fbpx
Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ?

Accueil > Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ?

Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ?Quand financer la crise climatique peut mener à la crise financière

« L’Institut Rousseau publie aujourd’hui un rapport de première importance en coopération avec plusieurs organisations non-gouvernementales et associations françaises et étrangères spécialisées dans les questions financières et écologiques, au premier rang desquelles Les Amis de la Terre et Reclaim Finance. Le Monde et Bloomberg, ainsi que Die Zeit (Allemagne) et l’Avvenire (Italie) en assurent un décryptage en exclusivité.

Ce rapport démontre que non seulement les grandes banques continuent de financer massivement les énergies fossiles mais également que ce type de financement peut constituer un danger de toute première importance pour la stabilité financière et monétaire.
En effet l’exposition brute aux actifs fossiles d’un certain nombre de banques excède le niveau de leurs fonds propres. En d’autres termes, les actifs fossiles pourraient devenir les « subprimes » de demain.
Pour sortir de cette situation, les auteurs proposent plusieurs solutions concrètes visant à permettre aux banques de se délester de leurs actifs fossiles en échange d’un engagement ferme à mieux financer la transition écologique (structure de défaisance), mais aussi des réformes profondes de la politique monétaire et prudentielle pour accompagner ce mouvement. »

Nicolas Dufrêne, directeur de l’Institut Rousseau

 

Résumé exécutif

L’addiction des banques aux énergies fossiles : un danger pour le climat

Selon le rapport Banking On Climate Chaos 2021, les 60 plus grandes banques mondiales ont accordé 3 393 milliards d’euros[1] de financements aux entreprises du secteur des énergies fossiles entre 2016 et 2020[2]. Contrairement à ce que leurs discours et engagements peuvent laisser penser, les banques européennes n’ont pas infléchi leurs financements aux énergies fossiles. Certaines ont même continuellement augmenté leurs soutiens à cette industrie, première responsable des émissions de gaz à effet de serre.

Pourtant, pour respecter l’Accord de Paris sur le climat adopté en 2015, il est impératif de mettre immédiatement fin au développement des énergies fossiles et d’en programmer la sortie progressive et totale. La production mondiale de charbon, pétrole et gaz fossile doit ainsi diminuer de 6 % par an d’ici 2030 pour nous laisser une chance de limiter le réchauffement à 1,5 °C[3], une trajectoire aux antipodes de celle que dessinent les flux financiers actuels.

Les actifs fossiles : un double risque climatique et financier

Le soutien des banques aux entreprises du secteur des énergies fossiles n’est pas nouveau. Avant comme après la signature de l’Accord de Paris, elles ont accumulé des centaines de milliards d’actifs financiers liés à l’exploration, à l’exploitation, au transport et à l’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz. Or ces stocks d’« actifs fossiles » ont une importance déterminante pour la stabilité du climat comme celle du système financier.

En fournissant fidèlement à cette industrie les capitaux dont elle a besoin pour opérer et investir, les banques financent des volumes colossaux d’émissions de gaz à effet de serre. Ce faisant, elles limitent également leur capacité à financer des alternatives durables, car les liquidités et réserves consacrées aux géants des énergies fossiles et à leurs projets sont autant d’argent qui ne peut être mobilisé en faveur de la transition. Ainsi, les banques accumulent des actifs financiers qui apparaissent comme sûrs selon leurs critères d’analyse actuels, mais sont en fait très exposés aux risques climatiques, toujours ignorés des acteurs financiers et de la réglementation bancaire. Avec la finance verte et des stratégies souvent incohérentes, le secteur financier tente de se voiler la face sur des risques qui deviennent pourtant de plus en plus importants au fur et à mesure qu’ils ne sont pas correctement traités.

Car tous ces actifs fossiles risquent de devenir des « actifs échoués » – c’est-à-dire de perdre fortement de la valeur et de la liquidité, car le respect de l’Accord de Paris entraînera une baisse importante et continue de l’utilisation des énergies fossiles. Comme tous les risques, ces actifs échoués sont d’autant plus dangereux qu’ils sont ignorés : c’était le cas lors de la crise des subprimes – qui a engendrée de nombreuses faillites bancaires, une récession mondiale, une poussée du chômage et des inégalités –, et notre étude montre que l’ampleur du risque des actifs fossiles est sous-estimée par les milieux financiers.

Dans ce contexte, la dévalorisation des actifs fossiles détenus par les banques qui accompagnera l’inévitable transition écologique, pourrait produire d’importantes turbulences voire générer une nouvelle crise financière. La perte de valeur plus ou moins rapide enregistrée par les banques pourrait aller jusqu’à les mettre en situation de faillite s’il s’avérait que leurs fonds propres – volume de capitaux détenu par les banques visant à leur fournir un matelas de sécurité en cas de coup dur – sont insuffisants pour l’absorber et que les mécanismes d’assurance ne suffisent plus. Ce contexte est le même que pour la crise des subprimes, où les banques, refusant pendant de longs trimestres d’ouvrir les yeux sur la catastrophe à venir, ont fait exploser une situation pourtant évitable, aboutissant à de nombreuses faillites bancaires, dont celle de Lehman Brothers – 4ème plus importante banque d’affaire des Etats-Unis de l’époque.

Notre étude se propose d’évaluer ces risques financiers liés au climat pour les grandes banques de la zone euro, afin de promouvoir une gestion anticipée des stocks d’actifs fossiles compatible avec la préservation de l’environnement comme de la stabilité du système financier.

 

Les banques de la zone euro, au bord d’un gouffre invisible

Notre étude approfondie des 11 principales banques de la zone euro révèle qu’elles cumulent un stock de plus de 530 milliards d’euros d’actifs liés aux énergies fossiles, soit 95 % du total de leurs fonds propres.

Ces actifs représentent pour toutes les banques étudiées une part très importante de leurs fonds propres[4], allant de 68 % pour Santander à 131 % pour Crédit Agricole. Ceci est d’autant plus grave que ces actifs fossiles ne représentent que la face émergée de l’iceberg gigantesque formé par tous les secteurs qui nécessiteront forcément une transi- tion – aéronautique, automobile, pétrochimie, etc. On ne peut donc pas exclure un effet « boule de neige » menant à une crise.

Dans le scénario dans lequel une perte de 80 % de la valeur des actifs fossiles serait constatée, les fonds propres de Crédit Agricole [5] et Société Générale – respectivement 3ème et 4ème plus grandes banques étudiées – basculeraient dans le rouge, et ceux de la Deutsche Bank et de Com- merzbank seraient quasiment épuisés. Toutes les banques verraient leur capacité à financer la transition écologique très fortement affectée. Et dans le pire des cas, si la valeur de ces actifs fossiles tombait à zéro, 5 d’entre elles – dont 3 des 5 plus importantes – n’auraient pas suffisamment de fonds propres pour essuyer leurs pertes.

Certes, la dévalorisation des actifs fossiles promet de s’étaler sur plusieurs années. Cela pourrait laisser aux banques une fenêtre d’opportunité pour engager une transition rapide et profonde de leurs activités. Encore faudrait-il pour cela que le secteur bancaire, conscient qu’une telle transformation lui serait désavantageuse, consente à cesser de freiner à tout prix la mutation nécessaire de nos économies et adapte en conséquence son business model.

Car ces conclusions interviennent alors que les banques continuent au contraire d’accorder de nouveaux soutiens aux énergies fossiles. Selon le rapport Banking On Climate Chaos 2021, les 11 banques étudiées auraient ainsi accordés 95 milliards d’euros de financements supplémentaires – prêts, émissions d’actions et d’obligations – rien qu’en 2019 [6]. Par ailleurs, alors même que plusieurs banques de ce classement sont parmi celles qui possèdent les politiques sectorielles les plus avancées au monde sur les énergies fossiles, nos résultats révèlent le caractère encore très partiel de ces engagements volontaires et laissent présager d’une exposition aussi – voire bien plus – forte hors de l’Europe. Ainsi, si cette dynamique ne s’inverse pas, et en l’absence de réglementation financière adaptée, les stocks d’actifs fossiles continueront d’augmenter et les risques financiers avec eux.

Comme lors de la crise des subprimes de 2008, les risques colossaux pris par les banques pour s’assurer des bénéfices à court terme pourraient devenir le fardeau des États, des citoyens, et en premier lieu des plus précaires et vulnérables qui sont déjà les plus touchés par le changement climatique[7]. Une intervention politique forte aux niveaux national et européen est dès lors indispensable et urgente, afin de briser cette « tragédie des horizons »[8] et mettre enfin la finance au service de la transition écologique.

 

Une seule solution : la réglementation

Les banques, déjà gangrenées par les actifs fossiles, entre- tiennent activement l’infection en faisant continuellement entrer de nouveaux actifs fossiles dans leur bilan. En effet, tant que la transition énergétique n’est pas encore clai- rement engagée, le risque financier de ces futurs actifs échoués ne se reflète pas encore dans leur prix. Au regard des risques climatiques et financiers que fait peser cette addiction aux énergies fossiles, des actions politiques s’imposent pour (1) stopper la progression des métastases et (2) éradiquer totalement la maladie pour soigner les malades.

Il s’agit d’abord d’arrêter de financer tout nouvel investis- sement dans le secteur des énergies fossiles – partie III. Ce mouvement demande l’arrêt des soutiens indirects offerts par la politique monétaire au secteur et une adaptation de la réglementation nationale et européenne pour tenir compte des dangers du secteur pour l’environnement et la stabilité financière, notamment via :

  • L’exclusion des actifs fossiles des rachats d’actifs ( Quantitative easing ) et de la liste des collatéraux de la Banque centrale européenne (BCE), précédant un alignement de l’ensemble des opérations de la banque centrale sur l’Accord de Paris.
  • L’encadrement légal des soutiens accordés par les acteurs financiers aux énergies fossiles, contrôlés et sanctionnés par la puissance publique.
  • Une réglementation et régulation financière qui tient pleinement compte des risques associés aux finance- ments des énergies fossiles avec une augmentation des exigences de capitaux, la création ou l’ajustement de coussin de risques systémiques spécifiques, le ren- forcement des obligations de garanties des banques et l’encadrement de la titrisation des actifs fossiles.
Une fois ces conditions remplies, il sera nécessaire d’assainir la situation financière des banques – partie IV. Leurs bilans « surchargés » en actifs fossiles feraient perdurer le risque de crise. Surtout, ils continueraient à ralentir le financement de la transition écologique en bloquant des fonds importants dans des secteurs voués à disparaître.

L’intervention de la Banque centrale européenne (BCE) – via la création d’une « fossil bank » européenne – sera selon nous nécessaire pour libérer les banques de ce poids. Une structure de défaisance spécifique, financée par les achats d’actifs de la BCE, rachèterait alors une part significative des actifs fossiles des banques engagées dans la sortie des énergies fossiles, et opérerait leur extinction progressive. Si l’opération présente de réelles difficultés de mise en place, et exigerait sans aucun doute un soutien politique fort, elle présente des avantages multiples comme l’amorçage d’une sortie progressive des énergies fossiles dans une démarche de transition juste, la diminution drastique des impacts climatiques et du risque de crise, et la libération de financements massifs pour la transition écologique.

En assumant les erreurs commises par le passé, en agissant de manière efficace et coordonnée, les pouvoirs publics et les institutions financières peuvent éviter une nouvelle crise financière systémique tout en enrayant les dérègle- ments climatiques. Une dynamique vertueuse qui ne peut malheureusement plus attendre.

 

  • Méthodologie : sur les traces des actifs fossiles des banques
  • Notre étude s’intéresse aux 11 principales banques de la zone euro : BNP Paribas, Crédit Agricole SA, Société Générale, Banque Populaire Caisse d’Epargne (BPCE), Deutsche Bank, Commerzbank, UniCredit, Intesa Sanpaolo, Santander, BBVA et ING.
  • Elle identifie les actifs financiers liés aux énergies fossiles détenus par les banques. Ces « actifs fossiles » représentent l’ensemble des outils financiers de crédits et d’investissements liés à l’exploration, à l’exploitation, à la distribution des ressources de charbon, pétrole et gaz, ou à la production d’électricité à partir de ces sources. Ils sont comparés à leurs fonds propres, indicateurs de la capacité des banques à absorber les pertes en cas de crise.
  • Les données proviennent des documents officiels des banques et de leurs bilans consolidés. Lorsque l’information n’était pas fournie par les banques, nous avons appliqué des clés de répartition que nous avons construites grâce à des informations sectorielles, économiques et financières afin de distinguer la part des actifs fossiles dans les actifs crédits et d’investissement.
  • Ces données ont été transmises aux banques, qui ont pu, si elles le souhaitaient, apporter des rectifications. Cette méthodologie a été co-construite avec plusieurs spécialistes, dont des consultants du cabinet Carbone4.
  • Une description complète de la méthodologie est disponible en annexe.

 

Partie 1 : Des banques rongées par les actifs fossiles

 

Un « stock » fossile colossal

Les 11 banques européennes étudiées allouent 532 milliards d’euros d’actifs aux énergies fossiles – crédits et produits de marché –, alors que ces énergies fossiles sont responsables de la majorité des émissions mondiales de CO2 mondiales[9]. Ces actifs sont donc « stockés » dans les bilans bancaires pour des durées variables, pouvant s’étaler sur de nombreuses années.

En d’autres termes, l’équivalent du produit intérieur brut (PIB) nominal de la Belgique – 530 milliards d’euros en 2019 Direc- tion générale du Trésor, (2018), « Indicateurs et Conjoncture, fiche pays » – d’actifs fossiles est détenu par ces quelques banques européennes. Si la totalité des stocks fossiles de ces banques était investie dans l’énergie solaire, elle permettrait d’augmenter de 618 GW la capacité mondiale installée[10], soit plus de 20 % de la capacité mondiale d’énergies renouvelables en 2020 et plus de deux fois la capacité nouvelle créée sur cette même année[11].

Les stocks fossiles des banques varient entre 28 et 80 milliards d’euros. Sur les 11 banques étudiées, 7 détiennent chacune plus de 45 milliards d’actifs fossiles. À elles seules, BNP Paribas et Crédit Agricole SA cumulent 151 milliards d’euros d’actifs fossiles, soit près de 30 % des actifs recensés.

 

  • Les actifs fossiles : freins à la transition aujourd’hui, actifs échoués demain
  • Tout nouvel investissement dans les énergies fossiles crée un actif financier dont la valeur repose sur un modèle économique incompatible avec un monde à + 1,5 °C ou même + 2 °C. Il en découle que tous les actifs fossiles subiront des pertes de valeur brutales ou totales avec la transition, devenant à plus ou moins long terme des « actifs échoués »[12]. Ce risque est depuis quelques années sur toutes les lèvres, et notamment celles de l’ex-Gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney. Celui-ci déclarait en 2015 que respecter le budget carbone fixé par le GIEC rendrait la vaste majorité des réserves de pétrole, gaz et charbon « échouée », et alertait sur l’exposition potentiellement énorme des investisseurs britanniques à ces risques climatiques[13].

    Face à cette éventualité, les entreprises et acteurs financiers qui détiennent des quan- tités massives d’actifs fossiles pourraient avoir tendance à retarder la transition, alors même que ces énergies ne sont plus com- pétitives. En effet, d’après l’IRENA[14], de 75 à 80 % de l’énergie éolienne terrestre et du solaire mis en service en 2020 à la suite d’enchères ou d’appels d’offres permettent déjà la production d’électricité à des prix inférieurs à toute alternative fossile.

    Certains acteurs financiers le soulignent : ils devraient naturellement être conduits à se détourner des actifs fossiles. Selon Jean Raby, directeur général de Natixis Investment Managers : « il est inévitable que les combustibles fossiles attirent de moins en moins de capitaux, car ils sont de moins en moins perçus comme une source de croissance future, et il existe de réels
    risques liés à la réglementation et aux actifs échoués. […] Notre message à l’industrie est que si vous ne positionnez pas votre entre- prise pour la transition inévitable vers une économie sobre en carbone, vous attirerez moins d’investisseurs.»[15]. Ce message est aussi celui de l’investisseur Engine n°1 lors- qu’il indique qu’Exxon Mobil est face à un « risque existentiel » en refusant d’établir un plan crédible de transition[16]. Problème : ce mouvement « naturel » est loin d’être visible aujourd’hui. Les acteurs financiers – dont Natixis Investment Managers[17] – continuent de soutenir des entreprises qui sont aux antipodes de la transition inévitable vers une économie sobre en carbone. Comme l’explique Gaël Giraud dans Illusion finan- cière[18], le système financier peut être très incohérent, ce qui explique les crises financières. Les actifs fossiles semblent en être une preuve supplémentaire…

Une addiction inébranlable

À l’instar d’un fumeur qui n’arrive pas à arrêter la cigarette, les banques sont dépendantes aux énergies fossiles. Malgré les dégâts qu’elle génère, cette dépendance ne se réduit pas. Selon le rapport Banking On Climate Chaos 2021, les 11 banques étudiées ont encore financé à hauteur de 95 milliards d’euros les énergies fossiles en 2019[19]. Là encore, les 3 banques françaises BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale se distinguent en totalisant 49 milliards d’euros de de financements fossiles sur l’année. De même, un rapport des Amis de la Terre France et d’Oxfam France de mai 2021 démontre que les grandes banques françaises ont soutenu massivement les entreprises des énergies fossiles au cours de la crise du Covid-19, quitte à augmenter encore un peu plus leur exposition et leur dépendance à ces secteurs risqués[20].

Alors que les banques françaises et UniCredit sont considé- rées comme celles qui possèdent les meilleures politiques sectorielles au monde[21], elles continuent d’investir dans les énergies fossiles et possèdent un stock d’actifs fossiles s’élevant à 323 milliards d’euros. Ces chiffres montrent clairement l’insuffisance d’une approche dans laquelle les décideurs se contentent d’attendre que les acteurs finan- ciers s’auto-régulent et alignent d’eux-mêmes leurs finance- ments sur les objectifs climatiques. Comme toute addiction dangereuse, l’arrêt peut s’avérer difficile et nécessiter un accompagnement renforcé.

Un risque de déstabilisation réel

Au-delà de ses conséquences environnementales désas- treuses, l’addiction des banques aux énergies fossiles risque de sérieusement nuire à leur santé financière. Les actifs fossiles de ces 11 banques de la zone euro représentent
l’équivalent de 95 % de l’ensemble de leurs fonds propres. Le ratio actifs fossiles sur fonds propres varie de 68 % pour Santander à 131 % pour Crédit Agricole[22]. Toutes les banques sans exception devraient mobiliser une part très significative de leurs fonds propres pour absorber une baisse de la valeur des actifs fossiles qu’elles possèdent.

Or il existe un véritable risque que les actifs fossiles deviennent des actifs échoués, dont plus personne ne voudrait du fait de leur faible potentiel de prise de valeur et/ou leur mauvaise réputation. Les actifs fossiles vont de plus en plus cumuler ces deux tares[23]. Comme le souligne notamment Carbon Tracker, la dévalorisation des actifs fossiles apparaît alors comme une conséquence logique des processus de transition en cours et découle du fait que la consommation des réserves d’énergies fossiles exploi- tées est incompatible avec le budget carbone disponible[24]. Ainsi, il serait même souhaitable pour la planète que ces actifs deviennent échoués aussi rapidement que possible. Face à la chute du prix des énergies renouvelables, de nombreuses centrales à charbon ne sont déjà plus com- pétitives et la quasi-totalité d’entre elles ne devrait plus l’être d’ici 2030[25]. Même le gaz fossile, longtemps préservé, est concerné[26] : les projets gaziers européens reposent sur une augmentation de la consommation aux antipodes des objectifs climatiques de l’Union et créent 87 milliards d’euros d’actifs échoués potentiels[27].

Ces changements impactent logiquement les acteurs financiers. La chute des prix du pétrole en 2020 avait entraîné une chute des valeurs boursières d’Exxon Mobil de 35 %, Shell et BP de 40 % et de Total de 20 %[28]. BlackRock, principal gestionnaire d’actif au monde, a déclaré avoir perdu 90 milliards de dollars en dix ans à cause des actifs fossiles[29]. Le freinage de l’expansion continue des pétrole et gaz de schiste nord-américain, permis par une injonction permanente de capital, a entraîné de fortes pertes pour les grandes banques comme Wells Fargo[30]. Ces premiers exemples sont symptomatiques d’une vulnérabilité glo- bale. L’assureur Swiss Re indique qu’une taxe carbone à 100 dollars la tonne entraînerait une baisse des revenus des entreprises du secteur de l’énergie de 40 à presque 80 % suivant les zones géographiques et toucherait par- ticulièrement les réserves d’énergies fossiles, avec des pertes de crédit pour les seules activités de production d’électricité, de pétrole et de gaz entre 50 et 300 milliards de dollars, et une probabilité de non remboursement qui pourrait doubler voir tripler[31].

Si l’on prend comme hypothèse une perte de 80 % de la valeur des actifs fossiles à périmètre de fonds propres inchangés, Crédit Agricole et Société Générale – respectivement 3ème et 4ème plus grandes banques étudiées – n’auraient pas assez de fonds propres pour absorber les pertes. Les fonds propres de la Deutsche Bank et de Commerzbank seraient quasiment épuisés. Ce scénario de pertes s’élevant à 80 % peut notamment être rapporté au fait que – d’après Carbon Tracker – 84 % des réserves d’énergies fossiles explorées ne devraient pas être consommées pour permettre de mainte- nir le réchauffement climatique à 1.5°C ainsi qu’aux chutes brutales de valeur enregistrées lors de la crise des subprimes.

Dans le pire des cas, 5 banques – Crédit Agricole, Société Générale, Deutsche Bank, Commerzbank et UniCredit – n’auraient pas les fonds propres pour essuyer leurs pertes si la valeur des actifs fossiles chutait à zéro. BNP Paribas les suivrait de très près, ses actifs fossiles atteignant 99 % de ses fonds propres.

