Vers une privatisation de la Banque de France ?
François Villeroy de Galhau a été nommé gouverneur de la Banque de France en novembre 2015 après une mission d’étude de quelques mois destiné à faire oublier que, jusqu’en avril 2015, il était le numéro 3 de BNP Paribas. Cette nomination avait soulevé des objections de la part de nombreux économistes[1]. Il est désormais en passe d’être reconduit à la tête de la Banque de France par Emmanuel Macron[2]. Sa nomination a pourtant fait l’objet, tant dans le monde financier et économique qu’en interne, de très fortes critiques du fait des conflits d’intérêt qu’elle soulevait ; son expérience, son réseau, sa vision des choses, son état d’esprit risquait de l’amener à défendre les intérêts du secteur bancaire plutôt que ceux de la collectivité. La Banque de France est en effet par plusieurs de ses missions et attributions la « banque des banques » et son gouverneur est le président du Collège de supervision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), organisme chargé du contrôle des banques. Sa reconduction, en 2021, pose les mêmes questions au regard de l’analyse de son action. Quel bilan à l’heure de sa reconduction ? Fin 2020, François Villeroy de Galhau appelait à ramener le taux des Plans d’Épargne Logement – les PEL – ouvert avant 2011, et dont la rémunération s’élève à 4,4 % au minimum, à 1 % seulement[3]. Selon lui, cette rémunération met en danger les banques commerciales, lesquelles, en 2020, ont pourtant réalisé un niveau record de 21 milliards d’euros de bénéfices. Le gouverneur de la Banque de France s’est également opposé à la proposition d’annulation des dettes publiques détenues par la BCE portée par l’Institut Rousseau et par près de 150 économistes à travers l’Europe[4], tout comme il s’est opposé à l’idée de monnaie hélicoptère[5], prônant au contraire le retour à la maîtrise du déficit et de la dette publique en coupant dans les dépenses. Il s’est enfin longtemps opposé à la rupture avec le dogme de la neutralité monétaire qui empêche la banque centrale de jouer un rôle, qui serait pourtant essentiel, dans la lutte contre le changement climatique en déclarant : « Ne nous trompons pas sur la nature de la politique monétaire. Elle doit permettre d’atteindre des objectifs macroéconomiques, plutôt que des objectifs spécifiques liés à tel ou tel secteur »[6] avant de reconnaître partiellement, plusieurs années plus tard, que la politique monétaire pouvait bien jouer un rôle dans ce domaine. Cela n’a toutefois pas empêché la BCE, dans sa revue récente de politique monétaire, de conserver ce dogme absurde de la neutralité monétaire[7]. François Villeroy de Galhau milite également activement pour qu’il n’y ait aucune hausse de la fiscalité. Il pense sans aucun doute à l’ISF qui a été supprimé et qu’il ne faut pas rétablir, au Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU) sur les dividendes – la “flat tax” qui s’est substituée à la taxation selon le barème progressif de l’impôt sur les revenus – qu’il faut maintenir en l’état, aux niveaux de prélèvements sur les stock-options qu’on ne doit pas remonter et à toutes les mesures élargissant les avantages fiscaux fait sur les placements financiers qu’il ne fait pas toucher. De beaux exemples d’idéologie économique conservatrice, toute entière tournée vers la préservation du capitalisme financier. Et si sa reconduction à la tête de la Banque de France visait à parachever une autre œuvre, celle de sa privatisation rampante ? Examinons les faits. La Banque de France comptait fin 2015, 12 269 agents équivalents Temps Plein (ETP)[8]. Fin 2020, ceux-ci ne sont plus que 9 535 (soit -22 %). Cette baisse des effectifs était certes amorcée depuis des années mais elle a été fortement amplifiée sous la gouvernance de François Villeroy de Galhau. Entre 2010 et 2015, la baisse des effectifs avait été de l’ordre de 9 %. Fin 2024, selon les prévisions établies par la Banque de France, le nombre d’emplois devrait être descendu à 8 800. Selon les syndicats unanimes, celui-ci devrait être en fait inférieur à 8700 ; soit une diminution supplémentaire de près de 10 %. François Villeroy de Galhau a donc appliqué, à la tête de la Banque de France, le dogme du moins-d’État et le crédo qu’il faut sans cesse et partout “dégraisser le mammouth” pour réduire les dépenses. Le nombre d’emplois supprimés et celui des missions de services publics dégradées au cours de ces dernières années constituent ainsi sa véritable marque à la tête de la Banque de France (et bien évidemment celle de sa tutelle). François Villeroy de Galhau peut aussi s’enorgueillir que les sommes versées par la Banque de France à son actionnaire unique, l’État, sont en hausse régulière : la contribution de notre Banque Centrale Nationale au budget de l’État (impôts sur les sociétés et dividendes) a été en 2019 de 6 milliards d’euros, soit 2,7 % des recettes nettes du budget général de l’État, alors qu’elle n’était que de 1,6 % en 2015. Mais cette évolution doit beaucoup à la conduite de la politique monétaire non-conventionnelle de la BCE qui conduit l’État à verser plus de dividendes à la Banque de France, que celle-ci lui reverse en partie par la suite. En fait, les évolutions de la Banque de France au cours des dernières années nous renvoient à un triple échec. Le premier échec réside dans une contribution “négative” à l’aménagement du territoire ; le second dans une moindre participation aux services publics que l’État doit rendre à ses administrés ; et le dernier dans le recul de la mission régalienne qui est celle de la Banque de France de l’entretien de la monnaie fiduciaire, à travers ce que l’on pourrait même considérer comme une privatisation de cette activité. 1. Premier échec : une contribution négative à l’aménagement du territoire et un affaiblissement considérable de l’institution Banque de France 1. Une baisse massive des effectifs et une modification de certains statuts. La baisse des effectifs n’est pas également répartie au sein de la Banque de France. Mais “l’effort d’adaptation” accompli – pour reprendre les
Par Dicale L.
18 octobre 2021