Refonder l’organisation de l’État local et mettre fin à la libéralisation des politiques publiques environnementales consécutive aux vagues de décentralisation
Ce projet de note s’inscrit dans la continuité et en complément de celle publiée le 26 mars 2020 par l’Institut Rousseau et intitulée « Décentralisation et organisation territoriale : vers un retour de l’État ». Elle a pour objectif d’en poursuivre l’analyse sur les conséquences de la répartition actuelle des compétences au niveau local et de proposer, en réponse, des propositions quant à l’organisation territoriale de l’État et la répartition des compétences au niveau infra-régional. Le prisme principal de cette analyse est celui de l’aménagement du territoire et des politiques environnementales, qui sont parmi celles où la décentralisation a été la plus poussée, emportant avec elle des effets pervers aux conséquences désormais difficilement soutenables. Introduction Les politiques liées à l’aménagement du territoire (autrefois appelées planificatrices, terme désormais connoté comme trop dirigiste et ingérant), et plus largement liées à l’environnement font partie de celles qui ont été les premières et les plus décentralisées, de façon continue depuis bientôt 40 ans. Cette décentralisation dont il sera mis en évidence qu’elle s’est faite de façon incrémentielle, ni évaluée ni structurée a conduit à une situation actuelle d’une complexité difficilement descriptible et dont tous les acteurs, bien que pour des motifs différents, s’accordent à dire qu’elle n’est ni soutenable ni durable. Dans ce paysage devenu illisible et dans lequel l’intérêt général s’évalue généralement sous le seul prisme économique, l’État local relictuel est devenu le plus souvent spectateur de la mise en œuvre insatisfaisante des politiques pourtant décidées par le gouvernement et votées par le Parlement. Il tente ainsi maladroitement de continuer à exister en troquant sa casquette régalienne pour un rôle d’accompagnement coupable ou d’influenceur sur le déclin. Comme cela sera démontré et illustré plus loin à partir d’exemples, cet état de fait permet d’expliquer en grande partie l’échec des politiques nationales environnementales, politiques dont les objectifs sont, en toute conscience, fixés sans espoir de les atteindre car sans maîtrise des leviers d’actions par l’État ni contrôle de leur mise en œuvre effective par ceux qui en ont les compétences. C’est ainsi que nous constatons sur de nombreux domaines environnementaux des résultats médiocres, très éloignés des objectifs nationaux et encore davantage de ce que la situation exige. On peut citer de façon non exhaustive la réduction des pollutions des eaux, la réduction de l’artificialisation des sols, la réduction des déchets, la restauration écologique, la limitation des émissions de particules fines…objectifs dont certains valent à la France d’être rappelée à l’ordre ou en procédure contentieuse de l’UE [1][2]. Intégrant par postulat les propositions de la publication du 26 mars 2020 par l’IR et intitulée « Décentralisation et organisation territoriale : vers un retour de l’État », cet article vient les étayer et les compléter par d’autres propositions portant plus particulièrement sur la définition des politiques publiques liées à l’environnement et à l’aménagement du territoire, à la répartition de leurs compétences et à la réorganisation de l’État local. Il mettra en évidence que l’organisation actuelle ne peut garantir la mise en œuvre effective des mesures permettant d’atteindre les objectifs (dont certains sont déjà fixés et annoncés) concourant à la nécessaire « transition écologique » de la France. Plusieurs propositions y sont faites pour pallier ce problème en s’appuyant sur une révision de la décentralisation mais aussi une réforme à la fois pratique et de l’organisation de l’État local qui doit retrouver pleinement sa présence, sa légitimité et son utilité aux yeux d’élus locaux aux attentes différentes, partagés entre sentiment d’abandon et critique d’une verticalité trop marquée. I – De la décentralisation à la différenciation : la libéralisation des politiques publiques environnementales et d’aménagement du territoire Les étapes du démantèlement et de la libéralisation des politiques publiques environnementales 1982, l’acte 1 : une opportunité à coût politique faible au sortir des Trente Glorieuses La fin des Trente Glorieuses ne permettent plus à l’État de continuer son rôle de planificateur/constructeur Au sortir d’une guerre qui a ravagé le pays, mais qui l’a aussi soudé et obligé à revoir en profondeur ses institutions, sa structure sociale et ses interactions avec le reste le monde, la France se reconstruit et se modernise rapidement et dans un élan qui ne sera brisé que par les chocs pétroliers des années 1970. Les Trente Glorieuses sont l’apogée de l’État moderne planificateur et bâtisseur, l’époque des grandes avancées technologiques et des choix déterminants en particulier dans les domaines agricole, de l’énergie, des transports, de l’habitat… redéfinissant complètement l’aménagement du territoire. Ces choix se nourrissent alors d’une croissance économique continue et surtout d’énergies carbonées accessibles et facilement disponibles. Cette dépendance rend le pays très vulnérable aux chocs pétroliers (et gaziers) successifs qui ne font qu’initier le déclin d’un modèle qui, avec un recul critique maintenant évident mais difficilement audible dans le contexte de l’époque, ne pouvait perdurer. L’État commence alors à douter et à s’interroger sur ses propres missions face à ses premières difficultés financières depuis des décennies, à une concurrence internationale croissante, à une perte d’autonomie liée à l’intégration croissante des politiques au niveau européen et à une société de plus en plus accusatrice de ce qu’elle juge être des manquements de sa part. Les lois Deferre actent des principes généraux qui seront lourds de conséquence C’est dans ce contexte, qui en est en grande partie la cause, qu’intervient la première alternance de la Vème République avec l’arrivée de la gauche au pouvoir. Le constat d’un État qui a été probablement trop dirigiste et sûr de lui, en qui la confiance est écornée et qui ne peut plus s’affranchir du cadre européen et international ouvre la voie au début de la décentralisation dès l’entame de mandat en 1982 au travers des lois Deferre ; cette politique est soutenue idéologiquement par le nouvel exécutif. De ces premières d’une longue série de lois de décentralisation, on retient d’abord la création d’un nouvel échelon administratif territorial, les régions, avec les conséquences déjà développées dans une précédente note de l’Institut[3] sur lesquelles nous reviendrons. En corollaire est instauré le transfert de « blocs » de compétences (qui sont en réalité rarement des blocs, mais des portions) aux désormais trois
Par Delelys A.
27 janvier 2022