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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Résultats pour : Ophélie Coelho

La transformation numérique « néfaste au numérique européen »

La réglementation ne permettra pas à l’Europe de reprendre le contrôle de sa souveraineté technologique, affirme Ophélie Coelho, de l’Institut Rousseau, à la newsletter Souveraine Tech. Il serait plus utile d’accélérer une politique industrielle. «Le concept même de ‘transformation numérique’, associé aux politiques de modernisation des États et des entreprises portées au niveau national et européen, a été très néfaste au numérique européen. Il a conduit à l’accélération de l’adoption des produits issus des GAFAM, dans un contexte où la réglementation ne garantissait aucun garde-fou dans l’usage primaire et secondaire des données numériques», indique la chercheuse de l’Institut Rousseau, Ophélie Coelho, à la newsletter hebdomadaire Souveraintech. Lire la suite sur Paperjam.

Par Paperjam

25 avril 2022

La Russie peut-elle vraiment nous priver d’Internet ?

La Russie aurait évoqué l’idée de couper Internet en s’attaquant à des câbles sous-marins. Cela est-il possible ? « Aujourd’hui, Internet fonctionne à 98 % via les câbles sous-marins, notamment pour connecter les continents entre eux, confirme Ophélie Coelho, spécialiste en géopolitique du numérique. Si l’on dépend autant de ces câbles, c’est parce que nous avons besoin des technologies américaines, et que le réseau SWIFT est interconnecté entre les continents. Nous avons donc besoin de ces câbles. » « Il existe quand même 436 câbles sous-marins à travers le monde, rappelle cette membre du Conseil scientifique de l’Institut Rousseau. Cela fait un réseau assez dense et résilient. En Europe, nous sommes assez bien pourvus : la France est connectée à une vingtaine de câbles, pas seulement un ou deux. Sans compter des câbles stratégiques dont on ne connaît pas le nombre, car c’est secret défense. » Lire la suite et écouter le podcast sur Sud Radio.

Par Sud Radio

25 avril 2022

Souveraineté numérique : enjeux géopolitiques

Première table ronde d’une journée de conférence dédiée à la souveraineté numérique, dans le cadre des présidentielles 2022, les intervenants Ophélie Coelho, Tariq Krim, Jean-Paul Smets et Clothilde Bômont abordent ici les enjeux géopolitiques. Voir la conférence Recension par Techologie, à lire en ligne ici : « Pour Ophélie Coelho, chercheuse indépendante spécialiste des enjeux de géopolitique du numérique, aborder le concept de souveraineté numérique nécessite d’abord de prendre en considération les interdépendances entre acteurs techniques et industriels. Celles-ci concernent tout autant la chaîne de fabrication des réseaux physiques, les infrastructures de stockage et la couche logicielle que les terminaux qui rendent possible notre vie numérique. Parfois, les dépendances touchent au territoire : les pays enclavés comme la Suisse ou le Burkina Faso dépendent des pays frontaliers pour leur accès aux câbles sous-marins; les territoires européens riches en eau ou ayant accès à la mer du nord, comme la France ou la Finlande, sont des lieux favorables à l’installation de nouveaux serveurs… Malheureusement, l’écosystème fait face à de très grandes disparités de pouvoirs et de dépendances : l’essentiel du trafic internet mondial passe par les centres de données loués ou appartenant aux Big techs, qui investissent également dans les infrastructures physiques tels que les câbles sous-marins. En tant que simples clients de plateforme, nous ne parvenons pas à les réguler par le droit, et restons soumis à ces acteurs devenus très puissants, qui peuvent peser sur notre capacité d’autodétermination. Ainsi, plutôt que de rester sur une logique unique de régulation fondamentalement basée sur le principe de confiance, l’enjeu crucial est de mieux gérer nos dépendances en mettant en place une réelle stratégie dédiée à la maîtrise des technologies clefs. Selon Clotilde Bômont, chercheure au centre de recherche et de formation GEODE et doctorante à l’Université Panthéon-Sorbonne, il n’y a pas de définition neutre pour la souveraineté numérique. Cela ne peut être qu’une définition qui s’intéresse à plusieurs facteurs : – stratégique : s’affirmer sur la scène internationale ; – économique : l’Europe n’en profite pas. Les données ne profitent qu’aux géants du web américains. Rien d’anecdotique, l’argent qu’aspire les GAFAM en Europe sans retour fiscal permet aujourd’hui de manière indirecte de financer les retraites américaines. – éthique, civique et moral : influence des Big Tech, les États devenant des « colonies numériques ». Pour Tariq Krim, entrepreneur pionnier du web français et initiateur du mouvement « slow web », le problème en France dure depuis des décennies et se résume par l’incompétence des dirigeants français, nourris aux benchmarks des cabinets de conseil, sans jamais de réelle stratégie numérique. Pire encore, il y a une attirance exclusive et malsaine pour tout ce qui brille. Et donc tout ce qui vient des États-Unis. Exemple marquant, la réception en 2019 par Macron de Zuckerberg , comme un chef d’Etat pour une réunion… « Tech for good ». Aujourd’hui, quand on parle de souveraineté numérique, on pense plus souvent au cloud qui est d’abord du logiciel et non pas du matériel comme on aurait tort de le penser. Lorsque le logiciel est rôdé, il devient aisé de le vendre et les services qui vont avec. Sorti en mai 2021 et annoncé en grande pompe par le Gouvernement, le « Cloud de confiance », est un label pour adopter les solutions de cloud américaines avec des gardes-fous minimum : un gestionnaire de compte français (ne riez pas !). Un des projets emblématiques sur ces questions de souveraineté c’est bien sûr le Health Data Hub, la base de données agrégeant des données pseudonymisées de santé des français à des fins de recherche et propulsé par des solutions Microsoft Azure. Contrairement à ce qui « est vendu », cette dépendance aux GAFAM est non réversible. C’est un acte manqué de financer les acteurs français ou européens. On ne donne ni le temps, ni les moyens aux acteurs européens de mettre en place des solutions souveraines. De plus, les acteurs choisis pour implémenter un Cloud souverain sont à chaque tentative, des grands groupes qui n’y connaissent rien alors que de petits acteurs compétents et même spécialistes du sujet sont snobés. Sans compter que les grands groupes attirent dans leur rang les meilleurs ingénieurs, débauchés aux PME ce qui génère une déstabilisation du marché de l’emploi. Qu’est devenu le « Cloud souverain » d’Orange et SFR subventionné par de l’argent public ? Revendu à Huawei et Red Hat. Pour Jean-Paul Smets, co-fondateur de l’alliance Euclidia, un autre problème est que les grands groupes notamment français ne jurent que par les solutions des GAFAM : elles ne demandent qu’exclusivement du GCP (Google), de l’AWS (Amazon) ou de l’Azure (Microsoft). Le choix des systèmes d’exploitation et logiciels libres parait encore dans ce contexte comme un acte militant. Enfin, un problème majeur de souveraineté numérique est dans la non-maîtrise des technologies. On forme de moins en moins d’ingénieurs et de plus en plus de techniciens de plateforme. En devenant des spécialistes des technologies créées par les GAFAM, les développeurs clouds, mais aussi toute une catégorie de métiers du webmarketing, deviennent à leur tour dépendants de ces entreprises pour leur accès au marché du travail. » -> Lire toute la newsletter Techologie