Ces éléments mettent en lumière à la fois la surexposition des banques aux énergies fossiles et l’incapacité de la régulation financière actuelle à prendre en compte les risques financiers qu’ils représentent. Cela est d’autant plus inquiétant que notre étude se concentre uniquement sur la partie émergée de l’iceberg, les actifs intrinsèquement liés à la chaîne de valeur de l’industrie fossile. Nous ne prenons pas en compte les autres secteurs indirectement associés, auxquels les banques européennes sont encore davantage exposées. On ne peut donc pas exclure un « effet boule de neige » qui ferait basculer le système financier en situation de crise systémique si les secteurs tels que l’aviation, l’automobile ou la pétrochimie, étaient à leur tour pris dans un engrenage de perte de valeur financière.

 

  • 2008 : de la crise des subprimes à la crise économique et sociale
  • Lors de la crise des subprimes, il n’avait fallu que quelques mois à de nombreuses banques et acteurs financiers très exposés aux actifs subprimes pour voir leur valeur fondre de plus de 80 % en 2007 et 2008, car les subprimes étaient devenus des actifs échoués. Pour certains acteurs, ce fut pire, comme par exemple pour les banques Bear Stearns – baisse de plus de 98 % dans les 12 mois précédant son rachat en mars 2008 par JP Morgan Chase – ou Lehman Brothers – plus de 90 % de baisse entre mai et septembre 2008, avant sa faillite.
  • Ainsi, en plus d’une chute du marché immobilier, le système financier s’est alors grippé, entraînant de nombreuses faillites bancaires sur tous les continents. Les États et banques centrales avaient alors dû inter- venir massivement en catastrophe pour mettre fin à une réaction en chaîne qui ébranla l’ensemble du système financier. Les seuls États européens avaient dépensé 747 milliards d’euros de 2008 à 2015 pour secourir les banques, dont au moins 213 milliards ont été perdus.
  • Cette crise des subprimes, au départ limitée à l’immobilier et à la finance, a fortement impacté la consommation des ménages et l’investissement, notamment par le resserrement des conditions de crédit du fait de la fragilité des banques. En a résulté une récession globalisée, avec une baisse de 2,2 % du PIB mondial, à un commerce international en chute libre et à plusieurs pays en grande difficulté comme l’Islande, l’Ukraine, l’Argentine ou l’Irlande. La crise, d’abord financière, a rapidement laissé place à des années de crise économique et sociale. Elle a notamment créé plusieurs millions de chômeurs supplémentaires, dont 800 000 en France, où le nombre de chômeurs de longue durée a bondi, frappant en premier lieu les plus fragiles – ouvriers, non-diplômés, habitants des zones urbaines sensibles, immigrés[34]. Si les banques peuvent faire appel à d’autres outils – et notamment des assurances – pour limiter leurs pertes et éviter la faillite dans les scénarios discutés, ceux-ci ne disent rien de leur préparation à ces risques et ouvrent la porte à une propagation des pertes auprès d’autres acteurs financiers. Par ailleurs, la capacité des méca- nismes d’assurance à soutenir les banques en cas de forte diminution de la valeur des actifs fossiles est incertaine. En effet, ces pertes toucheraient simultanément les assureurs eux-mêmes – qui détiennent eux aussi ces actifs et assurent directement des entreprises et projets fossiles – et l’ensemble des acteurs financiers qu’ils assurent. Les assureurs « en dernier recours » des banques seraient alors les Etats – et donc les contribuables -, une situation qui doit absolument être évitée.

 

Bien sûr, il est très peu vraisemblable qu’un tel scénario catastrophe se produise en quelques semaines. La dévalorisation des actifs fossiles devrait être progressive compte tenu de la place cruciale qu’ils continuent d’occuper. Toutefois, quand bien même la perte de valeur de ces actifs devait s’étaler sur plusieurs années, le risque que ce rapport entend mettre en avant resterait inchangé : en l’état actuel des fonds propres bancaires, la poursuite du business as usual a fort peu de chances de permettre aux principales banques de la zone euro de faire face à une une dégradation de la valeur des actifs fossiles dégradation. De plus, dans la mesure où lesdites banques sont très conscientes de la gravité de ce risque à moyen et long terme, il est probable qu’elles rai- sonnent dès aujourd’hui par backward induction, autrement dit qu’elles freinent autant que faire se peut la transition écologique en vue de gagner du temps. C’est aussi ce danger que nous voulons mettre en lumière dans ce rapport.

Face à ce constat, certains ne manqueront pas de brandir le développement de la « finance verte ». Il a néanmoins été montré, notamment par Alain Grandjean et Julien Lefournier, que la finance verte telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui est malheureusement, avant tout, du greenwashing[35]. Ceci ne doit plus nous surprendre si nous comprenons que ces pratiques sont autant de manières de gagner du temps face à une échéance inéluctable et qui, comme nous le montrons ici, signifierait la fin d’une très large part de l’activité bancaire en zone euro.

 

 

Partie 2 : La finance verte : une fausse solution

La finance verte en vogue

Depuis l’adoption de l’Accord de Paris, la finance verte est sur toutes les lèvres et dans toutes les communications. La COP21 a marqué le coup d’envoi d’une myriade de grands rendez-vous internationaux – One Planet Summits et Climate Finance Days – avec l’ambition affichée de mobiliser l’industrie financière au service du climat. Les institutions financières, mais aussi les banques centrales et les gouvernements, ont multiplié les annonces au rythme de ces événements.

Cette dynamique s’est notamment traduite par l’apparition d’un grand nombre de labels de durabilité et de produits financiers étiquetés socialement et environnementalement responsables. Les fonds dits « ESG » – Environnement, Social, Gouvernance – enregistrent ainsi une forte croissance, tant en nombre qu’en volume global collecté. En France, les encours de l’investissement responsable ont atteint 1 860 milliards d’euros fin 2019, en augmentation de 27 % par rapport à 2018[36]. En Europe, 250 fonds ont été renommés ESG rien qu’en 2020.

En parallèle, le marché des obligations vertes est passé de 8,4 milliards d’euros en 2013 à 217 milliards d’euros en 2019, franchissant fin 2020 la barre des 1 000 milliards de dollars d’émissions cumulées[37]. De nouvelles obligations « durables » sont apparues, comme les « sustainability-linked bonds » liés à des indicateurs ESG fixés par l’émetteur.

Un grand nombre d’acteurs financiers ont aussi pris de pre- mières mesures de retrait – généralement très partiel – de certains secteurs très à risque pour le climat et les droits humains. Le premier secteur concerné par ces engagements est celui du charbon.

Ce mouvement vers le durable se cantonne bien souvent à de l’affichage.

En parallèle, les acteurs financiers sont de plus en plus nombreux à adopter une communication verte : une publicité sur 8 diffusée dans la presse ou sur internet de janvier à juillet 2020 par les acteurs financiers utilise l’argument de la finance durable pour promouvoir certains produits, inciter à épargner ou attirer de nouveaux clients. C’était le cas d’une publicité sur douze en 2019[38].

Néanmoins, ce mouvement vers le durable se cantonne bien souvent à de l’affichage. La stratégie des banques françaises resterait sur une trajectoire de réchauffement de + 4 °C, bien loin de l’objectif de + 1,5 °C inscrit à l’Accord de Paris[39]. Plus de 5 ans après la COP21, le développement de la finance verte s’avère dramatiquement insuffisant et beaucoup trop lent pour répondre à l’urgence de réorienter les flux financiers.

Quand le vert vire au noir

Sont notamment en cause des produits « verts » peu efficaces et trompeurs, maquillant une réalité toute différente. Aucun socle légal minimal n’existe pour les produits qui se prévalent d’impacts environnementaux ou sociaux améliorés. Une dénomination durable ou verte n’est pas gage de qualité environnementale réelle. Par ailleurs, même les labels les plus répandus ne garantissent ainsi pas qu’un fonds exclut les énergies fossiles ou soit compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. 94 % des fonds labellisés « investissement socialement responsable » (ISR) étudiés par l’ONG Reclaim Finance[40] financent des entreprises aux pratiques environnementales et sociales nocives – parmi elles, les multinationales Total, Amazon ou Bayer. Les entreprises des énergies fossiles peuvent représenter jusqu’à 22 % d’un fonds labellisé ISR d’après le cabinet de conseil Axylia[41].

De même, et là encore du fait d’un encadrement quasi inexistant, les obligations vertes peuvent malheureusement devenir un outil de greenwashing à la disposition des grandes entreprises, avec la complicité des banques. Les obligations vertes ne reposent sur aucune définition légale, elles peuvent respecter des principes volontaires[42] mais rien ne les empêche de financer des pro- jets néfastes pour l’environnement. Par ailleurs, ces obligations reposant uniquement sur une logique de projet ( use of proceeds ), elles peuvent financer des entreprises à l’impact climatique désastreux, et ne sont pas clairement liées à une baisse des émissions de gaz à effet de serre[43]. Des obligations vertes ont permis de financer des projets massivement polluants, comme des projets charbon en Chine en 2019. Les nouveaux outils de financement dits durables ( sustainability-linked ) sont tout aussi peu encadrés et définis, ouvrant la porte à des abus manifestes comme le montre le cas de l’entreprise pétrolière et gazière Enbridge.

Derrière les promesses de transition, les produits les plus évidents et promus de la finance verte continuent à capter des capitaux pour alimenter les secteurs polluants et l’industrie des énergies fossiles.

Le vert, une goutte d’eau dans un océan d’énergies fossiles

 

Au-delà de ses problématiques de financement du vert, la finance s’avère incapable de tourner le dos aux causes des dérèglements climatiques. Au contraire, les banques internationales ont massivement accordé de nouveaux financements – nouveaux crédits, nouvelles émissions d’actions et d’obligations – aux entreprises des secteurs du charbon, du pétrole et du gaz. Le rapport Banking On Climate Chaos 2021[45] dévoile que les 11 grandes banques de la zone euro étudiées ont financé à elles seules pour 495 milliards d’euros les énergies fossiles depuis l’adoption de l’Accord de Paris sur le climat. Les banques françaises sont les pires élèves de cette classe de cancres : depuis la COP21, elles ont augmenté chaque année leurs financements aux énergies fossiles, pour devenir en 2020 leur premier soutien européen, dépassant même les banques britanniques.

Les 11 banques n’ont pas même renoncé à accompagner le développement des industries les plus dangereuses. Seules 5 d’entre elles – BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, BPCE, UniCredit – se sont engagées à ne plus soutenir les entreprises qui construisent de nouvelles centrales et mines de charbon[46] et aucune d’entre elles n’a fait de même pour les hydrocarbures, y compris les hydrocarbures non-conventionnels.

Les banques favorisent encore aujourd’hui les énergies fossiles sur les énergies renouvelables. En 2018, Oxfam France[47] montrait que sur 10 euros prêtés par les banques françaises au secteur énergétique, 7 euros vont aux éner- gies fossiles contre 2 euros aux énergies renouvelables. Les majors pétrolières et gazières massivement soutenues par les banques continuent de développer de nouvelles réserves et – malgré leurs grands discours – sont bien loin d’initier une transition permettant le respect de l’Accord de Paris[48]. Une analyse de Carbon Tracker montre qu’en mars 2020 58 %, 66 %, 85 % et 88 % des nouvelles dépenses d’investissement respectives de Total, Shell, Equinor et Exxon n’étaient pas compatibles avec un scénario de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui vise pourtant un réchauffement dépas- sant 1,5 °C[49].

Dans ce contexte, les engagements de neutralité carbone des entreprises comme des acteurs financiers cachent de dangereuses failles[50] et omissions qui permettent le déve- loppement continue d’activités néfastes. Ces déclarations reposent bien souvent sur des scénarios climatiques qui surestiment les possibilités d’émissions négatives pour ménager les énergies fossiles[51]. Les initiatives climatiques mises en place par les acteurs financiers eux-mêmes – comme la Net Zero Asset Owner Initiative[52] ou la Paris Aligned Investment Initiative[53] – présentent à ce stade les mêmes limites.

Ainsi, en dépit des belles promesses de la finance verte, les banques déjà gangrenées par les actifs polluants entre- tiennent elles-mêmes activement l’infection, en faisant continuellement entrer de nouveaux actifs fossiles à leur bilan. Au regard des risques climatiques et financiers que fait peser cette addiction aux énergies fossiles, des actions politiques s’imposent pour (1) stopper la progression des métastases et (2) éradiquer totalement la maladie.

Partie 3 : Première étape : mettre fin à la folie des fossiles

 

Notre étude vient s’ajouter à une littérature déjà abondante qui montre la nécessité de mettre fin au développement des énergies fossiles pour sauver la planète[54] comme pour protéger le système financier[55]. Arrêter de financer tout nouvel investissement dans le secteur des énergies fossiles doit être une priorité. Pour cela, miser uniquement sur la bonne volonté des banques est un mauvais calcul qui a déjà prouvé son inefficacité.

Pour initier ce mouvement, il est nécessaire de changer le cadre structurel du système financier en arrêtant les soutiens indirects offerts par la politique monétaire au secteur des énergies et en adaptant la réglementation nationale et européenne pour tenir compte des dangers des énergies fossiles pour l’environnement et la stabilité financière. Plus globalement, il s’agit d’aligner progressivement les cadres de la finance sur les objectifs de l’Accord de Paris.

Une politique monétaire qui s’aligne sur l’Accord de Paris

En 2020, la Banque centrale européenne (BCE) a lancé un processus de « révision stratégique » qui doit permettre d’examiner la manière dont elle remplit son mandat et de mieux intégrer les enjeux climatiques. Ce processus doit se clore en septembre 2021 et offre l’opportunité de mettre les opérations de la BCE en cohérence avec les objectifs climatiques européens. Il revêt une importance d’autant plus forte que la réponse globale de la BCE à la crise du Covid-19 devrait excéder les 5 000 milliards d’euros – en liquidités, achats d’actifs et relâchements prudentiels sur 2020-2022 – et bénéficie fortement aux entreprises à très forte intensité carbone[56].

Qu’est-ce que la BCE ?

Depuis 1998, la BCE a pour objectif principal de contrôler le niveau d’inflation au sein de la zone euro. Pour atteindre cet objectif de “stabilité des prix”, elle possède plusieurs outils conventionnels, utilisant les taux d’intérêts, ainsi que des outils non-conventionnels, notamment les rachats d’ac- tifs – ou quantitative easing –, qui se sont développés pour répondre aux crises lors des- quelles l’efficacité des outils conventionnels s’est avérée limitée. Par ailleurs, la BCE a pour objectif secondaire de contribuer à l’atteinte des objectifs de l’Union Européenne. La BCE exerce aussi une fonction importante dans le maintien de la stabilité financière européenne.

1. Rénover la « neutralité de marché »

La BCE conduit ses opérations monétaires en suivant le principe de « neutralité de marché »[57]. Celui-ci vise à mini- miser l’impact de ses opérations sur le marché et à éviter toute distorsion, mais la conduit dans les faits à adopter un biais pro-carbone et à soutenir les entreprises les plus polluantes, dont celles des énergies fossiles. Pourtant, ce principe n’est pas une obligation légale pour la banque et ses fondements reposent sur l’idée trompeuse que les opé- rations monétaires sont des décisions par essence objective, qui ne doivent pas influer le marché[58].

Plusieurs dirigeants de la BCE ont ouvert la porte à une révision[59] de ce principe qui s’oppose à l’objectif de neu- tralité carbone de l’Union européenne. En préservant la « neutralité de marché » actuelle, la BCE ignore son man- dat secondaire – pourtant obligatoire[60] – qui requiert de contribuer à l’atteinte des objectifs de l’Union. En acceptant massivement les actifs fossiles dans ses opérations, elle favorise leur liquidité – et donc leur valorisation –, et met en danger[61] son mandat primaire de stabilité des prix. Le Gouverneur de la Banque centrale néerlandaise a ainsi souligné que la lutte contre le changement climatique, et donc l’objectif de limiter la hausse des températures à + 2 °C, pouvait être considéré comme un préalable[62] à l’atteinte du mandat de stabilité des prix.

Pour répondre à l’urgence climatique et ad minima ne pas échouer dans l’application de son mandat, la BCE doit donc modifier l’interprétation actuelle de la neutralité de marché pour permettre un alignement sur les objectifs climatiques européens et ceux de l’Accord de Paris.

2. Des opérations monétaires qui s’alignent sur les objectifs climatiques

Plusieurs études ont montré que les achats d’actifs d’en- treprises de la BCE possèdent un biais favorable aux acti- vités les plus carbonées. Ainsi, plus de 60 %[63] 64[64] des actifs d’entreprises rachetées via son « quantitative easing » appartiennent à des secteurs très émetteurs de CO2. Ses achats soutiennent notamment 38 entreprises[65] du secteur des énergies fossiles, dont certaines – comme Shell et Total – sont impliquées dans des projets d’expansion[66]. Le biais carbone des achats d’actifs est désormais reconnu[67] par la BCE elle-même. En parallèle, la BCE autorise les banques à déposer des actifs comme collatéraux, pour se financer auprès d’elle sans prendre en compte l’impact environ- nemental de ceux-ci, contribuant ainsi à la valorisation de ces actifs. 59 % [68] des actifs acceptés par la banque proviendraient des secteurs à très forte intensité carbone.

La BCE doit donc commencer par décarboner ses rachats d’actifs et ses collatéraux. Si une approche fine, permettant l’ajustement de ces outils de politique monétaire selon les émissions de gaz à effet de serre, est nécessaire, à plus long terme, la BCE doit exclure les actifs des entreprises des énergies fossiles pour limiter les effets négatifs de son intervention massive actuelle dans un contexte de crise. Comme le Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System (NGFS) le met en avant, les données financières nécessaires pour un alignement global des achats et collatéraux sur l’Accord de Paris peuvent ne pas être immédiatement utilisables et le recours à des critères facilement identifiables[69] – comme pour les énergies fossiles – est une première étape qui crédibilise les annonces de la banque et envoie un signal fort aux acteurs financiers. Il s’agit aussi pour la BCE de ne pas accumuler progressivement les actifs fossiles, concentrant ainsi les risques à son bilan sans contribuer à une diminution des soutiens au secteur, et encore moins à une diminution des risques associés chez les acteurs financiers européens.

Par ailleurs, avec la crise du Covid-19, la BCE a décidé d’octroyer des taux réduits – et même négatifs – aux banques qui accordent un certain volume de prêts via ses opérations de refinancement de long terme (TLTRO)[70]. BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE ont ainsi pu emprunter 379 milliards d’euros[71] au titre de ces opérations en 2020, réalisant au passage un profit s’élevant à plusieurs centaines de millions d’euros, et continuent d’en profiter massivement en 2021[72]. Alors qu’elle n’est aujourd’hui soumise à aucun critère environnemental ou social, une telle mesure pourrait être utilisée pour orienter les prêts vers des activités durables. À titre exploratoire, la BCE devrait mettre en place un premier « TLTRO vert[73] » fléché vers la rénovation thermique, une des priorités environnementales de l’Union européenne qui génère des conséquences écologiques et sociales très positives.

Une réglementation financière qui cesse d’ignorer la crise climatique

Au-delà de la politique monétaire, c’est toute la réglemen- tation financière qui doit désormais ouvrir les yeux sur les effets de la finance sur le climat et les risques du changement climatique pour sa stabilité. Sur ce front, la BCE a un rôle à jouer, mais son intervention ne sera pas suffisante. Elle devra s’accompagner de l’action de l’ensemble des régu- lateurs financiers européens et nationaux. Elle devra aussi laisser la place à des textes de lois plus contraignants, seuls à même de garantir le changement radical des pratiques, nécessaire à répondre à l’urgence climatique.

1. Un encadrement strict des soutiens financiers aux énergies fossiles

Les engagements volontaires et sectoriels des banques sont à ce jour les seuls garde-fous existants pour limiter le soutien des acteurs financiers à certaines industries nocives mais ils s’avèrent incapables d’empêcher leur surexposition aux risques climatiques et financiers des actifs fossiles.

En France, le gouvernement a demandé en octobre 2018 aux acteurs financiers de prendre des engagements volon- taires pour mettre en œuvre une sortie du charbon[74]. Presque deux ans après, le résultat est loin d’être suf- fisant : de nombreux acteurs ont adopté des politiques sectorielles lacunaires[75] qui leur permettent de continuer à financer le secteur et même son développement ; les autorités de régulation financière elles-mêmes font État de niveaux d’ambitions et d’efforts consentis variables d’un établissement à l’autre[76]. De plus, ces engagements n’ont pas été synonyme de diminution des financements aux énergies fossiles[77] et leur non-respect n’est pas sanctionné[78] par les régulateurs puisque ce sont des engagements volontaires. Le gouvernement français a lancé fin 2020 un nouvel appel à la Place de Paris, demandant aux acteurs financiers de se doter d’une stratégie de sortie des pétrole et gaz non-conventionnels[79]. Absolument rien ne garantit là encore que cette simple demande soit suivie des actions nécessaires.

Il est donc impératif de cesser de parier uniquement sur l’inopérante auto-régulation des banques, et d’encadrer dans la loi les activités des acteurs financiers dans les énergies fossiles. Ces normes contraignantes doivent à minima exiger des banques de mettre immédiatement un terme à tout soutien financier aux nouveaux projets[80] d’énergie fossile et aux entreprises qui les portent, et de se conformer à un échéancier détaillé de sortie des énergies fossiles compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C[81]. La mise en œuvre de ces mesures par les acteurs financiers doit être contrôlée de manière indépendante par les autorités de régulation financière nationales et européennes et assortie de sanctions financières dissuasives en cas de non-respect.

2. Des exigences de capitaux qui reflètent les risques supportés en soutenant les énergies fossiles

La réglementation prudentielle (les obligations de capitaux propres) impose aux banques de conserver une certaine quantité de réserves pour assurer la stabilité du système. Pourtant, comme le révèle notre étude, la faiblesse des fonds propres des banques les mettrait face à un risque de faillite si leurs actifs fossiles en stock venaient à connaître une dévaluation importante et à devenir des « actifs échoués »[82]. Cela s’explique pour la bonne et simple raison que les banques ne prennent aujourd’hui pas en compte l’exposition aux risques climatiques.

