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Retour sur le « retour de l’État »

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      Retour sur le « retour de l’État »

      Dans la préface de 1963 de son ouvrage La notion de politique[1], Carl Schmitt[2] déclarait de façon pour le moins inattendue que « l’ère de l’État [était] à son déclin ». Du point de vue de la France gaullienne et planificatrice, la formule avait de quoi sembler saugrenue. Trente ans plus tard, le juriste Olivier Beaud dans sa thèse de référence sur la Puissance de l’État[3] (1994) soulignait pourtant ex post la justesse du constat. Il fallait se rendre à l’évidence : la question de la « péremption » de l’État était désormais d’actualité. De toutes parts, des voix se bousculaient pour réclamer sa fin et son dépassement. L’État était accusé à la fois d’être « trop » et « pas assez » : trop pour ceux qui défendaient le localisme, le régionalisme ou le communalisme ; pas assez pour ceux qui prophétisaient une nouvelle ère géopolitique globalisée où n’existeraient que des superpuissances.

      Cette période vient de subir un coup d’arrêt. La crise du Covid19, agissant comme un mouvement de balancier, a renvoyé le pendule de l’histoire dans les mains des partisans de l’État. Tous les médias s’en font l’écho : Le Monde[4], Libération[5], Le Figaro[6], La Croix[7], Le 1 hebdo[8] etc. Nous assistons, titrent ces journaux, au « grand retour de l’État ». Comment l’expliquer ? L’argumentation en sa faveur relève d’abord de la psychologie collective. Pour le dire à grands traits, le monde entier vient d’être heurté par une gigantesque vague de panique provoquée par la propagation incontrôlée du virus. Les populations, déboussolées et à la merci d’informations contradictoires et désordonnées, se sentent sans défense, démunies, vulnérables. Dans un pays comme la France à la culture étatique ancienne, demander le retour de l’État correspond à une forme « d’appel à l’aide » quasi-primaire. Car en dépit des réactions épidermiques qu’il suscite dans l’hexagone, l’État est en même temps perçu comme une figure tutélaire forte et protectrice à même de nous sauver.

      Mais l’argumentation possède aussi un volet que l’on pourrait qualifier « d’opportunité ». Elle appuie sur l’effet de « dévoilement » de la crise du Covid19 et sur sa mise à nue de tous les dysfonctionnements de notre monde : zoonoses causées par la destruction de la biosphère, vicissitudes sanitaires, flux incontrôlés, marché du médicament soumis à des chaînes de valeur démembrées, système social en tension, services publics saccagés, classes populaires surexposées… Dans ce jeu de massacre, les gouvernements européens, à commencer par le gouvernement français, ont semblé impuissants et incapables d’être à la hauteur, renforçant par là même le besoin d’État. Ainsi a resurgi une discussion sur « la place de l’État » dans l’espace politique que beaucoup croyait close et il y a fort à parier qu’elle sera au cœur de la confrontation des Weltanschauung[9] du « monde d’après ».

      Pour autant, se contenter d’acter de façon passive le retour de l’État constituerait une erreur au regard des enjeux de l’époque qui intiment d’agir. Il convient dans cette perspective de se saisir de cette « réapparition » de la figure de l’État pour interroger sa signification française (sa formation, sa spécificité) (I) et expliquer pourquoi et comment a eu lieu sa fin programmée (II). Ce n’est qu’en analysant la tension entre son affirmation et sa négation que l’on pourra aboutir à une proposition renouvelée de la praxis étatique à la hauteur de l’événement (III).

       

      1. L’État à la française

       

      Par une curieuse légende dont on ne saurait dire l’origine exacte, on se plaît à attribuer à Louis XIV un mot impérieux : « L’État, c’est moi ». Pourtant la citation est apocryphe. Mieux, on connaît avec certitude les dernières paroles du « roi soleil » sur son lit de mort et elles dédisent la légende : « Je m’en vais mais l’État, lui, demeurera toujours ». Louis XIV ne s’est pas trompé. Né autour du XVe siècle, l’État, création de l’ordre monarchique, est passé à la République par l’intermédiaire de la Révolution et de l’Empire[10]. Ce legs, depuis, pose question. L’État républicain, en vertu de cette filiation, ne serait-il qu’une version abâtardie de l’État monarchique ? Comment expliquer que notre ère révolutionnaire dont on sait qu’elle s’est ouverte sur une politique de table rase, ait pu garder un tel vestige de l’Ancien Régime ?

      L’étymologie nous fournit un premier indice. « État » vient du latin « status » lui-même provenant de « stare » qui signifie « se tenir ». Quelquefois, on traduit également cette étymologie par l’idée de « perdurer ». Et c’est bien de cela dont il est question à l’origine, de cette question qui obsède tout titulaire du pouvoir depuis l’Antiquité : comment demeurer et se perpétuer ? La monarchie française n’échappe pas à cette obsession. Frappée par différentes crises de succession au cours des siècles, elle n’a de cesse de chercher les moyens de sa stabilité et de sa permanence. Entre le XIVe et le XVIIe siècle, la monarchie française élabore ainsi un corpus de règles qui s’imposent au monarque lui-même et à toute sa famille : ce sont les lois fondamentales du royaume[11]. Il convient qu’en dépit des aléas de la vie humaine des rois et de leurs lots de tragédies un continuum politique existe. Ernst Kantorowicz a montré que les juristes anglais inventeront pour cette raison la théorie des « Deux corps du roi »[12] : si l’un est physique, soumis au temps et mortel ; l’autre est mystique, a-temporel et immortel. En France, ce continuum sera formulé par différents adages (« le roi ne meurt pas en France », « le roi est mort, vive le roi »).

      Mais les guerres de religion (XVIe siècle) ajoutent à l’antique obsession une angoisse nouvelle : celle de la fragmentation sociale. Pendant deux siècles, juristes (Bodin, Loyseau, Cardin Le Bret), hommes d’autorité (Richelieu, Mazarin), hommes d’Église (Bossuet) et grands commis du royaume (Colbert, Louvois) s’efforcent en conséquence de donner à la monarchie une cimentation empêchant cette fragmentation : c’est l’État[13]. Et c’est d’abord cet aspect-là que les révolutionnaires voudront garder en reprenant la machine étatique, ce ciment qui permet au pays de se maintenir debout malgré les circonstances. L’idée parcourt tout le discours jacobin de 1792-1794 : il faut tenir contre les monarchies coalisées à l’extérieur, tenir alors que tout menace de ruine à l’intérieur, tenir parce qu’il y a « une République à fonder » (Saint-Just). L’événement révolutionnaire livre à cet instant la singularité du rapport que le républicanisme des origines entretient alors à l’État.

      Contrairement à ce qui est souvent affirmé, il n’existe pas de culte de l’État dans ce premier républicanisme à la française. La « foi », s’il y a foi, est tournée vers la Révolution, la liberté, la République, les martyrs, non vers l’État. Symbole de cette erreur historique, on utilise souvent le terme de jacobinisme pour parler d’étatisme. Mais le jacobinisme originel, c’est avant tout la passion de l’égalité, la croyance dans la souveraineté populaire, le culte de la loi, conçue comme expression de la volonté générale, et le souci des « malheureux »[14]. Dans cette perspective, ce n’est pas la Révolution ou la République qui est au service de l’État mais l’inverse. La République jacobine se sert de l’État pour mener à bien son programme. C’est grâce à la puissance de l’État que l’on peut s’assurer que la loi est la même partout et pour tous sur le territoire, grâce à lui que les justiciables peuvent ne plus souffrir de l’arbitraire des Parlements locaux, grâce à lui qu’une « sécurité sociale » peut commencer à secourir les plus démunis jusque dans les coins les plus reculés du pays.