6 février 2022

Il est urgent d’agir face au développement du marché des cryptoactifs – Liste des signataires de la tribune

Présentation succincte : Signée par plus de 170 économistes, informaticiens, experts et personnalités scientifiques, cette tribune a pour objectif d’alerter sur les risques croissants, en matière économique, financière, écologique et sociale, liés au développement anarchique des cryptoactifs. Face à l’inaction des États en cette matière, elle introduit également plusieurs principes de régulation pour maîtriser ces risques et poser les bases d’une utilisation saine et responsable des technologies innovantes sous-jacentes à ces cryptoactifs. Pour toute information supplémentaire au sujet de cette tribune et des travaux qui l’accompagnent, vous pouvez écrire à l’adresse : contact@institut-rousseau.fr. Vous souhaitez apporter votre soutien à notre démarche ? Vous pouvez remplir ce formulaire, vous serez ajouté aux signataires. Découvrez la tribune.   Initiateurs : Nicolas Dufrêne, haut fonctionnaire, économiste et directeur de l’Institut Rousseau Jean-Michel Servet, professeur à l’Institut des hautes études internationales et du développement (Genève) Jean-Paul Delahaye, professeur à l’Université de Lille, informaticien et mathématicien Ont notamment soutenu la tribune : Gaël Giraud, directeur du programme de justice environnementale à l’Université de Georgetown et président d’honneur de l’Institut Rousseau Gérard Berry, Professeur émérite au Collège de France, médaille d’or du CNRS 2014 Michel Aglietta, professeur émérite université Paris Nanterre et conseiller scientifique au Cepii Jean-Louis Desvignes Président de l’Association des Réservistes du Chiffres et de la Sécurité de l’Information (ARCSI) Jean-Gabriel Ganascia, informaticien et philosophe, membre du comité national pilote d’éthique du numérique Alain Grandjean, économiste, entrepreneur et polytechnicien, membre du Haut Conseil pour le climat Serge Abiteboul, chercheur à l’Inria, Membre de l’Académie des Sciences Alain Supiot, juriste, professeur émérite au Collège de France Stéphane Ducasse, Directeur de recherche inria Rachid Guerraoui, professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), directeur du laboratoire de calcul distribué. Professeur invité sur la chaire annuelle Informatique et sciences numériques du Collège de France. Paul de Grauwe, London School of Economics, John Paulson Chair in European Political Economy Alexandre Rambaud, maître de conférences en comptabilité financière et écologique à AgroParisTech Jacques Dubochet, prof. hon. Université de Lausanne, prix Nobel, chimie 2017 Dominique Plihon, professeur émérite à l’Université Sorbonne Paris Nord François Morin, professeur émérite à l’Université Capitole de Toulouse Pierre Dockès, Professeur émérite de sciences économiques, université Lumière Lyon 2 Didier Roux, Membre de l’Académie des Sciences, Membre de l’Académie des Technologies Liste complète des signataires tribune collective cryptoactifs (174 signatures) A Serge Abiteboul, chercheur à l’Inria, Membre de l’Académie des Sciences Jean-Robert Alcaras, Maître de conférences (hors-classe) en sciences économiques, Avignon Université Nicole Alix, ancienne dirigeante de l’économie sociale, banque et association Michel Aglietta, professeur émérite université Paris Nanterre et conseiller scientifique au CEPII Arvind Ashta, Professeur Burgundy School of Business (Dijon) Danielle Attias, Professeur Emérite, CentraleSupélec – Université Paris-Saclay Jean Andreau, Historien, directeur d’études émérite à l’École des hautes études en sciences sociales Geneviève Azam, économiste française, maître de conférences en économie et chercheuse à l’université Toulouse-Jean-Jaurès B Eveline Baumann, socio-économiste et chercheuse honoraire Gérard Berry, Professeur émérite au Collège de France, médaille d’or du CNRS 2014 Jacques Bichot, économiste français, professeur des universités, membre honoraire du Conseil économique et social Jérôme