Étant donné cette accumulation d’actifs risqués au bilan des banques, il est nécessaire que celles-ci se mettent en conformité avec l’article 128 de la Capital Requirement Regulation (CRR) qui stipule que « Les Actifs par- ticulièrement risqués » doivent être surpondérés dans leur exposition aux risques. De plus, comme le suggère Finance Watch[83], le facteur de risque lié aux actifs fossiles utilisé pour calculer ces obligations de capitaux doit être drastiquement relevé, particulièrement lorsqu’il s’agit du financement de nouveaux projets d’énergies fossiles.

Une mobilisation immédiate de la CRR[84] est suffisante pour appliquer cette mesure au niveau européen, avant une potentielle extension à l’échelle mondiale via une révision de Bâle III.

3. Des risques systémiques mieux intégrés

Les coussins de risques systémiques[85] ( systemic risk buffers ) permettent de prendre en compte les risques financiers de long terme non-cycliques en augmentant les exigences de fonds propres. Ils sont fixés par les banques centrales et régulateurs nationaux pour les banques dites non-sys- témiques, et par la BCE pour les banques d’importance systémique.

Le changement climatique étant désormais reconnu comme un risque systémique – notamment par le NGFS[86], la BCE[87]et l’ESRB en Europe[88], la Réserve fédérale et le CFTC aux Etats-Unis[89], ou encore la Banque d’Angleterre[90] – son incorporation à ce « coussin » systémique ou la création d’un « sur-coussin » climatique est logique. La pertinence de cet outil est d’autant plus forte que le risque climatique se caractérise par une « incertitude radicale[91] » qui rend particulièrement complexe toute prévision et nécessite la prise de mesure préventive. Elle complète la mesure pro- posée sur les obligations de capitaux.

4. Des épargnants protégés des risques climatiques

Les « Deposit Guarantee Schemes » – obligations de garanties – obligent les banques à rembourser un montant minimal garanti aux épargnants en cas de faillite. Au sein de l’UE, ce montant est d’au moins 100 000 euros mais peut varier selon les exigences nationales.

Les montants provisionnés pour cette garantie devraient être modulés selon l’exposition de la banque aux énergies fossiles. En accumulant des actifs fossiles la banque fait courir un risque important à ses clients et à l’État qui paieront le coût de sa faillite si les risques climatiques se matérialisent. L’utilisation des garanties de dépôt permet de prévenir ce report de charge tout en favorisant l’émergence d’un cercle vertueux de réduction des risques et des impacts environnementaux.

5. Une titrisation encadrée pour éviter la diffusion des risques

La titrisation des actifs est un argument supplémentaire en faveur de l’intervention du régulateur. Aujourd’hui, les investisseurs – courtiers, traders, banques – achètent des paniers de titres dans lesquels on retrouve des actifs divers et variés. On peut retrouver dans ces paniers d’actifs une certaine part d’emprunts liés aux énergies fossiles, mais celle-ci est diffuse et donc difficilement identifiable. En 2007-2008, la titrisation avait contribué à empirer la crise des subprimes.

Ce système opaque contribue à la diffusion des risques liés aux actifs fossiles, tout en rendant leur traçabilité plus complexe. La responsabilité est alors éclatée entre les nombreux investisseurs. Avec des actifs titrisés, il est donc plus difficile de réguler ou d’évaluer correctement l’exposition aux risques. Pour pouvoir effectuer un suivi des actifs fossiles et de la responsabilité associée, et éviter une diffusion des risques, il faut interdire les titrisations complexes de ces actifs.

6. Des dividendes et des bonus clairement liés à des critères environnementaux

Étant donné leur poids dans la gouvernance des banques, la transition écologique ne se fera pas sans l’engagement des actionnaires et des membres des comités exécutifs. Si des politiques internes aux banques peuvent être mises en place pour s’assurer que les bonus ou dividendes soient liés à l’atteinte d’objectifs environnementaux, ces pratiques restent très embryonnaires. Aujourd’hui, 65 % des cadres dirigeants des 39 banques internationales analysées par Demog sont liées à des industries polluantes et leurs groupes de lobby. Ce chiffre dépasserait les 80 % dans plusieurs grandes banques – comme Wells Fargo ou JP Morgan Chase.

La Banque centrale européenne a par exemple demandé aux banques de limiter les dividendes versés durant la crise du Covid-19, événement ponctuel et moins dangereux pour la stabilité financière de long terme que la crise climatique92. Ainsi, cela a permis mécaniquement de renforcer les fonds propres des banques pour affronter la crise du Covid-19. Elle doit donc demander de limiter le versement des dividendes – par exemple à 33 % des bénéfices, contre environ 50 % en moyenne aujourd’hui – pour toutes les banques qui continuent à octroyer de nouveaux services financiers à l’industrie fossile. De la même façon, les gouvernements et la réglementation européenne pourraient intervenir pour limiter durablement les bonus des comités exécutifs tant que de nouveaux actifs fossiles sont enregistrés par l’entreprise.

 

Partie 4 : Deuxième étape : faire table rase du passé fossile

Si l’alignement de la politique monétaire sur l’Accord de Paris et l’émergence d’une réglementation à la hauteur des enjeux climatiques est un préalable urgent afin d’endiguer l’afflux des soutiens financiers aux énergies fossiles, elles ne permettront pas d’apurer le stock considérable d’actifs fossiles détenus par les banques alors qu’il est nécessaire d’accroître les capacités de financements pour concrétiser une vraie transition écologique. Pour vider ce stock, assurer une sortie progressive des énergies fossiles et libérer les capacités de financement nécessaire à la transition, une intervention majeure et décisive est nécessaire.

 

Une « banque fossile » européenne pour initier la sortie des énergies fossiles

Le respect de l’Accord de Paris implique la sortie des énergies fossiles, sortie qui nécessite une préparation rigoureuse et stricte si l’on souhaite l’opérer en minimisant les effets négatifs environnementaux et sociaux.

Une option serait que la BCE rachète les actifs fossiles détenus par les banques. Ce rachat pourrait se faire de manière indirecte via une « banque fossile » européenne et publique, filiale de la BCE, chargée de la gestion des actifs fossiles selon une trajectoire de sortie compatible avec unréchauffement de 1,5 °C. Cette nouvelle structure émettrait des titres achetés par la BCE qui lui permettrait d’acquérir les actifs fossiles accumulés par les banques européennes.

 

  • Les « bad banks », un outil réaliste de gestion des actifs échoués
  • Si l’intervention de la banque centrale proposée dans ce rapport peut paraître impressionnante, elle ne serait pas inédite. À la sortie de la 2nde guerre mondiale, lorsque l’économie était au plus mal et que les banques détenaient de nombreux crédits qui n’allaient pas être remboursés, la banque centrale avait même racheté toutes les créances dites « pourries » pour les annuler.

    Surtout, le mécanisme de « structure de défaisance » ou « bad bank », structure indépendante créée pour récupérer les actifs dits pourris ou échoués, n’est pas nouveau. Leur mission est, lorsque le contexte est plus favorable, de se séparer des titres dits illiquides, c’est-à-dire dont personne ne veut. Des structures de défai- sance ont notamment été utilisées dans plusieurs pays – dont les Etats-Unis, l’Alle- magne, l’Espagne ou la France – suite à la crise des subprimes.

    La proposition de création d’une structure de défaisance est aujourd’hui discutée depuis quelques mois au sein de l’Union Européenne afin de limiter les effets de l’endettement des pays depuis le début de la crise du Covid-19. La Présidente de la BCE, Christine Lagarde, s’est exprimée sur le sujet en février 2021.

    Au niveau international, le Climate Safe Len- ding Network et Climate KIC recommandent la création d’une « bad bank » pour gérer les actifs les plus risqués au regard de la crise climatique.

 

L’intérêt de faire intervenir la Banque centrale à cet endroit est qu’elle est la seule banque du système bancaire européen à pouvoir accuser des pertes supérieures à ses fonds propres sans faire faillite. Comme l’a rappelé récemment la Banque des Règlements Internationaux, une banque centrale peut parfaitement fonctionner avec des fonds propres négatifs[95]. Aujourd’hui, les fonds propres de la BCE sont extrêmement réduits : à peine 80 milliards d’euros. La raison en est que la crédibilité de l’euro ne dépend nullement de ces fonds propres puisqu’en cas de perte, la BCE peut se renflouer elle-même via la création monétaire – ce qu’aucune banque de second rang ne peut faire. Les fonds propres de la BCE sont donc très inférieurs au montant de la perte qu’elle enregistrerait si elle devait, demain, porter à son bilan les actifs fossiles des 11 banque que nous avons étudiées, et si la valeur de ces actifs devait brutalement chuter à zéro. Qu’à cela ne tienne, la BCE est la seule banque de la zone euro capable d’assumer une telle perte – plus de 500 milliards d’euros aujourd’hui.

Cette solution exige une volonté politique forte de la part des institutions européennes et pourrait bénéficier d’une révision du mandat de la BCE, rendant son objectif de sta- bilité des prix compatible explicitement avec l’avènement d’un système durable et décarboné.

1. Un rachat sous-conditions

Afin de contribuer à la transition et de ne pas exempter les banques de toute responsabilité, le rachat des actifs fossiles devra être conditionné à :

a. L’arrêt total de tout service financier aux projets d’énergies fossiles et aux entreprises développant ces projets.

b. L’application d’une décote de 10 % – par exemple – sur la valeur des actifs – que les banques suppor- teront via leurs fonds propres – et la limitation des rachats à 70 % des actifs fossiles détenus par la banque. De telles proportions permettent ainsi, à la fois, que les banques gèrent et paient une partie des conséquences de leurs actes, d’où une décote sensible, et qu’elles ne soient plus entravées dans le financement de la transition écologique, d’où le rachat d’une majorité de leurs actifs fossiles voués à devenir des actifs échoués.

c. L’adoption d’un plan de sortie des énergies fossiles, aligné sur une trajectoire de 1,5 °C, pour tous les actifs fossiles restants.

Le rachat des actifs fossiles serait effectué lors d’une intervention exceptionnelle et limitée dans le temps. Les critères de celles-ci devront avoir été définis au préalable et validés par l’ensemble des acteurs politiques et financiers. Il est possible d’envisager plusieurs tours de rachat d’actifs.

pour les banques n’ayant pas participé aux précédents. Le cas échéant, ils devront être prévus dès le départ, et être effectués dans des conditions moins avantageuses que les premières opérations – par exemple avec une décote accrue – afin d’éviter les effets d’aubaine.

Ces conditions permettent de limiter les effets de cette intervention massive en matière de perte de confiance, argument souvent avancé pour repousser l’idée d’une annu- lation de dette.

L’ensemble du dispositif ne bénéficiera qu’aux banques volontaires, qui s’engagent résolument vers une sortie des énergies fossiles et souhaitent profiter de l’opération pour apurer leurs stocks d’actifs fossiles et libérer des capacités de financement nouvelles.

2. Une gestion des actifs dans un but de transition juste

Suite à leur rachat, les actifs fossiles seraient gérés dans une logique de transition juste par la nouvelle banque fossile rattachée à la BCE. Il s’agit pour la banque d’opérer comme une structure de défaisance permettant d’isoler ces actifs. Elle aurait notamment pour objectif de garantir la fermeture progressive de l’ensemble des sites et infrastructures d’énergies fossiles selon un calendrier cohérent avec la science climatique. Les scénarios actuellement alignés avec l’objectif 1,5 °C prévoient :

  • La sortie du charbon au plus tard en 2030 en Europe et dans les pays de l’OCDE, 2040 partout dans le monde ;
  • La sortie des autres énergies fossiles au plus tard dans la décennie suivante.En parallèle, les États et les banques centrales pourraient soutenir les régions les plus touchées et accompagner l’en- semble des travailleurs et travailleuses dans un processus de reconversion professionnelle. C’est une réelle gestion de l’extinction des activités liées à l’exploitation des énergies fossiles qui doit être pensée et mise en place, avec toutes les mesures économiques et sociales que cela implique. De nombreux leviers peuvent être utilisés comme l’émission « d’obligations de transition juste » par la Banque euro- péenne d’investissement (BEI), ou encore la création d’un « fond de transition juste » financé par les achats de titres de la BCE, les États et les banques qui auraient bénéficié du rachat de leurs stocks d’actifs fossiles. À la clef, l’atteinte des objectifs climatiques européens et la création de nombreux nouveaux emplois verts[97].La gestion de cette structure pourrait être confiée à la BEI ou tout autre organisme possédant les compétences pour mener à bien ces objectifs.

Une solution à exporter au-delà de l’Europe

Bien entendu, les actifs fossiles ne sont pas uniquement concentrés dans les banques européennes. Les financements des 60 plus grandes banques mondiales au secteur des énergies fossiles ne cessent d’augmenter depuis 2016 et atteignent 3 393 milliards d’euros sur cette période[98]. Les plus grands financeurs des énergies fossiles sont les banques nord-américaines. Les trois premières banques de ce sinistre classement – JP Morgan, Wells Fargo et Citi – totalisent à elles-seules 585 milliards de dollars de finan- cements au secteur de 2016 à 2020.

Toutes les régions du monde connaîtront les mêmes pro- blématiques, et toutes auront besoin de solutions pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Il est à noter qu’en plus des mêmes difficultés de financer la transition écologique, plusieurs grandes banques internationales se verraient confronter à un risque de faillite en cas de brusques variations sur les marchés, en particulier la Wells Fargo aux États-Unis, qui possèderait des actifs fossiles représentants plus de 300 % de ses fonds propres.

La solution proposée à l’échelle européenne gagnerait donc à être répliquée et établie en collaboration avec les autres grandes banques centrales mondiales pour au moins deux raisons : garantir une sortie globale des énergies fossiles alignée sur les objectifs de l’Accord de Paris ; éviter un désé- quilibre monétaire et financier entre les acteurs européens et les acteurs mondiaux. Cette coordination idéale ne doit cependant pas justifier une inaction des institutions et des gouvernements européens.

Conclusion

par Gaël Giraud

La forte diminution puis la fin de la production et de l’utilisation des énergies fossiles est une condition incontournable pour limiter les dérèglements climatiques. Tout retard diminue considérablement les chances de maintenir le réchauffement planétaire à un maximum de + 2 °C et au plus près de + 1,5 °C, augmentant massivement les dégâts humains, sociaux, économiques et financiers associés. Le calendrier de la transformation de nos sociétés vers un monde bas-carbone importe donc au plus haut point. Dans ce contexte, le « risque de transition » lié à la vitesse à laquelle nous nous libérons de notre dépendance aux actifs fossiles constitue un véritable défi. En effet, la fin de notre addiction aux énergies fossiles signifiera tôt ou tard que les actifs financiers associés aux fossiles perdront toute valeur marchande. Ce rapport suggère qu’une estimation prudente des pertes qu’occasionnerait l’échouage de ces actifs s’élève à 500 milliards d’euros pour les 11 plus grandes banques de la zone euro et représente une moyenne de 95 % de leurs fonds propres. Ces chiffres continueront d’augmenter si les banques accroissent davantage encore leur exposition aux hydrocarbures fossiles, comme certaines semblent déterminées à le faire.

En l’absence de réaction des pouvoirs publics et régulateurs financiers, le secteur bancaire pourrait juger qu’en matière de décarbonation de nos sociétés, il est urgent d’attendre. Or la planète et notre humanité ne peuvent pas attendre. Tout comme le système financier qui accroît les risques de voir une crise de type subprimes survenir à nouveau si rien n’est fait.

Au regard de cette menace, la première urgence est de changer les règles du jeu pour les acteurs financiers, afin d’empêcher tout nouvel investissement dans les charbon, pétrole et gaz, et arrêter ainsi le développement de nouvelles métastases fossiles. Cela ne sera possible qu’en supprimant tous soutiens aux énergies fossiles telles qu’actuellement offerts par la politique monétaire, et en adaptant la réglementation nationale et européenne pour contraindre les banques à aligner leurs activités avec les objectifs de l’Accord de Paris.

Pour que le stock des actifs fossiles et le risque de transi- tion qui pèse sur eux n’obèrent pas toute capacité de nos économies à s’engager dans la reconstruction écologique, il importe également de trouver un moyen de pratiquer l’ablation des métastases fossiles présentes dans les bilans bancaires. La création d’une structure de défaisance qui débarrasserait nos banques desdits actifs est la première idée qui vient à l’esprit, et celle qui sera probablement promue par le secteur bancaire à terme. Nous devons prendre garde, toutefois, à savoir qui paiera la note, autrement dit qui devra assumer le coût financier induit par la perte de valeur des actifs fossiles. Si nous ne réfléchissons pas à un dispositif original, il y a fort à parier que ce sera le contribuable, une fois de plus. Notre proposition consiste donc à faire assumer la perte, non par le contribuable mais en partie par les banques elles-mêmes, et largement par la Banque centrale européenne.

Bien entendu, il ne s’agit pas de nourrir l’illusion qu’un seul acteur, fût-ce la BCE, peut à lui seul résoudre l’entièreté du problème posé par le risque de transition et les stocks d’actifs fossiles. Nous avons volontairement centré notre analyse sur cet aspect du problème mais, en vérité, il est lui-même étroitement lié au risque physique que fait peser le dérèglement écologique sur nos sociétés et économies, lequel ne concerne évidemment pas que les banques mais aussi les assurances et l’ensemble de l’économie réelle. Bien d’autres dispositifs sont à mettre en place pour tenter d’af- fronter ce problème systémique dans toute sa complexité[99]. Notre proposition est donc forcément modeste. Elle aura mérité d’être formulée si elle permet un véritable débat démocratique autour de la manière dont nous voulons relever le défi écologique au cours des prochaines décennies autrement qu’en laissant le contribuable subir les dégâts environnementaux et sociaux colossaux qui s’annoncent, tout en en payant la facture.

Annexes

Annexe 3 Méthodologie détaillée

La méthodologie de ce rapport est construite en quatre étapes : 

  1. Périmètre de l’étude 

L’étude concerne les données financières 2019 des principales banques de la zone euro : 

En France : BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE. 

En Allemagne : Deutsche Bank et Commerzbank. 

En Italie : UniCredit et Intesa Sanpaolo. 

En Espagne : Santander et BBVA. 

Aux Pays-Bas : ING. 

Toutes les banques ont été étudiées au niveau de leur périmètre « Groupe », excepté pour CASA, dont les données financières 2019 sont de meilleures qualités que le Groupe Crédit Agricole. 

  1. Définition du terme « actifs fossiles » 

Les « actifs fossiles » sont définis comme tous les actifs (produits financiers) nécessaires au financement des activités fossiles, qui regroupent l’exploration, l’exploitation, la distribution – y compris le transport, le raffinage, etc. – des énergies fossiles – pétrole, le gaz et le charbon –, et la production d’électricité à partir de ces ressources. 

NB : Ne sont pas intégrés à l’étude les actifs indirectement liés à ces ressources énergétiques, tels que le secteur automobile, le transport aérien, etc. 

  1. Recherche des actifs des banques 

L’étude se base sur deux documents publiés par les banques : le rapport financier annuel – ou document d’enregistrement universel – et le rapport Pillar III – ou rapport sur les risques. 

Le rapport financier annuel intègre le bilan comptable des banques qui indique notamment la valeur des différents actifs détenus. Le montant total des actifs a été divisé en trois catégories : 

Les actifs crédits, qui regroupent les crédits des banques aux particuliers, aux entreprises et aux États ; 

Les actifs d’investissement –produits de marché et assurances –, qui regroupent tous les actifs qui s’échangent sur les marchés financiers ; 

Les autres actifs. 

Une fois les montants totaux « actifs crédit » et « actifs d’investissement » identifiés, il faut y déterminer la part des actifs fossiles. L’addition des actifs fossiles dans la partie crédit et dans la partie de produits de marché et d’assurance nous indiquera le montant total des actifs fossiles détenus par les banques. 

a. Actifs fossiles dans la partie crédits : actifs crédits 

Pour identifier la part des actifs fossiles dans les actifs crédit, nous utilisons dans le Pillar III le tableau « CRB-D » qui ventile les expositions aux risques de crédit par industrie/ secteurs d’activité. Ce tableau détaille les valeurs nettes des expositions du bilan et hors bilan – correspondant aux valeurs comptables figurant dans les états financiers, selon le champ d’application de la consolidation réglementaire. À partir de cette classification, nous identifions dans le tableau les industries dans lesquelles se trouvent des actifs fossiles – « Oil & Gas », « Energy », etc. 

Pour chacun des secteurs, nous appliquons des clés de répartition uniquement sur le montant des crédits bruts. Nous prenons l’hypothèse très prudente de ne comptabiliser aucun actif fossile dans le hors-bilan. Deux options se présentent pour identifier la part fossile de chaque secteur : 

a. Lorsque les secteurs de crédit entrent entièrement dans le périmètre défini – par exemple, « Oil & Gas » –, le montant est inclus dans sa totalité. 

b. Lorsque les secteurs de crédit ne comprennent qu’une partie du périmètre, nous avons défini 2 options :

  • Si la partie fossile est précisée dans le rapport annuel de la banque – ou autres documents publics –, elle est reprise dans l’étude. 
  • Si rien n’est précisé, nous appliquons une clé de répartition standard pour séparer la partie « fossile » du reste de l’activité. 

Chaque clé de répartition est construite avec des données économiques et financières spécifiques au secteur en question et accessibles publiquement en suivant l’une de ces trois méthodes : 

a. Soit nous calculons le poids du secteur dans l’économie : PIB, chiffre d’affaire des leaders du secteur. 

b. Soit nous calculons le poids du secteur dans les indices financiers : MSCI, Barclays-Bloomberg, etc. 

c. Soit nous prenons la même clé de répartition qu’une autre banque qui précise la part fossile dans les prêts du même secteur – via leur portefeuille de crédits. 

Une fois que nous avons calculé la part d’actifs fossiles crédit publiée dans le Pillar III, cela donne un ratio, un % d’actifs fossiles, que nous appliquons au montant total d’actifs crédit brut notifié dans le bilan. 