      La IIIe République reprend ce flambeau au prix d’une certaine mue intellectuelle. La Révolution, on vient de le voir, avait envisagé l’État comme partie intégrante de son processus et de ce fait, n’avait point cherché à exalter une « culture de l’État » propre. Mais la succession de régimes au XIXe siècle (l’Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet, le Second Empire) modifie la donne. Dans chacun de ces régimes, les républicains observent une dimension qui fait défaut à la République institutionnelle : son administration au long court[15]. Depuis 1792, on est mort pour la République, on s’est sacrifié pour elle, mais on n’a pas eu le temps de la servir comme on a servi l’empereur ou le roi. La IIIe République s’efforce de changer cet état de fait. De là l’édification d’une véritable « fonction publique ». « Servir l’État » devient alors un honneur. Probablement parce qu’au même moment la République met à l’œuvre cet État pour créer et faire vivre les premières grandes lois de liberté, la théorie des services publics (L. Duguit), l’ébauche de la sécurité sociale, un parlementarisme plein et entier.

      De cette (trop) brève épure de l’État à la française, il faut ainsi retenir qu’au sein de l’idée républicaine, l’État n’avait pas vocation à dicter l’alphabet politique des choses, il était au contraire envisagé comme un moyen au service de l’œuvre révolutionnaire, un instrument servant à assurer le passage d’un régime monocratique (monarchie, empire) à un régime démocratique. Signalons au passage que ce rôle de levier politique n’est pas universel. De par son histoire, le monde anglo-saxon entretient un rapport radicalement différent à l’État, ce qui explique les régulières critiques qu’il formule contre le modèle français. En Angleterre, la structure sociale trouve sa cimentation dans le respect dévolu à la royauté et à sa longue tradition bien plus qu’au sein de l’État[16]. Aux États-Unis, ce dernier peut même susciter de l’hostilité. Né d’une guerre de libération contre une puissance tentaculaire (l’Angleterre), « l’Amérique », comme le rappelle Tocqueville[17], tient en défiance toute autorité sociale supérieure. Son modèle puise dans l’idéal petit-propriétaire terrien des Founding Fathers, des premières communautés de colons et de la philosophie lockienne des droits de l’homme. Dans ces deux cas respectifs, l’État est une figure suspecte. En France, tout au contraire, l’État, pris d’assaut par les révolutionnaires, a permis l’émancipation collective et l’anéantissement de la société d’ordre et du monde féodal.

      Pour autant, il y a État et État. Et la philosophie républicaine doit servir d’aiguillon pour éviter les confusions entre État monarchique et État républicain. L’élément constitutif d’une République est de gouverner en vue du bien commun. Pour le républicanisme à la française, seul un régime démocratique permet donc d’être en république puisqu’il est le seul régime permettant à ce commun (le peuple) de se gouverner lui-même. Cela signifie se doter de sa propre loi (auto-nomos) et d’être détenteur de la souveraineté. Dans un État monarchique, la souveraineté est aux mains du roi ; dans un État républicain, elle est dans celles du peuple.

       

      2. Démembrement et fin programmée de l’État : l’histoire d’une défiance 

       

      Mais cette possibilité offerte de former un jugement différent sur l’État selon sa forme n’a pas été parfaitement saisie en France[18]. Le procès de l’État s’est souvent fait en bloc et ce dernier a subi une constante remise en cause au cours des XIXe et XXe siècle. Car l’État possède de nombreux adversaires théoriques qui, pour hétéroclites qu’ils sont (libéraux, libertaires, libertariens) se retrouvent dans la dénonciation d’un ethos négatif considéré comme « substantiel ». L’accusation porte généralement sur quatre aspects : le centralisme ; la démocratie étouffée ; la bureaucratie ; l’économie sous tutelle. Parcourons les raisons de ce consensus accusatoire.

      Pour les libéraux, à commencer par ceux du XIXe siècle, l’État est vicié par nature. Qu’importe que cet État soit celui des Bourbons ou de la République démocratique et sociale, il est d’essence liberticide. Face à cette menace, le libéralisme développe toute une doctrine à strates multiples et défend l’individu contre le collectif, la décentralisation contre la centralisation, le local contre le national. Certains – qu’on appelle aujourd’hui libertariens, sortes « d’ultra-libéraux » – éprouvent une hostilité telle qu’ils exigent le Droit d’ignorer l’État (1850) comme le revendique le livre d’Herbert Spencer. Le sociologue anglais, à qui on doit aussi le célèbre L’Individu contre l’État (qui influencera des libertariens américains comme Robert Nozick) appelle à un « état minimal » réduit à la seule fonction de sécurité. Toute autre expression étatique est dénoncée comme une intrusion dans la vie privée, une interférence non-supportable. Quelque chose d’assez similaire anime la méfiance d’un camp pourtant opposé en termes d’idéal : l’anarchisme. Chez les anarchistes ou les libertaires se dessine une conception également négative de l’État, accusé d’être en soi répressif, policier, militaire. Dans cette perspective, l’État apparaît comme une instance privative de liberté mais aussi comme le levier servant à la domination des puissants. Accusation que ne nie pas un certain marxisme. Pour Marx, Engels puis Lénine, l’État en Europe a en effet accompagné l’émergence du capitalisme. Capté depuis le XVIIIe siècle par la bourgeoisie, il participe de la structuration de la société en classes et seconde le capitalisme dans « l’exploitation de l’homme par l’homme ». Pour cette raison, Lénine appelle dans L’État et la révolution[19] à briser l’appareil d’État[20].

      Toutefois, et pendant longtemps, ces doctrines n’ont pas dominé en France, jusqu’à ce qu’un changement se produise autour des années 1970. Lors de cette décennie puis lors de la suivante, une véritable tempête s’est abattue sur le concept d’État. Fait notable, cette tempête est survenue par la gauche. Au sein de la jeunesse soixante-huitarde, le « gauchisme » – au sens de Richard Gombin, c’est-à-dire, ce qui se veut « l’alternative radicale au marxisme-léninisme »[21] – dénonce dans l’État la quintessence de la société qu’il rejette : celle de De Gaulle, de l’ORTF, de la censure, de la police, de l’armée, de l’université des mandarins, etc. Bientôt, le mouvement écologiste naissant ajoute de nouveaux griefs. L’État symbolise le conflit dans le Larzac, le nucléaire imposé « d’en-haut », la destruction des cultures locales. Au sein du milieu intellectuel, la critique mord également. Le trotskysme étend sa dénonciation du stalinisme comme « état bureaucratique dégénéré » tandis que le groupe « Socialisme ou Barbarie » jouxte cette analyse.

      Mais le véritable tournant survient au milieu des années 1970 avec l’essor de ce qu’on appellera la « gauche antitotalitaire »[22]. Dans le sillage des écrits de Soljenitsyne mettant devant les yeux du grand public le goulag soviétique, les « nouveaux philosophes » (Bernard Henri-Lévy, André Glucksmann, Jambet & Lardreau) se livrent à une diatribe en cascade. Le totalitarisme n’est plus seulement sondé dans l’œuvre de l’URSS mais également traqué dans le communisme, le marxisme, puis dans son syncrétisme français jacobino-marxiste et son instrument-bouclier : l’État. Accusé de tous les maux, ce dernier devient l’adversaire des droits de l’Homme, ce qui met en péril la « société »[23] et nie l’individu. Les grandes analyses d’Hannah Arendt sur le totalitarisme sont plaquées sur l’État, ce « monstre froid » qui menace toute sphère privée. Cette charge anti-État prend d’autant plus dans l’opinion publique qu’au même moment des travaux de savants reconnus (Foucault, Deleuze) mettent aussi en cause l’État et qu’une « deuxième gauche » émergente (François Furet, Jacques Julliard, Pierre Rosanvallon, la CFDT) travaille à briser le « modèle jacobin », accusé d’être le ressort originel de la matrice totalitaire.