Blanc, professeur à l’IEP de Lyon Eric Berr, Maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux Pierre Boulet, professeur d’informatique, vice-président infrastructures numériques de l’université de Lille Dominique Bourg, philosophe et professeur honoraire à l’université de Lausanne David Bourghelle, Responsable du Master Finance, Développement et Trésorerie de l’Entreprise (FDTE) à l’IAE de Lille Olivier Brette, maître de conférences en économie, INSA Lyon, Laboratoire CNRS Triangle C Alain Caillé, professeur émérite de sociologie à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense Pierre Calame, président honoraire de la Fondation pour le Progrès de l’Homme Matthieu Caron, maître de conférences en droit public à l’université Polytechnique des Hauts de France, directeur général de L’Observatoire de l’éthique publique Sylvie Cieply MCF HDR en Sciences économiques Université de Caen Denis Clerc, Fondateur du magazine Alternatives économiques Ophélie Coelho, chercheuse indépendante en géopolitique du numérique, Institut Rousseau Jean-François Colonna, Chercheur au Centre de Mathématiques Appliquées de l’École Polytechnique Benjamin Coriat, Professeur des Universités Faculté des Sciences Economiques. Université Paris 13. Sorbonne Paris Cité D Eric Dacheux, professeur des universités en sciences de l’information et de la communication à l’université Clermont Auvergne Véronique Danet, Cadre bancaire, déléguée syndicale banques-assurances UGICT-CGT Jean-Paul Delahaye, professeur à l’Université de Lille, informaticien et mathématicien Louis Derathé, expert en sécurité des système d’information pour Thalès Philippe Derudder, économiste, ancien chef d’entreprise Christian Descamps, maître de conférences émérite, Université de Bourgogne, médiateur bancaire Etienne Descure, Président de la société d investissement Magellan Ludovic Desmedt, professeur d’économie à l’université de Bourgogne Jean-Louis Desvignes Président de l’Association des Réservistes du Chiffres et de la Sécurité de l’Information (ARCSI) Nahla Dhib, enseignante chercheur en mathématiques appliquées, membre de l’équipe Proba-stat à LJAD, université Côte d’Azur Laurent Dicale, ancien directeur départemental de la Banque de France Pierre Dockès, Professeur émérite de sciences économiques, université Lumière Lyon 2 Bernard Drevon, Professeur agrégé Sciences économiques et sociales, retraité. Stéphane Ducasse, Directeur de recherche inria Hélène Ducourant, Maîtresse de Conférences en Sociologie, Université Gustave Eiffel – LATTS Benoist du Crest, économiste think-tank Rénov Eco Jean Paul Dufour, Professeur honoraire, Université de Bourgogne Nicolas Dufrêne, haut fonctionnaire, économiste et directeur de l’Institut Rousseau Marie-José Durand-Richard, Chercheuse associée SPHERE (Paris Diderot-CNRS), MCF honoraire Université Paris 8 Denis Dupré, enseignant-chercheur en finance et éthique à l’Université Grenoble-Alpes Timothée Duverger, Maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux F Marie Fare, maîtresse de conférences en économie à l’université Lumière Lyon-2 Hugues Ferreboeuf, Ingénieur, cofondateur Virtus Management Georges Fontaines, Président du Conseil de surveillance groupe TECHNE Eric Froment, Professeur retraité Université Lyon2 G Jean-Gabriel Ganascia, informaticien et philosophe, membre du comité national pilote d’éthique du numérique Muriel Gilardone, Maîtresse de conférence en économie, Université de Caen Normandie, Laboratoire IDEES Lucien Gillard, économiste, chercheur au CNRS Gaël Giraud, directeur du programme de justice environnementale à l’Université de Georgetown et président d’honneur de l’Institut Rousseau Pascal Glémain, maître de conférences, Université Rennes 2 Pierre-Yves Gomez, Professeur EMLyon Business School Daniel Goujon, Maître de conférences en sciences économiques à l’université

1 février 2022

« La non-maîtrise des technologies affaiblit nos capacités de négociation » Tribune de la chercheuse Ophélie Coelho au « Monde »