NB : Concernant le secteur financier – souvent nommé « Banques et Assurances » –, la clé de répartition est calculée grâce à la moyenne de la part d’actifs fossiles de crédits – hors finance – des banques européennes inclues dans le périmètre : ceci représente la proportion des prêts interbancaires utilisés pour financer les industries fossiles. 

b. Actifs fossiles dans les produits de marché et assurances : actifs d’investissement 

Les actifs fossiles dans les produits de marché et d’assurances correspondent à la part des produits financiers « fossiles » autres que les crédits que possèdent les banques pour leurs activités. Pour rappel, le total d’actifs d’investissement est rapporté dans le bilan comptable et est constitué des instruments financiers en valeur de marché par résultat, des actifs financiers en valeur de marché par capitaux propres, des placements des activités d’assurance, etc. 

Les instruments liés aux dérivés ainsi qu’aux REPOs ont été intégrés à ces montants car ils peuvent contenir des produits liés directement ou indirectement aux actifs fossiles. 

Pour déterminer la part fossile : 

a. Quand l’information de la part fossile dans les actifs investissement est donnée, nous la reportons. 

b. Quand l’information est manquante, nous utilisons une estimation à 4,62 %, basée sur :

  • D’une part, la part des industries pétrolières, gazières et de charbon dans le MSCI Europe, soit 3,56 %, pondérée à 75 %. 
  • D’autre part, la part des obligations des entreprises du secteur des énergies fossiles dans les obligations européennes – hors obligations émises par les banques –, soit 7,8 % pour les industries fossiles en 2020, pondéré à 25 %[100]. 

Les actifs libellés « Caisse et Banque Centrale », qui sont pourtant des produits de dette échangeables sur les marchés financiers, n’ont pas été inclus dans les actifs investissement. En effet, leur très faible maturité – délai de remboursement inférieur à l’année – rend leur valeur peu exposée à une transition écologique qui demeure une transformation qui s’envisage sur un temps relativement long. 

c. Le cas des actifs REPO 

Les « Repurchase agreements » (REPO) sont des contrats qui permettent de prêter/emprunter des titres financiers – actions ou obligations – en échange d’un collatéral monétaire. S’il est tout à fait possible de trouver des actifs fossiles dans les REPO, il est vrai qu’une partie importante de ces contrats concerne des obligations d’État qui n’ont aucun lien avec des activités fossiles. Ainsi, pour les besoins de notre étude, le montant total des contrats REPO est divisé en deux parties égales : 

  • 50 % action : nous appliquons à ce montant la ratio explicité en (b) ci-dessus. 
  • 50 % obligation : nous considérons que 75 % de cette activité concerne des obligations d’État qui sortent du périmètre de l’étude. Nous appliquons donc le ratio (b) à seulement 25 % de cette partie obligataire. 

d. Les autres actifs 

Les autres lignes des bilans des banques sont regroupées dans les « autres actifs ». On y retrouve notamment les montants « Caisses et Banque Centrale », « Goodwill », etc. 

Nous y avons placé aussi la part des actifs REPO qui sont considérés sans actifs fossiles (voir paragraphe « Le cas des actifs REPO » au-dessus). 

Aucun actif fossile n’est retenu pour ces autres actifs. 

4. Actifs fossiles vs. fonds propres 

Afin d’identifier la part de fonds propres, nous prenons le montant rapporté au « Common Equity Tiers 1 » (CET1) publié par les banques, car il s’agit des fonds propres les plus sûrs des banques, non-déformés par leurs estimations des risques. 

En cas de forte chute de valeur dans le secteur des énergies fossiles, seuls les fonds propres CET1 sont mobilisables suffisamment rapidement pour servir de coussin de sécurité. Le reste des fonds propres peut intégrer des produits liés aux énergies fossiles ou d’autres actifs très exposés aux risques climatiques. 

Le ratio actifs fossiles sur fonds propres est un très bon indicateur de la santé financière des banques en cas de crise liée aux secteurs des pétrole, gaz et charbon. 

Méthodologie co-construite 

Cette méthodologie a été co-construite avec différents experts du monde bancaire. Notamment avec le cabinet Carbone4 Finance, qui a bien voulu challenger les différents points de cette méthodologie jusqu’aux résultats finaux afin de s’approcher au mieux de la réalité. 

De plus, les 11 banques européennes ont été contactées afin qu’elles puissent faire part d’éventuelles remarques ou transmettre des données alternatives. Ces retours ont donné lieu à plusieurs modifications lorsqu’elles étaient justifiées et sourcées. 

La question des assurances et des autres sécurités prudentielles 

Comme mentionné précédemment, cette étude prend uniquement en compte les « Common Equity Tier 1 » (CET 1) qui sont immédiatement mobilisables et permettent d’estimer la capacité de la banque à absorber d’elle-même et directement les pertes éventuelles. 

L’épuisement théorique des CET 1 n’est pas pour autant synonyme de situation de faillite. D’autres ressources, et notamment les autres leviers prudentiels, peuvent être mobilisés. Surtout, les banques sont largement assurées et une partie des pertes devrait être transférée à leurs assureurs. 

Ces éléments n’ont pas été pris en compte dans le périmètre de cette étude dans la mesure où celle-ci vise spécifiquement à identifier de quelle manière les banques et la régulation financière intègrent – ou n’intègrent pas – les risques spécifiques liés à la détention d’actifs fossiles. Il s’agit alors de responsabiliser les banques dans la détention de leurs actifs, et non de parier sur un éventuel report ou une dilution de la perte financière afférente. Notons d’ailleurs que se reposer sur de tels mécanismes fait courir un risque important de propagation des pertes, qui pourrait in fine nécessiter l’intervention des Etats et donc faire porter le coût final aux contribuables. De plus, la capacité d’action des assureurs pourrait être réduite dans la mesure où ils seraient eux-aussi directement affectés par une chute importante de la valeur des actifs fossiles. En effet, comme le montre le classement effectué par Insure Our Future[101], les grands assureurs restent particulièrement impliqués dans le secteur. 

Particularités pour les banques hors zone euro 

L’étude menée chez les banques internationales hors zone UE a été réalisée avec moins d’informations, et donc plus d’hypothèses. 

En particulier, lorsque des informations étaient manquantes, les hypothèses retenues pour les banques de la zone euro ont été utilisées par défaut. 

Outre le fait que certaines informations étaient manquantes, les banques hors zone euro n’ont pas été contactées. 

Ces données sont donc plus approximatives et reposent sur des hypothèses plus nombreuses que celles de la zone euro, en particulier pour les banques chinoises. 

 

[1]Les conversions du dollar à l’euro ont été effectuées avec un taux de change de 2019 de 1,12 dollar pour 1 euro. Statista, (2020), « Taux de change du dollar des États-Unis (USD) par rapport à l’euro (EUR) de 1999 à 2019 ».

[2] Rainforest Action Network, Reclaim Finance et al., (2021), Banking on Climate Chaos.

[3] Nations Unies, (2020), Production Gap Report.

[4] Dans notre étude, ce sont les Common Equity Tiers 1 (CET 1) qui ont été retenus car ce sont les fonds propres sécurisés des banques.

[5] Crédit Agricole SA revendique un volume de fonds propres plus important, justifié par le fait qu’en cas de choc subi au niveau de l’entité CASA, le groupe Crédit Agricole serait dans l’obligation légale de soutenir CASA via ses fonds propres. Nous faisons cependant le choix méthodologique de comparer les actifs fossiles de CASA aux fonds propres de CASA uniquement, afin d’évaluer la solidité financière de cette banque d’affaires, ainsi que sa prise en compte – ou son absence de prise en compte – des risques climatiques. Dans un contexte de perte de valeur des actifs de CASA, il existe donc un risque de propagation au groupe Crédit Agricole et à ses autres activités, en contrepartie d’une sécurité supplémentaire.

[6] Rainforest Action Network, Reclaim Finance et al., (2021), Banking on Climate Chaos.

[7] Notre affaire à tous, (2020), Un climat d’inégalités, les impacts inégaux du dérèglement climatique. / Winkel J. , Nazrul Islam S. (2017), Climate change and social inequality. / OCDE, ( 2010), Pauvreté et changement climatique : réduire la vulnérabilité des populations par l’adaptation.

[8] Mark Carney (2015), Breaking the Tragedy of Horizon.

[9] WWF, (2021), Les énergies fossiles : à quel prix? 

[10] Irena, (2020), How falling costs make renewable a cost-effective Investment.

[11] Irena, (2021), Renewable capacity highlights.

[12] Carbon tracker, (2013), Wasted capital and Stranded Assets.

[13] The Guardian, (2015), Carney warns of risks from climate change ‘tragedy of the horizon.

[14] Irena, (2021), World energy transitions outlook.

[15] McKinsey & company, (2021), CEO Interview: Natixis and CDPQ invest in climate action.

[16] Derek Browner, Justin Jacobs (2021), Exxon faces “existential risk over fossil fuel focus, activist investor warns, Financial Times

[17] Voir notamment la notation de la politique charbon des entreprises du groupe Natixis dans le Coal Policy Tool de Reclaim Finance

[18] Gaël Giraud, (2014), Illusion financière, Ed. de l’Atelier, Paris.

[19] Rainforest Action Network, Reclaim Finance et al., (2021), Banking on Climate Chaos.

[20] Les Amis de la Terre France et Oxfam France, (2021), Quoi qu’il en coûte : les banques françaises au secours de l’industrie fossile.

[21] Rainforest Action Network, Reclaim Finance et al., (2021), Banking on Climate Chaos.

[22] Crédit Agricole SA revendique un volume de fonds propres plus important, justifié par le fait qu’en cas de choc subi au niveau de l’entité CASA, le groupe Crédit Agricole serait dans l’obligation légale de soutenir CASA via ses fonds propres. Nous faisons cependant le choix méthodologique de comparer les actifs fossiles de CASA aux fonds propres de CASA uniquement, afin d’évaluer la solidité financière de cette banque d’affaires, ainsi que sa prise en compte – ou son absence de prise en compte – des risques climatiques. Dans un contexte de perte de valeur des actifs de CASA, il existe donc un risque de propagation au groupe Crédit Agricole et à ses autres activités, en contrepartie d’une sécurité supplémentaire.

[23] Ansari D., Holz F. (2020), Between stranded assets and green transformation: Fossil-fuel-producing developing countries towards 2055, Elsevier. / Carbon Tracker (2020), Decline and fall: the size and vulnerability of the fossil fuel system.

[24] Carbon Tracker (2016), Unburnable / Nations Unies, (2020), Production Gap Report / Alan Livsey (2020), Lex in depth: the $900bn cost of “stranded energy assets, Financial Times

[25] Carbon Tracker (2020), How to waste half a trillion dollar: the economic implications of deflationary renewable energy for coal power investments / National Institute of Economic and Industry Research (2019), Stranded assets in Australia – with reference to the coal industry

[26] Rachel Morison (2021), Gas Is the New Coal With Risks of $100 Billion In Stranded Assets, Bloomberg Green/ Justin Jacobs (2021), Gas prospects lose steam as renewable gather pace, Financial Times

[27] Global Energy Monitor (2021), Europe Gas Tracker Report 2021

[28] Gabrielle Siry (2021), Si écologie punitive il doit y avoir c’est à l’encontre des financements des énergies fossiles, Le Monde

[29] Dominique Pialot (2019), Les énergies fossiles ont couté 90 milliards à Blackrock, La Tribune

[30] Rainforest Action Network (2020), Fracking Fiasco / David French, Imani Moise (2020), US Banks prepare to seize energy assets as shale boom goes bust, Reuters

[31] Swiss Re Institute (2021), The economics of climate change: no action not an option

[32] Battiston S. (2017), A climate stress-test of the financial system, Nature climate change / DNB (2017), Waterproof? An exploration of climate-related risks in the Dutch financial sector / Institute for ecological economics, (2019), Capital stranding cascades: The impact of decarbonisation on productive asset utilisation.

[33] Transnational Institute (2017), The Bail Out Business.

[34] Boudet A. (2016),” Les conséquences sociales de la crise économique vues par l’Insee”, Huffington Post, Janvier

[35] Grandjean A., Lefournier J. L’Illusion de la finance verte, Les- Liens-qui-libèrent, à paraître.

[36] AFG, (mai 2020),« La gestion Investissement Responsable ».

[37] Climate Bond Initiative, consulté le 15 mars 2021.

[38] AMF, (2020), Investisseurs particuliers : leurs motivations et leurs pratiques d’investissement.

[39] Oxfam France, (2020), Banques : des engagements climat à prendre au 4ème degré.

[40] Reclaim Finance, (2020), Épargne : nos économies au service du chaos social et climatique.

[41] Auriac V. , (2020), Comment trouver le vrai fonds à impact en évitant le greenwashing ?

[42] ICMA, (2018), Green Bond Principles Voluntary Process Guidelines for Issuing Green Bonds.

[43] Ehlers T., Mojon B., Packer F., (2020) Green bonds and carbon emissions: exploring the case for a rating system at the firm level”, revue de Bis.

[44] Reclaim Finance (2021), Enbridge et durabilité : sables bitumineux et violation des droits humains.

[45] Rainforest Action Network, Reclaim Finance et al., (2021), Banking on Climate Chaos.

[46] Voir le Coal Policy Tool de Reclaim Finance.

[47] Oxfam France, (2018), Banques françaises : les fossiles raflent la mise.

[48] Oil change international, (2020) Discussion Paper: Big Oil Reality Check — Assessing Oil And Gas Climate Plans / Climate Action 100+, Climate Benchmark 2021.

[49] Ces chiffres publiés par Carbon Tracker dans le cadre du Benchmark du Climate Action 100+ sont basés sur les informations publiées par les entreprises au 5 février 2021 et des données de Rystad Energy sur leurs capex en mars 2020.

[50] Friends of the earth international, (2021) Chasing Carbon Unicorns: The deception of carbon markets and “net zero. / Greenpeace UK, (2021), Assessing the role of carbon dioxide removal in companies’ climate plans. / Grain, (2021), Corporate greenwashing: «net zero» and «nature-based solutions» are a deadly fraud.

[51] Reclaim Finance, (2020), Scénarios climatiques : 5 pièges à éviter pour contenir le réchauffement à 1,5°C. / Oil Change International, Reclaim Finance, (2021), NGFS scenarios : guiding finance towards climate ambition or climat failure?. / Trout K., (2021), Getting On Track to 1.5°C: The IEA’s Opportunity to Steer Investments towards Success in Meeting the Paris Goals, Oil change international.

[52]  Reclaim Finance (2020), NZAOA: still a low ambition protocol

[53] Reclaim Finance (2021), NZIF: the Paris Aligned Investment Initiative forgets about fossil fuels

[54] UN, The Production Gap Report, (2020) / Trout K., (2018),The Sky’s Limit and the IPCC Report on 1.5 Degrees of Warming, Oil change international,

[55] Chenet H., Ryans-collins J., Van-lerven F., (2020) Finance, climate-change and radical uncertainty: Towards a precautionary approach to financial policy / Global Witness, (2019) OVEREXPOSED / D. Delis M., de Greiff K., Ongena S., (2019) Being Stranded the Carbon Bubble? Climate Policy Risk and the Pricing of Bank Loans / Krane J., PH.D, (2016), Climate Risk and the Fossil Fuel Industry: Two Feet High and Rising / Carbon tracker, (2020), How to waste over half a trillion dollars: The economic implications of deflationary renewable energy for coal power investments

[56] Dafermos Y., Gabor D., (2021), Greening the eurosystem collateral framework how to decarbonise ECB’s monetary policy. / Dafermos Y., Gabor D., (2020), Decarbonising is easy: Beyond market neutrality in the ECB’s corporate QE.

[57] Couppey-Soubeyran J., (2020), Comment la BCE peut (enfin) verdir sa politique monétaire, The conversation, 16 Décembre 2020.

[58] Colesanti Senni C., Monnin P., (2020), Central Bank Market Neutrality is a Myth, Council on economic policies.

[59] Del Vasto A., (2021), Policy briefing : why the ecb should go beyond ‘market neutrality , positive money europe.

[60] European central bank, (2021) Greening monetary policy.

[61] Christine Lagarde, (2021), Christine Lagarde: Climate change and central banking, Bis, Discours de Christine Lagarde du 25 Janvier 2021.

[62] Van Tilburg R., Simić A., (2021) Lessons from monetary history for tackling climate change, Sustainable finance Lab.

[63] Dafermos Y., Gabor D., (2020), Decarbonising is easy: Beyond market neutrality in the ECB’s corporate QE.

[64] Battiston B., Monasterolo I., (2019) How could the ECB’s monetary policy support the sustainable finance transition?.

[65] Reclaim Finance, (2019), Quantitative easing et climat : Le sale secret de la Banque Centrale Européenne.

[66] Reclaim finance, (2020), Quantitative easing et climat : fueling the fossil gas frenzy.

[67] Am Main F., (2021), From green neglect to green dominance?, European central bank , 2 mars 2021.

[68] Dafermos Y., Gabor D., (2021), Greening the eurosystem collateral framework : how to decarbonise ECB’s monetary policy, Greenpeace.

[69] NGFS, (2021), Adapting central bank operations to a hotter world Reviewing some options.

[70] Institut Rousseau, (2020), “Quand la banque centrale donne gratuitement de l’argent aux grandes banques commerciales au lieu de financer la reconstruction-écologique».

[71] Lederer E., (2021) “Les banques françaises ont profité des prêts géants de la BCE en 2020”, Les Echos, 17 Février 2021.

[72] Benoit G., (2021) “Les banques empruntent 330 milliards d’euros à taux négatif auprès de la BCE”, Les echos, 18 mars 2021.

[73] Klooster J., van Tilburg R., (2020), Targeting a sustainable recovery with Green TLTROs.

[74] Vie Publique, (2018), “Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, sur les aspects économiques de la lutte contre le réchauffement climatique”.

[75] Reclaim Finance, (2020), “Analyser la qualité des politiques charbon : le Coal Policy Tool”, méthodologie en ligne.

[76] AMF, ACPR, (2020), “Les politiques “charbon”, des acteurs de la place financière de Paris”.

[77] Reclaim Finance, (2021), Capitale de la finance verte?, article, 23 mars 2021.

[78] Reclaim Finance, (2021), Régulation et supervision financières : recommandations à l’ACPR et l’AMF, article, 23 mars 2021.

[79] DG Trésor, (2020), “Bruno Le Maire et Olivia Grégoire encouragent la Place de Paris à redoubler d’efforts afin d’accélérer le développement d’une finance verte”, DG trésor, 16 Novembre 2020.

[80] Exploration et exploitation de nouvelles réserves, construction de nouveaux gazoducs, oléoducs, terminaux méthaniers, centrales.

[81] Pour le charbon d’ici 2030 dans l’UE et l’OCDE et d’ici 2040 dans le monde ; une décennie plus tard pour les pétrole et gaz. Voir notamment : Climate Analytics (2019), Global and regional coal phase-out requirements of the Paris Agreement.

[82] Carbon Tracker, (2017), Carbon Tracker introduced the concept of stranded assets to get people thinking about the implications of not adjusting investment in line with the emissions trajectories required to limit global warming, article, 23 Aout 2017.

[83] Finance Watch, (2020), Breaking the climate-finance doom loop.

[84] Le règlement sur les exigences de fonds propres n ° 575/2013 est une loi de l’UE qui vise à réduire la probabilité d’insolvabilité des banques.

[85] Banque de France (2020), “Coussin pour le risque systémique : à quoi servirait cet instrument ?”

[86] NGFS, (2019), A call for action Climate change as a source of financial risk.

[87] European Central Bank (2021), Shining a light on climate risks: the ECB’s economy-wide climate stress test, article, 18 mars 2021.

[88] ESRB, (2020), Positively green: Measuring climate change risks to financial stability.

[89] Cox J., (2021), Fed sets up panels to examine risks that climate change poses to the financial system, CNCB, 23 Mars 2021.

[90] Bank of England, (2020), Climate change: why it matters to the Bank of England.

[91] Chenet H., Ryan J., Van Lerven F., (2021) Finance, climate-change and radical uncertainty: Towards a precautionary approach to financial policy, Elsevier.

[92] Auriac V., (2020), “Comment trouver le vrai fonds à impact en évitant le greenwashing ?”, axylia, le 3 novembre 2020.

[93] Grandjean A., Dufrêne N. (2020), Une monnaie écologique, Ed. Odile Jacob

[94] Climate Safe Lending et Climate KIC (2021), Financial Stability in Planetary Emergency,

[95] Archer D., Moser-Bohem P. (2013), Central Bank Finance, BIS Papers, No 71, 29 avril 2013. / Article 28 Capital de la BCE, “Protocole (N°4) sur les statuts du système européen de banques centrales et de la banque centrale européenne.”

[96] Un scénario irréaliste, redisons-le : la perte de valeur des actifs fossiles s’étalera sur plusieurs années.

[97] Kapetaki Z., (2021), Recent trends in EU coal, peat and oil shale regions, rapport Commission europènne. / Instrat, (2020), Green jobs in coal regions.

[98] Rainforest Action Network, Reclaim Finance et al., (2021), Banking on Climate Chaos.

[99] Giraud G.,Dufrêne N., Gilbert P., Comment financer une politique ambitieuse de reconstruction écologique, Note de l’Institut Rousseau.

[100] Source Eikon : part des actifs classés comme fossile dans la taxonomie NACE dans les ‘non-bank bonds’ européens.

[101] Insure Our Future (2020), Insuring Our Future, 2020 scorecard on insurance, fossil fuels climate change

Publié le 10 juin 2021

Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ?
Quand financer la crise climatique peut mener à la crise financière

Auteurs

Gaël Giraud
Gaël Giraud est économiste, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École nationale des ponts et chaussées et auteur. Il dirige le programme justice environnementale de Georgetown University. Spécialiste des interactions entre économie et écologie, il occupait les fonctions de chef économiste de l’Agence française de développement (AFD) jusqu’en juillet 2019. Il est président d'honneur de l'Institut Rousseau.

