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Face aux pièges de l’écologie « punitive », quelles restrictions les plus efficaces et justes ?

Résumé exécutif   Les débats sur l’écologie soulignent régulièrement la question des « restrictions » à imposer ou non aux populations. De manière quasi systématique, les opposants au changement agitent le spectre de l’écologie « punitive » et font passer la moindre contrainte réglementaire comme une grave atteinte à la liberté. Or, en complément d’une réorientation massive des investissements vers les activités durables, il est clair que des outils réglementaires et normatifs doivent être mobilisés. Mais pas n’importe lesquels.   À travers des exemples précis empruntés aux secteurs de la mobilité, du logement et de l’agriculture, cette note met en lumière le caractère inefficace et socialement injuste des mesures actuellement les plus discutées dans le débat public. Ces débats mal posés jouent un rôle central dans le statu quo actuel : repoussoir légitime pour une part importante de la population, ils aggravent le fossé entre l’opinion publique et la nécessité d’agir face aux enjeux écologiques, et permettent aux décideurs publics de justifier leur inaction voire un recul de l’action publique sur ces questions. La taxe carbone sur le carburant sans proposition d’alternatives (point de départ de la crise des gilets jaunes), ou encore les normes pesant sur nos agriculteurs au profit de l’importation de viandes issues d’élevages intensifs non soumises à ces contraintes, en sont de bons exemples.   En miroir, cette note reprend plusieurs propositions développées dans des notes et rapports précédents de l’Institut Rousseau[1] sur les thématiques du transport (partie 1), du logement (partie 2) et de l’agriculture (partie 3) afin de les comparer avec les mesures « restrictives » actuellement les plus débattues et d’en préciser les impacts écologiques et sociaux potentiels (partie 4). La note conclut ensuite sur la question des alternatives (partie 5) et de l’opportunité de restrictions ciblées et non générales (partir 6) :   1. Promouvoir des malus ciblés plutôt que des zones à faibles émissions (ZFE) 2. Restreindre le logement occasionnel plutôt que le neuf abordable 3. Limiter les importations issues de l’élevage intensif plutôt que l’élevage extensif local 4. L’impact écologique de ces mesures : majeur à court terme, complémentaire à long terme 5. Accepter que les alternatives ne soient jamais parfaites 6. Passer de restrictions générales inutiles à des contraintes ciblées bénéficiant à la majorité   Le spectre de l’écologie « punitive » s’alimente de perspectives de restrictions trop générales, peu efficaces et régressives. Celles-ci constituent de véritables aubaines politiques pour les divers populismes anti-écologiques. Cette note ambitionne de déconstruire cet épouvantail en démontrant que le problème, ce ne sont pas les normes et restrictions environnementales en elles-mêmes mais la façon dont elles sont conçues et formulées dans le débat public. Et que des restrictions efficaces et justes, seules à pouvoir remporter un soutien populaire, sont possibles. Les débats sur l’écologie soulignent régulièrement la question des « restrictions » à imposer ou non aux français et plus globalement aux populations des pays développés. Certains en font la promotion générale, d’autres les craignent et beaucoup utilisent le spectre de l’écologie « punitive » comme argument pour ne rien faire. Or, en complément d’investissements