Dans une tribune au « Monde », la chercheuse Ophélie Coelho défend l’idée d’une stratégie industrielle européenne pour le numérique capable de mieux organiser la résistance aux géants du secteur comme Facebook ou Google, qui cherchent à maintenir nos entreprises en situation de dépendance. En juillet 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que l’accord autorisant le transfert de données personnelles européennes aux Etats-Unis, dit Privacy Shield, était caduc, car les Européens n’avaient aucun moyen efficace de contester la surveillance du gouvernement américain. En réaction, la Commission irlandaise de protection des données a formulé un ordre préliminaire à Facebook afin de suspendre les transferts de données de l’Union européenne vers les Etats-Unis. Pourtant, en décembre 2021, Meta (nouveau nom du groupe Facebook) a estimé être en droit de poursuivre les transferts, faisant fi des décisions européennes et démontrant une nouvelle fois que les géants du numérique n’entendent pas se plier aux injonctions des Etats.   Car, si sa décision relevait du bon sens, la CJUE ne dispose pas des moyens de pression nécessaires pour la faire respecter. Il serait temps de le comprendre pour de bon : sans la maîtrise des technologies qu’elle tente de réguler, l’Europe est dans la position d’un client dépendant d’une entreprise monopolistique, dont les missives au service après-vente finiraient dans la corbeille à papier. Et cette situation, qui concerne autant Facebook que l’ensemble des Big Tech, ne se borne pas au seul sujet des données numériques : si les Big Tech dominent les usages sur le Web, elles prennent également possession des infrastructures de l’Internet, telles que les câbles sous-marins de télécommunication par lesquels passent 98 % de notre activité en ligne, et deviennent le pilier numérique de la 5G et du New Space [l’utilisation commerciale de l’espace par des acteurs privés]. Finalement, la non-maîtrise des technologies affaiblit nos capacités de négociation avec ces acteurs comme avec les grands Etats qui les supportent, à commencer par la Chine et les Etats-Unis.   Garantir le respect du droit Une stratégie industrielle reposant sur le développement technologique apparaît donc nécessaire pour rééquilibrer cette relation et pour pouvoir garantir le respect du droit. Celle-ci doit d’abord cibler les secteurs-clés de la santé ou de la sécurité intérieure, afin de sortir des dépendances actuelles vis-à-vis de ces entreprises, telles que Microsoft – qui héberge le Health Data Hub, plate-forme de centralisation des données de santé des Français –, ou Palantir – entreprise créée avec le soutien de la CIA, sous contrat avec la direction générale de la sécurité intérieure. Un plan de remplacement progressif des outils et services des Big Tech par des solutions européennes est nécessaire, en commençant par la commande publique, qui pourrait être explicitement tournée vers des outils nationaux et européens. Cela suppose aussi de remettre en cause le label français « Cloud de confiance », car celui-ci favorise – et accélère même – l’adoption des technologies issues des Big Tech sans proposer en parallèle une stratégie alternative pour s’en défaire.   Lire la suite

Par Le Monde, Ophélie Coelho

17 janvier 2022

Souveraineté numérique : quels enjeux pour la présidentielle 2022 ?