Christian Nicol
Christian Nicol est cadre dans une banque, militant écologiste et conseiller municipal en charge du Développement Durable d’Elancourt. Passé par l’Université Paris Dauphine et le MBA RSE de Léonard de Vinci, il se mobilise depuis plusieurs années, pour faire progresser la prise de conscience et les solutions sur le sujet du Développement Durable. Depuis 2020, il collabore sur ces thématiques avec Gaël Giraud, économiste français spécialisé dans la Transition Ecologique et dans l’économie mathématique.

« L’Institut Rousseau publie aujourd’hui un rapport de première importance en coopération avec plusieurs organisations non-gouvernementales et associations françaises et étrangères spécialisées dans les questions financières et écologiques, au premier rang desquelles Les Amis de la Terre et Reclaim Finance. Le Monde et Bloomberg, ainsi que Die Zeit (Allemagne) et l’Avvenire (Italie) en assurent un décryptage en exclusivité.

Ce rapport démontre que non seulement les grandes banques continuent de financer massivement les énergies fossiles mais également que ce type de financement peut constituer un danger de toute première importance pour la stabilité financière et monétaire.
En effet l’exposition brute aux actifs fossiles d’un certain nombre de banques excède le niveau de leurs fonds propres. En d’autres termes, les actifs fossiles pourraient devenir les « subprimes » de demain.
Pour sortir de cette situation, les auteurs proposent plusieurs solutions concrètes visant à permettre aux banques de se délester de leurs actifs fossiles en échange d’un engagement ferme à mieux financer la transition écologique (structure de défaisance), mais aussi des réformes profondes de la politique monétaire et prudentielle pour accompagner ce mouvement. »

Nicolas Dufrêne, directeur de l’Institut Rousseau

 

Résumé exécutif

L’addiction des banques aux énergies fossiles : un danger pour le climat

Selon le rapport Banking On Climate Chaos 2021, les 60 plus grandes banques mondiales ont accordé 3 393 milliards d’euros[1] de financements aux entreprises du secteur des énergies fossiles entre 2016 et 2020[2]. Contrairement à ce que leurs discours et engagements peuvent laisser penser, les banques européennes n’ont pas infléchi leurs financements aux énergies fossiles. Certaines ont même continuellement augmenté leurs soutiens à cette industrie, première responsable des émissions de gaz à effet de serre.

Pourtant, pour respecter l’Accord de Paris sur le climat adopté en 2015, il est impératif de mettre immédiatement fin au développement des énergies fossiles et d’en programmer la sortie progressive et totale. La production mondiale de charbon, pétrole et gaz fossile doit ainsi diminuer de 6 % par an d’ici 2030 pour nous laisser une chance de limiter le réchauffement à 1,5 °C[3], une trajectoire aux antipodes de celle que dessinent les flux financiers actuels.

Les actifs fossiles : un double risque climatique et financier

Le soutien des banques aux entreprises du secteur des énergies fossiles n’est pas nouveau. Avant comme après la signature de l’Accord de Paris, elles ont accumulé des centaines de milliards d’actifs financiers liés à l’exploration, à l’exploitation, au transport et à l’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz. Or ces stocks d’« actifs fossiles » ont une importance déterminante pour la stabilité du climat comme celle du système financier.

En fournissant fidèlement à cette industrie les capitaux dont elle a besoin pour opérer et investir, les banques financent des volumes colossaux d’émissions de gaz à effet de serre. Ce faisant, elles limitent également leur capacité à financer des alternatives durables, car les liquidités et réserves consacrées aux géants des énergies fossiles et à leurs projets sont autant d’argent qui ne peut être mobilisé en faveur de la transition. Ainsi, les banques accumulent des actifs financiers qui apparaissent comme sûrs selon leurs critères d’analyse actuels, mais sont en fait très exposés aux risques climatiques, toujours ignorés des acteurs financiers et de la réglementation bancaire. Avec la finance verte et des stratégies souvent incohérentes, le secteur financier tente de se voiler la face sur des risques qui deviennent pourtant de plus en plus importants au fur et à mesure qu’ils ne sont pas correctement traités.

Car tous ces actifs fossiles risquent de devenir des « actifs échoués » – c’est-à-dire de perdre fortement de la valeur et de la liquidité, car le respect de l’Accord de Paris entraînera une baisse importante et continue de l’utilisation des énergies fossiles. Comme tous les risques, ces actifs échoués sont d’autant plus dangereux qu’ils sont ignorés : c’était le cas lors de la crise des subprimes – qui a engendrée de nombreuses faillites bancaires, une récession mondiale, une poussée du chômage et des inégalités –, et notre étude montre que l’ampleur du risque des actifs fossiles est sous-estimée par les milieux financiers.

Dans ce contexte, la dévalorisation des actifs fossiles détenus par les banques qui accompagnera l’inévitable transition écologique, pourrait produire d’importantes turbulences voire générer une nouvelle crise financière. La perte de valeur plus ou moins rapide enregistrée par les banques pourrait aller jusqu’à les mettre en situation de faillite s’il s’avérait que leurs fonds propres – volume de capitaux détenu par les banques visant à leur fournir un matelas de sécurité en cas de coup dur – sont insuffisants pour l’absorber et que les mécanismes d’assurance ne suffisent plus. Ce contexte est le même que pour la crise des subprimes, où les banques, refusant pendant de longs trimestres d’ouvrir les yeux sur la catastrophe à venir, ont fait exploser une situation pourtant évitable, aboutissant à de nombreuses faillites bancaires, dont celle de Lehman Brothers – 4ème plus importante banque d’affaire des Etats-Unis de l’époque.

Notre étude se propose d’évaluer ces risques financiers liés au climat pour les grandes banques de la zone euro, afin de promouvoir une gestion anticipée des stocks d’actifs fossiles compatible avec la préservation de l’environnement comme de la stabilité du système financier.

 

Les banques de la zone euro, au bord d’un gouffre invisible

Notre étude approfondie des 11 principales banques de la zone euro révèle qu’elles cumulent un stock de plus de 530 milliards d’euros d’actifs liés aux énergies fossiles, soit 95 % du total de leurs fonds propres.

Ces actifs représentent pour toutes les banques étudiées une part très importante de leurs fonds propres[4], allant de 68 % pour Santander à 131 % pour Crédit Agricole. Ceci est d’autant plus grave que ces actifs fossiles ne représentent que la face émergée de l’iceberg gigantesque formé par tous les secteurs qui nécessiteront forcément une transi- tion – aéronautique, automobile, pétrochimie, etc. On ne peut donc pas exclure un effet « boule de neige » menant à une crise.

Dans le scénario dans lequel une perte de 80 % de la valeur des actifs fossiles serait constatée, les fonds propres de Crédit Agricole [5] et Société Générale – respectivement 3ème et 4ème plus grandes banques étudiées – basculeraient dans le rouge, et ceux de la Deutsche Bank et de Com- merzbank seraient quasiment épuisés. Toutes les banques verraient leur capacité à financer la transition écologique très fortement affectée. Et dans le pire des cas, si la valeur de ces actifs fossiles tombait à zéro, 5 d’entre elles – dont 3 des 5 plus importantes – n’auraient pas suffisamment de fonds propres pour essuyer leurs pertes.

Certes, la dévalorisation des actifs fossiles promet de s’étaler sur plusieurs années. Cela pourrait laisser aux banques une fenêtre d’opportunité pour engager une transition rapide et profonde de leurs activités. Encore faudrait-il pour cela que le secteur bancaire, conscient qu’une telle transformation lui serait désavantageuse, consente à cesser de freiner à tout prix la mutation nécessaire de nos économies et adapte en conséquence son business model.

Car ces conclusions interviennent alors que les banques continuent au contraire d’accorder de nouveaux soutiens aux énergies fossiles. Selon le rapport Banking On Climate Chaos 2021, les 11 banques étudiées auraient ainsi accordés 95 milliards d’euros de financements supplémentaires – prêts, émissions d’actions et d’obligations – rien qu’en 2019 [6]. Par ailleurs, alors même que plusieurs banques de ce classement sont parmi celles qui possèdent les politiques sectorielles les plus avancées au monde sur les énergies fossiles, nos résultats révèlent le caractère encore très partiel de ces engagements volontaires et laissent présager d’une exposition aussi – voire bien plus – forte hors de l’Europe. Ainsi, si cette dynamique ne s’inverse pas, et en l’absence de réglementation financière adaptée, les stocks d’actifs fossiles continueront d’augmenter et les risques financiers avec eux.

Comme lors de la crise des subprimes de 2008, les risques colossaux pris par les banques pour s’assurer des bénéfices à court terme pourraient devenir le fardeau des États, des citoyens, et en premier lieu des plus précaires et vulnérables qui sont déjà les plus touchés par le changement climatique[7]. Une intervention politique forte aux niveaux national et européen est dès lors indispensable et urgente, afin de briser cette « tragédie des horizons »[8] et mettre enfin la finance au service de la transition écologique.

 

Une seule solution : la réglementation

Les banques, déjà gangrenées par les actifs fossiles, entre- tiennent activement l’infection en faisant continuellement entrer de nouveaux actifs fossiles dans leur bilan. En effet, tant que la transition énergétique n’est pas encore clai- rement engagée, le risque financier de ces futurs actifs échoués ne se reflète pas encore dans leur prix. Au regard des risques climatiques et financiers que fait peser cette addiction aux énergies fossiles, des actions politiques s’imposent pour (1) stopper la progression des métastases et (2) éradiquer totalement la maladie pour soigner les malades.

Il s’agit d’abord d’arrêter de financer tout nouvel investis- sement dans le secteur des énergies fossiles – partie III. Ce mouvement demande l’arrêt des soutiens indirects offerts par la politique monétaire au secteur et une adaptation de la réglementation nationale et européenne pour tenir compte des dangers du secteur pour l’environnement et la stabilité financière, notamment via :

  • L’exclusion des actifs fossiles des rachats d’actifs ( Quantitative easing ) et de la liste des collatéraux de la Banque centrale européenne (BCE), précédant un alignement de l’ensemble des opérations de la banque centrale sur l’Accord de Paris.
  • L’encadrement légal des soutiens accordés par les acteurs financiers aux énergies fossiles, contrôlés et sanctionnés par la puissance publique.
  • Une réglementation et régulation financière qui tient pleinement compte des risques associés aux finance- ments des énergies fossiles avec une augmentation des exigences de capitaux, la création ou l’ajustement de coussin de risques systémiques spécifiques, le ren- forcement des obligations de garanties des banques et l’encadrement de la titrisation des actifs fossiles.
Une fois ces conditions remplies, il sera nécessaire d’assainir la situation financière des banques – partie IV. Leurs bilans « surchargés » en actifs fossiles feraient perdurer le risque de crise. Surtout, ils continueraient à ralentir le financement de la transition écologique en bloquant des fonds importants dans des secteurs voués à disparaître.

L’intervention de la Banque centrale européenne (BCE) – via la création d’une « fossil bank » européenne – sera selon nous nécessaire pour libérer les banques de ce poids. Une structure de défaisance spécifique, financée par les achats d’actifs de la BCE, rachèterait alors une part significative des actifs fossiles des banques engagées dans la sortie des énergies fossiles, et opérerait leur extinction progressive. Si l’opération présente de réelles difficultés de mise en place, et exigerait sans aucun doute un soutien politique fort, elle présente des avantages multiples comme l’amorçage d’une sortie progressive des énergies fossiles dans une démarche de transition juste, la diminution drastique des impacts climatiques et du risque de crise, et la libération de financements massifs pour la transition écologique.

En assumant les erreurs commises par le passé, en agissant de manière efficace et coordonnée, les pouvoirs publics et les institutions financières peuvent éviter une nouvelle crise financière systémique tout en enrayant les dérègle- ments climatiques. Une dynamique vertueuse qui ne peut malheureusement plus attendre.

 

  • Méthodologie : sur les traces des actifs fossiles des banques
  • Notre étude s’intéresse aux 11 principales banques de la zone euro : BNP Paribas, Crédit Agricole SA, Société Générale, Banque Populaire Caisse d’Epargne (BPCE), Deutsche Bank, Commerzbank, UniCredit, Intesa Sanpaolo, Santander, BBVA et ING.
  • Elle identifie les actifs financiers liés aux énergies fossiles détenus par les banques. Ces « actifs fossiles » représentent l’ensemble des outils financiers de crédits et d’investissements liés à l’exploration, à l’exploitation, à la distribution des ressources de charbon, pétrole et gaz, ou à la production d’électricité à partir de ces sources. Ils sont comparés à leurs fonds propres, indicateurs de la capacité des banques à absorber les pertes en cas de crise.
  • Les données proviennent des documents officiels des banques et de leurs bilans consolidés. Lorsque l’information n’était pas fournie par les banques, nous avons appliqué des clés de répartition que nous avons construites grâce à des informations sectorielles, économiques et financières afin de distinguer la part des actifs fossiles dans les actifs crédits et d’investissement.
  • Ces données ont été transmises aux banques, qui ont pu, si elles le souhaitaient, apporter des rectifications. Cette méthodologie a été co-construite avec plusieurs spécialistes, dont des consultants du cabinet Carbone4.
  • Une description complète de la méthodologie est disponible en annexe.

 

Partie 1 : Des banques rongées par les actifs fossiles

 

Un « stock » fossile colossal

Les 11 banques européennes étudiées allouent 532 milliards d’euros d’actifs aux énergies fossiles – crédits et produits de marché –, alors que ces énergies fossiles sont responsables de la majorité des émissions mondiales de CO2 mondiales[9]. Ces actifs sont donc « stockés » dans les bilans bancaires pour des durées variables, pouvant s’étaler sur de nombreuses années.

En d’autres termes, l’équivalent du produit intérieur brut (PIB) nominal de la Belgique – 530 milliards d’euros en 2019 Direc- tion générale du Trésor, (2018), « Indicateurs et Conjoncture, fiche pays » – d’actifs fossiles est détenu par ces quelques banques européennes. Si la totalité des stocks fossiles de ces banques était investie dans l’énergie solaire, elle permettrait d’augmenter de 618 GW la capacité mondiale installée[10], soit plus de 20 % de la capacité mondiale d’énergies renouvelables en 2020 et plus de deux fois la capacité nouvelle créée sur cette même année[11].

Les stocks fossiles des banques varient entre 28 et 80 milliards d’euros. Sur les 11 banques étudiées, 7 détiennent chacune plus de 45 milliards d’actifs fossiles. À elles seules, BNP Paribas et Crédit Agricole SA cumulent 151 milliards d’euros d’actifs fossiles, soit près de 30 % des actifs recensés.

 

  • Les actifs fossiles : freins à la transition aujourd’hui, actifs échoués demain
  • Tout nouvel investissement dans les énergies fossiles crée un actif financier dont la valeur repose sur un modèle économique incompatible avec un monde à + 1,5 °C ou même + 2 °C. Il en découle que tous les actifs fossiles subiront des pertes de valeur brutales ou totales avec la transition, devenant à plus ou moins long terme des « actifs échoués »[12]. Ce risque est depuis quelques années sur toutes les lèvres, et notamment celles de l’ex-Gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney. Celui-ci déclarait en 2015 que respecter le budget carbone fixé par le GIEC rendrait la vaste majorité des réserves de pétrole, gaz et charbon « échouée », et alertait sur l’exposition potentiellement énorme des investisseurs britanniques à ces risques climatiques[13].

    Face à cette éventualité, les entreprises et acteurs financiers qui détiennent des quan- tités massives d’actifs fossiles pourraient avoir tendance à retarder la transition, alors même que ces énergies ne sont plus com- pétitives. En effet, d’après l’IRENA[14], de 75 à 80 % de l’énergie éolienne terrestre et du solaire mis en service en 2020 à la suite d’enchères ou d’appels d’offres permettent déjà la production d’électricité à des prix inférieurs à toute alternative fossile.

    Certains acteurs financiers le soulignent : ils devraient naturellement être conduits à se détourner des actifs fossiles. Selon Jean Raby, directeur général de Natixis Investment Managers : « il est inévitable que les combustibles fossiles attirent de moins en moins de capitaux, car ils sont de moins en moins perçus comme une source de croissance future, et il existe de réels
    risques liés à la réglementation et aux actifs échoués. […] Notre message à l’industrie est que si vous ne positionnez pas votre entre- prise pour la transition inévitable vers une économie sobre en carbone, vous attirerez moins d’investisseurs.»[15]. Ce message est aussi celui de l’investisseur Engine n°1 lors- qu’il indique qu’Exxon Mobil est face à un « risque existentiel » en refusant d’établir un plan crédible de transition[16]. Problème : ce mouvement « naturel » est loin d’être visible aujourd’hui. Les acteurs financiers – dont Natixis Investment Managers[17] – continuent de soutenir des entreprises qui sont aux antipodes de la transition inévitable vers une économie sobre en carbone. Comme l’explique Gaël Giraud dans Illusion finan- cière[18], le système financier peut être très incohérent, ce qui explique les crises financières. Les actifs fossiles semblent en être une preuve supplémentaire…

Une addiction inébranlable

À l’instar d’un fumeur qui n’arrive pas à arrêter la cigarette, les banques sont dépendantes aux énergies fossiles. Malgré les dégâts qu’elle génère, cette dépendance ne se réduit pas. Selon le rapport Banking On Climate Chaos 2021, les 11 banques étudiées ont encore financé à hauteur de 95 milliards d’euros les énergies fossiles en 2019[19]. Là encore, les 3 banques françaises BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale se distinguent en totalisant 49 milliards d’euros de de financements fossiles sur l’année. De même, un rapport des Amis de la Terre France et d’Oxfam France de mai 2021 démontre que les grandes banques françaises ont soutenu massivement les entreprises des énergies fossiles au cours de la crise du Covid-19, quitte à augmenter encore un peu plus leur exposition et leur dépendance à ces secteurs risqués[20].

Alors que les banques françaises et UniCredit sont considé- rées comme celles qui possèdent les meilleures politiques sectorielles au monde[21], elles continuent d’investir dans les énergies fossiles et possèdent un stock d’actifs fossiles s’élevant à 323 milliards d’euros. Ces chiffres montrent clairement l’insuffisance d’une approche dans laquelle les décideurs se contentent d’attendre que les acteurs finan- ciers s’auto-régulent et alignent d’eux-mêmes leurs finance- ments sur les objectifs climatiques. Comme toute addiction dangereuse, l’arrêt peut s’avérer difficile et nécessiter un accompagnement renforcé.

Un risque de déstabilisation réel

Au-delà de ses conséquences environnementales désas- treuses, l’addiction des banques aux énergies fossiles risque de sérieusement nuire à leur santé financière. Les actifs fossiles de ces 11 banques de la zone euro représentent
l’équivalent de 95 % de l’ensemble de leurs fonds propres. Le ratio actifs fossiles sur fonds propres varie de 68 % pour Santander à 131 % pour Crédit Agricole[22]. Toutes les banques sans exception devraient mobiliser une part très significative de leurs fonds propres pour absorber une baisse de la valeur des actifs fossiles qu’elles possèdent.

Or il existe un véritable risque que les actifs fossiles deviennent des actifs échoués, dont plus personne ne voudrait du fait de leur faible potentiel de prise de valeur et/ou leur mauvaise réputation. Les actifs fossiles vont de plus en plus cumuler ces deux tares[23]. Comme le souligne notamment Carbon Tracker, la dévalorisation des actifs fossiles apparaît alors comme une conséquence logique des processus de transition en cours et découle du fait que la consommation des réserves d’énergies fossiles exploi- tées est incompatible avec le budget carbone disponible[24]. Ainsi, il serait même souhaitable pour la planète que ces actifs deviennent échoués aussi rapidement que possible. Face à la chute du prix des énergies renouvelables, de nombreuses centrales à charbon ne sont déjà plus com- pétitives et la quasi-totalité d’entre elles ne devrait plus l’être d’ici 2030[25]. Même le gaz fossile, longtemps préservé, est concerné[26] : les projets gaziers européens reposent sur une augmentation de la consommation aux antipodes des objectifs climatiques de l’Union et créent 87 milliards d’euros d’actifs échoués potentiels[27].

Ces changements impactent logiquement les acteurs financiers. La chute des prix du pétrole en 2020 avait entraîné une chute des valeurs boursières d’Exxon Mobil de 35 %, Shell et BP de 40 % et de Total de 20 %[28]. BlackRock, principal gestionnaire d’actif au monde, a déclaré avoir perdu 90 milliards de dollars en dix ans à cause des actifs fossiles[29]. Le freinage de l’expansion continue des pétrole et gaz de schiste nord-américain, permis par une injonction permanente de capital, a entraîné de fortes pertes pour les grandes banques comme Wells Fargo[30]. Ces premiers exemples sont symptomatiques d’une vulnérabilité glo- bale. L’assureur Swiss Re indique qu’une taxe carbone à 100 dollars la tonne entraînerait une baisse des revenus des entreprises du secteur de l’énergie de 40 à presque 80 % suivant les zones géographiques et toucherait par- ticulièrement les réserves d’énergies fossiles, avec des pertes de crédit pour les seules activités de production d’électricité, de pétrole et de gaz entre 50 et 300 milliards de dollars, et une probabilité de non remboursement qui pourrait doubler voir tripler[31].

Si l’on prend comme hypothèse une perte de 80 % de la valeur des actifs fossiles à périmètre de fonds propres inchangés, Crédit Agricole et Société Générale – respectivement 3ème et 4ème plus grandes banques étudiées – n’auraient pas assez de fonds propres pour absorber les pertes. Les fonds propres de la Deutsche Bank et de Commerzbank seraient quasiment épuisés. Ce scénario de pertes s’élevant à 80 % peut notamment être rapporté au fait que – d’après Carbon Tracker – 84 % des réserves d’énergies fossiles explorées ne devraient pas être consommées pour permettre de mainte- nir le réchauffement climatique à 1.5°C ainsi qu’aux chutes brutales de valeur enregistrées lors de la crise des subprimes.

Dans le pire des cas, 5 banques – Crédit Agricole, Société Générale, Deutsche Bank, Commerzbank et UniCredit – n’auraient pas les fonds propres pour essuyer leurs pertes si la valeur des actifs fossiles chutait à zéro. BNP Paribas les suivrait de très près, ses actifs fossiles atteignant 99 % de ses fonds propres.

