou comme un budget de responsabilité et de compromis, il y a au contraire une forme d’irresponsabilité à sacrifier les investissements d’avenir sur l’autel des contraintes budgétaires immédiates. Une faute d’autant plus préjudiciable que nos dépendances énergétiques alimentent sur le plan financier l’effort de guerre de la Russie contre l’Ukraine. Pire encore, tout se passe comme si l’adoption des régressions écologiques et sociales contenues dans la loi de finances 2025 avait banalisé et légitimé toutes sortes de nouvelles remises en cause encore impensables il y a peu. Les pouvoirs publics semblent désormais reculer sur l’ensemble des normes de protection environnementale. Ainsi le projet de loi en faveur de la simplification de la vie économique, sous couvert de simplifier, introduit des régressions écologiques majeures à travers la remise en cause de dispositifs tels que le « zéro artificialisation nette » (ZAN) ou les « zones à faible émission » (ZFE) ou d’instances de dialogue écologique comme la commission nationale du débat public (CNDP). Les agences administratives écologiques sont désormais menacées d’une pure et simple suppression, comme l’Office français de la biodiversité (OFB), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), l’Agence Bio et même Météo France. Sous la pression des lobbys, ces projets remettent ainsi en cause une partie des avancées obtenues par la loi Climat et Résilience de 2021. Il en est de même de la proposition de loi « pour lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » portée par le sénateur Laurent Duplomb, adoptée au Sénat et programmée à l’Assemblée nationale fin mai, qui ré-autorise les néonicotinoïdes dont l’usage avait été interdit en 2018. Pourtant, nous ne sommes pas condamnés à ces renoncements écologiques et sociaux. Dans cette période où la résignation tend à gagner nos responsables publics, il est nécessaire de rappeler qu’un autre chemin est possible. C’est le sens de la résistance qu’incarnent les mobilisations écologistes qui ont lieu un peu partout en France, avec des victoires récentes marquantes contre les méga-bassines dans les Deux-Sèvres ou contre l’A69 dans le Sud-Ouest. C’est aussi le sens du projet de reconstruction écologique que porte l’Institut Rousseau depuis sa création il y a cinq ans maintenant. Un projet politique à la hauteur des défis économiques, sociaux et démocratiques générés par le nouveau régime climatique dans lequel nous entrons. Un projet qui se traduirait notamment par une réorganisation de la société autour de plusieurs propositions structurantes dont : la gestion démocratique des communs comme l’eau[1] et l’alimentation[2] ; la refondation de la démocratie[3]et la responsabilisation des médias dans leur traitement des enjeux environnementaux[4] ; la mise en place d’une garantie à l’emploi vert[5] ; une réallocation du temps à l’échelle de la société[6] ; un plan d’investissement massif à hauteur d’un peu plus de 2 % du PIB[7] ; la restructuration de la dette publique[8] ; la mobilisation de l’arme monétaire dans une perspective écologique[9]. Dans la continuité historique du programme du Conseil national de la Résistance « Les jours heureux » conçu dans la clandestinité, l’urgence écologique appelle aujourd’hui non seulement un effort matériel et financier inédit pour décarboner notre économie mais plus largement une réinvention de notre organisation collective et de nos institutions comme cela a été le cas lors de la création de la sécurité sociale il y a 80 ans. Récemment, l’interdiction des polluants éternels comme l’adoption de la taxe Zucman sur les grandes fortunes à l’Assemblée nationale, massivement soutenues par la société civile et les associations écologistes, ont rappelé que cet autre chemin politique était possible. Contrairement aux idées du reçues, cette « résistance écologique » trouve aujourd’hui un écho profond dans la société : une étude du Cevipof réalisée en février 2025[10] révèle que 83 % des Français jugent urgent de se mobiliser contre le changement climatique et 70 % estiment que l’État n’en fait pas assez. Ce n’est pas moins d’écologie mais bien du courage politique qu’attendent nos concitoyens. Car l’écologie n’est pas le problème, elle est la solution. [1] « Institutionnalisons la sobriété hydrique en France ! », en partenariat avec le collectif Pour un réveil écologique, février 2024, https://institut-rousseau.fr/institutionnalisons-la-sobriete-hydrique-en-france/ [2] « Vers une Sécurité sociale de l’alimentation », octobre 2024, https://institut-rousseau.fr/vers-une-securite-sociale-de-l-alimentation/ [3] « Réveiller la démocratie, transition écologique et projets européens », octobre 2022, https://institut-rousseau.fr/editorial-octobre-2022/ [4] « Proposition de loi relative à la responsabilité des médias dans le traitement des enjeux environnementaux et de durabilité », en partenariat avec Quota Climat, 19 juillet 2023, https://institut-rousseau.fr/proposition-de-loi-relative-a-la-responsabilite-des-medias-dans-le-traitement-des-enjeux-environnementaux-et-de-durabilite/ [5] « Pour une garantie à l’emploi vert », février 2021, https://institut-rousseau.fr/editorial-octobre-2022/ [6] « Pour un ministère du temps libéré », juillet 2023, https://institut-rousseau.fr/pour-un-ministere-du-temps-libere/ [7] 2 % pour 2°C : Les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre la