Nous vous donnons rendez-vous ce samedi 15 janvier pour une journée de réflexion sur les enjeux politiques de la souveraineté numérique, liés notamment à la menace des géants du numérique mais aussi aux nombreuses difficultés rencontrées pour mener une politique industrielle ambitieuse à l’échelle nationale et européenne. L’événement est co-organisé par Le Vent Se Lève, Le Vent du Changement, l’Institut Rousseau et le Portail de l’Intelligence Économique. Au programme : quatre tables rondes qui balaieront les enjeux géopolitiques, démocratiques, et écologiques que charrient désormais les choix industriels et politiques en matière de numérique. ➜ Table ronde n°1 : Géopolitique du numérique | 9h30-11h Les GAFAM sont-ils autre chose que le versant numérique des enjeux géopolitiques contemporains, ou contribuent-ils à les modifier ? Il est aujourd’hui clair que les GAFAM ne sont aucunement des entités non-étatiques. Dans quelle mesure sont-ils l’instrument de la géopolitique des États, et comment contribuent-ils à influer celle-ci ? Il s’agit dans cette conférence de désenchanter la vision naïve des GAFAM qui prédomine, comme une production technologique immanente issue de la coopération entre États et entreprises : montrer l’ensemble des rapports de force qui sont à l’oeuvre… et l’accroissement de la domination des centres géopolitiques sur les périphéries, que permet la constitution de « centres numériques » par rapport à des « périphéries numériques ». Avec les interventions de : Tariq Krim, Entrepreneur et pionnier du web français. Fondateur de netvibes, jolicloud et polite. Initiateur du mouvement slow web. Ancien vice président du Conseil national du numérique. Ophélie Coelho, Chercheuse indépendante spécialiste des enjeux de la géopolitique du numérique, membre du conseil scientifique de l’Institut Rousseau. Clotilde Bômont, Chercheure au centre de recherche et de formation GEODE et doctorante à l’Université Panthéon-Sorbonne Jean-Paul Smets, PDG de Rapid.Space, co-fondateur de l’alliance Euclidia, fondateur de Nexedi et créateur du logiciel libre « ‘ERP5 ». ➜ Table ronde n°2 : Démocratie et numérique | 11h30-13h Les nouvelles technologies de l’information et de la communication numérique bouleversent les stratégies et tactiques conventionnelles du marketing et de la mobilisation politique. Qu’on songe à l’influence des réseaux sociaux révélé par l’affaire Cambridge analytica ou aux logiques de désintermédiation apparentes entre leader politique et électeurs à l’image de ce que font Alexandria Ocasio-Cortez, Barack Obama, Emmanuel Macron, Donald Trump et Salvini, notre époque impose de nouvelles grilles d’analyse des relations entre sphère publique et conquête du pouvoir à l’ère numérique. Un des problèmes les plus criants auxquels nous sommes aujourd’hui confronté est la crise que ces technologies provoquent dans le modèle jusqu’alors dominant de conception de la démocratie : la parole journalistique auparavant garante d’une relation transparente et critique avec les différentes formes de pouvoir politique, semble aujourd’hui secondarisé par rapport aux nouvelles formes d’interactions et commentaires massifiés des réseaux sociaux. Avec les interventions de : Diana Filippova, Romancière et essayiste, auteure de Technopouvoir. Dépolitiser pour mieux gouverner, (Les liens qui libèrent, 2019). Fabienne Greffet, Maître de conférence en Sciences Politiques, spécialiste des campagnes électorales en ligne et du militantisme numérique. ➜ Table ronde n°3 : Droit, régulation et extraterritorialité | 14h-15h30 Le modèle américain de projection juridique de sa puissance sur les territoires étrangers semble aujourd’hui dépendre pour l’essentiel de l’hégémonie mondiale des gafam. L’affaire Pierucci, l’affaire Snowden et le récent scandale des écoutes d’informations transitant par les câbles sous-marins scandinaves ou encore le système de paiement électronique SWIFT, dessinent toutes le contour d’une crise du modèle unipolaire post-89. Face au rapport de force entre les blocs numériques russes et chinois, nous assistons impuissants à un alignement passifs des États nations européens sur l’idée éculée d’un nouveau monde libre suivant une vision naïve des rapports de force en jeu, et qui laisse de nombreux citoyens insatisfaits en regard de la violence que l’allié américain impose à la souveraineté industrielle et numérique de ces États. Quelles solutions alternatives ? Avec les interventions de : Frédéric Pierucci, Fondateur du cabinet de consulting Ikarian en compliance et prévention de la corruption, ancien cadre dirigeant d’ALSTOM et auteur du Piège américain (JC Lattès, 2019). Juliette Alibert, Avocate spécialisée dans les Droits de l’Homme, affiliée à la Maison des lanceurs d’alerte et au collectif Interhop. Jean-Baptiste Soufron, Avocat spécialisé dans la défense des droits numériques, ancien secrétaire général du Conseil national du numérique. ➜ Table ronde n°4 : Écologie et numérique | 16h-17h30 La « transition numérique » est-elle réellement compatible avec la transition écologique ? L’impact environnemental du numérique est longtemps demeuré une tâche aveugle de l’écologie politique. Aujourd’hui, il n’est plus possible de nier que l’industrie du numérique contribue à l’accroissement de C02 dans l’atmosphère – que l’on pense à l’énergie consommée par les serveurs informatiques ou aux conditions polluantes dans lesquelles s’effectue l’extraction de métaux rares. Dans ces conditions, comment penser une réorganisation de l’industrie numérique soumise à une régulation environnementale ? Un tel changement de paradigme est-il concevable dans un monde où les chaînes de valeur sont globalisées et dominé par une technologie numérique américaine ? Avec les interventions de : Gauthier Roussilhe, Chercheur spécialisé dans les enjeux environnementaux de la numérisation. Richard Hanna, Chargé de mission interministérielle numérique écoresponsable à la DINUM. Adrien Jahier, Consultant et auteur d’une note pour l’Institut Rousseau sur la sobriété numérique. Infos pratiques Quand ? Le samedi 15 janvier 2022, toute la journée. Où ? À l’Université Panthéon Assas, 12 Place du Panthéon, 75005, Paris – Amphithéâtre IV. Un passe sanitaire valide vous sera demandé pour accéder au lieu des conférences. Focus sur le numérique

Par Institut Rousseau

9 janvier 2022

Urgence ! Orientons les investissements publics et privés vers les futurs champions européens du numérique Opinion