massifs réorientés vers les activités durables (décrits de façon détaillée dans les rapports « 2% pour 2 degrés » et « Road to Net Zero » et la note « Quelles transformations globales pour une transition écologique effective ? » de l’Institut Rousseau), il est clair que des outils réglementaires et fiscaux doivent également être mobilisés. Des restrictions seront nécessaires pour réduire plus vite et plus fort nos empreintes écologiques et dépendances extérieures, mais pas n’importe lesquelles. Pour être opérantes et acceptables, il faut que ces restrictions : N’aggravent pas les inégalités déjà croissantes, et même les réduisent, en centrant les contraintes sur les ménages et organisations ayant le plus de moyens, et en introduisant des malus sur les comportements non vertueux qui permettent de financer des alternatives à bas coût pour la majorité. Aient des impacts écologiques importants (en termes de gaz à effet de serre, de polluants sanitaires et/ou de biodiversité), à court et moyen terme, afin de légitimer les efforts demandés. Complètent les solutions alternatives, en particulier lorsque ces alternatives arrivent à maturité et sont largement accessibles ou lorsque les soutiens aux alternatives écologiques n’ont plus d’effet sur leur adoption par certains publics. Loin de ces conditions d’efficacité et de justice sociale, les restrictions actuellement les plus débattues ont des impacts écologiques limités voire négatifs, tout en aggravant les inégalités sociales. Cela est notamment dû au fait que ces restrictions sont présentées de façon très générale (« anti-voitures », « anti-maison », « anti-viande ») et gomment ainsi les indispensables subtilités à prendre en compte pour être à la fois efficaces et justes. Plus précisément, les restrictions générales s’appuient sur trois grandes illusions, largement documentées par les données scientifiques récentes et les évaluations indépendantes : L’illusion des « moyennes », qui stigmatise les impacts d’objets généraux, en particulier « la voiture»[2], « la viande »[3] ou « la maison individuelle »[4], alors que leurs impacts sont loin d’être homogènes. En conséquence, des écarts de 1 à 10 sont gommés et des activités bénéfiques sont jetées avec l’eau du bain. Par exemple, les viandes sont stigmatisées de manière générale, alors que les élevages bovins extensifs ont des impacts écologiques globaux très positifs[5]. De même, des restrictions sont envisagées pour l’ensemble des populations, sans distinguer de sous-populations en fonction de leurs statuts (organisation ou particulier), revenus ou accès aux alternatives. L’illusion des « politiques actuelles » qui auraient déjà essayé mais, malgré de nombreuses incitations, auraient échoué à limiter les pollutions, démontrant par-là que les incitations sont inefficaces et que la seule solution serait de passer à une coercition homogène des masses. À l’inverse de ce postulat, il faut rappeler que les politiques actuelles sont en réalité fortement pro-fossiles[6]. Si les politiques incitaient réellement à des pratiques durables ou que celles-ci étaient déjà largement accessibles, des restrictions pourraient alors être efficaces, à condition d’être ciblées sur des acteurs et pratiques clés, par exemple les entreprises ayant de larges flottes automobiles ou les multi-propriétaires de logements et/ou de locaux tertiaires. L’illusion de la « réglementation magique », qui consiste à penser qu’une interdiction a un effet immédiat et absolu, sans effets de « transfert »