      Beaucoup de ces textes portent des remarques fondées, justes et précieuses pour penser le politique. Toutefois, il faut dire que le terreau intellectuel labouré par cette offensive va permettre à Michel Rocard ou Jacques Delors d’infuser au sein de la gauche une pensée économique de type social-libérale avec en ligne de mire la nécessité de « réduire le périmètre de l’État ». À partir de ce moment flottera dans l’air une forme de discours dit « de raison » (la fameuse « rationalisation » qui touchera l’administration étatique[24]) selon lequel l’État est trop lourd, trop omnipotent et qu’il doit subir une « cure d’austérité » inspirée du New Public Management[25]. Aujourd’hui différents essais[26] racontent comment le néo-libéralisme s’est implanté en France : par le biais de l’école hayékienne, du colloque Walter Lippmann, du monétarisme cher à Friedman, des politiques managériales et des tropismes libéraux de l’UE. Il faut rajouter qu’il put le faire car la résistance historique au libéralisme économique dans l’hexagone avait été jusque-là l’État à la française et qu’à présent, cette résistance n’était plus. C’est ainsi que l’État apparaît aujourd’hui comme un champ de ruine : érodé de l’extérieur par une critique doctrinale multidimensionnelle, il a fini miné de l’intérieur par des décennies de politiques libérales, de droite et de gauche.

       

      3. Construire l’État nouveau

       

      Le pendule de l’Histoire ressemble aujourd’hui à un boulet de démolition. La séquence historique qui a vu se succéder Gilets jaunes, mouvement des retraites puis crise du Covid19 exhibe de toute part une population meurtrie par ces politiques publiques brutalisantes. La colère qui couve est immense[27]. Les potentialités d’embrasement – qu’elles proviennent de la souffrance des quartiers populaires ou d’une reprise des « actes Gilets jaunes » – sont réelles. Pourtant, penser l’événement historique en uchronie – i.e. que ce serait-il passé si l’État n’avait pas été si saccagé – n’est probablement pas la voie qu’il faut suivre. Pas plus que celle qui célèbrerait une revanche des étatistes contre les anti-étatistes ou de la « première gauche » contre la « deuxième ». Car on encourait le risque de retourner à un État lesté de ses pesanteurs passées. Si une pluie de critiques s’est abattue avec tant d’ardeur, c’est qu’il y avait à dire. L’État nouveau doit s’appuyer sur ces critiques, travailler à se défaire de sa caricature, accepter d’être défétichisé s’il faut.

      Dans le même temps, deux chantiers intellectuels doivent être ouverts pour répondre à deux des affirmations anti-étatistes que nous avons vu exposées ci-dessus :

      • l’État est l’ennemi de la société ;
      • l’État est l’ennemi de la liberté.

      Ces chantiers sont d’autant plus prioritaires que ces affirmations rencontrent de plus en plus d’échos. Pour une grande partie de la population, notamment au sein des classes populaires, l’État n’apparaît en effet que sous sa forme négative : que ce soit à raison de sa dimension fiscale (taxes, « charges », radars autoroutiers) ou répressive (violences policières[28], contrôle au faciès, restrictions des libertés). Cette multiplicité d’éléments que l’opinion publique ne relie pas aux redistributions sociales alimente l’image d’un État coupé de sa population ou, pire, érigé contre elle et sa liberté. Cet état de fait exige en réponse l’amorce d’un double processus :

      1/ D’une part, il faut reconnecter l’État à la société. La dimension permanente et continue de l’existence étatique étant le miroir inversé de la vie humaine (soumise à la mort et l’extinction), on a pris l’habitude de concevoir l’État comme appartenant à une sphère séparée de celles des Hommes. À tort. En s’appuyant sur la philosophie politique de Spinoza, il est possible de penser l’État, non comme une instance subsistant en dehors des Hommes mais comme une véritable émanation de ces derniers. Pour Spinoza, ce qui définit toute chose c’est le conatus – c’est-à-dire « l’effort » par lequel cette chose « tend à persévérer dans son être » (L’Éthique). Ce conatus chez l’Homme lui confère à la fois un besoin de liberté et de sécurité. Depuis Hobbes, on sait que l’État formé par contrat social est généralement perçu comme le meilleur garant de la sécurité individuelle. Mais cette sécurité se paye au prix de la liberté. Le coup de force de Spinoza est de trouver le moyen d’allier les deux. Pour y parvenir, écrit le philosophe hollandais, il convient de mettre en place un État démocratique[29]. Mû et régi par le demos, l’État protège et sert nécessairement la société qui le commande. De même, n’étant plus une force extérieure à cette société mais son émission, le risque d’une privation de liberté disparaît. Mieux, l’État peut grâce à son imperium augmenter la « puissance d’agir » des individus et développer un « agir social » [30] bénéficiant à tous.

      2/ D’autre part, il faut (re)faire de l’État, un instrument de combat contre l’ordre injuste. Ici aussi, la mise en œuvre de ce second processus doit puiser dans la philosophie républicaine. Récemment Jean-Fabien Spitz[31], s’appuyant sur Philip Pettit[32], a montré en ce sens qu’à rebours d’une certaine vulgate faisant du républicanisme l’ennemi de la liberté, cette dernière est au contraire au cœur de la doctrine républicaine. La controverse provient des différentes acceptions de la notion de liberté que Jean-Fabien Spitz modélise entre la « non-interférence » et la « non-domination ». Pour beaucoup, la liberté consiste à « faire tout ce qu’on veut », à ne pas être empêché ni gêné. C’est la liberté revendiquée comme « non-interférence ». Cette conception de la liberté, à l’origine de la pensée libérale et libertaire, rejette l’État catégorisé comme une puissance interférente. Mais il existe une autre conception qui définit la liberté comme une « non-domination ». Cette dernière, héritière du républicanisme antique, considère que la liberté la plus essentielle est celle de ne pas être esclave, en d’autres termes, d’avoir des droits politiques[33].

      Aujourd’hui, les partisans de cette liberté républicaine revendiquent la garantie de ne pas être blessé dans son humanité, dans sa dignité et de se voir reconnu comme titulaire de droits inaliénables. Aux yeux de cette liberté, conçue comme « non-domination », l’État peut être un adversaire des individus. C’est pourquoi, il doit être encadré et tenu sous le contrôle de pare-feu (le droit, la Constitution, le contrôle administratif d’abus de pouvoir[34]). Mais le danger peut être autre (la guerre, les invasions, la tyrannie, celui des oppresseurs contre les opprimés). Dans ces cas, comme le note Rousseau au cours d’un raisonnement du Contrat social analogue à celui de Spinoza : « il n’y a que la force de l’État qui fasse la liberté de ses membres »[35]. Ce renversement de perspective d’un État n’étant plus le problème mais la solution se résume chez le philosophe Alfred Fouillée par une formule fameuse : « l’État ne confisque aucun droit, il les garantit tous »[36].

      Le désordre du monde actuel doit nous inviter à nous saisir de ces deux modèles pour évaluer les dangers contemporains qui mettent en péril les libertés et le corps social. La première de toutes ces menaces est le risque d’effondrement généralisé. Ce risque environnemental met en accusation la vie humaine (l’anthropocène) mais aussi et surtout les conséquences de son activité économique (le capitalocène), comprendre l’extension sans fin du marché, la quête de profit et d’accumulation. En France, écrasés par cette organisation capitaliste de l’économie, les Gilets jaunes ont parlé de leurs « vies diminuées »[37]. À raison. Le phénomène d’aliénation et de fétichisme de la marchandise analysé par Marx continue d’éroder les existences. Les travailleurs, écrasés, souffrent de la domination du monde marchand. C’est ici qu’il faut reconvoquer l’État à la lumière de ces nouvelles données. Connecté démocratiquement aux aspirations du grand nombre et des travailleurs, aiguillé par la souveraineté populaire, l’État nouveau devra être missionné pour répondre aux enjeux écologiques, sociaux et démocratiques[38]. Pour ce faire, il faudra s’extirper des débats caricaturaux (centralisation/décentralisation[39]) en proposant un ré-échelonnage de la décision publique articulant l’international, le national et le local[40] ; interdire l’aide au financement des chantiers écocides et rediriger ces mannes financières vers la bifurcation écologique, redonner du sens à l’impôt en mettant en place une fiscalité juste et une véritable répression contre l’évasion fiscale ; il faudra enfin rétablir « la République dans les faits » à travers l’activation de nouveaux réseaux, la remise en état des services publics et l’investissement massif dans l’éducation nationale. En un mot, « démocratiser l’État au lieu de le réduire » : telle est la réponse républicaine[41].