Ces éléments mettent en lumière à la fois la surexposition des banques aux énergies fossiles et l’incapacité de la régulation financière actuelle à prendre en compte les risques financiers qu’ils représentent. Cela est d’autant plus inquiétant que notre étude se concentre uniquement sur la partie émergée de l’iceberg, les actifs intrinsèquement liés à la chaîne de valeur de l’industrie fossile. Nous ne prenons pas en compte les autres secteurs indirectement associés, auxquels les banques européennes sont encore davantage exposées. On ne peut donc pas exclure un « effet boule de neige » qui ferait basculer le système financier en situation de crise systémique si les secteurs tels que l’aviation, l’automobile ou la pétrochimie, étaient à leur tour pris dans un engrenage de perte de valeur financière.

 

  • 2008 : de la crise des subprimes à la crise économique et sociale
  • Lors de la crise des subprimes, il n’avait fallu que quelques mois à de nombreuses banques et acteurs financiers très exposés aux actifs subprimes pour voir leur valeur fondre de plus de 80 % en 2007 et 2008, car les subprimes étaient devenus des actifs échoués. Pour certains acteurs, ce fut pire, comme par exemple pour les banques Bear Stearns – baisse de plus de 98 % dans les 12 mois précédant son rachat en mars 2008 par JP Morgan Chase – ou Lehman Brothers – plus de 90 % de baisse entre mai et septembre 2008, avant sa faillite.
  • Ainsi, en plus d’une chute du marché immobilier, le système financier s’est alors grippé, entraînant de nombreuses faillites bancaires sur tous les continents. Les États et banques centrales avaient alors dû inter- venir massivement en catastrophe pour mettre fin à une réaction en chaîne qui ébranla l’ensemble du système financier. Les seuls États européens avaient dépensé 747 milliards d’euros de 2008 à 2015 pour secourir les banques, dont au moins 213 milliards ont été perdus.
  • Cette crise des subprimes, au départ limitée à l’immobilier et à la finance, a fortement impacté la consommation des ménages et l’investissement, notamment par le resserrement des conditions de crédit du fait de la fragilité des banques. En a résulté une récession globalisée, avec une baisse de 2,2 % du PIB mondial, à un commerce international en chute libre et à plusieurs pays en grande difficulté comme l’Islande, l’Ukraine, l’Argentine ou l’Irlande. La crise, d’abord financière, a rapidement laissé place à des années de crise économique et sociale. Elle a notamment créé plusieurs millions de chômeurs supplémentaires, dont 800 000 en France, où le nombre de chômeurs de longue durée a bondi, frappant en premier lieu les plus fragiles – ouvriers, non-diplômés, habitants des zones urbaines sensibles, immigrés[34]. Si les banques peuvent faire appel à d’autres outils – et notamment des assurances – pour limiter leurs pertes et éviter la faillite dans les scénarios discutés, ceux-ci ne disent rien de leur préparation à ces risques et ouvrent la porte à une propagation des pertes auprès d’autres acteurs financiers. Par ailleurs, la capacité des méca- nismes d’assurance à soutenir les banques en cas de forte diminution de la valeur des actifs fossiles est incertaine. En effet, ces pertes toucheraient simultanément les assureurs eux-mêmes – qui détiennent eux aussi ces actifs et assurent directement des entreprises et projets fossiles – et l’ensemble des acteurs financiers qu’ils assurent. Les assureurs « en dernier recours » des banques seraient alors les Etats – et donc les contribuables -, une situation qui doit absolument être évitée.

 

Bien sûr, il est très peu vraisemblable qu’un tel scénario catastrophe se produise en quelques semaines. La dévalorisation des actifs fossiles devrait être progressive compte tenu de la place cruciale qu’ils continuent d’occuper. Toutefois, quand bien même la perte de valeur de ces actifs devait s’étaler sur plusieurs années, le risque que ce rapport entend mettre en avant resterait inchangé : en l’état actuel des fonds propres bancaires, la poursuite du business as usual a fort peu de chances de permettre aux principales banques de la zone euro de faire face à une une dégradation de la valeur des actifs fossiles dégradation. De plus, dans la mesure où lesdites banques sont très conscientes de la gravité de ce risque à moyen et long terme, il est probable qu’elles rai- sonnent dès aujourd’hui par backward induction, autrement dit qu’elles freinent autant que faire se peut la transition écologique en vue de gagner du temps. C’est aussi ce danger que nous voulons mettre en lumière dans ce rapport.

Face à ce constat, certains ne manqueront pas de brandir le développement de la « finance verte ». Il a néanmoins été montré, notamment par Alain Grandjean et Julien Lefournier, que la finance verte telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui est malheureusement, avant tout, du greenwashing[35]. Ceci ne doit plus nous surprendre si nous comprenons que ces pratiques sont autant de manières de gagner du temps face à une échéance inéluctable et qui, comme nous le montrons ici, signifierait la fin d’une très large part de l’activité bancaire en zone euro.

 

 

Partie 2 : La finance verte : une fausse solution

La finance verte en vogue

Depuis l’adoption de l’Accord de Paris, la finance verte est sur toutes les lèvres et dans toutes les communications. La COP21 a marqué le coup d’envoi d’une myriade de grands rendez-vous internationaux – One Planet Summits et Climate Finance Days – avec l’ambition affichée de mobiliser l’industrie financière au service du climat. Les institutions financières, mais aussi les banques centrales et les gouvernements, ont multiplié les annonces au rythme de ces événements.

Cette dynamique s’est notamment traduite par l’apparition d’un grand nombre de labels de durabilité et de produits financiers étiquetés socialement et environnementalement responsables. Les fonds dits « ESG » – Environnement, Social, Gouvernance – enregistrent ainsi une forte croissance, tant en nombre qu’en volume global collecté. En France, les encours de l’investissement responsable ont atteint 1 860 milliards d’euros fin 2019, en augmentation de 27 % par rapport à 2018[36]. En Europe, 250 fonds ont été renommés ESG rien qu’en 2020.

En parallèle, le marché des obligations vertes est passé de 8,4 milliards d’euros en 2013 à 217 milliards d’euros en 2019, franchissant fin 2020 la barre des 1 000 milliards de dollars d’émissions cumulées[37]. De nouvelles obligations « durables » sont apparues, comme les « sustainability-linked bonds » liés à des indicateurs ESG fixés par l’émetteur.

Un grand nombre d’acteurs financiers ont aussi pris de pre- mières mesures de retrait – généralement très partiel – de certains secteurs très à risque pour le climat et les droits humains. Le premier secteur concerné par ces engagements est celui du charbon.

Ce mouvement vers le durable se cantonne bien souvent à de l’affichage.

En parallèle, les acteurs financiers sont de plus en plus nombreux à adopter une communication verte : une publicité sur 8 diffusée dans la presse ou sur internet de janvier à juillet 2020 par les acteurs financiers utilise l’argument de la finance durable pour promouvoir certains produits, inciter à épargner ou attirer de nouveaux clients. C’était le cas d’une publicité sur douze en 2019[38].

Néanmoins, ce mouvement vers le durable se cantonne bien souvent à de l’affichage. La stratégie des banques françaises resterait sur une trajectoire de réchauffement de + 4 °C, bien loin de l’objectif de + 1,5 °C inscrit à l’Accord de Paris[39]. Plus de 5 ans après la COP21, le développement de la finance verte s’avère dramatiquement insuffisant et beaucoup trop lent pour répondre à l’urgence de réorienter les flux financiers.

Quand le vert vire au noir

Sont notamment en cause des produits « verts » peu efficaces et trompeurs, maquillant une réalité toute différente. Aucun socle légal minimal n’existe pour les produits qui se prévalent d’impacts environnementaux ou sociaux améliorés. Une dénomination durable ou verte n’est pas gage de qualité environnementale réelle. Par ailleurs, même les labels les plus répandus ne garantissent ainsi pas qu’un fonds exclut les énergies fossiles ou soit compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. 94 % des fonds labellisés « investissement socialement responsable » (ISR) étudiés par l’ONG Reclaim Finance[40] financent des entreprises aux pratiques environnementales et sociales nocives – parmi elles, les multinationales Total, Amazon ou Bayer. Les entreprises des énergies fossiles peuvent représenter jusqu’à 22 % d’un fonds labellisé ISR d’après le cabinet de conseil Axylia[41].

De même, et là encore du fait d’un encadrement quasi inexistant, les obligations vertes peuvent malheureusement devenir un outil de greenwashing à la disposition des grandes entreprises, avec la complicité des banques. Les obligations vertes ne reposent sur aucune définition légale, elles peuvent respecter des principes volontaires[42] mais rien ne les empêche de financer des pro- jets néfastes pour l’environnement. Par ailleurs, ces obligations reposant uniquement sur une logique de projet ( use of proceeds ), elles peuvent financer des entreprises à l’impact climatique désastreux, et ne sont pas clairement liées à une baisse des émissions de gaz à effet de serre[43]. Des obligations vertes ont permis de financer des projets massivement polluants, comme des projets charbon en Chine en 2019. Les nouveaux outils de financement dits durables ( sustainability-linked ) sont tout aussi peu encadrés et définis, ouvrant la porte à des abus manifestes comme le montre le cas de l’entreprise pétrolière et gazière Enbridge.

Derrière les promesses de transition, les produits les plus évidents et promus de la finance verte continuent à capter des capitaux pour alimenter les secteurs polluants et l’industrie des énergies fossiles.

Le vert, une goutte d’eau dans un océan d’énergies fossiles

 

Au-delà de ses problématiques de financement du vert, la finance s’avère incapable de tourner le dos aux causes des dérèglements climatiques. Au contraire, les banques internationales ont massivement accordé de nouveaux financements – nouveaux crédits, nouvelles émissions d’actions et d’obligations – aux entreprises des secteurs du charbon, du pétrole et du gaz. Le rapport Banking On Climate Chaos 2021[45] dévoile que les 11 grandes banques de la zone euro étudiées ont financé à elles seules pour 495 milliards d’euros les énergies fossiles depuis l’adoption de l’Accord de Paris sur le climat. Les banques françaises sont les pires élèves de cette classe de cancres : depuis la COP21, elles ont augmenté chaque année leurs financements aux énergies fossiles, pour devenir en 2020 leur premier soutien européen, dépassant même les banques britanniques.

Les 11 banques n’ont pas même renoncé à accompagner le développement des industries les plus dangereuses. Seules 5 d’entre elles – BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, BPCE, UniCredit – se sont engagées à ne plus soutenir les entreprises qui construisent de nouvelles centrales et mines de charbon[46] et aucune d’entre elles n’a fait de même pour les hydrocarbures, y compris les hydrocarbures non-conventionnels.

Les banques favorisent encore aujourd’hui les énergies fossiles sur les énergies renouvelables. En 2018, Oxfam France[47] montrait que sur 10 euros prêtés par les banques françaises au secteur énergétique, 7 euros vont aux éner- gies fossiles contre 2 euros aux énergies renouvelables. Les majors pétrolières et gazières massivement soutenues par les banques continuent de développer de nouvelles réserves et – malgré leurs grands discours – sont bien loin d’initier une transition permettant le respect de l’Accord de Paris[48]. Une analyse de Carbon Tracker montre qu’en mars 2020 58 %, 66 %, 85 % et 88 % des nouvelles dépenses d’investissement respectives de Total, Shell, Equinor et Exxon n’étaient pas compatibles avec un scénario de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui vise pourtant un réchauffement dépas- sant 1,5 °C[49].

Dans ce contexte, les engagements de neutralité carbone des entreprises comme des acteurs financiers cachent de dangereuses failles[50] et omissions qui permettent le déve- loppement continue d’activités néfastes. Ces déclarations reposent bien souvent sur des scénarios climatiques qui surestiment les possibilités d’émissions négatives pour ménager les énergies fossiles[51]. Les initiatives climatiques mises en place par les acteurs financiers eux-mêmes – comme la Net Zero Asset Owner Initiative[52] ou la Paris Aligned Investment Initiative[53] – présentent à ce stade les mêmes limites.

Ainsi, en dépit des belles promesses de la finance verte, les banques déjà gangrenées par les actifs polluants entre- tiennent elles-mêmes activement l’infection, en faisant continuellement entrer de nouveaux actifs fossiles à leur bilan. Au regard des risques climatiques et financiers que fait peser cette addiction aux énergies fossiles, des actions politiques s’imposent pour (1) stopper la progression des métastases et (2) éradiquer totalement la maladie.

Partie 3 : Première étape : mettre fin à la folie des fossiles

 

Notre étude vient s’ajouter à une littérature déjà abondante qui montre la nécessité de mettre fin au développement des énergies fossiles pour sauver la planète[54] comme pour protéger le système financier[55]. Arrêter de financer tout nouvel investissement dans le secteur des énergies fossiles doit être une priorité. Pour cela, miser uniquement sur la bonne volonté des banques est un mauvais calcul qui a déjà prouvé son inefficacité.

Pour initier ce mouvement, il est nécessaire de changer le cadre structurel du système financier en arrêtant les soutiens indirects offerts par la politique monétaire au secteur des énergies et en adaptant la réglementation nationale et européenne pour tenir compte des dangers des énergies fossiles pour l’environnement et la stabilité financière. Plus globalement, il s’agit d’aligner progressivement les cadres de la finance sur les objectifs de l’Accord de Paris.

Une politique monétaire qui s’aligne sur l’Accord de Paris

En 2020, la Banque centrale européenne (BCE) a lancé un processus de « révision stratégique » qui doit permettre d’examiner la manière dont elle remplit son mandat et de mieux intégrer les enjeux climatiques. Ce processus doit se clore en septembre 2021 et offre l’opportunité de mettre les opérations de la BCE en cohérence avec les objectifs climatiques européens. Il revêt une importance d’autant plus forte que la réponse globale de la BCE à la crise du Covid-19 devrait excéder les 5 000 milliards d’euros – en liquidités, achats d’actifs et relâchements prudentiels sur 2020-2022 – et bénéficie fortement aux entreprises à très forte intensité carbone[56].

Qu’est-ce que la BCE ?

Depuis 1998, la BCE a pour objectif principal de contrôler le niveau d’inflation au sein de la zone euro. Pour atteindre cet objectif de “stabilité des prix”, elle possède plusieurs outils conventionnels, utilisant les taux d’intérêts, ainsi que des outils non-conventionnels, notamment les rachats d’ac- tifs – ou quantitative easing –, qui se sont développés pour répondre aux crises lors des- quelles l’efficacité des outils conventionnels s’est avérée limitée. Par ailleurs, la BCE a pour objectif secondaire de contribuer à l’atteinte des objectifs de l’Union Européenne. La BCE exerce aussi une fonction importante dans le maintien de la stabilité financière européenne.

1. Rénover la « neutralité de marché »

La BCE conduit ses opérations monétaires en suivant le principe de « neutralité de marché »[57]. Celui-ci vise à mini- miser l’impact de ses opérations sur le marché et à éviter toute distorsion, mais la conduit dans les faits à adopter un biais pro-carbone et à soutenir les entreprises les plus polluantes, dont celles des énergies fossiles. Pourtant, ce principe n’est pas une obligation légale pour la banque et ses fondements reposent sur l’idée trompeuse que les opé- rations monétaires sont des décisions par essence objective, qui ne doivent pas influer le marché[58].

Plusieurs dirigeants de la BCE ont ouvert la porte à une révision[59] de ce principe qui s’oppose à l’objectif de neu- tralité carbone de l’Union européenne. En préservant la « neutralité de marché » actuelle, la BCE ignore son man- dat secondaire – pourtant obligatoire[60] – qui requiert de contribuer à l’atteinte des objectifs de l’Union. En acceptant massivement les actifs fossiles dans ses opérations, elle favorise leur liquidité – et donc leur valorisation –, et met en danger[61] son mandat primaire de stabilité des prix. Le Gouverneur de la Banque centrale néerlandaise a ainsi souligné que la lutte contre le changement climatique, et donc l’objectif de limiter la hausse des températures à + 2 °C, pouvait être considéré comme un préalable[62] à l’atteinte du mandat de stabilité des prix.

Pour répondre à l’urgence climatique et ad minima ne pas échouer dans l’application de son mandat, la BCE doit donc modifier l’interprétation actuelle de la neutralité de marché pour permettre un alignement sur les objectifs climatiques européens et ceux de l’Accord de Paris.

2. Des opérations monétaires qui s’alignent sur les objectifs climatiques

Plusieurs études ont montré que les achats d’actifs d’en- treprises de la BCE possèdent un biais favorable aux acti- vités les plus carbonées. Ainsi, plus de 60 %[63] 64[64] des actifs d’entreprises rachetées via son « quantitative easing » appartiennent à des secteurs très émetteurs de CO2. Ses achats soutiennent notamment 38 entreprises[65] du secteur des énergies fossiles, dont certaines – comme Shell et Total – sont impliquées dans des projets d’expansion[66]. Le biais carbone des achats d’actifs est désormais reconnu[67] par la BCE elle-même. En parallèle, la BCE autorise les banques à déposer des actifs comme collatéraux, pour se financer auprès d’elle sans prendre en compte l’impact environ- nemental de ceux-ci, contribuant ainsi à la valorisation de ces actifs. 59 % [68] des actifs acceptés par la banque proviendraient des secteurs à très forte intensité carbone.

La BCE doit donc commencer par décarboner ses rachats d’actifs et ses collatéraux. Si une approche fine, permettant l’ajustement de ces outils de politique monétaire selon les émissions de gaz à effet de serre, est nécessaire, à plus long terme, la BCE doit exclure les actifs des entreprises des énergies fossiles pour limiter les effets négatifs de son intervention massive actuelle dans un contexte de crise. Comme le Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System (NGFS) le met en avant, les données financières nécessaires pour un alignement global des achats et collatéraux sur l’Accord de Paris peuvent ne pas être immédiatement utilisables et le recours à des critères facilement identifiables[69] – comme pour les énergies fossiles – est une première étape qui crédibilise les annonces de la banque et envoie un signal fort aux acteurs financiers. Il s’agit aussi pour la BCE de ne pas accumuler progressivement les actifs fossiles, concentrant ainsi les risques à son bilan sans contribuer à une diminution des soutiens au secteur, et encore moins à une diminution des risques associés chez les acteurs financiers européens.

Par ailleurs, avec la crise du Covid-19, la BCE a décidé d’octroyer des taux réduits – et même négatifs – aux banques qui accordent un certain volume de prêts via ses opérations de refinancement de long terme (TLTRO)[70]. BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE ont ainsi pu emprunter 379 milliards d’euros[71] au titre de ces opérations en 2020, réalisant au passage un profit s’élevant à plusieurs centaines de millions d’euros, et continuent d’en profiter massivement en 2021[72]. Alors qu’elle n’est aujourd’hui soumise à aucun critère environnemental ou social, une telle mesure pourrait être utilisée pour orienter les prêts vers des activités durables. À titre exploratoire, la BCE devrait mettre en place un premier « TLTRO vert[73] » fléché vers la rénovation thermique, une des priorités environnementales de l’Union européenne qui génère des conséquences écologiques et sociales très positives.

Une réglementation financière qui cesse d’ignorer la crise climatique

Au-delà de la politique monétaire, c’est toute la réglemen- tation financière qui doit désormais ouvrir les yeux sur les effets de la finance sur le climat et les risques du changement climatique pour sa stabilité. Sur ce front, la BCE a un rôle à jouer, mais son intervention ne sera pas suffisante. Elle devra s’accompagner de l’action de l’ensemble des régu- lateurs financiers européens et nationaux. Elle devra aussi laisser la place à des textes de lois plus contraignants, seuls à même de garantir le changement radical des pratiques, nécessaire à répondre à l’urgence climatique.

1. Un encadrement strict des soutiens financiers aux énergies fossiles

Les engagements volontaires et sectoriels des banques sont à ce jour les seuls garde-fous existants pour limiter le soutien des acteurs financiers à certaines industries nocives mais ils s’avèrent incapables d’empêcher leur surexposition aux risques climatiques et financiers des actifs fossiles.

En France, le gouvernement a demandé en octobre 2018 aux acteurs financiers de prendre des engagements volon- taires pour mettre en œuvre une sortie du charbon[74]. Presque deux ans après, le résultat est loin d’être suf- fisant : de nombreux acteurs ont adopté des politiques sectorielles lacunaires[75] qui leur permettent de continuer à financer le secteur et même son développement ; les autorités de régulation financière elles-mêmes font État de niveaux d’ambitions et d’efforts consentis variables d’un établissement à l’autre[76]. De plus, ces engagements n’ont pas été synonyme de diminution des financements aux énergies fossiles[77] et leur non-respect n’est pas sanctionné[78] par les régulateurs puisque ce sont des engagements volontaires. Le gouvernement français a lancé fin 2020 un nouvel appel à la Place de Paris, demandant aux acteurs financiers de se doter d’une stratégie de sortie des pétrole et gaz non-conventionnels[79]. Absolument rien ne garantit là encore que cette simple demande soit suivie des actions nécessaires.

Il est donc impératif de cesser de parier uniquement sur l’inopérante auto-régulation des banques, et d’encadrer dans la loi les activités des acteurs financiers dans les énergies fossiles. Ces normes contraignantes doivent à minima exiger des banques de mettre immédiatement un terme à tout soutien financier aux nouveaux projets[80] d’énergie fossile et aux entreprises qui les portent, et de se conformer à un échéancier détaillé de sortie des énergies fossiles compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C[81]. La mise en œuvre de ces mesures par les acteurs financiers doit être contrôlée de manière indépendante par les autorités de régulation financière nationales et européennes et assortie de sanctions financières dissuasives en cas de non-respect.

2. Des exigences de capitaux qui reflètent les risques supportés en soutenant les énergies fossiles

La réglementation prudentielle (les obligations de capitaux propres) impose aux banques de conserver une certaine quantité de réserves pour assurer la stabilité du système. Pourtant, comme le révèle notre étude, la faiblesse des fonds propres des banques les mettrait face à un risque de faillite si leurs actifs fossiles en stock venaient à connaître une dévaluation importante et à devenir des « actifs échoués »[82]. Cela s’explique pour la bonne et simple raison que les banques ne prennent aujourd’hui pas en compte l’exposition aux risques climatiques.