6 mai 2025

L’adaptation n’est pas une question technocratique, c’est celle de l’institutionnalisation de l’entraide

Pour la sortie de son essai graphique « S’adapter au changement climatique Fake or Not ? » paru le 7 novembre aux éditions Tana, Ilian Moundib Ingénieur spécialiste des questions de résilience climatique propose de reformuler complètement l’approche technocratique de l’adaptation. Les terribles inondations de Valence nous ont à nouveau rappelés à la réalité violente d’un extrême météorologique sous changement climatique alors que nous ne sommes encore qu’à +1 °C. Imaginez maintenant son équivalent à +3 °C dans le monde c’est-à-dire +4 °C en France, car le continent européen se réchauffe plus rapidement que le reste du monde. Devant ce tableau, un Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC3) sans financement et sans boussole paru il y a quelques semaines semble déjà hors de propos. Il n’y a pas de « dette écologique », mais plutôt une destruction irréversible des conditions d’habitabilité de notre pays. Nos sécurités sanitaires, alimentaires et hydriques sont déjà en danger. Ainsi, nous n’avons plus le choix que d’organiser le ré-encastrement de nos économies dans les limites planétaires. Pourtant, réduire l’adaptation à un sujet d’experts est une erreur fondamentale. Il faut politiser la notion pour qu’elle puisse faire l’objet de choix démocratiques conscients et éclairés. Il faut reformuler la question de l’adaptation comme celle de la mise en sécurité sociale des besoins vitaux et des communs. L’effondrement en cours va continuer à disloquer les réseaux de transports, d’eau d’électricité, etc. et donc l’accès aux communs dont nous dépendons pour accéder à nos besoins vitaux. En ce sens, le statu quo nous place durablement en insécurité alimentaire, hydrique, sanitaire et sociale. Nous ne pourrons affronter le monde fluctuant sans généraliser concrètement les réflexes de l’entraide. Atténuer le changement climatique c’est permettre l’adaptation Rappelons d’abord l’essentiel, l’atténuation du changement climatique est la condition de notre adaptation. En effet, la dérive climatique n’est pas linéaire, il existe des paliers d’emballement et au-delà de 2 °C, tout devient incertain. Au-dessus d’un certain seuil de réchauffement, la circulation thermohaline[1] s’arrêtera au moins partiellement et avec elle l’efficacité de la plongée du carbone atmosphérique dans l’océan. Les conditions de sécheresse de l’Amazonie deviendront si intenses qu’une partie de la forêt tropicale se changera en savane et tout son carbone retournera à l’atmosphère. Sur le front de l’emballement climatique, nous sommes actuellement face à une incertitude insurmontable. Les scientifiques ne s’accordent pas sur les seuils. Cet emballement a peut-être même déjà commencé avec l’effondrement des puits de carbone constaté en 2023. Ainsi, en réalité, rien ne garantit que nous nous arrêterons magiquement à +4 °C en France. Un troisième plan d’adaptation pour rien ?  