Avec plus d’une vingtaine de leaders d’opinion européens du numérique, je [Luc Bretones] lançais il y a près d’un an le club IT50+ (www.IT50plus.com). Les signataires ont décidé de dire stop à la mort de l’écosystème IT innovant en Europe par le monopole des approvisionnements IT des entreprises et institutions européennes auprès de quelques géants non européens. Engageons les investissements numériques issus de nos impôts à plus de 50% vers des acteurs innovants français et européens Nous proposons un engagement simple : “Afin de permettre l’innovation technologique européenne et de développer une vraie diversité numérique tant au niveau de l’infrastructure que des plateformes logicielles, je m’engage, en tant qu’organisation ou dirigeant, à investir plus de 50 % de tout nouveau budget IT (périmètre logiciel, service, cloud et télécom) d’investissement ou de fonctionnement auprès d’acteurs français ou européens et ce, à échéance des engagements en cours et au plus tard dans les 3 ans”. Le secteur privé est en droit de demander a minima un engagement équivalent par le secteur public qui devrait être exemplaire en la matière. Mais comment en est-on arrivé à un tel désert d’innovation numérique en Europe ? Quand les GAFAM interrogent l’administration américaine elle-même Joe Biden vient de nommer Lina Khan, auteure de l’étude Amazon’s Antitrust Paradox, à la tête de la Federal Trade Commission et Tim Wu, spécialiste des questions de neutralité du réseau, au Conseil économique national pour les questions de politique antitrust. Comme le remarque Ophélie Coelho, membre à l’Institut Rousseau du conseil scientifique sur les questions relatives à la géopolitique du numérique, dans son dossier “Les Etats-Unis, les big techs et le reste du monde..”, le ton est donné ! Et ce, dans la continuité “d’un rapport important de la sous-commission antitrust de la Chambre des représentants d’octobre 2020, qui portait sur l’abus de position dominante des entreprises Amazon, Apple, Facebook et Google. Ce document dresse un portrait sévère de l’action de la FTC et du ministère de la Justice, administrations clés de la politique antitrust, en les accusant d’avoir laissé les géants Amazon, Apple, Facebook et Google réaliser plus de 500 acquisitions d’entreprises depuis 1998”. Le pentagone lui-même s’inquiète plus récemment d’une dépendance trop forte vis à vis d’un des ces acteurs de l’oligopole numérique mondial. Il vient en effet de remettre en question le contrat historique de 10 milliards de dollars qu’il avait décidé de confier à Microsoft pour gérer l’ensemble de ses données dans une structure cloud. Ce contrat initialement nommé JEDI pour “Joint Enterprise Defense Infrastructure” a été rebaptisé JWCC pour “Joint Warfighter Cloud Capability” et prévoit désormais l’intervention de différents fournisseurs au lieu d’un seul. Il faut comprendre au moins deux – probablement deux – intégrant Amazon – AWS – l’autre “usual suspect”, grand concurrent de Microsoft sur le marché des infrastructures cloud. Ce scénario répartit la dépendance non plus sur un acteur de l’oligopole mais deux, Amazon ayant connu les foudres de l’administration Trump, cible des analyses politiques du Washington Post, propriété de Jeff Bezos. La collusion entre l’administration américaine et l’oligopole GAFAM s’est considérablement renforcée sur les dix dernières années, la première infrastructure numérique d’intelligence économique mondiale étant désormais portée par les économies d’échelle planétaires de ces acteurs. Le résultat d’une performance symbiotique où la Défense américaine – DOD, Department of Defense – a remarquablement œuvré pour faire émerger ses géants nationaux – comprendre continentaux – de l’internet. Une fois la sélection par la compétition privée opérée, les meilleures de ces licornes sont devenues des titans alliant capacité de recherche incomparable (de l’ordre de 10% ou plus du CA contre moins de 5% pour les leaders IT européens) et obsession de rachat des principaux succès émergents dans leur domaine de marché. Les barrières à l’entrée de la compétition se sont dressées à grande vitesse alors que l’Union Européenne ouvrait largement son marché à des acteurs aux coûts marginaux devenus très bas. L’obsession consumériste de l’Europe a largement participé à un marché asymétrique propice aux parts de marchés staliniennes des GAFAM sur le vieux continent mais aussi aux rachats massifs des fleurons de l’innovation locale par les géants américains dans un premier temps puis également chinois dans un second. Des acquisitions qui viennent soit compléter un spectre de compétences ou de technologies, soit éteindre une concurrence encombrante. Cette concentration d’expertise a permis à son tour le développement d’écosystèmes uniques dans le monde, notamment dans la Silicon valley. Lire l’article complet sur Forbes.