       

       

       

      [1] C. Schmitt, La notion de politique ; Théorie du partisan, Paris, Flammarion, 1992.

      [2] Carl Schmitt ayant appartenu au parti nazi entre 1933 et 1936, la lecture de son œuvre nécessite évidemment précaution, mise à distance et conscience critique de cette dimension biographique du juriste allemand.

      [3] O. Beaud, La puissance de l’État, Paris, PUF, 1994.

      [4]https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/05/economie-de-marche-la-crise-du-coronavirus-provoque-le-grand-retour-de-l-etat_6035651_3234.html

      [5] https://www.liberation.fr/debats/2020/03/25/covid-19-le-retour-de-l-etat-providence_1782897

      [6] https://www.lefigaro.fr/vox/politique/la-crise-du-coronavirus-ou-le-retour-de-l-etat-20200323

      [7] https://www.la-croix.com/Economie/Monde/Face-coronavirus-retour-lEtat-2020-03-26-1201086163

      [8] https://le1hebdo.fr/journal/numero/290

      [9] Dans la philosophie allemande, la Weltanschauung correspond à la « conception du monde ».

      [10] On doit à Tocqueville la première énonciation de ce continuum étatique, v. A. de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution (1856), Paris, Gallimard, 1985.

      [11] J. Barbey, F. Bluche, S. Rials, Lois fondamentales et succession de France, Paris, Diffusion-Université-Culture, 1984.

      [12] E. Kantorowicz, Les deux corps du roi : essai sur la théologie politique au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 2019.

      [13] Il faut également dire que les nombreuses guerres extérieures à partir du XVIIIe siècle vont générer des coûts et la création d’une armée permanente nourrissant ainsi le besoin d’un État percepteur d’impôts désormais vitaux. On peut ainsi dire, comme le résume Charles Tilly dans sa fameuse formule, que « la guerre a fait l’État autant que l’État a fait la guerre ».

      [14] Voir sur la nature du « républicanisme jacobin » et sa « sensibilité », J. de Saint-Victor et T. Branthôme, Histoire de la République en France. Des origines à la Ve République, Paris, Economica, 2018, p. 13-17.

      [15] Sur l’histoire de l’administration et son évolution au XIXe siècle, voir l’ouvrage de référence de l’historien du droit Grégoire Bigot, L’administration française. Politique, droit et société. 1789-1870, Paris, LexisNexis, 2014.

      [16] M. Braddick, « Réflexions sur l’État en Angleterre (XVIe-XVIIe siècles) », in Histoire, économie & société, 2005, vol. 24e année, no. 1, pp. 29-50.

      [17] « L’habitant des États-Unis apprend dès sa naissance qu’il faut s‘appuyer sur soi-même pour lutter contre les maux et les embarras de la vie ; il ne jette sur l’autorité sociale qu’un regard défiant et inquiet, et n’en appelle à son pouvoir que quand il ne peut s’en passer », A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1835), Paris, Gallimard, 1986, t. II, p. 274.

      [18] Des réflexions intéressantes à lire à ce sujet dans le numéro spécial de la revue Nouvelles FondationS, « L’État dans tous ses états », 2007/1, n°5.

      [19] Lénine, L’État et la révolution (1917), Paris, La Fabrique, 2012.

      [20] Notons qu’il existe en parallèle une tradition contraire qui, de Louis Blanc à Ferdinand Lassalle, considère que l’État peut et doit être utilisé pour lutter contre le capitalisme. Sur la question, P. Fouquet, « Marxisme et socialisme étatique », in Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 12, 1981, n°1. p. 83-119.

      [21] R. Gombin, Les origines du gauchisme, Paris, Seuil, 1971.

      [22] Sur ce sujet, lire M. S. Christofferson, Les intellectuels contre la gauche : l’idéologie antitotalitaire, 1968-1981, Marseille, Agone, 2014.

      [23] P. Clastres, La société contre l’État, Paris, Éditions de Minuit, 1974.

      [24] Pour une histoire de ce rapport à la « réforme de l’État », voir la thèse de Philippe Bezes, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009.

      [25] Pour un regard sur la question, v. N. Matyjasik et M. Guenoun (dir), En finir avec le New Public Management, Paris, Institut de la gestion publique et du développement économique, 2019.

      [26] S. Audier, Le colloque Walter Lippmann : aux origines du « néo-libéralisme », Lormont, Le Bord de l’eau, 2012 ; S. Halimi, Le grand bond en arrière : comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Marseille, Agone, 2012 ; F. Denord, Le néo-libéralisme à la française : histoire d’une idéologie politique, Marseille, Agone, 2016 ; G. Chamayou, La société ingouvernable : une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La Fabrique, 2018 ; B. Amable et S. Palombarini, L’illusion du bloc bourgeois : alliances sociales et avenir du modèle français, Paris, Raisons d’agir éditions, 2018.

      [27] M. Le Bretton, « La révolte au temps du coronavirus » in Quartier général du 23 avril 2020, https://qg.media/2020/04/23/la-revolte-au-temps-du-coronavirus-par-manon-le-bretton/.

      [28] Sentiment grandissant actuellement du fait de l’explosion des violences policières. Sur cette question, voir le travail de recension de David Dufresne.

      [29] Pour les détails de cette construction philosophique : J. de Saint-Victor et T. Branthôme, Histoire de la République en France. Des origines à la Ve République, op. cit., p. doit 105-111.

      [30] Voir en ce sens l’édito de notre Institut du 23 avril 2020 par Fabien Escalona, https://institut-rousseau.fr/le-retour-de-letat-oui-mais-pas-nimporte-lequel/.

      [31] J.-F. Spitz, Le moment républicain, Paris, Gallimard, 2005.

      [32] P. Pettit, Républicanisme : une théorie de la liberté et du gouvernement, Paris, Gallimard, 2003.

      [33] Cette liberté est donc intimement liée à la notion de citoyenneté. Voir sur toutes ces questions, J. de Saint-Victor et T. Branthôme, Histoire de la République en France. Des origines à la Ve République, op. cit., p. 31-45.

      [34] Nicolas Roussellier a ainsi montré que le pouvoir exécutif et l’utilisation des moyens l’État ont été en partie accepté par le grand nombre du fait de l’extension des prérogatives du juge administratif, cf. N. Roussellier, La force de gouverner : le pouvoir exécutif en France, XIXe-XXIe siècles, Paris, Gallimard, 2015.

      [35] J.-J. Rousseau, Du contrat social (1762), Paris, Gallimard, 1964, Livre II, chap. XII, p. 216.

      [36] A. Fouillée, La science sociale contemporaine, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1885, p. 31.

      [37] Sur cette dimension des Gilets jaunes, je me permets de renvoyer à un article écrit pour la revue Positions : https://positions-revue.fr/le-moment-gilets-jaunes-i-ce-quils-ont-su-dire/

      [38] C’est tout l’objet des propositions de l’Institut Rousseau dans le cadre de son dossier « Comment reconstruire ? » ainsi que dans ses précédentes publications.

      [39] C’est à un dépassement de ce débat qu’invite la note de Maxmilien Pierre-Latour, in https://institut-rousseau.fr/decentralisation-et-organisation-territoriale-vers-un-retour-a-letat/.

      [40] Voir en ce sens le livre de David Djaïz, Slow démocratie : comment maîtriser la mondialisation et reprendre notre destin en main, Paris, Allary Editions, 2019.

      [41] J.-F. Spitz, Le moment républicain, op. cit.. p. 41.