Début 2024, l’ancien ministre Christophe Béchu désignait l’adaptation comme « un chantier comparable à celui de la Libération : il faut tout reconstruire, tout repenser, faire évoluer nos modèles, nos référentiels, nos règles. […] Il faut l’élever à un degré de priorité égal à celui d’une politique régalienne. » 10 mois de travail plus tard, nous avons devant les yeux 51 mesures qui, individuellement, parcourent de façon cohérente les différents enjeux sans pour autant dessiner, ensemble, les contours d’une véritable planification. Nous ne sommes pas face à « un plan d’adaptation », mais à un catalogue de recommandations parfois pertinentes, mais souvent trop vagues et non opérationnelles. Le PNACC3 fournit un cadre, définit des objectifs et égraine une série de consultations. Dans les grandes lignes, il consiste en une incitation des grands acteurs publics et privés à initier un diagnostic de risque climatique sur leur territoire et le long de leur chaine de valeur. Tout cela est un indispensable, mais nous aurions pu attendre tellement plus. Il faut dépasser un constat déjà fait et refait pour planifier une réelle adaptation à la hauteur des défis à affronter. Ce ne sont pas les 75 millions d’euros supplémentaires accordés au fond Barnier qui permettront à nos territoires littoraux et à nos collectivités d’Outremer d’organiser la relocalisation des activités menacées par l’élévation du niveau de la mer. Si peu de moyens sont prévus pour accélérer l’inclusion de trames vertes, bleues et noires dans nos villes pour mieux résister au trop chaud et au trop d’eau. Le PNACC fait état d’un objectif de renaturation de 1 000 ha d’espaces urbains par an alors que c’est autour de 20 000 ha qui sont artificialisés chaque année. Le déficit est de 19 000 ha par an, soit la superficie de la ville de Dijon. Dans un contexte d’effondrement de nos puits de carbone forestier, les effectifs de l’Office National des Forêts continuent d’être réduits à peau de chagrin en plus des menaces qui pèsent sur les autres opérateurs publics de l’adaptation (ADEME, Météo France, etc.). Pas de retour en arrière non plus sur la diminution de l’enveloppe allouée au dispositif Ma Prime Renov’. Pour organiser une adaptation à la hauteur, il nous faut une planification écologique qui se donne les moyens de prévenir et d’organiser la transformation post-catastrophe. Surmonter l’adaptation technocratique par la réappropriation des Communs Pour s’adapter, il faut d’abord prévenir le risque. Ainsi, l’enjeu est celui de l’accès et du partage des communs. S’adapter c’est conserver un air respirable, une terre hors d’eau, une eau douce disponible et potable, un sol nourricier, des végétaux qui captent du carbone, une qualité de vie et une fraternité. Pour préserver ces 7 communs, il faut organiser 7 planifications. Pour affronter le trio infernal : canicule, sécheresse et inondation, il faudra réinventer notre aménagement du territoire en désartificialisant de toute urgence nos villes, en y incluant des trames vertes, bleues et noires, en restaurant le flux naturel de nos cours d’eau et en régénérant nos écosystèmes fluviaux et côtiers. Il faudra stopper l’artificialisation du périurbain et du littoral pour libérer les sols. Nous devrons institutionnaliser la sobriété hydrique et le partage de l’eau. Nous devrons accomplir la bifurcation agricole en généralisant le paradigme de l’hydrologie régénérative. L’enjeu est de réinventer une sylviculture capable de maintenir nos puits de carbone vivant. Il faudra trouver le moyen de mettre en œuvre une réindustrialisation tournée autour de l’économie circulaire tout en généralisant les réflexes de solidarité dans la population. Organiser l’entraide pour entrer durablement dans le monde fluctuant Comme après le séisme de septembre 2023 qui avait ravagé le

Par Moundib I.

14 novembre 2024

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