Par Forbes

28 juillet 2021

Câbles sous-marins : les nouveaux pouvoirs des géants du numérique

Début août, une grue sous-marine travaillant à la collecte de sable dans la baie de Kuakata a heurté un câble sous-marin de télécommunications, se traduisant par une perte de 40 % de la vitesse du réseau internet du Bangladesh. En juillet dernier, la Somalie a été totalement privée d’Internet pendant plusieurs heures en raison d’une opération de maintenance à distance du câble sous-marin dénommé « EASSy » qui relie la côte est-africaine au réseau. Ces événements ne sont pas anodins à l’échelle d’un pays : les banques, les compagnies aériennes, les entreprises, les médias et certains services gouvernementaux sont dépendants d’Internet pour fournir leurs services. Aujourd’hui, 98 % des données numériques mondiales circulent par les câbles sous-marins. C’est par exemple le cas du principal système d’échanges de la finance mondiale de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications (SWIFT) qui dépend de la vitesse de ces câbles à fibre optique. Le numérique repose ainsi sur une infrastructure bien réelle : on dénombre aujourd’hui 436 câbles sous-marins de télécommunication, dont 25 traversent l’océan Atlantique et 22 le Pacifique[1]. Passerelles intercontinentales entre les différents réseaux filaires nationaux, les câbles sous-marins débouchent sur des stations d’atterrissement situées en région côtière. La France compte, par exemple, 13 stations d’atterrissement sur son territoire côtier connectant les réseaux filaires nationaux à 23 câbles sous-marins. Ces “routes du fond des mers”, selon l’expression de Florence Smits et Tristan Lecoq en 2017[2], sont les héritiers des premiers câbles télégraphiques du XIXe siècle dont l’emploi permit, en 1858, l’envoi du premier message télégraphique officiel par la reine Victoria au président américain James Buchanan. Le message de 509 lettres avait alors mis 17 heures et 40 minutes à traverser l’océan Atlantique. Aujourd’hui, la fibre optique permet un acheminement de l’information en temps quasi-réel. L’importance qu’a prise l’activité numérique dans nos sociétés contemporaines fait inévitablement des câbles sous-marins des infrastructures vitales au niveau mondial. Pourtant, les chantiers de construction, le développement et l’égalité d’accès au réseau ne font l’objet d’aucune décision multilatérale. Ces infrastructures essentielles sont la propriété d’entreprises qui louent des capacités de bande passante aux acteurs gérant les réseaux télécoms nationaux. Soumis aux aléas du marché et à la loi du plus fort, les câbles sous-marins deviennent progressivement la propriété d’une minorité d’acteurs qui disposent ainsi d’un pouvoir et d’une influence grandissantes sur les États et les entreprises. L’émergence de nouveaux acteurs est d’ailleurs venue bouleverser les équilibres. Si les propriétaires historiques des câbles sous-marins étaient les entreprises privées ou publiques des télécoms, les géants du numérique ont, depuis 2016, massivement investi et possèdent ou louent aujourd’hui plus de la moitié de la capacité des câbles sous-marin. En outre, la stratégie de développement des géants du numérique diffèrent des collectifs traditionnels. Aux grands consortiums, ceux-ci préfèrent des regroupements plus réduits qui leur permettent de conserver le monopole décisionnel. Alors que le projet Africa Coast to Europe (ACE), ouvert en 2012, appartient à un consortium de 19 entreprises des télécoms, le câble MAREA reliant les États-Unis à l’Espagne n’appartient qu’à Facebook, Microsoft et Telxius. Le chantier colossal 2Africa de Facebook et déployé sur tout le pourtour du continent africain n’est porté que par huit acteurs. Google va encore plus loin : le géant a aujourd’hui les capacités financières et techniques de faire construire ses propres câbles. Ainsi, le câble Dunant qui relie depuis janvier 2020 les États-Unis et la France appartient en totalité à Google. L’entreprise déploie également le titanesque câble Equiano qui bordera toute la côte ouest du continent africain, faisant ainsi concurrence au projet 2Africa. Google possède ainsi le service et l’infrastructure qui le sous-tend, créant des situations de forte dépendance technologique pour les États, les entreprises et les usagers. Les géants américains ne sont d’ailleurs pas les seuls à user d’une stratégie de conquête sous-marine. Le chinois Hengtong a pu compter sur le soutien des banques et entreprises nationales chinoises, dont la China Construction Bank, pour lancer son projet Pakistan & East Africa Connecting Europe (PEACE) qui reliera le Pakistan, la côte est africaine à la rive sud de la Méditerranée par le canal de Suez, pour finalement atterrir à Marseille. PEACE permettra aux géants chinois Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi de développer leurs activités en Afrique et en Europe. Ces stratégies de développement préfigurent un nouveau pouvoir pour les géants du numérique : ils acquièrent à la fois l’accès à un marché industriel gigantesque ainsi qu’une capacité d’influence importante sur les États et sur les entreprises des pays qui ont un accès précaire à ces infrastructures aujourd’hui. L’Afrique et le Moyen-Orient représentent dès lors pour les géants du numérique un potentiel de développement considérable. En effet, ces pays n’ont que très peu accès aux câbles, ce qui les rend vulnérables en cas de rupture de ceux-ci. En apportant sur le continent africain des infrastructures facilitant leur accès aux activités numériques, Equiano et 2Africa sont considérés comme d’importants leviers de développement économique. Mais dans le même temps, ils acquièrent la capacité d’influencer directement l’offre de services numériques dans ces pays. S’imposent ainsi des acteurs hégémoniques dotés d’un monopole technologique et infrastructurel inédit à l’échelle mondiale. Ce monopole sert les capacités de négociations et d’influence de ces entreprises dont les cabinets de lobbying sont déjà implantés dans tous les centres de pouvoirs politiques et économiques. À l’échelle de l’Union européenne, Microsoft (Havas, Com, Publics, Plead), Google (Commstrat, Image7) ou encore Facebook (Burson Marsteller I&E, Lighthouse Europe) sont en discussion constante avec le législateur en matière de droit du numérique[3]. Cette configuration de concurrence monopolistique s’inscrit en contre de la théorie libérale d’un marché qui s’équilibre par défaut, et accentue au contraire un phénomène de « capture » du régulateur. Ciblant d’abord les politiques en matière de numérique, leur influence s’étend progressivement vers d’autres secteurs clés où leurs technologies se développent : la sécurité, la défense ou encore le domaine de la santé[4]. Cette prédation doit nous alerter et nous amener à réduire, dans chaque domaine où cela est possible, le pouvoir d’influence de ces acteurs privés sur les États et

Par Ophélie Coelho

26 août 2020

Les États-Unis, les Big techs et le reste du monde… Saisir un moment historique pour bâtir une indépendance numérique

