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Sommaire

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    La revue monétaire de l’immobilisme

    La BCE a créé la surprise, ce jeudi 8 juillet 2021, en annonçant les conclusions de sa revue de politique monétaire, qui n’étaient attendues qu’à l’automne. Hélas, ce fut la seule surprise dont elle fut capable. Un mot d’abord sur la méthode : pourquoi sortir cette revue maintenant, presque en catimini et de manière inattendue, alors qu’il y a encore tant à discuter et que de nombreuses voix, à l’instar de l’Institut Rousseau, appellent la BCE à modifier radicalement sa politique ? Est-ce pour mettre le corps social européen devant le fait accompli et couper court à toutes les discussions qui montent en ce moment autour du rôle de la BCE[1] ? Sauf que les principes posés par cette revue sont là pour durer : on parle d’effets sur une période de dix ans tandis que certaines « actions » prévues dans le cadre de cette revue n’entreront pas en vigueur avant 2024. Quel besoin donc de brusquer les choses de la sorte ? En second lieu, l’annonce du 8 juillet est une occasion manquée. Elle rappelle cruellement à ceux qui croient encore à la neutralité de la politique monétaire que l’indépendance des banques centrales les conduit nécessairement à l’impuissance devant les choix d’envergure dont nous avons urgemment besoin. Or l’impuissance monétaire aujourd’hui signifie l’incapacité, demain, de relever les défis écologiques et sociaux qui sont les nôtres. Passons en revue ces insuffisances. I. L’impératif de lutte contre l’inflation n’est pas vraiment assoupli En matière de cible d’inflation déjà, objectif principal de la politique monétaire assigné au système européen de banques centrales à l’article 127 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. L’idée centrale est la suivante : transformer l’objectif d’inflation « proche mais inférieur à 2 % » en un « objectif symétrique d’inflation de 2 % ». Quel changement cela implique-t-il donc ? Rien, ou presque. Pour le comprendre, revenons au choix fait par la Federal reserveaméricaine, en septembre dernier, de mettre en place une notion de cible flexible d’inflation moyenne. Confrontée à un retour timide de l’inflation, la Fed avait alors acté le fait qu’elle ne relèverait ses taux d’intérêt directeurs que si l’inflation était durablement supérieure à 2 % par an, non seulement pour s’assurer que celle-ci était bien ancrée solidement mais également pour compenser les périodes précédentes où l’inflation est restée trop faible pour stimuler suffisamment les revenus. L’approche de la BCE est bien moins ambitieuse : si elle admet que le niveau de 2 % peut être dépassé temporairement sans susciter de resserrement immédiat de sa politique, la Banque centrale de Francfort conserve bel et bien cette cible d’inflation et ne précise pas combien de temps un dépassement éventuel serait toléré, ni comment elle agira en cas de dynamique inflationniste différentiée entre les pays de la zone. En particulier, aucun rattrapage n’est prévu de la dernière décennie durant laquelle le taux d’inflation a été systématiquement inférieur à 2 %, entraînant une atonie de l’investissement et un accroissement vertigineux des inégalités entre rentiers et salariés. Autrement dit, là où la Fed adopte une cible d’inflation moyenne de long terme avec une volonté de rattrapage de la décennie perdue, Francfort conserve l’objectif de 2 % à court et moyen terme, qui plus est de manière très imprécise. Enfin, la BCE recommande d’inclure les loyers fictifs des propriétaires dans l’indice des prix, ce qu’Eurostat fait déjà, au risque que cela conduise à resserrer la politique monétaire en augmentant artificiellement le niveau d’inflation constaté. Surtout, la revue passe complètement à côté du vrai problème : pourquoi l’augmentation massive du bilan de l’Eurosystème, passé en une décennie de moins de 1500 milliards à plus de 7500 milliards d’euros, n’a-t-elle pas été capable ne fût-ce que de ramener l’inflation à un niveau proche de 2 % ? La BCE multiplie par cinq sa taille de bilan, et donc l’usage de la planche à billets, sans aucun effet sur l’inflation ! Étonnant, n’est-ce pas ? La réalité est que la boulimie de Francfort n’a profité qu’aux banques et aux marchés financiers[2]. Ne serait-il pas temps de s’interroger sur les canaux de transmission de la politique monétaire et de permettre enfin à la banque centrale de financer directement des dépenses d’intérêt général, notamment en faveur de la reconstruction écologique ?[3] II. Les outils de politique monétaire ne sont pas renouvelés Or les annonces du 8 juillet révèlent qu’aucune réflexion innovante n’a abouti sur les outils de politique monétaire : le taux d’intérêt directeur, uniforme et mal adapté à la diversité des situations et des pays entre la Baltique et la Sicile, demeure l’instrument principal de la politique monétaire. Quant aux autres outils, ils sont d’avance menacés d’incohérence : la BCE pourra continuer d’inonder les banques privées de liquidités à court terme, puis, en imposant des taux négatifs à leurs dépôts au guichet de Francfort, tenter vainement d’inciter ces dernières à faire usage de cette manne en faveur de l’économie réelle… tout en continuant de leur prêter des sommes vertigineuses à taux réels négatifs sur le long terme via les TLTRO[4]. De nombreux autres outils de politique monétaire innovants pourraient être mobilisés pour mettre enfin la monnaie au service du bien commun : instaurer des taux d’intérêt différenciés en fonction des besoins des pays ou de l’intensité carbone des actifs collatéraux des banques emprunteuses, annuler le stock de 3.000 milliards d’euros de dettes publiques que détient la BCE en échange d’investissements écologiques et sociaux par les États, ne plus accepter les actifs fossiles en collatéraux lors des refinancements, pratiquer une création monétaire et ciblée, acheter massivement des titres écologiques en coordination avec les Etats ou les banques publiques d’investissement, dédier un programme d’achats à la seule dette publique émise pour financer la transition climatique ce qui lui permettrait de la faciliter sans financer directement des gouvernements. etc. Si certains ont été discutés en coulisse, pas un seul n’est évoqué dans le document final rendu public par Francfort. Le même conservatisme s’affiche quant aux effets de la politique monétaire sur les prix d’actifs financiers, largement gonflés par sa politique mal ciblée. Mais là encore, aucune mesure, aucune annonce pour essayer de trouver une solution à ce piège dans