Étant donné cette accumulation d’actifs risqués au bilan des banques, il est nécessaire que celles-ci se mettent en conformité avec l’article 128 de la Capital Requirement Regulation (CRR) qui stipule que « Les Actifs par- ticulièrement risqués » doivent être surpondérés dans leur exposition aux risques. De plus, comme le suggère Finance Watch[83], le facteur de risque lié aux actifs fossiles utilisé pour calculer ces obligations de capitaux doit être drastiquement relevé, particulièrement lorsqu’il s’agit du financement de nouveaux projets d’énergies fossiles.

Une mobilisation immédiate de la CRR[84] est suffisante pour appliquer cette mesure au niveau européen, avant une potentielle extension à l’échelle mondiale via une révision de Bâle III.

3. Des risques systémiques mieux intégrés

Les coussins de risques systémiques[85] ( systemic risk buffers ) permettent de prendre en compte les risques financiers de long terme non-cycliques en augmentant les exigences de fonds propres. Ils sont fixés par les banques centrales et régulateurs nationaux pour les banques dites non-sys- témiques, et par la BCE pour les banques d’importance systémique.

Le changement climatique étant désormais reconnu comme un risque systémique – notamment par le NGFS[86], la BCE[87]et l’ESRB en Europe[88], la Réserve fédérale et le CFTC aux Etats-Unis[89], ou encore la Banque d’Angleterre[90] – son incorporation à ce « coussin » systémique ou la création d’un « sur-coussin » climatique est logique. La pertinence de cet outil est d’autant plus forte que le risque climatique se caractérise par une « incertitude radicale[91] » qui rend particulièrement complexe toute prévision et nécessite la prise de mesure préventive. Elle complète la mesure pro- posée sur les obligations de capitaux.

4. Des épargnants protégés des risques climatiques

Les « Deposit Guarantee Schemes » – obligations de garanties – obligent les banques à rembourser un montant minimal garanti aux épargnants en cas de faillite. Au sein de l’UE, ce montant est d’au moins 100 000 euros mais peut varier selon les exigences nationales.

Les montants provisionnés pour cette garantie devraient être modulés selon l’exposition de la banque aux énergies fossiles. En accumulant des actifs fossiles la banque fait courir un risque important à ses clients et à l’État qui paieront le coût de sa faillite si les risques climatiques se matérialisent. L’utilisation des garanties de dépôt permet de prévenir ce report de charge tout en favorisant l’émergence d’un cercle vertueux de réduction des risques et des impacts environnementaux.

5. Une titrisation encadrée pour éviter la diffusion des risques

La titrisation des actifs est un argument supplémentaire en faveur de l’intervention du régulateur. Aujourd’hui, les investisseurs – courtiers, traders, banques – achètent des paniers de titres dans lesquels on retrouve des actifs divers et variés. On peut retrouver dans ces paniers d’actifs une certaine part d’emprunts liés aux énergies fossiles, mais celle-ci est diffuse et donc difficilement identifiable. En 2007-2008, la titrisation avait contribué à empirer la crise des subprimes.

Ce système opaque contribue à la diffusion des risques liés aux actifs fossiles, tout en rendant leur traçabilité plus complexe. La responsabilité est alors éclatée entre les nombreux investisseurs. Avec des actifs titrisés, il est donc plus difficile de réguler ou d’évaluer correctement l’exposition aux risques. Pour pouvoir effectuer un suivi des actifs fossiles et de la responsabilité associée, et éviter une diffusion des risques, il faut interdire les titrisations complexes de ces actifs.

6. Des dividendes et des bonus clairement liés à des critères environnementaux

Étant donné leur poids dans la gouvernance des banques, la transition écologique ne se fera pas sans l’engagement des actionnaires et des membres des comités exécutifs. Si des politiques internes aux banques peuvent être mises en place pour s’assurer que les bonus ou dividendes soient liés à l’atteinte d’objectifs environnementaux, ces pratiques restent très embryonnaires. Aujourd’hui, 65 % des cadres dirigeants des 39 banques internationales analysées par Demog sont liées à des industries polluantes et leurs groupes de lobby. Ce chiffre dépasserait les 80 % dans plusieurs grandes banques – comme Wells Fargo ou JP Morgan Chase.

La Banque centrale européenne a par exemple demandé aux banques de limiter les dividendes versés durant la crise du Covid-19, événement ponctuel et moins dangereux pour la stabilité financière de long terme que la crise climatique92. Ainsi, cela a permis mécaniquement de renforcer les fonds propres des banques pour affronter la crise du Covid-19. Elle doit donc demander de limiter le versement des dividendes – par exemple à 33 % des bénéfices, contre environ 50 % en moyenne aujourd’hui – pour toutes les banques qui continuent à octroyer de nouveaux services financiers à l’industrie fossile. De la même façon, les gouvernements et la réglementation européenne pourraient intervenir pour limiter durablement les bonus des comités exécutifs tant que de nouveaux actifs fossiles sont enregistrés par l’entreprise.

 

Partie 4 : Deuxième étape : faire table rase du passé fossile

Si l’alignement de la politique monétaire sur l’Accord de Paris et l’émergence d’une réglementation à la hauteur des enjeux climatiques est un préalable urgent afin d’endiguer l’afflux des soutiens financiers aux énergies fossiles, elles ne permettront pas d’apurer le stock considérable d’actifs fossiles détenus par les banques alors qu’il est nécessaire d’accroître les capacités de financements pour concrétiser une vraie transition écologique. Pour vider ce stock, assurer une sortie progressive des énergies fossiles et libérer les capacités de financement nécessaire à la transition, une intervention majeure et décisive est nécessaire.

 

Une « banque fossile » européenne pour initier la sortie des énergies fossiles

Le respect de l’Accord de Paris implique la sortie des énergies fossiles, sortie qui nécessite une préparation rigoureuse et stricte si l’on souhaite l’opérer en minimisant les effets négatifs environnementaux et sociaux.

Une option serait que la BCE rachète les actifs fossiles détenus par les banques. Ce rachat pourrait se faire de manière indirecte via une « banque fossile » européenne et publique, filiale de la BCE, chargée de la gestion des actifs fossiles selon une trajectoire de sortie compatible avec unréchauffement de 1,5 °C. Cette nouvelle structure émettrait des titres achetés par la BCE qui lui permettrait d’acquérir les actifs fossiles accumulés par les banques européennes.

 

  • Les « bad banks », un outil réaliste de gestion des actifs échoués
  • Si l’intervention de la banque centrale proposée dans ce rapport peut paraître impressionnante, elle ne serait pas inédite. À la sortie de la 2nde guerre mondiale, lorsque l’économie était au plus mal et que les banques détenaient de nombreux crédits qui n’allaient pas être remboursés, la banque centrale avait même racheté toutes les créances dites « pourries » pour les annuler.

    Surtout, le mécanisme de « structure de défaisance » ou « bad bank », structure indépendante créée pour récupérer les actifs dits pourris ou échoués, n’est pas nouveau. Leur mission est, lorsque le contexte est plus favorable, de se séparer des titres dits illiquides, c’est-à-dire dont personne ne veut. Des structures de défai- sance ont notamment été utilisées dans plusieurs pays – dont les Etats-Unis, l’Alle- magne, l’Espagne ou la France – suite à la crise des subprimes.

    La proposition de création d’une structure de défaisance est aujourd’hui discutée depuis quelques mois au sein de l’Union Européenne afin de limiter les effets de l’endettement des pays depuis le début de la crise du Covid-19. La Présidente de la BCE, Christine Lagarde, s’est exprimée sur le sujet en février 2021.

    Au niveau international, le Climate Safe Len- ding Network et Climate KIC recommandent la création d’une « bad bank » pour gérer les actifs les plus risqués au regard de la crise climatique.

 

L’intérêt de faire intervenir la Banque centrale à cet endroit est qu’elle est la seule banque du système bancaire européen à pouvoir accuser des pertes supérieures à ses fonds propres sans faire faillite. Comme l’a rappelé récemment la Banque des Règlements Internationaux, une banque centrale peut parfaitement fonctionner avec des fonds propres négatifs[95]. Aujourd’hui, les fonds propres de la BCE sont extrêmement réduits : à peine 80 milliards d’euros. La raison en est que la crédibilité de l’euro ne dépend nullement de ces fonds propres puisqu’en cas de perte, la BCE peut se renflouer elle-même via la création monétaire – ce qu’aucune banque de second rang ne peut faire. Les fonds propres de la BCE sont donc très inférieurs au montant de la perte qu’elle enregistrerait si elle devait, demain, porter à son bilan les actifs fossiles des 11 banque que nous avons étudiées, et si la valeur de ces actifs devait brutalement chuter à zéro. Qu’à cela ne tienne, la BCE est la seule banque de la zone euro capable d’assumer une telle perte – plus de 500 milliards d’euros aujourd’hui.

Cette solution exige une volonté politique forte de la part des institutions européennes et pourrait bénéficier d’une révision du mandat de la BCE, rendant son objectif de sta- bilité des prix compatible explicitement avec l’avènement d’un système durable et décarboné.

1. Un rachat sous-conditions

Afin de contribuer à la transition et de ne pas exempter les banques de toute responsabilité, le rachat des actifs fossiles devra être conditionné à :

a. L’arrêt total de tout service financier aux projets d’énergies fossiles et aux entreprises développant ces projets.

b. L’application d’une décote de 10 % – par exemple – sur la valeur des actifs – que les banques suppor- teront via leurs fonds propres – et la limitation des rachats à 70 % des actifs fossiles détenus par la banque. De telles proportions permettent ainsi, à la fois, que les banques gèrent et paient une partie des conséquences de leurs actes, d’où une décote sensible, et qu’elles ne soient plus entravées dans le financement de la transition écologique, d’où le rachat d’une majorité de leurs actifs fossiles voués à devenir des actifs échoués.

c. L’adoption d’un plan de sortie des énergies fossiles, aligné sur une trajectoire de 1,5 °C, pour tous les actifs fossiles restants.

Le rachat des actifs fossiles serait effectué lors d’une intervention exceptionnelle et limitée dans le temps. Les critères de celles-ci devront avoir été définis au préalable et validés par l’ensemble des acteurs politiques et financiers. Il est possible d’envisager plusieurs tours de rachat d’actifs.

pour les banques n’ayant pas participé aux précédents. Le cas échéant, ils devront être prévus dès le départ, et être effectués dans des conditions moins avantageuses que les premières opérations – par exemple avec une décote accrue – afin d’éviter les effets d’aubaine.

Ces conditions permettent de limiter les effets de cette intervention massive en matière de perte de confiance, argument souvent avancé pour repousser l’idée d’une annu- lation de dette.

L’ensemble du dispositif ne bénéficiera qu’aux banques volontaires, qui s’engagent résolument vers une sortie des énergies fossiles et souhaitent profiter de l’opération pour apurer leurs stocks d’actifs fossiles et libérer des capacités de financement nouvelles.

2. Une gestion des actifs dans un but de transition juste

Suite à leur rachat, les actifs fossiles seraient gérés dans une logique de transition juste par la nouvelle banque fossile rattachée à la BCE. Il s’agit pour la banque d’opérer comme une structure de défaisance permettant d’isoler ces actifs. Elle aurait notamment pour objectif de garantir la fermeture progressive de l’ensemble des sites et infrastructures d’énergies fossiles selon un calendrier cohérent avec la science climatique. Les scénarios actuellement alignés avec l’objectif 1,5 °C prévoient :

  • La sortie du charbon au plus tard en 2030 en Europe et dans les pays de l’OCDE, 2040 partout dans le monde ;
  • La sortie des autres énergies fossiles au plus tard dans la décennie suivante.En parallèle, les États et les banques centrales pourraient soutenir les régions les plus touchées et accompagner l’en- semble des travailleurs et travailleuses dans un processus de reconversion professionnelle. C’est une réelle gestion de l’extinction des activités liées à l’exploitation des énergies fossiles qui doit être pensée et mise en place, avec toutes les mesures économiques et sociales que cela implique. De nombreux leviers peuvent être utilisés comme l’émission « d’obligations de transition juste » par la Banque euro- péenne d’investissement (BEI), ou encore la création d’un « fond de transition juste » financé par les achats de titres de la BCE, les États et les banques qui auraient bénéficié du rachat de leurs stocks d’actifs fossiles. À la clef, l’atteinte des objectifs climatiques européens et la création de nombreux nouveaux emplois verts[97].La gestion de cette structure pourrait être confiée à la BEI ou tout autre organisme possédant les compétences pour mener à bien ces objectifs.

Une solution à exporter au-delà de l’Europe

Bien entendu, les actifs fossiles ne sont pas uniquement concentrés dans les banques européennes. Les financements des 60 plus grandes banques mondiales au secteur des énergies fossiles ne cessent d’augmenter depuis 2016 et atteignent 3 393 milliards d’euros sur cette période[98]. Les plus grands financeurs des énergies fossiles sont les banques nord-américaines. Les trois premières banques de ce sinistre classement – JP Morgan, Wells Fargo et Citi – totalisent à elles-seules 585 milliards de dollars de finan- cements au secteur de 2016 à 2020.

Toutes les régions du monde connaîtront les mêmes pro- blématiques, et toutes auront besoin de solutions pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Il est à noter qu’en plus des mêmes difficultés de financer la transition écologique, plusieurs grandes banques internationales se verraient confronter à un risque de faillite en cas de brusques variations sur les marchés, en particulier la Wells Fargo aux États-Unis, qui possèderait des actifs fossiles représentants plus de 300 % de ses fonds propres.

La solution proposée à l’échelle européenne gagnerait donc à être répliquée et établie en collaboration avec les autres grandes banques centrales mondiales pour au moins deux raisons : garantir une sortie globale des énergies fossiles alignée sur les objectifs de l’Accord de Paris ; éviter un désé- quilibre monétaire et financier entre les acteurs européens et les acteurs mondiaux. Cette coordination idéale ne doit cependant pas justifier une inaction des institutions et des gouvernements européens.

Conclusion

par Gaël Giraud

La forte diminution puis la fin de la production et de l’utilisation des énergies fossiles est une condition incontournable pour limiter les dérèglements climatiques. Tout retard diminue considérablement les chances de maintenir le réchauffement planétaire à un maximum de + 2 °C et au plus près de + 1,5 °C, augmentant massivement les dégâts humains, sociaux, économiques et financiers associés. Le calendrier de la transformation de nos sociétés vers un monde bas-carbone importe donc au plus haut point. Dans ce contexte, le « risque de transition » lié à la vitesse à laquelle nous nous libérons de notre dépendance aux actifs fossiles constitue un véritable défi. En effet, la fin de notre addiction aux énergies fossiles signifiera tôt ou tard que les actifs financiers associés aux fossiles perdront toute valeur marchande. Ce rapport suggère qu’une estimation prudente des pertes qu’occasionnerait l’échouage de ces actifs s’élève à 500 milliards d’euros pour les 11 plus grandes banques de la zone euro et représente une moyenne de 95 % de leurs fonds propres. Ces chiffres continueront d’augmenter si les banques accroissent davantage encore leur exposition aux hydrocarbures fossiles, comme certaines semblent déterminées à le faire.

En l’absence de réaction des pouvoirs publics et régulateurs financiers, le secteur bancaire pourrait juger qu’en matière de décarbonation de nos sociétés, il est urgent d’attendre. Or la planète et notre humanité ne peuvent pas attendre. Tout comme le système financier qui accroît les risques de voir une crise de type subprimes survenir à nouveau si rien n’est fait.

Au regard de cette menace, la première urgence est de changer les règles du jeu pour les acteurs financiers, afin d’empêcher tout nouvel investissement dans les charbon, pétrole et gaz, et arrêter ainsi le développement de nouvelles métastases fossiles. Cela ne sera possible qu’en supprimant tous soutiens aux énergies fossiles telles qu’actuellement offerts par la politique monétaire, et en adaptant la réglementation nationale et européenne pour contraindre les banques à aligner leurs activités avec les objectifs de l’Accord de Paris.

Pour que le stock des actifs fossiles et le risque de transi- tion qui pèse sur eux n’obèrent pas toute capacité de nos économies à s’engager dans la reconstruction écologique, il importe également de trouver un moyen de pratiquer l’ablation des métastases fossiles présentes dans les bilans bancaires. La création d’une structure de défaisance qui débarrasserait nos banques desdits actifs est la première idée qui vient à l’esprit, et celle qui sera probablement promue par le secteur bancaire à terme. Nous devons prendre garde, toutefois, à savoir qui paiera la note, autrement dit qui devra assumer le coût financier induit par la perte de valeur des actifs fossiles. Si nous ne réfléchissons pas à un dispositif original, il y a fort à parier que ce sera le contribuable, une fois de plus. Notre proposition consiste donc à faire assumer la perte, non par le contribuable mais en partie par les banques elles-mêmes, et largement par la Banque centrale européenne.

Bien entendu, il ne s’agit pas de nourrir l’illusion qu’un seul acteur, fût-ce la BCE, peut à lui seul résoudre l’entièreté du problème posé par le risque de transition et les stocks d’actifs fossiles. Nous avons volontairement centré notre analyse sur cet aspect du problème mais, en vérité, il est lui-même étroitement lié au risque physique que fait peser le dérèglement écologique sur nos sociétés et économies, lequel ne concerne évidemment pas que les banques mais aussi les assurances et l’ensemble de l’économie réelle. Bien d’autres dispositifs sont à mettre en place pour tenter d’af- fronter ce problème systémique dans toute sa complexité[99]. Notre proposition est donc forcément modeste. Elle aura mérité d’être formulée si elle permet un véritable débat démocratique autour de la manière dont nous voulons relever le défi écologique au cours des prochaines décennies autrement qu’en laissant le contribuable subir les dégâts environnementaux et sociaux colossaux qui s’annoncent, tout en en payant la facture.

Annexes

Annexe 3 Méthodologie détaillée

La méthodologie de ce rapport est construite en quatre étapes : 

  1. Périmètre de l’étude 

L’étude concerne les données financières 2019 des principales banques de la zone euro : 

En France : BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE. 

En Allemagne : Deutsche Bank et Commerzbank. 

En Italie : UniCredit et Intesa Sanpaolo. 

En Espagne : Santander et BBVA. 

Aux Pays-Bas : ING. 

Toutes les banques ont été étudiées au niveau de leur périmètre « Groupe », excepté pour CASA, dont les données financières 2019 sont de meilleures qualités que le Groupe Crédit Agricole. 

  1. Définition du terme « actifs fossiles » 

Les « actifs fossiles » sont définis comme tous les actifs (produits financiers) nécessaires au financement des activités fossiles, qui regroupent l’exploration, l’exploitation, la distribution – y compris le transport, le raffinage, etc. – des énergies fossiles – pétrole, le gaz et le charbon –, et la production d’électricité à partir de ces ressources. 

NB : Ne sont pas intégrés à l’étude les actifs indirectement liés à ces ressources énergétiques, tels que le secteur automobile, le transport aérien, etc. 

  1. Recherche des actifs des banques 

L’étude se base sur deux documents publiés par les banques : le rapport financier annuel – ou document d’enregistrement universel – et le rapport Pillar III – ou rapport sur les risques. 

Le rapport financier annuel intègre le bilan comptable des banques qui indique notamment la valeur des différents actifs détenus. Le montant total des actifs a été divisé en trois catégories : 

Les actifs crédits, qui regroupent les crédits des banques aux particuliers, aux entreprises et aux États ; 

Les actifs d’investissement –produits de marché et assurances –, qui regroupent tous les actifs qui s’échangent sur les marchés financiers ; 

Les autres actifs. 

Une fois les montants totaux « actifs crédit » et « actifs d’investissement » identifiés, il faut y déterminer la part des actifs fossiles. L’addition des actifs fossiles dans la partie crédit et dans la partie de produits de marché et d’assurance nous indiquera le montant total des actifs fossiles détenus par les banques. 

a. Actifs fossiles dans la partie crédits : actifs crédits 

Pour identifier la part des actifs fossiles dans les actifs crédit, nous utilisons dans le Pillar III le tableau « CRB-D » qui ventile les expositions aux risques de crédit par industrie/ secteurs d’activité. Ce tableau détaille les valeurs nettes des expositions du bilan et hors bilan – correspondant aux valeurs comptables figurant dans les états financiers, selon le champ d’application de la consolidation réglementaire. À partir de cette classification, nous identifions dans le tableau les industries dans lesquelles se trouvent des actifs fossiles – « Oil & Gas », « Energy », etc. 

Pour chacun des secteurs, nous appliquons des clés de répartition uniquement sur le montant des crédits bruts. Nous prenons l’hypothèse très prudente de ne comptabiliser aucun actif fossile dans le hors-bilan. Deux options se présentent pour identifier la part fossile de chaque secteur : 

a. Lorsque les secteurs de crédit entrent entièrement dans le périmètre défini – par exemple, « Oil & Gas » –, le montant est inclus dans sa totalité. 

b. Lorsque les secteurs de crédit ne comprennent qu’une partie du périmètre, nous avons défini 2 options :

  • Si la partie fossile est précisée dans le rapport annuel de la banque – ou autres documents publics –, elle est reprise dans l’étude. 
  • Si rien n’est précisé, nous appliquons une clé de répartition standard pour séparer la partie « fossile » du reste de l’activité. 

Chaque clé de répartition est construite avec des données économiques et financières spécifiques au secteur en question et accessibles publiquement en suivant l’une de ces trois méthodes : 

a. Soit nous calculons le poids du secteur dans l’économie : PIB, chiffre d’affaire des leaders du secteur. 

b. Soit nous calculons le poids du secteur dans les indices financiers : MSCI, Barclays-Bloomberg, etc. 

c. Soit nous prenons la même clé de répartition qu’une autre banque qui précise la part fossile dans les prêts du même secteur – via leur portefeuille de crédits. 