      Publié le 13 mai 2020

      Retour sur le « retour de l’État »

      Auteurs

      Institut Rousseau
      Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine.

      Dans la préface de 1963 de son ouvrage La notion de politique[1], Carl Schmitt[2] déclarait de façon pour le moins inattendue que « l’ère de l’État [était] à son déclin ». Du point de vue de la France gaullienne et planificatrice, la formule avait de quoi sembler saugrenue. Trente ans plus tard, le juriste Olivier Beaud dans sa thèse de référence sur la Puissance de l’État[3] (1994) soulignait pourtant ex post la justesse du constat. Il fallait se rendre à l’évidence : la question de la « péremption » de l’État était désormais d’actualité. De toutes parts, des voix se bousculaient pour réclamer sa fin et son dépassement. L’État était accusé à la fois d’être « trop » et « pas assez » : trop pour ceux qui défendaient le localisme, le régionalisme ou le communalisme ; pas assez pour ceux qui prophétisaient une nouvelle ère géopolitique globalisée où n’existeraient que des superpuissances.

      Cette période vient de subir un coup d’arrêt. La crise du Covid19, agissant comme un mouvement de balancier, a renvoyé le pendule de l’histoire dans les mains des partisans de l’État. Tous les médias s’en font l’écho : Le Monde[4], Libération[5], Le Figaro[6], La Croix[7], Le 1 hebdo[8] etc. Nous assistons, titrent ces journaux, au « grand retour de l’État ». Comment l’expliquer ? L’argumentation en sa faveur relève d’abord de la psychologie collective. Pour le dire à grands traits, le monde entier vient d’être heurté par une gigantesque vague de panique provoquée par la propagation incontrôlée du virus. Les populations, déboussolées et à la merci d’informations contradictoires et désordonnées, se sentent sans défense, démunies, vulnérables. Dans un pays comme la France à la culture étatique ancienne, demander le retour de l’État correspond à une forme « d’appel à l’aide » quasi-primaire. Car en dépit des réactions épidermiques qu’il suscite dans l’hexagone, l’État est en même temps perçu comme une figure tutélaire forte et protectrice à même de nous sauver.

      Mais l’argumentation possède aussi un volet que l’on pourrait qualifier « d’opportunité ». Elle appuie sur l’effet de « dévoilement » de la crise du Covid19 et sur sa mise à nue de tous les dysfonctionnements de notre monde : zoonoses causées par la destruction de la biosphère, vicissitudes sanitaires, flux incontrôlés, marché du médicament soumis à des chaînes de valeur démembrées, système social en tension, services publics saccagés, classes populaires surexposées… Dans ce jeu de massacre, les gouvernements européens, à commencer par le gouvernement français, ont semblé impuissants et incapables d’être à la hauteur, renforçant par là même le besoin d’État. Ainsi a resurgi une discussion sur « la place de l’État » dans l’espace politique que beaucoup croyait close et il y a fort à parier qu’elle sera au cœur de la confrontation des Weltanschauung[9] du « monde d’après ».

      Pour autant, se contenter d’acter de façon passive le retour de l’État constituerait une erreur au regard des enjeux de l’époque qui intiment d’agir. Il convient dans cette perspective de se saisir de cette « réapparition » de la figure de l’État pour interroger sa signification française (sa formation, sa spécificité) (I) et expliquer pourquoi et comment a eu lieu sa fin programmée (II). Ce n’est qu’en analysant la tension entre son affirmation et sa négation que l’on pourra aboutir à une proposition renouvelée de la praxis étatique à la hauteur de l’événement (III).

       

      1. L’État à la française

       

      Par une curieuse légende dont on ne saurait dire l’origine exacte, on se plaît à attribuer à Louis XIV un mot impérieux : « L’État, c’est moi ». Pourtant la citation est apocryphe. Mieux, on connaît avec certitude les dernières paroles du « roi soleil » sur son lit de mort et elles dédisent la légende : « Je m’en vais mais l’État, lui, demeurera toujours ». Louis XIV ne s’est pas trompé. Né autour du XVe siècle, l’État, création de l’ordre monarchique, est passé à la République par l’intermédiaire de la Révolution et de l’Empire[10]. Ce legs, depuis, pose question. L’État républicain, en vertu de cette filiation, ne serait-il qu’une version abâtardie de l’État monarchique ? Comment expliquer que notre ère révolutionnaire dont on sait qu’elle s’est ouverte sur une politique de table rase, ait pu garder un tel vestige de l’Ancien Régime ?

      L’étymologie nous fournit un premier indice. « État » vient du latin « status » lui-même provenant de « stare » qui signifie « se tenir ». Quelquefois, on traduit également cette étymologie par l’idée de « perdurer ». Et c’est bien de cela dont il est question à l’origine, de cette question qui obsède tout titulaire du pouvoir depuis l’Antiquité : comment demeurer et se perpétuer ? La monarchie française n’échappe pas à cette obsession. Frappée par différentes crises de succession au cours des siècles, elle n’a de cesse de chercher les moyens de sa stabilité et de sa permanence. Entre le XIVe et le XVIIe siècle, la monarchie française élabore ainsi un corpus de règles qui s’imposent au monarque lui-même et à toute sa famille : ce sont les lois fondamentales du royaume[11]. Il convient qu’en dépit des aléas de la vie humaine des rois et de leurs lots de tragédies un continuum politique existe. Ernst Kantorowicz a montré que les juristes anglais inventeront pour cette raison la théorie des « Deux corps du roi »[12] : si l’un est physique, soumis au temps et mortel ; l’autre est mystique, a-temporel et immortel. En France, ce continuum sera formulé par différents adages (« le roi ne meurt pas en France », « le roi est mort, vive le roi »).

      Mais les guerres de religion (XVIe siècle) ajoutent à l’antique obsession une angoisse nouvelle : celle de la fragmentation sociale. Pendant deux siècles, juristes (Bodin, Loyseau, Cardin Le Bret), hommes d’autorité (Richelieu, Mazarin), hommes d’Église (Bossuet) et grands commis du royaume (Colbert, Louvois) s’efforcent en conséquence de donner à la monarchie une cimentation empêchant cette fragmentation : c’est l’État[13]. Et c’est d’abord cet aspect-là que les révolutionnaires voudront garder en reprenant la machine étatique, ce ciment qui permet au pays de se maintenir debout malgré les circonstances. L’idée parcourt tout le discours jacobin de 1792-1794 : il faut tenir contre les monarchies coalisées à l’extérieur, tenir alors que tout menace de ruine à l’intérieur, tenir parce qu’il y a « une République à fonder » (Saint-Just). L’événement révolutionnaire livre à cet instant la singularité du rapport que le républicanisme des origines entretient alors à l’État.

      Contrairement à ce qui est souvent affirmé, il n’existe pas de culte de l’État dans ce premier républicanisme à la française. La « foi », s’il y a foi, est tournée vers la Révolution, la liberté, la République, les martyrs, non vers l’État. Symbole de cette erreur historique, on utilise souvent le terme de jacobinisme pour parler d’étatisme. Mais le jacobinisme originel, c’est avant tout la passion de l’égalité, la croyance dans la souveraineté populaire, le culte de la loi, conçue comme expression de la volonté générale, et le souci des « malheureux »[14]. Dans cette perspective, ce n’est pas la Révolution ou la République qui est au service de l’État mais l’inverse. La République jacobine se sert de l’État pour mener à bien son programme. C’est grâce à la puissance de l’État que l’on peut s’assurer que la loi est la même partout et pour tous sur le territoire, grâce à lui que les justiciables peuvent ne plus souffrir de l’arbitraire des Parlements locaux, grâce à lui qu’une « sécurité sociale » peut commencer à secourir les plus démunis jusque dans les coins les plus reculés du pays.