    Par Dufrêne N., Giraud G., Espagne É.

    15 juillet 2021

    Une finance aux ordres Comment le pouvoir chinois met le secteur financier au service de ses ambitions

    Alors que Huawei et TikTok ont défrayé la chronique cette année, alors que les ambitions commerciales, technologiques et militaires de la Chine sont devenues des enjeux de premier plan, le secteur financier chinois reste curieusement sous les radars. Sait-on, par exemple, que le système bancaire chinois est depuis 2016 le plus grand du monde par actifs, dépassant celui de la zone euro ? Sait-on que China Development Bank et Export-Import Bank of China détiennent à elles deux plus de créances à l’international que la Banque mondiale ? Au-delà de sa taille et de sa croissance accélérée, c’est le fonctionnement qualitatif du système financier chinois qui gagne à être connu. Car les grandes institutions financières chinoises ont cela de particulier qu’elles sont des entités hybrides, mi-économique mi-politiques, à la fois organes du Parti-État et acteurs de marché. La finance chinoise dans son ensemble est assujettie à des mécanismes de contrôle multiples qui en font avant tout un instrument au service du pouvoir. Alors que ces dernières décennies nous ont habitués, en Europe, à des secteurs financiers plus prompts à imposer leurs priorités aux États que l’inverse, il peut être instructif de décentrer la perspective pour faire voir comment un ordre financier tout autre est en train de monter en puissance en Chine. Introduction Certaines statistiques financières chinoises sont susceptibles de donner le tournis. Gongshang Yinhang 工商银行, plus connue à l’étranger sous le nom d’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), disposait en début d’année de 30 100 milliards de yuans d’actifs (l’équivalent de 3 900 milliards d’euros). Cette somme, égale à plus d’une fois et demi le PIB français, fait d’ICBC la plus grande banque du monde, et de loin (à titre de comparaison, BNP Paribas, plus grande banque française et deuxième plus grande banque d’Europe, ne pèse que 2 400 milliards d’euros). Le bilan d’ICBC, cependant, ne représente que 10 % des actifs bancaires chinois. Le montant total de ces derniers s’élevait en juin 2020 à 309 000 milliards de yuan (39 000 milliards d’euros) – soit 17 fois le PIB français, deux fois le PIB américain… et trois fois le PIB chinois[1]. Autre fait notable, l’actionnaire majoritaire d’ICBC est le gouvernement central. C’est également le cas de la deuxième plus grande banque du pays (China Construction Bank), de la troisième (Agricultural Bank of China), la quatrième (Bank of China), la cinquième (China Development Bank) – et même chose pour les quelques suivantes. La Chine nous présente donc ce qui, vu d’Occident, a tout l’air d’un paradoxe : une expansion financière accélérée, une financiarisation de plus en plus poussée de l’économie, mais dans l’orbite de la puissance publique. En somme, une dynamique historique inverse de celle qui a vu les secteurs financiers de nombreux pays occidentaux – États-Unis, Grande-Bretagne, France notamment – grossir et s’internationaliser depuis un demi-siècle en s’émancipant de plus en plus des contraintes réglementaires imposées par les États. Cette note propose un aperçu des caractéristiques principales du système financier chinois. Il s’agit en particulier de montrer les mécanismes qui entérinent le contrôle politique sur la finance, ainsi que les façons dont le capital financier est mobilisé