Une fois que nous avons calculé la part d’actifs fossiles crédit publiée dans le Pillar III, cela donne un ratio, un % d’actifs fossiles, que nous appliquons au montant total d’actifs crédit brut notifié dans le bilan. 

NB : Concernant le secteur financier – souvent nommé « Banques et Assurances » –, la clé de répartition est calculée grâce à la moyenne de la part d’actifs fossiles de crédits – hors finance – des banques européennes inclues dans le périmètre : ceci représente la proportion des prêts interbancaires utilisés pour financer les industries fossiles. 

b. Actifs fossiles dans les produits de marché et assurances : actifs d’investissement 

Les actifs fossiles dans les produits de marché et d’assurances correspondent à la part des produits financiers « fossiles » autres que les crédits que possèdent les banques pour leurs activités. Pour rappel, le total d’actifs d’investissement est rapporté dans le bilan comptable et est constitué des instruments financiers en valeur de marché par résultat, des actifs financiers en valeur de marché par capitaux propres, des placements des activités d’assurance, etc. 

Les instruments liés aux dérivés ainsi qu’aux REPOs ont été intégrés à ces montants car ils peuvent contenir des produits liés directement ou indirectement aux actifs fossiles. 

Pour déterminer la part fossile : 

a. Quand l’information de la part fossile dans les actifs investissement est donnée, nous la reportons. 

b. Quand l’information est manquante, nous utilisons une estimation à 4,62 %, basée sur :

  • D’une part, la part des industries pétrolières, gazières et de charbon dans le MSCI Europe, soit 3,56 %, pondérée à 75 %. 
  • D’autre part, la part des obligations des entreprises du secteur des énergies fossiles dans les obligations européennes – hors obligations émises par les banques –, soit 7,8 % pour les industries fossiles en 2020, pondéré à 25 %[100]. 

Les actifs libellés « Caisse et Banque Centrale », qui sont pourtant des produits de dette échangeables sur les marchés financiers, n’ont pas été inclus dans les actifs investissement. En effet, leur très faible maturité – délai de remboursement inférieur à l’année – rend leur valeur peu exposée à une transition écologique qui demeure une transformation qui s’envisage sur un temps relativement long. 

c. Le cas des actifs REPO 

Les « Repurchase agreements » (REPO) sont des contrats qui permettent de prêter/emprunter des titres financiers – actions ou obligations – en échange d’un collatéral monétaire. S’il est tout à fait possible de trouver des actifs fossiles dans les REPO, il est vrai qu’une partie importante de ces contrats concerne des obligations d’État qui n’ont aucun lien avec des activités fossiles. Ainsi, pour les besoins de notre étude, le montant total des contrats REPO est divisé en deux parties égales : 

  • 50 % action : nous appliquons à ce montant la ratio explicité en (b) ci-dessus. 
  • 50 % obligation : nous considérons que 75 % de cette activité concerne des obligations d’État qui sortent du périmètre de l’étude. Nous appliquons donc le ratio (b) à seulement 25 % de cette partie obligataire. 

d. Les autres actifs 

Les autres lignes des bilans des banques sont regroupées dans les « autres actifs ». On y retrouve notamment les montants « Caisses et Banque Centrale », « Goodwill », etc. 

Nous y avons placé aussi la part des actifs REPO qui sont considérés sans actifs fossiles (voir paragraphe « Le cas des actifs REPO » au-dessus). 

Aucun actif fossile n’est retenu pour ces autres actifs. 

4. Actifs fossiles vs. fonds propres 

Afin d’identifier la part de fonds propres, nous prenons le montant rapporté au « Common Equity Tiers 1 » (CET1) publié par les banques, car il s’agit des fonds propres les plus sûrs des banques, non-déformés par leurs estimations des risques. 

En cas de forte chute de valeur dans le secteur des énergies fossiles, seuls les fonds propres CET1 sont mobilisables suffisamment rapidement pour servir de coussin de sécurité. Le reste des fonds propres peut intégrer des produits liés aux énergies fossiles ou d’autres actifs très exposés aux risques climatiques. 

Le ratio actifs fossiles sur fonds propres est un très bon indicateur de la santé financière des banques en cas de crise liée aux secteurs des pétrole, gaz et charbon. 

Méthodologie co-construite 

Cette méthodologie a été co-construite avec différents experts du monde bancaire. Notamment avec le cabinet Carbone4 Finance, qui a bien voulu challenger les différents points de cette méthodologie jusqu’aux résultats finaux afin de s’approcher au mieux de la réalité. 

De plus, les 11 banques européennes ont été contactées afin qu’elles puissent faire part d’éventuelles remarques ou transmettre des données alternatives. Ces retours ont donné lieu à plusieurs modifications lorsqu’elles étaient justifiées et sourcées. 

La question des assurances et des autres sécurités prudentielles 

Comme mentionné précédemment, cette étude prend uniquement en compte les « Common Equity Tier 1 » (CET 1) qui sont immédiatement mobilisables et permettent d’estimer la capacité de la banque à absorber d’elle-même et directement les pertes éventuelles. 

L’épuisement théorique des CET 1 n’est pas pour autant synonyme de situation de faillite. D’autres ressources, et notamment les autres leviers prudentiels, peuvent être mobilisés. Surtout, les banques sont largement assurées et une partie des pertes devrait être transférée à leurs assureurs. 

Ces éléments n’ont pas été pris en compte dans le périmètre de cette étude dans la mesure où celle-ci vise spécifiquement à identifier de quelle manière les banques et la régulation financière intègrent – ou n’intègrent pas – les risques spécifiques liés à la détention d’actifs fossiles. Il s’agit alors de responsabiliser les banques dans la détention de leurs actifs, et non de parier sur un éventuel report ou une dilution de la perte financière afférente. Notons d’ailleurs que se reposer sur de tels mécanismes fait courir un risque important de propagation des pertes, qui pourrait in fine nécessiter l’intervention des Etats et donc faire porter le coût final aux contribuables. De plus, la capacité d’action des assureurs pourrait être réduite dans la mesure où ils seraient eux-aussi directement affectés par une chute importante de la valeur des actifs fossiles. En effet, comme le montre le classement effectué par Insure Our Future[101], les grands assureurs restent particulièrement impliqués dans le secteur. 

Particularités pour les banques hors zone euro 

L’étude menée chez les banques internationales hors zone UE a été réalisée avec moins d’informations, et donc plus d’hypothèses. 

En particulier, lorsque des informations étaient manquantes, les hypothèses retenues pour les banques de la zone euro ont été utilisées par défaut. 

Outre le fait que certaines informations étaient manquantes, les banques hors zone euro n’ont pas été contactées. 

Ces données sont donc plus approximatives et reposent sur des hypothèses plus nombreuses que celles de la zone euro, en particulier pour les banques chinoises. 

 

[1]Les conversions du dollar à l’euro ont été effectuées avec un taux de change de 2019 de 1,12 dollar pour 1 euro. Statista, (2020), « Taux de change du dollar des États-Unis (USD) par rapport à l’euro (EUR) de 1999 à 2019 ».

[2] Rainforest Action Network, Reclaim Finance et al., (2021), Banking on Climate Chaos.

[3] Nations Unies, (2020), Production Gap Report.

[4] Dans notre étude, ce sont les Common Equity Tiers 1 (CET 1) qui ont été retenus car ce sont les fonds propres sécurisés des banques.

[5] Crédit Agricole SA revendique un volume de fonds propres plus important, justifié par le fait qu’en cas de choc subi au niveau de l’entité CASA, le groupe Crédit Agricole serait dans l’obligation légale de soutenir CASA via ses fonds propres. Nous faisons cependant le choix méthodologique de comparer les actifs fossiles de CASA aux fonds propres de CASA uniquement, afin d’évaluer la solidité financière de cette banque d’affaires, ainsi que sa prise en compte – ou son absence de prise en compte – des risques climatiques. Dans un contexte de perte de valeur des actifs de CASA, il existe donc un risque de propagation au groupe Crédit Agricole et à ses autres activités, en contrepartie d’une sécurité supplémentaire.

[6] Rainforest Action Network, Reclaim Finance et al., (2021), Banking on Climate Chaos.

[7] Notre affaire à tous, (2020), Un climat d’inégalités, les impacts inégaux du dérèglement climatique. / Winkel J. , Nazrul Islam S. (2017), Climate change and social inequality. / OCDE, ( 2010), Pauvreté et changement climatique : réduire la vulnérabilité des populations par l’adaptation.

[8] Mark Carney (2015), Breaking the Tragedy of Horizon.

[9] WWF, (2021), Les énergies fossiles : à quel prix? 

[10] Irena, (2020), How falling costs make renewable a cost-effective Investment.

[11] Irena, (2021), Renewable capacity highlights.

[12] Carbon tracker, (2013), Wasted capital and Stranded Assets.

[13] The Guardian, (2015), Carney warns of risks from climate change ‘tragedy of the horizon.

[14] Irena, (2021), World energy transitions outlook.

[15] McKinsey & company, (2021), CEO Interview: Natixis and CDPQ invest in climate action.

[16] Derek Browner, Justin Jacobs (2021), Exxon faces “existential risk over fossil fuel focus, activist investor warns, Financial Times

[17] Voir notamment la notation de la politique charbon des entreprises du groupe Natixis dans le Coal Policy Tool de Reclaim Finance

[18] Gaël Giraud, (2014), Illusion financière, Ed. de l’Atelier, Paris.

[19] Rainforest Action Network, Reclaim Finance et al., (2021), Banking on Climate Chaos.

[20] Les Amis de la Terre France et Oxfam France, (2021), Quoi qu’il en coûte : les banques françaises au secours de l’industrie fossile.

[21] Rainforest Action Network, Reclaim Finance et al., (2021), Banking on Climate Chaos.

[22] Crédit Agricole SA revendique un volume de fonds propres plus important, justifié par le fait qu’en cas de choc subi au niveau de l’entité CASA, le groupe Crédit Agricole serait dans l’obligation légale de soutenir CASA via ses fonds propres. Nous faisons cependant le choix méthodologique de comparer les actifs fossiles de CASA aux fonds propres de CASA uniquement, afin d’évaluer la solidité financière de cette banque d’affaires, ainsi que sa prise en compte – ou son absence de prise en compte – des risques climatiques. Dans un contexte de perte de valeur des actifs de CASA, il existe donc un risque de propagation au groupe Crédit Agricole et à ses autres activités, en contrepartie d’une sécurité supplémentaire.

[23] Ansari D., Holz F. (2020), Between stranded assets and green transformation: Fossil-fuel-producing developing countries towards 2055, Elsevier. / Carbon Tracker (2020), Decline and fall: the size and vulnerability of the fossil fuel system.

[24] Carbon Tracker (2016), Unburnable / Nations Unies, (2020), Production Gap Report / Alan Livsey (2020), Lex in depth: the $900bn cost of “stranded energy assets, Financial Times

[25] Carbon Tracker (2020), How to waste half a trillion dollar: the economic implications of deflationary renewable energy for coal power investments / National Institute of Economic and Industry Research (2019), Stranded assets in Australia – with reference to the coal industry

[26] Rachel Morison (2021), Gas Is the New Coal With Risks of $100 Billion In Stranded Assets, Bloomberg Green/ Justin Jacobs (2021), Gas prospects lose steam as renewable gather pace, Financial Times

[27] Global Energy Monitor (2021), Europe Gas Tracker Report 2021

[28] Gabrielle Siry (2021), Si écologie punitive il doit y avoir c’est à l’encontre des financements des énergies fossiles, Le Monde

[29] Dominique Pialot (2019), Les énergies fossiles ont couté 90 milliards à Blackrock, La Tribune

[30] Rainforest Action Network (2020), Fracking Fiasco / David French, Imani Moise (2020), US Banks prepare to seize energy assets as shale boom goes bust, Reuters

[31] Swiss Re Institute (2021), The economics of climate change: no action not an option

[32] Battiston S. (2017), A climate stress-test of the financial system, Nature climate change / DNB (2017), Waterproof? An exploration of climate-related risks in the Dutch financial sector / Institute for ecological economics, (2019), Capital stranding cascades: The impact of decarbonisation on productive asset utilisation.

[33] Transnational Institute (2017), The Bail Out Business.

[34] Boudet A. (2016),” Les conséquences sociales de la crise économique vues par l’Insee”, Huffington Post, Janvier

[35] Grandjean A., Lefournier J. L’Illusion de la finance verte, Les- Liens-qui-libèrent, à paraître.

[36] AFG, (mai 2020),« La gestion Investissement Responsable ».

[37] Climate Bond Initiative, consulté le 15 mars 2021.

[38] AMF, (2020), Investisseurs particuliers : leurs motivations et leurs pratiques d’investissement.

[39] Oxfam France, (2020), Banques : des engagements climat à prendre au 4ème degré.

[40] Reclaim Finance, (2020), Épargne : nos économies au service du chaos social et climatique.

[41] Auriac V. , (2020), Comment trouver le vrai fonds à impact en évitant le greenwashing ?

[42] ICMA, (2018), Green Bond Principles Voluntary Process Guidelines for Issuing Green Bonds.

[43] Ehlers T., Mojon B., Packer F., (2020) Green bonds and carbon emissions: exploring the case for a rating system at the firm level”, revue de Bis.

[44] Reclaim Finance (2021), Enbridge et durabilité : sables bitumineux et violation des droits humains.

[45] Rainforest Action Network, Reclaim Finance et al., (2021), Banking on Climate Chaos.

[46] Voir le Coal Policy Tool de Reclaim Finance.

[47] Oxfam France, (2018), Banques françaises : les fossiles raflent la mise.

[48] Oil change international, (2020) Discussion Paper: Big Oil Reality Check — Assessing Oil And Gas Climate Plans / Climate Action 100+, Climate Benchmark 2021.

[49] Ces chiffres publiés par Carbon Tracker dans le cadre du Benchmark du Climate Action 100+ sont basés sur les informations publiées par les entreprises au 5 février 2021 et des données de Rystad Energy sur leurs capex en mars 2020.

[50] Friends of the earth international, (2021) Chasing Carbon Unicorns: The deception of carbon markets and “net zero. / Greenpeace UK, (2021), Assessing the role of carbon dioxide removal in companies’ climate plans. / Grain, (2021), Corporate greenwashing: «net zero» and «nature-based solutions» are a deadly fraud.

[51] Reclaim Finance, (2020), Scénarios climatiques : 5 pièges à éviter pour contenir le réchauffement à 1,5°C. / Oil Change International, Reclaim Finance, (2021), NGFS scenarios : guiding finance towards climate ambition or climat failure?. / Trout K., (2021), Getting On Track to 1.5°C: The IEA’s Opportunity to Steer Investments towards Success in Meeting the Paris Goals, Oil change international.

[52]  Reclaim Finance (2020), NZAOA: still a low ambition protocol

[53] Reclaim Finance (2021), NZIF: the Paris Aligned Investment Initiative forgets about fossil fuels

[54] UN, The Production Gap Report, (2020) / Trout K., (2018),The Sky’s Limit and the IPCC Report on 1.5 Degrees of Warming, Oil change international,

[55] Chenet H., Ryans-collins J., Van-lerven F., (2020) Finance, climate-change and radical uncertainty: Towards a precautionary approach to financial policy / Global Witness, (2019) OVEREXPOSED / D. Delis M., de Greiff K., Ongena S., (2019) Being Stranded the Carbon Bubble? Climate Policy Risk and the Pricing of Bank Loans / Krane J., PH.D, (2016), Climate Risk and the Fossil Fuel Industry: Two Feet High and Rising / Carbon tracker, (2020), How to waste over half a trillion dollars: The economic implications of deflationary renewable energy for coal power investments

[56] Dafermos Y., Gabor D., (2021), Greening the eurosystem collateral framework how to decarbonise ECB’s monetary policy. / Dafermos Y., Gabor D., (2020), Decarbonising is easy: Beyond market neutrality in the ECB’s corporate QE.

[57] Couppey-Soubeyran J., (2020), Comment la BCE peut (enfin) verdir sa politique monétaire, The conversation, 16 Décembre 2020.

[58] Colesanti Senni C., Monnin P., (2020), Central Bank Market Neutrality is a Myth, Council on economic policies.

[59] Del Vasto A., (2021), Policy briefing : why the ecb should go beyond ‘market neutrality , positive money europe.

[60] European central bank, (2021) Greening monetary policy.

[61] Christine Lagarde, (2021), Christine Lagarde: Climate change and central banking, Bis, Discours de Christine Lagarde du 25 Janvier 2021.

[62] Van Tilburg R., Simić A., (2021) Lessons from monetary history for tackling climate change, Sustainable finance Lab.

[63] Dafermos Y., Gabor D., (2020), Decarbonising is easy: Beyond market neutrality in the ECB’s corporate QE.

[64] Battiston B., Monasterolo I., (2019) How could the ECB’s monetary policy support the sustainable finance transition?.

[65] Reclaim Finance, (2019), Quantitative easing et climat : Le sale secret de la Banque Centrale Européenne.

[66] Reclaim finance, (2020), Quantitative easing et climat : fueling the fossil gas frenzy.

[67] Am Main F., (2021), From green neglect to green dominance?, European central bank , 2 mars 2021.

[68] Dafermos Y., Gabor D., (2021), Greening the eurosystem collateral framework : how to decarbonise ECB’s monetary policy, Greenpeace.

[69] NGFS, (2021), Adapting central bank operations to a hotter world Reviewing some options.

[70] Institut Rousseau, (2020), “Quand la banque centrale donne gratuitement de l’argent aux grandes banques commerciales au lieu de financer la reconstruction-écologique».

[71] Lederer E., (2021) “Les banques françaises ont profité des prêts géants de la BCE en 2020”, Les Echos, 17 Février 2021.

[72] Benoit G., (2021) “Les banques empruntent 330 milliards d’euros à taux négatif auprès de la BCE”, Les echos, 18 mars 2021.

[73] Klooster J., van Tilburg R., (2020), Targeting a sustainable recovery with Green TLTROs.

[74] Vie Publique, (2018), “Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, sur les aspects économiques de la lutte contre le réchauffement climatique”.

[75] Reclaim Finance, (2020), “Analyser la qualité des politiques charbon : le Coal Policy Tool”, méthodologie en ligne.

[76] AMF, ACPR, (2020), “Les politiques “charbon”, des acteurs de la place financière de Paris”.

[77] Reclaim Finance, (2021), Capitale de la finance verte?, article, 23 mars 2021.

[78] Reclaim Finance, (2021), Régulation et supervision financières : recommandations à l’ACPR et l’AMF, article, 23 mars 2021.

[79] DG Trésor, (2020), “Bruno Le Maire et Olivia Grégoire encouragent la Place de Paris à redoubler d’efforts afin d’accélérer le développement d’une finance verte”, DG trésor, 16 Novembre 2020.

[80] Exploration et exploitation de nouvelles réserves, construction de nouveaux gazoducs, oléoducs, terminaux méthaniers, centrales.

[81] Pour le charbon d’ici 2030 dans l’UE et l’OCDE et d’ici 2040 dans le monde ; une décennie plus tard pour les pétrole et gaz. Voir notamment : Climate Analytics (2019), Global and regional coal phase-out requirements of the Paris Agreement.

[82] Carbon Tracker, (2017), Carbon Tracker introduced the concept of stranded assets to get people thinking about the implications of not adjusting investment in line with the emissions trajectories required to limit global warming, article, 23 Aout 2017.

[83] Finance Watch, (2020), Breaking the climate-finance doom loop.

[84] Le règlement sur les exigences de fonds propres n ° 575/2013 est une loi de l’UE qui vise à réduire la probabilité d’insolvabilité des banques.

[85] Banque de France (2020), “Coussin pour le risque systémique : à quoi servirait cet instrument ?”

[86] NGFS, (2019), A call for action Climate change as a source of financial risk.

[87] European Central Bank (2021), Shining a light on climate risks: the ECB’s economy-wide climate stress test, article, 18 mars 2021.

[88] ESRB, (2020), Positively green: Measuring climate change risks to financial stability.

[89] Cox J., (2021), Fed sets up panels to examine risks that climate change poses to the financial system, CNCB, 23 Mars 2021.

[90] Bank of England, (2020), Climate change: why it matters to the Bank of England.

[91] Chenet H., Ryan J., Van Lerven F., (2021) Finance, climate-change and radical uncertainty: Towards a precautionary approach to financial policy, Elsevier.

[92] Auriac V., (2020), “Comment trouver le vrai fonds à impact en évitant le greenwashing ?”, axylia, le 3 novembre 2020.

[93] Grandjean A., Dufrêne N. (2020), Une monnaie écologique, Ed. Odile Jacob

[94] Climate Safe Lending et Climate KIC (2021), Financial Stability in Planetary Emergency,

[95] Archer D., Moser-Bohem P. (2013), Central Bank Finance, BIS Papers, No 71, 29 avril 2013. / Article 28 Capital de la BCE, “Protocole (N°4) sur les statuts du système européen de banques centrales et de la banque centrale européenne.”

[96] Un scénario irréaliste, redisons-le : la perte de valeur des actifs fossiles s’étalera sur plusieurs années.

[97] Kapetaki Z., (2021), Recent trends in EU coal, peat and oil shale regions, rapport Commission europènne. / Instrat, (2020), Green jobs in coal regions.

[98] Rainforest Action Network, Reclaim Finance et al., (2021), Banking on Climate Chaos.

[99] Giraud G.,Dufrêne N., Gilbert P., Comment financer une politique ambitieuse de reconstruction écologique, Note de l’Institut Rousseau.

[100] Source Eikon : part des actifs classés comme fossile dans la taxonomie NACE dans les ‘non-bank bonds’ européens.

[101] Insure Our Future (2020), Insuring Our Future, 2020 scorecard on insurance, fossil fuels climate change

    Partager

    EmailFacebookTwitterLinkedInTelegram

    Télécharger en pdf

    Laissez-nous votre email pour télécharger nos travaux

    Télécharger en pdf

    Laissez-nous votre email pour télécharger nos travaux

    Télécharger en pdf

    Laissez-nous votre email pour télécharger nos travaux

    Télécharger en pdf

    Laissez-nous votre email pour télécharger nos travaux