      La IIIe République reprend ce flambeau au prix d’une certaine mue intellectuelle. La Révolution, on vient de le voir, avait envisagé l’État comme partie intégrante de son processus et de ce fait, n’avait point cherché à exalter une « culture de l’État » propre. Mais la succession de régimes au XIXe siècle (l’Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet, le Second Empire) modifie la donne. Dans chacun de ces régimes, les républicains observent une dimension qui fait défaut à la République institutionnelle : son administration au long court[15]. Depuis 1792, on est mort pour la République, on s’est sacrifié pour elle, mais on n’a pas eu le temps de la servir comme on a servi l’empereur ou le roi. La IIIe République s’efforce de changer cet état de fait. De là l’édification d’une véritable « fonction publique ». « Servir l’État » devient alors un honneur. Probablement parce qu’au même moment la République met à l’œuvre cet État pour créer et faire vivre les premières grandes lois de liberté, la théorie des services publics (L. Duguit), l’ébauche de la sécurité sociale, un parlementarisme plein et entier.

      De cette (trop) brève épure de l’État à la française, il faut ainsi retenir qu’au sein de l’idée républicaine, l’État n’avait pas vocation à dicter l’alphabet politique des choses, il était au contraire envisagé comme un moyen au service de l’œuvre révolutionnaire, un instrument servant à assurer le passage d’un régime monocratique (monarchie, empire) à un régime démocratique. Signalons au passage que ce rôle de levier politique n’est pas universel. De par son histoire, le monde anglo-saxon entretient un rapport radicalement différent à l’État, ce qui explique les régulières critiques qu’il formule contre le modèle français. En Angleterre, la structure sociale trouve sa cimentation dans le respect dévolu à la royauté et à sa longue tradition bien plus qu’au sein de l’État[16]. Aux États-Unis, ce dernier peut même susciter de l’hostilité. Né d’une guerre de libération contre une puissance tentaculaire (l’Angleterre), « l’Amérique », comme le rappelle Tocqueville[17], tient en défiance toute autorité sociale supérieure. Son modèle puise dans l’idéal petit-propriétaire terrien des Founding Fathers, des premières communautés de colons et de la philosophie lockienne des droits de l’homme. Dans ces deux cas respectifs, l’État est une figure suspecte. En France, tout au contraire, l’État, pris d’assaut par les révolutionnaires, a permis l’émancipation collective et l’anéantissement de la société d’ordre et du monde féodal.

      Pour autant, il y a État et État. Et la philosophie républicaine doit servir d’aiguillon pour éviter les confusions entre État monarchique et État républicain. L’élément constitutif d’une République est de gouverner en vue du bien commun. Pour le républicanisme à la française, seul un régime démocratique permet donc d’être en république puisqu’il est le seul régime permettant à ce commun (le peuple) de se gouverner lui-même. Cela signifie se doter de sa propre loi (auto-nomos) et d’être détenteur de la souveraineté. Dans un État monarchique, la souveraineté est aux mains du roi ; dans un État républicain, elle est dans celles du peuple.

       

      2. Démembrement et fin programmée de l’État : l’histoire d’une défiance 

       

      Mais cette possibilité offerte de former un jugement différent sur l’État selon sa forme n’a pas été parfaitement saisie en France[18]. Le procès de l’État s’est souvent fait en bloc et ce dernier a subi une constante remise en cause au cours des XIXe et XXe siècle. Car l’État possède de nombreux adversaires théoriques qui, pour hétéroclites qu’ils sont (libéraux, libertaires, libertariens) se retrouvent dans la dénonciation d’un ethos négatif considéré comme « substantiel ». L’accusation porte généralement sur quatre aspects : le centralisme ; la démocratie étouffée ; la bureaucratie ; l’économie sous tutelle. Parcourons les raisons de ce consensus accusatoire.

      Pour les libéraux, à commencer par ceux du XIXe siècle, l’État est vicié par nature. Qu’importe que cet État soit celui des Bourbons ou de la République démocratique et sociale, il est d’essence liberticide. Face à cette menace, le libéralisme développe toute une doctrine à strates multiples et défend l’individu contre le collectif, la décentralisation contre la centralisation, le local contre le national. Certains – qu’on appelle aujourd’hui libertariens, sortes « d’ultra-libéraux » – éprouvent une hostilité telle qu’ils exigent le Droit d’ignorer l’État (1850) comme le revendique le livre d’Herbert Spencer. Le sociologue anglais, à qui on doit aussi le célèbre L’Individu contre l’État (qui influencera des libertariens américains comme Robert Nozick) appelle à un « état minimal » réduit à la seule fonction de sécurité. Toute autre expression étatique est dénoncée comme une intrusion dans la vie privée, une interférence non-supportable. Quelque chose d’assez similaire anime la méfiance d’un camp pourtant opposé en termes d’idéal : l’anarchisme. Chez les anarchistes ou les libertaires se dessine une conception également négative de l’État, accusé d’être en soi répressif, policier, militaire. Dans cette perspective, l’État apparaît comme une instance privative de liberté mais aussi comme le levier servant à la domination des puissants. Accusation que ne nie pas un certain marxisme. Pour Marx, Engels puis Lénine, l’État en Europe a en effet accompagné l’émergence du capitalisme. Capté depuis le XVIIIe siècle par la bourgeoisie, il participe de la structuration de la société en classes et seconde le capitalisme dans « l’exploitation de l’homme par l’homme ». Pour cette raison, Lénine appelle dans L’État et la révolution[19] à briser l’appareil d’État[20].

      Toutefois, et pendant longtemps, ces doctrines n’ont pas dominé en France, jusqu’à ce qu’un changement se produise autour des années 1970. Lors de cette décennie puis lors de la suivante, une véritable tempête s’est abattue sur le concept d’État. Fait notable, cette tempête est survenue par la gauche. Au sein de la jeunesse soixante-huitarde, le « gauchisme » – au sens de Richard Gombin, c’est-à-dire, ce qui se veut « l’alternative radicale au marxisme-léninisme »[21] – dénonce dans l’État la quintessence de la société qu’il rejette : celle de De Gaulle, de l’ORTF, de la censure, de la police, de l’armée, de l’université des mandarins, etc. Bientôt, le mouvement écologiste naissant ajoute de nouveaux griefs. L’État symbolise le conflit dans le Larzac, le nucléaire imposé « d’en-haut », la destruction des cultures locales. Au sein du milieu intellectuel, la critique mord également. Le trotskysme étend sa dénonciation du stalinisme comme « état bureaucratique dégénéré » tandis que le groupe « Socialisme ou Barbarie » jouxte cette analyse.

      Mais le véritable tournant survient au milieu des années 1970 avec l’essor de ce qu’on appellera la « gauche antitotalitaire »[22]. Dans le sillage des écrits de Soljenitsyne mettant devant les yeux du grand public le goulag soviétique, les « nouveaux philosophes » (Bernard Henri-Lévy, André Glucksmann, Jambet & Lardreau) se livrent à une diatribe en cascade. Le totalitarisme n’est plus seulement sondé dans l’œuvre de l’URSS mais également traqué dans le communisme, le marxisme, puis dans son syncrétisme français jacobino-marxiste et son instrument-bouclier : l’État. Accusé de tous les maux, ce dernier devient l’adversaire des droits de l’Homme, ce qui met en péril la « société »[23] et nie l’individu. Les grandes analyses d’Hannah Arendt sur le totalitarisme sont plaquées sur l’État, ce « monstre froid » qui menace toute sphère privée. Cette charge anti-État prend d’autant plus dans l’opinion publique qu’au même moment des travaux de savants reconnus (Foucault, Deleuze) mettent aussi en cause l’État et qu’une « deuxième gauche » émergente (François Furet, Jacques Julliard, Pierre Rosanvallon, la CFDT) travaille à briser le « modèle jacobin », accusé d’être le ressort originel de la matrice totalitaire.