par le pouvoir comme vecteur essentiel de sa politique de développement et de puissance. Le secteur financier est devenu un outil indispensable au Parti-État pour réaliser ses ambitions dans différents domaines, qu’il s’agisse de la macroéconomie (croissance, emploi), de la politique industrielle et technologique, du développement local ou des relations internationales (investissements à l’étranger, « Nouvelles Routes de la Soie »). Dans tous ces champs d’intervention, le déploiement du capital financier se substitue aux ressources fiscales des administrations, émancipant la politique économique des contraintes budgétaires dont on connaît la pesanteur dans les pays occidentaux. Un tel modèle financier, nous l’évoquerons aussi, n’est pas sans risques et sans travers, entre une addiction croissante à la dette, des opportunités multiples de corruption, et un degré d’arbitraire à la mesure de l’autoritarisme du pays. I. Un paysage financier sous domination étatique I. A. Une omniprésence du capital financier public La finance chinoise est principalement axée sur le secteur bancaire et les activités de prêt. Les marchés de capitaux et la « finance de marché » (actions, obligations, titres divers) y jouent un rôle de complément dans le financement de la vie économique. Ainsi, selon les données de la banque centrale, les prêts en cours en monnaie locale représentent aujourd’hui 60,3 % du « financement agrégé de l’économie réelle », comparé à 9,8 % pour les obligations à destination d’entreprises non-financières[2]. Le système bancaire lui-même est divisé depuis le milieu des années 1990 en plusieurs segments qu’il s’agit de savoir distinguer[3]. Il existe d’abord trois banques de développement publiques dont les activités sont en principe entièrement guidées par les objectifs de la politique nationale : China Development Bank (CDB), Export-Import Bank of China (Exim Bankpour faire court) et Agricultural Development Bank of China (ADBC)[4]. On trouve ensuite quatre banques commerciales étatiques, parfois désignées sous le nom de « Big Four », qui sont aussi les quatre plus grandes banques chinoises par actifs : Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), China Construction Bank (CCB), Agricultural Bank of China (ABC ou AgBank) et Bank of China (BOC) – il faut éviter de confondre cette dernière avec la banque centrale chinoise, qui se dénomme People’s Bank of China ou Banque populaire de Chine en français. À ces quatre banques commerciales, on en ajoute parfois deux autres, tout aussi étatiques, passant donc des « Big Four » aux « Big Six » : Bank of Communications (Bofcom) et Postal Savings Bank of China (PSBC). Ces « Big Six » sont toutes cotées en bourse, à Shanghai, Hong Kong ou New York, alors même que le gouvernement central y garde des participations majoritaires. Le segment suivant est constitué d’une douzaine de banques d’envergure nationale dites « à capitaux mixtes ». Ces banques sont toutes sous contrôle politique également, leurs principaux actionnaires étant des entités publiques. La seule exception est Minsheng Bank, dont les actionnaires sont privés – mais dont les dirigeants seraient nommés par le Parti communiste, selon plusieurs sources concordantes[5]. D’autres segments moins significatifs du système bancaire chinois sont les « banques commerciales urbaines » et les « banques commerciales rurales » (à périmètre

    Par Sperber N.

    5 décembre 2020

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