Par Desquinabo N.

6 mai 2024

Quelle stratégie pour un logement abordable et durable ?

Les politiques publiques menées en France ne permettent pas de contenir le coût croissant des logements, dont le poids est passé de 20 à 30 % des revenus de la majorité de la population[1]. Si des territoires subissent une vacance élevée[2], les pénuries dans les zones tendues sont telles[3] que les constructions de logements restent très insuffisantes, alors que leurs impacts écologiques sont déjà importants, notamment en termes de gaz à effet de serre (plus d’un tiers des émissions de l’industrie[4]). Les divers travaux d’évaluation des politiques du logement soulignent que ces résultats médiocres s’expliquent surtout par des soutiens « inversés » : les fiscalités favorisent les rentes immobilières au détriment des logements pérennes abordables. De plus, la métropolisation aggrave les pénuries de logement dans les zones tendues et les problèmes de vacance ailleurs. Pourtant, des politiques cohérentes et efficaces sont possibles et parfois déjà mises en œuvre dans des pays étrangers ou des territoires français. En complément d’une hausse des dépenses en faveur des logements abordables, le succès de ces politiques implique plusieurs transformations globales : Investir dans des résidences principales « abordables » (location ou accession sociale) doit devenir plus rentable que les autres usages (de la location touristique à la rétention foncière en passant par les bureaux), qui doivent être limités dans les zones tendues (par des taxes élevées et/ou une compensation des « non résidences principales »). De la même manière, les réhabilitations lourdes doivent devenir moins coûteuses que le neuf, en particulier dans les zones moins tendues, afin de remobiliser les logements vacants dégradés (en lien avec les politiques de rénovation énergétique et du patrimoine bâti et paysager). En complément, les modalités des aides au logement et des avantages de loyers devraient être modulées selon le « taux d’effort » (la part des dépenses de logement dans le revenu). Cela permettrait de fortement diminuer le poids des dépenses de logement de plusieurs millions de ménages à court terme. De manière transversale, deux autres transformations profondes doivent être engagées par l’État, afin de tarir les principales sources des déséquilibres du logement : Le rééquilibrage de l’offre de formation et des services publics (santé, transports, etc.) vers les villes moyennes et petites permettra à moyen terme de réduire la demande excessive de logements dans les zones déjà tendues, tout en améliorant l’accès aux services publics dans les autres territoires. Un simple rééquilibrage territorial permettrait de résorber plus de la moitié du manque de logement dans les zones tendues. Une plus forte régulation des usages, loyers et qualités des logements impose également un changement d’échelle des contrôles et des sanctions, qui devraient toujours être au moins deux fois supérieures aux gains et dommages occasionnés. Au-delà de leurs effets directs sur l’accessibilité des logements, ces transformations apporteront des bénéfices publics majeurs : une forte diminution des dépenses contraintes de la majorité des Français (avec une réduction parallèle des rentes et des fraudes), une meilleure cohésion sociale et territoriale, ainsi qu’une réduction efficace et juste de l’empreinte écologique des constructions. À l’inverse, une forte réduction de la construction sans augmenter l’offre de logement abordable aurait des impacts sociaux extrêmement régressifs pour la majorité de la population, ainsi que des impacts sanitaires négatifs (liés au mal-logement) et des effets pervers écologiques (l’allongement des trajets domicile-travail). Seuls les plus aisés bénéficieraient alors d’une très forte hausse de leur patrimoine, déjà en forte augmentation depuis 2017. Après un résumé des constats sur l’impasse des politiques « pro-rentes » actuelles, nous montrerons qu’il est possible de diffuser le logement abordable tout en limitant son empreinte écologique, à condition de passer d’une politique centrée sur le nombre total de logement à une politique visant l’augmentation des résidences principales abordables ainsi que la réduction de la sur-demande dans les zones tendues. I – Des résultats très insuffisants, notamment depuis 2017 Au regard des objectifs fixés (produire 500 000 logements par an dont 150 000 logements sociaux, principalement dans les zones tendues), les politiques publiques menées en France n’atteignent que la moitié des objectifs fixés depuis 2010. La construction oscille autour de 350 000 logements construits par an[5], mais cela n’augmente l’offre de résidences principales[6] que d’environ 250 000 (+ 2,5 millions en 10 ans), après déduction des logements devenus vacants ou secondaires, dont la croissance est très forte depuis 2005. Principaux objectifs et résultats des politiques du logement 2010-2020 Principaux objectifs Principaux résultats Écart objectifs vs. résultats finaux Production de logements 500 000 par an + 380 000 logements mis en construction par an dont seulement + 250 000 résidences principales – 50 % Logements sociaux 150 000 par an + 100 000 logements sociaux agréés par an dont seulement + 70 000 « effectifs » – 55 % Sources : Comptes du logement, Parc locatif social et Insee Logement 2021 Les financements de logements sociaux varient eux autour de 100 000 par an (dont 10 000 acquisitions de logements existants dans le parc privé), mais le parc social n’augmente que de 70 000 par an, déduction faite des projets abandonnés, des démolitions et des reventes sur le marché privé non régulé. Plus grave, la construction chute surtout dans les zones ayant le plus de besoins, notamment depuis 2017. Or l’offre neuve ne suivait déjà pas l’augmentation de la population des grandes métropoles avant 2015 (+ 5 à 10 % de logements vs. + 8 à 15 % de ménages en 8 ans), malgré un volume très important de logements construits chaque année dans ces départements[7]. Les zones « tendues » correspondent principalement aux zonages A et B1, qui regroupent la plupart des grandes agglomérations, le littoral sud et quelques autres territoires touristiques (e.g. Haute-Savoie). En conséquence, l’augmentation du prix des logements dépasse +160 % depuis 20 ans alors que le revenu salarial n’a augmenté sur la période que de 40 %[8] (et l’inflation courante de 30 %[9]). Cette augmentation dépasse même 200 % dans certaines grandes agglomérations où les loyers ont presque doublé sur cette période[10]. La hausse a surtout été forte entre 2000 et 2010, puis à nouveau depuis 2017 avec +25 % en moyenne nationale sur 4 ans[11], voire davantage dans les agglomérations et littoraux déjà tendus. La plupart

Par Desquinabo N.

8 novembre 2023

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