      Beaucoup de ces textes portent des remarques fondées, justes et précieuses pour penser le politique. Toutefois, il faut dire que le terreau intellectuel labouré par cette offensive va permettre à Michel Rocard ou Jacques Delors d’infuser au sein de la gauche une pensée économique de type social-libérale avec en ligne de mire la nécessité de « réduire le périmètre de l’État ». À partir de ce moment flottera dans l’air une forme de discours dit « de raison » (la fameuse « rationalisation » qui touchera l’administration étatique[24]) selon lequel l’État est trop lourd, trop omnipotent et qu’il doit subir une « cure d’austérité » inspirée du New Public Management[25]. Aujourd’hui différents essais[26] racontent comment le néo-libéralisme s’est implanté en France : par le biais de l’école hayékienne, du colloque Walter Lippmann, du monétarisme cher à Friedman, des politiques managériales et des tropismes libéraux de l’UE. Il faut rajouter qu’il put le faire car la résistance historique au libéralisme économique dans l’hexagone avait été jusque-là l’État à la française et qu’à présent, cette résistance n’était plus. C’est ainsi que l’État apparaît aujourd’hui comme un champ de ruine : érodé de l’extérieur par une critique doctrinale multidimensionnelle, il a fini miné de l’intérieur par des décennies de politiques libérales, de droite et de gauche.

       

      3. Construire l’État nouveau

       

      Le pendule de l’Histoire ressemble aujourd’hui à un boulet de démolition. La séquence historique qui a vu se succéder Gilets jaunes, mouvement des retraites puis crise du Covid19 exhibe de toute part une population meurtrie par ces politiques publiques brutalisantes. La colère qui couve est immense[27]. Les potentialités d’embrasement – qu’elles proviennent de la souffrance des quartiers populaires ou d’une reprise des « actes Gilets jaunes » – sont réelles. Pourtant, penser l’événement historique en uchronie – i.e. que ce serait-il passé si l’État n’avait pas été si saccagé – n’est probablement pas la voie qu’il faut suivre. Pas plus que celle qui célèbrerait une revanche des étatistes contre les anti-étatistes ou de la « première gauche » contre la « deuxième ». Car on encourait le risque de retourner à un État lesté de ses pesanteurs passées. Si une pluie de critiques s’est abattue avec tant d’ardeur, c’est qu’il y avait à dire. L’État nouveau doit s’appuyer sur ces critiques, travailler à se défaire de sa caricature, accepter d’être défétichisé s’il faut.

      Dans le même temps, deux chantiers intellectuels doivent être ouverts pour répondre à deux des affirmations anti-étatistes que nous avons vu exposées ci-dessus :

      • l’État est l’ennemi de la société ;
      • l’État est l’ennemi de la liberté.

      Ces chantiers sont d’autant plus prioritaires que ces affirmations rencontrent de plus en plus d’échos. Pour une grande partie de la population, notamment au sein des classes populaires, l’État n’apparaît en effet que sous sa forme négative : que ce soit à raison de sa dimension fiscale (taxes, « charges », radars autoroutiers) ou répressive (violences policières[28], contrôle au faciès, restrictions des libertés). Cette multiplicité d’éléments que l’opinion publique ne relie pas aux redistributions sociales alimente l’image d’un État coupé de sa population ou, pire, érigé contre elle et sa liberté. Cet état de fait exige en réponse l’amorce d’un double processus :

      1/ D’une part, il faut reconnecter l’État à la société. La dimension permanente et continue de l’existence étatique étant le miroir inversé de la vie humaine (soumise à la mort et l’extinction), on a pris l’habitude de concevoir l’État comme appartenant à une sphère séparée de celles des Hommes. À tort. En s’appuyant sur la philosophie politique de Spinoza, il est possible de penser l’État, non comme une instance subsistant en dehors des Hommes mais comme une véritable émanation de ces derniers. Pour Spinoza, ce qui définit toute chose c’est le conatus – c’est-à-dire « l’effort » par lequel cette chose « tend à persévérer dans son être » (L’Éthique). Ce conatus chez l’Homme lui confère à la fois un besoin de liberté et de sécurité. Depuis Hobbes, on sait que l’État formé par contrat social est généralement perçu comme le meilleur garant de la sécurité individuelle. Mais cette sécurité se paye au prix de la liberté. Le coup de force de Spinoza est de trouver le moyen d’allier les deux. Pour y parvenir, écrit le philosophe hollandais, il convient de mettre en place un État démocratique[29]. Mû et régi par le demos, l’État protège et sert nécessairement la société qui le commande. De même, n’étant plus une force extérieure à cette société mais son émission, le risque d’une privation de liberté disparaît. Mieux, l’État peut grâce à son imperium augmenter la « puissance d’agir » des individus et développer un « agir social » [30] bénéficiant à tous.

      2/ D’autre part, il faut (re)faire de l’État, un instrument de combat contre l’ordre injuste. Ici aussi, la mise en œuvre de ce second processus doit puiser dans la philosophie républicaine. Récemment Jean-Fabien Spitz[31], s’appuyant sur Philip Pettit[32], a montré en ce sens qu’à rebours d’une certaine vulgate faisant du républicanisme l’ennemi de la liberté, cette dernière est au contraire au cœur de la doctrine républicaine. La controverse provient des différentes acceptions de la notion de liberté que Jean-Fabien Spitz modélise entre la « non-interférence » et la « non-domination ». Pour beaucoup, la liberté consiste à « faire tout ce qu’on veut », à ne pas être empêché ni gêné. C’est la liberté revendiquée comme « non-interférence ». Cette conception de la liberté, à l’origine de la pensée libérale et libertaire, rejette l’État catégorisé comme une puissance interférente. Mais il existe une autre conception qui définit la liberté comme une « non-domination ». Cette dernière, héritière du républicanisme antique, considère que la liberté la plus essentielle est celle de ne pas être esclave, en d’autres termes, d’avoir des droits politiques[33].

      Aujourd’hui, les partisans de cette liberté républicaine revendiquent la garantie de ne pas être blessé dans son humanité, dans sa dignité et de se voir reconnu comme titulaire de droits inaliénables. Aux yeux de cette liberté, conçue comme « non-domination », l’État peut être un adversaire des individus. C’est pourquoi, il doit être encadré et tenu sous le contrôle de pare-feu (le droit, la Constitution, le contrôle administratif d’abus de pouvoir[34]). Mais le danger peut être autre (la guerre, les invasions, la tyrannie, celui des oppresseurs contre les opprimés). Dans ces cas, comme le note Rousseau au cours d’un raisonnement du Contrat social analogue à celui de Spinoza : « il n’y a que la force de l’État qui fasse la liberté de ses membres »[35]. Ce renversement de perspective d’un État n’étant plus le problème mais la solution se résume chez le philosophe Alfred Fouillée par une formule fameuse : « l’État ne confisque aucun droit, il les garantit tous »[36].

      Le désordre du monde actuel doit nous inviter à nous saisir de ces deux modèles pour évaluer les dangers contemporains qui mettent en péril les libertés et le corps social. La première de toutes ces menaces est le risque d’effondrement généralisé. Ce risque environnemental met en accusation la vie humaine (l’anthropocène) mais aussi et surtout les conséquences de son activité économique (le capitalocène), comprendre l’extension sans fin du marché, la quête de profit et d’accumulation. En France, écrasés par cette organisation capitaliste de l’économie, les Gilets jaunes ont parlé de leurs « vies diminuées »[37]. À raison. Le phénomène d’aliénation et de fétichisme de la marchandise analysé par Marx continue d’éroder les existences. Les travailleurs, écrasés, souffrent de la domination du monde marchand. C’est ici qu’il faut reconvoquer l’État à la lumière de ces nouvelles données. Connecté démocratiquement aux aspirations du grand nombre et des travailleurs, aiguillé par la souveraineté populaire, l’État nouveau devra être missionné pour répondre aux enjeux écologiques, sociaux et démocratiques[38]. Pour ce faire, il faudra s’extirper des débats caricaturaux (centralisation/décentralisation[39]) en proposant un ré-échelonnage de la décision publique articulant l’international, le national et le local[40] ; interdire l’aide au financement des chantiers écocides et rediriger ces mannes financières vers la bifurcation écologique, redonner du sens à l’impôt en mettant en place une fiscalité juste et une véritable répression contre l’évasion fiscale ; il faudra enfin rétablir « la République dans les faits » à travers l’activation de nouveaux réseaux, la remise en état des services publics et l’investissement massif dans l’éducation nationale. En un mot, « démocratiser l’État au lieu de le réduire » : telle est la réponse républicaine[41].