Introduction L’administration Biden a démarré son mandat en envoyant un message fort aux Big techs. Peu de temps après son élection, deux des postes clés de la politique anti-concurrentielle ont été pourvus par des juristes spécialistes des questions numériques : Tim Wu, professeur de droit à Columbia engagé pour la « neutralité du net[1] », au Conseil économique national sur les questions de politique antitrust ; et Lina Khan, juriste et auteure de l’étude Amazon’s Antitrust Paradox[2], à la tête de la Federal Trade Commission (FTC)[3]. Le département du Trésor a par ailleurs porté auprès de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) un projet de taxation des multinationales, qui concerne en particulier les géants du numérique[4]. En avril dernier, le président américain exprimait même son soutien, à peine masqué, aux travailleurs de l’entrepôt géant d’Amazon à Bessemer (Alabama) lors de négociations portant sur la création d’un syndicat[5]. Ces différents événements suivent la publication, en octobre 2020, d’un rapport important de la sous-commission antitrust de la Chambre des représentants, qui portait sur l’abus de position dominante des entreprises Amazon, Apple, Facebook et Google[6]. Ce document dresse un portrait sévère de l’action de la FTC et du ministère de la Justice, administrations clés de la politique antitrust, en les accusant d’avoir laissé les géants Amazon, Apple, Facebook et Google réaliser plus de 500 acquisitions d’entreprises depuis 1998[7]. L’enquête fait également le constat de l’influence des Big techs sur l’ensemble de l’écosystème numérique. Dans ses recommandations, la sous-commission tente de concevoir des outils fiables pour lutter contre la concentration des monopoles et les pratiques anti-concurrentielles de ces entreprises. Pour le sénateur démocrate David N. Cicilline, qui dirigeait cette enquête, les Big techs sont aujourd’hui les équivalents des conglomérats historiques de Rockefeller, Carnegie et Morgan, qui avaient poussé John Sherman à proposer une loi contre la formation des monopoles en 1890. Lors d’une allocution à la Chambre du Congrès en juillet 2020, le sénateur reprenait même à son compte les termes d’un célèbre discours de Sherman, dénonçant les Big techs et leur « capacité à dicter leurs conditions, à décider du jeu, à mettre à bas des secteurs entiers et à inspirer la peur, [ce qui] équivaut au pouvoir d’un gouvernement privé. Nos Pères Fondateurs ne se sont pas agenouillés devant un Roi, nous ne nous mettrons pas à genoux devant les Empereurs de l’économie immatérielle ! »[8].   Pour lutter contre ces « plateformes en ligne dominantes » (« Dominant Online Platforms » dans le rapport), la sous-commission a proposé trois grands chantiers en faveur d’une politique anti-concurrentielle. Le premier volet d’actions consiste à encourager une concurrence plus équilibrée sur les marchés numériques, notamment par la lutte contre les pratiques commerciales déloyales. Le second concerne le renforcement des lois relatives aux fusions et aux monopoles, et introduit des scénarios de séparations structurelles, c’est-à-dire le démantèlement des géants du numérique. Enfin, la sous-commission insiste sur le nécessaire rétablissement d’une surveillance et d’une application plus rigoureuses des lois antitrust.   Ces solutions sont-elles pertinentes aujourd’hui pour lutter contre les oligopoles que constituent les Big techs ? Sur certains aspects, ces mesures peuvent en effet affaiblir ces entreprises. Mais les solutions avancées au Congrès restent des réponses du marché aux problèmes du marché. Il est par exemple peu probable, comme certains l’ont affirmé à l’annonce de la nomination de Lina Khan, que la seule politique antitrust américaine soit à même de répondre aux phénomènes de dépendance aux Big techs que l’Europe a contribué à forger. Il nous semble donc nécessaire d’analyser la portée, l’intérêt et les limites des propositions actuellement discutées aux États-Unis, afin de soumettre au débat des propositions complémentaires visant à limiter le pouvoir des géants du numérique dans l’espace international. Ces propositions s’ajoutent à celles formulées dans la première note publiée par l’Institut Rousseau qui portait sur la dépendance de l’Europe aux Big techs[9], dans ce qui constitue un cycle de trois notes consacrées à la géopolitique du numérique. Alors que se tient à l’Assemblée nationale une mission d’information sur la souveraineté numérique, nous proposons dans cette note une analyse de la situation américaine et de la pertinence de la stratégie proposée par le Congrès (I, II). Nous verrons à quelles difficultés se confronte l’État américain aujourd’hui face à des entreprises devenues trop influentes (III). Cela nous amènera à préciser les actions concrètes, à court et à moyen termes, qui pourraient être mises en œuvre dans un cadre international pour limiter les pouvoirs des géants du numérique (IV, V).   I. Comment les dysfonctionnements de la politique antitrust des États-Unis ont-ils bénéficié aux Big techs ?   Dans une note publiée en 2017 dans le journal scientifique universitaire de Yale, Lina Khan, alors étudiante en droit, interrogeait la politique antitrust américaine et les conséquences sur le développement de l’entreprise Amazon[10]. Ce texte, baptisé Amazon’s antitrust paradox en réponse au Antitrust paradox de Robert H. Bork, a beaucoup inspiré l’analyse historique et juridique du congrès. Nous rappelons ici quelques grandes lignes de cette analyse des évolutions de la politique anti-concurrentielle américaine. 1. La lutte anti-monopole : point faible des lois antitrust au XXe siècle   À l’origine, les lois antitrust américaines ont été promulguées par le Congrès en 1890, puis en 1914, notamment au travers des lois Sherman et Clayton qui donnaient une place importante à la lutte contre les conglomérats et les positions monopolistiques de certains acteurs privés. Elles ont pris forme dans un contexte où les monopoles constitués autour des industries de l’acier, du cuivre, du pétrole (la fameuse Standard Oil Corporation), du fer, du sucre, de l’étain et du charbon avaient pris une place importante dans la vie politique. Dès le milieu du XIXe siècle, ces entreprises n’étaient plus de simples acteurs économiques, mais des influenceurs importants de la vie politique et sociale. Figure 1. The Bosses of the Senate, caricature satirique de Joseph Ferdinand Keppler. Publié dans la revue Puck le 23 janvier 1889. Dans ce dessin, une porte de la tribune, « l’entrée du

Par Ophélie Coelho

22 juin 2021

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