       

       

       

      [1] C. Schmitt, La notion de politique ; Théorie du partisan, Paris, Flammarion, 1992.

      [2] Carl Schmitt ayant appartenu au parti nazi entre 1933 et 1936, la lecture de son œuvre nécessite évidemment précaution, mise à distance et conscience critique de cette dimension biographique du juriste allemand.

      [3] O. Beaud, La puissance de l’État, Paris, PUF, 1994.

      [4]https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/05/economie-de-marche-la-crise-du-coronavirus-provoque-le-grand-retour-de-l-etat_6035651_3234.html

      [5] https://www.liberation.fr/debats/2020/03/25/covid-19-le-retour-de-l-etat-providence_1782897

      [6] https://www.lefigaro.fr/vox/politique/la-crise-du-coronavirus-ou-le-retour-de-l-etat-20200323

      [7] https://www.la-croix.com/Economie/Monde/Face-coronavirus-retour-lEtat-2020-03-26-1201086163

      [8] https://le1hebdo.fr/journal/numero/290

      [9] Dans la philosophie allemande, la Weltanschauung correspond à la « conception du monde ».

      [10] On doit à Tocqueville la première énonciation de ce continuum étatique, v. A. de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution (1856), Paris, Gallimard, 1985.

      [11] J. Barbey, F. Bluche, S. Rials, Lois fondamentales et succession de France, Paris, Diffusion-Université-Culture, 1984.

      [12] E. Kantorowicz, Les deux corps du roi : essai sur la théologie politique au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 2019.

      [13] Il faut également dire que les nombreuses guerres extérieures à partir du XVIIIe siècle vont générer des coûts et la création d’une armée permanente nourrissant ainsi le besoin d’un État percepteur d’impôts désormais vitaux. On peut ainsi dire, comme le résume Charles Tilly dans sa fameuse formule, que « la guerre a fait l’État autant que l’État a fait la guerre ».

      [14] Voir sur la nature du « républicanisme jacobin » et sa « sensibilité », J. de Saint-Victor et T. Branthôme, Histoire de la République en France. Des origines à la Ve République, Paris, Economica, 2018, p. 13-17.

      [15] Sur l’histoire de l’administration et son évolution au XIXe siècle, voir l’ouvrage de référence de l’historien du droit Grégoire Bigot, L’administration française. Politique, droit et société. 1789-1870, Paris, LexisNexis, 2014.

      [16] M. Braddick, « Réflexions sur l’État en Angleterre (XVIe-XVIIe siècles) », in Histoire, économie & société, 2005, vol. 24e année, no. 1, pp. 29-50.

      [17] « L’habitant des États-Unis apprend dès sa naissance qu’il faut s‘appuyer sur soi-même pour lutter contre les maux et les embarras de la vie ; il ne jette sur l’autorité sociale qu’un regard défiant et inquiet, et n’en appelle à son pouvoir que quand il ne peut s’en passer », A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1835), Paris, Gallimard, 1986, t. II, p. 274.

      [18] Des réflexions intéressantes à lire à ce sujet dans le numéro spécial de la revue Nouvelles FondationS, « L’État dans tous ses états », 2007/1, n°5.

      [19] Lénine, L’État et la révolution (1917), Paris, La Fabrique, 2012.

      [20] Notons qu’il existe en parallèle une tradition contraire qui, de Louis Blanc à Ferdinand Lassalle, considère que l’État peut et doit être utilisé pour lutter contre le capitalisme. Sur la question, P. Fouquet, « Marxisme et socialisme étatique », in Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 12, 1981, n°1. p. 83-119.

      [21] R. Gombin, Les origines du gauchisme, Paris, Seuil, 1971.

      [22] Sur ce sujet, lire M. S. Christofferson, Les intellectuels contre la gauche : l’idéologie antitotalitaire, 1968-1981, Marseille, Agone, 2014.

      [23] P. Clastres, La société contre l’État, Paris, Éditions de Minuit, 1974.

      [24] Pour une histoire de ce rapport à la « réforme de l’État », voir la thèse de Philippe Bezes, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009.

      [25] Pour un regard sur la question, v. N. Matyjasik et M. Guenoun (dir), En finir avec le New Public Management, Paris, Institut de la gestion publique et du développement économique, 2019.

      [26] S. Audier, Le colloque Walter Lippmann : aux origines du « néo-libéralisme », Lormont, Le Bord de l’eau, 2012 ; S. Halimi, Le grand bond en arrière : comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Marseille, Agone, 2012 ; F. Denord, Le néo-libéralisme à la française : histoire d’une idéologie politique, Marseille, Agone, 2016 ; G. Chamayou, La société ingouvernable : une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La Fabrique, 2018 ; B. Amable et S. Palombarini, L’illusion du bloc bourgeois : alliances sociales et avenir du modèle français, Paris, Raisons d’agir éditions, 2018.

      [27] M. Le Bretton, « La révolte au temps du coronavirus » in Quartier général du 23 avril 2020, https://qg.media/2020/04/23/la-revolte-au-temps-du-coronavirus-par-manon-le-bretton/.

      [28] Sentiment grandissant actuellement du fait de l’explosion des violences policières. Sur cette question, voir le travail de recension de David Dufresne.

      [29] Pour les détails de cette construction philosophique : J. de Saint-Victor et T. Branthôme, Histoire de la République en France. Des origines à la Ve République, op. cit., p. doit 105-111.

      [30] Voir en ce sens l’édito de notre Institut du 23 avril 2020 par Fabien Escalona, https://institut-rousseau.fr/le-retour-de-letat-oui-mais-pas-nimporte-lequel/.

      [31] J.-F. Spitz, Le moment républicain, Paris, Gallimard, 2005.

      [32] P. Pettit, Républicanisme : une théorie de la liberté et du gouvernement, Paris, Gallimard, 2003.

      [33] Cette liberté est donc intimement liée à la notion de citoyenneté. Voir sur toutes ces questions, J. de Saint-Victor et T. Branthôme, Histoire de la République en France. Des origines à la Ve République, op. cit., p. 31-45.

      [34] Nicolas Roussellier a ainsi montré que le pouvoir exécutif et l’utilisation des moyens l’État ont été en partie accepté par le grand nombre du fait de l’extension des prérogatives du juge administratif, cf. N. Roussellier, La force de gouverner : le pouvoir exécutif en France, XIXe-XXIe siècles, Paris, Gallimard, 2015.

      [35] J.-J. Rousseau, Du contrat social (1762), Paris, Gallimard, 1964, Livre II, chap. XII, p. 216.

      [36] A. Fouillée, La science sociale contemporaine, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1885, p. 31.

      [37] Sur cette dimension des Gilets jaunes, je me permets de renvoyer à un article écrit pour la revue Positions : https://positions-revue.fr/le-moment-gilets-jaunes-i-ce-quils-ont-su-dire/

      [38] C’est tout l’objet des propositions de l’Institut Rousseau dans le cadre de son dossier « Comment reconstruire ? » ainsi que dans ses précédentes publications.

      [39] C’est à un dépassement de ce débat qu’invite la note de Maxmilien Pierre-Latour, in https://institut-rousseau.fr/decentralisation-et-organisation-territoriale-vers-un-retour-a-letat/.

      [40] Voir en ce sens le livre de David Djaïz, Slow démocratie : comment maîtriser la mondialisation et reprendre notre destin en main, Paris, Allary Editions, 2019.

      [41] J.-F. Spitz, Le moment républicain, op. cit.. p. 41.

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